Focus - LexisNexis
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CONSTRUCTION - URBANISME - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - SEPTEMBRE 2015 ● 55 ALERTES Focus L’action civile en démolition de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme : le serpent de mer du droit de l’urbanisme ? David GILLIG, avocat au Barreau de Strasbourg, associé de la SELARL Soler-Couteaux/Llorens, chargé d’enseignement à la Faculté de droit de Strasbourg Source : Isabelle Barré, Une loi en béton armé : Le Canard Enchaîné, 24 juin 2015, n° 4939 Même les journaux satiriques s’intéressent aujourd’hui au droit de l’urbanisme. Dans son premier numéro de l’été 2015, le Canard Enchainé se déchaine contre la loi Macron. On peut y lire qu’« un article de la loi Macron comble de joie les bétonneurs : il rend indestructible des milliers de constructions illégales ». Mais de quoi s’agit-il donc ? De l’article 29 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron qui modifie l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme relatif aux conséquences civiles de l’illégalité d’une construction. Le régime de l’action civile en démolition que fixe cet article L. 480-13 fait l’objet de discussions depuis plus de deux décennies. Dans son audit du droit de l’urbanisme effectué en 1992, le Conseil d’État relevait que l’action civile des tiers est enfermée dans d’étroites limites. Il soulignait que cette action « n’a guère d’effet dissuasif » (CE, L’urbanisme : pour un droit plus efficace : Doc. fr. 1992, p. 119-120). Mais la possibilité pour les tiers de demander au juge civil le prononcé d’une mesure de démolition a encore été encadrée de façon plus restrictive par l’ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d’urbanisme. Celle-ci a posé le principe que « lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative ». La même ordonnance a également imposé que l’action en démolition soit exercée dans le délai de deux ans qui suit la décision devenue définitive de la juridiction administrative. Ces dispositions sont très largement inspirées des conclusions du rapport Pelletier de 2005 (propositions pour une meilleure sécurité juridique : Doc. fr. 2005, spéc. p. 64 et s.). Une nouvelle modification du régime juridique de l’action en démolition des tiers a été préconisée en 2013, par le groupe de travail constitué sous la présidence de Daniel Labetoulle (Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre : www.territoires.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_ Labetoulle.pdf). Il s’est agi de recentrer l’action en démolition sur son objet premier. Partant du constat que l’éventualité, même rarement ordonnée et mise en œuvre, d’une démolition de la construction réalisée sur la base d’un permis de construire ultérieurement annulé, conduit les établissements bancaires à bloquer le financement des opérations dans l’attente d’une décision définitive et incite les promoteurs à différer le démarrage des travaux durant la même période, le groupe de travail Labetoulle a proposé de réserver l’action en démolition aux cas des constructions réalisées dans certaines zones appelant une protection particulière (bande littorale de 100 m, secteurs des plans de prévention des risques, secteurs sauvegardés...). Ainsi, les recours contre les autorisations d’urbanisme portant sur des terrains qui ne seraient pas situés dans ces zones protégées présenteraient un effet moins paralysant pour les acteurs économiques. Cette proposition est au nombre de celles qui ont suscité le plus d’échanges et de réflexion au sein du groupe de travail. Elle a toutefois été présentée par le président du groupe de travail comme celle qui est « probablement (...) la plus efficace » (La Gazette des communes, 24 juin 2013). Il admettait néanmoins que « peut-être les esprits ne sont-ils pas mûrs aujourd’hui pour une telle évolution. Mais je suis sûr qu’à terme elle s’imposera ». Effectivement, ni les ordonnances prises sur la base de la loi n° 2013-569 du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction, ni la loi ALUR n’ont pris position sur cette délicate question. Il a fallu attendre le départ de Cécile Dufflot du ministère du Logement et de l’Égalité des territoires au mois de mars 2014 pour que la proposition de circonscrire l’action civile en démolition trouve une consécration législative. En effet, dans le cadre du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, le Gouvernement a souhaité « sécuriser les projets de construction en limitant les risques de démolition » en modifiant l’article L. 480-13 (projet de loi, art. 29). L’exposé des motifs du projet de loi précise que « si juridiquement rien ne s’oppose à l’engagement ou à la poursuite des travaux en cas d’introduction d’un recours contentieux contre un permis de construire, en réalité, l’opération est immédiatement gelée dans l’attente de la purge de l’ensemble des recours, en partie à cause de l’attitude des banques, des acheteurs pour les ventes en l’état futur d’achèvement et des enseignes pour les créations de surfaces commerciales. Une des explications de ce phénomène réside dans le risque de démolition que l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme fait peser sur le projet en cas d’annulation du permis par le juge administratif. Ce risque fait craindre au financeur de voir disparaître l’assurance qui garantit le remboursement de son crédit en cas de défaillance du promoteur. En recentrant la démolition sur les cas où elle est indispensable, notamment pour les constructions réalisées sans permis, mais aussi dans les zones protégées pour des raisons patrimoniales ou environnementales, l’article 29 permet au permis de construire de recouvrer son caractère exécutoire ». La condition tenant à une annulation préalable du permis de construire par la juridiction administrative constitue ainsi un prérequis indispensable et est donc maintenue mais elle se trouve complétée par une seconde condition qui tient à la localisation de la construction. Le droit existant ne demeure que pour les constructions réalisées dans certains espaces fragiles, sensibles et vulnérables, dont une liste est dressée de manière exhaustive. Le texte proposé par le Gouvernement a donné lieu à controverse. Certaines associations de défense de l’environnement ont dénoncé « un véritable scandale ». Pour France Nature Environnement, « le message adressé est catastrophique : pour construire en violant les règles d’urbanisme, privilégiez le passage en force. Une fois la construction réalisée, plus personne ne pourra s’y opposer ». Ces critiques ont été relayées au Parlement. Lors de la discussion en commission, la députée Michèle Bonneton n’a pas hésité à affirmer que « l’article encourage ces bâtisseurs illégaux à aller vite en besogne puisqu’une fois la construction achevée, on ne pourra plus la faire démolir. C’est une véritable incitation à ne pas respecter le droit ». Cette levée de bouclier a conduit la ministre chargée de l’urbanisme à accepter un amendement de repli consistant à ramener à six mois le délai pour saisir le juge civil et à ne le maintenir à deux ans que pour les zones à risques ou particulièrement sensibles du point de vue patrimonial ou environnemental. Cet amendement a été voté par l’Assemblée nationale en première lecture le 19 février 2015. La commission spéciale du Sénat a rétabli l’article 29 dans sa rédaction proposée par le Gouvernement. Mais elle a été désavouée par les sénateurs. L’article 29 a été purement et simplement supprimé lors du vote en première lecture du Sénat le 15 avril 2015. Les 3 ALERTES CONSTRUCTION - URBANISME - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - SEPTEMBRE 2015 sénateurs ont en effet considéré que le dispositif proposé par le Gouvernement « favorise la stratégie du fait accompli et la violation délibérée des règles d’urbanisme ». En effet, « plus aucune démolition ne pourrait être prononcée à la demande des voisins, en milieu urbain comme en zone rurale, dès lors qu’un permis de construire aurait été obtenu et respecté, quand bien même il serait attaqué dans les délais et finalement annulé » (intervention M. Dominique Watrin). La commission spéciale de l’Assemblée nationale, à l’initiative du Gouvernement, a toutefois rétabli l’article 29 dans la version initiale du projet de loi. Il a été adopté en l’état en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, puis par le Sénat et enfin définitivement par l’Assemblée nationale le 10 juillet 2015. Dans la mesure où sa constitutionnalité n'a pas été mise en cause dans le cadre de la saisine du Conseil constitutionnel (V. Cons. const., déc. 5 août 2015, n° 2015-715 DC : JO 7 août 2015, p. 13616), la nouvelle rédaction de l'article L 480-13, telle qu'issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, est donc identique à celle qui figurait dans le projet de loi établi par le Gouvernement. Au final, l’action en démolition applicable aux constructions qui ont été édifiées conformément à un permis de construire par la suite annulé ne sera désormais possible que pour les constructions se situant dans les zones les plus sensibles du point de vue patrimonial, environnemental ou des risques. Dans les autres zones, cette action ne pourra plus être engagée. Faut-il s’en émouvoir ? Nous ne le pensons pas. En effet, d’une part, l’action en démolition n’était que très rarement engagée par les tiers devant les juridictions de l’ordre judiciaire sur le fondement de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme. D’autre part, les tiers qui souhaitent empêcher l’édification d’une construction autorisée par un permis de construire qu’il considère illégal pourront toujours saisir le juge des référés d’une demande de suspension en application de l’article L 521-1 du Code de la justice administrative. Les possibilités pour les tiers d’empêcher le démarrage de travaux autorisés par un permis de construire sont donc totalement préservées puisqu’ils conservent le droit d’agir par la voie du référé suspension. Comme l’a souligné la commission spéciale du Sénat, la réforme de l’article L. 480-13 « incite donc les requérants à agir de manière préventive, avant même que le bâtiment ne soit construit ». Le grand gagnant de la réforme est donc incontestablement le référé suspension, qui va acquérir ses lettres de noblesse. C’est du moins l’ambition du ● Veille AU GOUVERNEMENT 56 Architecture et patrimoine Source : Cons. min., 8 juill. 2015, Projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, communiqué 4 Gouvernement qui, dans l’étude d’impact relative au projet de loi Macron, affirme sans ambages que « « le référé suspension est donc la mesure la plus efficace pour éviter en amont l’apparition de constructions illégales et la restriction de l’action en démolition aboutira nécessairement à une utilisation accrue de ce mécanisme plus efficace, car préventif ». En outre, les travaux réalisés sans permis de construire ne sont pas concernés par le dispositif. En effet, le Gouvernement n’a pas souhaité s’aventurer sur un terrain beaucoup plus miné et polémique que celui des constructions édifiées conformément à un permis de construire délivré. Enfin, les tiers pourront toujours agir au plan civil sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage, pour violation de règles civiles légales ou contractuelles ou en raison de la méconnaissance du droit de propriété. Il s’ensuit que, contrairement au quolibet employé par le Journal satirique paraissant le mercredi, « les rois de la truelle [ne pourront pas] sortir le champagne ». Mais nous ne partageons pas plus l’enthousiasme du Gouvernement. En effet, il est peu probable que la nouvelle rédaction de l’article L. 480-13 permette une accélération des projets de construction. Qui peut croire que les promoteurs immobiliers mettront en œuvre un permis de construire qui n’est pas devenu définitif, même si l’action en démolition définie à l’article L. 480-13 est recentrée sur les cas où elle apparaît indispensable ? Nous l’avons rappelé plus-haut, cette action est aujourd’hui très peu utilisée en pratique. Le Gouvernement en est parfaitement conscient, qui a souligné dans l’étude d’impact relative au projet de loi Macron « qu’il est rare que les constructions dont le permis est annulé soient démolies, ne serait-ce que pour des raisons sociales ou de longueur de la procédure ». Le risque de démolition est en pratique extrêmement limité, lorsque les travaux sont réalisés conformément au permis de construire. Ce n’est donc pas la rédaction antérieure de l’article L. 480-13 qui était en cause. En réalité, la décision d’un opérateur immobilier de mettre en œuvre son permis de construire n’est pas seulement conditionnée par le risque de démolition auquel il s’expose en démarrant les travaux. Elle dépend principalement d’un financement bancaire qui n’est aujourd’hui accordé que lorsque le constructeur a atteint un taux de pré-commercialisation suffisant aux yeux de l’établissement de crédit. On peut donc parier que l’article 29 de la loi Macron n’aura qu’un impact assez marginal sur la production de logements... Au cours du conseil des ministres du 8 juillet 2015, la ministre de la Culture et de la Communication a présenté un projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Certaines des dispositions de ce projet de loi intéressent directement le droit de l’urbanisme. Il est ainsi prévu de réformer le régime de protection applicable à proximité d’un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques. Serait substitué au périmètre de protection automatique fondé sur un double critère de distance de 500 mètres et de visibilité ou de co-visibilité, établi indépendamment des caractéristiques du monument à protéger, un périmètre qualitatif, défini au terme d’une procédure comprenant une enquête publique et après accord de l’autorité compétente en matière de document d’urbanisme, destiné à protéger tous les immeubles formant un ensemble cohérent avec le monument inscrit ou classé. L’objectif poursuivi est de permettre l’établissement de périmètres de protection mieux adaptés aux caractéristiques propres du monument historique à protéger. Dans ce périmètre, les travaux ayant pour effet de modifier l’aspect extérieur des bâtiments seraient soumis à autorisation préalable selon une procédure alignée sur celle applicable dans le périmètre des cités historiques. Celles-ci constituent une nouvelle zone de protection du patrimoine. Elle se substituera aux régimes actuels des secteurs sauvegardés, des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager et des aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine. L’objectif poursuivi est d’établir un régime de protection unique simplifié et mieux articulé avec les documents d’urbanisme applicables. Le projet de loi fixe également le régime applicable au classement en cité historique. Ce classement aura pour effet de grever tous les édifices situés dans son périmètre d’une servitude d’utilité publique. Il impliquera ensuite l’approbation d’un document d’urbanisme associé à la cité historique qui sera soit un PLU comportant, dans son règlement, des dispositions spécifiques en matière de caractéristiques architecturale, patrimoniale, urbaine et écologique, soit un plan de sauvegarde et de mise en valeur tenant lieu de PLU sur le périmètre de la cité historique classée. On relèvera que le Conseil d’État a été saisi pour avis sur le projet de loi (CE, avis, 2 juill. 2015, n° 390121). David GILLIG