La pensée politique et constitutionnelle de Nicolas
Transcription
La pensée politique et constitutionnelle de Nicolas
Université de Rennes 1 Faculté de Droit et de Science Politique Master 2 Histoire du Droit (2011-2012) La pensée politique et constitutionnelle de Nicolas Bergasse De la période prérévolutionnaire à la chute de la royauté (1788-1792) Présenté et soutenu par Thérence CARVALHO le 28 juin 2012 Directeur de recherche : Monsieur Anthony MERGEY Professeur à l’Université de Rennes 1 Suffragants : Monsieur Sylvain SOLEIL Professeur à l’Université de Rennes 1 Madame Tiphaine LE YONCOURT Maître de conférences à l’Université de Rennes 1 « L’âme de la cité n’est rien d’autre que la constitution, qui a le même pouvoir que dans le corps la pensée » Isocrate, orateur athénien (436 / 338 av. J.-C.) À Démonicos 1 REMERCIEMENTS Nos remerciements s’adressent en premier lieu à Monsieur le professeur Anthony Mergey qui nous a proposé ce passionnant sujet d’étude et a guidé nos travaux avec disponibilité et bienveillance tout au long de cette année universitaire. Notre reconnaissance va ensuite à l’intégralité des membres du Centre d'Histoire du Droit de la Faculté de Droit de l'Université de Rennes 1 pour la qualité de leurs enseignements et leurs conseils éclairés. Notre gratitude s’adresse également à Monsieur Sylvain Soleil, professeur à l’Université de Rennes 1, et à Madame Tiphaine Le Yoncourt, maître de conférences à l’Université de Rennes 1, pour nous avoir fait l’honneur de former le jury auquel nous avons soumis ce mémoire. 2 SOMMAIRE PREMIÈRE PARTIE UNE NOUVELLE ORGANISATION DES POUVOIRS : Entre création et redistribution des compétences Chapitre I - Le Roi : une autorité forte aux prérogatives redéfinies Section I - Le dépositaire du pouvoir exécutif suprême Section II - La reconnaissance d’un rôle capital dans le processus législatif Chapitre II - Le Parlement : nouveau titulaire du pouvoir législatif Section I - Les caractères du Parlement Section II - Les attributions du Parlement Chapitre III - La réorganisation de l’ordre judiciaire Section I - La place nouvelle de la fonction judiciaire Section II - La profonde réforme de la justice DEUXIÈME PARTIE UN ORDRE CONSTITUTIONNEL INNOVANT : Encadrer la monarchie pour la régénérer Chapitre I - La conception de l’ordre constitutionnel : les principes supérieurs fondant la nouvelle monarchie Section I - La souveraineté de la raison universelle Section II - L’idéal d’une monarchie libre Chapitre II - La réalisation de l’ordre constitutionnel : établir et garantir le nouveau régime Section I - L’élaboration d’une Constitution inédite Section II - La conservation d’une Constitution achevée 3 LISTE DES ABRÉVIATIONS AP Archives parlementaires LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence RFDC Revue française de droit constitutionnel RHD Revue historique de droit français et étranger RRJ Revue de la recherche juridique PUAM Presses universitaires d’Aix-Marseille PUF Presses universitaires de France PUG Presses universitaires de Grenoble 4 INTRODUCTION « Il voulait être le Lycurgue1 de la France, mais il voulait l’être seul et s’indigna contre l’Assemblée et la Nation qui s’imaginaient avoir besoin d’autres que lui pour rédiger la Constitution »2. C’est en ces termes que Brissot, le conventionnel chef de file des Girondins, parle de son ancien ami Nicolas Bergasse. Avocat au Parlement de Paris, celui-ci est un intellectuel aux aptitudes diverses et aux passions multiples. Juriste, député, philosophe, écrivain et orateur de talent, c’est un homme ouvert aux idées des Lumières qui évolue dans un XVIIIe siècle libre, curieux et militant. Né à Lyon le 24 janvier 1750, sa vie bascule en 1789 lorsqu’il devient député aux États généraux puis à l’Assemblée nationale constituante. Cet événement exceptionnel lui permet d’exprimer et de développer pleinement ses idées politiques en tentant de les concrétiser. Il apporte alors ses réflexions et sa force de conviction à chaque grand débat constitutionnel qui traverse les débuts de la Révolution française. Troisième fils d’une famille commerçante, Nicolas Bergasse reçoit une éducation morale stricte où on ne transige ni avec le sentiment du devoir, ni avec la discipline3. Après une solide instruction chez les Jésuites, puis chez les Joséphistes et les Oratoriens, il commence une carrière d'enseignant en dispensant des cours de philosophie, matière pour laquelle il avait montré des aptitudes remarquables4, et de rhétorique dans les collèges de l'Oratoire. Il est envoyé professer successivement dans plusieurs villes du royaume. Mais bientôt cet emploi l'ennuie et il cherche un autre statut qui lui permettrait d’être reçu dans le monde5. Les questions judiciaires passionnent l'opinion publique de son temps et il décide de s'orienter vers le barreau. En 1771, peu après la mort de son père, il retourne à Lyon et entame des études de droit. L’année suivante, il se fait recevoir avocat au présidial et devient secrétaire auprès du lieutenant général de la sénéchaussée de Lyon. Il est chargé de rédiger, 1 Lycurgue est considéré comme le législateur mythique de Sparte. Ce réformateur légendaire aurait, aux alentours du IXe siècle avant J.C., refondé les institutions de la cité. Plutarque reconnait qu’à son sujet, « on ne peut rien dire qui ne soit douteux », J. Gaudemet, Les naissances du droit, Paris, Montchrestien, 2006, p. 77. 2 J.-P. Brissot de Warville, Mémoires de Brissot, membre de l’Assemblée législative et de la Convention nationale, sur ses contemporains, et la Révolution française, Paris, Ladvocat, 1830, p. 422. Toutes les citations qui sont reproduites dans cette étude reprennent, dans un souci d'authenticité, l'orthographe et le style utilisés par leur auteur. 3 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution : Nicolas Bergasse, avocat au parlement de paris, député du tiers état de la sénéchaussée de Lyon aux États-généraux (1750-1832), Paris, Perrin, 1910, p. 3. 4 L. Bergasse, Un philosophe lyonnais : Nicolas Bergasse. Essai de philosophie chrétienne sous le premier empire, Paris, Vrin, 1938, p. 3. 5 J.-C. Gaven, « Bergasse Nicolas », in P. Arabeyre, J.-L. Halperin et J. Krynen (dir.), Dictionnaire historique des juristes français. XIIe-XXe siècle, Paris, PUF, 2007, p. 71. 5 pour le lieutenant général, le discours de la rentrée solennelle du présidial. Il s'agit du Discours sur l'honneur, dans lequel il démontre comment le sentiment de l’honneur est particulièrement nécessaire aux magistrats dans l'accomplissement de leurs devoirs6. Dans les mêmes conditions, Bergasse compose, en 1773, un Discours sur l'humanité des juges dans l'administration de la Justice criminelle. Ces discours rencontrent un vif succès et son nom devient rapidement célèbre. En 1774, il est désigné par les consuls de la ville, parmi les jeunes avocats, pour prononcer le discours d'usage à la fête de l'éloquence célébrée le 21 décembre, jour de la Saint-Thomas. Dans cette harangue, le jeune orateur se demande : « Quelles sont les causes générales des progrès de l'industrie et du commerce ? Quelle a été leur influence sur l'esprit et les mœurs des nations »7 ? En prenant l'exemple de sa ville natale, Bergasse démontre que l'industrie, mère des connaissances et de la fortune, n'est pas l'ennemi du beau et de la vertu8. Après ce jour, la réputation du jeune homme s’accroît considérablement. Il publie alors un Discours ou réflexions sur les préjugés dans la Gazette de France. Il y décrit les liens réciproques entre les préjugés et l'organisation politique des peuples, entre les préjugés et la législation9. C'est une des premières fois où il développe ses conceptions politiques et juridiques. Ses études terminées, Bergasse prend une charge d'avocat au Parlement de Paris10. Hostile à la réforme du Chancelier Maupeou11, il n’exerce sa charge qu'après le rappel de l'ancien Parlement par Louis XVI. Présenté par l’avocat Target, il est solennellement reçu à la cour le 18 juillet 1775. Cependant sa carrière l’intéresse peu, il préfère au barreau, les salons et aux magistrats, les philosophes. Ainsi, il rencontre l’abbé Sieyès chez madame Helvétius12, rend visite à Rousseau13 et sollicite la critique de Voltaire pour certains de ses écrits14. Les affaires publiques le passionnent et il travaille à un projet sur l’administration municipale. S’enthousiasmant pour les propositions de Turgot, l’auteur déplore vivement la chute de ce 6 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 10. L. de Gaillard, Autres temps. Nicolas Bergasse, député de Lyon à l’Assemblée constituante. Deux enclaves de l’ancienne France : Orange et Avignon, Paris, Plon, 1893, p. 11. 8 Ibid., p. 12. 9 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 15. 10 Lyon était comprise dans le ressort territorial du Parlement de Paris. 11 Cette réforme, avec le soutien de Louis XV, évince les magistrats rebelles, réorganise le système judiciaire (l'immense ressort du Parlement de Paris est démantelé) et instaure un statut moderne pour la haute magistrature. Elle rationalise l'exercice de la justice et la rend plus accessible aux justiciables. La réforme est un succès mais le décès du roi vient tout remettre en cause. Le 24 août 1774, Louis XVI disgracie Maupeou et abandonne sa réforme. 12 E. et J. Goncourt, Histoire de la société française pendant la Révolution, Paris, Bibliothèque Charpentier, 1895, p. 12. 13 Dans une lettre destinée à un de ses amis, Bergasse raconte son étonnante visite à Rousseau. Un extrait de ce document est reproduit en annexe de cette étude. 14 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 24. 7 6 « ministre immortel »15. En 1781, malade, il devient le patient du docteur Mesmer, inventeur du magnétisme animal. Cette théorie postule l'existence d'un fluide magnétique universel dont on peut faire une utilisation thérapeutique16. De vives polémiques s’ensuivent et Bergasse s’inscrit en défenseur du mesmérisme. Pour soutenir financièrement le médecin allemand, il fonde avec le banquier Guillaume Kornmann, la Société de l'Harmonie Universelle. En 1784, dans Considérations sur le Magnétisme animal, il entend démontrer la rationalité du phénomène et va beaucoup plus loin. Les doctrines du magnétisme et de l'harmonie universelle sont des principes scientifiques qui doivent permettre de fonder une législation plus rationnelle, plus libérale et plus humaine17. Cette théorie permet de mieux connaître les lois générales du monde, dès lors on peut se faire une idée plus juste et plus exacte des institutions qui conviennent à la société. Celles-ci doivent permettre de conserver l'ordre naturel et garantir l'harmonie entre les hommes18. À travers ces affirmations, l’auteur témoigne d'un vif intérêt pour les questions politiques et constitutionnelles qu’il lie directement aux fondements scientifiques de la nature. Déçu par le comportement de Mesmer qui finit par fuir en Angleterre, Bergasse se détourne du maître. Toutefois, le mesmérisme lui a permis d’élargir son cercle d’amis à des personnalités telles que le marquis de La Fayette ou Brissot. À l’instigation de ce dernier, il devient un des membres fondateurs de la Société des amis des noirs, qui avait pour but de préparer l’abolition de l’esclavage, où il y rencontre entre autres Valady et le comte de Mirabeau. En 1786, Bergasse, en tant qu’avocat, défend son ami Kornmann dans l’affaire qui l’oppose à sa femme adultère. Grâce à ce procès, il dispose d’une tribune nationale pour dénoncer violemment les institutions, la dépravation des mœurs politiques19 et le « pouvoir arbitraire ». La cause est retentissante, on se met à parler beaucoup moins de Necker et de Calonne que de Bergasse et de Beaumarchais 20, contre qui il est amené à plaider. En tout, il ne présente pas moins de dix-sept écrits dans le cadre de cette affaire. En avril 1789, il perd le procès mais gagne l’opinion publique qui lui demeure favorable. Grâce à cette lutte, il se trouve désormais sur le devant de la scène publique et bénéficie d’une grande réputation d’orateur et d’écrivain politique21. 15 Ibid., pp. 23-24. Cf. R. Darnton, La Fin des Lumières. Le mesmérisme et la Révolution, Paris, Odile Jacob, 1995. 17 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 39. 18 Ibid., p. 35. 19 J.-C. Gaven, « Bergasse Nicolas », in P. Arabeyre, J.-L. Halperin et J. Krynen (dir.), Dictionnaire historique des juristes français, op. cit., p. 72. 20 A. Robert et G. Cougny, « Nicolas Bergasse », in Dictionnaire des parlementaires français. Depuis le 1 er mai 1789 jusqu’au 1er mai 1889, Paris, Bourloton, 1889, t. 1, p. 265. 21 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 68. 16 7 Le 3 avril 1789, il est élu député du tiers aux États généraux par la sénéchaussée de Lyon. À 39 ans, Bergasse partage la jeunesse d’un certain nombre d’hommes qui vont s’illustrer à la tribune22. En raison de sa célébrité acquise dans l’affaire Kornmann, il ne correspond pas à ces « obscurs avocats de province » dont parlera Burke23. Le 15 juin, il approuve la proposition de Sieyès24 et soutient la dénomination d’Assemblée nationale. Élu au premier comité de Constitution, il prononce un Rapport sur l'organisation du pouvoir judiciaire le 17 août 1789. Il publie son Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif dans une monarchie. Mais il ne tarde pas à trouver trop rapide le mouvement dans lequel il est entré avec la secrète intention de le diriger ou de le maîtriser25. Devenu minoritaire avec ses amis monarchiens en septembre et profondément choqué par les événements des 5 et 6 octobre26, il cesse de paraître à l’Assemblée, fait connaître dans plusieurs écrits son intention de refuser le serment à la Constitution et propose sa démission. À l'écart de l'Assemblée, il continue d'écrire sur chaque grande question à l'ordre du jour comme la création des assignats, ou encore l’établissement d'une banque nationale. Devenu un des conseillers du roi à partir d’octobre 1790, il lui dicte les réponses qu’il doit faire aux députés enquêteurs au retour de Varennes et le discours qu’il doit prononcer à l’Assemblée27. La Constitution de 1791 ayant été largement contestée et traitée de « grande absurdité »28 par Bergasse, Louis XVI demande à l'auteur de rédiger un nouveau projet de Constitution. Ce rapprochement avec la Cour entraîne la suspicion et la réprobation des révolutionnaires. Ironie du destin, le projet fut achevé le 9 août 1792, la veille de la chute de la royauté ! Après l'envahissement des Tuileries, ses manuscrits semblent avoir été brûlés29. Nicolas Bergasse a conservé l’original de son œuvre, mais sentant le danger, l’envoie à ses frères à Lyon où il est également détruit30. C’est ainsi que le projet de Constitution 22 À titre d’illustration, en 1789, Barnave a vingt-huit ans ; Duport, trente ; Cazalès, Mounier et Robespierre, trente et un ; Clermont-Tonnerre, trente-deux ; Talleyrand, Le Chapelier et Roederer, trente-cinq ; Mirabeau et Sieyès n’ont que quarante ans. Cf. F. Furet et R. Halévi, La monarchie républicaine. La Constitution de 1791, Paris, Fayard, 1996, pp. 130-131. 23 E. Burke, Réflexions sur la Révolution de France (1790), Paris, Egron, 1819, p. 70. 24 L'abbé Sieyès dépose, le 11 juin 1789, une motion invitant la Noblesse et le Clergé à rejoindre les « députés des Communes ». 25 A. Robert et G. Cougny, « Nicolas Bergasse », in Dictionnaire des parlementaires français…, op. cit., p. 265. 26 Une foule en colère, composée majoritairement de femmes, se rend de Paris à Versailles, pour réclamer du pain à Louis XVI. À l’issue de ces journées, la famille royale quitte Versailles pour les Tuileries, le Roi se retrouve prisonnier de Paris. Il s’agit d’un tournant de la Révolution, dès lors une possible chute de la monarchie semble envisageable. 27 J. Tulard, J.-F. Fayard et A. Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française (1789-1799), Paris, Lafont, 1987, pp. 573-574. 28 A. Robert et G. Cougny, « Nicolas Bergasse », in Dictionnaire des parlementaires français…, op. cit., p. 265. 29 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 175. 30 J.-D. Bergasse, D’un rêve de réformation à une considération européenne.MM. les députés Bergasse (XVIIIe XIXe siècles), Cessenon, édité par l’auteur, 1990, p. 266. 8 disparaît. Il ne reste, hélas, que des informations très parcellaires sur cet ouvrage. Après s’être caché au lendemain du 10 août 1792, Bergasse demande à faire partie du conseil de défense de Louis XVI. Il quitte Paris en janvier 1793 avec sa femme Perpétue du Petit-Thouars, épousée en septembre 1791. Le 5 février 1794, ayant été dénoncé, il est arrêté. Il n’est transféré à Paris qu’après le 9 thermidor et la chute de Robespierre. Condamné à la détention jusqu'au rétablissement de la paix, il est libéré sous le Directoire. Sous le Consulat et l'Empire, il se retire près de Lyon, et ne publie, durant cette période, qu'un volume de Discours et fragments, ouvrage de nature philosophique regroupant d’anciens discours et des réflexions morales. En 1814, dans une brochure intitulée Réflexions sur l'acte constitutionnel du Sénat, il dénonce l’indignité des prétentions du Sénat impérial face à Louis XVIII. Il publie, en 1817, un Essai sur la loi, sur la souveraineté et sur la liberté de manifester ses pensées qui reproduit, au moins en partie, certaines réflexions qu’il avait composé pour Louis XVI. Chez madame de Krüdener, il s’entretient fréquemment avec le tsar Alexandre Ier, dont il devient le conseiller épistolaire. Devenu radicalement opposé aux principes maçonniques et révolutionnaires, il contribue au pacte de la Sainte-Alliance31 qui comprend, au commencement, la Russie, l’Autriche et la Prusse. En 1821, il est traduit en cour d'assises pour un Essai sur la propriété dans lequel il conteste le refus de restituer aux anciens émigrés leurs propriétés spoliées. Défendu par Berryer, il est acquitté à l’unanimité du jury. En juillet 1830, Charles X le nomme conseiller d'État honoraire. Quelques jours plus tard les Trois Glorieuses et l'avènement de Louis-Philippe Ier lui font perdre sa nouvelle qualité. Cette révolution, porteuse des principes qu’il a combattus, semble être pour lui extrêmement douloureuse32. Octogénaire, il se retire de la vie publique et commence un grand ouvrage sur la morale religieuse33 qui demeure inachevé puisqu’il décède à Paris le 28 mai 1832. Dès les débuts de la Révolution, Bergasse s’inscrit au sein du courant « monarchien »34. Cependant, ce terme n’existe pas en 1789, il n’apparaît que deux ans plus tard pour désigner cette fraction de l’Assemblée constituante qui a défendu, entres autres, le veto royal absolu et la création de deux chambres parlementaires. La composition de ce 31 La Sainte-Alliance unit les grandes monarchies européennes dans le cadre d'une union chrétienne. Elle a pour objectif de maintenir la paix et de protéger les États contre d'éventuelles révolutions. Ces valeurs fondatrices sont en parfaite adéquation avec les conceptions d’un Bergasse vieillissant. 32 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 436. 33 C. Dezobry et T. Bachelet, Dictionnaire général de biographie et d’histoire, de mythologie, de géographie ancienne et moderne comparée, des antiquités et des institutions grecques, romaines, françaises et étrangères, Paris, Delagrave, 1895, volume 1, p.286. 34 Les monarchiens sont également appelés les « amis de la Constitution monarchique » ou les « impartiaux ». 9 rassemblement, classé au centre-droit, se révèle des plus fluctuantes et les différentes personnalités qui l’animent ne constituent pas un groupe homogène. Il n’existe pas de structure partisane ni de discipline de vote, de plus les monarchiens sont réfractaires à toute idée de club35. Sous une même dénomination, les monarchiens semblent en réalité regrouper un ensemble de doctrines juridiques et politiques portées par des personnalités diverses. Certains sont membres du clergé, d’autres de la noblesse ou du tiers, tous proviennent de localités géographiques différentes. Dans un ouvrage sur Malouet, Robert Griffiths tente d’établir une liste de tous les membres du groupe monarchien36. En aucune façon, ils ne sont liés par la défense de prétentions nobiliaires. Au contraire, ces auteurs se caractérisent par une contestation des privilèges dès 1788. Majoritaires au premier comité de Constitution, ces hommes sont rapidement dépassés par les événements et se brisent à essayer de freiner le mouvement qu’ils ont contribué à déclencher. Situés entre la contre-révolution et la mouvance révolutionnaire, ils se voient repoussés malgré eux du côté de la réaction en assistant, désabusés, aux échecs consécutifs de leurs projets. Si quelques figures majeures telles que Mounier, Malouet, Lally-Tollendal ou Clermont-Tonnerre sont souvent citées ou font l’objet d’études approfondies37, la pensée de Bergasse demeure, elle, largement sous-estimée. L’historiographie contemporaine interprète de deux manières assez distinctes le phénomène monarchien. D’un côté, des auteurs, comme Guillaume Bacot, soutiennent que la Constitution anglaise demeure l’idéal politique des monarchiens tout au long de la Révolution38. De l’autre, l’Anglais Robert Griffiths met moins l’accent sur la tentative infructueuse d’instaurer en France le modèle politique britannique et choisit de les présenter avant tout comme les héritiers du courant réformiste de la pré-révolution. En analysant les activités et les idées postérieures de Malouet et d’autres monarchiens, il décerne une véritable idéologie, servant de lien entre l’État de l’Ancien Régime et l’État moderne : le « monarchienisme »39. Sans porter de jugement sur l’ensemble du courant monarchien, il 35 K. Fiorentino, La seconde Chambre en France dans l’histoire des institutions et des idées politiques (17891940), Paris, Dalloz, 2008, p. 46. 36 Mounier, Malouet, Bergasse, Virieu, Lally-Tollendal, Lézay-Marnesia, La Luzerne, Dufraisse-Duchay, Chabrol, Tailhardat de la Maisonneuve, Henri de Longuève, Guilhermy, Lachèse, Redon, Deschamps, Paccard, Faydel, Durget, Madier de Montjau et l’abbé Mathias, Cf. R.H. Griffiths, Le centre perdu : Malouet et les « monarchiens » dans la Révolution française, Grenoble, PUG, 1988, p. 67. Il semble nécessaire d’ajouter à cette liste Montlosier et le comte de Clermont-Tonnerre, exception faite de son intervention du 4 septembre 1789 qui propose l’institution de deux chambres mais aux compétences inégalitaires. 37 Les travaux de certains auteurs constituent d’importantes références sur la pensée monarchienne. Cf. J. Égret, La Révolution des Notables. Mounier et les Monarchiens, 1789, Paris, Armand Colin, 1950 ; R. Griffiths, Le centre perdu : Malouet et les « monarchiens »…, op. cit. ; C. Du Bus, Stanislas de Clermont-Tonnerre et l’échec de la Révolution monarchique, Paris, Alcan, 1931. 38 Cf. G. Bacot, « Les monarchiens et la Constitution anglaise », RRJ, 1993-3, pp. 709-737. 39 Cf. R. Griffiths, Le centre perdu : Malouet et les « monarchiens »…, op. cit. 10 apparaît indéniable que Bergasse est fasciné et nettement influencé par le modèle anglosaxon. Tout comme une partie des élites françaises, il semble contaminé par l’anglomanie des Lumières. Le retentissement des Lettres anglaises de Voltaire, l’effet Montesquieu et les analyses réalisées par De Lolme y ont fortement contribué. Albion exerce une profonde séduction à laquelle nombre de députés succombent. Ce pays voisin apparaît comme avoir réussi sa réforme politique dans la paix civile. Parallèlement, l’exemple des jeunes États américains commence à se répercuter sur les esprits du vieux continent. Selon Sylvain Soleil, « un modèle a pour tâche de rendre compréhensible un ensemble complexe de phénomènes ». Pour cela, il doit s’agir d’un modèle « réduit » qui demeure fidèle au phénomène réel40. Or, le « modèle » constitutionnel anglais que les monarchiens souhaitent imiter n’est pas fidèle à celui qui fonctionnait en Grande-Bretagne à la fin du XVIIIe siècle. Bien qu’ils ne se méprennent pas sur la réalité, ils refusent en parfaite connaissance de cause l’évolution plus récente des institutions britanniques. Certaines dérives, comme le parlementarisme, semblent regrettables et ils prétendent alors s’en tenir à la pureté du modèle initial41. Nicolas Bergasse apparaît comme l’exemple même du personnage qu’on croit connaître. Son nom, évoqué succinctement dans de nombreux ouvrages, semble parfois familier. Quelques-unes de ses propositions font l’objet d’un rapide éclairage dans des études sur la Révolution. Mais au fond, connaît-on vraiment ses réflexions politiques ? Les sciences historiques et juridiques maîtrisent-elles bien sa pensée ? Rien n’est moins certain. Si sa vie a été développée en détail dans des biographies, pour la plupart assez anciennes et réalisées souvent par des membres de la famille Bergasse42, aucune étude spécifique n’est dédiée à sa pensée politique et constitutionnelle. Or, celle-ci mérite largement d’être analysée et mise en lumière. Le présent mémoire retient cet objet d’étude en se consacrant à une époque précise qui court de la période prérévolutionnaire jusqu’à la chute de la royauté, c'est-à-dire de l’année 1788 jusqu’au 10 août 1792. Il s’agit d’un moment crucial où Bergasse allie la richesse de ses qualités intellectuelles avec une importante production littéraire. Participant au « plus grand séminaire de théorie politique que le monde ait jamais connu »43, il donne son opinion sur chaque débat : de la réforme judiciaire aux pouvoirs du roi en passant par une définition spécifique de la loi. Il construit alors sa propre vision du régime politique. Durant 40 S. Soleil, A la conquête du monde. Genèse et expansion des modèles juridiques français, à paraître. G. Bacot, « Les monarchiens et la Constitution anglaise », op. cit., p. 716. 42 Cf. L. de Gaillard, op. cit. ; R. Martineau, Un avocat du temps jadis, Nicolas Bergasse, Limoges, Ducourtieux et Gout, 1907 ; L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., Un philosophe lyonnais…, op. cit. ; J.-D. Bergasse, D’un rêve de réformation à une considération européenne…, op. cit. 43 Formule utilisée par K. Loewenstein pour qualifier l’Assemblée constituante de 1789, cité par C. Achaintre, L’instance législative dans la pensée constitutionnelle révolutionnaire (1789-1799), Paris, Dalloz, 2008, p. 64. 41 11 ces années, l’ensemble de ses discours, de ses ouvrages, de ses brochures s’ordonnent en un véritable corps de doctrine. Bien qu’il fasse part d’un tel projet, jamais il ne parvient à réunir ses idées dans un important traité44. Sa pensée demeure disséminée dans une multitude d’écrits aux sujets variés. Modestement, cette étude tente de présenter les intentions constitutionnelles de l’auteur et l’architecture de sa réflexion politique. Ses avis sur les questions financières ou économiques, tels que sur les assignats ou la création d’une banque nationale sont volontairement écartés. L’objectif est de montrer comment ses théories permettent de soutenir et de renforcer les conceptions monarchiennes dans les débuts de la Révolution. Il s’agit alors de souligner la relative diversité qui règne au sein de la doctrine monarchienne et de proposer une vision d’ensemble de ses idées constitutionnelles afin de mieux comprendre son apport à l’histoire de la pensée politique du XVIIIe siècle. Ainsi, il semble judicieux de se demander comment s’articule la pensée de Bergasse dans les débuts de la Révolution ? Quelles sont ses opinions, ses réflexions sur les débats qui se tiennent à l’Assemblée constituante ? Quelles sont les spécificités de ses propositions et de quelle façon contribue-t-il au courant monarchien ? Afin de tenter de répondre à ces interrogations, il convient d’étudier une œuvre qui semble davantage celle d’un philosophelégislateur que celle d’un simple juriste. En conséquence, il s’en tient souvent à des idées générales et abstraites et entre rarement dans les détails. Nicolas Bergasse part du constat accablant que la société d’Ancien Régime est rongée par le « despotisme ministériel » et le « pouvoir arbitraire ». Afin que la liberté puisse dorénavant s’épanouir dans le royaume, il convient de distinguer et de séparer les pouvoirs, auparavant confondus et concentrés entre les mains du roi. Dès lors, de nouvelles institutions doivent voir le jour et d’anciennes doivent être rénovées. S’inscrivant dans un mouvement réformateur, il propose une réorganisation générale des pouvoirs et de leurs attributions (Première Partie). Ce nouvel agencement s’insère dans une démarche intellectuelle plus profonde. En effet, l’auteur croit en la monarchie mais celle-ci doit impérativement être régénérée. Cette résurrection passe obligatoirement par l’établissement d’un cadre juridique innovant se matérialisant par une nouvelle Constitution. Celle-ci a pour mission de placer et de maintenir le régime en conformité avec des préceptes supérieurs issus de la philosophie et de l’ordre naturel (Deuxième Partie). 44 Au Post Scriptum de l’un de ses mémoires relatif à l’affaire Kornmann, Bergasse fait justement part de sa volonté de réaliser ce grand ouvrage politique. Il affirme qu’il y montrerait aux Français : « 1° Ce que nous fumes & ce que nous fommes, 2° Ce que nous devrions être, 3° Ce que nous pourrions devenir », in Observations du sieur Bergasse sur l’écrit du Sieur Beaumarchais, ayant pour titre : Court Mémoire, en attendant l’autre, dans la cause du Sieur Kornmann, août 1788, p. 59. Ce livre qui aurait décrit l’intégralité de ses conceptions constitutionnelles ne verra jamais le jour. 12 PREMIÈRE PARTIE UNE NOUVELLE ORGANISATION DES POUVOIRS : Entre création et redistribution des compétences De 1788 à 1792, Nicolas Bergasse s’oppose à la concentration du pouvoir politique opérée par la monarchie absolue. Le roi, seul ou par l’intermédiaire de ses subordonnés, adopte les normes générales applicables à ses sujets, en ordonne et en assure l’exécution et tranche les litiges auxquels donne lieu l’application de ces règles. S’élevant contre cette organisation et fortement influencé par le modèle politique britannique, Bergasse forge sa propre conception d’une monarchie constitutionnelle. Attaché à une distinction organique, il prône une répartition du pouvoir destinée à équilibrer et stabiliser le régime. Entre traditions et idées nouvelles, il soutient un roi fort dont les attributions entièrement révisées dépassent la seule fonction exécutive (Chapitre I). Le pouvoir législatif incombe quant à lui à un Parlement dont le caractère bicaméral permet de modérer les passions du législateur (Chapitre II). Enfin, la faculté de contrôler l'application de la loi et d’en sanctionner le nonrespect revient à un appareil judiciaire rénové dont la place dans la société est profondément transformée (Chapitre III). 13 CHAPITRE I LE ROI : UNE AUTORITÉ FORTE AUX PRÉROGATIVES REDÉFINIES Au sein de la nouvelle monarchie proposée par Bergasse, le roi tient une place absolument fondamentale. Pilier central de l’édifice constitutionnel, le prince est doté de la fonction exécutive ultime (Section I). Chargé d’appliquer la loi, son autorité doit être suffisamment forte pour garantir en toutes circonstances un respect rigoureux de la législation. Il semble alors inconcevable d’exiger de lui qu’il exécute un texte contraire à ses principes. Afin que le monarque ne soit pas le docile serviteur du pouvoir législatif, il est nécessaire qu’il intervienne en dernière place dans la procédure législative en acquiesçant ou non à la loi votée (Section II). SECTION I LE DÉPOSITAIRE DU POUVOIR EXÉCUTIF SUPRÊME Conformément à la nature monarchique du régime, le roi est placé au sommet de l’architecture étatique. Symbole de la continuité de l'État, il lui revient de mettre en œuvre les lois adoptées et d’incarner une autorité considérable (§ 1). Toutefois, dans le cadre de ses compétences exécutives, il lui est interdit d’empiéter sur les attributions des autres organes constitués. Rompant avec la monarchie absolue, son action est fermement encadrée par la loi dont il ne constitue que l’instrument (§ 2). § 1 - Le prince, chef de la nation Le député de Lyon est partisan d’un pouvoir fort entre les mains du prince, il refuse une constitution où le roi règne et ne gouverne pas. Il insiste sur la nécessité d’attribuer au chef de l’État un poids conséquent à l’intérieur comme à l’extérieur du royaume. Lors des débats sur l’élaboration de la Constitution, la terminologie dominante pour désigner la fonction royale la plus éminente est celle de « chef de la nation »45. L’avocat lyonnais n’est pas en reste et utilise l’expression qui induit un mécanisme de représentation46. Personnifiant 45 J.-P. Duprat, « Le Roi Chef de l’État et/ou de Gouvernement », 1791 la première Constitution française, Actes du colloque de Dijon, 26 et 27 septembre 1991, Paris, Economica, 1993, p. 152. 46 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif dans une monarchie, s. l., 1789, p. 20, note 1. 14 la nation et possédant une légitimité historique incontestable, le monarque constitue un élément de modération face à l’impétueux pouvoir législatif. Le prince héréditaire est le dépositaire du pouvoir exécutif, sa mission consiste à rendre effective la loi adoptée. Conformément à l’idée défendue par Montesquieu47, Bergasse considère que le roi ne peut « ni proposer ni rédiger la loi »48. Les monarchiens ne lui accordent pas l’initiative en matière législative49. Il faut éviter au monarque le risque de se voir contredit par les votes du Parlement et surtout garantir au peuple qu’une loi utile ne puisse être ajournée indéfiniment ou détournée de son objet par le gouvernement50. Son rôle est d’exécuter, de mettre en œuvre les textes votés. L’écrasante majorité des constituants est d’accord avec cette vision de l’exécutif. D’ailleurs, la Constitution des 3 et 14 septembre 1791 confirme cette idée en retenant que « le pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans la main du roi »51. Elle prévoit un « Roi des Français » qui assume la direction de la diplomatie sans pouvoir décider de la paix et de la guerre. Il possède l’initiative dans le droit de faire la guerre mais le dernier mot appartient à l’Assemblée. Le contrôle de l’administration lui échappe parce qu’il ne nomme pas aux emplois publics qui sont pourvus, sauf exceptions, par élection. Pour Bergasse, le monarque ne doit pas être inférieur à l’Assemblée. Il critique cette fausse et apparente séparation des pouvoirs qui répartit de manière inégalitaire les compétences au profit du corps législatif. Selon lui, le roi doit être « suprême administrateur de l’Empire »52 et nommer aux emplois publics suivant certaines formes. Par exemple, il suggère que les juges soient choisis par le prince sur une liste de trois sujets proposés par les assemblées provinciales et que la justice soit rendue en son nom53. 47 C. de Montesquieu, De l'esprit des lois (1748), Paris, Garnier-Flammarion, 1979, t. 1, XI.6, p. 302 : « La puissance exécutrice ne faisant partie de la législative que par la faculté d’empêcher, elle ne saurait entrer dans le débat des affaires. Il n’est pas même nécessaire qu’elle propose ». 48 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 85. 49 Toutefois, Malouet semble ouvert à un inversement des modalités : remplacer le veto absolu du roi par un monopole dans l’initiative des lois et attribuer aux députés une sorte de veto sur les projets présentés par celui-ci. Plus tard, il soutiendra que le choix entre les deux procédés lui était indifférent. Avec le temps, beaucoup de monarchiens, comme Montlosier, deviennent favorables à un droit exclusif d’initiative pour le roi. L’objectif est de rétablir l’ordre et de renforcer le contrôle du gouvernement sur l’élaboration des lois. Ce système adopté par le Consulat et maintenu par la Charte de 1814 ne déplaît donc pas à la majorité des anciens monarchiens, cf. G. Bacot, « Les monarchiens et la Constitution anglaise », op. cit., p. 721. Nicolas Bergasse refuse toutefois cette mutation et défend, sur ce point, les mêmes conceptions tout au long de sa vie, cf. Vues politiques arrachées à un homme d’État, Paris, Patris, 16 novembre 1816. 50 G. Bacot, « Les monarchiens et la Constitution anglaise », op. cit., p. 720. 51 Titre III, Chap. IV, art. 1, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France depuis 1789, Paris, Flammarion, 2006, p. 55. 52 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 12. 53 Voir infra, p. 46. 15 Le chef de l’État doit s’entourer d’« agens du pouvoir exécutif »54 ou d’« agens du prince »55 qui exercent une fonction de conseil. Le texte de 1791 considère que les ministres ne peuvent être pris parmi les représentants de la nation. Ils ne forment pas un cabinet et ne sont pas responsables politiquement devant l’Assemblée56. Il s’agit d’un refus du régime parlementaire à l’anglaise. Au cours des débats, les monarchiens objectent, de façon surprenante, que la responsabilité ministérielle engendrerait une dépendance désastreuse pour la liberté publique, qu’ils sont chargés de maintenir57. En Grande-Bretagne, la responsabilité pénale des ministres devant les assemblées s’est progressivement transformée en responsabilité politique. En rejetant en bloc cette dérive parlementaire, les monarchiens témoignent d’une interprétation singulière de la Constitution anglaise et de l’attachement à un certain modèle originellement pur. Toutefois, les ministres ne peuvent demeurer complètement irresponsables et l’auteur décrit un mécanisme de responsabilité pénale devant le Parlement58. Dans le tumulte des événements révolutionnaires, Bergasse, interlocuteur direct de Louis XVI, apporte un soutien inconditionnel au roi. À la fin du mois de juin 1791, lors du retour de Varennes, il rédige, pour le monarque, une réponse sévère aux députés qui voulaient le questionner sur sa fuite59. Même si le projet n’aboutit pas, Peltier, fondateur et rédacteur du journal royaliste Les Actes des Apôtres, publie le texte60. Par cette déclaration61, l’auteur se met dans la personne d’un « prince malheureux […] qui dans la position terrible ou vous l’avez placé, s’oublie encore lui-même pour ne s’occuper que du salut de tous »62. Il critique gravement la place accordée à la fonction royale dans la nouvelle Constitution et exprime la situation désolante d’un roi prisonnier « placé sous le joug de la plus rigoureuse et de la plus cruelle oppression »63. Il s’interroge ainsi sur l’indépendance de la fonction royale par rapport aux députés de l’Assemblée législative dans le nouveau régime : 54 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 25. Ibid., p. 20. 56 Cf. N. Havas, La responsabilité ministérielle en France. Contribution à une approche historique des responsabilités politique et pénale des ministres de la Révolution de 1789 à la Vème République, Paris, Dalloz, 2012, pp. 115-121. 57 A. Babot et A. Boucaud-Maitre, Histoire des institutions publiques (1789-1870), Paris, Ellipses, 2007, p. 82. 58 Voir infra, p. 39. 59 J.-D. Bergasse, D’un rêve de réformation à une considération européenne…, op. cit., p. 263. 60 Ibid., p. 263. 61 Le texte de ce discours difficilement trouvable est reproduit dans l’ouvrage de J.-D. Bergasse et est restitué en annexe de cette étude. 62 J.-D. Bergasse, D’un rêve de réformation à une considération européenne…, op. cit., p. 506. 63 Ibid., p. 506. 55 16 « Eh bien, Messieurs, vous existez dans une pleine indépendance, et c’est moi qui suis captif, et l’on me demande tous les jours mon vœu comme si j’étais libre et tous les jours on contraint ce vœu, qui ne devrait jamais l’être ; car enfin vous avez déclaré que la liberté et la Constitution n’étaient fondées que sur l’indépendance des pouvoirs politiques ; et que deviennent donc la liberté et la Constitution, si, par la nature même de vos décrets, un de ces pouvoirs se trouve réduit au plus humiliant esclavage »64 ? Le conseiller secret de Louis XVI aspire à un pouvoir royal puissant et respecté. Il refuse que le chef de la nation soit sous la domination de l’Assemblée. Cette analyse est reprise par l’intégralité du courant monarchien qui exige que la personne du roi soit « inviolable et sacrée »65. Si, sur le plan constitutionnel, sa responsabilité ne peut être engagée, cela ne signifie pas que le monarque ne puisse jamais être destitué. En effet, pour les monarchiens, une destitution ne peut en aucun cas être réglementée. Celle-ci ne peut intervenir qu’en dehors de tout cadre juridique et en marge des institutions, comme ce fut le cas outre-Manche en 168966. Cela explique qu’après la fuite à Varennes, comme après le 10 août, les monarchiens ne cherchent pas tant à prouver l’innocence du roi, que l’impossibilité de le faire passer en jugement67. Le concept de balance des pouvoirs leur est fondamental, le régime ne peut se maintenir et être bénéfique à la nation que si les pouvoirs se trouvent équilibrés et peuvent se limiter les uns les autres. Ainsi, l’économie du système nécessite un roi fort disposant du pouvoir exécutif suprême mais ne pouvant empiéter à sa guise sur les autres fonctions. Dès lors, afin de contenir son pouvoir, l’action du prince doit être bornée par la loi. § 2 - Le prince, « instrument de la Loi » Dans son Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif dans une monarchie, Bergasse affirme que « le prince ne peut être que l’instrument de la loi »68. Dans sa mission exécutive, le roi ne peut agir qu’en vertu de la loi, il est lié par les textes adoptés. Il importe « qu’il n’y ait aucune circonstance où il soit forcé d’agir hors les limites de la loi »69. En agissant provisoirement en l’absence d’acte législatif, le prince met sa volonté particulière à la place de la loi, or, pour l’auteur, cette autorité est 64 Ibid., pp. 506-507. J.-J. Mounier, séance du 27 juillet 1789, AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 286. 66 G. Bacot, « Les monarchiens et la Constitution anglaise », op. cit., p. 722. En 1689, la Glorieuse Révolution d’Angleterre a pour conséquence de renverser le roi Jacques II et de provoquer l’avènement de la fille de celuici, Marie II et de son époux, Guillaume III, prince d'Orange. La révolution instaure une monarchie constitutionnelle et parlementaire à la place du gouvernement autocratique des Stuarts. 67 Ibid., p. 722. 68 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 30. 69 Ibid., p. 16. 65 17 nécessairement arbitraire70. Dans ce cas, la situation devient dangereuse, dépassant les bornes de ses attributions, le monarque menace les autres pouvoirs constitués. L’équilibre de la monarchie est alors compromis et le régime tend vers le despotisme. Le constituant explique que « le prince a intérêt de n’agir que d’après la loi »71 pour deux raisons qui témoignent d’une forte imbrication des pouvoirs. Premièrement, il souhaite un corps législatif permanent72 pour que le monarque ne soit jamais tenté de s’accaparer le droit de légiférer. Deuxièmement, il doit exister « un tribunal intéressé à ce que le pouvoir législatif soit respecté, pardevant lequel seroient poursuivis les agens »73 ayant manqué aux devoirs induits par leur fonction. Cette instance qui veille à ce qu’aucun empiètement ne soit réalisé correspond à la seconde chambre du Parlement74. Ainsi, chaque pouvoir est organisé d’une manière bien spécifique pour empêcher tout abus et tout envahissement d’un organe sur un autre. Pour Bergasse, le moindre aspect de chaque institution a son importance dans l’économie générale de la Constitution. De surcroît, l’auteur explique que l’exécutif confié au roi a tendance à s’autolimiter : « Le pouvoir exécutif, s’il est aux mains d’un seul, rencontre au moins une sorte d’obstacle dans l’opinion publique ; celui qui en dispose craint de se compromettre en se permettant d’en abuser outre mesure, et assez ordinairement même, quand il en abuse, il met quelque modération dans l’usage qu’il en fait »75. Cette circonspection ne se retrouve pas chez le pouvoir législatif qui est confié à une pluralité d’individus, « car plusieurs […] ne craignent pas l’opinion publique ; plusieurs mettent à envahir une persévérance dont un seul est rarement capable »76. Le publiciste constate alors qu’« un prince qui ne peut agir sans la loi, qui ne peut transformer sa volonté en loi, et dont les agens sont punis toutes les fois qu’il transgresse la loi, n’est, à coup sûr, que l’instrument de la loi. Son pouvoir n’est donc et ne peut donc être autre chose que pouvoir exécutif »77. La Constitution de 1791 consacre pareillement la suprématie de la loi en disposant : « Il n’y a point en France d’autorité supérieure à celle de la loi. Le roi ne règne que par elle, et ce n’est qu’au nom de la loi qu’il peut exiger 70 Ibid., p. 17. Ibid., pp. 30-31. 72 Voir infra, p. 27. 73 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 31. 74 Voir infra, p. 30. 75 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 33. 76 Ibid., p. 33. 77 Ibid., p. 31. 71 18 l’obéissance »78. La loi bénéficie alors d’une autorité suprême dans l’ordre juridique. Mounier tire toutes les conséquences du triomphe du légicentrisme lorsqu’il lance à la tribune : « Le pouvoir de faire la loi doit être, et il est en effet supérieur au pouvoir qui l’exécute »79. Une subordination de l’exécutif au législatif est admise par les monarchiens. Cependant, cet assujettissement doit être largement tempéré car, selon eux, le monarque n’est pas exclusivement cantonné à la fonction exécutive. D’après Bergasse, le roi n’est pas un exécuteur transparent soumis à la volonté du corps législatif, il ne constitue pas un pouvoir neutre comme l’envisagera Benjamin Constant quelques années plus tard80. Le prince monarchien intervient en effet lors de la confection de la loi en possédant une portion du pouvoir législatif. SECTION II LA RECONNAISSANCE D’UN RÔLE CAPITAL DANS LE PROCESSUS LÉGISLATIF Dans cette nouvelle construction institutionnelle, le roi, dépourvu de toute initiative législative, se trouve également exclu du vote de la loi. Néanmoins, afin qu’il soit éminent et puisse tempérer la force des assemblées, l’exécutif doit demeurer associé à la procédure législative par la voie du pouvoir de sanction (§ 1) et par la faculté d’exprimer son droit de veto (§ 2). § 1 - Le consentement aux actes législatifs : le droit de sanction Au sein de la redéfinition des prérogatives royales, il importe que « le dépositaire du pouvoir exécutif ait une influence décidée sur les résolutions du corps législatif »81. Suivant l’auteur, cette influence suppose qu’« aucun acte émané du corps législatif ne puisse avoir force de loi sans le consentement du prince »82. Lorsque le roi approuve la loi votée par les instances législatives, il exprime son consentement en apposant sa signature sur le texte. La souveraineté législative du roi ayant été totalement remise en cause, le monarque se voit attribuer une nouvelle fonction : celle de sanctionner les textes proposés et adoptés par le 78 Titre III, Chap. II, Section I, art. 3, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 44. AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 559. 80 Constant insiste sur la nécessité d’un pouvoir neutre, intermédiaire ou préservateur. Il considère que le défaut de la plupart des constitutions est de ne pas disposer d’un tel pouvoir permettant d’intervenir en tant qu’arbitre lorsque les autres pouvoirs excèdent leurs limites. En 1815, rallié à la monarchie, il s’accommode, dans les Principes de politique, d’un monarque qui cumule pouvoir royal et pouvoir neutre. Cf. J.-P. Feldman, « Le constitutionnalisme selon Benjamin Constant », RFDC, 2008-4 n° 76, pp. 675-702. 81 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 46. 82 Ibid., p. 47. 79 19 Parlement. Nicolas Bergasse insiste sur « la nécessité de la sanction royale »83. En effet, il écrit qu’« il est indispensable qu’aucun acte du corps législatif n’ait force de loi qu’autant que le prince y aura librement consenti »84. Par cette étape obligatoire, le monarque approuve librement, c’est-à-dire de manière discrétionnaire et non motivée, une législation votée par les chambres. De façon négative, il est possible de considérer que lorsque le roi sanctionne, celuici renonce à user de son droit de veto sur le texte en question85. Cela est fidèle aux conceptions avancées par Montesquieu qui précise que lorsque le prince consent à la loi, « cette approbation n’est autre chose qu’une déclaration qu’il ne fait point d’usage de sa faculté d’empêcher »86. Dès lors, la sanction apparaît comme une fonction positive qui donne au texte adopté son caractère de loi. Elle est logiquement suivie de la promulgation, publication officielle qui rend la loi exécutoire87. En soutenant que la sanction royale doit être nécessairement liée à l’élaboration de la loi, le constituant ne fait preuve d’aucune originalité. Effectivement, l’intégralité des monarchiens et la majorité de l’Assemblée constituante y sont favorables. D’ailleurs, la Constitution de 1791 indique que tout décret voté par l’Assemblée doit être validé par la sanction royale88. Toutefois, elle prévoit des exceptions en matière constitutionnelle, en matière de fonctionnement du corps législatif, en ce qui concerne le système électoral et la responsabilité des ministres89. Le roi dispose d’un délai de deux mois pour sanctionner un décret qui lui est présenté90. Le représentant de la sénéchaussée de Lyon considère que lorsqu’il sanctionne, le prince exprime une volonté générale et non sa volonté particulière. En effet, la volonté royale « loin de s’opposer au développement de la volonté générale, tend donc au contraire à rendre ce développement plus régulier et plus sûr »91. La sanction mais aussi le droit de veto92 n’ont pas pour résultat de doter le monarque des pouvoirs législatif et exécutif dont la distinction apparaît cruciale. La nation n’est absolument pas dans la dépendance d’un seul homme puisque le prince ne peut « mettre sa propre volonté à la place 83 Ibid., p. 3. Ibid., p. 82. 85 Voir infra, p. 21. 86 C. de Montesquieu, De l'esprit des lois, op. cit., t. 1, XI.6, p. 299. 87 Bergasse associe pleinement les notions de sanction et de promulgation en écrivant que le veto « empêche la promulgation », in Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 67. 88 Titre III, Chapitre III, Section III, art. 3, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 53 : « Le consentement du roi est exprimé sur chaque décret par cette formule signée du roi : Le roi consent et fera exécuter ». 89 Titre III, Chapitre III, Section III, art. 7, ibid., p. 54. 90 Titre III, Chapitre III, Section III, art. 4, ibid., p. 53 : « Le roi est tenu d’exprimer son consentement ou son refus sur chaque décret, dans les deux mois de la présentation ». 91 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 66. 92 Voir infra, p. 21. 84 20 de la volonté du corps législatif »93, il n’a « pas le droit de faire telle ou telle loi »94. Il ne peut gouverner que par la loi, or celle-ci « est toute entière l’ouvrage du corps législatif »95. Les monarchiens usent de nuances subtiles afin de ne pas contredire la logique de leur démonstration. Mounier, qui exprime souvent des conceptions très proches de celle de Bergasse, émet la même opinion en observant que « le roi ne se trouverait pas revêtu des pouvoirs législatif et exécutif. Ces pouvoirs seraient toujours distincts et divisés, puisqu’il n’aurait pas la faculté de faire des lois »96. En conséquence, lors de la phase finale de la procédure d’élaboration de la loi, le roi opère une analyse du texte. Il doit envisager l’intérêt de la législation qui lui est proposée, ses avantages et ses inconvénients. Au terme de son étude, le prince possède deux options. Dans un premier cas, il peut approuver la loi et la sanctionner. Dans un second cas, il peut s’y opposer et alors user de son droit de veto. § 2 - L’opposition aux actes législatifs : le droit de veto Aucune loi ne peut entrer en application sans le consentement royal. Ce principe catégorique n’admet pas de compromis et Bergasse tire toutes les conséquences de ce précepte. Dès lors, le veto suspensif apparaît comme inadmissible (A) et le roi doit être doté d’une faculté d’empêcher illimitée (B). A - La critique du veto suspensif Attribuer au prince la simple faculté de suspendre la loi semble insuffisant. Assurément, cela revient à inviter une nouvelle fois le Parlement à examiner le texte. Si, après un certain laps de temps déterminé par la Constitution, « le corps législatif persiste dans sa première résolution, le prince est nécessairement obligé de promulguer la loi »97. Or, l’auteur observe que dans ce système « le pouvoir législatif n’est réellement contenu dans aucune limite »98, car « il ne faudra que de la persévérance au corps législatif pour faire passer telle loi qu’il voudra »99. Il s’attèle à détruire les arguments que les partisans du veto suspensif seraient susceptibles de lui opposer. Le député analyse le veto comme un appel à l’opinion publique, or, avec un empêchement seulement suspensif, aucun débat sain et profitable ne 93 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 65. Ibid., p. 65. 95 Ibid., p. 65. 96 J.-J. Mounier, séance du 5 septembre 1789, in F. Furet et R. Halevi, Les orateurs de la Constituante, Paris, Gallimard, 1989, p. 892. 97 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 49. 98 Ibid., p. 49. 99 Ibid., p. 49. 94 21 peut avoir lieu. Effectivement, les chambres se trouvent alors humiliées par ce refus et entrent dans une lutte terrible avec le monarque100. Bergasse interpelle les constituants : « Réfléchissez aux intrigues, aux cabales, aux manœuvres de toute espèce, aux délations sourdes contre le prince, aux calomnies secrettes contre ceux qui ne seront pas de l’avis qui aura prévalu, qu’exciteront ou feront répandre dans les provinces ceux des membres du corps législatif qui mettront un plus grand intérêt à triompher »101. Dans le même sens, il exclut le veto relatif qui se couplerait d’une dissolution du corps législatif. Cette opération, ayant pour objectif d’inviter les provinces à se prononcer sur la loi suspendue, semble la « source de divisions interminables »102. De même, il refuse une suspension de la loi limitée à deux ou trois législatures. Selon le constituant, le corps législatif, « subsistant dans toute sa force »103, fera alors tout son possible pour convaincre l’opinion de l’intérêt de la loi suspendue et « ne négligera rien pour forcer le consentement du prince »104. Nicolas Bergasse met en garde les députés contre de graves périls : « Si la constitution n’accorde au prince que la faculté de suspendre la loi, il ne pourra exercer cette faculté, sans qu’il ne courre de grands risques pour lui-même, sans qu’en l’exerçant, il n’opère de grands troubles dans l’empire, sans qu’il ne s’expose à tous les dangers d’un combat inégal, et qui, quelqu’en soit l’issue, compromettra toujours la paix publique, en maintenant la société dans un état d’effervescence à-peu-près habituel »105. Il considère que le veto suspensif serait à l’origine de nombreuses discordes et aurait des conséquences profondément nuisibles tant pour le roi que pour son royaume. Dès 1789, le publiciste avertit qu’avec ce mécanisme, la Constitution sera menacée parce que le corps législatif ne se trouvera pas suffisamment limité. L’équilibre des pouvoirs n’étant pas assuré, il sera alors impossible d’éviter « que le pouvoir législatif ne finisse par envahir tous les pouvoirs, et sur-tout le pouvoir exécutif »106. Sur la question du veto, le courant monarchien n’est pas unanime. Mounier107, Malouet108 et Lally-Tollendal109, en 100 Ibid., p. 50. Ibid., p. 51. 102 Ibid., p. 52. 103 Ibid., p. 58. 104 Ibid., p. 57. 105 Ibid., p. 62. 106 Ibid., p. 63. 107 J. Égret, La Révolution des Notables. Mounier et les Monarchiens, op. cit., pp. 32 et suiv. 108 Les propos de Malouet sont assez ambigus et les historiens divergent relativement à sa position dans le débat. R. Griffiths, en 1988, souligne les apparentes incohérences et la complexité de sa pensée sur cette question en 101 22 accord avec le raisonnement de Bergasse, plaident pour un veto absolu. Thouret, dissident monarchien110, et Clermont-Tonnerre finissent par se rallier à l’idée d’un veto suspensif aux modalités spécifiques111. À la tribune, le 7 septembre 1789, Sieyès, au nom d’une intransigeante métaphysique de la séparation des pouvoirs, repousse tout veto qu’il présente comme une lettre de cachet lancée contre la volonté générale 112. Enfin, l’Assemblée constituante, écartant les conseils de l’avocat, se prononce le 11 septembre 1789 en faveur d'un veto seulement suspensif par 673 voix contre 325113. La Constitution dispose que cette faculté suspensive ne cesse qu’à la deuxième législature suivant celle où la loi aura été proposée114. La durée de la législature étant de deux ans, le roi peut retarder, pendant près de six ans l’édiction de la loi. Les avertissements de Bergasse peuvent se révéler à certains égards assez pertinents puisque, de fait, les usages que Louis XVI fait de son droit de veto suscitent l’hostilité de la partie la plus révolutionnaire de l’Assemblée et du peuple des faubourgs115. Animosité qui conduit à la suspension de la fonction royale par l’Assemblée et à l’effondrement du régime moins d’un an après son adoption. Bergasse alerte les membres de la Constituante de la place trop faible accordée au roi par rapport au corps législatif en l’absence d’un veto absolu. Dans l’organisation des pouvoirs soutenue par la majorité de l’assemblée, « le prince vivra dans un état perpétuel de défiance et de crainte, menacé souvent de voir son autorité envahie »116. Dès lors, il aura « un intérêt violent à briser un régime dans lequel il n’existe pour lui aucune sécurité véritable »117. Afin retenant qu’il défendait, au moins en pratique, un veto suspensif (Le centre perdu : Malouet et les « monarchiens »…, op. cit., pp. 73 et suiv.). Distinctement, R. Halévi classe l’ancien intendant de la Marine parmi les partisans du veto illimité (« Monarchiens », in F. Furet et M. Ozouf, Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1992, vol. 1, p. 399). Enfin, G. Glénard explique les déclarations contradictoires du constituant et retient qu’il devait être favorable à un droit de veto absolu, (L’exécutif et la Constitution de 1791, Paris, PUF, 2010, p. 120). La présente étude se rallie à cette dernière interprétation. 109 Lally-Tollendal reprend les arguments de Bergasse en affirmant que sans veto absolu, « il n’y aura pas d’obstacle insurmontable aux entreprises de la puissance législative, sur la puissance exécutive, à l’invasion, à la confusion des pouvoirs, par conséquent, au renversement de la constitution et à l’oppression du peuple », Séance du 31 août, AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 521. 110 A la fin de l’été 1789, le parti monarchien est amputé par le départ d’une branche dissidente dont Thouret est la figure symbolique, cf. G. Glénard, L’exécutif et la Constitution de 1791, op. cit., p. 122. 111 Ibid., pp. 122-126. 112 J.-J. Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques…, op. cit., p. 51. 113 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 612. 114 Titre III, Chapitre III, Section III, art 2, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 53 : « Dans le cas où le roi refuse son consentement, ce refus n'est que suspensif. Lorsque les deux législatures qui suivront celle qui aura présenté le décret, auront successivement représenté le même décret dans les mêmes termes, le roi sera censé avoir donné la sanction ». 115 Le 20 juin 1792, le peuple en armes des faubourgs envahit l’Assemblée, puis les Tuileries aux cris de « A bas Monsieur Veto ». 116 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 80. 117 Ibid., p. 81. 23 de rendre sa position meilleure, il voudra renverser la Constitution et dans ce but, « il ne négligera aucun des moyens qui seront en sa puissance »118. Une fois la Constitution entrée en vigueur, les événements confirmeront ses vues. Effectivement, le nouveau régime ne semble guère satisfaire Louis XVI qui, fuyant, est arrêté à Varennes le 21 juin 1791. Le roi demande alors à Bergasse de rédiger une nouvelle constitution d’inspiration monarchique. Pour le conseiller secret du roi, le chef de la nation ne peut vouloir protéger une constitution où il se trouve désarmé face au fougueux pouvoir législatif. Le seul moyen de réellement tempérer cette force est d’attribuer au prince un droit d’opposition illimité sur les actes du Parlement. B - L’approbation du veto absolu Comme l'écrasante majorité des partisans du « veto absolu »119, Bergasse n’utilise jamais cette expression qui rappelle trop le pouvoir absolu de l’Ancien Régime ; il lui préfère le terme de « veto indéfini »120. Considérant que l’intérêt de la nation est intrinsèquement lié à l'intérêt du roi, celui-ci n’insistera jamais très longtemps à opposer son veto à une bonne loi121. Le monarque ne souhaite que le bonheur de son peuple, s'il a commis une erreur, il pourra revenir dessus. L’auteur estime qu’en cas de veto, le prince réalise un examen de la loi, d’ailleurs il « déclare qu'il examinera »122, formule que retient la Constitution123. Le refus de sanction n'est jamais irrévocable car « si, dans la suite, le prince vient à découvrir que la loi qu’il a refusée est avantageuse […], il la sanctionnera »124. Dès lors, ce rejet qui a officiellement un caractère définitif peut, en pratique, apparaître comme suspensif. L’avocat lyonnais n’est pas le seul à soutenir cette analyse qui est défendue par Mounier, Malouet et Lally-Tollendal. En effet, le veto voulu par les monarchiens est absolu en droit mais suspensif en fait125. Si paradoxalement le veto illimité est en pratique limité, pourquoi ne pas directement opter pour le veto suspensif ? C’est ce que décidera la Constituante. De la sorte, en souhaitant rassurer et convaincre les députés de l'intérêt d'un veto absolu, qui loin d’être 118 Ibid., p. 81. G. Glénard, L’exécutif et la Constitution de 1791, op. cit., p. 116. 120 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 118. Le 11 septembre 1789, un député anonyme propose de remplacer le terme « absolu » par « indéfini » pour ne pas rappeler l’idée du pouvoir absolu, AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 611. 121 Bergasse écrit que relativement « aux lois qui seront avantageuses aux sujets, le prince n’a aucun intérêt à s’y opposer, attendu que plus les sujets prospéreront, et plus lui-même sera puissant » (Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 58). 122 Ibid., p. 69. 123 Titre III, Chapitre III, Section III, art. 3, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 53 : « Le consentement du roi est exprimé sur chaque décret par cette formule signée du roi : Le roi consent et fera exécuter. Le refus suspensif est exprimé par celle-ci : Le roi examinera ». 124 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 69. 125 G. Glénard, L’exécutif et la Constitution de 1791, op. cit., p. 116. 119 24 despotique se pratiquerait comme le veto suspensif, Bergasse et ses amis brouillent l'intelligibilité de leur démonstration et finissent par perdre la bataille du veto. Quand le roi examine le texte, cela signifie qu'il s’éclaire auprès de l'opinion publique. Il définit cette notion de la façon suivante : « L'opinion publique est […] de toutes les puissances celle à laquelle on résiste le moins ; elle est véritablement le produit de toutes les intelligences et de toutes les volontés ; on peut la regarder, en quelque sorte, comme la conscience manifestée d'une nation entière, et vous voyez bien qu'il est impossible qu'elle se montre sans forcer tous les préjugés à se taire, toutes les prétentions particulières à disparoître »126. Avec une description si abstraite, rien ne garantit que le roi sanctionne dans le sens de cette « conscience manifestée ». De plus, cette démonstration conduit le prince à jouir d'une vaste marge d'interprétation du vœu de l'opinion, ce qui finit de rendre cette doctrine inacceptable pour la gauche de l'Assemblée. En recourant à l'opinion publique pour justifier son veto absolu, Bergasse utilise une notion née au XVIIIe siècle et utilisée par des écrivains, comme l’abbé Raynal et Louis-Sébastien Mercier. Ces hommes de lettres estiment que l'opinion publique, nourrie par la presse, formerait le vecteur de la raison publique127. Il est alors compréhensible qu’en 1789, le député consacre ce concept destiné à inspirer les décisions du Parlement et du roi. Le refus de sanctionner peut être, d’une part, motivé par l’inopportunité de la loi. Selon Nicolas Bergasse, le prince use de son droit lorsqu’« il ne croit pas utile » 128 le texte qui lui est soumis. Le roi s’assure que la loi ne se trouve pas contraire aux intérêts de la nation et aux intérêts royaux, les deux étant d’ailleurs liés. C’est uniquement dans des situations graves129 et « lorsqu’il appercevra un grand intérêt à le faire »130 que le monarque utilisera son veto. En cas d’acquiescement à cette loi néfaste, le roi se compromettrait lui-même ou compromettrait la chose publique131. D’autre part, il doit également utiliser sa prérogative lorsqu’il considère comme « mauvaise la loi qu’on lui présente »132. En utilisant cet adjectif de « mauvais » aux larges acceptions, le publiciste décrit un champ d’action extrêmement vaste. Le veto peut, certes, concerner les lois inopportunes, mais aussi s’étendre à d’autres 126 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 70. G. Glénard, L’exécutif et la Constitution de 1791, op. cit., p. 121. 128 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 48. 129 Ibid., p. 61. 130 Ibid., p. 60. 131 Ibid., p. 61. 132 Ibid., p. 48. 127 25 cas. La question se pose notamment pour les lois qui seraient considérées par le roi comme contraires ou dangereuses par rapport à la Constitution et à l’équilibre des pouvoirs. L’auteur illustre son raisonnement en précisant qu’est mauvaise toute loi qui nuirait à la prérogative du prince133, à ses attributions royales. Ainsi, il retient que la faculté d’empêcher peut aussi servir à protéger le monarque134 et à maintenir la balance entre les institutions. Ce mécanisme collabore à la protection de la Constitution exclusivement en participant à l’équilibre des pouvoirs135. Contrairement à l’idée que partage quelques constituants dont son ami Malouet136, Bergasse ne semble pas explicitement envisager que le veto puisse être un réel moyen de contrôler la conformité des lois à la Constitution. Le roi apparaît comme la clef de voûte de l’organisation politique et constitutionnelle de la nouvelle France. Ce garant de la continuité nationale représente un organe indispensable à la société. Afin qu’il soit entendu et respecté, celui-ci doit exercer une forte autorité contrastant avec le docile exécutant que Bergasse entrevoit dans la Constitution de 1791. Dès lors, le chef historique de la nation, en plus de maîtriser pleinement le pouvoir exécutif, doit également constituer un puissant obstacle face aux éventuelles intempérances du corps législatif. Ces éminentes prérogatives se justifient par le rôle de contrepoids qu’il est amené à jouer face au nouveau titulaire du pouvoir législatif. 133 Il explique que « quant aux loix qui peuvent nuire à la prérogative du prince, c’est un bien qu’il en empêche la promulgation, puisque sa prérogative n’est instituée que pour protéger la liberté nationale, puisque, dès lors, toute loi qui diminue cette prérogative est essentiellement mauvaise » (ibid., pp. 67-68). 134 Cette idée se trouve déjà chez Montesquieu lorsque, parlant du monarque, il écrit que « comme il faut pourtant qu’il ait part à la législation pour se défendre, il faut qu’il y prenne part par la faculté d’empêcher » (De l'esprit des lois, op. cit., t. 1, XI.6, p. 302). 135 Voir infra, p. 89. 136 Ces députés, relativement modérés, reconnaissent une idée de conformité des lois à la norme suprême. Ils soutiennent qu’à travers la sanction royale et le droit de veto, le roi peut s’opposer aux lois inconstitutionnelles, cf. A. Mergey, L’État des physiocrates : autorité et décentralisation, Aix-en-Provence, PUAM, 2010, p. 425. Ainsi, le 1er septembre 1789, Malouet (AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 536) identifie le monarque à un « conservateur perpétuel ». Selon lui, « le garant naturel, c’est le chef de la nation, qui, étant partie intégrante du Corps législatif, en sanctionne les actes et déclare par son acquiescement qu’ils sont conformes aux principes de la Constitution ». Le lendemain, le comte d’Antraigues reconnaît par le mécanisme du veto que le monarque est intéressé « à la conservation de la Constitution » (ibid., p. 544). Le 3 septembre, le chevalier de Lameth précise que : « Les représentants font une loi, la présentent au roi ; le roi la rejette sous prétexte qu’elle est contraire aux lois constitutives » (ibid., p. 552). Le jour qui suit, il affirme que lorsque le veto est apposé, « ce ne peut être que sous des prétextes, ou parce qu’elle est contraire à la Constitution ou parce qu’il ne la croit pas conforme à la volonté générale ». Les représentants peuvent également persister s’ils « ne pensent pas que la loi soit contraire à la Constitution » (ibid., p. 572). 26 CHAPITRE II LE PARLEMENT : NOUVEAU TITULAIRE DU POUVOIR LÉGISLATIF Avant même l’ouverture des États généraux, Nicolas Bergasse conteste la souveraineté législative royale et propose la création d’une institution représentative chargée de proposer et de voter les lois. Bien que cette idée, proprement révolutionnaire, soit consacrée par la Constituante, le choix de la forme et des attributions du corps législatif font l’objet de nombreuses divergences parmi les députés. L’avocat lyonnais imagine un Parlement dont les modalités d’organisation et de rassemblement s’inspirent largement du modèle anglais, perçu comme l’incarnation de l’équilibre des pouvoirs (Section I). Responsable d’un important domaine de compétences, cet organe exerce des fonctions dépassant le seul pouvoir législatif (Section II). SECTION I LES CARACTÈRES DU PARLEMENT Concevoir les formes de la nouvelle instance législative est une affaire complexe qui divise les membres de la Constituante. Selon Bergasse, le Parlement doit exister de manière perpétuelle (§ 1) afin que le pouvoir de légiférer soit constamment représenté dans l’ordre politique. Désirant créer les conditions d’un travail législatif modéré et raisonnable, il défend une institution composée de deux chambres (§ 2). § 1 - La permanence du corps législatif Développant sa conception de l’organisation des pouvoirs, le représentant de la sénéchaussée de Lyon examine « s’il importe que le corps législatif soit permanent ou périodique »137. Il choisit la première solution par crainte des risques que comporte, d’après lui, la seconde. Dans le système d’une assemblée législative périodique, un problème apparaît lorsque le gouvernement est face à une situation non prévue par la loi. Si cette difficulté naît lors d’une période où l’organe législatif n’existe pas, un fort risque d’abus survient. En effet, le prince dispose alors de deux alternatives aux conséquences néfastes. D’une part, il peut agir provisoirement « suivant la seule détermination de sa volonté »138 et créer du droit. Or, le 137 138 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 15. Ibid., p. 18. 27 prince, instrument de la loi139, ne doit jamais être tenté de s’accaparer le droit de légiférer, sinon « de cette confusion de pouvoirs résultera plutôt ou plus tard le despotisme »140. D’autre part, le roi peut interrompre son action jusqu’à ce que le corps législatif se reproduise. Mais en principe, « le gouvernement ne se repose jamais : il est dans sa nature d’agir sans cesse »141, « un gouvernement qui s’arrête dans son mouvement est un gouvernement qui produit infailliblement l’anarchie »142. Ainsi, la périodicité, trop dangereuse, est écartée au profit d’un parlement caractérisé par sa permanence. Dans sa Lettre sur les États-Généraux, il soutient la permanence en réalisant une comparaison frappante : « C’est le mouvement législatif qui constitue la vie du corps politique, comme c’est le mouvement du diaphragme qui constitue la vie du corps humain. L’un, selon moi, n'est pas plus fait pour être interrompu de l'autre »143. Au regard des vastes pouvoirs confiés au corps législatif, la permanence semble aller de soi. Le pouvoir législatif est toujours lié à une certaine permanence que ce soit sous l’Ancien Régime avec le roi ou dans la monarchie régénérée avec le Parlement. Les États provinciaux, appelés à se réunir périodiquement, comme les États généraux, convoqués exceptionnellement par le roi, ne détenaient que des attributions limitées et précises sans commune mesure avec les nouvelles institutions législatives. Bergasse ressent le besoin de lever une équivoque en précisant et développant sa conception de la permanence : « Quand j’avance que le corps législatif doit être permanent, cela ne veut pas dire qu’il doit être perpétuellement assemblé, cela veut dire simplement qu’il doit être perpétuellement existant, pour être assemblé un temps déterminé chaque année ; lequel temps pourra être prolongé toutes les fois que le chef de la nation le jugera convenable pour la nécessité des affaires »144. Le Parlement, en tant qu’institution législative suprême, doit constamment exister dans l’ordre politique. Il doit être réuni chaque année mais seulement durant une certaine période limitée par la Constitution145. L’auteur aborde alors le concept de session parlementaire qui existe déjà outre-Manche. Lorsque l’intérêt public l’exige, le roi peut proroger la session ou réunir à nouveau le Parlement. En quelque sorte, le prince revêt alors un droit de contrôle sur la 139 Voir supra, p. 17. N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 19. 141 Ibid., p. 17. 142 Ibid., p. 19. 143 N. Bergasse, Lettre sur les États-Généraux, le 12 février 1789, s. l., 1789, pp. 13-14. 144 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., pp. 19-20, note 1. 145 Ibid., p. 84. 140 28 possibilité, accordée aux assemblées, de proposer de nouvelles lois. En énonçant ces règles, le député ne fait pas œuvre créatrice. Il reprend notamment des principes déjà articulés par Montesquieu. En effet, d’après le penseur des Lumières, le Parlement doit certes être permanent, mais « il serait inutile que le corps législatif fût toujours assemblé. Cela serait incommode pour les représentants, et d’ailleurs occuperait trop la puissance exécutrice, qui ne penserait point à exécuter, mais à défendre ses prérogatives, et le droit qu’elle a d’exécuter »146. Ces arguments sont repris par Bergasse qui n’hésite pas à citer in extenso ce passage de L’Esprit des lois147. Sur la prérogative du roi en matière de réunion des assemblées, l’influence du parlementaire bordelais est flagrante. Ce dernier soutient la même idée : « Il faut […] que ce soit la puissance exécutrice qui règle le temps de la tenue et de la durée de ces assemblées, par rapport aux circonstances qu’elle connaît »148. À la Constituante, Nicolas Bergasse apparaît donc comme un fervent défenseur de la pensée politique de Montesquieu. Mais, au regard du contexte, cette référence semble encombrante tant au niveau social qu’institutionnel et contribue certainement à l’échec du projet monarchien149. La question de la permanence ou de la périodicité des assemblées ne se pose pas au XXIe siècle, mais, en 1789, au seuil de la Révolution, le débat est ouvert. Ainsi, certains députés minoritaires, comme le vicomte de Mirabeau150, refusent, au nom des cahiers de doléances, la permanence du corps législatif151. Dans une brochure anonyme interpellant Bergasse, un auteur se prétendant magistrat de province s’oppose à son argumentation : « Il m'est absolument impossible de concevoir un pouvoir législatif toujours en activité. On exécute tous les jours les loix, mais on n'en fait pas tous les jours »152. Il craint que ce Parlement perpétuel devant incarner la vertu ne tombe dans « l’inaction et l’oisiveté »153, vices qu’il estime méprisables. L’existence perpétuelle du Parlement, soutenue par une très grande majorité des membres de l’assemblée, fait l’unanimité chez les monarchiens. La 146 C. de Montesquieu, De l'esprit des lois, op. cit., t. 1, XI.6, p. 299. N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 20, note 1. 148 C. de Montesquieu, De l'esprit des lois, op. cit., t. 1, XI.6, p. 300. 149 Cf. P.-Y. Rudelle, « Le premier comité de Constitution ou l’échec du projet monarchien », 1791 la première Constitution française, op. cit., pp. 87-110. 150 A. de Riqueti, vicomte de Mirabeau, est à ne pas confondre avec son frère aîné le comte de Mirabeau. Ils sont tous deux fils du marquis de Mirabeau, membre éminent de l’école physiocratique. Surnommé "MirabeauTonneau" à cause de son penchant pour la boisson, le vicomte s’oppose aux réformes et à son frère. L'Histoire a surtout retenu l’aîné, mais le cadet se distingue à plusieurs reprises. 151 Y.-A. Durelle-Marc, Les acteurs politiques de la Constituante, Mémoire de DEA, Rennes 1, 1994, p. 68. 152 Anonyme, Lettre d’un Magistrat de Province à M. Bergasse sur son caractère, sur ses principes relativement aux États-généraux, sur l’esprit qui règne dans ses Ecrits, et principalement dans ses Mémoires sur l’Affaire Kornmann, s. l., 1789, p. 20. 153 Ibid., p. 21. 147 29 Constitution de 1791 consacre, en accord avec Bergasse, la permanence du corps législatif154 mais fait, selon lui, l’erreur de ne prévoir qu’une seule chambre. § 2 - Le bicamérisme Les monarchiens dominent le premier comité de Constitution établi au début du mois de juillet 1789. Nicolas Bergasse, lui-même membre de ce groupe restreint155, entend conjurer le despotisme d'une assemblée unique en exigeant la création d’un Parlement bicaméral et en démontrant l’importance de son existence (A). Suivant les modèles anglais et américain, le corps législatif doit se concrétiser par l’instauration de deux chambres composées différemment l’une de l’autre (B). A - La justification du bicamérisme Dans ses ouvrages, le député de la sénéchaussée de Lyon défend vigoureusement l’instauration d’un parlement bicaméral qu’il présente comme un impératif constitutionnel. Dans une constitution monarchique, le besoin d’une seconde chambre se fait irrésistiblement ressentir parce qu’il faut « entre la Nation et le roi, un corps sur lequel la Nation n'exerce aucune influence que celle de l'opinion, un corps qui ne dépende pas de la Nation, pour la manière de se former, et qui, n'ayant à répondre qu'à lui-même de ce qu'il a fait, devienne ainsi le gardien naturel du trône, à 156 l'existence duquel ses prérogatives sont attachées » . Il ne peut y avoir de monarchie constitutionnelle aux bases solides et durables sans chambre haute qui permet d’éviter la confrontation entre le roi et l’assemblée des représentants. Ce corps intermédiaire a « autant d’intérêt au maintien du pouvoir exécutif qu’au maintien du 154 Titre III, Chapitre I, art. 1, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 53 : « L’Assemblée nationale formant le corps législatif est permanente, et n’est composée que d’une Chambre ». 155 Ce comité était composé de huit membres : Champion de Cicé et Talleyrand pour le clergé, Lally-Tollendal et Clermont-Tonnerre pour la noblesse et enfin Mounier, Sieyès, Le Chapelier et Bergasse représentant le tiers état. Il n’existe que peu de renseignements sur le mode de travail de ce comité, vraisemblablement les grandes questions étaient partagées entre les membres qui devait chacun réaliser un rapport spécial, cf. J. Égret, La Révolution des Notables. Mounier et les Monarchiens, op. cit., pp. 111-112. Bergasse était chargé de l’organisation du pouvoir judiciaire et de la question des municipalités, pour lesquelles il avait annoncé, sur leur organisation, un grand travail qu’il ne paraît avoir jamais exécuté, cf. L.-G. Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne, Paris, Desplaces, 1854, t. 4, p. 7. 156 N. Bergasse, Lettre sur les États-Généraux, op. cit., p. 33. 30 pouvoir législatif »157. Ainsi, cet organe permet d’équilibrer les pouvoirs et de protéger la Constitution158. Mais ce n’est pas la seule justification que l’auteur donne au bicamérisme. L'objectif est également de modérer l'action de la chambre basse en soumettant toutes ses décisions à l'examen d'une seconde assemblée. Il expose les conditions qui permettent d’assurer, selon lui, la qualité et la stabilité de la législation : « Pour obtenir une bonne loi, […] il faut 1° que ceux qui délibèrent ne puissent être mus, autant qu'il est possible, par aucun intérêt, par aucune passion particulière. Il faut, 2° que ceux qui délibèrent ne puissent être facilement trompés. Il faut, 3° que la loi ne soit pas le résultat d'une délibération, & que les individus qui sont chargés de la former ne soient pas tous placés dans les mêmes positions morales »159. Or, ces circonstances ne peuvent être réunies que s’il existe deux chambres. C’est le seul moyen d’éloigner le corps législatif de toute affection, de le mettre à l'abri des influences extérieures. La seconde chambre permet à la loi d'être discutée par des hommes placés dans des situations dissemblables, de manière à ce que les lois soient envisagées sous différents aspects. Dans un système monocaméral, l’assemblée peut facilement succomber aux passions de ses meneurs les plus convaincants et rien ne fait obstacle à la montée en puissance des ambitieux160. Craignant pour la sécurité juridique, Bergasse s’interroge : « Qui empêchera l’assemblée unique de se soustraire, quand elle le voudra, aux lois qu’elle aura faites »161 ? Une instance législative unique est à écarter car elle symbolise l'action sans limite des députés et ne peut permettre d’accomplir une législation stable et de qualité. Dès le mois de février 1789, il suggère la retranscription du bicamérisme dans les États généraux. De façon originale, il s’oppose à une élection par ordre où les mandataires ne feraient valoir que les intérêts de leur rang. Il propose des élections communes qui ne tiendraient aucun compte des ordres afin que les députés représentent uniquement la nation. Une fois élus, les députés ne doivent pas délibérer par ordre, comme le veut une grande partie de la noblesse, ni par tête, comme le veut le tiers état. Il faut scinder les États en deux chambres composées différemment des anciens ordres car il est essentiel 157 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 46. Voir infra, p. 89. 159 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 38. 160 Ibid., p. 39. 161 Ibid., p. 41. 158 31 « quand on veut former une Assemblée législative, de la composer d'individus qui n'aient aucune prétention à exercer les uns contre les autres, qu’une même volonté puisse unir et qui, par la manière dont ils seront disposés, deviennent capables de tendre à un même but, avec l'ensemble de leurs pensées, et de leurs forces »162. La même année dans un pamphlet, l’évêque de Langres, monseigneur de la Luzerne, suggère de façon similaire un système bicaméral pour la réunion des États généraux163. L’idée est reprise dans une motion par le marquis de Montesquiou dans la chambre de la noblesse164. Bien que cette proposition ne soit pas retenue, elle suscite des réactions comme l’atteste la vive critique d’une brochure anonyme. L’auteur, qui se présente comme magistrat de province, répond à Bergasse en dénonçant l’absurdité et l’inutilité de la suggestion : « Vous aurez beau élever quelque Plébéien dans la Chambre haute, en le faisant Pair ou haut Baron ; vous aurez beau admettre quelques Nobles dans les Communes ; les Communes seront toujours l'ordre du Tiers, la Chambre haute sera toujours l'ordre de la Noblesse, et ce sera toujours opiner par ordre »165. Mounier fait explicitement référence aux écrits de Bergasse relatifs à la nécessité d’une seconde chambre166. Ces propos semblent alors constituer une sorte d’archétype pour le courant monarchien. Toutefois, le 31 août 1789, lorsque Mounier et Lally-Tollendal présentent leurs conclusions en faveur du bicamérisme, les monarchiens ne bénéficient plus du crédit qui leur était porté au début de l’été. En effet, la Bastille a été prise et le contexte politique a beaucoup changé. De nombreux mouvements de panique et des émeutes ont secoué les provinces du royaume. La majorité des constituants refuse alors d'entendre parler d'une chambre haute qui pourrait faire obstacle à la volonté de l'Assemblée nationale. La substitution symbolique du corps de la nation à celui du roi implique une représentation unitaire. Ce Sénat surgit alors comme le vecteur d’une différenciation sociale inconciliable avec la dynamique d’unité nationale167 et apparaît comme une sorte d’« anomalie »168 pour les 162 N. Bergasse, Lettre sur les États-Généraux, op. cit., p. 34. M. de La Luzerne, Forme d’opiner aux États Généraux, cité par G. de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française (1818), Paris, Charpentier, 1843, p. 102. 164 Ibid., p. 154. 165 Anonyme, Lettre d’un Magistrat de Province à M. Bergasse…, op. cit., p. 27. 166 En 1789, après avoir démissionné, J.-J. Mounier écrit que sur « la néceffité de placer les deux chambres dans une pofition différente, et de ne pas leur donner une compofition uniforme », il n’a rien à ajouter, entre autres, aux propos de Bergasse et de Lally-Tollendal, in Exposé de ma conduite dans l'Assemblée nationale, et motif de mon retour en Dauphiné, s. l., 1789, p. 105. 167 À titre d’illustration, le 7 septembre 1789, J.-D. Lanjuinais, député de la sénéchaussée de Rennes, explique que « si l’on admettait une Chambre haute, le petit nombre commanderait au plus grand ; les intérêts particuliers seraient mis à la place des intérêts généraux » (AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 588). 163 32 patriotes. La crainte de voir se reconstituer l’aristocratie, par le biais d’une haute assemblée, est très présente et renforce considérablement l’option monocamérale169. Le 10 septembre, le projet de deuxième chambre soutenu par les monarchiens est écarté par 490 voix contre 89 et 122 votes blancs ou nuls170. B - La matérialisation du bicamérisme Concrètement, l’existence de deux assemblées parlementaires se réalise par la mise en place d’une Chambre basse, où siègent les représentants de la nation, et d’une Chambre haute, composée différemment de la première. La Chambre basse L'avocat lyonnais qualifie la Chambre basse de « Chambre des communes ou des représentants de la Nation »171. Au début de l’année 1789, il l’imagine composée en grande majorité des députés du troisième ordre, mais également d’un nombre déterminé de « membres de la noblesse qui ne jouirait pas du privilège de la pairie »172 et de certains députés du clergé. Ainsi à cette époque, il ne souhaite pas revenir complètement sur l’influence politique des trois ordres mais tente de l’organiser différemment. Ce projet se distingue profondément des propositions que feront les autres monarchiens au cours de l’année 1789. À titre d’illustration, Mounier élimine de la sphère politique toute représentation par ordres même agencée autrement173. Selon Bergasse, la qualité d’électeur et d’éligible ne doit pas être une question d'appartenance à un ordre, à une classe, ou dépendre d’un critère de naissance. Le corps électoral doit être composé d’hommes propriétaires payant un certain montant d'impôt. Il rejoint ainsi la théorie de l’électorat fonction prônée par Sieyès. 168 Il est intéressant de remarquer que dans un entretien paru au Monde le 21 avril 1998, le Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, avait affirmé qu’« une chambre comme le Sénat avec autant de pouvoirs où l’alternance n’est jamais possible […] qui n’a même pas la caractéristique d’être une chambre fédérale, c’est une anomalie parmi les démocraties. Je la perçois comme une survivance des chambres hautes conservatrices ». Même sous la Ve République, l’existence du Sénat semble constituer un débat toujours vivant. Selon l’expression de Maurice Schumann, il s’agit de « l’Édit de Nantes permanent de la République », cité par K. Fiorentino, La seconde Chambre en France…, op. cit., p. 15. 169 A. de Lameth, député de la noblesse, considère que « la création d’une Chambre haute semblait aux députés du tiers état devoir rétablir les privilèges, et ce motif les détermina en faveur de l’unité de la représentation nationale », cité par J.-J. Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques…, op. cit., p. 50. De même, J.-D. Lanjuinais affirme qu’une chambre haute élèverait « sur les ruines de cette noblesse, qui maintenant n’est plus que ce qu’elle peut et ce qu’elle doit être […], le plus monstrueux monument d’aristocratie », cité par M. Morabito, Histoire constitutionnelle de la France, op. cit., p. 56. 170 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 608. 171 N. Bergasse, Lettre sur les États-Généraux, op. cit., p. 31. 172 Ibid., p. 31. 173 J.-J. Mounier, Nouvelles observations sur les États-Généraux de France, Grenoble, février 1789, p. 271. 33 Pour ce dernier, la souveraineté appartenant à la nation et non au peuple, le vote n'est pas un droit pour le citoyen mais une fonction que seuls les individus ayant les capacités, notamment la propriété foncière, peuvent exercer. Fidèle à cette conception, la Constitution de 1791 restreint le corps électoral par le suffrage censitaire et opère une subtile distinction entre citoyens actifs et passifs, seuls les premiers étant dotés de la fonction de voter174. Parmi les défenseurs de la monarchie, les opinions relatives aux suffrages diffèrent grandement. Pour certains, comme Cazalès, la Chambre basse doit être élue au suffrage universel, pour d’autres, comme Montlosier, au suffrage censitaire175. Dans la même ligne que Bergasse, les monarchiens considèrent que seuls les propriétaires peuvent avoir la qualité de représentant176 mais cherchent beaucoup moins à préciser qui sera représenté et comment177. Lorsqu'il rédige son projet de Constitution pour Louis XVI, le conseiller secret du roi complète sa pensée. Bien que le texte ait disparu lors de la chute de la royauté, grâce à des ouvrages écrits postérieurement, quelques informations nous sont parvenues. En 1821, dans le post-scriptum de son Essai sur la propriété, il explique qu’il divisait la France en trente provinces, chacune étant dotée d’une assemblée provinciale « dont les membres propriétaires ne pouvaient être élus que par des propriétaires »178. Il imaginait que ces conseils locaux se réuniraient au moins deux fois par an. Une première fois « pour asseoir l’impôt décrété et s'occuper de l'amélioration du système agricole et commercial de la province »179. Ces organes de décentralisation, composés d’individus directement concernés par les problèmes du territoire, sont plus aptes que les autorités centrales pour résoudre les difficultés locales. Seuls les propriétaires contribuent à la bonne marche de l'économie, dont l’agriculture et le commerce constituent les deux piliers de l’époque. En conséquence, il lui apparaît comme juste qu'ils influent prioritairement sur la vie politique. Une seconde réunion aurait eu lieu « pour rédiger un cahier exposant l'état de cette même province, et nommer ou continuer les personnes prises dans son sein, qui siégeaient ou qui devaient siéger dans la Chambre des députés »180. Le rapport réalisé chaque année par chaque assemblée n’est pas sans rappeler les 174 Pour être citoyen actif, il faut être âgé de 25 ans accomplis, être domicilié depuis un an dans la ville ou le canton, être inscrit à la garde nationale, avoir prêté le serment civique et payer une contribution directe égale à trois journées de travail. Sont exclus les domestiques, les individus en état d'accusation, les faillis et les insolvables non libérés. 175 J.-P. Bertaud, Les amis du Roi. Journaux et journalistes royalistes en France de 1789 à 1792, Paris, Perrin, 1984, p. 168. 176 Mounier prétend ainsi écarter les « hommes sans fortune, qui n’auraient ni assez de loisir, ni assez de lumières pour s’occuper avec succès du bien général » (AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 410). 177 G. Bacot, « Les monarchiens et la Constitution anglaise », op. cit., p. 715. 178 N. Bergasse, Essai sur la propriété, Paris, Egron, 1821, p. 152. 179 Ibid., p. 152. 180 Ibid., p. 152. 34 cahiers de doléances de 1789. De la sorte, l’auteur préconise un suffrage indirect où les électeurs, exclusivement masculins et propriétaires, élisent les représentants des assemblées provinciales. Ces derniers nomment, chaque année, les députés parmi leurs membres. Il pense alors que le même esprit, les mêmes idées qui animent les propriétaires provinciaux règneront à l’assemblée. Tout risque d’opposition, entre les institutions locales et le pouvoir législatif suprême étant évité, l’harmonie politique ne peut que triompher. Cette composition joue seulement pour les trois quarts de la Chambre des députés car « le quatrième quart était composé de membres des Cours souveraines, choisi par ces Cours souveraines elles-mêmes »181. Le fait que des députés soient issus des autorités judiciaires a pour objectif de renforcer la respectabilité et l’indépendance de la justice. Étant chargés d’appliquer la loi, il est légitime, d’après le publiciste, qu’ils puissent directement prendre part à son élaboration. Bergasse s’autorise alors, sans explication, une profonde entorse au principe de distinction des pouvoirs ! Il complète ainsi la représentation censitaire par une représentation capacitaire. Ceux qui exercent les plus hautes fonctions judiciaires sont, comme les propriétaires, des hommes sûrs et stables en qui il est possible d’avoir confiance. Cette élite d’hommes choisis selon un faisceau de présomptions, telle que la propriété foncière ou l’aptitude à rendre la justice, est réputée capable d’agir conformément à la raison182. Faculté que doit également posséder la haute Assemblée. La Chambre haute Dans sa Lettre sur les États-Généraux, l’anglomane conçoit une assemblée inspirée par la Chambre des Lords britannique et adaptée à la particularité des pairs français, d’ailleurs il parle de « Chambre haute » ou de « Chambre des pairs »183. Nonobstant son admiration pour les théories politiques de Montesquieu, Bergasse marque une divergence en envisageant d’une toute autre manière la Chambre haute. Le magistrat bordelais conçoit une assemblée aristocratique qui a pour fonction de s’opposer à la Chambre basse en défendant ses privilèges184. Elle protège l’entité nobiliaire en conservant ses intérêts. Pour le député lyonnais, il ne s’agit pas de créer un corps réactionnaire rassemblant uniquement les anciens 181 Ibid., pp. 152-153. Voir infra, p. 58. 183 N. Bergasse, Lettre sur les États-Généraux, op. cit., p. 30. 184 Selon Montesquieu, « il y a toujours, dans un État, des gens distingués par la naissance, les richesses ou les honneurs : mais, s’ils étaient confondus parmi le peuple, et s’ils n’y avaient qu’une voix comme les autres, la liberté commune serait leur esclavage, et ils n’auraient aucun intérêt à la défendre ; parce que la plupart des résolutions seraient contre eux. La part qu’ils ont dans la législation doit donc être proportionnée aux autres avantages qu’ils ont dans l’État ; ce qui arrivera, s’ils forment un corps qui ait droit d’arrêter les entreprises du peuple, comme le peuple a droit d’arrêter les leurs » (De l’esprit des lois, op. cit., t. 1, XI.6, p. 298). 182 35 ordres privilégiés : noblesse et clergé. Les monarchiens ne confèrent pas à l’institution un quelconque rôle de défense sociale185. Lally-Tollendal, dans son rapport du 31 août, confirme que le Sénat ne sera pas composé de la noblesse et du clergé, car « ce serait perpétuer cette séparation d’ordres, cet esprit de corporation qui est le plus grand ennemi de l’esprit public »186. Bien que Bergasse demeure assez évasif sur la composition de la Chambre haute, il accorde les sièges à la partie la plus éminente de la noblesse, c'est-à-dire aux membres de la famille royale, aux princes du sang et aux chefs des principales familles nobles du royaume187. L’assemblée a également vocation à recueillir des membres du clergé « car l’ordre épiscopal est trop nombreux parmi nous, pour pouvoir assister en corps aux assemblées de la Nation »188. Surtout, le roi dispose du droit de faire monter à la haute Assemblée tout homme qui par ses services ou par ses mérites lui aurait paru digne de recevoir cet honneur189. Mounier propose une seconde chambre assez similaire. Il l’imagine composée de membres de droit tels que des princes du sang, des pairs héréditaires, des maréchaux de France et des conseillers d’État, et de membres élus dans les ordres du clergé et de la noblesse « étant entendu que la noblesse ne sera plus le privilège d’une caste, mais la récompense normale de services rendus »190. Cependant, plus l’été avance, plus les conceptions monarchiennes reculent dans l’Assemblée. Après la suppression des ordres et le triomphe du principe de souveraineté nationale, Bergasse mais aussi Mounier ou encore Lally-Tollendal se résignent à abandonner l’idée de créer une chambre héréditaire191. À la fin de l’été, l’auteur n’imagine déjà plus des pairs héréditaires et des députés épiscopaux. Il semble réfléchir, tout comme Lally-Tollendal192, à des sénateurs à vie nommés par le roi sur une liste de candidats présentés par les assemblées provinciales, et dont le minimum d’âge est plus élevé que celui exigé pour les députés193. Nul ne sait comment Bergasse envisageait précisément la composition de la Chambre haute au sein de son projet constitutionnel remis au roi. Dans son Essai sur la propriété, rare ouvrage faisant référence à ce texte disparu, il écrit : « Je ne parlerai pas ici de la manière dont 185 K. Fiorentino, La seconde Chambre en France…, op. cit., p. 61. P.-Y. Rudelle, « Le premier comité de Constitution ou l’échec du projet monarchien », 1791 la première Constitution française, op. cit., p. 98. 187 N. Bergasse, Lettre sur les États-Généraux, op. cit., pp. 30-32. 188 Ibid., p. 31. 189 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 70. 190 J. Égret, La Révolution des Notables. Mounier et les Monarchiens, op. cit., p. 33. 191 C. Achaintre, L’instance législative dans la pensée constitutionnelle révolutionnaire, op. cit., p. 97. 192 Ibid., pp. 99-100. 193 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 109. 186 36 je composais la Chambre haute »194. Toutefois il poursuit : « Considérant qu'elle est, en certains cas, Cour judiciaire, dans ces cas particuliers, je lui associais des délégués, en assez grand nombre, de la Cour suprême de justice »195. Lors d’un procès devant la haute Assemblée196, la composition s’ouvre à des magistrats professionnels qui l’aident à trancher l’affaire avec plus de technicité juridique. À l’occasion, il est alors possible de trouver dans les deux chambres des membres de l’autorité judiciaire. Par conséquent, la composition varie relativement au rôle de l’institution, elle est assemblée différemment lorsqu’elle légifère ou lorsqu’elle juge, tout dépend du pouvoir exercé. La Chambre haute, quelle que soit sa composition, doit rassembler des individus raisonnables qui garantissent la Constitution et enrichissent le travail législatif. Ses membres doivent contribuer directement à la qualité de l’action législative qui constitue le cœur des pouvoirs du Parlement. SECTION II LES ATTRIBUTIONS DU PARLEMENT Si, sur le plan législatif, les deux chambres se trouvent sur un pied d’égalité et disposent des mêmes compétences (§ 1), il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de réprimer les abus de l’exécutif. Apparaît alors une véritable spécialisation des tâches où chaque assemblée se confine dans une mission exclusive (§ 2). § 1 - L’exercice du pouvoir législatif Dans sa brochure relative à la limitation des pouvoirs, l’ancien avocat au Parlement de Paris témoigne d’une vision très nette de l’étendue du pouvoir législatif. « Il faut que le droit de proposer la loi n’appartienne ni en tout ni en partie au prince, et qu’il soit exclusivement réservé au corps législatif »197. Si l’initiative des lois appartenait seulement au prince ou au gouvernement, « le prince ne proposeroit que les loix qui lui seroient avantageuses »198 et le Parlement « ne seroit actif qu’autant qu’il conviendroit au prince, et deviendroit nul toutes les fois qu’il le voudroit »199. Dans une autre hypothèse, l’exécutif pourrait être doté, qu’« en certaines circonstances »200, du droit de proposer les lois. Mais il craint que l’emploi de cette compétence d’attribution par le prince ou le gouvernement ait des effets pervers. Au 194 N. Bergasse, Essai sur la propriété, op. cit., p. 153. Ibid., p. 153. 196 Voir infra, p. 41. 197 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit, p. 28. 198 Ibid., p. 28. 199 Ibid., p. 29. 200 Ibid., p. 29. 195 37 minimum dans ces circonstances, le corps législatif ne pourrait délibérer sans la permission du pouvoir exécutif. Il deviendrait alors complètement dépendant, « ce qui est contraire à la nature de la puissance législative destinée à tout surveiller »201. Bergasse appréhende ces possibilités en mettant en évidence un risque majeur pour la paix du royaume : « Dans ce système, il s’ouvriroit une source de débats interminables entre le prince et le corps législatif : le prince cherchant à tout rapporter aux circonstances où le droit de proposer la loi lui auroit été laissé ; le corps législatif cherchant, de son côté, à borner, de toutes les manières, ces mêmes circonstances, tous les deux travaillant sans cesse à empiéter l’un sur l’autre, et aucun ne pouvant empiéter sans qu’on n’en vit résulter ou de grands troubles ou une diminution considérable de la liberté »202. En exprimant « la nécessité de laisser au corps législatif le droit de proposer et de rédiger la loi », l’auteur fonde son raisonnement entièrement sur des motifs d’équilibre institutionnel. Le roi est écarté du droit de proposer les lois avec une grande intransigeance. Même la Constitution de 1791 qui confie à l’Assemblée l’initiative législative203 offre au monarque une faculté de suggestion. En effet, elle prévoit qu’il peut inviter le corps législatif à prendre un objet en considération. Bergasse soutient un bicamérisme égalitaire où le pouvoir législatif s’exerce conjointement par les deux assemblées. En amont de la procédure, la Chambre haute comme la Chambre basse revêtent un droit d’initiative en matière législative puis en aval, les deux assemblées doivent participer de la même façon à la détermination du contenu de la loi. Les droits de proposer, de rédiger, de discuter et de voter les textes leur appartiennent exclusivement. Néanmoins, l’effectivité de la norme n’est pas encore acquise, encore faut-il que la règle soit sanctionnée par le monarque204. En 1821, soit plus de trente ans après les débuts de la Révolution, le penseur livre quelques renseignements sur son projet de constitution monarchique. Il revenait aux assemblées provinciales de se réunir, chaque année, pour réaliser un cahier exposant la situation de la province, les difficultés locales et les divers points à améliorer. Ces cahiers « eussent été envoyés au Conseil d'État, qui en aurait fait le relevé, et c’eût été d'après ce relevé que les ministres auraient fait aux deux chambres les propositions du Gouvernement »205. Ce droit de proposition semble limité à l’analyse réalisée par le Conseil 201 Ibid., p. 29. Ibid., pp. 29-30. 203 Titre III, Chapitre III, Section I, art. 1, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 50. 204 Voir supra, p. 19. 205 N. Bergasse, Essai sur la propriété, op. cit., p. 153. 202 38 d’État du contenu des cahiers. Mais il apparaît pour le moins contradictoire que Bergasse ait imaginé, avant même la chute de la royauté, une initiative législative dans les mains de l’exécutif ! Bien que la prudence reste de mise, ces propos se trouvent, sur ce point précis, complètement incohérents avec ce qu’il défendait lors de la période révolutionnaire. Il faut souligner que ces lignes sont écrites sous la Seconde Restauration. Or, la Charte de 1814 prévoit un rôle déterminant au roi dans l’exercice de la fonction législative en disposant notamment de l’initiative206. Les chambres ne peuvent que le supplier « de proposer une loi sur quelque objet que ce soit et d’indiquer ce qui leur paraît convenable que la loi contienne »207. Au regard du contexte, l’auteur souhaite peut-être démontrer la pertinence de sa pensée sur le long terme. Ainsi, il fait valoir, qu’avec plusieurs décennies d’avance, il avait imaginé pour Louis XVI, les bases d’un régime politique assez similaire à celui alors en vigueur sous la Restauration. En 1792, dans son projet de Constitution, Bergasse a-t-il réellement confié à l’exécutif le droit de faire des propositions législatives, comme il semble l’affirmer en 1821 ? La question reste entière eu égard à la disparition des sources. Quoi qu’il en soit, le Parlement n’a pas que pour unique mission de légiférer, il doit aussi poursuivre et juger les éventuels ministres qui, par intérêt, manqueraient aux devoirs de leur charge. § 2 - La répression des délits des agents de l’exécutif L’organisation institutionnelle proposée par Bergasse est censée assurer une stricte distinction des pouvoirs où le gouvernement n’est jamais tenté d’outrepasser ses attributions. Si, de façon extraordinaire, les agents du prince franchissent « l’espace dans lequel la loi leur prescrivoit de se maintenir »208, l’empiètement se doit d’être efficacement réprimé. L’auteur développe une procédure spéciale faisant participer les deux chambres tout en séparant l’accusateur du juge. S’il revient aux représentants de la nation de poursuivre l’agent prévaricateur (A), seuls les pairs de la Chambre haute sont habilités à le juger (B). A - La mise en accusation par la Chambre basse Dans son Discours sur les crimes et les tribunaux de haute trahison, Bergasse distingue trois espèces d’infraction excessivement déloyales. Premièrement, la « confpiration contre l'état »209 qui comprend de manière évidente « tout acte ayant pour objet déterminé de 206 Art. 16, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 220 : « Le roi propose la loi ». Ibid., art. 19. 208 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit, p. 20. 209 N. Bergasse, Discours sur les crimes et les tribunaux de haute trahison, s. l., 1789, p. 10. 207 39 renverser la conftitution de l'État »210. Deuxièmement, il peut exister un « abus de puiffance de la part des agents du pouvoir exécutif »211, il s'agit de « tout acte d'adminiftration qui compromet la liberté politique ou la liberté individuelle »212. Par cette large incrimination, il inclut le détournement des fonds publics et l’emploi illégal de la force publique. Troisièmement, dans une monarchie héréditaire comme la France, un « attentat contre la perfonne du roi »213 peut arriver. Il est alors question de réprimer toute tentative criminelle contre le roi mais aussi contre l'héritier présomptif ou, en cas de minorité, contre le régent214. En principe, dans les premier et troisième cas, c'est-à-dire lorsqu’une intrigue contre l’État ou contre le roi est découverte, il revient au pouvoir exécutif de poursuivre et à la fonction judiciaire de juger. Cependant, Bergasse imagine la situation exceptionnelle où l’exécutif refuse de poursuivre le crime commis. En demeurant ainsi immobile, il y a « quelque raifon de préfumer que le gouvernement lui-même eft complice »215. Une procédure spéciale doit alors être engagée. Enfin, dans le deuxième cas, lorsque les ministres ont prévariqué, il est impossible de demander à ces derniers de poursuivre leurs propres crimes. Dans toutes ces hypothèses extrêmement graves, il revient aux représentants de la nation de poursuivre les faits suspicieux pour qu’ils soient jugés par la seconde chambre du corps législatif216. L’auteur n’envisage qu’une responsabilité pénale et élude toute responsabilité politique. L’inviolabilité du roi a pour indispensable corollaire que les ministres soient responsables, au moins pénalement. La Constitution de 1791 proclame un régime moniste où les ministres sont responsables seulement devant le roi et non devant l’Assemblée nationale. Toutefois, ils engagent leur responsabilité pénale en contresignant les décisions du roi217. Le corps législatif peut accuser un membre du gouvernement pour de larges motifs218 et les députés prennent alors un décret d'accusation219 pour que l’agent soit poursuivi pénalement. Chez Bergasse, l’initiative de la procédure apparaît assez souple, les ministres peuvent être mis en accusation dès lors que les députés se croient, simplement, « bien fondés à les 210 Ibid., pp. 10-11. Ibid., p.11. 212 Ibid., p.11. 213 Ibid., p.11. 214 Ibid., p.11. 215 Ibid., p. 22. 216 Ibid., p. 22. 217 Titre III, Chapitre II, Section IV, art. 4, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 49 : « Aucun ordre du roi ne pourra être exécuté, s’il n’est signé par lui et contresigné par le ministre ou l’ordonnateur du département ». 218 Titre III, Chapitre II, Section IV, art. 5, ibid., pp. 49-50 : « Les ministres sont responsables de tous les délits par eux commis contre la sûreté nationale et la Constitution ; - De tout attentat à la propriété et à la liberté individuelle ; - De toute dissipation des deniers destinés aux dépenses de leur département ». 219 Titre III, Chapitre II, Section IV, art. 8, ibid., p. 50 : « Aucun ministre en place, ou hors place, ne peut être poursuivi en matière criminelle pour fait de son administration, sans un décret du Corps législatif ». 211 40 accuser »220. L'auteur descend dans les détails en exigeant certaines garanties. La dénonciation du crime de haute trahison doit être réalisée par un certain nombre de représentants « afin d'empêcher que le premier ambitieux qui fe trouveroit dans l'affemblée, ne troublât à tout propos la paix du gouvernement par des inculpations vagues, et qui n'auroient d'autre motif que le défir fecret de parvenir ou de fe venger »221. Si l'assemblée accepte la dénonciation, elle doit nommer un « comité de dix ou douze perfonnes pour en examiner les preuves »222. Ce groupe restreint, qui ne doit comprendre aucun des dénonciateurs, est alors chargé de rédiger un rapport. En se fondant sur ce document, la Chambre basse décide ou non de poursuivre. En cas d’accusation officielle, la poursuite est confiée à ce même comité mais dont la composition varie légèrement. Ce dernier est augmenté de deux ou trois membres choisis « parmi ceux qui auroient développé l’avis le plus modéré fur l'accufation »223. Sur la base d’une procédure inquisitoire, ces nouveaux procureurs sont chargés de déceler les faux témoignages et de garantir une poursuite fondée sur la vérité. En aucun cas, ils ne doivent tenter de faire obstacle à la poursuite. Bergasse semble conscient du danger de confier aux Communes, sans cesse en lutte contre le gouvernement, une telle prérogative. Il est fort probable que si cette assemblée décide de poursuivre, elle mette tout en œuvre pour triompher, parce qu’« à l’idée de fa défaite dans les accufations qu’elle intente, elle affocie, comme involontairement, la crainte d’accroître la puiffance de l’ennemi qu’elle eft appellée à combattre »224. « C’est un terrible accufateur qu’une affemblée qui parle au nom de la nation », lorsqu’elle poursuit, elle crée inéluctablement dans l’opinion publique un mouvement contre l’accusé225. La seule façon d’assurer à ce dernier une justice digne est de le faire répondre de sa conduite devant un tribunal impartial et égal en puissance à l’accusateur : la chambre supérieure du corps législatif. B - Le procès devant la Chambre haute Devant quelle juridiction un ministre accusé de haute trahison doit-il être jugé ? Le juge ordinaire se trouve nécessairement inférieur « en dignité et en puissance »226 aux 220 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit, p. 20. N. Bergasse, Discours sur les crimes…, op. cit., pp. 26-27. 222 Ibid., p. 27. 223 Ibid., p. 27. 224 Ibid., p. 25. 225 Ibid., p. 20. 226 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit, p. 21. 221 41 pouvoirs législatif et exécutif. Reprenant les arguments de Montesquieu227, Bergasse affirme que la juridiction de droit commun ne peut être compétente parce qu’elle risquerait de se voir influencée par la qualité de l’accusé. De même, le ministre s’exposerait toujours à la menace d’être mal jugé. Soit le tribunal redoutant la puissance du corps législatif jugerait avec sévérité le ministre, soit, « jaloux de l’autorité du corps législatif », le juge ordinaire « voudroit humilier l’orgueil de ce corps, et alors, fier de le voir à ses pieds, il ne jugeroit que comme le lui suggéreroit son propre orgueil et le ministre prévaricateur pourroit être absous »228. Un tribunal créé extraordinairement pour chaque circonstance est également à proscrire parce qu’il manquerait toujours d’impartialité et n’inspirerait jamais confiance ni à l’accusé ni à l’accusateur229. La juridiction retenue ne doit pas être formée « de la même manière que le corps des représentants de la nation ; car s’il est composé de la même manière, il aura infailliblement le même esprit, et l’accusateur et le juge seront la même chose »230. La Chambre basse, émanation directe de la nation, risque de manquer de clairvoyance dans les affaires relatives à l'administration et de mêler griefs et crimes politiques 231, il est impossible de lui confier cette lourde charge. De même, Bergasse s’oppose à la proposition du comité de Constitution tendant à créer une Haute Cour nationale composée d’une part, pour le jugement des faits, de jurés élus au suffrage universel dans chaque département en même temps que les députés, et d’autre part, pour l’application de la loi, de juges tirés au sort parmi les plus hauts magistrats232. Il estime que ces jurés sont forcément inférieurs, en dignité et en puissance, à l’Assemblée nationale qui joue le rôle d’accusateur ; cette institution ne peut en aucun cas offrir les garanties nécessaires aux accusés233. Le député imagine un tribunal indépendant, « qui ait le même intérêt à maintenir le pouvoir exécutif que le pouvoir législatif »234 et qui ne pourrait que perdre par la diminution de l’un ou l’autre de ces pouvoirs. Il importe également que cette instance représente la nation et ait une position plus objective que la Chambre basse. La seule institution à correspondre à 227 Le baron de La Brède s’interroge (De l'esprit des lois, op. cit., t. 1, XI.6, p. 301) : « Mais devant qui accuserat-elle (la chambre populaire) ? Ira-t-elle s’abaisser devant les tribunaux de la loi qui lui sont inférieurs, et d’ailleurs composés de gens qui, étant peuple comme elle, seraient entraînés par l’autorité d’un si grand accusateur » ? 228 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit, p. 21. 229 Et ce quelle que soit la composition de cette instance exceptionnelle (Roi, Corps législatif, assemblées provinciales), ibid., pp. 21-25. 230 Ibid., p. 25. 231 K. Fiorentino, La seconde Chambre en France…, op. cit., p. 67. 232 La Haute Cour nationale fut institué par la loi du 10-15 mai 1791. Difficilement mise en place au cours de l’hiver 1791-1792, cette juridiction échoua lamentablement avec le massacre à Versailles des prisonniers qui attendaient leurs verdicts, cf. J.-P. Royer, Histoire de la justice en France, Paris, PUF, 2001, pp. 313-314. 233 N. Bergasse, Discours sur les crimes…, op. cit., p. 30. 234 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit, p. 25. 42 ces critères est la haute Assemblée qui devient alors le tribunal particulier des infractions politiques. Au stade du jugement, il faut prendre le temps de la réflexion et se prononcer avec sagesse et impartialité. Or, seuls les pairs sont suffisamment autonomes et avisés pour répondre à cette délicate fonction. L’auteur anticipe remarquablement l’objection évidente qu’il est possible de formuler contre son procédé. Effectivement, on peut s’étonner qu’en étant si fondamentalement attaché à la distinction des pouvoirs, il attribue une partie du pouvoir législatif et judiciaire aux mêmes hommes. Il s’explique en appelant à distinguer, au sein de la Chambre haute, deux personnes morales distinctes : d’une part, le législateur et d’autre part, le juge. Le législateur « ne peut faire de loix au gré du juge »235 et le juge « ne peut ériger sa volonté en loi »236. Lorsqu’elle siège en cour de justice, l’Assemblée ne dispose d’aucune attribution législative. D’ailleurs sa composition change légèrement en accueillant un certain nombre de magistrats de la Cour suprême de justice237. De plus, l’auteur apporte une précision : « Les juges du tribunal dont je parle ne sont pas de vrais juges, mais des jurés »238. Ils se contentent de se prononcer sur la culpabilité d’un agent. Ils n'ont pas à appliquer la règle de droit car « ce ne sont pas des hommes voués au ministère des loix, […] leur profession n'est donc pas la profession judiciaire »239. Il propose même une procédure de contestation des jurés. En effet, l’accusé doit pouvoir « recufer péremptoirement un nombre de membres de la chambre fupérieure, proportionné au nombre de jurés qu'il auroit le droit de recufer s'il étoit pourfuivi »240 devant le tribunal judiciaire de droit commun. Cependant, il demeure une zone d’ombre : si la Chambre haute ne forme qu’un jury, à qui revient la tâche d’appliquer, en définitive, la loi ? En cas de culpabilité prononcée par l’assemblée, qui prononce la peine ? Le processus décrit par Bergasse n’est pas sans rappeler la procédure d’origine britannique de « l’impeachment »241 visant à mettre en accusation un haut fonctionnaire public devant la Chambre des Lords. À l’origine, l’accusation est portée par le souverain ou par la victime via l’appel. À partir de 1376 et la mise en accusation devant les pairs des lords Latimer et Neville par les Communes, la Chambre basse conquiert un rôle d’accusateur. La procédure tombe en désuétude entre 1459 et 1621 pour ne reparaître ensuite que de façon 235 Ibid., p. 27. Ibid., p. 27. 237 Voir supra, p. 37. 238 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit, p. 27. 239 Ibid., pp. 27-28. 240 N. Bergasse, Discours sur les crimes…, op. cit., p. 27. 241 Du latin impetere qui signifie accuser. 236 43 marginale242. Lorsqu’en 1789, le constituant développe sa procédure de responsabilité pénale des ministres, « l’impeachment » a pratiquement disparu en Grande-Bretagne243 ! Toutefois, la doctrine libérale s’est appropriée cette procédure et l’a interprétée comme une manifestation de la balance des pouvoirs244. Ainsi Montesquieu considère qu’il convient « pour conserver la dignité du peuple et la sûreté du particulier, que la partie législative du peuple accuse devant la partie législative des nobles »245. De surcroît, en 1787, la Constitution des États-Unis reprend les bases de ce mécanisme en son deuxième article246. Bergasse reprend cet héritage intellectuel sans cacher son influence anglo-saxonne en indiquant qu’il est souhaitable d’appliquer « toutes les règles de la procédure qu’on a vu être en ufage en Angleterre pour les crimes de haute trahifon »247. Il va même jusqu’à utiliser du vocabulaire emprunté à la common law en parlant de la rédaction d’un « bill d’accusation »248. La fascination permanente pour le modèle anglais va jusqu’à vouloir importer des mécanismes de procédure entier. En conformité avec les fondements de la pensée libérale, ce nouveau Parlement est doté de deux missions décisives : légiférer et exercer la « justice politique »249. Associer les deux chambres législatives créées ex nihilo au pouvoir royal préexistant, ainsi se dessine le cœur de l’ambition politique de Bergasse. Cette mécanique constitutionnelle doit insuffler une énergie nouvelle à une monarchie déclinante et contribuer à la régénération de la France. Toutefois, pour que l’organisation des pouvoirs soit parfaite, il se révèle nécessaire que ce centre névralgique soit complété par une fonction judiciaire pleinement remaniée. 242 Sur les origines de l’impeachment, cf. R. Fritze, Historical dictionary of Stuart England, 1603-1689, Londres, Greenwood, 1996, pp. 241-242. 243 Les deux dernières affaires auront lieu en 1787, pour le gouverneur général Warren Hastings, et en 1805, pour le trésorier de l’amirauté lord Melville. Elles aboutiront l’une et l’autre à un acquittement. 244 C. Achaintre, L’instance législative dans la pensée constitutionnelle révolutionnaire, op. cit., p. 62. 245 C. de Montesquieu, De l'esprit des lois, op. cit., t. 1, XI.6, p. 301. 246 Article II, Section 4 : « Le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ». 247 N. Bergasse, Discours sur les crimes…, op. cit., p. 27. 248 Ibid., p. 5. Le bill of indictment est, en common law, un acte d'accusation officielle à l'égard d'un individu qui a commis une infraction criminelle. 249 La notion de « justice politique » est en droit une notion très ambiguë. Dans un sens général, elle renvoie à une morale des institutions et des systèmes sociaux, cf. C. Achaintre, L’instance législative dans la pensée constitutionnelle révolutionnaire, op. cit., p. 61. Suivant une acception plus restrictive, elle peut avoir pour mission de mettre en jeu la responsabilité pénale de ceux qui ont l’exercice du pouvoir, cf. R. Charvin, « Justice politique », in Encyclopaedia Universalis, Paris, Encyclopaedia Universalis, 1985, t. 10, pp. 740-741. Selon J. Barthélémy et P. Duez, il s’agit pareillement de déférer « à un tribunal particulier les infractions politiques », (cité par C. Achaintre, L’instance législative dans la pensée constitutionnelle révolutionnaire, op. cit., p. 61). L’expression est assurément employée ici dans un sens restrictif. 44 CHAPITRE III LA RÉORGANISATION DE L’ORDRE JUDICIAIRE Dès ses premières séances, l'Assemblée nationale constituante songe à donner à la France un nouvel appareil judiciaire. Le 17 août 1789, Nicolas Bergasse présente, au nom du comité de Constitution, un mémorable rapport destiné à fixer pour longtemps la philosophie de l’institution judiciaire250. Son discours est marqué par un puissant accent réformateur. Souhaitant concrétiser son idéal de distinction des pouvoirs, il commence par redéfinir complètement le rôle du juge et ses attributions dans le nouvel ordre politique (Section I). Puis, il propose de faire table rase des institutions judiciaires de l’Ancien Régime et de reconstruire, conformément à l’esprit du siècle, une justice digne d’un peuple libre (Section II). SECTION I LA PLACE NOUVELLE DE LA FONCTION JUDICIAIRE Si les pouvoirs législatif et exécutif portent en eux un risque d’abus et d’empiètement considérable, la fonction de juger est d’autant plus redoutable qu’elle influe de façon concrète et immédiate sur la liberté des individus. Bergasse utilise l’expression de « pouvoir judiciaire » d’une manière équivoque et complexe. En effet, il semble qu’il ne s’agisse pas d’un réel « pouvoir » indépendant mais plutôt d’une simple fonction subordonnée (§ 1). Contrairement à ce qui existe encore en 1789, la nouvelle organisation ne peut tolérer aucun débordement de la puissance judiciaire sur les autres pouvoirs. Dès lors, il importe que l’action du juge soit rigoureusement cantonnée à l'application de la loi et à la sanction de son irrespect (§ 2). § 1 - Le « pouvoir judiciaire » : une expression ambiguë Lorsqu’il évoque l’institution chargée de rendre la justice, l’ancien avocat au Parlement de Paris n’hésite pas à employer la notion de « pouvoir judiciaire »251. Ainsi, on peut légitimement penser qu’il s’agit d’un pouvoir fort et indépendant comme le sont les pouvoirs exécutif et législatif. Cela n’aurait rien de très surprenant puisque, dans L’Esprit des 250 M. Gauchet, La Révolution des pouvoirs. La souveraineté, le peuple et la représentation. 1789-1799, Paris, Gallimard, 1995, p. 58. 251 Il utilise l’expression fréquemment et dans différents écrits. Le discours qu’il présente à la tribune, le 17 août 1789, est même intitulé « Rapport sur l’organisation du pouvoir judiciaire ». 45 lois, Montesquieu envisage déjà le judiciaire dans le sens d’une prérogative d’État quasiment égale à l’exécutif et au législatif. Toutefois, Nicolas Bergasse témoigne d’une vision particulière de l’ordre chargé de rendre la justice et il convient donc de faire attention à la terminologie utilisée. En effet, s’il existe bien trois « pouvoirs », l’auteur précise que « le pouvoir judiciaire […] n’est lui-même qu’une dépendance du pouvoir exécutif »252. Il ne s’agit pas d’un pouvoir autonome, le juge doit seulement appliquer la loi aux causes portées à sa connaissance. Dès lors, il s’agit d’un processus d’exécution de la loi se rattachant nécessairement au pouvoir exécutif. Dépendance ne signifie pas pour autant confusion et il importe que le judiciaire demeure, vis-à-vis de l’exécutif, distinct dans son organisation et pleinement autonome dans son action. En effet, l’auteur avertit : « Unissez le pouvoir exécutif au pouvoir judiciaire, faites que le prince lui-même soit juge, et comme l’a très bien remarqué Montesquieu, le juge aura alors toute la force d’un oppresseur, et vous n’aurez point de liberté »253. L’objet du pouvoir judiciaire réside dans le fait de savoir, avant l’exécution matérielle de la loi, si celle-ci s’applique ou non au cas d’espèce. La subordination du judiciaire à l’égard de l’exécutif se manifeste explicitement sous deux aspects. Premièrement, l’auteur propose que la justice soit « rendue au nom du roi, comme suprême dépositaire du pouvoir exécutif »254. Cela ne constitue pas un bouleversement avec l’Ancien Régime où le roi, source et fontaine de justice, pouvait soit la rendre directement, soit la déléguer à des juges chargés de statuer en son nom. Ainsi, Bergasse ne rompt pas avec la grande tradition monarchique mais exige que la justice soit entièrement déléguée : c’est la fin de la justice retenue. Secondement, le magistrat devant être autonome dans l’exercice de sa mission, le roi ne peut intervenir sur son délégué que lors de sa nomination initiale. Logiquement, cette nomination royale permet « que le pouvoir exécutif soit un »255. Dans le cas inverse, l’unité serait remise en cause parce que la justice serait rendue au nom du roi, mais ce dernier n’aurait eu strictement aucune influence sur son délégué. Pour éviter cela, Bergasse a pour objectif de créer un mécanisme où « le dépositaire du pouvoir exécutif nomme les juges » mais où il faut empêcher « tout homme qui n’aurait pas la confiance du peuple de devenir juge »256. Conformément aux souhaits des cahiers de doléances257, il 252 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 11. Ibid., pp. 11-12. 254 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 446, Titre I, art. 5. 255 Ibid., p. 442. 256 Ibid., p. 442. 257 Presque tous les cahiers de doléances demandent que les juges soient choisis par le roi, et dans ce cas inamovibles, parmi trois candidats présentés par les États provinciaux pour les cours souveraines et par les justiciables du siège pour les tribunaux inférieurs, cf. J.-P. Royer, Histoire de la justice en France, op. cit., p. 323. 253 46 propose un système qui « concilierait ce qu’on doit au prince avec ce qu’on doit à l’opinion du peuple »258. Dès qu’une place de magistrat devient vacante, les assemblées provinciales nomment trois candidats parmi lesquels le roi se trouve tenu de choisir259. Toutefois, quelques exceptions existent : les juges de paix sont élus par les assemblées générales des municipalités260 ; les juges des tribunaux de commerce et des amirautés par les représentants des professions concernées. Les présidents de ces dernières juridictions demeurent nommés par le monarque261. La Constituante ne retient pas ces propositions et met un terme à la théorie du roi justicier. Le prince n’est plus doté du droit de grâce et les jugements ne sont plus rendus en son nom. Le 5 mai 1790, par une majorité de 503 voix contre 450, le principe de l’élection directe des juges par le peuple est adopté262. Il apparaît intéressant de remarquer qu’à Rome, le Sénat était revêtu de l’auctoritas, notion insaisissable qui augmentait la valeur de tout acte auquel l’institution donnait son accord263. Cette auctoritas était bien au-dessus de la potestas, dont devaient se contenter les magistratures inférieures. Au début du XIIIe siècle, l’Église, avec à sa tête Innocent III, opposa à des fins politiques l’auctoritas du pape à la potestas des rois pour mieux essayer de les soumettre. Par conséquent, il semble naturel à Jean-Pierre Royer que les constituants, désirant abaisser le judiciaire, préfèrent le terme de « pouvoir » à celui d’« autorité »264. Cependant, en parlant de pouvoir à la fois pour l’exécutif, le législatif et le judiciaire, les constituants bouleversent la hiérarchie terminologique héritée du droit romain. Si, chez Bergasse, le troisième pouvoir est nominalement maintenu, il se révèle dans une telle situation de subordination qu’il est menacé dans sa substance. L’emploi de l’expression de « fonction judiciaire » semble alors plus approprié à sa position. Le 29 mars 1790, le député Duport confirme cette idée en expliquant que la mission de juger « forme proprement l’objet de ce qu’on appelle improprement pouvoir judiciaire. Je dis improprement, parce qu’il n’y a réellement de pouvoir dans l’ordre judiciaire que le pouvoir exécutif »265. De plus, la Constitution de 1791 consacre l’expression de « pouvoir judiciaire » en l’utilisant à 258 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 442. Ibid., Titre V, art. 2, p. 448. 260 Ibid., Titre V, art. 4, p. 448. 261 Ibid., Titre V, art. 3, p. 448. 262 Cette règle se voit successivement consacrée par les décrets des 5 et 7 mai 1790, par la loi des 16 et 24 août 1790 (Titre II, art. 3 et suivants) et par la Constitution du 3 septembre 1791 (Titre III, Chap. IV, art. 2), cf. J.-P. Royer, Histoire de la justice en France, op. cit., p. 323. 263 Ibid., p. 274. 264 Ibid., pp. 274-275. 265 AP, 1ère série, op. cit., t. 12, p. 410. 259 47 différentes reprises266. Présenter le juge, au moins dans son principe, comme dépendant de l’exécutif aboutit inéluctablement à une restriction de son action. § 2 - L’action du juge limitée à l’application de la loi Fortement influencé par le légicentrisme ambiant, Bergasse redéfinit la mission du magistrat chargé de rendre la justice. Au nom d’une rigoureuse séparation des pouvoirs, il réclame, avec une particulière solennité, que les tribunaux et les juges n’empiètent jamais sur le domaine législatif : « Le pouvoir judiciaire sera donc mal organisé si les dépositaires de ce pouvoir ont une part active à la législation, ou peuvent influer, en quelque manière que ce soit, sur la formation de la loi. […] Le pouvoir judiciaire sera donc mal organisé si le juge jouit du dangereux privilège d'interpréter la loi ou d'ajouter à ces dispositions […]. Si la loi peut être interprétée, augmentée, ou, ce qui est la même chose, appliquée au gré d'une volonté particulière, l'homme n’est plus sous la sauvegarde de la loi, mais sous la puissance de celui qui l’interprète ou qui l’augmente »267. Le juge est tenu par le principe de légalité, il doit scrupuleusement suivre les dispositions des textes et a interdiction de les interpréter. La loi doit alors tout prévoir et rien ne peut être fait sans son autorisation. Ce principe fondamental se retrouve dans l’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen268, adoptée neuf jours plus tard, le 26 août 1789. Circonscrits et spécialisés dans la fonction juridictionnelle, les juges se trouvent à la fois interdits d’agir au-delà et en même temps garantis de pouvoir l’exercer sans partage. Le souhait de limiter les éventuels empiètements des juges sur le pouvoir législatif n’est pas proprement une nouveauté révolutionnaire, l’ordonnance royale de 1667 sur la procédure civile l’exigeait déjà269. Dans le même sens, Bergasse exclut toute participation du judiciaire à la fonction exécutive ou administrative. Dans son projet, il n’envisage aucune démarcation 266 Le chapitre V du titre III de la Constitution s’intitule « Du pouvoir judiciaire ». De même, l’article premier de ce chapitre dispose : « Le Pouvoir judiciaire ne peut, en aucun cas, être exercé par le Corps législatif ni par le roi », cf. J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 58. 267 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, pp. 441-443. 268 « Art. 7 : Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance ». 269 Cette ordonnance dispose que « si dans les jugements des procès qui seront pendants en nos cours, il survient aucun doute ou difficulté sur l’exécution de nos ordonnances, édits, déclarations et lettres patentes, nous leur défendons de les interpréter, mais voulons qu’en ce cas elles aient à se retirer par-devers nous pour apprendre ce qui sera notre intention » (cité par J.-P. Royer, Histoire de la justice en France, op. cit., p. 278). 48 entre les traitements des contentieux administratif et judiciaire270. Cette double prohibition d’empiéter sur le législatif et l’exécutif se retrouve dans la pensée de la majorité des constituants et est reprise par la Constitution de 1791271. Ces profonds changements impliquent naturellement la suppression des Parlements d’Ancien Régime. Pourtant Bergasse n'est pas hostile à ces cours auxquelles il rend même un hommage sincère : « La nation n'a sans doute pas oublié tout ce qu'elle doit à ses magistrats, combien dans les temps de trouble et d'anarchie, leur sagesse lui fut salutaire »272. Les parlementaires jouaient un nécessaire rôle de résistance « dans des temps de despotisme, et quand l'autorité, méconnaissant toutes les bornes, menaçait d'envahir tous les droits »273. Cependant les circonstances ont changé et cette puissante magistrature « est funeste pour tout peuple qui possède une véritable liberté politique »274. Or, cette liberté politique « consiste dans la faculté qu’a tout citoyen de concourir, soit par lui-même soit par ses représentants, à la formation de la loi »275. Par conséquent, la Révolution en modifiant le contexte politique a rendu obsolète l’ancienne organisation judiciaire. « Notre magistrature était fortement instituée pour résister au despotisme ; mais maintenant qu’il n'y a plus de despotisme, si notre magistrature conservait toute la force de son institution, l'emploi de cette force pourrait facilement devenir dangereuse à la liberté »276. Les Parlements n'étaient pas en effet dotés exclusivement de compétences juridictionnelles. D'une part, ils participaient à l'exercice de la fonction législative, par le pouvoir d'enregistrement de la législation royale ; d'autre part, ils s'étaient reconnus le droit de faire des règlements, non seulement dans les matières judiciaires, mais encore dans toutes celles qui intéressaient l'ordre public, en exerçant des compétences de police277. Si ces puissantes instances étaient maintenues, les parlementaires, par leurs 270 Par la suite, la Constituante limite la compétence du juge judiciaire en rattachant le contentieux administratif à l’administration active. La théorie de l’administrateur-juge se voit alors consacrée. Cf. T. Le Yoncourt, « Les attributions contentieuses des corps administratifs sous la Révolution », Regards sur l’histoire de la justice administrative, Journées d’études du Centre d’histoire du droit de l’Université de Rennes 1, Paris, Litec, 2006, pp. 31-71. 271 Titre III, Chap. V, art. 3, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 59 : « Les tribunaux ne peuvent, ni s’immiscer dans l’exercice du Pouvoir législatif, ou suspendre l’exécution des lois, ni entreprendre sur les fonctions administratives, ou citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ». 272 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 449. 273 Ibid., p. 449. 274 Ibid., p. 441. 275 Ibid., p. 441. 276 Ibid., p. 449. 277 Sur la question des arrêts de règlement, cf. les travaux de P. Payen, Les arrêts de règlement du Parlement de Paris au XVIIIe siècle, dimension et doctrine, Paris, PUF, 1997 ; et de R. Bareau, Les arrêts de règlement du Parlement de Bretagne, Thèse, Droit, Rennes 1, 2000. 49 immixtions, pourraient aisément limiter la possibilité qu’a tout citoyen de concourir à la formation de la loi. Par conséquent, la liberté serait perpétuellement en danger. Selon Bergasse, les juges forment « une classe d’hommes chargés d’appliquer les lois aux diverses circonstances pour lesquelles elles sont faites »278. Juger consiste alors dans la stricte application d’une loi à une situation de fait. Dès lors, le jugement doit être le fruit d’un raisonnement syllogistique : le texte de loi constitue la majeure de la démonstration, le fait, la mineure et le jugement, la conclusion. Le juge exerce une activité mécanique sans aucune liberté d’appréciation ou d’interprétation. Cette idée d’un syllogisme judiciaire est déjà largement répandue au XVIIIe siècle. Elle est conforme à la pensée de Montesquieu qui écrit que les jugements doivent être fixes au point qu’ils « ne soient jamais qu'un texte précis de la loi »279. Enfermés dans une stricte fonction d'application, « les juges de la nation ne sont […] que la bouche qui prononce les paroles de la loi »280. Cette description du travail judiciaire a été notoirement décrite par Beccaria, en 1764, dans Des délits et des peines. Pour le Lombard, le juge doit impérativement respecter un « syllogisme parfait », à défaut « tout n’est plus qu’incertitude »281. « La majeure doit être la loi générale. La mineure l'action conforme ou non conforme à la loi. La conséquence l'acquittement ou la punition de l'accusé »282. Toutefois, Bergasse ignore que certaines situations peuvent se révéler problématiques. En cas d’obscurité ou de silence de la loi, la prémisse majeure devient incertaine ou inexistante. Qu’est-ce alors qu’appliquer la loi ? Dans certaines hypothèses, le juge peut être contraint de faire œuvre créatrice en interprétant la loi. Inévitablement, l’action mécanique qu’on attend de lui est alors entièrement remise en cause. La Constituante tentera de répondre à cette difficulté par la création du référé législatif283. En remaniant complètement le rôle du juge, Bergasse rend indispensable une révision du système judiciaire. 278 Ibid., pp. 440-441. C. de Montesquieu, De l'esprit des lois, op. cit., t. 1, XI.6, p. 296. 280 Ibid., p. 301. 281 C. Beccaria, Des délits et des peines (1764), Paris, Dalibon, 1821, p. 14. 282 Ibid., p. 14. 283 Ce mécanisme est prévu à l’article 12 du deuxième titre de la loi des 16-24 août 1790 : « Ils (les juges) ne pourront point faire de règlements, mais ils s’adresseront au corps législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire, soit d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle ». Sur la genèse du référé législatif, cf. P. Alvazzi del Frate, « Aux origines du référé législatif : interprétation et jurisprudence dans les cahiers de doléances de 1789 », RHD, 2008-2, pp. 253-262. 279 50 SECTION II LA PROFONDE RÉFORME DE LA JUSTICE Après avoir redéfini la place du juge dans la société, Bergasse conclue à une réforme radicale de l’appareil judiciaire. Avec perspicacité, il soutient la disparition des anciennes juridictions héritées du passé et défend la création de nouvelles institutions plus rationnelles (§ 1). Le droit pénal n’est pas en reste et se trouve également ébranlé par cette vague réformatrice. En conséquence, les procédures et les peines criminelles doivent être entièrement révisées (§ 2). § 1 - La refonte des institutions judiciaires Le rapport présenté par Bergasse apparaît conforme aux souhaits des cahiers de doléances et aux vues de la majorité des constituants. Ce discours, vivement applaudi, reçoit les éloges des deux partis de l’Assemblée284 mais échoue à aboutir. Après l’abolition des justices seigneuriales et municipales lors de la nuit du 4 août, un ordre de juridiction unique composé de tribunaux de droit commun en matières civile, criminelle et de police doit être édifié. L’objectif est de simplifier, d’éviter un surcroît de tribunaux qui compliquerait la répartition des compétences et nuirait à la liberté. En matière civile, le projet prévoit l’établissement de juges de paix élus, sans l’intervention du prince285, par les municipalités dans les villes, bourgs et paroisses rurales. Ces juges, « assistés de deux notables, connaîtront sans appel de toutes les causes personnelles qui n’excèderont pas la valeur de cinquante livres »286. Dans chaque district, un tribunal ordinaire de première instance doit voir le jour pour connaître « de toutes les causes, soit réelles, soit personnelles au-dessus de cinquante livres »287. Dans les principales villes et dans les cités maritimes, les affaires de commerce doivent être traitées par des tribunaux de commerce et des amirautés. Ces juges sont élus respectivement par l’assemblée des négociants et par les capitaines de navires sans l’intervention du roi288. Les juridictions consulaires existant dès l’Ancien Régime, Bergasse ne fait que les maintenir. Enfin, au sein de 284 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 109. D’une part, Rivarol, adversaire de la Révolution, loue les propositions de Bergasse et qualifie ce rapport d’excellent travail. D’autre part, Brissot, dans le Patriote français, rend compte du discours de son ami en termes sympathiques, cf. ibid., pp. 100-101. 285 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, Titre V, art. 4, p. 448. 286 Ibid., Titre II, art. 7, p. 447. 287 Ibid., p. 447. 288 Ibid., Titre V, art. 3, p. 448. Faisant exception au système électif, les présidents des tribunaux de commerce et des amirautés sont nommés par le roi. 51 chaque province, une cour suprême de justice est chargée de statuer sur les appels des tribunaux ordinaires et de commerce lorsqu’ils jugent à charge d’appel ou excèdent leur compétence289. En matière criminelle, il revient au juge de paix, assisté de quatre notables, de commencer la procédure. Ceux-ci entendent l’accusateur et ses preuves, l’accusé et sa première défense290. Si l’accusé encourt une peine afflictive, la juridiction peut le mettre en détention ; à défaut, il peut être relâché sous caution de se présenter291. Le juge de paix doit ensuite avertir, dans les vingt-quatre heures, la cour suprême de justice de la province292. Un juge de cette cour procède alors à la comparution de l’accusé et réalise l’instruction du procès. Enfin, la cour suprême juge l’accusé dans le cadre d’une procédure par jurés293. Concernant la police, le rapporteur du comité précise qu’il s’agit de la police judiciaire « qui a pour objet de prévenir les délits, et non de la police qui administre les intérêts politiques et économiques de la cité »294. La police doit être exercée dans les villes, bourgs et villages au nom des municipalités295 et seuls les juges de paix sont appelés à trancher ces infractions mineures296. Rompant avec l’Ancien Régime, Bergasse défend le principe de gratuité de la justice pour tous les citoyens, ce qui implique la disparition des épices. Il expose les motivations de cette gratuité : « Car la justice est une dette de la société, et il est absurde d’exiger une rétribution pour acquitter une dette. De plus, si la justice n’était pas gratuite, elle ne pourrait être réclamée par celui qui n’a rien ; et afin que la liberté existe dans un empire, il faut que celui qui n’a rien puisse demander justice comme celui qui a […]. De plus encore, si la justice n’était pas gratuite, elle corromprait en quelque sorte elle-même son propre ministre ; le juge, voyant dans l’exercice de la justice un moyen d’acquérir, pourrait être tenté d’ouvrir son âme à l’avarice ; et un juge avare est toujours esclave de celui qui paie, et le tyran de celui qui ne peut pas payer »297. De façon très innovante, l’orateur propose un système d’assistance judiciaire pour les pauvres. Auprès de chaque tribunal ordinaire et cour suprême provinciale, un « bureau charitable de 289 Ibid., Titre II, art. 7, p. 447. Ibid., Titre III, art. 3, p. 447. 291 Ibid., Titre III, art. 5, p. 447. 292 Ibid., Titre III, art. 6, p. 447. 293 Voir infra, p. 54. 294 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, Titre IV, art. 1, p. 448. 295 Ibid., Titre IV, art. 2, p. 448. 296 Ibid., Titre IV, art. 3. Le juge de paix est aidé dans sa mission de police par quelques citoyens notables qui font fonctions d’assesseurs, cf. ibid., Titre IV, art. 6, p. 448. 297 Ibid., p. 442. 290 52 jurisconsultes et de citoyens recommandables par leur probité »298 doit voir le jour. Ces bureaux sont chargés d’examiner les causes des nécessiteux et de les conseiller gratuitement dans la poursuite de leurs droits. Par la suite, tout citoyen désargenté, auquel le bureau aura donné une consultation favorable, peut faire plaider sa cause par l’un des avocats du roi dans le tribunal ordinaire, ou par l’un des avocats généraux dans la cour suprême299. De même, quelle que soit sa localisation sur le territoire du royaume, le citoyen doit avoir facilement accès à la justice300. § 2 - La réforme des procédures et des peines criminelles Le rapport que Bergasse présente très tôt, dès le 17 août, n’a pas l’ambition de proposer une réforme exhaustive du droit pénal, il s’agit surtout de corriger au plus vite des abus manifestes. Au XVIIIe siècle, la rigueur de la procédure pénale issue de l’ordonnance de 1670 a concentré de nombreuses critiques dont les plus éminentes viennent de Montesquieu, Voltaire ou Beccaria. L’avocat lyonnais propose une nouvelle procédure criminelle destinée à renforcer les moyens de la défense. Afin que l’accusé ait confiance en la justice, son innocence doit être protégée par la loi. Dès lors, « il faut qu’il n’y ait aucune des formes employées à la découverte d’un délit et d’un coupable, qui ne soit également propre à procurer la justification de l’innocence »301. La règle selon laquelle tout prévenu doit être considéré comme innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable était depuis le XIIIe siècle l’un des principes fondamentaux de l’ancienne procédure savante302. Altéré par la possibilité de soumettre le prévenu à la question, ce principe n’a pas moins subsisté tout au long de l’Ancien Régime et Louis XVI le rappelle encore à la veille de la Révolution 303. Le discours de Bergasse ne pose donc pas une règle nouvelle mais allègue une évidence. La portée du rapport se ressent sur certains aspects de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 298 Ibid., Titre II, art. 10, p. 447. Ibid., Titre II, art. 11, p. 447. 300 Ibid., p. 442, « Car ce n’est pas assez que la loi soit égale pour tous ; afin que son influence soit bienfaisante, il faut encore que tous puissent l’invoquer avec la même facilité : autrement on verrait commencer la domination du fort sur le faible, et toutes les conséquences fatales qu’elle entraîne. Il convient donc que les tribunaux et les juges soient tellement répartis, que la dispensation de la justice n’occasionne que le moindre déplacement possible au citoyen, toutes les fois qu’il sera nécessaire qu’il se déplace, et que la perte de temps employé à l’obtenir ne soit jamais telle que le citoyen pauvre préfère le dépouillement ou l’oppression, à l’usage ou à l’exercice de son droit ». 301 Ibid., p. 443. 302 J.-M. Carbasse, Introduction historique au droit pénal, Paris, PUF, 1990, p. 317. 303 Ibid., p. 317. 299 53 que l’Assemblée est alors en train de discuter304. L’article 9 relatif à la présomption d’innocence témoigne de cette influence305. Contrairement à l’ordonnance criminelle de 1670 où le magistrat pouvait rejeter, en entier ou en partie, les moyens de la défense, le rapporteur déclare que l’accusé doit être « maître de choisir à son gré ses moyens de justification »306. Dans le même sens, l’accusé peut choisir un ou plusieurs conseillers pour sa défense307 et l’instruction des affaires civiles ou criminelles doit désormais être publique. Afin d’éviter les abus, l’action des juges doit être contrôlée par l’opinion publique qui n’est autre que « la censure des gens de bien, […] la première de toutes les puissances, celle qu’on ne corrompt jamais »308. Ainsi, il est essentiel qu’aucune facette de l’instruction ne demeure secrète. De surcroît, le magistrat qui est appelé à juger, à appliquer la loi, doit être distinct de celui qui prend le décret d’accusation, qui met sous la puissance de la loi309. Bergasse pose alors l’interdiction du cumul de l’instruction et du jugement par un même juge. Pour que la confiance dans la justice soit assurée, le fait que l’instruction soit menée à charge et à décharge ne suffit pas. Lors de la phase de jugement, l’établissement d’une procédure par jurés ou par pairs s’impose. Seuls les jurés peuvent se prononcer sur la culpabilité de l’accusé et le juge ne peut appliquer la loi qu’après que ces derniers l’ont déclaré coupable310. Pour justifier cette procédure qui satisfait « le vœu de la raison et de l’humanité »311, il emploie la métaphore classique du glaive de la justice qui traduit l’imperium du juge. De la sorte, l’auteur affirme que : « Semblable au glaive qui ne peut frapper qu’autant qu’il est mû par une force étrangère, le juge ne peut déployer l’autorité de la loi qu’autant qu’il est déterminé par une décision qui n’est pas de son ouvrage »312. Cet élément de procédure s’inspire directement des modèles anglo-saxons où le système du jury 304 F. Furet et R. Halevi, Les orateurs de la Constituante, op. cit., p. 1214. « Art. 9 : Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la loi ». 306 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 443. Il trouve même étrange que « dans un siècle de lumières, un abus si déplorable ait trouvé des panégyristes ». 307 Ibid., Titre III, art. 17, p. 448. 308 Ibid., p. 442. 309 Ibid., p. 443, « Tant que le magistrat qui décrète sera le même que celui qui juge, vous aurez toujours à craindre que, s’il a décrété sur de faux soupçons, son amour-propre ou sa prévention ne le portent à justifier, par une condamnation inique, un décret injustement lancé ». 310 Ibid., Titre III, art. 12, p. 447. 311 Ibid., p. 445. La raison (voir infra, p. 58) et l’humanité sont des principes particulièrement chers à Bergasse et souvent invoqués dans ses argumentations. A titre d’illustration, il prononce un Discours sur l'humanité des juges dans l'administration de la Justice criminelle dès 1773 pour la rentrée solennelle du présidial de Lyon. 312 Ibid., p. 443. 305 54 existe depuis longtemps313. Bergasse ne s’en cache pas lorsqu’il précise « qu’il n’est aucun des moyens dont nous parlons ici qui ne nous ait été fourni par la jurisprudence adoptée en Angleterre et en Amérique libre, pour la poursuite et la punition des délits ». Toutefois, il évoque une certaine idée de réformation, de retour à une pureté traditionnelle lorsqu’il affirme qu’« il n’y a que cette jurisprudence, autrefois en usage parmi nous, qui soit humaine ». Le 30 avril 1790, la Constituante poursuit son intention en créant des jurys d’instruction et de jugement en matière pénale. Logiquement, le principe de légalité remet en cause l’arbitraire des peines qui prévalait sous l’ancien droit. Le juge « automate » est tenu d’appliquer littéralement la peine prévue par la loi. Quelques jours plus tard, la Déclaration des droits de l’homme consacre la légalité des peines en son article 8314. De plus, l’orateur supprime la peine de confiscation des biens. Dorénavant, en cas de réparation d’un préjudice, seule une somme égale à l’estimation du dommage peut être prélevée sur les biens du condamné315. Bien qu’elle soit maintenue en tant que plus forte condamnation, le champ d’application de la peine de mort est largement restreint par le projet. Elle ne peut être prononcée exclusivement qu’en cas de meurtre ou de haute trahison316. Le 22 décembre 1789, le député Thouret introduit son discours en indiquant que « le rapport de M. Bergasse sur l’organisation du pouvoir judiciaire a obtenu les suffrages de l’Assemblée », et qu’ainsi le nouveau comité de constitution a « suivi les principes de ce rapport »317. Toutefois, ce comité aboutit à des solutions différentes parce qu’il considère avoir « trouvé des combinaisons plus favorables encore à la liberté publique »318. L’influence des idées portées par les constituants dépasse le cadre purement national. À titre d’illustration, en 2012 le ministère canadien de la justice affirme, sur son site internet, que les interventions sur la réforme de la justice de Bergasse, Duport et Thouret « conservent à bien des égards toute leur pertinence ». Il décide alors de publier en français, mais également pour la première fois en anglais, ces « réflexions dont le temps n'a pas émoussé l'intérêt » et ces textes d’une « incontestable importance »319. 313 Cf. L. de Carbonnières, « Tangentes ou parallèles ? Les destinées du jury français et du jury anglais (XVIIIeXXIe siècles) », Les cahiers de la justice, 2012-1, pp. 83-95. 314 « Art. 8 : La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». 315 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, Titre III, art. 22, p. 448. 316 Ibid., Titre III, art. 19 et 20, p. 448. 317 Ibid., t. 9, p. 718. 318 Ibid., p. 718. 319 Ministère canadien de la justice [en ligne], http://www.justice.gc.ca/fra/pi/gci-icg/rev1. 55 CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE Un roi qui règne et gouverne, deux chambres législatives qui proposent, discutent et votent la loi, un ordre judiciaire chargé de l’appliquer strictement, telle est la nouvelle organisation des pouvoirs proposée par Nicolas Bergasse. Si certaines institutions, comme les deux assemblées parlementaires, sont créées de toute pièce, d’autres, comme l’administration judiciaire, font l’objet d’une profonde rénovation. Le roi, maintenu dans sa place institutionnelle prééminente, doit désormais se cantonner à des fonctions exécutives et intervenir dans le processus législatif qu’au dernier moment pour consentir ou rejeter le texte adopté par les chambres. Ce projet ambitieux traduit une réelle volonté de réforme destinée à améliorer le système politique. Cependant, ces changements doivent se réaliser calmement, dans un esprit de concorde et de modération. Si la régénération de la monarchie passe d’abord par un nouvel agencement des pouvoirs, il importe ensuite de mettre en place un encadrement juridique inédit et stable se concrétisant sous la forme d’une Constitution. 56 DEUXIÈME PARTIE UN ORDRE CONSTITUTIONNEL INNOVANT : Encadrer la monarchie pour la régénérer Le 9 juillet 1789, sans contester l’existence des lois fondamentales, Mounier affirme : « Nous n’avons pas de constitution, puisque tous les pouvoirs sont confondus, puisqu’aucune limite n’est tracée »320. Cette définition particulièrement étroite de la norme suprême conduit les révolutionnaires à faire table rase de l’ordre ancien. Doter la France d’une nouvelle Constitution est alors la principale mission dont se charge l’Assemblée nationale. Pour Nicolas Bergasse, la norme suprême ne doit pas viser exclusivement à définir les règles d’accession et d’exercice du pouvoir mais doit également aspirer à une profonde transformation de la société. Loin d’être un simple acte de manifestation de la volonté générale, il faut que la Constitution repose sur des préceptes primordiaux destinés à guider la vie du nouveau régime (Chapitre I). Toutefois, l’auteur ne se restreint pas seulement à une réflexion théorique mais explique comment, concrètement, réaliser ce nouvel ordre constitutionnel et par quelles modalités garantir sa conservation à travers le temps et les différentes générations (Chapitre II). 320 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 214. 57 CHAPITRE I LA CONCEPTION DE L’ORDRE CONSTITUTIONNEL : LES PRINCIPES SUPÉRIEURS FONDANT LA NOUVELLE MONARCHIE La construction de tout édifice constitutionnel nécessite de solides fondements parfaitement définis. Ces soubassements idéologiques déterminent la nature du régime et guident ensuite l’action des gouvernants. Selon Bergasse, la souveraineté ne peut s’incarner dans une ou plusieurs personnes physiques ou morales, ni résulter de la manifestation d’une volonté quelconque. Ce droit exclusif d’exercer l’autorité politique doit relever d’une pure abstraction : la raison universelle (Section I). Concernant le régime politique, socle de toute société, le député lyonnais se révèle être un vigoureux défenseur du principe monarchique à condition que celui-ci soit purgé de ses maux et fasse triompher la liberté (Section II). SECTION I LA SOUVERAINETÉ DE LA RAISON UNIVERSELLE Confier la souveraineté politique au nébuleux et insaisissable concept que représente la raison universelle contraste fortement avec l’idéologie révolutionnaire qui proclame la souveraineté de la nation321. Pour l’avocat lyonnais et ses amis monarchiens, toute autorité politique souveraine s’exprime par l’adoption d’actes législatifs. Dès lors, si la raison est souveraine, la loi ne peut et ne doit être que son reflet (§ 1). Si sur le papier, la souveraineté de la raison et son expression par la loi semble parfaitement compréhensible, la mise en pratique de cette théorie apparaît nettement plus complexe à entreprendre. En conséquence, il importe alors de savoir où siège cette raison universelle et comment la faire émerger (§ 2). § 1 - La loi, expression de la raison universelle Le 15 juin 1789, Nicolas Bergasse déclare aux députés : « Il y a dans la raison une force souveraine, contre laquelle toutes les autres forces sont impuissantes »322. Plus tard dans son Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif dans une monarchie, l’auteur refuse la souveraineté royale, nationale ou populaire et affirme que « la loi, prise dans son acception la plus vraie, n'est que l'expression de la Raison 321 L’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose : « Le principe de toute souveraineté réside expressément dans la Nation ». 322 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 116. 58 universelle. Il n'y a que la Raison universelle qui ait le droit de commander ; c'est en elle seule que réside la souveraineté véritable »323. La loi ne doit être que la traduction d’un principe supérieur inhérent à tous les individus : la raison. Depuis l’Antiquité, le concept de raison fait l’objet de controverses. D’une part, une tradition qui remonte à Platon, Aristote, Kant et Hegel soutient l’existence d’une raison autonome et irréductible. D’autre part, ces prétentions sont vivement combattues par la sophistique, l’empirisme et le scepticisme324. Le terme de raison vient du latin ratio qui désigne la faculté de compter, d’organiser et d’ordonner. Il s’agit d’une attitude qui s’oppose aux mouvements irréfléchis de la passion, du cœur et du sentiment. Depuis Cicéron, le ratio sert également à traduire le terme grec de logos qui désigne le discours cohérent, l’énonciation sensée valable universellement325. La raison peut s’analyser comme ce qui existe en vérité et non ce qui est donné dans une opinion individuelle ou arbitraire326. L’homme est caractérisé par cette faculté rationnelle instinctive. Bergasse, ancien professeur de philosophie dans les collèges de l’Oratoire, charge la loi d’exprimer ce concept délicat et théorique afin de lui permettre une concrétisation. Déjà au XVIIe siècle, Malebranche, philosophe et prêtre oratorien, développe et justifie l’existence d’une raison universelle commune à tous les hommes, qu’il suffit d’aller chercher dans les profondeurs de son être327. Montesquieu, en 1748, déclare que « la loi, en général, est la raison humaine en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre ; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s’applique cette raison humaine »328. Ce lien direct entre la raison et la législation est pleinement repris par Nicolas Bergasse lorsqu’il énonce que « la loi est l'opposé de la volonté simple. Partout où il n'y a que volonté, il y a despotisme ; partout où il existe un accord de la raison et de la volonté, il y a 323 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., pp. 34-35. E. Weil, « Raison », in Encyclopaedia Universalis, Paris, Encyclopaedia Universalis, 1985, t. 15, p. 647. 325 Ibid., p. 641. 326 Ibid., p. 641. 327 En 1675, N. Malebranche explique cette notion dans De la recherche de la vérité : « Je vois, par exemple, que deux fois deux font quatre, et qu'il faut préférer son ami à son chien ; et je suis certain qu'il n'y a point d'homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi. Or je ne vois point ces vérités dans l'esprit des autres, comme les autres ne les voient point dans le mien. Il est donc nécessaire qu'il y ait une Raison universelle qui m'éclaire, et tout ce qu'il y a d'intelligences. Car si la raison que je consulte, n'était pas la même qui répond aux Chinois, il est évident que je ne pourrais pas être aussi assuré que je le suis, que les Chinois voient les mêmes vérités que je vois. Ainsi la raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-mêmes, est une raison universelle. Je dis : quand nous rentrons dans nous-mêmes, car je ne parle pas ici de la raison que suit un homme passionné. Lorsqu'un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur. Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas raisonnables, parce qu'elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la raison universelle que tous les hommes consultent » (Œuvres complètes, Paris, Sapia, 1837, t. 1, p. 325). 328 C. de Montesquieu, De l'esprit des lois, op. cit., t. 1, I.3, p. 128. 324 59 loi »329. Afin d’être acceptée et mise en application, la loi doit résulter de la rencontre de la raison universelle, commune à tous les hommes, et de la volonté du législateur. Celui-ci ne peut alors pas légiférer librement et dans n’importe quel domaine. Cette approche s’oppose radicalement à la conception révolutionnaire de la loi qui, conformément à l’idée développée par Rousseau, est « l’expression de la volonté générale »330. Contestant les théories du contrat social, Bergasse précise que l’homme n’a pas à inventer de nouvelles lois, il doit découvrir les règles raisonnables établies par Dieu : « La Loi qui veille sur les actions des hommes n’est pas, plus que la société, l'ouvrage des conventions humaines ; car la Loi ne peut avoir pour objet que d'empêcher que l'homme ne se développe d'une manière nuisible à lui-même et à ses semblables : elle est à l'homme, ce qu’est au jeune arbrisseau le tuteur qui ne lui est pas donné pour le contraindre dans sa croissance, mais uniquement pour qu'il se déploye dans les airs sous une forme plus régulière et plus heureuse. Elle ne seroit donc alors autre chose, que l'expression de cette raison universelle qui émane immédiatement de Dieu même, de cette raison qui agit en nous comme avec nous, pour diriger notre volonté vers le bien que nous désirons ; qui agit en nous, comme malgré-nous, pour détourner notre volonté du mal vers lequel nous sommes entraînés »331. Dès lors, il s’agit d’une raison divine, transcendante, qui n’a presque rien en commun avec la théorie kantienne de la raison fondée sur l’autonomie de la volonté. Le gouffre s’agrandit encore entre le positivisme juridique des révolutionnaires, qui rejettent la conception d’un droit idéal supérieur, et cet assujettissement de la loi humaine à des principes divins ou naturels. Ainsi, la position du législateur est absolument différente par rapport à la vision positiviste parce que l’action législative ne doit pas relever uniquement de la volonté mais aussi du discernement, de la clairvoyance et du savoir. Le pouvoir législatif doit donc être confié à une minorité d'hommes capables de discerner la voix de la raison. De surcroît, sa pensée est renforcée par ses convictions catholiques, la volonté humaine étant corrompue par le pêché originel332, celle-ci doit plier sous la volonté divine en se conformant à la raison. Lorsqu’elle n’est pas conforme à la raison, la loi perd son caractère sacré et voit sa force contraignante remise en cause. Témoignant d’une grande méfiance à l’égard du principe 329 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 35. Cette formulation est proclamée par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. 331 N. Bergasse, Observations du Sieur Bergasse sur l’Écrit du Sieur de Beaumarchais ayant pour titre : Court Mémoire en attendant l’autre, dans la cause du Sieur Kornmann, s. l., août 1788, pp. 48-49. 332 Cf. S. Rials, « La droite ou l'horreur de la volonté », Le Débat, 1985-1 n° 33, pp. 34-48. 330 60 majoritaire, le fait que la loi emporte la faveur d’un nombre important d’individus laisse indifférent le député de la sénéchaussée de Lyon : « Un million d'hommes rassemblés qui porteraient un décret contraire à ces maximes éternelles ne proclameraient pas une loi mais une injustice, et s'ils voulaient me contraindre à obéir à leurs décrets, je ne verrai dans cette contrainte qu'une force aveugle qui agit, et non pas une autorité légitime qu'il me faudrait respecter »333. Ainsi, il est nécessaire de distinguer la légalité, pur produit de la volonté, de la légitimité fondée sur la raison. Seule la seconde importe vraiment, la première ne revêt qu’un caractère accessoire. Une question se pose alors : si le texte adopté n’est pas conforme à la raison, donc illégitime, le citoyen est-il tenu d’y obéir ? Dans sa Lettre relative au serment de la Constitution adressée au président de l’Assemblée nationale le 7 février 1790, le député donne une brève réponse. Il écrit : « J’obéis à la loi quand elle eft fage, comme j’obéis à ma raison. Je m’y foumets quand elle ne l’eft pas, comme je me foumets à la néceffité »334. Il convient alors d’obtempérer tout en regardant toujours cette loi comme illégitime. Modéré, l’auteur refuse de prôner un droit de désobéissance civile susceptible de provoquer des troubles encore plus grands pour le royaume. Portalis, dans son fameux discours préliminaire sur le premier projet de code civil prononcé en 1801, poursuit cette approche de la législation en donnant une nouvelle définition du droit. « Le droit est la raison universelle, la suprême raison fondée sur la nature même des choses »335. En 1817, dans son Essai sur la loi, Nicolas Bergasse approfondit ses théories soutenues lors de la période révolutionnaire, en expliquant que la loi positive doit se fonder sur la loi essentielle ou naturelle d’origine divine. L’auteur précise alors que la loi essentielle « n’est autre chose que la raison suprême, ou Dieu même, produisant l’ordre dans l’univers »336 et que « la loi positive ne diffère pas au fond de la loi essentielle. Elle n’est que cette loi consentie par les hommes en société ou les peuples, comme règle universelle de conduite »337. Enfin, il rappelle : 333 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., pp. 34-35. N. Bergasse, Lettre relative au serment de la Constitution, Paris, 7 février 1790, p. 11. 335 J.-E.-M. Portalis, Discours, travaux et rapports inédits sur le code civil, Paris, Joubert, 1844, p. 15. De plus, le jurisconsulte (ibid., p. 15) poursuit son raisonnement en affirmant : « La raison, en tant qu’elle gouverne indéfiniment tous les hommes, s’appelle droit naturel, et elle est appelée droit des gens dans les relations de peuple à peuple ». 336 N. Bergasse, Essai sur la loi, sur la souveraineté et sur la liberté de manifester ses pensées, ou sur la liberté de la presse, Paris, Patris, 1817, p. 2. 337 Ibid., p. 4. 334 61 « Les hommes ne font pas la loi essentielle ; car la loi essentielle n’étant autre chose que la raison suprême, il est clair qu’elle ne saurait être leur ouvrage. Les hommes ne font pas davantage la loi positive ; ils cherchent la loi essentielle comme on cherche une vérité ; ils la trouvent en proportion des efforts qu’ils font pour la découvrir »338. La loi humaine doit alors résulter d’une découverte conforme à la loi essentielle, à la raison suprême, et non d’une création. Le commandement supérieur de la raison a seul le droit exclusif d'exercer l'autorité politique. Sous la Restauration, les doctrinaires soutiennent le concept assez proche de souveraineté de la raison et de la justice. Ainsi, Guizot en 1820 dans un ouvrage intitulé Du gouvernement de la France depuis la restauration et du ministère actuel écrit : « Je voudrais m’abstenir de toute discussion métaphysique. Je ne crois ni au droit divin, ni à la souveraineté du peuple comme on les entend presque toujours. Je ne puis voir là que les usurpations de la force. Je crois à la souveraineté de la raison, de la justice, du droit : c'est là le souverain légitime que cherche le monde et qu'il cherchera toujours ; car la raison, la vérité, la justice ne résident nulle part complètes et infaillibles. Nul homme, nulle réunion d’hommes ne les possède et ne peut les posséder sans lacune et sans limite »339. Il constate la faillibilité de tout pouvoir humain et en soumet l’exercice au respect de la raison et de la justice340. Le fossé qui sépare le droit positif du droit naturel est comblé par cette soumission de l'action du législateur à cette raison transcendante. Éclairée par la raison, la loi positive est naturellement respectueuse du droit naturel341. Proclamer que la loi doit résulter de la raison demeure hautement théorique, ainsi il convient maintenant de savoir comment, concrètement, Bergasse songe à la faire émerger et diffuser. § 2 - Les modalités d’émergence de la raison universelle. S’élevant contre le vertige volontariste dont sont pris les révolutionnaires, Nicolas Bergasse détaille sa théorie de la raison souveraine en envisageant divers moyens et procédés destinés à la faire émerger au sein de la communauté nationale. Si la loi est chargée d’exprimer la raison, celle-ci doit avant tout se trouver chez le législateur qui est alors investi d’une mission complexe. Dès le mois d’août 1788, dans un mémoire relatif à l’affaire 338 Ibid., p. 6. F. Guizot, Du gouvernement de la France depuis la restauration et du ministère actuel, Paris, Ladvocat, 1820, p. 201. 340 Cf. P. Pichot-Bravard, Conserver l’ordre constitutionnel (XVIe-XIXe siècle). Les discours, les organes et les procédés juridiques, Paris, LGDJ, 2011, p. 451. 341 Ibid., p. 453. 339 62 Kornmann, l’avocat considère que la confection de la loi doit être l’œuvre de plusieurs individus et non résulter d’une décision solitaire. Il souhaite ainsi que les passions inhérentes à chaque homme soient tempérées par le nombre et écartées au profit d’une raison commune : « Il est de l’essence de la Loi de ne pouvoir être l'ouvrage d'un seul ; car, tous les hommes sont appelés à consulter la raison universelle ; et néanmoins tous les hommes sont sujets à l'erreur ; et leur passion, et leurs préjugés, qui ne naissent que de leurs passions, les égarent sans cesse ; et l'auteur de la nature, en les réunissant en société, a voulu que, pour se garantir des erreurs qui peuvent leur nuire, ils s’instruisent, ils se perfectionnassent les uns par les autres ; qu’ils unissent leurs intelligences et leurs volontés, afin d’arriver ensemble aux vérités qu’il leur importe de connoître. Pour que la Loi, dans la société, fût l'ouvrage d'un seul, il faudroit donc que cet être, appellé à faire la Loi, fût d'une espece différente des autres hommes ; qu’il ne connut pas l'empire des passions ; que la raison universelle le détermina toujours ; et qu’uniquement, en exprimant sa volonté, il opérât, dans toutes les ames, cette conviction intime que la raison universelle, clairement manifestée, ne manque jamais de produire. Or, parce qu’un tel être n’existe pas, parce que la raison universelle est le bien de tous les hommes, n’est-il pas de toute évidence que, pour que la Loi soit, autant qu’il est possible, l’expression de cette raison universelle, elle ne doit être que le produit de l’expérience de tous, 342 que le résultat d’une délibération commune » ? La raison ne peut émerger que si l’instance législative est assurée d’une manière collégiale par une pluralité d’hommes. C’est justement ce qu’il imagine dans sa nouvelle organisation des pouvoirs où les deux chambres du Parlement sont composées de nombreux et différents individus. Par conséquent, dans cet ouvrage dédié à Louis XVI, l’avocat lyonnais s’oppose ouvertement à la souveraineté législative royale ! Plus tard, lorsqu’il soutient la transformation des États généraux en Assemblée nationale, Bergasse espère que ce vaste organe collégial adoptera des décisions conformes à la raison. Le 15 juin 1789, confiant et optimiste, il déclare aux députés : « Comme vous ne parlerez que le langage de la raison la plus pure, vous ne devez douter ni de l’effet que vous produirez, ni des conséquences heureuses qui résulteront pour le prince et la nation »343. Au sein de la pensée des monarchiens, les rapports entre la notion de volonté générale, dégagée par Rousseau, et le concept de raison apparaissent difficiles à appréhender. Guillaume Bacot explique que le passage de la théorie de la volonté générale à celle de la souveraineté de la raison s’est réalisé progressivement344. Dans une première phase, qui 342 N. Bergasse, Observations du Sieur Bergasse sur l’Écrit du Sieur de Beaumarchais…, op. cit., p. 49. AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 116. 344 G. Bacot, « Les fondements juridiques des constructions politiques des monarchiens », RRJ, 1991-3, p. 640. 343 63 commence dès le début de leur engagement politique, les monarchiens insistent sur la subordination de cette volonté des citoyens à la raison345. Bien qu’il n’ait jamais accepté le concept de volonté générale, Bergasse s’essaye, en 1789, à une habile conciliation entre les deux abstractions : « Pourquoi donc dîtes-vous que la loi est l’expression de la volonté générale ? Parce que la volonté vraiment générale est toujours une volonté conforme à l’intérêt de l’humanité entière, et que tout ce qui convient à l’intérêt de l’humanité n’est jamais en opposition avec la raison. Ainsi vous ne définissez la loi l’expression de la volonté générale que parce que la volonté générale manifestée ne peut être autre chose que l’expression de la raison »346. Cette confusion entre les deux notions oblige la volonté générale à être conforme à la raison universelle tout en la condamnant à ne rien pouvoir faire d’autre qu’exprimer cette raison. Ainsi, par une apparente tentative de compromis, Bergasse emprisonne la conception rousseauiste de la loi dans un cadre étouffant destiné à la vider de son sens initial. Le 8 août 1791, Malouet en vient alors à considérer que « même dans le système de Rousseau la loi serait mieux définie, l’expression de la justice et de la raison publique ; car la volonté générale peut être injuste et passionnée, et la loi ne doit jamais l’être »347. Dès lors, dans une seconde période, les monarchiens vont de plus en plus mettre l’accent sur l’opposition de la volonté générale à la raison, au point de réprouver radicalement le concept élaboré par le citoyen de Genève348. Souhaitant « démontrer la fausseté d’une opinion encore trop généralement adoptée »349, Bergasse récuse la définition de la loi comme expression de la volonté générale : « Je ne sais pas s’ils se sont bien compris eux-mêmes, lorsqu’ils nous ont parlé de la volonté générale. Il me semble qu’il n’est pas besoin de réfléchir long-temps sur la nature de la volonté, pour demeurer convaincu qu’elle est essentiellement individuelle ou personnelle. Chaque homme a sa volonté propre, comme il a son intelligence et sa pensée ; et je ne pourrois croire à la volonté générale, qu’autant que sous toutes les intelligences, quelle qu’en soit la diversité, Dieu pour les mouvoir, n’auroit placé qu’une volonté unique. Or, comme il n’en est pas ainsi, qu’est-ce donc que cette volonté générale dont on nous parle tant, sinon une volonté entraînante ou dominante, qui empêche les autres volontés moins énergiques de se produire »350 ? 345 Ibid., p. 640. N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 35. 347 AP, 1ère série, op. cit., t. 29, p. 276. 348 G. Bacot, « Les fondements juridiques des constructions politiques des monarchiens », op. cit., pp. 640-641. 349 N. Bergasse, Essai sur la loi…, op. cit., p. 37. 350 Ibid., p. 38. 346 64 Abandonnant rapidement tout lien quelconque avec la volonté générale, Bergasse énonce que la raison pourrait siéger chez certains individus particulièrement stables et réfléchis : les propriétaires fonciers. En effet, « lorsque la profession dominante est presque exclusivement chez un peuple la profession agricole, c’est en général aux chefs de famille propriétaires du sol qu’il appartient de consentir les lois »351. Les propriétaires, solidement ancrés dans leurs territoires, constituent des hommes peu enclins aux changements aveugles et aux affections passagères. Leurs intérêts particuliers sont présumés coïncider avec l’intérêt commun. Réunissant la sagesse et les lumières de la nation, ils sont chargés de faire lentement mûrir les décisions politiques afin d’exprimer la voix de la raison. On comprend alors davantage pourquoi Bergasse souhaite circonscrire la qualité d’électeur et d’éligible aux seuls propriétaires fonciers352. La richesse mobilière, n’accordant pas les mêmes garanties de stabilité, est délibérément écartée. Les populations laborieuses et incultes dont les sentiments déraisonnables font le jeu des démagogues doivent également être tenues à l’écart. « Opprimée depuis longtemps et vraiment malheureuse, la partie la plus considérable de la nation est hors d’état de s’unir aux combinaisons morales et politiques qui doivent nous élever à la meilleure constitution »353 explique Malouet à la tribune le 1er août 1789. Il convient de remarquer que selon Bergasse, les propriétaires ne constituent en aucun cas les titulaires de la souveraineté, ils exercent simplement une fonction politique. Formant, en quelque sorte, les représentants de la raison universelle, ces hommes fixes et dignes de confiance sont appelés à légiférer en son nom. Bien que promus au rang d’organe privilégié de la raison souveraine, les propriétaires doivent en définitive lui demeurer soumis. Dès lors, il faut découvrir un moyen qui donne l’assurance que c’est bien la raison qui prévaut toujours dans leurs délibérations354. L’opinion publique, « première de toutes les puissances, la seule à laquelle on ne résiste pas »355, apparaît comme un moyen efficace contribuant vivement à l’émergence de la raison souveraine. Dans son discours du 15 juin 1789, Bergasse lance aux députés : « Ce n’est que par l’opinion publique que vous pouvez acquérir quelque pouvoir pour faire le bien ; vous savez que ce n’est que par elle que la cause si longtemps désespérée du peuple a 351 Ibid., p. 43. Voir supra, p. 33. 353 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 323. 354 G. Bacot, « Les fondements juridiques des constructions politiques des monarchiens », op. cit., p. 644. 355 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 76. 352 65 prévalu ; vous savez que devant elle toutes les autorités se taisent, tous les préjugés disparaissent, tous les intérêts particuliers s’effacent »356. L’opinion publique évolue en toute liberté puisqu’elle n’est contrainte par aucune règle ni limitée par aucune procédure. Elle se présente alors comme une force absolue, irrésistible et particulièrement profitable à la société. Même le roi ne peut longtemps lui tenir tête, par conséquent le doter d’un veto indéfini se révèle dépourvu de tout danger357. D’une manière suggestive, Bergasse relie directement le concept d’opinion et celui de souveraineté en demandant aux partisans des idées de Rousseau : « Je voudrais beaucoup que vous examinassiez si ce n’est pas dans l’exercice de l’opinion publique que consiste la souveraineté d’un grand peuple »358. La Constitution doit garantir à cette opinion, « résultat uniforme et tranquille de toutes les intelligences et de toutes les volontés »359, une pleine indépendance. Il importe qu’elle soit mise hors de portée de toute éventuelle corruption puisque c’est là que réside sa principale singularité avec une opinion individuelle : « Toute opinion qu’on fait est une opinion corrompue : l’opinion publique dans mon système n’est pas corrompue, parce qu’on ne peut la faire »360, affirme le député lyonnais. « L’opinion publique n’est tout ce qu’elle doit être, elle ne devient l’expression naturelle de la vérité, qu’autant qu’elle est parfaitement libre »361. Or elle n’est libre « qu’autant qu’elle se développe d’une manière douce et tranquille, croissant comme la lumière du jour, s’étendant, pour ainsi dire dans les esprits, comme celle-ci s’étend dans l’espace, par un mouvement toujours uniforme et paisible »362. En utilisant cette métaphore, Bergasse démontre la confiance aveugle qu’il porte à son concept d’opinion publique. Concrètement, il confie le soin d’éveiller et de cultiver l’opinion publique à la presse, d’où la nécessité que celle-ci soit libre363. S’épanouissant sans précipitation, cette opinion supérieure permet aux idées de se développer lentement et favorise inéluctablement le triomphe de la raison. Enfin, la dernière condition d’un exercice raisonnable du pouvoir semble être, comme pour tous les monarchiens, l’existence d’institutions stables et équilibrées. Ainsi que le confirme Mounier le 4 septembre 1789, « on n’a jamais pu imaginer d’autres moyens pour faire prévaloir la raison, que de faire passer les résolutions par diverses obstacles »364. 356 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 118. Voir supra, p. 24. 358 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 76. 359 Ibid., p. 77. 360 Ibid., p. 77, note 1. 361 Ibid., p. 70. 362 Ibid., p. 70. 363 Voir infra, p. 73. 364 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 563. 357 66 Bergasse considère que son nouvel agencement des pouvoirs doit permettre à la souveraineté de la raison de se déployer au sein de la société. Cette organisation harmonieuse des institutions est censée prévenir les éventuels excès du pouvoir. Foncièrement opposé à la souveraineté populaire, il n’imagine pas que la raison puisse résider dans le peuple. Toutefois, le consentement de celui-ci à la loi positive, notamment par le biais de ses représentants à la Chambre basse, demeure indispensable. Mais il convient alors de préciser que « ce n’est pas précisément parce que les peuples la consentent, mais parce qu’ils la reconnoissent par ce consentement comme l’expression de la raison essentielle, qu’elle est obligatoire »365. Demeurant incapable d’exprimer la voix de la raison, le peuple peut tout au plus reconnaître qu’une mesure est conforme ou non à cette valeur universelle. SECTION II L’IDÉAL D’UNE MONARCHIE LIBRE Les révolutionnaires abattent l’antique ordre constitutionnel de la monarchie. Le député de la noblesse Bureau de Pusy déclare le 27 août 1789 : « Le colosse gothique de notre ancienne constitution est enfin renversé »366. Mais sur quelles bases faut-il reconstruire le pays ? Inspiré par le principe supérieur de la raison universelle, Bergasse témoigne d’une certaine prudence et d’une constante modération. À l’instar de l’écrasante majorité des constituants, il ne conçoit pas que la France puisse revêtir un autre régime politique que la monarchie (§ 1). En revanche, la place de l’individu dans l’État et dans la société doit être intégralement remaniée. L’avocat reconnaît alors aux hommes certaines libertés, trop longtemps bafouées sous l’Ancien Régime, indispensables à l’épanouissement de l’individu dans la société (§ 2). § 1 - L’attachement au régime monarchique À travers ses écrits, Nicolas Bergasse réalise une typologie des régimes politiques en distinguant, classiquement, trois formes de gouvernement : l'aristocratie, la république et la monarchie. Si le premier est décrit tel un régime méprisable et dangereux, les deux derniers apparaissent comme des systèmes respectables où il fait bon vivre. Le publiciste définit l'aristocratie comme « le gouvernement de plufieurs qui réuniffent dans leurs mains, fans être tenus à aucune efpèce de refponfabilité, ou deux des trois pouvoirs indépendants qui doivent fe trouver dans la conftitution, ou les trois pouvoirs enfemble »367. Étymologiquement, 365 N. Bergasse, Essai sur la loi…, op. cit., p. 8. AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 492. 367 N. Bergasse, Discours sur les crimes…, op. cit., p. 33. 366 67 l’aristocratie se comprend pourtant comme le « gouvernement des meilleurs ». Ce mot, conçu à partir de l’association des termes grecs aristos qui signifie « le meilleur » et krateîn qui se traduit par « commander », est utilisé dès l’Antiquité notamment par Aristote. Le terme signifiant d’abord une excellence morale et politique va décliner à partir du XVIIIe siècle. En rédigeant L’Esprit des lois, Montesquieu définit l’aristocratie de façon très vague, il parle simplement d’« une partie du peuple »368. Bergasse discerne trois sortes d'aristocraties. En premier lieu, il y a l'aristocratie qui dispose du pouvoir législatif et exécutif. Si elle est contenue dans ses bornes, celle-ci est la moins dangereuse de toutes parce qu'elle ne possède pas le pouvoir judiciaire qui permet, par le biais des jugements, de blesser au plus près la liberté des hommes369. En deuxième lieu, il y a celle qui dispose du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire. Ce régime est funeste et nuisible à la liberté car « lorfqu'on fait des loix et qu'on juge en même-temps, on fait des loix felon les jugements qu’on veut porter »370. En troisième et dernier lieu, il existe la pire de toutes les aristocraties : celle qui dispose des trois pouvoirs. Le gouvernement, particulièrement instable, ne s'appuie alors sur aucune base solide et étouffe la liberté. Ne cherchant jamais à écouter la raison, le régime obéit à « tous les vents des paffions »371, « tantôt facrifiant le peuple aux puiffants, celui qui n’a rien à celui qui a ; tantôt immolant les puiffants aux peuples, les riches aux pauvres »372. Pour illustrer cette terrible forme d'aristocratie, l’auteur prend pour modèle le « defpotifme asiatique ; orageuse comme lui, tour à tour timide et violente »373. À l’inverse, la république et la monarchie forment les « deux feules efpèces de gouvernemens libres qui puiffent exifter »374. Ces régimes présentent d’importantes similitudes puisqu’« au fond, les principes de ces deux gouvernements font les mêmes, parce qu'il n'y a pas deux manières de gouverner les hommes pour les rendre libres et heureux »375. Sur tous les aspects d’organisation, de fonctionnement des institutions et de limitation des pouvoirs, ces deux systèmes apparaissent semblables. La seule grande différence réside dans le mode d'exercice du pouvoir exécutif. En république, « le pouvoir exécutif eft confié à un ou plufieurs chefs amovibles »376, alors qu'en monarchie il repose entre les mains d'un prince électif ou héréditaire. La classification réalisée par Bergasse n’est pas spécialement novatrice. 368 J. Chanteur, « Aristocratie », in P. Raynaud et S. Rials (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, Paris, PUF, 2003, p. 27. 369 N. Bergasse, Discours sur les crimes…, op. cit., p. 33. 370 Ibid., p. 33. 371 Ibid., p. 34. 372 Ibid., p. 33. 373 Ibid., p. 33. 374 Ibid., p. 10. 375 Ibid., p. 10. 376 Ibid., p. 10. 68 Effectivement, au XVIIe siècle, le philosophe anglais Thomas Hobbes simplifie le modèle antique et différentie trois régimes : la démocratie, l’aristocratie et la monarchie. En 1748, Montesquieu opère une nouvelle classification tripartite377. Il distingue la république qui peut être soit démocratique, si le pouvoir est exercé par l’intégralité du peuple ; soit aristocratique, s’il est exercé par seulement une partie du peuple. La monarchie se caractérise par l’exercice de la souveraineté par un seul et par l’existence de lois fixes et établies. Dans le despotisme, l’absence de règles conduit un seul à régner de manière illimitée. Bergasse reprend partiellement ces différentes typologies en les adaptant aux spécificités de ses opinions politiques. Il emploie le terme d’« aristocratie » dans un sens détourné et inhabituel qui ressemble davantage au despotisme développé par Montesquieu qu’au gouvernement des meilleurs. Sous cette dénomination, il réunit en fait de façon extensive tous les régimes n’appliquant pas une stricte séparation des pouvoirs et ne garantissant alors pas la liberté à ses citoyens. En précisant qu’il ne connait « que deux efpeces de conftitution ; la conftitution républicaine et la conftitution monarchique », Bergasse montre qu’il est impossible de parler de constitution pour un gouvernement aristocratique qui méconnait la séparation des pouvoirs. Par conséquent, sa conception se trouve tout à fait similaire à celle exposée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ». Sans hésitation, le représentant de la sénéchaussée de Lyon considère que la France ne peut être qu’une monarchie héréditaire. En effet, depuis Philippe II Auguste qui refusa de recourir à l’élection et au sacre anticipé de son fils, le futur Louis VIII, la règle de la transmission héréditaire de la couronne s’est imposée. Les constituants ne souhaitent pas revenir sur les lois fondamentales de succession au trône et vont même jusqu’à officialiser ces principes coutumiers en les inscrivant dans la Constitution de 1791378. Bien que le régime idéal à la France demeure la monarchie, celle-ci a subi sous l’Ancien Régime des abus et des dérives néfastes qu’il convient de corriger. Ainsi, Mounier affirme le 13 juillet 1789 : « Le Roi a convoqué les États généraux pour la régénération du royaume »379. Selon Bergasse, il ne s’agit pas pour autant de refonder complètement les bases de la société. Contrairement aux autres membres du courant monarchien, l’avocat s’oppose ouvertement, et dès 1789, aux 377 C. de Montesquieu, De l'esprit des lois, op. cit., t. 1, II.1, p. 131 : « Il y a trois espèces de gouvernements ; le RÉPUBLICAIN, le MONARCHIQUE et le DESPOTIQUE ». 378 Titre III, Chap. II, Section I, art. 1, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 44 : « La Royauté est indivisible, et déléguée héréditairement à la race régnante de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance ». 379 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 223. 69 théories du contrat social mises en exergue par Hobbes, Locke et Rousseau. Il conteste farouchement cette idée dominante du XVIIIe siècle en affirmant « que la société n’est pas l’ouvrage de notre volonté, qu’elle résulte immédiatement de l’existence et de la nature des facultés de l’homme »380. À l’inverse, les autres monarchiens admettent le caractère fondateur du contrat social mais en déforment dès le départ la signification classique en insistant sur son ancienneté381. Ainsi, Clermont-Tonnerre précise que « l’état de la société résulte d’un contrat par lequel l’homme se donne tout entier à la société qui se voue toute entière à la conservation de celui qui s’est donné »382, et Mounier souligne l’antériorité du contrat lorsque, le 9 juin 1789, il explique à l’Assemblée que « les Français ne sont pas un peuple nouveau sorti récemment du fond des forêts, pour former une association »383. Quoi qu’il en soit, le nouveau texte constitutionnel ne satisfait guère les monarchiens. Nicolas Bergasse ne reconnaît pas dans ce régime une véritable monarchie qui conduirait au triomphe de la liberté. En effet, dans une lettre du 7 février 1790, il refuse de prêter serment à la Constitution en expliquant à Bureau de Puzy, président de l’Assemblée nationale : « Vous n’avez pas fait une conftitution monarchique ; car le propre de la conftitution monarchique eft que le prince en foit une partie tellement intégrante, qu’elle ne puisse marcher sans lui ; & dans votre conftitution, le prince n’eft essentiel à rien, &, […] fi demain il vous plaifoit de l’en bannir, les chofes étant arrangées ainfi que vous l’avez imaginé, n’en iroient 384 pas moins bien, & peut-être mieux » . Selon l’auteur, le texte ne fonde pas non plus un régime républicain : « Vous n’avez pas fait de conftitution républicaine, car le propre d’une conftitution républicaine eft que le pouvoir suprême, d’où émanent tous les autres pouvoirs, ne foit pas tellement concentré dans un feul corps, qu’il puiffe impunément les faire mouvoir & les appliquer à fon gré ; & vous ne pouvez nier que vous avez tellement concentré tous les pouvoirs fuprêmes dans votre affemblée légiflative unique, que de quelque manière qu’elle 380 N. Bergasse, Lettre sur les États-Généraux, op. cit., p. 7. Dans le même sens, Bergasse (Réflexions sur les nouveaux édits, Bretagne, 1788, p. 8) écrit : « La fociété n’eft pas l’ouvrage des conventions humaines, elle eft un réfultat néceffaire des facultés que l’homme a reçues de l’auteur de la nature ; c’eft parce que ces facultés ne font relatives qu’à l’état focial ; c’eft parce qu’il ne peut les développer pour lui-même, qu’autant qu’il les développe pour fes femblables, qu’il eft appelé à vivre en fociété, & que cet ordre de chofes eft effentiellement celui de fon efpece ». 381 G. Bacot, « Les fondements juridiques des constructions politiques des monarchiens », op. cit., p. 611. 382 S. Clermont-Tonnerre, Analyse raisonnée de la constitution française (1791), Œuvres complètes, Paris, Letellier, 1795, t. 4, p. 140. 383 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 215. 384 N. Bergasse, Lettre relative au serment de la Constitution, op. cit., p. 5. 70 agiffe, en mal comme en bien, il est impossible de lui oppofer une réfiftance politique, & de modérer au befoin, ou de rompre fes efforts »385. Or, la monarchie et la république sont les deux seuls modes de gouvernement qui peuvent instaurer une société libre et heureuse parce que « tout le refte, de quelque forme qu’on le décore, n’eft que defpotisme ou anarchie »386. Dès lors, en rassemblant la majorité des prérogatives importantes entre les mains d’une seule assemblée, la Constitution « n’offre qu’une confusion monftrueuse de pouvoirs »387 et contient « les germes de celle des trois ariftocraties que vous reconnoiffez comme la plus formidable et la plus défaftreufe »388. Si la structure monarchique apparaît la plus adéquate à la France, il importe également que l’existence de certaines libertés soit dorénavant proclamée et assurée. § 2 - La reconnaissance de libertés essentielles La restauration des libertés individuelles et collectives se manifeste comme le fil conducteur de toute la pensée politique de Nicolas Bergasse. Dans son discours relatif à la limitation des pouvoirs, il considère que les opinions modérées telles que les siennes sont « les seules qui puissent amener une liberté véritable »389. Dès la fin des années 1780, il profite de l'affaire Kornmann pour dénoncer violemment le « pouvoir arbitraire » de la France d’Ancien Régime et exige qu’on rende « à l’homme & à la terre leur liberté primitive »390. Son édifice constitutionnel, destiné à limiter réciproquement les pouvoirs, a pour principal objectif d’établir et de maintenir ces libertés. Ainsi, il explique : « Quel que soit l’appareil d’une constitution, en dernière analyse, son but unique est la garantie de la liberté individuelle. Tous les pouvoirs dont une constitution se compose ne doivent donc être organisés que relativement à la liberté individuelle, et ils seront toujours mal 385 Ibid., pp. 5-6. Ibid., p. 5. 387 Ibid., pp. 4-5. 388 N. Bergasse, Discours sur les crimes…, op. cit., p. 34. 389 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 4. De même, il précise (ibid., pp. 85-86) : « Si je tiens à mes idées, c’est parce que j’aime sincèrement la liberté, c’est parce que je crois fortement que dans une monarchie héréditaire, et dans un grand empire, la liberté ne peut exister hors du système politique que je vous propose ». 390 N. Bergasse, Observations sur le préjugé de la noblesse héréditaire, Londres, 1789, p. 48. Le degré de hauteur pris par Bergasse dans l’affaire Kornmann, dont les faits sont pourtant très ordinaires, lui est vigoureusement reproché par un opposant anonyme (Lettre d’un Magistrat de Province à M. Bergasse…, op. cit., p. 2) : « En plaidant dans une cause qui n'est au fond qu'une querelle de ménage, vous avez pris le ton d'un Législateur des Empires ; vous avez cherché vos épigraphes et vos textes dans l'Ancien Testament ; et vous avez pensé, sans doute, que les Français obéiront à votre voix comme les hébreux à la voix de Moïse ». 386 71 organisés tant que, dans le système de leur combinaison, cette liberté pourra courir quelques risques »391. Une constitution se définit alors comme une sûreté contre l’arbitraire politique, un instrument au service de la liberté. Cette analyse semble très proche des positions prônées par le penseur libéral Benjamin Constant qui en 1797, dans Des réactions politiques, écrit : « Une constitution est la garantie de la liberté d’un peuple : par conséquent, tout ce qui tient à la liberté est constitutionnel, et, par conséquent aussi, rien n’est constitutionnel de ce qui n’y tient pas »392. Suivant Bergasse, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire « influent d'une manière plus particulière sur la liberté de l’individu »393. Ils peuvent compromettre ou protéger son développement et doivent donc être agencés avec un soin particulier. « Ces pouvoirs nuiront à la liberté toutes les fois qu'ils se confondront : ils serviront la liberté toutes les fois qu'ils seront distincts. Ils serviront encore la liberté toutes les fois qu’ils seront maintenus les uns par les autres dans de telles limites qu’ils ne pourront jamais agir que conformément à leur nature »394. Ainsi, selon l’avocat lyonnais, le règne de la liberté n’est assuré que par la distinction constitutionnelle des pouvoirs. Cette approche n’est pas proprement originale parce qu’elle correspond à l’esprit du temps. En effet, Stéphane Rials constate que pour les principaux rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la garantie des droits résulte mécaniquement d’un bon agencement constitutionnel395. Cependant, Bergasse considère, en 1791, que le projet de constitution « ne favorise pas plus la liberté des individus que la liberté de la Nation ; […] dans ses rapports avec la liberté, il n’est autre chose qu’un code de despotisme mal-adroitement rédigé ». Le texte, en séparant insuffisamment les pouvoirs, ne peut pleinement favoriser et maintenir la liberté essentielle aux individus. En conséquence, le projet ne remplit pas les conditions d’une constitution et ne peut être qualifié comme telle. Sans en donner une définition précise, Bergasse propose un fractionnement de la liberté personnelle. En effet, dans son Rapport sur l’organisation du pouvoir judiciaire, il distingue la liberté politique qui se définit par « la faculté qu’a tout citoyen de concourir, soit 391 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., pp. 10-11. B. Constant, De la force du gouvernement actuel et de la nécessité de s’y rallier (1796). Des réactions politiques (1797). Des effets de la Terreur (1797), Paris, Boucher, 2002, p. 106. 393 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 11. 394 Ibid., p. 11. 395 S. Rials, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Hachette, 1988, pp. 375-376. 392 72 par lui-même soit par ses représentants, à la formation de la loi »396 et la liberté civile qui consiste dans « la faculté qu’a tout citoyen de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi »397. Les constituants retiennent cette différenciation en offrant la liberté civile à tous les citoyens mais en réservant la liberté politique aux seuls citoyens actifs. L’avocat lyonnais ne cherche pas à établir un descriptif exact et rigoureux des libertés qu’il souhaite voir reconnaître, il s’agit davantage d’un esprit général de libéralisation de la société. Toutefois, il porte une attention toute particulière à la liberté de la presse, éternel cheval de bataille qu’il plaidera jusqu’à la fin de sa vie. L’opinion publique, qui joue un rôle absolument fondamental dans la pensée de Bergasse398, se nourrit et s’épanouit directement sous l’influence de la presse. De la sorte, « il n’y a pas de véritable opinion publique sans liberté de la presse, et […] la constitution où la liberté de la presse est la plus assurée, est aussi celle où l’opinion publique se développe avec plus de facilité et d’énergie »399. En s’appuyant encore une fois sur le modèle britannique, l’auteur explique que la liberté de la presse ne peut se réaliser que si les pouvoirs exécutif et législatif sont autonomes et réciproquement limités400. Le député est d’autant plus attaché à la libre expression des idées qu’il participe parfois à la rédaction de l’organe de presse défendant la monarchie : les « Actes des Apôtres »401. De même, ses publications constituent, pour lui, l’unique moyen de s’adresser directement à l’opinion publique, notamment pour faire appel des dangereuses décisions de l’Assemblée. Nonobstant son attachement à la liberté de la presse, Bergasse ne l’a conçoit pas de manière complètement illimitée. En effet, celle-ci trouve ses bornes dans la protection de certaines valeurs morales ou religieuses. Il ne faut pas permettre à l’opinion publique d’être influencée par des brochures subversives ou des publications provocatrices. Dans son projet de Constitution disparu, le conseiller du roi présente alors une magistrature spéciale : la censure. En 1817, dans son Essai sur la loi, il rapporte l’existence de cette institution en précisant que les censeurs devaient garantir « de toute atteinte la religion, la morale et les mœurs, ils avaient les yeux constamment ouverts sur ce qui pouvait les altérer »402. Tout comme le ministère public des tribunaux, « ils jouissaient du droit d'arrêter le cours des écrits, de dénoncer les auteurs qui, relativement à ces divers objets, leur paraissaient répréhensibles »403. Ces 396 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 441. Ibid., p. 441. 398 Voir supra, p. 18, p. 24, p. 54, p. 65. 399 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 75. 400 Ibid., p. 75 : « Combien il me seroit aisé de prouver qu’en angleterre, par exemple, ce n’est qu’à l’indépendance, et à la limitation réciproque de ces deux pouvoirs qu’on doit cette liberté de la presse dont nous célébrons avec tant de raison les avantages ». 401 J.-P. Bertaud, Les amis du Roi…, op. cit., p. 29. Si certains rédacteurs de ce journal penchent pour le maintien de l’absolutisme, d’autres prônent, à l’image de Bergasse, une monarchie constitutionnelle. 402 N. Bergasse, Essai sur la loi…, op. cit., p.128. 403 Ibid., p. 128. 397 73 magistrats des mœurs ne peuvent empêcher directement la publication des ouvrages, cette prérogative appartenant exclusivement au juge « car c’est peu de punir l’erreur, il faut la combattre »404. Cette magistrature devant être particulièrement indépendante de toutes influences extérieures, un censeur ne peut être destitué « qu’après un jugement qui l’aurait déclaré coupable d’avoir prévariqué dans ses fonctions »405. Puisque seule la fonction judiciaire dispose du droit de relever un censeur, celui-ci agit de façon autonome en dehors de tout arbitraire politique. Au regard de l’importante responsabilité qui découle de sa mission, cette censure suprême ne doit être confiée qu’à des personnes l’ayant longuement mérité. De surcroît, l’auteur compte protéger cette instance de toute corruption en imposant qu’une fois le poste acquis, on ne puisse « plus prétendre à une autre place. Or c’est toujours l’espérance d’être mieux qui corrompt »406. Afin que la liberté soit effective, celle-ci doit s’accompagner d’une certaine égalisation des conditions entre les citoyens. Dès la période prérévolutionnaire, l’avocat lyonnais défend une suppression partielle de la distinction des trois ordres et de « toutes les conséquences déplorables qu’elle entraîne »407. En effet, les privilèges et les ordres favorisent inéluctablement le régime aristocratique qui est « le plus grand ennemi de la liberté »408. Il va même jusqu’à considérer que « la distinction des ordres est la cause cachée de tous les malheurs de la monarchie depuis plusieurs siècles, le principe générateur de tous les abus, l’éternel obstacle à toutes les révolutions utiles »409. Aucune discrimination fondée sur la naissance ne peut être tolérée en ce qui concerne les peines criminelles, les impôts et l’accès à la fonction publique. En effet, les monarchiens haïssent toutes formes de privilèges qui figent définitivement les situations personnelles410, mais souhaitent toutefois l’existence de certaines différenciations sociales. Dans son discours du 15 juin 1789, Bergasse résume cette volonté de compromis entre distinction et mobilité sociale : « Il faut des dignités, des rangs dans une monarchie ; mais des dignités, des rangs qui soient accessibles au mérite, partout où il pourra se trouver ; mais des dignités, des rangs qui ne puissent pas heurter la liberté commune, en devenant trop exclusivement l’apanage d’un petit nombre de citoyens »411. 404 Ibid., p. 128. Ibid., p. 128. 406 Ibid., p. 128. 407 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 115. 408 Ibid., p. 115. 409 Ibid., p. 118. 410 G. Bacot, « Les fondements juridiques des constructions politiques des monarchiens », op. cit., p. 620. 411 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 116. 405 74 Dans la monarchie régénérée, les distinctions sociales ne peuvent se justifier que par l’effort individuel et le rendu de services exceptionnels à la nation. Seul le mérite doit permettre de progresser dans le système hiérarchique et la naissance ne doit en aucun cas constituer un empêchement. Cette conception foncièrement réformatrice semble similaire à celle exprimée par l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En effet, celui-ci, dans une formulation influencée par Mounier, dispose : « Les hommes naissent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Ainsi, chez Bergasse, les principes sont toujours tempérés par des exceptions et la liberté n’y échappe pas. Celle-ci n’est jamais illimitée et engage proportionnellement la responsabilité de l’individu. Dès lors, la réalisation d’une déclaration des droits de l’homme apparaît comme un « ouvrage bien plus important et bien plus difficile qu’on ne l’imagine »412. C’est un exercice complexe qui peut rapidement susciter des conséquences préjudiciables. Lors de l’été 1789, le représentant de la sénéchaussée de Lyon estime que la déclaration, alors en préparation, ne doit être décrétée qu’une fois l’ensemble de la Constitution terminée413. Ayant l’ambition d’imaginer le juste accord de la monarchie et de la liberté, les monarchiens sont réticents à l’idée de faire précéder la Constitution d’une déclaration des droits de l’homme. Mounier n’y consent qu’à condition de ne pas séparer les deux textes. L’objectif est d’éviter que sur la base d’idées abstraites bourgeonnent des interprétations abusives. La déclaration doit alors être « courte, simple, précise »414 et sa forme définitive ne doit être arrêtée qu’une fois l’examen de tous les articles de la Constitution achevé. Le 27 juillet 1789, les projets de Sieyès et de Mounier sont présentés à l’assemblée et la préférence de Bergasse va évidemment aux travaux de ce dernier415. Après de longues discussions, le texte est voté article par article du 20 au 26 août 1789 mais la rédaction définitive semble finalement assez éloignée des projets initiaux. Le député lyonnais paraît frappé par le caractère vain et équivoque de la déclaration qui ne lui donne pas une entière satisfaction416. Assurément, les concepts de souveraineté nationale et la définition de la loi comme expression de la volonté générale apparaissent bien entendu contraires aux idées qui lui sont chères. La nouvelle Constitution doit promouvoir l’expression de la transcendante raison universelle sous les traits d’une monarchie dépourvue dorénavant de tout arbitraire et 412 Ibid., p. 449, note 1. Ibid., p. 449, note 1 : « Peut-être serait-il convenable que l’Assemblée nationale ne décrétât, quant à présent, aucune partie de la Constitution d’une manière définitive, pas même la Déclaration des droits ». 414 Expressions de Mounier dans son rapport du 9 juillet 1789, AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 216. 415 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 95. 416 Ibid., p. 95. 413 75 contribuant à la liberté de chacun. Les monarchiens lient de manière inextricable le principe de liberté à la nouvelle monarchie française. Ainsi, Mounier affirme le 4 septembre 1789 : « Défendre l’indépendance de la couronne, c’est défendre la liberté du peuple »417. Afin d’assister à la matérialisation de son projet politique, Bergasse développe précisément les modalités de création et de maintien de l’ordre constitutionnel. 417 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 559. 76 CHAPITRE II LA RÉALISATION DE L’ORDRE CONSTITUTIONNEL : ÉTABLIR ET GARANTIR LE NOUVEAU RÉGIME Le 9 juillet 1789, Mounier soulève une question méthodologique fondamentale : « Devons-nous premièrement nous occuper de la constitution ou des lois »418 ? D’après lui, il faut accorder la priorité à la réalisation de la Constitution parce qu’« il est bien moins important de faire des lois que d’en assurer l’exécution ; et jamais les lois ne seront exécutées tant qu’on n’aura pas détruit le pouvoir arbitraire par une forme précise de gouvernement »419. Concernant les modalités d’élaboration, Bergasse et les monarchiens font le vœu, bien difficile à réaliser, d’un travail constitutionnel constant, serein et associant toute la nation française (Section I). Une fois la Constitution achevée, celle-ci est appelée à traverser les époques et à connaître des circonstances diverses sans jamais faillir. En conséquence, le député lyonnais réfléchit à la conservation et au maintien de son nouvel ordre constitutionnel (Section II). SECTION I L’ÉLABORATION D’UNE CONSTITUTION INÉDITE Le 27 juin 1789, Louis XVI cède devant le tiers état et invite les deux ordres privilégiés à se joindre à l’Assemblée nationale. À partir de cette date, Bergasse et ses amis considèrent que le droit des révolutionnaires est épuisé et qu’il est temps de reconstruire. Avant tout, ils espèrent que le projet constitutionnel soit discuté et rédigé calmement, avec sagesse et de façon continue en suivant une méthode précise (§ 1). Le député lyonnais exige ensuite que la Constitution, en raison de son importance et des graves conséquences qu’elle entraîne, soit adoptée non par les seuls représentants siégeant à l’Assemblée constituante mais par l’ensemble de la nation et par le roi (§ 2). Enfin, après son entrée en vigueur et sa mise en application, le texte n’a plus vocation à être substantiellement retouché, cependant Bergasse insiste sur la nécessité de permettre certaines corrections ou modifications destinées à améliorer l’édifice constitutionnel (§ 3). 418 419 Ibid., p. 215. Ibid., p. 215. 77 § 1 - La rédaction de la Constitution La réflexion, l’examen, et la mise par écrit d’un projet de Constitution nécessite, selon Nicolas Bergasse, un contexte apaisé propice à « des discussions calmes et réfléchies »420. En effet, « ce n’est que dans le calme qu’on peut travailler avec quelque succès à l’établissement d’une bonne constitution, parce qu’un travail de cette espèce demande les méditations les plus profondes et les combinaisons les plus froides »421. Le député lyonnais compte sur la sagesse et l’ingéniosité d’hommes raisonnables délivrés de l’emprise des événements et de la pression populaire. Or, ce souhait d’une création paisible ne peut s’accommoder de la dynamique révolutionnaire puisqu’« on ne médite pas parmi des troubles sans cesse renaissans »422. Ainsi, pour Bergasse, le processus révolutionnaire semble dorénavant achevé et le temps est à l’élaboration du nouveau régime. De la même manière, Mounier et les monarchiens sont favorables à un travail constitutionnel continu et serein car « il ne faut point ainsi mettre au hasard des délibérations précipitées, le sort de vingt-quatre millions d’hommes »423. Les discussions doivent se dérouler dans le calme et le sérieux de bureaux travaillant à huis clos dans l’intimité d’un cercle peu nombreux. Le raisonnement de Mounier suppose une assemblée repliée sur son œuvre constitutionnelle424. Or, ce principe méthodologique ne correspond pas à la double nature constituante et législative de l’Assemblée. Dans les faits, la Constituante travaille publiquement, de manière hétérogène et se trouve fréquemment interrompue pour répondre à des questions sociales ou de maintien de l’ordre public suscitées par les événements425. De plus, la rédaction de la norme suprême requiert une excellente compréhension de la nature humaine car « la connoissance des hommes est la plus indispensable science du législateur »426. Afin que la Constitution soit bienfaisante et durable, elle doit être en parfaite adéquation avec l’essence même de l’humanité. Dans son Rapport sur l’organisation du pouvoir judiciaire, Bergasse en vient à exposer comment agir lorsqu’il s’agit de transformer fortement la législation sur laquelle repose une nation : « Il importe de ne faire aucun pas sans sonder le terrain sur lequel on doit marcher, de n’avancer aucune maxime qui ne porte avec elle l’éminent caractère de la vérité, de ne déterminer aucun résultat qui ne soit appuyé sur une profonde expérience de l’homme, sur une 420 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 7. Ibid., p. 87. 422 Ibid., p. 87. 423 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 216. 424 Cf. P.-Y. Rudelle, « Le premier comité de Constitution ou l’échec du projet monarchien », 1791 la première Constitution française, op. cit., pp. 90-91. 425 Sur le mode de fonctionnement de l’Assemblée nationale constituante, cf. A. Castaldo, Les méthodes de travail de la Constituante. Les techniques délibératives de l’Assemblée Nationale, 1789-1791, Paris, PUF, 1989. 426 N. Bergasse, Essai sur la loi…, op. cit., pp. 30-31. 421 78 connaissance exacte des affections qui le meuvent, des passions qui l’entraînent, des préjugés qui, selon les diverses positions où il se trouve, peuvent le dominer, ou le séduire »427. Ces conceptions, loin d’être exclusives à l’avocat lyonnais, semblent partagées par le courant monarchien. Partant, Clermont-Tonnerre confesse, en 1791, son ignorance et son manque de préparation en tant que député constituant : « Aucune éducation ne m'avoit préparé à cette auguste fonction de rédiger les loix […] ; je me trompois de bonne foi, […], et il me manquoit deux grands maîtres, deux maîtres dont les leçons sont quelquefois bien chères, le temps et la connoissance des hommes »428. En 1789, dans son Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif dans une monarchie, Bergasse explique sa méthode « pour travailler avec quelque succès à la constitution d’un empire »429. D’après lui, un texte d’une telle importance se prépare en deux phases. Dans un premier temps, il convient « d’opérer à part sur chacune des parties dont la Constitution se compose ; en conséquence, après avoir examiné tous les genres de pouvoirs qu'elle doit rassembler, on chercheroit avec soin le meilleur mode d'organisation pour chacun de ces pouvoirs »430. Dès lors, il faut commencer par élaborer « les pouvoirs qui influent d'une manière plus immédiate sur les individus »431, c'est-à-dire les instances locales dont l’action se répercute directement sur la vie quotidienne du citoyen. Ces institutions sont notamment les tribunaux, les municipalités, les assemblées provinciales, et le système d'éducation publique. Ce n’est qu’ensuite qu’il importe de s’occuper des « pouvoirs d'un ordre plus élevé »432 qui confirment et renforcent le renouvellement général de la société. Ainsi, Bergasse explique aux députés : « Ce n’eût été qu'après avoir vu en quelque sorte la nation se régénérer sous vos yeux par une meilleure organisation de tous ces pouvoirs, qu’examinant comment il étoit possible de rendre cette régénération durable, vous seriez arrivés à l'établissement des deux grands pouvoirs conservateurs de l'ordre social, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif suprême »433. Dans un second temps, il est nécessaire d'étudier comment les différents pouvoirs, établis lors de la première phase, doivent « ou se balancer, ou se combiner entre eux »434. Il convient alors 427 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 440. S. Clermont-Tonnerre, Analyse raisonnée de la constitution française, op. cit., t. 4, pp. 182-183. 429 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 6. 430 Ibid., p. 6. 431 Ibid., p. 6. 432 Ibid., p. 6. 433 Ibid., pp. 7-8. 434 Ibid., p. 7. 428 79 « de limiter leurs sphères d'activité pour les empêcher ou de se heurter ou de se confondre »435. Il faut analyser les rapports des pouvoirs locaux entre eux − municipalités et assemblées provinciales −, des pouvoirs nationaux entre eux − législatif suprême et exécutif suprême − et les correspondances entre les pouvoirs locaux et nationaux − par exemple, assemblée provinciale et législatif suprême. Cet examen approfondi doit permettre de deviner « par une sorte d’expérience anticipée les circonstances où ils peuvent se nuire »436, puis de dégager « quelles limites il faut assigner au pouvoir législatif, dans quelles bornes encore il faut maintenir le pouvoir exécutif »437. Il semble fondamental de réfléchir à l'intégralité des conjonctures dangereuses, à la totalité des événements politiques imprévus pouvant bouleverser la pratique des institutions. Selon Bergasse, c’est seulement par cette méthode de travail en deux étapes qu’une constitution saine et solide peut voir le jour. Or, en ne respectant absolument pas cette organisation de travail, la Constituante se condamne à réaliser une œuvre fragile qui peut rapidement s’avérer nuisible à la société. Suivant l’auteur, une fois le projet constitutionnel rédigé, celui-ci doit être adopté par la nation française et par le monarque. § 2 - L’adoption de la Constitution Si, pour Bergasse et les monarchiens, la rédaction d’une nouvelle constitution peut incomber à l’Assemblée, celle-ci ne peut entrer en vigueur qu’après avoir obtenu l’approbation de la nation et du roi438. L’Assemblée, après s’être autoproclamée constituante le 9 juillet 1789, va refuser, au terme d’un important débat, de faire ratifier la Constitution par la nation. Radicalement opposé à cette solution, Bergasse affirme dès 1789 que « l’assemblée ne peut que décréter provisoirement une constitution, et que c’est à la nation seule à prononcer en dernier ressort sur les avantages ou les désavantages de celle qu’elle lui présentera »439. Le marquis de Condorcet adopte, la même année, une position similaire en rédigeant une brochure intitulée Sur la nécessité de faire ratifier la Constitution par les citoyens. En février 1790, Bergasse refuse de prêter serment à la Constitution et se justifie en rappelant quel est, d’après lui, le véritable rôle de l’Assemblée constituante : 435 Ibid., p. 7. Ibid., p. 7. 437 Ibid., p. 8. 438 Dans ce sens, le 29 août 1791, Malouet (AP, 1ère série, op. cit., t. 30, p. 38) explique clairement aux députés : « La Constitution que vous venez d’arrêter ne peut être que provisoire, jusqu’à ce qu’elle ait été soumise à un examen réfléchi, à une acceptation libre, tant de la part du roi que de la part de la nation ». 439 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., pp. 3-4. 436 80 « Nous ne fommes, […], qu’une convention nationale, c’eft-à-dire, une affemblée d’hommes chargés de propofer une conftitution à la nation, & non pas de la lui impofer ; c’étoit enfuite à la nation affemblée par bailliages ou par provinces, ou enfin de toute autre manière, pourvu qu’elle fût légale, à juger cette conftitution, à décréter qu’elle lui convenoit »440. La Constituante doit se circonscrire à la seule rédaction du projet constitutionnel, l’adoption du texte proposé ne relève pas de sa compétence. Si la nation n'est pas appelée à donner son consentement formel à la Constitution, rien n’empêche les représentants de modifier, selon leur gré, l’intégralité de l’organisation politique du pays. Le représentant lyonnais argumente en précisant qu’« une Nation n'est véritablement libre qu’autant qu’elle conserve la faculté de concourir d'une manière directe à la confection de la Loi qui la constitue »441. Dès lors, en s’opposant à toute ratification par la nation, les députés contreviennent à la liberté nationale et privent « la nation du droit effentiel qu’elle a de ne rien accepter en matière de conftitution, qu’elle ne l’ait foigneufement délibéré »442. Les constituants objectent que le consentement national est évident et qu’une ratification se trouve alors inutile443. Le Chapelier déclare le 30 août 1791 : « Notre Constitution est acceptée par les 99 centièmes de la nation, et je ne dis pas assez »444. L’avocat rennais observe que les assemblées primaires réunies antérieurement au débat, dès juin 1791, pour participer à la désignation du futur corps législatif entérinent implicitement les mesures constitutionnelles jusqu’alors adoptées. « Or, il n’y a pas d’acceptation plus sûre et plus solennelle que celle qui résulte de l’exécution des lois que la nation nous a chargés de faire en son nom »445. Quoi qu’il en soit, cette idée foncièrement démocratique de faire adopter la Constitution par la nation peut sembler surprenante venant d’hommes modérés classés au centre-droit. En effet, ce souhait d’un référendum constituant renforce le concept de souveraineté de la nation et risque de nuire à la souveraineté de la raison fièrement défendue par Bergasse. Toutefois, il faut comprendre que les monarchiens voient dans cette revendication le moyen de remettre en cause la Révolution et de revenir sur l’intégralité du travail de l’Assemblée. La nation apparaît beaucoup plus sage, apaisée et raisonnable que les députés majoritaires inexpérimentés et soumis aux vents des passions et des circonstances. En 440 N. Bergasse, Lettre relative au serment de la Constitution, op. cit., p. 8. N. Bergasse, Réflexions sur le projet de Constitution présenté à l’Assemblée Nationale par les Comités de Constitution et de Révision réunis, Paris, Guerbart, 1791, p. 6. 442 N. Bergasse, Lettre relative au serment de la Constitution, op. cit., p. 8. 443 S. de Clermont-Tonnerre (Analyse raisonnée de la constitution française, op. cit., t. 4, p. 235) fait remarquer que « c’est peut-être la plus ingénieuse invention politique que celle d’avoir déclaré souveraine une nation, en lui interdisant, par le fait même, tout usage de sa souveraineté ». 444 AP, 1ère série, op. cit., t. 30, p. 64. 445 Ibid., p. 64. 441 81 étant appelée à examiner et à se prononcer sur les dispositions du texte, la nation ne peut que se rendre compte de l’extravagance des solutions retenues par les constituants. Une fois la Constitution ratifiée par la nation, il convient, selon Bergasse, d’« inviter le roi, […], à la revêtir de fon acceptation »446. En effet chez les monarchiens, le roi, du fait de sa préexistence, doit participer à l’adoption du texte constitutionnel en y apposant son accord. Ainsi, dans son discours du 1er septembre 1789, Malouet précise que si le roi trouve la Constitution proposée par l’organe constituant « telle que la nation la désire, il l’accepte, y souscrit, et en jure l’observation. S’il la trouve contraire aux vœux et aux intérêts du peuple, il peut, il doit refuser de l’accepter »447. De même, Mounier indique le 31 août 1789 que le roi ne dispose pas du « droit de s’opposer à l’établissement de la constitution, c’est-à-dire à la liberté de son peuple ; il faut cependant qu’il signe et ratifie la constitution pour lui et ses successeurs »448. Dès lors et bien que son acquiescement soit suggéré, le prince ne se voit pas reconnaître par les monarchiens le droit de sanctionner la Constitution et encore moins le droit d’y opposer son veto449. L’acceptation royale apparaît salutaire mais n’est pas indispensable à l’édification de la Constitution « car la nation a certainement le droit d’employer tous les moyens nécessaires pour devenir libre »450, explique Mounier. En conséquence, son approbation est nettement moins importante que le consentement donné par la nation. Il s’agit surtout d’associer le roi au processus constituant afin que son autorité soit renforcée et respectée dans le cadre de la nouvelle organisation politique. En septembre 1791, Bergasse déconseille vivement à Louis XVI d’accepter sans restriction l’œuvre de la Constituante451. Toutefois, dans un contexte politique particulier où la fonction royale est suspendue depuis la fuite à Varennes, le roi ne tient pas compte de cet avis et finit par accepter purement et simplement la Constitution le 13 septembre 1791. En conclusion, d’après Nicolas Bergasse, la Constitution doit être adoptée impérativement par la nation et, si possible, par le roi afin de prendre un caractère indéfectible452. Même beaucoup plus tard, au moment de la chute de l’Empire, l’auteur 446 N. Bergasse, Lettre relative au serment de la Constitution, op. cit., p. 8. Sur la signification monarchienne de l’acceptation de la constitution, cf. G. Glénard, L’exécutif et la Constitution de 1791, op. cit., pp. 27-30. 447 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 537. 448 Ibid., p. 523. 449 Malouet (ibid., p. 537) explique, le 1er septembre 1789, que le roi ne sanctionne pas la constitution « comme une loi particulière » et Mounier (Exposé de ma conduite dans l'Assemblée nationale…, op. cit., p. 49) ajoute que « le roi ne pouvoit rejeter la Constitution comme il pourroit rejeter une fimple loi ». 450 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 523. 451 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 160. 452 Le 27 juillet 1789, Mounier (AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 285) souligne cet aspect définitif en précisant que lorsque les règles constitutionnelles « auront été reconnues et ratifiées par le Roi, on ne pourra changer aucun des 82 rappelle cette position en contestant le projet de Constitution sénatoriale du 6 avril 1814. Acerbe, il écrit que le Sénat impérial est incompétent pour donner à la France une constitution parce qu’il usurpe pleinement les droits du roi et de la nation453. Si l’avocat lyonnais considère que le texte constitutionnel, dûment rédigé et adopté, entre en vigueur, il estime que son contenu n’est pas irrémédiablement fermé. Effectivement, au cours de son application, certains changements peuvent s’avérer nécessaires et la loi fondamentale doit alors pouvoir être révisée. § 3 - La révision de la Constitution Assurer l’existence de modalités de révision constitutionnelle apparaît indispensable à Nicolas Bergasse. En 1791, dans ses Réflexions sur le projet de Constitution, il interroge les constituants : « Vous ne croyez pas sans doute jouir d’un tel privilège d’infaillibilité en matière de législation, que la loi constitutive que vous avez imaginée n’ait besoin dans aucun temps de quelque amendement, ou de quelque correction. L’expérience n’a point encore décidé du mérite de cette loi, et il se pourroit qu’à l’user, on vînt à découvrir qu’elle renferme une foule de dispositions impossibles, incohérentes, contradictoires, quelques-unes aussi passablement tyranniques. Or que fera la Nation, si, par hasard, il lui étoit un jour démontré que son institution politique n’est pas, comme le débitent quelques imbéciles gagés pour mentir à notre profit, la plus belle constitution de l’univers ? Lui réservez-vous, dans votre code, la faculté de revenir sur votre œuvre chérie ? Déterminez-vous les formes légales d’après lesquelles on pourra procéder à la révision de ce qui s’y trouvera ou imparfait, ou absurde ou dangereux ? et si vous ne faites rien de tout cela, quelle sera, je vous le demande, la liberté de ce peuple dont vous avez l’air de respecter si religieusement l’autorité souveraine »454 ? Le publiciste redoute que l’Assemblée, après avoir négligé les droits de la nation à propos de la formation de la loi fondamentale, empêche toute possibilité de modification de son œuvre. Prévoir un dispositif de révision se présente comme une absolue nécessité. À défaut, la liberté du peuple se trouve reniée puisqu’il est condamné à porter « éternellement le joug que vous lui aurez imposé »455. En conséquence, « il ne lui restera donc d’autres ressources pour s’en délivrer, que la voye toujours si dangereuse et si peu sûre de l’insurrection, de la licence et de articles qu’elles renferment ». Pour les monarchiens, l’assentiment royal apparaît donc comme l’ultime étape de la procédure constituante. 453 Cf. N. Bergasse, Réflexions sur l’acte constitutionnel du Sénat, s. l., 1814, pp. 5 et suiv. 454 N. Bergasse, Réflexions sur le projet de Constitution…, op. cit., pp. 12-13. 455 Ibid., p. 13. 83 l’anarchie »456 ? Bergasse semble défendre la mise en place d’une constitution rigide c’est-àdire que sa révision requiert l’usage d’une procédure différente de celle employée pour l'adoption des lois ordinaires. Cette rigidité permet de distinguer plus clairement le pouvoir constituant et le pouvoir constitué tout en renforçant la supériorité de la Constitution sur la loi. Le député lyonnais nourrit l’espoir que par le mécanisme de la révision constitutionnelle, les assemblées futures puissent revenir sur la néfaste organisation des pouvoirs retenue par ces constituants déraisonnables et inconscients. Ainsi, en février 1790, dans sa Lettre relative au serment de la Constitution, l’auteur écrit que « jufqu’à ce que la nation, dans des délibérations libres, & après un mur & pénible examen, ait arrêté elle-même fa constitution, chaque légiflature a inconteftablement le droit de la revoir, de l’améliorer, de la réformer »457. Dans ce document où il explique les motifs de son refus de prêter serment à la Constitution, Bergasse semble volontairement confondre le devoir d’obéir à la Constitution et le droit de la contester puis de vouloir la réviser. Le 8 février 1790, le député du tiers état Laborde de Méréville répond à cette confusion : « L’Assemblée nationale ne se croyant pas liée par les capitulaires des races passées, elle ne pense pas lier les races futures. La Constitution conserve au peuple le droit de s’assembler en convention nationale pour réformer cette même Constitution »458. Dès l’été 1789, Mounier reconnaît la possibilité de modifier les normes à valeur constitutionnelle en affirmant qu’« on ne pourra changer aucun des articles qu'elles renferment, si ce n'est par les moyens qu'elles auront déterminés »459. Dans son projet de déclaration des droits, le marquis de La Fayette envisage également une procédure de révision en prévoyant précisément la possibilité d’une « convocation extraordinaire de députés » chargés de corriger les vices de la Constitution460. Au cours des débats sur la révision constitutionnelle, Malouet propose, le 29 août 1791, que le roi puisse dissoudre l’assemblée législative qui se déclarerait constituante461. Dans son souhait de ne pas verrouiller définitivement et irrémédiablement la norme suprême, Bergasse est en accord avec la majorité des constituants. Cependant, la Constitution de 1791 retient un dispositif de révision qui fait office de chef d’œuvre procédurier tant les conditions apparaissent difficiles à réunir. En effet, 456 Ibid., p. 13. N. Bergasse, Lettre relative au serment de la Constitution, op. cit., p. 7. 458 AP, 1ère série, op. cit., t. 11, p. 498. 459 Ibid., t. 8, p. 285. 460 Ibid., p. 222 : « Et comme l’introduction des abus et le droit des générations qui se succèdent nécessitent la révision de tout établissement humain, il doit être possible à la nation d’avoir, dans certains cas, une convocation extraordinaire de députés, dont le seul objet soit d'examiner et corriger, s’il est nécessaire, les vices de la Constitution ». 461 Ibid., t. 30, p. 43 : « Si le Corps législatif, sans suivre les formes et les conditions prescrites […] se déclarait pouvoir constituant, le roi est autorisé à convoquer sans délai les corps électoraux, pour nommer une autre législature ». 457 84 le texte prévoit que la nation a certes le droit imprescriptible de changer sa Constitution, néanmoins le droit à la révision ne peut être exercé que selon la procédure prévue par le texte et exclusivement pour « les articles dont l’expérience aurait fait sentir les inconvénients »462. Pour que la révision ait lieu, il faut d’abord que trois législatures successives en fassent la demande463, ce vœu ne pouvant être émis qu’après quatre ans de fonctionnement464. En conséquence, aucune modification n’est envisageable avant la fin de l’année 1801. Ensuite, les changements ne peuvent être opérés que par une assemblée de révision composée de la quatrième législature augmentée de 249 membres élus en chaque département465. Enfin, le travail de révision ne peut commencer qu’après une prestation collective puis individuelle de serment par l’intégralité des membres de l’Assemblée466. La révision apparaît donc réduite à une simple hypothèse d’école et l’espoir, fort présent chez les monarchiens, d’une révision constitutionnelle prochaine semble définitivement s’évanouir. Les constituants veulent terminer la Révolution et affermir durablement les bases du nouveau régime. Cependant, ils oublient qu’en ordonnant un immobilisme constitutionnel décennal, ils contraignent toute volonté de changement constitutionnel à emprunter l’imprudente voie de l’insurrection. Bien que les députés souhaitent foncièrement garantir la stabilité politique, ils opèrent un choix qui peut finalement s’avérer préjudiciable à la conservation de la Constitution. SECTION II LA CONSERVATION D’UNE CONSTITUTION ACHEVÉE Si Nicolas Bergasse n'envisage pas un contrôle de constitutionnalité des lois, il soulève toutefois la question du maintien de la Constitution dans le temps et de la soumission du 462 Titre VII, art. 1, J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., pp. 65-66 : « L’Assemblée nationale constituante déclare que la Nation a le droit imprescriptible de changer sa Constitution ; et néanmoins, considérant qu’il est plus conforme à l’intérêt national d’user seulement, par les moyens pris dans la Constitution même, du droit d’en réformer les articles dont l’expérience aurait fait sentir les inconvénients, décrète qu’il y sera procédé par une Assemblée de révision en la forme suivante ». 463 Titre VII, art. 2, ibid., p. 66 : « Lorsque trois législatures consécutives auront émis un vœu uniforme pour le changement de quelque article constitutionnel, il y aura lieu à la révision demandée ». 464 Titre VII, art. 3, ibid., p. 66 : « La prochaine législature et la suivante ne pourront proposer la réforme d'aucun article constitutionnel ». 465 Titre VII, art. 5, ibid., p. 66 : « La quatrième législature, augmentée de deux cent quarante-neuf membres élus en chaque département, par doublement du nombre ordinaire qu'il fournit pour sa population, formera l'Assemblée de révision. - Ces deux cent quarante-neuf membres seront élus après que la nomination des représentants au Corps législatif aura été terminée, et il en sera fait un procès-verbal séparé. - L'Assemblée de révision ne sera composée que d'une chambre ». 466 Titre VII, art. 7, ibid., p. 66 : « Les membres de l'Assemblée de révision, après avoir prononcé tous ensemble le serment de vivre libres ou mourir, prêteront individuellement celui de se borner à statuer sur les objets qui leur auront été soumis par le vœu uniforme des trois législatures précédentes ; de maintenir, au surplus, de tout leur pouvoir la Constitution du royaume, décrétée par l'Assemblée nationale constituante, aux années 1789, 1790 et 1791, et d'être en tout fidèles à la Nation, à la loi et au roi ». 85 législateur à une norme supérieure. Effectivement, sa pensée est empreinte d’une solide volonté de protection du texte suprême et il critique sévèrement les garanties affectées au maintien de la Constitution de 1791 (§ 1). Tout au long de l’été 1789, Bergasse et les monarchiens défendent ardemment l'institution d’éléments et de mécanismes constitutionnels permettant d’équilibrer les pouvoirs. Ainsi, par l’établissement d'une Chambre haute et l'attribution d'un veto absolu au roi, ils estiment concourir à la conservation de l’ordre constitutionnel (§ 2). D’une manière plus abstraite, l’auteur, en affirmant la souveraineté de la raison universelle, soumet la volonté humaine du législateur au respect de ce principe supérieur et lui interdit tout égarement néfaste (§ 3). § 1 - L’esprit de protection de la norme suprême Au cours de la période révolutionnaire, les discours et écrits de Bergasse sont empreints d’une volonté constante, et particulièrement singulière pour l’époque, de préserver la norme constitutionnelle de toute atteinte. Il commence par reconnaître un rôle bénéfique aux anciens Parlements dans la conservation de la Constitution de la monarchie d’Ancien Régime. Ces derniers, en tant que gardiens des lois fondamentales du royaume, pouvaient, en exerçant leur droit de remontrances, refuser d’enregistrer les lois du roi. Leur objectif était de rappeler les contraintes du droit et des principes supérieurs au monarque législateur. L’avocat lyonnais analyse le comportement des Parlements comme une fonction nécessaire qui permettait de contrebalancer la puissance royale. Ainsi, le 17 août 1789, il déclare à la tribune : « La nation n’a sans doute pas oublié tout ce qu’elle doit à ses magistrats, combien, dans des temps de trouble et d’anarchie, leur sagesse lui fut salutaire ; combien, dans des temps de despotisme, et quand l'autorité, méconnaissant toutes les bornes, menaçait d’envahir tous les droits, leur courage, leur fermeté, leur dévouement patriotique, ont été utile à la cause, toujours trop abandonnée, des peuples ; avec quelles heureuses précautions ils se sont occupés de conserver au milieu de nous, en maintenant les anciennes maximes de nos pères, cet esprit de liberté qui se déploie aujourd'hui dans les cœurs d'une manière si étonnante et si peu prévue »467. En idéalisant ces cours souveraines, Bergasse considère que leur rôle conservateur permettait de protéger les intérêts du peuple contre les éventuels abus de la couronne. Dès lors, il aperçoit un commencement d’équilibre entre les institutions monarchiques. Il poursuit cette analyse, dans le cadre de son discours relatif à la limitation des pouvoirs, en écrivant : 467 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 449. 86 « Vous avez vu vos magistrats, lorsqu'on leur proposait des lois nuisibles au peuple, déclarer que quoi qu'il arrivât, ils n'y consentiraient pas, opposer leur conscience à la volonté du prince, donner leur démission plutôt que d'exécuter ce qu'ils croyaient injuste, et vous avez applaudi au courage et à la probité de vos magistrats »468. Cependant durant l’été 1789, les circonstances ont radicalement changé puisque dorénavant « il n’y a plus de despotisme ». Par conséquent, ce corps de magistrats « fortement institué pour résister au despotisme »469 n’a plus lieu d’être. Leur mission issue de l’ancienne organisation des pouvoirs apparaît obsolète et l’orateur prône alors, après cet authentique hommage, la suppression des Parlements. La Constitution du 3 septembre 1791 instaure une distinction formelle entre constitution et loi. Cependant rien n'est prévu pour assurer la supériorité de la première norme sur la seconde. Héritant d’une conception absolutiste de la souveraineté qui tend à identifier souverain et gouvernant, le texte constitutif n'admet aucune sanction assurant la conformité des lois à la Constitution. Le texte dispose, en guise de conclusion, que le dépôt de la Constitution est remis à la fidélité des pouvoirs constitués : au corps législatif, au roi et aux juges, mais également « à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l'affection des jeunes citoyens, au courage de tous les Français »470. Dans ses Réflexions sur le projet de Constitution, Bergasse s'interroge sur cette disposition abstraite dont les modalités d’application peuvent paraître obscures : « Que signifie cette recommandation ridicule ? Que pourront cette vigilance, cette affection, ce courage ? Que pourront toutes ces forces individuelles et toutes les actions isolées qu'elles produiront, et qu'il sera si facile de faire considérer, au besoin, comme des attentats contre l'autorité dominante »471 ? Ces volontés dispersées, sur un territoire grand comme la France, n'ont pas de point de convergence. Elles n’ont aucun centre pour s’unir, se rassembler « en assez grand nombre pour produire quelque effet »472. Il interroge les constituants : « Prenez-vous des précautions dans votre plan pour que les volontés particulières des pères, des épouses, des mères, des jeunes citoyens puissent se réunir toutes les fois que vos représentants eux-mêmes mettront la 468 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 78. AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 449 : « Notre magistrature était fortement instituée pour résister au despotisme ; mais maintenant qu’il n’y a plus de despotisme, si notre magistrature conservait toute la force de son institution, l’emploi de cette force pourrait facilement devenir dangereuse à la liberté ». 470 J. Godechot et H. Faupin, Les Constitutions de la France…, op. cit., p. 67. 471 N. Bergasse, Réflexions sur le projet de Constitution…, op. cit., p. 10. 472 Ibid., p. 10. 469 87 Constitution en danger »473 ? Il s’inquiète pour la liberté de penser et l’indépendance des convictions à l’égard de la puissante Assemblée nationale. L'opinion publique pourra-t-elle « se développer sans obstacle à côté de l'autorité formidable dont ils [les représentants] seront revêtus, pour qu’eux-mêmes ne puissent pas corrompre cette opinion »474 ? Le député condamne la toute-puissance des membres du corps législatif qui ne sont limités par aucun organe politique ou judiciaire. Il demande aux constituants : « Ne voyez-vous pas que si votre Constitution n’est garantie par une force un peu plus réelle que l’opinion publique, par une force un peu plus réelle que des volontés isolées et dont l'accord est à peu près chimérique, ne voyez-vous pas d'accord aussi peu limité dans sa puissance que celui de vos représentants, un corps surtout aussi affranchi de toute espèce de responsabilité, ne manquera jamais de ressources pour faire dans votre régime toutes les modifications, tous les changements qui pourront convenir à ses vues »475 ? Nonobstant l’importance qu’il donne à l’opinion publique, Bergasse ne la conçoit pas comme un moyen sérieux pour garantir la Constitution. Il ne remarque pas dans ce projet, qui sera adopté peu après, un quelconque système efficace pour conserver l’ordre constitutionnel nouveau. Rien ne peut s'opposer à la volonté des députés de la nation parce qu'il n'y a ni droit de dissolution ou de prorogation donné au roi, ni droit de référendum accordé à la nation pour les lois importantes. Son inquiétude se porte également sur le fait que les prochaines législatures puissent modifier sans obstacle les lois civiles, criminelles, religieuses ou morales qui sont au moins aussi importantes que les lois politiques et constitutionnelles476. Ainsi, il étend l’exigence de conservatisme à l’intégralité du domaine de la législation. Les assemblées législatives futures pourront perturber fréquemment la société en déstabilisant sans cesse les bases de son ordre juridique477. D’ailleurs, elles n’auront qu’à suivre l’exemple de la 473 Ibid., pp. 10-11. Ibid., p. 11. 475 Ibid., p. 12. 476 Ibid., p. 13 : « Je parcours votre code constitutif, et je vois qu’il renferme à peine la moitié des Lois qui influent nécessairement sur la moralité des hommes et leurs rapports essentiels entre eux ; je n’y trouve rien sur les principes de la Loi civile, rien sur les vrais principes de la Loi criminelle, rien sur les principes encore bien autrement importans de la loi religieuse ou morale. […] Vous abandonnez donc au hazard des Législatures qui surviendront, et les Lois qui assurent le repos des familles, qui déterminent les relations domestiques, qui maintiennent les mœurs privées, et les Lois qui garantissent la sûreté des Citoyens, et ces Lois plus intimes et plus sacrées, qui font de la probité, de la justice habituelle, une vertu du cœur et non une simple combinaison de l’esprit ». 477 Ibid., pp. 14-15 : « Ces législatures pourront donc arranger notre conscience autrement que vous l’avez déjà fait : elles pourront donc, quand ce ne seroit que pour passer le tems, troubler encore nos relations civiles, domestiques, tourmenter par de nouveaux règlemens tout le système de nos conventions sociales ; et croyez qu’elles n’y manqueront pas ». 474 88 Constituante qui en deux ans, a trouvé le moyen de faire « des lois sur tout, depuis les intérêts politiques de la nation jusqu'aux eaux courantes »478. En conclusion, le système défendu par Bergasse vise à faire respecter par le législateur les dispositions de la Constitution mais aussi certains principes fondamentaux plus théoriques tels que la liberté ou la raison. Il dénonce l’absence de moyens réellement capables de protéger la norme supérieure dans le projet de la Constituante mais ne reste pas sans proposition. Partageant ses conceptions politiques avec ses amis monarchiens, il considère qu’il faut limiter le pouvoir par le pouvoir. § 2 - L’équilibre des pouvoirs Anglomane affirmé et grand lecteur de Montesquieu, Bergasse souhaite trouver une harmonie entre les différents pouvoirs. Dans l’esprit des monarchiens, conserver l'ordre constitutionnel consiste d'abord à faire respecter l'équilibre établi entre les différents pouvoirs479. Pour la paix du royaume et la garantie des libertés individuelles, cette balance des pouvoirs semble jouer un rôle déterminant. L’équilibre passe par la distinction puis par la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Ensuite, il convient d’agencer ces pouvoirs de manière à ce qu’ils se contiennent « les uns par les autres dans des limites qu’il leur sera impossible de franchir »480. Ainsi, le député lyonnais affirme : « Contenez le pouvoir judiciaire par le pouvoir législatif, et l’arbitraire du pouvoir judiciaire est détruit. Contenez le pouvoir exécutif par le pouvoir législatif, et il n’y a plus d’arbitraire dans le gouvernement. Contenez le pouvoir législatif par le pouvoir exécutif, et il n’y a plus d’arbitraire dans la constitution, c’est-à-dire, que la constitution, une fois déterminée pour la liberté, demeure immobile et qu’il n’est plus possible au pouvoir législatif, le plus redoutable de tous quand il n’est pas limité, d’en rompre l’enceinte ou d’en déranger l’organisation »481. Par conséquent, il importe de donner à chacun des pouvoirs les moyens nécessaires pour résister aux tentatives d’usurpation des autres. Un système endogène de contrôle réciproque et de dépendance mutuelle doit s’instaurer afin d’empêcher, de manière mécanique, l’adoption de lois contraires à la constitution ou à la liberté482. Concrètement, la stabilité 478 Ibid., p. 15. Cf. P. Pichot-Bravard, Conserver l’ordre constitutionnel…, op. cit., pp. 385-393. 480 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 14. 481 Ibid., p. 14. 482 À l’inverse, l’abbé Sieyès (AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 592 et suiv.), dans son discours du 7 septembre 1789, fait valoir une limitation exogène du pouvoir. Il charge le pouvoir constituant dérivé de corriger les 479 89 constitutionnelle doit être assurée par différents rouages destinés à un fonctionnement harmonieux des institutions. Selon Bergasse, la Constitution ne peut réellement se maintenir en l’absence d’un droit de veto royal illimité. L’auteur met en garde l’Assemblée constituante contre le veto suspensif qui ne peut empêcher le pouvoir législatif de devenir illimité et d’envahir tous les autres pouvoirs en commençant par l’exécutif483. Afin que la liberté soit maintenue, il faut empêcher les instances législatives d’outrepasser leurs bornes naturelles et « trouver un autre moyen que la faculté suspensive »484. « L’intérêt de la liberté exige que vous accordiez au prince la faculté indéfinie d’arrêter les délibérations du corps législatif »485. D’après Lally-Tollendal, « pour maintenir la balance de la constitution, il est nécessaire que la puissance exécutrice soit une branche sans être la totalité de la puissance législative »486. Dès lors, il faut « établir un point d’union entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif » en donnant au roi « le moyen d'empêcher le mal »487. De même, le 1er septembre 1789, Malouet affirme qu’il est impératif que la Constitution ait un garant qui vérifie la conformité des lois aux principes constitutionnels, ce « garant naturel, c'est le chef de la nation, qui, étant partie intégrante du Corps législatif, en sanctionne les actes et déclare par son acquiescement qu’ils sont conformes aux principes de la Constitution »488. Toutefois, Bergasse n’imagine pas directement que le veto puisse être un moyen de contrôler la conformité des lois par rapport à la Constitution. D’ailleurs dans le premier projet de Constitution, le droit de veto se présente davantage comme une prérogative législative royale que comme le pouvoir dont disposerait une sorte de gardien ou de juge de l'ordre constitutionnel489. En faisant obstacle à la toute puissance du législatif, le mécanisme du veto absolu permet d’équilibrer les pouvoirs et par conséquent de conserver la Constitution. Cependant, celui-ci risque d’apparaître insuffisant face à la formidable puissance d’une assemblée unique. L’avocat lyonnais est persuadé qu'il faut instituer, entre le monarque et les représentants de la nation, un corps intermédiaire qui ait « autant d’intérêt au maintien du empiètements et les abus commis par les différentes institutions. Le remède aux usurpations et aux excès est alors le mécanisme de la révision constitutionnelle. 483 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 63. 484 Ibid., p. 64. 485 Ibid., p. 64. 486 AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 514. 487 Ibid., p. 514. 488 Ibid., p. 536. Cette idée marginale, d’assigner pour objet au veto royal le contrôle de la conformité des lois au regard de la norme suprême est soutenue certes, par Malouet mais aussi notamment par le comte d’Antraigues et le chevalier de Lameth, voir supra, p. 26, note 136. 489 D’ailleurs, l’article 6 de ce projet présenté par Mounier dispose : « Le Corps législatif sera formé par le Roi, le sénat et les représentants » (AP, 1ère série, op. cit., t. 8, p. 523). 90 pouvoir exécutif qu’au maintien du pouvoir législatif »490. L’objectif de cette instance est de garantir l'équilibre des institutions et par conséquent d’assurer le maintien de la norme fondamentale. Cet organe consiste en une seconde chambre qui modère les impétuosités de l’Assemblée populaire491. Fermement opposé au monocamérisme, source d’une volonté générale tyrannique, il s’interroge sur la situation en l’absence de seconde chambre : « Qui empêchera l’assemblée unique de se soustraire, quand elle le voudra, aux loix qu’elle aura faîtes ? Ces loix fussent-elles une partie de la Constitution, qui l’arrêtera dans son mouvement, quand elle trouvera bon de ne pas y obéir »492 ? L’idée de division du corps législatif apparaît sœur d’équilibre. Bergasse est convaincu que, sans limite, la puissance d’une assemblée chargée seule du droit de légiférer ne peut que dégénérer. Le pouvoir législatif étant supérieur à l’exécutif et au judiciaire, s’il est confié à un seul organe, il devient inévitablement instable et despotique. Dégénérant, il finit par détruire l’ordre constitutionnel établi. À l’Assemblée, les nostalgiques de l’ordre ancien sont partisans de la politique du pire. Afin d’empêcher l’établissement durable d’une monarchie constitutionnelle en France, ils s’opposent à l’instauration du bicamérisme. Ainsi, l’abbé Maury concède : « Si vous établissiez deux Chambres, votre Constitution pourrait se maintenir »493. Il résume alors parfaitement l’esprit de Bergasse alors qu’il s’y refuse fermement. Pour les monarchiens, l’existence d’une seconde chambre dispense alors d’instaurer un contrôle de constitutionnalité des lois, le contrepoids de la chambre haute suffit à assurer politiquement et préventivement cette fonction. En conséquence, protéger la Constitution revient impérativement à instituer une seconde chambre qui empêche tout affrontement entre le roi et les représentants. Afin de rompre avec le passé honni, la Constitution de 1791 consacre un organe législatif unique, reflet d’une volonté générale unique. Comme le craignait Bergasse, ce choix conduit à un tête-à-tête entre le roi et l’Assemblée, dû notamment à l’absence de seconde chambre. Cet affrontement finit par s’avérer nuisible au régime et par provoquer sa perte. Le représentant de la sénéchaussée de Lyon avance également que l’équilibre institutionnel se trouve renforcé par la possibilité pour la chambre haute de juger les délits commis par les agents de l’exécutif préalablement mis en accusation par la chambre basse494. La personne inviolable du roi ne pouvant être inquiétée, la responsabilité se tourne vers ses ministres qui, eux, encourent des sanctions. 490 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 46. Voir supra, p. 30. 492 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 41. 493 Cité par R. Griffiths, Le centre perdu : Malouet et les « monarchiens »…, op. cit., p. 69. 494 Voir supra, p. 39. 491 91 En définitive, par l’instrument du veto et la division du corps législatif en deux chambres, Bergasse se préoccupe principalement des éventuels abus du pouvoir législatif qu’il considère comme le plus dangereux. Presque rien n’est prévu pour se prémunir des excès de l’exécutif. Il envisage seulement la procédure de répression des ministres prévaricateurs devant le Parlement. Pourtant, l’auteur estime que, dans la Constitution de 1791, le roi est laissé dans une situation incertaine où sa position est remise en cause en permanence. Sentant son existence et son autorité sans cesse menacées, le monarque risque d’avoir intérêt à renverser le régime495. Or, « si cet intérêt violent existe pour le prince, que deviendra votre constitution »496 ? Il faut alors que chaque organe se sente en sécurité et ne craigne pas d’être renversé à tout moment par un autre497. Chez Bergasse, le risque réside presque exclusivement dans le pouvoir législatif, c’est lui qu’il faut à tout prix maîtriser. Par l’établissement de pouvoirs se faisant mutuellement contrepoids et s’équilibrant, l’avocat lyonnais espère maintenir la Constitution et encourager mécaniquement une législation modérée et raisonnable. Dans la première partie du XIXe siècle, les penseurs du libéralisme politique reprennent cette analyse en prônant que la Constitution doit être garantie notamment par la division et l’entrelacement des pouvoirs. Benjamin Constant récupère cette théorie mais doute qu’elle soit suffisante à elle seule498, il invente alors un nouveau pouvoir appelé préservateur ou neutre qui intervient en tant qu’arbitre lorsque les autres excèdent leurs limites499. En pratique, le seul mécanisme de la balance des pouvoirs se révèle largement insuffisant pour conserver l’édifice constitutionnel. Toutefois, dans la pensée de Bergasse, ce dispositif doit 495 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 81 : « Réfléchissez-y bien, et voyez si le mal-aise habituel où vous tenez le prince ne lui donnera pas un intérêt constant ; je vais plus loin, un intérêt violent à briser un régime dans lequel il n’existe pour lui aucune sécurité véritable ». 496 Ibid., p. 81. De même, le député lyonnais poursuit en avertissant les constituants : « Prenez toutes les précautions que vous pourrez imaginer pour la maintenir, je vous soutiens moi que dès que vous y placez un homme excité par le sentiment toujours si actif de sa conservation et de son bien-être à la renverser, cet homme, pour peu qu’il dispose d’un pouvoir quelconque (et il vous est impossible de ne pas laisser tout le pouvoir exécutif au prince) finira infailliblement par la détruire » (ibid., p. 81). 497 Ibid., pp. 81-82 : « Regardez comme une maxime incontestable que, pour faire une bonne constitution, il importe sur toute chose de ne pas environner les pouvoirs dont elle se compose de trop d’inquiétude, car ce sont les positions incertaines et inquiètes qui rendent les hommes entreprenans, et on n’assure jamais mieux la prospérité d’un empire, qu’en y distribuant les pouvoirs de manière à ce que ceux qui en disposent ne soient tourmentés par aucune affection pénible en les exerçant ». 498 B. Constant (Principes de Politique, Paris, Eymery, 1815, p. 24) explique : « Vous avez beau diviser les pouvoirs : si la somme totale du pouvoir est illimitée, les pouvoirs divisés n’ont qu’à former une coalition, et le despotisme est sans remède. Ce qui nous importe, ce n’est pas que nos droits ne puissent être violés par tel pouvoir, sans l’approbation de tel autre, mais que cette violation soit interdite à tous les pouvoirs ». 499 Cf. J.-P. Feldman, « Le constitutionnalisme selon Benjamin Constant », op. cit., pp. 675-702 ; P. PichotBravard, Conserver l’ordre constitutionnel…, op. cit., pp. 441-450. En 1815, B. Constant finit par confier ce pouvoir neutre au monarque, voir supra p. 19, note 80. 92 être renforcé par la soumission de la volonté politique à une abstraction supérieure porteuse, selon lui, d’un fort conservatisme : la raison. § 3 - Le respect de la raison universelle Au sein de la réflexion relative à la conservation de la Constitution, la souveraineté de la raison, prônée par Bergasse, apporte une singulière contribution. Considérant que « la loi, prise dans son acception la plus vraie, n'est que l'expression de la Raison universelle »500, il se méfie fortement de la seule volonté du législateur. D’ailleurs, il précise que « la loi est l'opposé de la volonté simple. Partout où il n'y a que volonté, il y a despotisme ; partout où il existe un accord de la raison et de la volonté, il y a loi »501. Si la loi contredit le principe essentiel de la raison, celle-ci perd toute légitimité. Dès lors, une volonté humaine toute puissante se manifeste comme un péril immense. Si celle-ci n’est pas bornée, la société ne trouve jamais la paix et la stabilité nécessaire à son épanouissement puisqu’à tout moment les individus au pouvoir peuvent renverser l’ordre établi. D’ailleurs, Stéphane Rials considère que dans l’histoire de la pensée politique, les droites françaises ont partagé une relative hostilité à l’égard de la volonté humaine qui a pu couramment apparaître inadéquate, malheureuse ou pire, dévoyée502. Sous l’empire de la seule volonté, Bergasse craint que la Constitution soit perpétuellement menacée par d’éventuels soubresauts ou bouleversements convulsifs inhérents aux passions humaines. Même bien intentionnée, la volonté de l’homme ne peut que divaguer et finir par s’égarer tant qu’elle refuse de se soumettre à la raison universelle. Afin d’éviter ces terribles dangers, la volonté doit absolument se plier à la raison suprême dont Dieu a doté chaque conscience humaine. Les révolutionnaires consacrent une raison, issue de la pensée des Lumières, qu’ils opposent à la foi, aux croyances et aux superstitions obscures503. Ils défendent une raison progressiste censée rompre avec la tradition de l’Ancien Régime. Bergasse emploie ce même concept mais dans un sens conservateur et limitatif de la faculté de détermination humaine. Si la Constitution adoptée annonce le règne de la raison, alors aucun changement constitutionnel majeur ne peut être toléré. Tout au plus, il demeure possible d’adapter légèrement les règles aux circonstances par un mécanisme de révision constitutionnelle504. En effet, la raison est immuable et intemporelle, elle traverse les générations successives en demeurant toujours 500 N. Bergasse, Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir…, op. cit., p. 34. Ibid., p. 35. Sur la loi comme expression de la raison universelle, voir supra, p. 58. 502 Cf. S. Rials, « La droite ou l'horreur de la volonté », op. cit., pp. 34-48. 503 Entre l’automne 1793 et le printemps 1794, les hébertistes vont même jusqu’à instaurer un culte de la raison. 504 Voir supra, p. 83. 501 93 fidèle à elle-même. À toutes époques et en toutes circonstances, elle constitue une référence incomparable lorsque les hommes recherchent la paix et la liberté. La raison universelle triomphe du temps et embrasse la société dans sa durée. Dès lors, fonder la norme juridique suprême sur ce principe invariable se révèle comme une garantie de stabilité incomparable. L’élite chargée de siéger au sein des deux assemblées du Parlement est présumée être foncièrement conservatrice et ne peut alors agir de manière inconstitutionnelle. En affirmant, sous la Restauration, une souveraineté de la raison et de la justice, Guizot et les doctrinaires restreignent également la volonté du législateur505. Ces auteurs bornent alors les possibilités de changement constitutionnel en confiant le monopole du pouvoir politique à une aristocratie d’hommes ayant la capacité de discerner la voix de la raison 506. Selon Marcel Gauchet, le discours de Bergasse sur la limitation des pouvoirs se révèle remarquable sous plus d’un aspect parce qu’il constitue notamment un relais entre le rationalisme politique des Lumières et les doctrines libérales de la souveraineté de la raison507. En soumettant la volonté du législateur à la Constitution et à la raison, le député fustige le légicentrisme aveugle des révolutionnaires opposés à toute idée de censure de la loi. Compter sur la raison pour encadrer les décisions du législateur peut apparaître comme un vœu pieux, mais l’avocat lyonnais ne se laisse pas complètement éblouir par cette idée chimérique. Afin que le régime soit en harmonie et que la Constitution soit correctement protégée, cette soumission à la raison souveraine doit être combinée à des pouvoirs distingués, séparés et équilibrés508. Ces solutions affectées au maintien de la Constitution demeurent théoriques et spéculatives, la question de leur efficacité reste manifestement ouverte. Par conséquent, Bergasse esquisse une piste inhabituelle, reprise et développée au début du XIXe siècle, qui apporte une participation notable au débat sur la conservation de l’ordre constitutionnel. 505 Voir supra, p. 63. Sur la conservation de l’ordre constitutionnel et la souveraineté de la raison et de la justice exprimée par les doctrinaires, cf. P. Pichot-Bravard, Conserver l’ordre constitutionnel…, op. cit., pp. 450-454. 507 Cf. M. Gauchet, La Révolution des pouvoirs…, op. cit., p. 70. 508 Voir supra, p. 89. 506 94 CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE Établir une monarchie libérale fondée sur la souveraineté de la raison universelle se dessine comme la première ambition constitutionnelle de Nicolas Bergasse. Afin que le futur régime soit une réussite, il importe que ce nouveau cadre juridique soit sagement élaboré dans une atmosphère calme et apaisée. Le roi et surtout l’ensemble de la nation doivent être associés à la procédure d’adoption du texte. Bien que la machine constitutionnelle puisse être exceptionnellement modifiée, son objectif est avant tout de rétablir la stabilité sociale et politique mise à mal par l’effervescence révolutionnaire. L’auteur conçoit difficilement que sa nouvelle construction constitutionnelle puisse être renversée puisque celle-ci résulte d’un équilibre parfait entre les pouvoirs, et repose sur l’éternel raison que la loi est chargée d’exprimer. Néanmoins, dès septembre 1789, ses idées, partagées sur de nombreux aspects par ses amis monarchiens, se trouvent d’ores et déjà dépassées par les événements. Son intonation modérée et raisonnable ne parvient plus à se faire entendre au milieu de l’exaltation révolutionnaire. Initialement réformatrice et destinée à annoncer le triomphe de la liberté, sa pensée se voit rapidement balayer du côté de la contre-révolution. 95 CONCLUSION GÉNÉRALE De la période prérévolutionnaire à la chute de la royauté, Nicolas Bergasse rêve d’une société nouvelle débarrassée du « pouvoir arbitraire » qu’il a vigoureusement combattu lors de l’affaire Kornmann. Il partage avec les révolutionnaires l’ambition de régénérer l’homme grâce aux vertus de la morale et de la raison, mais diverge sur les moyens à mettre en œuvre. Modéré, il est résolu à réformer sans détruire. Le 27 juin 1789, Louis XVI plie devant le tiers état en invitant le clergé et la noblesse à se joindre à l’Assemblée nationale. Désormais, Bergasse considère que la phase révolutionnaire est terminée et qu’il est temps de rebâtir. Or, il est fort complexe d’arrêter une révolution et celle-ci ne fait que commencer. Si l’avocat lyonnais se refuse à abattre entièrement l’ancienne société, il souhaite toutefois la transformer en profondeur. Il suit le mouvement révolutionnaire tant qu’il s’agit de réformer ardemment l’Ancien Régime, mais il s’y oppose dès que l’esprit de réforme dérape vers l’apologie du changement et sans garantie de construire mieux. Ce dérapage, commencé par le refus du bicamérisme et du veto illimité, s’accentue avec les journées d’octobre. Dès lors, il se lance dans une résistance absolue et constante contre les erreurs commises, selon lui, par les révolutionnaires, tout en défendant courageusement et avec intransigeance ses conceptions politiques. Le député ne croit véritablement pas que la Constitution de 1791 puisse être viable. Le trop fort déséquilibre entre les pouvoirs ne peut que conduire le régime à sa perte. Avec d’une part, un parlement monocaméral tout-puissant et d’autre part, un exécutif royal très affaibli, la nouvelle structure politique est inévitablement appelée à s’effondrer. Avec une grande sévérité, il estime, dès les premiers échecs du courant monarchien, que la Constituante établit des institutions impraticables et despotiques. L’agencement constitutionnel n’est qu’apparent puisque la réalité du pouvoir se concentre entre les mains d’une assemblée unique. L’histoire ne peut que justifier ses appréciations pessimistes. Si, lorsqu’il s’agit de réorganiser les pouvoirs, Bergasse défend un réformisme modéré, lorsqu’il s’agit d’expliquer leurs fondements, celui-ci témoigne d’un fort conservatisme et d’une grande fidélité aux valeurs traditionnelles. Son utopie politique qui semble réalisable au début de l’été 1789, se heurte à l’incontrôlable emballement révolutionnaire et se voit au fil des jours, davantage marginalisé jusqu’au terrible coup de grâce que constitue, pour le conseiller du roi, le 10 août 1792. Refusant tout compromis et intellectuellement inflexible, il ne se révèle en rien comme un opposant systématique aux réformes ou comme un opportuniste qui a changé de conviction au cours des événements révolutionnaires. Si sa pensée peut parfois paraître extrême, c’est parce qu’il est 96 particulièrement intransigeant et qu’il ne s’autorise aucun arrangement ou concession. Sous l’Ancien Régime, il défie la souveraineté d’un seul, et sous la Révolution, il se dresse contre la puissance de la majorité. En s’élevant successivement contre des abus antagonistes, l’auteur ne change pas d’opinion mais défend vigoureusement la même doctrine politique et constitutionnelle. À travers son discours, on comprend la contribution déterminante qu’il apporte à la doctrine du courant monarchien. De façon remarquable, il annonce certaines idées qui seront développées dans la première moitié du XIXe siècle. Intellectuellement, il semble parfois disposer d’un temps d’avance. En effet, ses conceptions bien qu’inadaptées au contexte révolutionnaire semblent, en apparence, consacrées sous le régime de la Restauration. La Charte de 1814 retient dans ses grandes lignes le programme des monarchiens : un monarque investi de la plénitude du pouvoir exécutif, deux chambres exerçant concurremment avec lui le pouvoir législatif, l’une composée de pairs héréditaires, l’autre de représentants élus au suffrage censitaire. Toutefois, là encore Bergasse refuse tout compromis et reproche au nouveau régime d’avoir conservé la centralisation impériale et de négliger sérieusement les libertés publiques. De surcroît, la composition précise des chambres ne le satisfait pas complètement509. Tandis que Malouet est nommé Ministre de la marine, que Lally-Tollendal entre à l’Académie française et à la Chambre des pairs, que le fils de Mounier devient pair de France et ministre de la police510, Bergasse ne reçoit ni fonction ni honneur et se tient volontairement à l’écart d’un régime qui ne correspond pas exactement à ses vues 511. En évitant de se confronter à la réalité du pouvoir, Nicolas Bergasse condamne sa pensée à demeurer dans l’ombre de l’histoire. 509 Cf. L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 266-269. Il s’agit de Claude-Philibert-Edouard Mounier. De même, un membre de la maison Clermont-Tonnerre, Aimé-Marie-Gaspard, devient Ministre de la marine en 1821 dans le cabinet Villèle. 511 L. Bergasse (Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., p. 265) estime probable que des offres sont faites à l’ancien constituant mais qu’il les décline afin de conserver son indépendance. Il avance également que Louis XVIII ne ressent pas beaucoup de sympathie pour Bergasse. Le roi a gardé un fâcheux souvenir de sa lutte contre Beaumarchais et de son enthousiasme pour Mesmer et les débuts de la Révolution (ibid., pp. 265-266). En revanche, en juillet 1830, Charles X le nomme conseiller d’État honoraire mais Louis-Philippe Ier lui enlève aussitôt cette fonction qu’il n’exerce donc jamais. 510 97 SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE I - SOURCES A) Écrits de Nicolas Bergasse512 Réflexions sur les nouveaux édits, Bretagne, 1788, 16 p. in-8°. Mémoire pour le Sieur Bergasse dans la cause du Sieur Kornmann contre le Sieur de Beaumarchais et contre le Prince de Nassau, s. l., juin 1788, XII-176 p. in-8°. Observations du Sieur Bergasse sur l’Écrit du Sieur de Beaumarchais ayant pour titre : Court Mémoire en attendant l’autre, dans la cause du Sieur Kornmann, s. l., août 1788, 69 p. in-8°. Lettre de M. Bergasse à la Reine, s. l., août 1788, 4 p. in-8°. Lettre sur les États-Généraux, le 12 février 1789, s. l., 1789, 58 p. in-8°. Discours du 15 juin 1789, relatif à la motion de l’abbé Sieyès proposant que l’assemblée des députés des communes se constitue en assemblée des représentants connus et vérifiés de la nation, AP, t. 8, pp. 114-118. Discours sur l’organisation du pouvoir judiciaire, AP, t. 8, pp. 440-450. Discours sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif dans une monarchie, s. l., 1789, 90 p. in-8°. Discours sur les crimes et les tribunaux de haute trahison, s. l., 1789, 46 p. in-8°. Observations sur le préjugé de la noblesse héréditaire, Londres, 1789, 48 p. in-8°. Lettre de M. Bergasse, relative au serment de la Constitution, adressée à M. Bureau de Puzy, Président de l’Assemblée nationale, Paris, 7 février 1790, 14 p. in-8°. 512 Au début de l’année 1789, Bergasse est extrêmement célèbre et se voit attribuer à tort certaines publications. Ainsi, il réfute formellement être l’auteur du Cahier du Tiers État à l’Assemblée des États-Généraux de l’année 1789 et ses biographes s’accordent pour dire qu’il n’a jamais écrit le violent pamphlet nommé Les prophéties françoises. 98 Protestation contre les assignats-monnoie, s. l., 1790, 44 p. in-8°. Lettre de M. Bergasse, à M. Dinocheau, auteur du Courrier de Madon, député à l’Assemblée nationale, Paris, s. d., 24 p. in-8°. Lettre de M. Bergasse, député de la Sénéchaussée de Lyon, à ses commettants au sujet de la Protestation contre les assignats-monnoie, accompagnée d’un tableau comparatif du système de Law avec le système de la caisse d’escompte et des assignats-monnoie, et suivie de quelques réflexions sur un article du Patriote François, rédigé par M. Brissot de Warville, s. l., 1er mai 1790, 56 p. in-8°. Réflexions de M. Bergasse, député de la Sénéchaussée de Lyon, sur le projet de Constitution présenté à l’Assemblée nationale par les comités de Constitution et de Révision réunis, Paris, Guerbart, 1791, 46 p. in-8°. Réflexions sur l’acte constitutionnel du Sénat, s. l., 1814, 14 p. in-8°. Vues politiques arrachées à un homme d’État, Paris, Patris, 16 novembre 1816, 8 p. in-8°. Essai sur la loi, sur la souveraineté et sur la liberté de manifester ses pensées, ou sur la liberté de la presse, Paris, Patris, 1817, XII-140 p. in-8°. Essai sur la propriété, ou Considérations morales et politiques sur la question de savoir s’il faut restituer aux émigrés les héritages dont ils avaient été dépouillés durant le cours de la Révolution ; Ouvrage où il est parlé de quelques-unes des causes qui préparent la chute des états, et surtout des états monarchiques, relativement au post-scriptum donnant un aperçu de son projet de Constitution monarchique disparu, Paris, Egron, mars 1821, XII-154 p. in-8°. B) Autres ouvrages et recueils Archives parlementaires de 1787 à 1860, recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises, Imprimé sur ordre du Sénat et de la Chambre des députés, sous la direction de J. MAVIDAL, E. LAURENT et E. CLAVEL, première série (1787-1799), Paris, Dupont, 1875. ANONYME, Lettre d’un Magistrat de Province à M. Bergasse sur son caractère, sur ses principes relativement aux États-généraux, sur l’esprit qui règne dans ses Écrits, et principalement dans ses Mémoires sur l’Affaire Kornmann, s. l., 1789. 99 BECCARIA (Cesare), Des délits et des peines (1764), Paris, Dalibon, 1821. BRISSOT DE WARVILLE (Jacques-Pierre), Mémoires de Brissot, membre de l’Assemblée législative et de la Convention nationale, sur ses contemporains, et la Révolution française, Paris, Ladvocat, 1830. BURKE (Edmund), Réflexions sur la Révolution de France (1790), Paris, Egron, 1819. CLERMONT-TONNERRE (Stanislas de), Analyse raisonnée de la constitution française (1791), Œuvres complètes, Paris, Letellier, 1795, 4 vol. CONSTANT (Benjamin), De la force du gouvernement actuel et de la nécessité de s’y rallier (1796). Des réactions politiques (1797). Des effets de la Terreur (1797), Paris, Boucher, 2002. Principes de Politique, Paris, Eymery, 1815. GUIZOT (François), Du gouvernement de la France depuis la restauration et du ministère actuel, Paris, Ladvocat, 1820. MALEBRANCHE (Nicolas), De la recherche de la vérité (1674-1675), Œuvres complètes, Paris, Sapia, 1837, 2 vol. MONTESQUIEU (Charles-Louis de Secondat de), De l'esprit des lois (1748), Paris, Garnier-Flammarion, 1979, 2 vol. MOUNIER (Jean-Joseph), Exposé de ma conduite dans l'Assemblée nationale, et motif de mon retour en Dauphiné, s. l., novembre 1789. Nouvelles observations sur les États-Généraux de France, Grenoble, février 1789. PORTALIS (Jean-Etienne-Marie), Discours, travaux et rapports inédits sur le code civil, Paris, Joubert, 1844. 100 STAËL (Germaine de), Considérations sur les principaux événements de la Révolution française (1818), Paris, Charpentier, 1843. II - BIBLIOGRAPHIE A) Dictionnaires et encyclopédies ARABEYRE (Patrick), HALPERIN (Jean-Louis) et KRYNEN (Jacques) [dir.], Dictionnaire historique des juristes français. XIIe-XXe siècle, Paris, PUF, 2007. DEZOBRY (Charles) et BACHELET (Théodore), Dictionnaire général de biographie et d’histoire, de mythologie, de géographie ancienne et moderne comparée, des antiquités et des institutions grecques, romaines, françaises et étrangères, Paris, Delagrave, 1895, 2 vol. [ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS], Encyclopaedia Universalis, Paris, Encyclopaedia Universalis, 1985. FRITZE (Ronald) [dir.], Historical dictionary of Stuart England, 1603-1689, Londres, Greenwood Press, 1996. FURET (François) et OZOUF (Mona) [dir.], Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1992. LEMAY (Edna) [dir.], Dictionnaire des Constituants 1789-1791, Paris, Universitas, 1991, 2 vol. RAYNAUD (Philippe) et RIALS (Stéphane) [dir.], Dictionnaire de philosophie politique, Paris, PUF, 2003. ROBERT (Adolphe) et COUGNY (Gaston) [dir.], Dictionnaire des parlementaires français. Depuis le 1er mai 1789 jusqu’au 1er mai 1889, Paris, Bourloton, 1889, 5 vol. TULARD (Jean), FAYARD (Jean-François) et FIERRO (Alfred), Histoire et dictionnaire de la Révolution française (1789-1799), Paris, Lafont, 1987. 101 B) Ouvrages ACHAINTRE (Christophe), L’instance législative dans la pensée constitutionnelle révolutionnaire (1789-1799), Paris, Dalloz, 2008. BABOT (Agnès) et BOUCAUD-MAITRE (Agnès), Histoire des institutions publiques (1789-1870), Paris, Ellipses, 2007. BAREAU (Romain), Les arrêts de règlement du Parlement de Bretagne, Thèse, Droit, Rennes 1, 2000. BERGASSE (Louis), Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution : Nicolas Bergasse, avocat au parlement de paris, député du tiers état de la sénéchaussée de Lyon aux États-généraux (1750-1832), Paris, Perrin, 1910. Un philosophe lyonnais : Nicolas Bergasse. Essai de philosophie chrétienne sous le premier empire, Paris, Vrin, 1938. BERGASSE (Jean-Denis), D’un rêve de réformation à une considération européenne.MM. les députés Bergasse (XVIIIeXIXe siècles), Cessenon, édité par l’auteur, 1990. BERTAUD (Jean-Paul), Les amis du Roi. Journaux et journalistes royalistes en France de 1789 à 1792, Paris, Perrin, 1984. CARBASSE (Jean-Marie), Introduction historique au droit pénal, Paris, PUF, 1990. CASTALDO (André), Les méthodes de travail de la Constituante. Les techniques délibératives de l’Assemblée Nationale, 1789-1791, Paris, PUF, 1989. CHEVALLIER (Jean-Jacques), Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958, Paris, Dalloz, 2001. 102 DARNTON (Robert), La Fin des Lumières. Le mesmérisme et la Révolution, Paris, Odile Jacob, 1995. DU BUS (Charles), Stanislas de Clermont-Tonnerre et l’échec de la Révolution monarchique, Paris, Alcan, 1931. DURELLE-MARC (Yann-Arzel), Les acteurs politiques de la Constituante, Mémoire de DEA, Rennes 1, 1994. ÉGRET (Jean), La Révolution des Notables. Mounier et les Monarchiens, 1789, Paris, Armand Colin, 1950. FIORENTINO (Karen), La seconde Chambre en France dans l’histoire des institutions et des idées politiques (17891940), Paris, Dalloz, 2008. FURET (François) et HALEVI (Ran), Les orateurs de la Constituante, Paris, Gallimard, 1989. La monarchie républicaine. La Constitution de 1791, Paris, Fayard, 1996. GAILLARD (Léopold de), Autres temps. Nicolas Bergasse, député de Lyon à l’Assemblée constituante. Deux enclaves de l’ancienne France : Orange et Avignon, Paris, Plon, 1893. GAUCHET (Marcel), La Révolution des pouvoirs. La souveraineté, le peuple et la représentation. 1789-1799, Paris, Gallimard, 1995. GAUDEMET (Jean), Les naissances du droit, Paris, Montchrestien, 2006. GLÉNARD (Guillaume), L’exécutif et la Constitution de 1791, Paris, PUF, 2010. GODECHOT (Jacques) et FAUPIN (Hervé), Les Constitutions de la France depuis 1789, Paris, Flammarion, 2006. 103 GONCOURT (Edmond et Jules), Histoire de la société française pendant la Révolution, Paris, Charpentier, 1895. GRIFFITHS (Robert), Le centre perdu : Malouet et les « monarchiens » dans la Révolution française, Grenoble, PUG, 1988. HAROUEL (Jean-Louis), BARBEY (Jean), BOURNAZEL (Éric) et THIBAUT-PAYEN (Jacqueline), Histoire des institutions de l’époque franque à la Révolution, Paris, PUF, 1987. HAVAS (Nathalie), La responsabilité ministérielle en France. Contribution à une approche historique des responsabilités politique et pénale des ministres de la Révolution de 1789 à la Vème République, Paris, Dalloz, 2012. LE POURHIET (Anne-Marie), Droit constitutionnel, Paris, Economica, 2007. MARTINEAU (René), Un avocat du temps jadis, Nicolas Bergasse, Limoges, Ducourtieux et Gout, 1907. MERGEY (Anthony), L’État des physiocrates : autorité et décentralisation, Aix-en-Provence, PUAM, 2010. MICHAUD (Louis-Gabriel) [dir.], Biographie universelle ancienne et moderne, Paris, Desplaces, 1854. MORABITO (Marcel), Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), Paris, Montchrestien, 2000. PAYEN (Philippe), Les arrêts de règlement du Parlement de Paris au XVIIIe siècle, dimension et doctrine, Paris, PUF, 1997. PICHOT-BRAVARD (Philippe), Conserver l’ordre constitutionnel (XVIe-XIXe siècle). Les discours, les organes et les procédés juridiques, Paris, LGDJ, 2011. 104 RIALS (Stéphane), La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Hachette, 1988. ROYER (Jean-Pierre), Histoire de la justice en France, Paris, PUF, 2001. SOLEIL (Sylvain), Introduction historique aux institutions (IVe-XVIIIe siècle), Paris, Flammarion, 2010. TIMBAL (Pierre-Clément), CASTALDO (André) et MAUSEN (Yves), Histoire des institutions publiques et des faits sociaux, Paris, Dalloz, 2009. URMAUD (Daniel), Histoire constitutionnelle et politique de la France (1789-1958), Paris, Montchrestien, 1991. C) Articles ALVAZZI DEL FRATE (Paolo), « Aux origines du référé législatif : interprétation et jurisprudence dans les cahiers de doléances de 1789 », RHD, 2008-2, pp. 253-262. BACOT (Guillaume), « Les monarchiens et la Constitution anglaise », RRJ, 1993-3, pp. 709-737. « Les fondements juridiques des constructions politiques des monarchiens », RRJ, 1991-3, pp. 607-651. CARBONNIERES (Louis de), « Tangentes ou parallèles ? Les destinées du jury français et du jury anglais (XVIIIe-XXIe siècles) », Les cahiers de la justice, 2012-1, pp. 83-95. DUPRAT (Jean-Pierre), « Le Roi Chef de l’État et / ou de Gouvernement », 1791 la première Constitution française, actes du colloque de Dijon 26 et 27 septembre 1991, Paris, Economica, 1993, pp. 149-180. FELDMAN (Jean-Philippe), « Le constitutionnalisme selon Benjamin Constant », RFDC, 2008-4 n° 76, pp. 675-702. 105 GENGEMBRE (Gérard), « La Contre-révolution et le refus de la Constitution », 1789 et l’invention de la constitution, actes du colloque de Paris organisé par l’Association Française de Science politique : 2, 3 et 4 mars 1989, Paris, LGDJ, 1994, pp. 55-74. LE YONCOURT (Tiphaine), « Les attributions contentieuses des corps administratifs sous la Révolution », Regards sur l’histoire de la justice administrative, Journées d’études du Centre d’histoire du droit de l’Université de Rennes 1, Paris, Litec, 2006, pp. 31-71. PERTUÉ (Michel), « L’inviolabilité du Roi dans la Constitution de 1791 », 1791 la première Constitution française, actes du colloque de Dijon 26 et 27 septembre 1991, Paris, Economica, 1993, pp. 181-203. RIALS (Stéphane), « La droite ou l'horreur de la volonté », Le Débat, 1985-1 n° 33, pp. 34-48. RUDELLE (Pierre-Yves), « Le premier comité de Constitution ou l’échec du projet monarchien », 1791 la première Constitution française, Actes du colloque de Dijon, 26 et 27 septembre 1991, Paris, Economica, 1993, pp. 87-110. 106 ANNEXES Annexe 1 Discours préparé par Nicolas Bergasse pour Louis XVI et devant être lu à l’Assemblée lors de son retour de Varennes en 1791513 Discours aux commissaires Je ne peux être séparé de mon peuple, ce n'est que dans l’Assemblée de ses représentants que je peux rendre compte des motifs qui ont déterminé mon départ. Ces motifs sont trop honorables pour que je ne m'empresse pas de les faire connaître. Dites à l’Assemblée qu’elle fixe le moment ou je pourrais paraître dans son sein, avec la majesté dont je ne puis me dépouiller sans manquer à la dignité de mon caractère. Discours à l’Assemblée J’ai peu de choses à vous dire. Ecoutez-moi en silence, comme un prince malheureux, qui vous parle peut-être pour la dernière fois, et qui dans la position terrible où vous l’avez placé, s’oublie encore lui-même pour ne s’occuper que du salut de tous. Ma liberté était un problème pour une grande partie de la Nation ; et tel était le malheur de ma captivité qu’afin d’éviter de plus grands désordres, et surtout afin de garantir mon infortunée famille des attentats dont elle était menacée chaque jour, il a fallu que je me déclarasse libre quand j’étais sous le joug de la plus rigoureuse et de la plus cruelle oppression. Cependant, les forfaits impunis du 6 octobre, l’attentat également impuni du 18 avril, et tant d’autres circonstances que je ne rappellerai point, auraient bien dû éclairer la Nation sur la nature et le degré de liberté dont je jouissais. Mais il est des époques, marquées sans doute par la Providence dans la destinée des Empires, où pour le châtiment des peuples et des rois, la justice et la vérité sont bannies de dessus la terre, et où elle n’y fait régner à leur place qu’un esprit d’iniquité et de mensonge, avant-coureur funeste des calamités qu’elle leur prépare. La Nation s’est donc montrée indifférente à mon sort ! Pour prix de mes intentions bienfaisantes, si souvent, si clairement manifestées, je n'ai recueilli de toutes parts qu'amertume, outrage et douleur. 513 J.-D. Bergasse, D’un rêve de réformation à une considération européenne…, op. cit., pp. 506-507. 107 Il était temps enfin d'échapper à une situation si déplorable. Il fallait pouvoir à ma sûreté, à celle des miens, et m'occuper dans la liberté de ma conscience et de ma raison, de ce que les circonstances semblaient exiger de moi, pour prévenir la totale dissolution de l'Empire. Je l’avoue, je n’imaginais pas que je puisse être arrêté dans l'exécution d'un appareil dessein. Ma personne est inviolable, et néanmoins, je me trouve aujourd’hui détenu avec plus de rigueur que je ne l’ai jamais été. Quand mes devoirs d’homme, de père et de roi m’imposaient l’obligation indispensable de m’éloigner de vous pour quelques instants, un de vos décrets a souverainement ordonné mon retour dans cette capitale. Souffrez, Messieurs, que je vous expose ma pensée. Si disposant, comme vous le faîtes depuis si longtemps, de la force publique, je m’étais permis d’attenter à votre liberté, et de proclamer ensuite vos délibérations comme le vœu libre des représentants de l’Empire, vous m’auriez compté au nom des plus exécrables tyrans, et l’Europe et la postérité auraient applaudi à la sévérité de votre opinion. Eh bien, Messieurs, vous existez dans une pleine indépendance, et c’est moi qui suis captif, et l’on me demande tous les jours mon vœu comme si j’étais libre, et tous les jours on contraint ce vœu, qui ne devrait jamais l’être ; car enfin vous avez déclaré que la liberté et la Constitution, si, par la nature même de vos décrets, un de ces pouvoirs politiques se trouve réduit au plus humiliant esclavage ? Je ne sais que trop qu’on interprète jamais favorablement les intentions de ceux qu’on opprime. J’exposerai pourtant à mon peuple égaré sur de perfides calomnies les intentions qui ont déterminé ma dernière démarche. Elles sont en parties contenues dans la déclaration que je vous ai laissée. Cette déclaration est bien véritablement mon ouvrage : nul n’y a participé que moi. Vous avez dû y remarquer surtout l’épanchement d’une âme simple et franche, qui ne nourrit aucun ressentiment malgré tous les maux qu’elle a souffert ; qui n’est à son aise que lorsqu’elle peut manifester quelque reconnaissance pour le peu de bien qu’on lui a fait, et qui, au milieu des plus cruelles angoisses et des plus cruelles injustices, ne se permet jamais de blâmer qu’avec cette retenue et cette modération, dont le propre est de regarder toutes les fautes comme des erreurs, et de ne s’en occuper que pour en procurer la réparation. Mais ma déclaration ne contenait pas tous mes motifs. J’avais observé l’anarchie profonde à laquelle nous sommes livrés ; la faiblesse et la tyrannie de tous les pouvoirs, les désordres croissants tous les jours, et nulle part aucune autorité assez efficace pour les réprimer. J’avais étudié, mais avec un effroi, dont je ne puis vous rendre compte, les funestes effets de toutes vos propositions en finances : je considérais notre commerce anéanti, nos manufactures détruites, le trésor de la Nation totalement épuisé par des opérations irrémédiables ; je voyais arriver à grands pas, et quand il ne reste plus de numéraire dans l’État, cette affreuse banqueroute, que j’ai tant voulu prévenir, et qui certes au moins ne me 108 sera pas imputée. Je calculais les suites épouvantables qu’elle entraînerait et, d'un autre côté, je ne doutais plus qu'il existât autour de nous une coalition imposante des plus redoutables puissances de l'Europe, soit pour nous forcer à des principes plus modérés et plus sages, soit pour nous garantir des effets de nos propres fureurs. Dans cette position, que vous n'avez pas assez remarquée, j'ai dû me placer entre les nations étrangères et vous. J'ai dû me faire libre afin que tout prétexte à une invasion, que ma captivité pouvait provoquer, s'évanouît. Enfin, j'ai dû m’exposer à tous les dangers pour vous sauver, vous qui m’aimez encore, pour vous sauvez aussi, vous qui me haïssez, et qui vous obstinez à me méconnaître. Telles ont été, et je l’atteste sur mon honneur, les raisons supérieures qui m'ont déterminé à me séparer de vous. D'ailleurs, ne cherchez pas ici des complices. Il n'y a pas de complices pour une action magnanime. Quand un Roi se dévoue pour son peuple, il n’a pour confident de ses nobles desseins que le Dieu qui l’inspire et à qui seul il appartient de le juger. Annexe 2 Extrait d’une lettre de Nicolas Bergasse écrite en 1775 pour son ami Rambaud de Vallières et relatant sa visite à Rousseau514 J’ai vu votre ami Jean-Jacques. Si de tous les auteurs c’est le plus intéressant, c’est bien de tous les hommes le moins curieux. Sa conversation est commune, gênée, sans saillies, il a même quelque fois de la peine à s’exprimer, point d’esprit, point de force, rien qui décèle le grand écrivain. Seulement des mots qui rappellent ses anciennes idées, des ébauches de pensées vastes, des propos qui pourraient être fins mais qui ne le sont pas, parce qu’il dédaigne de les achever. Ne cherchez chez lui ni le peintre d’Emile ni l’apôtre des mœurs ; ce n’est qu’un bon homme dans toute la force du terme. J’ai voulu lui parler de ses ouvrages, il ne s’en souvient plus : Tout cela est déjà bien loin de moi, m’a-t-il dit, et il l’a dit d’un ton si vrai qu’il a bien fallu le croire. J’ai ensuite fait tomber la conversation sur le monde, la société, les belles-lettres : nous avons un peu ri ensemble de l’éloquence moderne, des prétentions des beaux esprits, des badinages académiques, mais il a ri sans finesse, sans méchanceté, comme un enfant. Nos propos ont été plus graves lorsqu’il s’est jeté sur l’article des mœurs et de la constitution actuelle des gouvernements. Après quelques réflexions sur les systèmes divers qui occupent les économistes modernes : Nous touchons, a-t-il ajouté, à quelque grande révolution, le calme dont nous jouissons est le calme terrible qui précède les 514 L. Bergasse, Un défenseur des principes traditionnels sous la révolution…, op. cit., pp. 24-26. 109 tempêtes, et je voudrais que la Providence reportât au-delà des années orageuses qui vont éclore le peu de jours qui me restent, pour être témoin du nouveau spectacle qui se prépare. Au reste, son extérieur n’a rien de frappant. Ses yeux sont d’une vivacité extraordinaire, mais cette vivacité est naïve ; son corps est dans un mouvement perpétuel, mais ce mouvement n’est point décidé. Cependant si vous examinez bien sa physionomie, vous trouverez que tous les traits en sont fortement prononcés : elle a un caractère marqué et véritablement énergique, mais son âme vous ne l’y apercevrez pas. Jamais en le voyant vous ne vous diriez que cet homme ait été malheureux, encore moins que ce soit de tous les hommes le plus sensible. Il n’est ni sombre, ni mélancolique, ni rêveur. En réfléchissant sur toutes ces singularités, j’ai pensé qu’il a d’abord été ce qu’il est aujourd’hui. Imaginez un jeune homme bon, naïf, franc jusqu’à l’étourderie ; supposez à ce jeune homme une âme droite, un cœur vrai, un caractère doux et sans défiance ; jetez-le dans le monde, donnez-lui de l’imagination, une maîtresse et des malheurs et vous aurez le Rousseau d’autrefois : replacez cet homme dans sa première situation et vous aurez le Rousseau d’aujourd’hui. En le quittant, je lui ai demandé la permission de le revoir. Il a hésité avant de me répondre, et sa réponse m’a dévoilé toute sa défiance. Cependant, il m’a dit que je serais le maître de venir, mais j’ai tout lieu de penser qu’il ne négligera rien pour faire cesser mes visites. Lui-même ne voit personne, n’écrit à personne, et n’a pas de société plus constante que celle de son épouse, pour laquelle il a beaucoup d’égards. En voilà bien assez pour aujourd’hui sur le compte d’un homme dont je pourrai vous parler encore quelquefois. 110 TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENTS 2 SOMMAIRE 3 LISTE DES ABRÉVIATIONS 4 INTRODUCTION 5 PREMIÈRE PARTIE UNE NOUVELLE ORGANISATION DES POUVOIRS : ENTRE CRÉATION ET REDISTRIBUTION DES COMPÉTENCES CHAPITRE I LE ROI : UNE AUTORITÉ FORTE AUX PRÉROGATIVES REDÉFINIES SECTION I LE DÉPOSITAIRE DU POUVOIR EXÉCUTIF SUPRÊME 13 14 14 § 1 - Le prince, chef de la nation 14 § 2 - Le prince, « instrument de la Loi » 17 SECTION II LA RECONNAISSANCE D’UN RÔLE CAPITAL DANS LE PROCESSUS LÉGISLATIF 19 § 1 - Le consentement aux actes législatifs : le droit de sanction 19 § 2 - L’opposition aux actes législatifs : le droit de veto 21 A - La critique du veto suspensif 21 B - L’approbation du veto absolu 24 CHAPITRE II LE PARLEMENT : NOUVEAU TITULAIRE DU POUVOIR LÉGISLATIF SECTION I LES CARACTÈRES DU PARLEMENT 27 27 § 1 - La permanence du corps législatif 27 § 2 - Le bicamérisme 30 A - La justification du bicamérisme 30 111 B - La matérialisation du bicamérisme SECTION II LES ATTRIBUTIONS DU PARLEMENT 33 37 § 1 - L’exercice du pouvoir législatif 37 § 2 - La répression des délits des agents de l’exécutif 39 A - La mise en accusation par la Chambre basse 39 B - Le procès devant la Chambre haute 41 CHAPITRE III LA RÉORGANISATION DE L’ORDRE JUDICIAIRE SECTION I LA PLACE NOUVELLE DE LA FONCTION JUDICIAIRE 45 45 § 1 - Le « pouvoir judiciaire » : une expression ambiguë 45 § 2 - L’action du juge limitée à l’application de la loi 48 SECTION II LA PROFONDE RÉFORME DE LA JUSTICE 51 § 1 - La refonte des institutions judiciaires 51 § 2 - La réforme des procédures et des peines criminelles 53 CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE DEUXIÈME PARTIE UN ORDRE CONSTITUTIONNEL INNOVANT : ENCADRER LA MONARCHIE POUR LA RÉGÉNÉRER CHAPITRE I LA CONCEPTION DE L’ORDRE CONSTITUTIONNEL : LES PRINCIPES SUPÉRIEURS FONDANT LA NOUVELLE MONARCHIE SECTION I LA SOUVERAINETÉ DE LA RAISON UNIVERSELLE 56 57 58 58 § 1 - La loi, expression de la raison universelle 58 § 2 - Les modalités d’émergence de la raison universelle. 62 SECTION II L’IDÉAL D’UNE MONARCHIE LIBRE 67 112 § 1 - L’attachement au régime monarchique 67 § 2 - La reconnaissance de libertés essentielles 71 CHAPITRE II LA RÉALISATION DE L’ORDRE CONSTITUTIONNEL : ÉTABLIR ET GARANTIR LE NOUVEAU RÉGIME SECTION I L’ÉLABORATION D’UNE CONSTITUTION INÉDITE 77 77 § 1 - La rédaction de la Constitution 78 § 2 - L’adoption de la Constitution 80 § 3 - La révision de la Constitution 83 SECTION II LA CONSERVATION D’UNE CONSTITUTION ACHEVÉE 85 § 1 - L’esprit de protection de la norme suprême 86 § 2 - L’équilibre des pouvoirs 89 § 3 - Le respect de la raison universelle 93 CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE 95 CONCLUSION GÉNÉRALE 96 SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE 98 ANNEXES 107 TABLE DES MATIÈRES 111 113