Cour de cassation de Belgique

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Cour de cassation de Belgique
18 JUIN 2007
C.06.0061.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.06.0061.F
1.
V. L.,
2.
V. J.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est fait élection de
domicile,
contre
1.
COMMUNE DE GEDINNE, représentée par son collège des
bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis en la maison
communale,
18 JUIN 2007
2.
C.06.0061.F/2
COMMUNE DE VRESSE-SUR-SEMOIS, représentée par son collège
des bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis en la maison
communale,
3.
COMMUNE DE BIEVRE, représentée par son collège des bourgmestre
et échevins, dont les bureaux sont établis en la maison communale,
défenderesses en cassation.
I.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 18 mai
2005 par le tribunal de première instance de Dinant, statuant en degré d’appel.
Par ordonnance du 8 mai 2007, le premier président a renvoyé la cause
devant la troisième chambre.
Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II.
Le moyen de cassation
Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articles 9, 72, 577, 591, 1°, 593, 643, 660 et 854 du Code judiciaire.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué considère que le tribunal de première instance de
Dinant est compétent pour connaître du litige en degré d'appel.
Il justifie cette décision par tous ses motifs réputés ici intégralement
reproduits, en particulier par les motifs suivants :
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« que les [demandeurs] soutiennent que, compte tenu de la décision
adoptée par le tribunal de céans en son jugement précité du 20 mars 2002, le
juge de paix n'était pas compétent pour connaître du litige qui concernait non
un bail commercial mais bien une concession de service public en sorte qu’il
convient actuellement de statuer en premier ressort ;
qu'il échet de constater des pièces de procédure soumises au premier
juge qu'aucune partie n'a soumis in limine litis un déclinatoire de compétence
et que le premier juge n'a pas davantage soulevé d'office un quelconque
problème tenant à sa compétence matérielle ; que la demande des
[défenderesses] quant à la validation de leur congé initial du 25 mars 1993
ayant effet au 1er juillet 1994 et à l'expulsion des [demandeurs] doit s'analyser
comme s'inscrivant dans le cadre de l'article 591, 1°, du Code judiciaire en ce
que cette disposition attribue compétence au juge de paix pour connaître des
demandes en expulsion de lieux occupés sans droit, qu'elles le soient ou non à
la suite d'une convention ; que le premier juge était en conséquence
parfaitement compétent ainsi qu'il en a implicitement décidé ; que le présent
jugement sera en conséquence rendu en dernier ressort ».
Griefs
Première branche
L'article 9, alinéa 1er, du Code judiciaire dispose que la compétence
d'attribution est le pouvoir de juridiction déterminé en raison de l'objet, de la
valeur et, le cas échéant, de l'urgence de la demande ou de la qualité des
parties.
L'article 577 du Code judiciaire dispose que le tribunal de première
instance connaît de l'appel des jugements rendus en premier ressort par le juge
de paix et, dans les cas prévus à l'article 601bis, par le tribunal de police.
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L'article 643 du Code judiciaire dispose que, dans les cas où le juge
d'appel peut être saisi d'un déclinatoire de compétence, il statue sur le moyen
et renvoie la cause, s'il y a lieu, devant le juge d'appel compétent.
Le juge doit d'office vérifier sa compétence d'attribution, celle-ci étant
d'ordre public. La détermination de cette compétence se fait au regard non
seulement de la juridiction qui a rendu la décision mais également à l'égard de
l'objet réel du litige.
L'article 660 du Code judiciaire dispose que, hormis les cas où l'objet
de la demande n'est pas de la compétence du pouvoir judiciaire, toute décision
sur la compétence renvoie s'il y a lieu la cause au juge compétent qu'elle
désigne. La décision lie le juge auquel la demande est renvoyée, tous droits
d'appréciation saufs sur le fond du litige.
Lorsque, en degré d'appel, un déclinatoire de compétence est soulevé
par une partie, le juge d'appel se prononce sur le déclinatoire de compétence
et renvoie, s'il y a lieu, au juge d'appel compétent, que le déclinatoire concerne
le choix du juge qualifié pour statuer en degré d'appel ou qu'il mette en cause
la compétence du premier juge.
Selon le jugement attaqué, le déclinatoire de compétence du juge de
paix aurait dû être soulevé in limine litis par une des parties ou d'office par le
juge de paix. Cette règle, inscrite dans l'article 854 du Code judiciaire, est
étrangère à la contestation soumise aux juges d'appel, ayant pour objet la
compétence de ceux-ci.
Par conséquent, en ce qu'il considère que le déclinatoire de
compétence du juge de paix aurait dû être soulevé in limine litis par une des
parties ou d'office par le juge de paix alors que, d'une part, le juge doit vérifier
d'office sa compétence et que, d'autre part, lorsqu'un déclinatoire de
compétence est soulevé par une partie en degré d'appel, le juge d'appel est
tenu de se prononcer sur le déclinatoire de compétence et de renvoyer, s'il y a
lieu, au juge d'appel compétent, le jugement attaqué viole les articles 9, 577,
643 et 660 du Code judiciaire et fait en outre une fausse application de l'article
854 du Code judiciaire.
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Seconde branche
L'article 72, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire dispose qu’en cas
d'empêchement légitime d'un juge de paix et de ses suppléants, le tribunal
d'arrondissement renvoie les parties devant un autre juge de paix du même
arrondissement. Le jugement de renvoi est rendu à la requête de la partie la
plus diligente, parties présentes ou dûment appelées sous pli judiciaire, par le
greffier, et le procureur du Roi entendu. Ce jugement n'est susceptible ni
d'opposition, ni d'appel.
L'article 591, 1°, du Code judiciaire dispose que le juge de paix
connaît, quel que soit le montant de la demande, des contestations relatives
aux louages d'immeubles et des demandes connexes qui naîtraient de la
location d'un fonds de commerce ; des demandes en payement d'indemnités
d'occupation et en expulsion de lieux occupés sans droit, qu'elles soient ou non
la suite d'une convention ; de toutes contestations relatives à l'exercice du droit
de préemption reconnu aux preneurs de biens ruraux.
Cette disposition associe aux litiges locatifs les conflits nés d'une
occupation sans titre ni droit d'immeubles privés. Tel n'est pas le cas en
l'espèce, dès lors que l'immeuble litigieux est un immeuble du domaine public,
occupé en vertu d'un titre qui fait précisément l'objet de la contestation.
La demande d'indemnité ou d'expulsion du chef d'occupation sans titre
ni droit, visée à l'article 591, 1°, du Code judiciaire, doit être le véritable enjeu
du procès.
L'article 593 du Code judiciaire dispose que le juge de paix connaît des
contestations de titres, qui sont l'accessoire des demandes dont il est
valablement saisi. A contrario, lorsque la contestation de titre est l'objet
véritable de la demande et qu'elle excède la compétence ratione summae du
juge de paix, celui-ci est tenu de se dessaisir et de renvoyer la cause au juge
compétent.
Selon le jugement attaqué, le juge de paix était compétent dès lors
qu'en vertu de l'article 591, 1°, du Code judiciaire, il est compétent pour
connaître des demandes en expulsion de lieux occupés sans droit et, par
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conséquent, de la demande des défenderesses relative à la validation de leur
congé initial et à l'expulsion des demandeurs.
Dans le cas d'espèce, il n'est pas contesté, eu égard à l'importance des
montants demandés, que le juge de paix de Dinant n'était pas compétent en
vertu de l'article 590 du Code judiciaire.
Par ailleurs, la demande principale avait pour objet effectif la
détermination des droits des parties, en fonction de la qualification de la
convention existant entre elles, et n'avait pour objet l'expulsion des
demandeurs que comme conséquence de la thèse des défenderesses quant à
cette qualification.
Le juge de paix du canton de Dinant n'était dès lors pas compétent pour
statuer sur la contestation opposant les parties. La circonstance qu'il avait été
saisi par le tribunal d'arrondissement est à cet égard sans incidence, dès lors
qu'il ne s'agissait pas de décisions sur la compétence, visées par l'article 660,
alinéa 2, du Code judiciaire, mais de décisions de renvoi fondées sur l'article
72 du Code judiciaire, lequel n'implique aucune décision sur la compétence
d'attribution du juge auquel la cause est renvoyée.
La compétence du juge d'appel est déterminée non seulement par la
compétence du premier juge, mais également par l'objet du litige. Le juge
d'appel est dès lors tenu, non seulement de se prononcer sur la compétence du
premier juge, mais également de se prononcer sur sa propre compétence, en
tant que juge d'appel, par référence à l'objet réel du litige.
Dès lors que le juge de paix du canton de Dinant était en réalité
incompétent en raison de l'objet du litige, il en va de même du tribunal de
première instance de Dinant, à qui la cause a été soumise par l'appel interjeté
par les demandeurs.
En estimant le tribunal de première instance compétent pour connaître
de l'appel interjeté à l'encontre du jugement du juge de paix de Dinant, alors
que le litige ne relevait pas, par son objet, de la compétence de celui-ci, le
jugement attaqué méconnaît l'obligation imposée aux juges d’appel par
l'article 643 du Code judiciaire et, en conséquence, viole celui-ci. Il viole en
outre les articles 72, 591, 1°, 593 et 660, alinéa 2, du Code judiciaire.
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III.
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La décision de la Cour
Quant à la seconde branche :
En tant qu’il est pris de la violation des articles 72 et 660, alinéa 2, du
Code judiciaire, sans indiquer en quoi cette violation consisterait, le moyen, en
cette branche, est irrecevable.
En vertu de l’article 591, 1°, du Code judiciaire, le juge de paix connaît,
quel que soit le montant de la demande, des demandes en paiement
d’indemnités d’occupation et en expulsion de lieux occupés sans droit, qu’elles
soient ou non la suite d’une convention.
Suivant l’article 593 de ce code, le juge de paix connaît des
contestations de titres, qui sont l’accessoire des demandes dont il est
valablement saisi.
D’une part, ledit article 591, 1°, attribue compétence au juge de paix
pour connaître des demandes en expulsion des lieux occupés sans droit, sans
exclure de ceux-ci les immeubles relevant du domaine public.
Dans la mesure où il soutient le contraire, le moyen, en cette branche,
manque en droit.
D’autre part, le jugement rendu le 20 mars 2002 par le tribunal de
première instance de Dinant statuant en degré d’appel constate que les deux
premières défenderesses ont fait citer les demandeurs aux fins d’entendre
valider le congé qu’elles leur avaient notifié le 25 mars 1993 pour le 1er juillet
1994, sur la base de la convention dénommée « bail de location relatif à [une]
maison de retraite » qui liait les parties, et d’obtenir leur condamnation à
quitter les lieux, sous peine d’expulsion et d’astreinte, ainsi que la désignation
d’un expert-géomètre avec pour mission de décrire et d’estimer les éventuels
dégâts locatifs.
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Ce jugement analysant la convention non en un bail mais en un contrat
sui generis conclu dans le cadre d’une concession de service public, le
jugement attaqué, qui considère que le juge de paix était compétent pour
connaître en premier ressort de la demande en vertu de l’article 591, 1°, précité,
ne viole ni cette disposition légale ni les articles 593 et 643 du Code judiciaire.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la première branche :
Ainsi qu’il ressort de la réponse à la seconde branche, les juges d’appel
ont examiné le déclinatoire de compétence fondé par les demanderesses sur
l’incompétence du premier juge et l’ont rejeté.
Dirigé contre une considération surabondante du jugement attaqué, le
moyen, en cette branche, est dénué d’intérêt et, partant, irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de huit cent sept euros vingt-sept centimes envers
la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Daniel Plas,
Christine Matray, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé en audience
publique du dix-huit juin deux mille sept par le président de section Christian
Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du
greffier Jacqueline Pigeolet.