La création d`un fonds de commerce sur le domaine public est

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La création d`un fonds de commerce sur le domaine public est
DROIT PUBLIC
La création d’un fonds de commerce
sur le domaine public est désormais possible
Par Muriel Fayat, avocat associé.
Chatain & Associés
LES POINTS CLÉS
Les dépendances du domaine public sont sources d’insécurité juridique pour les occupants en raison de leur caractère précaire, ce qui ne
favorise pas leur valorisation pour les collectivités. La loi Pinel aide les collectivités à mieux valoriser leur domaine en autorisant désormais
la création de fonds de commerce sur le domaine public. Néanmoins, certaines questions restent encore en suspens.
Un fonds de commerce, à l’exclusion du droit au bail, peut être exploité sur le domaine public sous réserve
de l’existence d’une clientèle propre.
Il sera difficile de définir la notion de clientèle propre quand les clients sont des usagers du domaine public.
Les critères pouvant être à l’origine du refus de transmission de l’autorisation d’occupation lors de la
cession du fonds de commerce restent encore à préciser.
La valorisation du fonds de commerce est compliquée en raison du caractère précaire de l’autorisation
d’occupation.
SUR L’AUTEUR
Muriel Fayat, avocat associé au
cabinet Chatain & Associés, a
développé une pratique en droit
public pour répondre aux besoins
juridiques et opérationnels des
collectivités ou organismes publics
mais aussi des entreprises du secteur
privé (agroalimentaire, construction
BTP, industrie, sports & loisirs). Elle intervient aussi bien en conseil
qu’en contentieux.
fonds de commerce, comprenant sa clientèle propre, à l’origine de sa valorisation
devront être identifiés précisément.
Néanmoins, la difficulté inhérente à l’exploitation d’un fonds de commerce sur le
domaine public est l’existence d’une clientèle
propre qui est intrinsèquement étrangère aux
usagers du domaine public.
À ce titre, il existe une incertitude sur la position qu’adoptera le Conseil d’État.
En effet, le juge judiciaire exige pour caractériser l’existence d’un fonds de commerce
que l’occupant dispose d’une clientèle propre,
autonome et indépendante.
Toutefois, cette approche semble difficilement conciliable avec les particularités du
domaine public.
En effet, les clients des fonds de commerce
tels que ceux des restaurants dans les aéroports, par exemple, sont avant tout des usagers du domaine public qui ne viennent pas
Muriel Fayat,
avocat associé
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PAROLES D’EXPERTS - MAI 2016
Les nouveautés apportées
par la loi Pinel
L’article L.2124-32-1 du Code général de
la propriété des personnes publiques dispose désormais qu’un fonds de commerce
peut être exploité sur le domaine public
sous réserve de l’existence d’une clientèle
propre.
Il n’est pas fait référence au domaine
public naturel. Dès lors, les concessions de
plages, montagnes et domaines fluviaux
sont exclues du champ d’application de
cet article.
Cette disposition met un terme à la jurisprudence du Conseil d’État qui considérait que l’autorisation d’occupation du
domaine public ne pouvait donner lieu à la
constitution d’un fonds de commerce dont
l’occupant serait propriétaire en l’absence
de disposition législative contraire.
Une autorisation d’occupation du domaine
public peut désormais être délivrée si le
fonds de commerce est compatible avec
l’affectation du domaine public.
L’existence d’un fonds de commerce devra
être précisée dans l’autorisation temporaire d’occupation pour garantir les droits
du titulaire en cas de cession du fonds de
commerce mais également de résiliation
anticipée.
Au surplus, les éléments constitutifs du
© ventdusud
L
a loi du 18 juin 2014 relative à l’artisible et appartient à l’occupant. Dès lors,
sanat, au commerce et aux très petites
l’exploitation d’un fonds de commerce sur
entreprises, dite « Loi Pinel », a créé,
le domaine public en contravention de
par ses articles 71 et 72, la possibilité
cette interdiction pouvait avoir plusieurs
d’exploiter un fonds de commerce sur le
conséquences.
domaine public, et ceci, depuis son entrée
Tout d’abord, la convention d’occupation
en vigueur, le 20 juin
pouvait être résiliée pour
2014. Toutefois, afin de
un motif d’intérêt génécomprendre la portée de
ral sans aucune indem« UN FONDS DE COMMERCE
cette loi, il est nécessaire
nisation de l’occupant
PEUT ÊTRE EXPLOITÉ SUR
de présenter le cadre juripour la per te de son
LE DOMAINE PUBLIC SOUS
dique applicable avant
fonds de commerce. Il
RÉSERVE DE L’EXISTENCE
son entrée en vigueur,
pouvait seulement préD’UNE CLIENTÈLE PROPRE »
les nouveautés qu’elle a
tendre à l’indemnisation
apportées ainsi que les
de la perte de bénéfices.
questions qui subsistent.
Ensuite, en cas de cession du fonds de commerce, l’autorisaLa situation avant l’entrée en
tion d’occupation du domaine public ne
vigueur de la loi Pinel
pouvait pas être transférée sans l’autoriLe principe était simple : l’exploitation
sation préalable de la collectivité propriéd’un fonds de commerce était formeltaire qui pouvait toujours la refuser. Dans
lement interdite sur le domaine public.
ce cas, il était nécessaire de demander
Cette interdiction se justifie par l’antagoune nouvelle autorisation sans aucune
nisme existant entre le régime du domaine
assurance pour l’obtenir, l’administrapublic et celui du fonds de commerce. En
tion détenant une liberté de choix.
effet, le domaine public est inaliénable.
Par conséquent, l’exploitation d’un fonds
Pour ce motif, les autorisations d’occude commerce sur le domaine public
pation privative sont délivrées à titre prén’était pas reconnue avant l’entrée en
caire. Elles sont donc révocables à tout
vigueur de la loi Pinel, ce qui limitait les
moment, incessibles et personnelles. Au
moyens des collectivités publiques pour
contraire, le fonds de commerce est cesvaloriser leur domaine public.
en raison de la réputation du restaurant. Dès
lors, la preuve d’une clientèle propre et d’une
autonomie de gestion de l’occupant semble
difficile à apporter.
Enfin, en cas de résiliation avant son terme
de l’autorisation d’occupation temporaire
pour motif d’intérêt général, l’occupant
recevra une indemnité correspondant à la
perte des éléments du fonds de commerce si
la preuve de l’existence d’une clientèle propre
est apportée.
Même si désormais, un fonds de commerce
peut être légalement exploité sur le domaine
public des précisions restent encore à être
apportées sur ce régime.
Les questions irrésolues
Tout d’abord, concernant la cession du fonds
de commerce, l’autorisation d’occupation
devrait être transmise en même temps que les
éléments constituant le fonds de commerce.
Néanmoins, l ’ar ticle L . 2124-33 du
Code général de la propriété des personnes publiques ne semble pas adopter cette solution.
En effet, une autorisation de transfert du
titre d’occupation devra être sollicitée
auprès de l’autorité compétente. L’obtention
de cette autorisation constituera vraisemblablement une condition suspensive à la
cession du fonds.
Ce fonctionnement est conforme au principe d’incessibilité du domaine. Toutefois,
les conditions pour justifier un refus du
transfert de l’autorisation ne sont pas précisément identifiées dans les textes et laissent
donc subsister une certaine incertitude sur
le traitement de cette situation.
Une autre interrogation existe concernant
la valorisation du fonds de commerce sur le
domaine public. En effet, aucune réponse
n’est apportée tant par les textes que par le
juge administratif pour évaluer la valorisation du fonds.
Cependant, le caractère précaire de l’autorisation d’occupation est à l’origine de
l’absence de droit au bail et de maintien
dans les lieux à l’échéance de l’autorisation.
Dès lors, la valeur du fonds de commerce
peut vraisemblablement subir une dépréciation progressive à mesure que le terme
du titre d’occupation approche. Cette situation est donc préjudiciable aux intérêts de
l’occupant et devra être prise en compte
dans sa valorisation
En conclusion, la consécration de l’exploitation du fonds de commerce sur le
domaine public est une avancée importante
tant pour les collectivités publiques, que
pour les commerçants, sans pour autant
remettre en cause le principe d’inaliénabilité du domaine public, contrairement au
droit au bail qui reste toujours exclu.
MAI 2016 - PAROLES D’EXPERTS
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