Section 2. Les origines du droit Administratif

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Section 2. Les origines du droit Administratif
Cours : L’action administrative
Auteur : Jean-Marie Pontier
Leçon n° 1 : Introduction
Table des matières
Section 1. Introduction.............................................................................................................................p. 2
Section 2. Les origines du droit Administratif...................................................................................... p. 3
§1. Le droit administratif de l'Ancien régime................................................................................................................p. 3
§2. La période de la Révolution et de l'Empire............................................................................................................p. 4
Section 3. Le droit administratif, entre les juges et la loi.................................................................... p. 8
§1. L'évolution du droit administratif au XIXème et au XXème siècles........................................................................p. 8
A. L'avènement de l'état providence.................................................................................................................................................. p. 8
B. Le droit administratif de l'Etat de droit démocratique.................................................................................................................... p. 9
a) Le droit administratif de la décentralisation ...............................................................................................................................................................p. 9
b) Le droit administratif des libertés..............................................................................................................................................................................p. 10
§2. Les caractères du droit administratif ...................................................................................................................p. 11
A. Le caractère prétorien du droit administratif français.................................................................................................................. p. 11
B. L'autonomie du droit administratif................................................................................................................................................ p. 14
Section 4. Le droit administratif aujourd'hui....................................................................................... p. 16
§1. La diversification des modalités d'intervention du droit administratif....................................................................p. 16
A. Transformations quantitatives et transformation du role de l'état................................................................................................ p. 16
B. La responsabilité.......................................................................................................................................................................... p. 17
C. Les relations contractuelles......................................................................................................................................................... p. 18
§2. La démultiplication du droit administratif..............................................................................................................p. 19
A. Les droits administratifs "spécialisés".......................................................................................................................................... p. 19
B. Les nouveaux champs de présence du droit administratif.......................................................................................................... p. 20
§3. Les changements dans l'élaboration et dans l'application du droit administratif ................................................. p. 22
A. Les modifications des sources du droit....................................................................................................................................... p. 22
B. Le droit administratif, un droit qui a connu de profondes modifications dans son application..................................................... p. 24
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Section 1. Introduction
Remarque
Il est habituel, et logique, de présenter aux étudiants qui abordent une nouvelle discipline une
définition de celle-ci. Cela est encore plus indispensable peut-être en droit administratif que dans
les autres disciplines car on se trouve confronté, dans ce dernier, à de fausses évidences, à des
notions qui paraissent simples et qui ne le sont pas, à des raffinements qui peuvent facilement
passer inaperçus.
Dans une première approche, qui paraît « naturelle » (mais il faudra toujours se méfier, en droit, de
cette référence à la « nature » qui peut recouvrir des sens différents) on pourrait être tenté de dire
que le droit administratif est le droit relatif à l'administration, c'est le droit de l'administration.
Même si l'on s'en tenait à cette approche - qui est en partie inexacte, ainsi qu'on le verra plus loin
- une ambiguïté se présente : qu'est-ce que cela signifie de dire que le droit administratif est
le droit de l'administration ?
La formule a une double signification : elle peut, tout aussi bien, signifier un droit qui est applicable
à l'administration qu'un droit de l'administration, c'est-à-dire un droit produit par l'administration.
Et, en fait, on va trouver les deux aspects, en insistant plus sur le premier que sur le second, parce que
parler d'un droit applicable à l'administration, un droit qui s'impose à l'administration, c'est admettre
l'existence de l'Etat de droit, avec toutes les conséquences qui s'attachent à ce dernier.
Nous verrons cependant un peu plus loin que cette approche n'est pas suffisante, nous constaterons
une sorte de « découplage » entre la nature de la personne en cause et le droit applicable à cette
personne. Nous verrons que le droit administratif n'est pas tout le droit applicable à l'administration,
ce qui veut dire qu'un autre droit peut éventuellement lui être appliqué, et ce droit est le droit privé
(en acceptant pour l'instant, et même s'il s'agit d'une simplification, que l'on peut opposer le droit
privé et le droit public). Nous constaterons également que, pour des raisons que l'on expliquera,
le droit administratif n'est pas seulement applicable aux personnes publiques, il peut également, et
sous certaines conditions, s'appliquer à des personnes privées.
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Section 2. Les origines du droit Administratif
Aucun droit ne naît un jour avec toutes ses caractéristiques, il n'existe pas, en droit, de « génération
spontanée », c’est même là une situation qui est devenue relativement banale.. .
Le droit est toujours le produit d'une évolution, qui s'étend sur un grand nombre d'années,
généralement sur des siècles.
Remarque
Le droit administratif n'échappe pas à cette règle, le droit administratif que nous voyons aujourd'hui,
et qui continue de se transformer, est le produit d'une longue élaboration, avec des étapes plus
ou moins marquée.
Vers le milieu du XXème siècle, on enseignait encore assez souvent que le droit administratif était
né au moment de la Révolution, qu'il avait été créé à cette date. C'était inexact, les révolutionnaires
et leurs successeurs n'ont pu développer le droit administratif que parce qu'il y avait eu des
antécédents, des précédents, une forme, déjà, de droit administratif.
§1. Le droit administratif de l'Ancien régime
Les historiens du droit nous ont montré que les règles du droit administratif que nous pensions être du
XIXème siècle, voire du XXème siècle, trouvaient en fait leurs origines dans des règles beaucoup plus
anciennes, des règles élaborées peu à peu au cours des siècles. Ceci se comprend bien si on resitue
ces règles dans leur contexte historique. A partir du Xème siècle c'est le « printemps de l'Occident
», la vie économique se développe, les échanges reprennent, et, à partir du XIIème siècle, les «
villes » (tout étant relatif par rapport à un moment de l'histoire, on distingue, à partir de cette époque,
le village, le bourg et la ville) prennent leur essor. Des règles sont élaborées pour les échanges, mais
également pour l'exercice de ce que nous appelons aujourd'hui la puissance publique, laquelle est
représentée, alors, par les seigneurs, ecclésiastiques ou laïques, puis les autorités des villes et, pour
ceux qui se trouve près de Paris, par le roi. Un droit seigneurial se forge peu à peu, et il est étonnant
de constater que l'on trouve des règles qui, plus tard, seront reprises dans notre législation. Ainsi, par
exemple, on trouve les prémices d'un droit de l'expropriation, sans l'expression, bien entendu, mais
ce qui montre que ce que nous pensions autrefois être une législation moderne trouve ses sources
dans une période bien plus ancienne.
Par ailleurs les autorités publiques ne restaient pas inactives, si l'on peut dire, en ce sens qu'elles
édictaient un certain nombre de normes. Il existait sous l'Ancien régime un grand nombre de «
polices »
Ce terme de police ne doit pas égarer, il désigne, en ces temps-là, les réglementations dans
leur ensemble, certaines de ces réglementations incluant des dispositions de police au sens plus
restreint du terme (un chapitre sera consacré, plus loin, à la police).
Exemple
Ces « polices », c'est-à-dire, donc, ces réglementations, s'appliquaient à des denrées, notamment
les céréales, puisque la société française du temps ne connaissait évidemment pas l'abondance,
c'était à l'inverse souvent la pénurie, quand ce n'était pas la famine, les rendements peu élevés,
les aléas climatiques et les catastrophes naturelles, ainsi que les conflits humains, expliquant
cette situation. Les sociétés du passé étaient des sociétés de la rareté, d'où les réglementations
concernant la plupart des produits.
Il faut également citer une autre source du droit administratif, qui est souvent méconnue, le droit
canonique.
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Le droit canonique est le droit de l'Eglise catholique, il régit le fonctionnement de cette Eglise,
les relations entre le centre (Rome) et la périphérie, entre les ministres du culte (les prêtres, pour
simplifier) et les autorités ecclésiales. Le droit canonique a notamment inspiré certains recours, en
particulier le recours pour excès de pouvoir.
Ce droit existe toujours, aujourd'hui, mais il est, pour l'Etat, un droit « privé » ou, si l'on préfère, un
droit purement interne dont l'Etat n'a pas à connaître et qui ne peut produire des effets dans
le droit national, qu'il soit public ou privé, il ne s'applique que pour autant que les membres
de l'Eglise l'acceptent.
Le droit canon paraît être très éloigné du droit administratif, il semble n'avoir aucun rapport avec
lui. Cependant on ne peut ignorer l'histoire, et notre histoire est celle d'institutions qui ont été très
marquées, pendant des siècles, par l'intervention de l'Eglise catholique, par son influence sur la
société et tout ce qui l'exprime. Il n'est donc pas très étonnant que l'une des inspirations du droit
administratif soit le droit canon.
Citons-en deux exemples.
Exemple
• En ce qui concerne le découpage des circonscriptions administratives, par exemple, les
pouvoirs publics se sont inspirés de circonscriptions ecclésiastiques : en 1790, pour les
départements, après le projet un peu délirant de Thouret, le découpage qui est en définitive
adopté, et qui est réaliste, contrairement au premier projet, s'inspire du découpage en
diocèses qui avait été réalisé au IVème siècle ; en 1970, lors du projet (qui fut un échec) de
réorganisation communale par fusion de communes, les plans de fusion établis par les préfets
s'inspirèrent des regroupements de paroisses.
• Un autre exemple, tout différent, est celui des recours, notamment du plus célèbre des recours
en droit administratif, le recours pour excès de pouvoir. Ce recours a été inspiré par un recours
qui existait, et qui existe toujours, en droit canon.
§2. La période de la Révolution et de l'Empire
La Révolution a été une période clé pour l'affirmation du droit administratif. Elle n'a pas été,
dans le domaine qui nous intéresse, la politique dite de « la table rase », parce que cela est impossible
en matière administrative, on est bien obligé de tenir compte de ce qui existe, on ne peut pas se
débarrasser de tous les « agents publics » et, d'ailleurs, beaucoup de ces derniers se retrouveront
après la Révolution, ayant cherché à traverser sans encombres la tourmente révolutionnaire
Cependant la révolution commence par bouleverser les structures administratives en supprimant
les anciennes communautés qui existaient sous l'Ancien régime, et en leur substituant de
nouvelles collectivités.
La commune devient la seule collectivité de base, remplaçant les différentes sortes de
communautés qui étaient l'une des caractéristiques de l'Ancien Régime.
La Révolution impose l'uniformité, qui deviendra un des traits de l'organisation administrative
française.
Les provinces ayant été supprimées, elles ne sont pas remplacées par une collectivité équivalente,
par crainte des atteintes à l'unité du pays qu'elles pourraient représenter, le législateur révolutionnaire
choisit un niveau territorial inférieur, et ce sera la création des départements.
Les principes considérés aujourd'hui comme inhérents à une organisation administrative ne sont
pas encore très bien connus. En particulier les révolutionnaires ne se rendent pas compte de la
contradiction qui découle de la reconnaissance d'un pouvoir hiérarchique au roi (qualifié de chef
suprême de l'administration du Royaume, ce qui implique le pouvoir hiérarchique) et d'un mode de
désignation des fonctionnaires qui anéantit ce pouvoir : il est décidé que tous les agents publics,
à tous les échelons, seront élus ; les résultats ne se font pas attendre, c'est bientôt l'anarchie,
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alimentée au surplus par les querelles politiques, les fonctionnaires n'obéissent plus qu'à leurs
mandants, ceux qui les ont élus et dont ils dépendent. Face à cette situation le pouvoir révolutionnaire
fait volte-face et institue l'un des régimes les plus centralisés que la France ait jamais connus, et
qui laissera des traces.
Du point de vue du droit administratif proprement dit, deux points très importants sont à retenir de
cette période, qui vont influencer fortement l'évolution du droit administratif par la suite, l'un qui a
été valorisé, voire survalorisé, l'autre qui est moins évident
•
Tout d'abord la Révolution adopte, parmi les nombreux textes de cette période, une loi qui
non seulement va être considérée comme capitale pour le droit administratif mais qui, de plus,
demeure aujourd'hui une règle de droit positif. Cette loi est la célèbre loi des 16-24 août 1790.
La plupart des dispositions de cette loi sont parfaitement ignorées, sauf une qui est la raison
de cette célébrité, l'article 13 de la loi. Cette disposition mérite d'être parfaitement connue,
elle est la suivante :
« Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions
administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce
soit les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs à raison de leurs
fonctions ».
Cette disposition est l'exemple-type d'une disposition mythique, ce dernier terme signifiant ici idéeforce :
l'article 13 va être une sorte de credo partagé par une société (tout au moins ses dirigeants) et
régulièrement réaffirmé.
Remarque
Aujourd'hui encore, lorsqu'un préfet prend un arrêté de conflits (les conflits seront vus dans un
chapitre ultérieur), il se réfère, dans les visas de son arrêté, à la loi des 16-24 août 1790.
On remarque, dans cette formulation de l'article 13, l'ambition des révolutionnaires qui prétendent
régir le futur (les fonctions judiciaires demeureront « toujours » séparées des fonctions
administratives). Il faut également préciser, pour la compréhension, qu'aujourd'hui nous dirions «
sous peine de forfaiture » plutôt que « à peine de forfaiture », que les corps administratifs visés sont
évidemment les administrations, que les « administrateurs » doivent être compris comme étant les
fonctionnaires, et que nous dirions « en raison de leurs fonctions » plutôt que « à raison de leurs
fonctions ».
Ce qui est affirmé, dans cet article 13, c'est la séparation des autorités administratives et judiciaires.
On peut la faire découler de la séparation des fonctions, mais les révolutionnaires n'avaient pas
encore une claire idée de ce qu'étaient la séparation des pouvoirs et la séparation des fonctions.
Ce qui est plus important peut-être encore, c'est l'interdiction qui est faite au juge judiciaire de
« troubler » le fonctionnement des administrations : le juge qui est visé est évidemment le juge
judiciaire, puisque il est le seul à exister, il n'existe pas encore de juge administratif.
Les administrations ne peuvent plus être poursuivies devant le juge judiciaire, les fonctionnaires de
même. Il se peut que la formule de la loi n'ait pas contenu ce que l'on a cru y trouver, et qui vient
d'être exposé.
Les auteurs ont montré que la portée de cette loi n'était pas, en réalité, celle qu'on lui a donnée, le
législateur révolutionnaire n'avait pas à l'idée d'opérer une séparation aussi tranchée, d'interdire au
juge judiciaire de connaître des actes et agissements de l'administration. Mais la manière dont la
loi a été interprétée est, vu d'aujourd'hui, la seule chose qui a eu une influence. La question du «
sens » est une question qui peut donner lieu à un vaste débat sur le plan de la théorie juridique.
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Quelle qu'ait été l'intention véritable du législateur, l'interprétation qui en a été faite est ce qui est à
l'origine du système que nous avons aujourd'hui, et l'on ne peut revenir sur ce passé.
•
Un autre apport, moins évident, de la période révolutionnaire, est l'invention progressive du
pouvoir réglementaire. .Au moment de la Révolution, une conception nouvelle des normes est
consacrée : ce n'est plus le roi qui est au sommet de la hiérarchie, c'est la loi. La loi est
comprise comme un acte sacré, ce terme de sacré revient d'ailleurs à de nombreuses reprises
dans les discours et textes révolutionnaires. La loi va être considérée, dans cette perspective,
qui est héritée de J.-J. Rousseau, comme un acte incontestable car le législateur ne peut se
tromper, puisqu'il est l'expression de la Volonté générale. Les actes pris par les institutions
exécutives ne sont plus revêtus de l'autorité qui était celle du roi, ce sont des actes subordonnés
à la loi. Le législateur révolutionnaire entend même que ces actes ne soient que des actes de
pure exécution, dans le sens le plus strict du terme. En même temps, il se rend compte qu'il
ne peut tout faire, que certains actes relèvent de l'administration, et c'est ainsi que, lentement,
va se faire jour l'idée du pouvoir réglementaire
Ce pouvoir réglementaire va véritablement être consacré en l'an VIII (selon le calendrier
révolutionnaire qui avait été adopté), soit en 1800. Le Consulat, puis l'Empire, vont comporter trois
apports pour le droit administratif.
• En premier lieu, ces régimes réorganisent complètement l'administration territoriale,
qui avait été très secouée durant la période révolutionnaire. Napoléon met en place un
système très centralisé dans lequel le préfet occupe une place centrale et prépondérante. Il
dispose pratiquement seul du pouvoir, les collectivités locales ne sont que des fantômes de
collectivités, n'ayant ni autonomie ni pouvoirs. Ce système, qui caractérise encore largement
notre pays aujourd'hui (mais qui est de moins en moins tenable, et que l’on a déjà assoupli),
est un système en pyramide, où tout agent est soumis à un supérieur hiérarchique, avec bien
entendu, au sommet, le Premier consul, puis l'Empereur.
• En deuxième lieu, le pouvoir réglementaire est consacré au profit des autorités
administratives Il n'est pas encore qualifié comme tel, mais dans toutes les administrations
il est admis que les autorités qui les dirigent sont investies d'un certain pouvoir de décision,
relativement au fonctionnement de leur administration, toujours avec l'omniprésence du pouvoir
hiérarchique qui est supposé donner la cohérence à l'ensemble de l'administration. Il est à noter
que l'on se méfie des assemblées, tant à l'échelon national que local, ce qui n'est pas étonnant
dans un régime qui n'a rien de démocratique. Ces assemblées n'ont aucun pouvoir propre, elles
ne sont, dirions-nous, que des « chambres d'enregistrement ».
• En troisième lieu, apparaît une justice administrative, représentée par le Conseil d'Etat,
qui se voit reconnaître une compétence de principe, et des conseils de préfecture,
qui disposent d'une compétence d'exception, notamment en ce qui concerne les travaux
publics. La création d'une justice administrative était inévitable et inéluctable, compte tenu de
l'interprétation qui avait été faite de la loi des 16-24 août 1790. Car l'un des effets, extrêmement
fâcheux, de l'interprétation de cette loi, était de faire de l'administration à la fois la partie et
le juge : puisque le juge judiciaire ne pouvait plus juger l'administration, en cas de litige entre
celle-ci et un citoyen, la résolution de ce litige était remise à l'administration elle-même. Il est
évident qu'un tel système ne comporte aucune garantie pour le justiciable, et que l'on peut
avoir, à l'inverse, une présomption d'inéquité dans la mesure où l'on peut penser que, dans
un tel cas de figure, et sauf à organiser un système très compliqué, l'administration sera plus
sensible à ses propres intérêts qu'à ceux du citoyen. C'est pourquoi la création d'une justice
administrative, quelle qu'elle fût, ne pouvait qu'apparaître comme une nécessité.
Le Conseil d'Etat qui est institué, et qui rappelle quelque peu le Conseil du roi de l'Ancien Régime,
ne dispose que de la justice retenue.
On appelle justice retenue le système dans lequel un juge ne rend pas sa décision en son nom
propre, ni au nom du peuple, la décision incombe juridiquement au chef de l'Etat, en l'espèce, donc,
à l'empereur.
La justice retenue s'oppose à la justice déléguée,
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système dans lequel le juge est investi d'un pouvoir propre, et ses décisions étant rendues au nom
du peuple (tout au moins dans les régimes démocratiques).
A priori, donc, le système de la justice retenue est un système qui ne donne guère de garanties
puisque le pouvoir de décision est détenu par un organe politique, et l'on peut suspecter à l'avance
les jugements rendus. Cependant, dans la réalité il en a été autrement, et le Conseil d'Etat a pu
progressivement instituer un véritable contrôle de l'administration, mais pour des raisons qui n'ont
rien de juridique.
•
•
•
Tout d'abord, Napoléon fit le choix, comme membres du Conseil d'Etat, d'hommes qui, s'ils lui
étaient fidèles, étaient compétents dans ce domaine.
Ensuite, parce qu'il leur faisait confiance, et pris par d'autres occupations qui l'intéressaient
beaucoup plus, Napoléon a laissé faire ces conseillers d'Etat, il n'a pas cherché, sauf cas
particuliers, à changer les décisions, il leur a laissé les mains libres pour élaborer peu à peu
des instruments de contrôle de l'administration.
Enfin, parce que ces décisions étaient couvertes par l'autorité de l'empereur, elles ont pu
s'imposer aux administrations, qui avaient pris durant la période révolutionnaire des habitudes
d'autonomie, alors qu'il aurait été sans doute plus difficile à un juge normal de faire accepter
des décisions les condamnant.
C'est là l'un des multiples paradoxes de l'Histoire : ce que l'on met en place ne devient pas
nécessairement ce qui semblait résulter de l'acte institutif.
La justice administrative a pu progressivement se développer, le contrôle de l'administration se
développer, la protection des droits des citoyens commencer à être assurée.
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Section 3. Le droit administratif, entre les juges et la loi.
Le développement du droit administratif est lié à de nombreux facteurs, il est toujours quelque peu
artificiel de vouloir isoler certains de ces facteurs pour en faire les déterminants d'une évolution.
L'histoire permet de comprendre, sans pouvoir toujours fournir des éléments satisfaisant
d'explication, les caractères du droit administratif.
§1. L'évolution du droit administratif au XIXème et au XXème siècles
On peut retenir ici que le droit administratif français (pour reprendre la formule bienvenue du titre
d'un manuel de droit de F.-P. Bénoit) tient un certain nombre de ses caractéristiques de l'avènement
d'un Etat Providence et d'un Etat de droit démocratique.
A. L'avènement de l'état providence
A partir du début du XXème siècle s'affirme, un peu partout en Europe occidentale, l'Etat
Providence, qui est défini sommairement comme celui qui intervient dans des domaines toujours
plus nombreux de la vie économique, sociale, culturelle, avec des moyens budgétaires toujours plus
importants et des instruments d'intervention toujours plus diversifiés.
L'Etat Providence est en quelque sorte, selon la formule imagée que l'on utilisée, celui qui prend
en charge l'individu du berceau au tombeau.
Encore la formule est-elle insuffisante puisque cet Etat va s'occuper des personnes avant leur
naissance (législations ayant pour objet de protéger la future mère, d'encourager les naissances,
etc.) et après leur mort (la législation funéraire est importante et très précise, et, aujourd'hui, au
surplus, parmi les nombreux problèmes posés on rencontre celui de la « concurrence » entre les
cimetières et les autres programmes d'occupation des sols, l'urbanisme doit en prendre en compte
ces données).
Le droit administratif ne pouvait que se développer parallèlement à l'extension des interventions
de l'Etat puisque ce droit est d'abord, historiquement, celui de la puissance publique : plus celleci intervient, plus le droit administratif se développe. Certes, parmi les nouveaux instruments de
l'intervention, certains vont être des instruments de droit privé, cependant c'est d'abord le droit
administratif qui va bénéficier de l'interventionnisme de l'Etat, avec l'apparition de nouvelles branches
du droit administratif comme le droit public économique
L'extension des fonctions de l'Etat s'accompagne d'une forte croissance des effectifs des agents de
l'Etat, c'est-à-dire, en schématisant et en simplifiant (car les statuts sont multiples, l'expression est
réductrice) de la fonction publique. Le nombre d'agents publics de l'Etat dépasse, en 2007, les 3
millions, celui de la fonction publique territoriale d'environ 1,5 million, celui de la fonction publique
hospitalière d'environ 850 000. Ces chiffres sont très élevés et, sous les réserves qui s'imposent
compte tenu des modes de calcul différents d'un pays à un autre, la France apparaît comme l'un des
pays les plus administrés. Même si, aujourd’hui, la préoccupation des pouvoirs publics – la crise des
finances apubliques aidant – cherchent à réduire les effectifs de la fonction publique, cela ne peut
pas ne pas avoir de répercussions sur le fonctionnement de l'Etat.La RGPP (révision générale des
politiques publiques) devrait conduire à une diminution du nombre d'agents publics mais, outre les
résistances que cela crée, le contentieux s'en trouve de ce fait et paradoxalement alimenté. Du point
de vue qui nous occupe, celui du droit administratif, il en découle une augmentation inévitable du
contentieux devant le juge administratif, la cause de cette augmentation étant double :
•
D'une part, le nombre d'actes pris et, parmi ces actes, le nombre d'actes irréguliers, est fonction,
pour partie au moins, du nombre d'agents, une loi arithmétique simple fait que le nombre
d'illégalités croît avec le nombre de ces agents ;
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•
D'autre part, ces derniers eux-mêmes vont faire des recours et, aujourd'hui, le nombre de
recours émanant des agents publics représente une partie importante du contentieux devant
les juridictions administratives.
Remarque
La croissance du contentieux a d'ailleurs été source de difficultés pour la justice administrative, qui
n'avait pas été conçue, au départ, pour traiter un contentieux aussi abondant.
On verra plus loin que le Conseil d'Etat était, au départ, juge de premier et dernier ressort, les
conseils de préfecture institués en l'an 8 étant des juridictions d'attribution. Au vingtième siècle le
Conseil d'Etat va se trouver progressivement asphyxié par l'augmentation du nombre de recours,
qu'il sera dans l'impossibilité matérielle de traiter. Ceci exigera des réformes de l'organisation
juridictionnelle administrative. Un première réforme, en 1953, va consister à faire des juridictions de
base, les tribunaux administratifs, les juridictions de droit commun, le Conseil d'Etat devenant juge
d'appel, une seconde réforme, rendue nécessaire par l'augmentation constante du contentieux, va
consister, en 1987, à créer des cours administratives d'appel.
B. Le droit administratif de l'Etat de droit démocratique
Le droit administratif va accompagner les évolutions qui caractérisent l'Etat et la société au cours
du XIXème et du XXème siècles.
Ces évolutions, qui retentissent sur le droit administratif, concernent, principalement, la
décentralisation et les libertés.
a) Le droit administratif de la décentralisation
Après l'Empire et la Restauration, les premières lois de décentralisation vont être adoptées sous la
monarchie de Juillet en deux fois deux temps.
•
•
La loi du 21 mars 1833 rétablit l'élection des conseils municipaux, la loi du 22 juin 1833 organise,
de même, l'élection des conseils généraux.
Dans un second temps le législateur se préoccupe des compétences des collectivités locales
avec la loi du 18 juillet 1837 relative aux attributions des autorités communales et la loi du 18
mai 1838 relative aux attributions des conseils de département et d'arrondissement.
La seconde République veut accroître la décentralisation, mais les espoirs sont rapidement déçus,
et la disparition rapide de la République empêche la mise en oeuvre des projets que l'on envisageait.
Le second Empire est une parenthèse dans la marche vers la décentralisation, cependant, vers la
fin du régime, des commissions sont mises en place et la loi de 1871 sur les départements n'est
adoptée rapidement que parce que elle a été préparée sous le second Empire. Avec la chute de
celui-ci, et avant l'avènement de la Troisième République, le législateur adopte la loi du 10 août 1871
précitée sur les départements. Une similaire loi sur les communes est adoptée, cette fois sous la
Troisième République, avec loi du 5 avril 1884. Ces deux lois seront considérées longtemps comme
les « chartes » de l'administration locale.
L'application de ces lois donne naturellement l'occasion au juge (en fait au Conseil d'Etat), d'en
contrôler l'application, c'est-à-dire de déterminer le champ des compétences des collectivités
locales. Le juge va être le régulateur de l'activité de ces collectivités, on aura l'occasion.
Le deuxième grand temps de la décentralisation commence avec la Cinquième République.
Les pouvoirs publics adoptent, dès le début du nouveau régime, des dispositions relatives aux
collectivités locales, notamment pour accroître leur efficacité et chercher à pallier les inconvénients
du très (trop) grand nombre de communes, avec le développement des organismes de coopération
communale, la réforme des finances locales, et la recherche d'une meilleure répartition des
compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales.
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Il n'y a pas, tout au long de l'histoire de la Cinquième république, de solution de continuité entre
les gouvernements successifs (comprenons bien cette formule : dire qu'il n'y a pas de solution de
continuité veut dire qu'il y a continuité), la décentralisation ne commence pas en 1982, comme le
pensent certains étudiants, elle est une politique progressive de tous les gouvernements sous la
Cinquième République.
Les lois de 1982 et 1983 constituent une étape importante, comme le sont également les étapes de
2003, avec la réforme constitutionnelle, et l'étape de 2004 (tout à fait improprement appelée Acte
II de la décentralisation), sans compter la dernière loi adoptée, importante à plusieurs égards, la
loi du 16 décembre 2010.
Toutes ces lois sur l'organisation locale génèrent des textes d'application, qui eux-mêmes
donnent lieu, et assez logiquement, à un contentieux. Le contentieux des collectivités locales
(appelées génériquement, depuis la réforme constitutionnelle de 2003, collectivités territoriales) s'est
considérablement développé devant le juge administratif, au point qu'il existe désormais un droit
des collectivités territoriales qui est constitué, pour une large part, de droit administratif, auquel
s'ajoutent, aujourd'hui, une part de droit constitutionnel, une part de droit financier, etc
b) Le droit administratif des libertés
Le droit administratif est devenu progressivement du droit des libertés, entendons un droit
protecteur des libertés, ce qu'il n'était pas au départ, du fait de l'établissement en France d'un Etat
de droit, et d'un Etat de droit démocratique. Les libertés reconnues par la Déclaration des droits de
1789 ne sont véritablement consacrées que beaucoup plus tard, la Révolution elle-même d'abord,
les deux empires ensuite, la Restauration et la monarchie de Juillet (sous laquelle, cependant, des
libertés commencent à être reconnues timidement) ayant été des régimes autoritaires dans lesquels
les libertés n'avaient pas de place. Il faut ajouter que même lorsque les libertés ont été reconnues, il
existe toujours un risque de régression, de retour en arrière, ainsi que l'a malheureusement montré
l'histoire de France avec la période de Vichy, régime durant lequel les libertés les plus élémentaires
ont été bafouées.
Les grandes étapes de l'évolution vers la consécration des libertés sont les suivantes. En 1864, sous
le second Empire, le délit de coalition est supprimé, c'est la première étape vers une liberté qui n'est
pas encore consacrée, le régime consacrant seulement une demi-mesure. Il faut attendre la chute
de l'Empire pour voir une évolution se dessiner. Les réformes concernent d'abord, précisément, le
juge administratif : celui-ci se voit (enfin) reconnaître par la loi du 24 mai 1872 la justice déléguée qui
lui permet de prendre de son propre chef (en latin on disait, selon une formule qui avait plus de force
proprio motu), sans avoir à en référer pour approbation à une autorité supérieure (le chef de l'Etat).
Les institutions juridictionnelles sont désormais en place pour protéger les libertés, lorsque celle-ci
vont être consacrées : ce sera le cas de la liberté de la presse, avec la loi du 29 juillet 1881, de la
liberté de réunion, avec la loi du 30 juin 1881, de la liberté syndicale avec la loi du 21 mars 1884,
de la liberté d'association avec la loi du 1er juillet 1901.
Dates importantes
Relatives à :
1864
Délit de coalition supprimé
Loi du 24 Mai 1872
Réforme concernant le juge administratif
Loi du 29 Juillet 1881
Liberté de la presse
Loi du 30 Juin 1881
Liberté de réunion
Loi du 21 Mars 1884
Liberté syndicale
Loi du 1° Juillet 1901
Liberté d'association
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Le droit administratif devient un droit des libertés en ce sens que les citoyens vont se porter
devant le juge pour contester des mesures prises par l'autorité administrative et qui leur paraissent
attentatoires aux libertés qui sont reconnues par la loi.
Le juge va être amené à définir et préciser les conditions dans lesquelles de tels recours peuvent être
intentés, et c'est durant cette période que se développe l'une des voies de droit les plus remarquables
que l'on ait inventées, le recours pour excès de pouvoir.
§2. Les caractères du droit administratif
Le droit administratif français est un droit original, ne serait-ce que parce que il est peut-être le
premier droit administratif qui ait été inventé, et qu'il a eu un retentissement mondial, soit directement,
soit indirectement : il est passé en Allemagne, laquelle a influencé à son tour d'autres pays,
notamment en Extrême Orient ; par ailleurs le Conseil d'Etat a servi comme modèle pour l'institution
de la justice administrative dans plusieurs pays dans le monde.
L'originalité du droit administratif français tient peut-être d'abord à son mode d'élaboration, qui est
très particulier puisque on peut le qualifier, jusqu'à une période récente au moins, de principalement
prétorien, une autre caractéristique, celle de l'autonomie, étant moins originale.
A. Le caractère prétorien du droit administratif français
L'expression de « droit prétorien », qui peut paraître quelque peu mystérieuse, ne l'est pas du tout
en réalité :
le terme de prétorien vient du terme prétoire, qui désigne tout simplement (par référence à la tente
qu'occupait le général au centre d'un camp dans l'antiquité romaine) l'enceinte du tribunal, et le
tribunal lui-même. En parlant de droit prétorien on veut donc dire que ce droit est élaboré par le
juge en son prétoire, en fonction des affaires qui lui sont soumises. L'expression a donc une double
signification.
Tout d'abord, elle signifie que ce droit a pour principal auteur, non le législateur, mais le juge luimême. Précisons que le juge récuserait ou atténuerait cette interprétation, il ne se prétend pas
l'auteur ou le créateur du droit, on peut cependant considérer, de manière simplifiée car cette
question est une question juridiquement difficile, que le juge dispose au moins d'un pouvoir normatif.
Cette situation que l'on peut qualifier d' « anormale » tient, une fois de plus, aux circonstances
historiques. Lorsque le Conseil d'Etat est institué, pour résoudre les litiges qui peuvent s'élever entre
les particuliers et l'administration, on ne voit pas l'intérêt d'une loi en ce domaine, et l'empereur fait
toute confiance à son conseil. La conception que l'on a alors de l'administration et des relations
de celle-ci avec les citoyens, est très différente de celle que l'on a aujourd'hui, il n'apparaît pas
nécessaire de légiférer, sauf sur quelques domaines, et les lois sont (relativement) peu nombreuses.
Cependant le juge auquel étaient soumis des litiges a dû inventer des règles, tant de procédure que
de fond, il a dû forger les instruments juridiques de son contrôle. Et c'est ainsi que, discrètement,
dans la continuité, le Conseil d'Etat a mis au point, en quelque sorte, ces instruments. Dans un
troisième temps, avec les débuts de l'Etat Providence, le législateur s'est mis à légiférer beaucoup
plus, il aurait donc pu reprendre les règles de droit élaborées par le juge, soit pour les confirmer, soit
pour les infirmer, soit pour les modifier. Il ne l'a pas fait parce qu'il ne l'a pas jugé utile. Plusieurs
explications, non limitatives, peuvent être proposées. Tout d'abord, il n'y a pas eu de « demande
» politique en ce sens, aucun parti politique n'a cherché à proposer que le législateur intervienne pour
fixer les règles applicables aux litiges s'élevant en matière administrative. Ensuite, le résultat auquel
était parvenu le juge paraissait satisfaisant : le juge administratif a donné le sentiment aux dirigeants
d'avoir institué un compromis acceptable entre les exigences de l'action administrative et les droits
des citoyens. Enfin, il ne faut peut-être pas méconnaître le fait que le juge, du fait de ses doubles
fonctions, n'a pas cherché à faire adopter de lois dans un domaine où il estimait pouvoir intervenir
seul : le Conseil d'Etat est le conseil du gouvernement, c'est l'une des grandes originalités du juge
administratif français par rapport aux autres juges administratifs qui existent dans le monde (c'est
aussi, désormais, une source de différend entre le juge français et le juge européen des droits de
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l'homme), il prépare les projets de lois pour le gouvernement ou il les examine, on peut comprendre
qu'il n'ait pas cherché à réduire l'importance et le rôle qui étaient les siens.
L'expression droit prétorien signifie, ensuite, que le juge élabore le droit au fur et à mesure des
affaires qui lui sont soumises, et en fonction des questions soulevées. En d'autres termes, le
juge administratif n'a pas cherché à résoudre les litiges qui lui étaient soumis à partir d'idées
préconçues, de conceptions philosophiques déterminées, et encore que, on le verra, il est
évidemment impossible d'échapper, ce faisant, à des présupposés philosophiques et politiques.
Mais ces présupposés correspondaient à ceux des dirigeants, et n'ont pas donné lieu à contestation.
Le juge a forgé ce droit à partir d'une conception de l'Etat héritée non seulement de
la Révolution mais aussi d'un temps beaucoup plus lointain. Protecteur de l'intérêt général
poursuivi par l'Etat, le juge a énoncé des règles de droit qui puissent en même temps faire la part
des droits qu'il fallait reconnaître aux citoyens. La jurisprudence a évolué en même temps que
l'Etat. Lorsque des lois ont consacré des libertés au profit des citoyens, le juge a inventé des règles
protectrices de ces derniers. De même, cette jurisprudence a été longtemps très fortement marquée
par une certaine méfiance à l'égard des collectivités locales, considérant que si ces dernières
poursuivaient effectivement un intérêt général, cet intérêt général n'était pas équivalent à l'intérêt
général de l'Etat, qui représentait le seul véritable intérêt général.
On cite volontiers les exemples suivants pour montrer ou démontrer ce pouvoir du juge.
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Exemple
• Le premier exemple est celui de la décision d'Assemblée D'Aillières, du 7 février 1947, qui
est un écho aux problèmes difficiles auxquels la société française a été confrontée après la
Libération de la France en 1944 : en 1940 une majorité assez écrasante de parlementaires
vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain ; après la guerre un certain nombre de ces
parlementaires sont déclarés inéligibles aux assemblées instituées par la Constitution de
1946, mais il est prévu que ces parlementaires déclarés inéligibles peuvent faire appel de la
décision les déclarant inéligibles devant un « jury d'honneur » dont la décision, elle, n'était,
en vertu de l'ordonnance l'ayant instituée, « susceptible d'aucun recours ». Un parlementaire
ainsi déclaré inéligible, le sieur D'Aillières, fait un recours devant le Conseil d'Etat contre
la décision de ce jury d'honneur. Le Conseil d'Etat analyse la décision du jury comme une
décision juridictionnelle rendue en dernier ressort et déclare que l'expression utilisée par le
législateur (l'exclusion de tout recours) « ne peut être interprétée, en l'absence de volonté
clairement manifestée par les auteurs de cette disposition, comme ayant excluant le recours
en cassation devant le Conseil d'Etat ». Le juge fait donc profiter le requérant d'une « faille
» du législateur, l'absence de précision de la part de ce dernier sur sa volonté d'exclure les
recours, et cette ambiguïté doit profiter aux citoyens, compte tenu du caractère essentiel du
recours en cassation, que le juge qualifie de principe général du droit (on verra ultérieurement
ce que recouvre cette catégorie juridique).
• Une seconde affaire est encore plus significative, on peut même dire que c'est une décision
emblématique (si l'on osait une comparaison avec le cinéma dans lequel les amateurs comme
les critiques relèvent l'existence de « films culte », il faudrait parler de « décision culte », mais
ce genre de vocabulaire est à éviter), c'est la décision d'Assemblée du 17 février 1950, Dame
Lamotte. Une loi (ou, parce qu'il s'agit de Vichy, un acte « dit loi ») du 23 mai 1943 avait donné
aux préfets le droit de concéder certains terrains à des tiers, lorsqu'ils seraient laissés en friche
par leur propriétaire. Remarquons au passage que de telles atteintes au droit de propriété
existent toujours dans notre droit positif. Et la loi ajoutait : « l'octroi de la concession ne peut
faire l'objet d'aucun recours administratif ou judiciaire ». Cependant, saisi d'un recours intenté
par un propriétaire ainsi « dépossédé » de son terrain par une décision d'un préfet, le Conseil
d'Etat a déclaré que ladite décision « n'a pas exclu le recours pour excès de pouvoir devant
le Conseil d'Etat contre l'acte de concession, recours qui est ouvert même sans texte contre
tout acte administratif, et qui a pour effet d'assurer, conformément aux principes généraux du
droit, le respect de la légalité ».
Il est difficile d'en mettre plus dans une seule décision. Celle-ci illustre la liberté dont fait preuve
le juge à l'égard de la norme écrite, lorsqu' il estime que sont en jeu des principes essentiels de
fonctionnement de notre Etat de droit. Plusieurs interprétations peuvent être données, et ont été
données, de l'affirmation d'un tel pouvoir d' « interprétation » du juge. Car, contrairement au cas
précédent, où le législateur n'avait effectivement pas précisé ce qu'il voulait exclure, ici les choses
sont a priori claires, puisque l'octroi de la concession ne pouvait faire l'objet « d'aucun recours
administratif ou judiciaire ».
Mais remarquons que le législateur s'est fort mal exprimé : qu'est-ce qu'un recours administratif ?
C'est un recours devant, non une autorité juridictionnelle, mais devant une autorité administrative et,
classiquement, on distingue deux sortes de recours administratifs, le recours gracieux, qui est
intenté devant l'auteur de la décision, et le recours hiérarchique, qui est intenté devant le supérieur
hiérarchique de l'auteur de la mesure.
Et qu'est-ce qu'un recours judiciaire ?
C'est un recours qui est intenté devant une juridiction judiciaire. Le Conseil d'Etat pouvait donc ne
pas se sentir concerné par ces deux exclusions : le législateur a confondu les termes de judiciaire,
qui s'applique aux juridictions de l'ordre judiciaire, et de juridictionnel, qui est beaucoup plus large
et qui englobe, à la fois, l'ordre juridictionnel judiciaire et l'ordre juridictionnel administratif.
Il faut aussi ajouter que le Conseil d'Etat a « profité » en quelque sorte de cette occasion pour
interdire, par avance, à l'administration, toute velléité d'exclusion du recours en annulation contre
une décision administrative en faisant du principe du recours pour excès de pouvoir un principe
général du droit.
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B. L'autonomie du droit administratif
L'affirmation de l'autonomie du droit administratif surprend sans doute moins que l'affirmation
précédente, parce que d'une part elle n'est pas propre au droit administratif, et que, d'autre part,
elle n'est que relative. Dans la plupart des enseignements en droit les enseignants commencent par
démontrer que le droit qu'ils présentent est un droit autonome, qu'il s'agisse, par exemple, du droit
pénal ou du droit fiscal. Et il est vrai, pour prendre le dernier exemple cité, que le droit fiscal utilise
d'autres critères pour appréhender (au sens de saisir) la matière fiscale que les autres droits, critères
qui peuvent être différents. Par ailleurs, et quel que soit le droit que l'on prenne en considération,
l'autonomie hautement proclamée ne peut être que relative, les différents droits interfèrent souvent,
et le juge quel qu'il soit évite de rechercher une solution originale à tout prix si un autre droit lui fournit
une solution adaptée.
Que signifie donc l'autonomie du droit administratif ? Trois observations permettent d'en
mesurer la particularité.
•
Une première observation est relative à la nature des personnes en cause et à la nature
des relations qu'elles sont susceptibles d'entretenir. Le droit privé s'applique à des relations
s'établissant entre des personnes physiques et des personnes morales, le droit administratif
ne connaît, par définition, que des personnes morales. Ces personnes morales sont
les collectivités publiques (Etat, communes, départements, régions, autres collectivités
territoriales), les établissements publics, aujourd'hui très diversifiés, et les personnes publiques
qui ne sont ni les premières ni les seconds, mais qui sont toujours des personnes morales. Il
se peut, naturellement, qu'une relation de droit privé ne mette en scène que deux personnes
morales (deux sociétés, ou une société et une association, par exemple), mais ceci est
moins fréquent que l'hypothèse d'une personne physique et d'une personne morale ou de
deux personnes physiques, et ceci constitue une différence importante par rapport au droit
administratif. Et certes, également, la personne physique apparaît en droit administratif,
mais c'est toujours négativement, sa présence a pour effet d'exclure l'application du droit
administratif, comme, par exemple, dans le droit de la responsabilité pour faute où le droit
administratif n'est plus applicable lorsque la faute est une faute dite « personnelle ».
• Une deuxième observation tient au fait que la personne publique, qui est en cause dans le
droit administratif est une personne finalisée, c'est ce qui la différencie des personnes privées.
Ainsi dans le domaine de l'assistance, on trouve des personnes privées qui poursuivent une
mission d'intérêt général, on peut même dire qu'elles ont précédé les personnes publiques
dans ces actions et, selon une formule célèbre, « l'Etat n'a pas le monopole du bien public ».
Cependant, il existe une différence essentielle entre les personnes privées qui poursuivent un
intérêt général et les personnes publiques : les premières peuvent toujours décider de s'arrêter,
de ne plus poursuivre cet intérêt général, de rechercher un intérêt privé (par exemple, parce
que c'est le plus fréquent, le profit), les personnes publiques, elles, ne peuvent pas y renoncer,
elles doivent poursuivre l'intérêt général, c'est en ce sens qu'elles peuvent être qualifiées de «
finalisées ». La finalité d'intérêt général est la raison d'être de ces personnes, elle est ce
qui leur donne sens et justifie leur existence. Cela vaut, au plus haut degré, pour l'Etat.
Notons deux points complémentaires : d’une part, d’autres expressions que celle d’intérêt général
sont utilisées, par exemple l’expression « intérêt public », celui-ci pouvant être poursuivi par d’autres
personnes publiques que l’Etat, notamment des collectivités territoriales ; d’autre part, on voit de
plus en plus, dans les lois (notamment celle du 16 décembre 2010) des références à des intérêts,
qui sont publics, mais qui sont ceux poursuivis par des établissement spublics, notamment des
établissements publics territoriaux (exemple l’intérêt métropolitain dans la loi de 2010 précitée).
• Les particularités qui viennent d'être citées se traduisent, et c'est la troisième observation,
par un mode d'intervention qui est tout à fait spécifique aux personnes publiques, disons,
pour simplifier, spécifique à l'administration. En droit privé l'acte juridique est le plus souvent
le résultat d'un accord de volontés, même si l'on peut trouver des cas qui constituent des
exceptions par rapport à ce principe. Cet accord de volontés se traduit par la reconnaissance
de droits ou/et d'obligations au profit ou/et à la charge de l'une des parties ou des parties en
présence. En droit administratif l'accord des parties n'est pas requis et, à vrai dire, il
n'y a pas de parties : d'un côté l'on trouve l'administration et, de l'autre, les citoyens,
que l'administration préfère d'ailleurs appeler, selon les cas, administrés, assujettis,
contribuables, redevables, etc., et qui peuvent aussi porter le nom, plus respectable,
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d'usagers ou de bénéficiaires. Cela signifie que l'administration peut de son propre chef, et
sans avoir à leur demander leur avis, créer des droits ou/et des obligations au profit ou/et à la
charge des citoyens. On dit, en droit administratif, que l'administration dispose d'un privilège,
que l'on appelle privilège du préalable, lequel est simplement l'expression de ce qui vient d'être
dit : l'administration peut imposer aux particuliers le respect de certains actes qu'elle a pris,
la seule justification de cette relation inégalitaire résidant toujours dans la finalité poursuivie
par l'administration, l'intérêt général. La satisfaction de ce dernier justifie que l'administration
dispose d'un tel pouvoir, que l'on va qualifier d'exorbitant par rapport au droit privé.
L'autonomie du droit administratif est relative, ce qui est plus facile à admettre et à comprendre
que ce qui est exorbitant.
Cette autonomie du droit administratif est d'abord relative en ce que le droit administratif ne doit
pas être compris comme une citadelle isolée et qui chercherait à se défendre contre toutes les
intrusions. Droit privé et droit public s'interpénètrent, certaines règles de l'un sont applicables à
l'autre et inversement, le juge recourant, fort opportunément, à une solution existante plutôt qu'à
solution à inventer, si celle dont il dispose lui permet de répondre de manière satisfaisante à la
question posée. Et, dans un certain nombre de cas, il serait vain de se demander qui, du juge
judiciaire ou du juge administratif, a le premier inventé la solution en question
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Section 4. Le droit administratif aujourd'hui
Le droit administratif est affecté par les évolutions de différentes natures qui se produisent, et qui se
traduisent par une diversification de ses modalités d'intervention, et par une sorte de démultiplication
de ses manifestations à travers la pluralité des champs concernés.
§1. La diversification des modalités d'intervention du droit
administratif
Le droit administratif connaît à l'époque contemporaine une extension étonnante, qui se traduit
notamment par le nombre de recours intentés devant le juge administratif. Il suffit de rappeler que
dans les années 70 le nombre de recours était d'environ 20 000, tandis que, en 2006, il est de l'ordre
de 160 000.
A. Transformations quantitatives et transformation du role de l'état
Des transformations importantes se sont opérées. Les plus évidentes sont d'ordre quantitatif. Le
nombre d'agents publics et de fonctionnaires a augmenté dans des proportions considérables. Par
rapport au tout début du XXème siècle, les auteurs font valoir que ce nombre a été multiplié par huit
ou dix, ou plus, sans que l'on puisse véritablement vérifier de tels chiffres. Mais au fond les chiffres
réels importent peu, ce que l'on peut retenir c'est l'importance de l'accroissement sur un siècle, qu'il
soit de 700% ou de 1000%. Et cette augmentation demeure significative même en tenant compte
de l'accroissement de population, d'ailleurs relativement peu important (toutes proportions gardées)
compte tenu de la baisse de la natalité (sans compter les morts des guerres) jusqu'en 1945. Une
politique de réduction des effectifs a été engagée dans le cadre de ce que l’on appelle la Révision
générale des politiques publiques (RGPP). Il est encore trop tôt pour en mesurer la portée et les
effets.
Cette augmentation purement quantitative des agents s'est également traduite par une
augmentation, elle aussi d'abord quantitative, du nombre d'actes produits. Une administration
développée produit « naturellement » plus d'actes qu'une administration dont le nombre d'agents est
limité. Mais par voie de conséquence, également, et selon une loi statistique, il faut d'ores et déjà
retenir que de ce fait, le nombre d'illégalités a crû, étant en rapport avec le nombre d'actes édictés.
On a déjà là, pratiquement, une explication de ce pouvoir d'injonction qui sera reconnu en 1995 au
juge administratif.
Mais sous-jacente à cette croissance quantitative de l'administration, une autre transformation s'est
opérée, celle qui est consécutive au changement de rôle de l'Etat. Bien qu'elle soit parfaitement
connue, on peut la rappeler brièvement
L'Etat, en France comme dans d'autres pays, est passé d'une phase de non intervention à un
interventionnisme de plus en plus marqué. L'abstention de l'Etat est illustrée, dans notre pays,
par quelques textes célèbres, en particulier le décret d'Allarde et la loi Le Chapelier. En réalité cette
abstention ne vaut que dans le domaine économique et social (ce qui est évidemment considérable)
car la France est un pays largement administré, où la place de l'administration est traditionnellement
importante. L'Empire confie à cette administration des missions, tout en n'étant pas interventionniste.
En savoir plus : Décret d'Allarde et Loi le Chapelier
Le décret d'Allarde datant du 2 mars et 17 mars 1791 supprime les corporations. Les corporations
étaient des associations de personnes exerçant le même métier, l'âge d'or des corporations date du
Moyen Âge et la corporation la plus emblématique est celle des bateliers de ParisCe décret proclame
ainsi le principe de liberté de commerce et d'industrie. Cela implique que, sous réserve du respect de
l'ordre public institué par la loi, l'exercice des professions est désormais libre. Il peut toutefois, dans
certains cas, être soumis à déclaration.Le décret d'Allarde permet de distinguer deux sous-principes :
• La liberté d'entreprendre, c'est à dire de pouvoir exercer librement une activité sans être exposé
à un monopole.
• La liberté de concurrence, autrement dit le fait que les acteurs économiques doivent respecter
une éthique qui ne fausse pas la concurrence. Cette liberté implique qu'en vertu du principe de
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neutralité économique de l'État, ce dernier ne vienne pas fausser la concurrence en exerçant
lui-même des activités industrielles et commerciales qui romprait l'égalité entre concurrents.
Le décret d'Allarde ne s'oppose pas à ce qu'une personne publique exerce une activité économique
lorsque ceci se justifie par la poursuite de l'intérêt général.
La Loi Le Chapelier : La liberté de concurrence, autrement dit le fait que les acteurs économiques
doivent respecter une éthique qui ne fausse pas la concurrence. Cette liberté implique qu'en vertu
du principe de neutralité économique de l'État, ce dernier ne vienne pas fausser la concurrence en
exerçant lui-même des activités industrielles et commerciales qui romprait l'égalité entre concurrents.
Sous l'influence de facteurs largement identifiés, l'industrialisation, l'urbanisation, les crises et les
guerres, l'Etat est devenu interventionniste. Et cet Etat Providence (ainsi qu'on l'a vite qualifié) qui
en est résulté, s'est servi de l'administration pour mener à bien ses interventions. Il ne faut pas oublier
que juridiquement, constitutionnellement, le gouvernement « dispose » de l'administration,
ceci ne datant pas seulement de la Cinquième République. La prise en charge par l'administration
de nouvelles missions s'est effectuée sans heurts, parce que cette administration bénéficiait d'une
longue tradition de présence dans la société, et qu'elle avait, si l'on peut s'exprimer ainsi, vocation
à se développer.
En savoir plus : Etat providence
L'État-providence est une conception du rôle de l'État, qui lui attribue le devoir de jouer un rôle actif
dans la promotion de la croissance économique, de fournir une protection sociale aux citoyens, et
de corriger les injustices sociales résultant de l'économie de marché. L'État providence s'oppose à
la vision d'un État minimum (ou État Gendarme), dans laquelle l'intervention publique se limite aux
fonctions dites régaliennes (police, armée, justice) et va plus loin que les propositions habituellement
défendues par les libéraux.
Certes, il est de bon ton, depuis quelques années, d'affirmer que la conception de l'Etat providence
est une idée dépassée, que l'Etat ne peut plus être ce qu'il a été, compte tenu des évolutions de
la société comme de l'économie, sans compter la fameuse "mondialisation" dont il est habituel de
dire qu'elle a affaibli les Etats (certains auteurs anglo-saxons ont même annoncé - un peu vite - la
mort et la disparition de l'Etat). La crise que nous connaissons depuis quelques années montre que
l'Etat conserve un rôle essentiel, qui n'est plus celui d'autrefois, cet Etat n'est plus l'Etat providence
tel qu'on a pu encore le connaître dans les années 60, et l'une des difficultés de notre temps est de
parvenir à définir ce nouveau rôle de l'Etat.
Cette transformation a affecté la vie quotidienne des citoyens. Autorisations administratives,
déclarations et réglementations se sont multipliées, imposant à ces citoyens d'avoir de plus en
plus souvent affaire à l'administration. Celle-ci a pris la double caractéristique d'être la source de
prescriptions et de prestations, les unes et les autres s'exprimant par la voie d'actes administratifs.
Ceci s'est répercuté sur le contentieux, contentieux de l'annulation mais, plus encore, le plein
contentieux qui s'est beaucoup développé, en particulier le contentieux de l'indemnisation.
Dans un certain nombre de domaines du droit administratif, la diversification que l'on constate est
quelquefois un raffinement de techniques que le juge administratif utilisait déjà auparavant. Ainsi en
est-il dans le domaine des principes généraux du droit. Ces principes sont une invention remarquable
du juge administratif, leur but est de contraindre l'administration à respecter certaines règles ou
certaines procédures, c'est un moyen de protection des droits et libertés de citoyens. La plupart des
grands principes généraux du droit, ceux qui sont précisément « généraux » ont déjà été énoncés.
Mais le juge continue à découvrir des principes généraux du droit, plus spécialisés qu'auparavant.
Ces principes complètent ceux qui ont déjà été énoncés pour leur donner plus de force et d'effectivité
dans des cas particuliers
B. La responsabilité
Un autre domaine est significatif de ces évolutions, c'est le domaine de la responsabilité
administrative, entendue au sens contentieux du terme (et non dans le sens où l’on a des
responsabilités). .
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L'importance du droit administratif et du juge administratif méritent d'être soulignés car on peut
penser que le juge administratif français a construit un système particulièrement remarquable de
responsabilité de l'administration, ce système, édifié sur un siècle environ, présente au surplus une
très grande cohérence
Au départ la responsabilité de loin la plus importante est la responsabilité fondée sur la faute,
avec une distinction, classique, entre la faute lourde et la faute simple, la première étant exigée
pour les activités administratives les plus délicates à conduire. L'une des évolutions, à l'époque
contemporaine, va être de faire passer un certain nombre de cas de responsabilité du régime de la
faute lourde au régime de la faute simple : là où la faute lourde était exigée, le juge exige aujourd'hui
seulement la faute simple
Une illustration en est fournie par la responsabilité hospitalière - en précisant, pour éviter
toute confusion, qu'en France les établissements de santé sont d'abord et principalement des
établissements publics, avec des personnels qui ont un statut de droit public, ce qui explique que
l'on se retrouve, en cas de litige, devant le juge administratif - où le juge consacre désormais la
responsabilité en cas de faute simple pour les actes médicaux et chirurgicaux. Finalement, le seul
domaine dans lequel la faute lourde est encore exigée est le domaine de la police administrative,
et encore est-ce uniquement lorsque l'activité de police a été difficile à mener que le juge demande
qu'ait été commise une faute lourde pour engager la responsabilité, dans les autres cas la faute
simple est exigée.
Mais le développement le plus remarquable, à l'époque contemporaine, est ce lui de la
responsabilité sans faute à prouver. Ce type de responsabilité est particulièrement intéressant
pour les requérants puisque, par définition, ils n'ont pas à prouver l'existence d'une faute, il leur suffit
de prouver le lien de causalité entre un acte ou un fait dommageable et le dommage lui-même.
La responsabilité sans faute n'était pas inconnue autrefois, mais elle était limitée à quelque cas. A
notre époque cette responsabilité o connu un développement spectaculaire
•
•
D'une part, l'extension a concerné des cas de responsabilité existants, mais auxquels le juge
a donné une portée beaucoup plus grande qu'avant, et la meilleur illustration est sans doute
celle de responsabilité du fait des collaborateurs occasionnels ou bénévoles du service public,
qui est probablement l'un des cas de responsabilité administratives les plus perfectionnés que
l'on ait inventé dans le monde
D'autre part le juge a multiplié les cas de responsabilité sans faute, qu'il s'agisse de cas
de responsabilité fondés sur le risque ou de cas de responsabilités fondés sur la rupture
d'égalité devant les charges publiques. La responsabilité sans faute n'est donc plus du tout
exceptionnelle, elle représente une part importante de la responsabilité.
C. Les relations contractuelles
Un autre domaine qui illustre parfaitement ces changements du droit administratif est celui des
relations de l'administration avec d'autres personnes, notamment les relations contractuelles.
L'administration a toujours pu conclure des contrats de droit administratif et des contrats de droit
privé. Mais les contrats administratifs étaient surtout représentés par les contrats de concession,
contrats d'affermage, contrats d'occupation du domaine public, marchés publics. Une double
évolution est significative.
•
Une première évolution est le développement des contrats non plus seulement entre une
personne publique et une personne privée, comme c'était le cas jusque-là, mais entre deux
ou plusieurs personnes publiques. Ce phénomène traduit la montée en puissance des
collectivités territoriales locales et des établissements publics qui les regroupent.
On trouve désormais des contrats entre l’Etat et les collectivités territoriales, et l’une des
illustrations de ces contrats est représentée aujourd’hui par les contrats de plan Etat-régions,
qui sont devenus,, à partir de 2007, les contrats de projet. Les collectivités locales concluent
également entre elles-mêmes des contrats, qui sont naturellement, sauf, exception, des
contrats administratifs.
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•
Une seconde évolution est le développement de ce que l'on appelle la contractualisation. Celleci recouvre des relations qui, tantôt sont de véritables contrats, tantôt sont des actes unilatéraux
déguisés en quelque sorte. Mais ce qu'il est intéressant de relever, c'est que l'Etat renonce de
plus en plus souvent à agir par la voie de l'acte unilatéral, la voie de la puissance publique,
pour rechercher un accord avec les personnes concernées, en partant de l'idée que cette
contractualisation permettra une meilleure exécution que l'acte unilatéral. La contractualisation
montre le changement de méthode de l'Etat qui tout en conservant son pouvoir, essaie de
mieux faire appliquer certaines politiques en recherchant le consensus, l'accord des intéressés.
Ce mouvement peut aussi être compris comme s'inscrivant dans le cadre du développement
d'une démocratie participative qui concerne non pas seulement les relations entre une personne
publique et les citoyens, mais entre les personnes publiques elles-mêmes.
§2. La démultiplication du droit administratif
Il est possible de parler de la démultiplication du droit administratif en ce sens que ce droit à tendance
à produire des développements qui prennent peu à peu leur autonomie par rapport à la source
générale du droit administratif.
En d'autres termes, le droit administratif donne naissance à d'autres droits administratifs, qui sont
des droits spécialisés, des droits de plus en plus nombreux.
A. Les droits administratifs "spécialisés"
Ce que l'on appelle « droit administratif spécial » est constitué, traditionnellement, de trois grands
domaines mis à part, chacun, pour des raisons spécifiques.
• Le premier est le domaine public dont la particularité des règles remonte à l'Ancien Régime
et tient à l'importance du domaine, à tous les sens du terme, dans la construction de l'Etat et
de la nation par le pouvoir royal.
• Le deuxième domaine est représenté par les travaux publics, dont on sait qu'ils furent à
part, dès la naissance du juge administratif, aussi bien en ce qui concerne la compétence
juridictionnelle qu'en ce qui concerne les règles de fond, issues de quelques lois célébrissimes.
• Le troisième domaine est celui de la fonction publique, qui est un domaine assez particulier
pour de multiples raisons, ne serait-ce que celle, essentielle, qui distingue la fonction publique
du droit administratif classique, d'être une matière largement réglée, dès le départ, par les lois
et règlements.
D'autres développements du droit administratif sont un peu moins classiques, ou le sont
devenus plus récemment. Ce sont des champs qui étaient considérés comme relevant plutôt du droit
administratif général et qui ont acquis, ou acquièrent, sans avoir eu besoin de la revendiquer, une
autonomie de plus en plus grande, qui en fait des disciplines à part entière. Le phénomène n'est
pas nouveau, on sait que des disciplines se sont détachées d'autres pour se constituer en
droits autonomes, et il fut un temps, il arrive encore, que des enseignements relatifs à une discipline
comportent un développement sur l'autonomie de ladite discipline par rapport à une discipline
centrale, matricielle.
Mais ce qui nous intéresse c'est que ce phénomène touche désormais le droit administratif, que
certains, au moins, avaient considéré comme un ensemble, sinon monolithique, tout au moins unifié
et homogène. L'un des droits qui illustre ce phénomène de démultiplication est celui de l'urbanismeLe
droit de l'urbanisme emprunte certes largement au droit administratif, il relève encore, selon
certaines analyses, du droit administratif.
Mais cette analyse est de plus en plus contestée, le droit de l'urbanisme se différencie de plus en
plus du droit administratif, il est devenu un droit propre, avec sa spécificité, et ses spécialistes.
Lorsque l'on se tourne vers l'économie, on trouve de nouvelles branches, qui ont tendance à se
multiplier, et qui évoluent très rapidement.
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Le droit public économique, qui est relativement récent dans notre histoire juridique, puisque ne
dépassant pas, au mieux, le demi-siècle, était un peu à part dès sa constitution, en raison de
son objet, qui était très large et soulevait des questions de principe (l'intervention de la puissance
publique) qui ne s'étaient jamais posées pour le droit administratif classique, en raison, également,
des modes d'intervention juridique qui ne ressemblaient guère à ce que l'on rencontrait dans le droit
administratif classique.
Le service public n'y était pas inconnu, mais on y trouvait plutôt l'entreprise publique, rebelle à une
définition juridique avec les instruments juridiques habituels, l'agrément, la planification, etc.
Ce droit public économique a lui-même été mis en cause rapidement, en raison des évolutions
rapides de l'économie et de la société, et de nouvelles transformations.
Exemple
Par exemple, les développements que l'on faisait, il y a quelques années encore, sur la «
planification à la française » n'ont plus lieu d'être parce que le plan de la nation n'existe plus.
Parmi les chapitres du droit administratif qui ont connu une évolution spectaculaire il faut compter
le droit des marchés publics. Les marchés publics existent sans doute depuis longtemps, mais
cette matière, qui paraissait stable, est aujourd'hui frappé d'une grande instabilité, tenant à la rapidité
d'évolution des règles en ce domaine : à peine le « nouveau » code des marchés publics était-il
adopté qu'il fallait le mettre en chantier, pour y inclure les dernières dispositions communautaires,
et un « nouveau » code vient d'être adopté.
Les préoccupations et les exigences de transparence et de publicité entraînent de constantes
réformes. Tout ceci retenti naturellement au contentieux, et le contentieux des marchés publics a
pris une grande ampleur. Le droit des marchés publics est devenu, un droit autonome, avec ses
manuels de « droit des marchés publics ».
B. Les nouveaux champs de présence du droit administratif
Dans d'autres cas, encore, il ne fait aucun doute que l'on a affaire à des droits nouveaux.
Exemple
L'un des exemples les plus remarquables est, par exemple, ce que l'on qualifie aujourd'hui de droit
public de la concurrence. Le droit de la concurrence est une discipline qui a pris son autonomie.
S'il relève d'abord du droit privé, du droit commercial, il comporte incontestablement des aspects
de droit public, d'où cette dénomination de droit public de la concurrence. Ce dernier exemple
est source de réflexion à plusieurs titres Tout d'abord il illustre un phénomène plus général, qui
est celui de la recomposition des droits, de la classification que l'on avait tendance à admettre
jusqu'à aujourd'hui. De nouveaux droits se sont constitués, que l'on qualifie facilement de droits
transversaux, qu'il s'agisse du droit de l'environnement, du droit de la santé, du droit de la culture,
etc. Il est devenu très habituel de dire qu'ils invalident la distinction entre droit public et droit
privé, qu'ils la rendent caduque. Cela est sans doute exact, mais, sans que cela soit d'ailleurs
contradictoire, d'autres interprétations peuvent être proposées, parallèlement, de ce phénomène.
Aucun de ces droits n'est du droit administratif, ils font appel parfois à des disciplines qui n'ont
aucun rapport avec le droit (ex. le droit de l'environnement, qui peut faire appel à la géographie, la
géologie, la pédologie, etc.), mais chacun comporte une dimension de droit administratif.
A côté de ces droits ayant un champ beaucoup plus large que le droit administratif on trouve, à
l'inverse, des droits qui ont un champ plus étroit. C'est le cas du droit des marchés publics, c'est
également le cas du droit des contrats publics, qui a, lui aussi, tendance à devenir autonome par
rapport au droit administratif. On a ainsi l'impression que la substance du droit administratif est
aspirée, tantôt par des disciplines plus larges, tantôt par des disciplines au champ plus limité, un peu
comme, dans l'univers, un pulsar attire et absorbe la matière des étoiles voisines.
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Ensuite, et pour certains de ces droits, au moins, on peut s'interroger sur leur signification au regard
de ce qui était dit traditionnellement sur le droit administratif. Historiquement celui-ci s'est affirmé
en se différenciant du droit privé, et toute l'histoire du droit administratif est celle d'une affirmation
d'autonomie par rapport au droit privé, même si l'on sait que cette autonomie est, et ne peut être
que relative (l'analyse pouvant être faite, d'ailleurs, également, du côté du droit privé). Or certains
de ces droits nouveaux paraissent être dans la dépendance du droit privé. Le droit public de la
concurrence est-il une nouvelle extension du droit administratif, ou n'est-il qu'un appendice du droit
de la concurrence, qui est avant tout du droit privé ? Il n'est guère de domaine où le droit administratif
ne soit présent, d'une manière ou d'une autre, mais ne s'y dilue-t-il pas ? Le droit administratif ne
tend-il pas parfois à devenir une matière, certes indispensable, mais seconde, voire secondaire ?
Enfin une dernière interrogation (et c'est bien une interrogation, qui ne présume pas de réponse
dans un sens déterminé) porte sur l'unité du droit administratif. Le début du vingtième siècle avait
vu l'unification du droit administratif, la fin de ce siècle a vu un phénomène de différenciation de plus
en plus marqué se manifester. D'un autre côté, on peut affirmer demeure unifié par quelques grands
principes généraux qui demeurent « contrôlés » par le juge administratif. Mais on peut aussi dire que
ces principes connaissent tellement de nuances dans leur application que leur portée de principe
s'en trouve réduite.
Mais tous ces nouveaux droits témoignent au moins de la vitalité de ce que nous continuons
d'appeler droit administratif. Nous ne sommes plus dans la forêt touffue des origines, nous ne
sommes pas, non plus, dans le jardin à la française, pas plus d'ailleurs dans le jardin à l'anglaise.
Il nous reste à savoir nous diriger et à qualifier ce nouveau paysage qui se dessine sous nos yeux.
Parmi ces droits « spécialisés », il convient de mettre à part le droit des collectivités territoriales.
Les collectivités territoriales ne datent évidemment pas d'aujourd'hui, la décentralisation a commencé
en France au XIXème siècle. Mais on ne parlait pas de droit des collectivités territoriales, cellesci étaient régies par le droit administratif général, elles faisaient partie de l'étude des instituions
administratives.
Le droit des collectivités territoriales a aujourd'hui pris son autonomie tout en demeurant au sein
du droit administratif.
Le développement de la décentralisation sous la Cinquième République explique que l'on puisse
parler d'un droit des collectivités locales (ou territoriales) : de nombreuses lois ont été prises, depuis
1959, en matière de décentralisation, la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 a accentué
la portée de la décentralisation en prévoyant parfois des mesures très audacieuses, comme par
exemple l'expérimentation normative.
Le droit des collectivités territoriales se caractérise, entre autres, par deux traits.
•
D'une part ce droit est en quelque sorte un droit « carrefour» , en ce sens qu'il est composé de
droits de nature différentes. Ou, si l'on préfère, c'est un droit transversal qui appelle l'étude
de plusieurs branches du droit. Ainsi, notamment, le droit des collectivités territoriales inclut
désormais une partie non négligeable de droit constitutionnel : il existe un droit constitutionnel
des collectivités territoriales qui s'est développé à partir de 1982 avec la jurisprudence du
Conseil constitutionnel. Ce droit constitutionnel repose sur la reconnaissance d'un principe de
valeur constitutionnelle, le principe de libre administration des collectivités territoriales et le
législateur est tenu de respecter ce principe.
•
D'autre part, le droit des collectivités territoriales, qui demeure un droit principalement
administratif, comporte un certain nombre de spécificités par rapport au droit administratif
général. En particulier il existe un régime particulier de contrôle de la légalité des actes
des collectivités territoriales, puisque la tutelle a été supprimée. Ce contrôle est le contrôle
administratif exercé par le préfet, qui ne peut plus, de lui-même, annuler l'acte d'une autorité
locale. Mais le préfet, en tant que représentant de l'Etat, se voit reconnaître une voie de droit
spécifique devant le juge administratif, le déféré préfectoral, par lequel il peut demander au
juge l'annulation d'un acte mais également, par une procédure accélérée, et si les conditions
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sont réunies, la suspension d'un acte. Le juge administratif demeure cependant le seul
à contrôler l'activité des collectivités locales, le contrôle a été « juridictionnalisé » en ce
sens que c’est sur le juge que repose, en définitive, le contrôle des collectivités territoriales. Il
faut ajouter, autre spécificité, que des institutions particulières ont été créées pour exercer le
contrôle financier sur les collectivités locales, ce sont les chambres régionales des comptes.
§3. Les changements dans l'élaboration et dans l'application du droit
administratif
Le droit administratif d'aujourd'hui est très différent de ce qu'il était il y a un siècle - cela est
évident - mais également de ce qu'il était il y a une quarantaine d'années. Deux grandes séries de
changements méritent d'être relevées. D'une part les sources de ce droit ont été considérablement
enrichies, mais surtout modifiées, d'autres part on s'est préoccupé, avec un certain succès, de
l'application du droit administratif, c'est-à-dire, principalement, de l'exécution des décisions de
justice par l'administration.
A. Les modifications des sources du droit
Le droit administratif français présentait des particularités notables, notamment celle d'être un droit
essentiellement jurisprudentiel, et celle d'être un droit très original par son origine comme par son
histoire. L'originalité demeure, mais des changements importants sont intervenus, qui sont de deux
sortes.
•
En premier lieu, le droit administratif n'est plus seulement un droit prétorien, un droit
jurisprudentiel. Droit prétorien, cela signifiait que le juge énonçait les règles de droit administratif
en son prétoire, à l'occasion des litiges qui lui étaient soumis. Le droit administratif a été un
droit jurisprudentiel parce que, la loi des 16-24 août 1790 ayant été interprétée comme excluant
toute possibilité, de la part du juge judiciaire, de « troubler, de quelque manière que ce soit, les
opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs
fonctions », le juge administratif a été amené à forger lui-même les règles de droit dont il avait
besoin pour régler les litiges. Par la suite, le législateur n'a pas jugé utile d'intervenir parce que
le juge administratif faisait très bien le travail, que l'adoption de lois ne s'imposait pas.
Ceci a changé car à notre époque le législateur intervient beaucoup plus que par le passé, et
dans tous les domaines. Les lois sont plus nombreuses qu'avant, et les lois votées sont beaucoup
plus longues qu'elles n'étaient, ce qui accroît encore la portée normative de ces textes. Le droit
administratif apparaît de plus en plus comme un droit légiféré, pour deux raisons.
•
D'une part, du fait de l'accroissement considérable du nombre de lois, le juge est amené,
beaucoup plus qu'il ne le faisait dans le passé, à appliquer la loi. Certes c'est là le rôle
traditionnel d'un juge, c'était bien celui du juge judiciaire, et l'on pourrait s'étonner que l'on puisse
insister sur ce point, tant cela semble aller de soi. Cependant, la grande différence pour le juge
administratif est que, dans le passé, il n'y avait que peu de lois, le juge administratif appliquait
les lois, mais il disposait d'une marge de manoeuvre très grande compte tenu de cette rareté
des textes. A notre époque il n'en est plus de même, le juge interprète toujours la loi, mais sa
marge de manoeuvre est plus réduite, d'autant que les lois sont de plus en plus précises et
détaillées
•
D'autre part, des lois interviennent également dans le domaine de la répartition des
compétences entre les ordres de juridictions, elles déterminent le juge compétent, elles
fixent l'étendue des pouvoirs du juge. Certes ce n'est pas entièrement nouveau, et l'on
pourrait citer la loi de 1957 sur les accidents causés par un véhicule, loi par laquelle le législateur
a décidé d'unifier la compétence contentieuse en confiant l'ensemble du contentieux au juge
judiciaire. Cependant, ces lois sont devenues de plus en plus nombreuses
Cela tient, notamment, au fait que le législateur, plus préoccupé qu'il ne le fut dans le passé par cette
question, cherche à améliorer les relations entre l'administration et les citoyens, et plusieurs lois, dont
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la loi du 12 avril 2000, porte précisément comme intitulé « loi relative à l'amélioration des relations
entre l'administration et les administrés ». Ces lois modifient parfois la répartition des compétences
contentieuses, elles renversent quelquefois une jurisprudence du juge administratif. Un exemple le
montrera, c'est le suivant :
Exemple
Le Conseil d'Etat avait décidé que les règlements intérieurs des assemblées délibérantes des
collectivités territoriales (conseils municipaux, conseils généraux, conseil régionaux) étaient des
mesures d'ordre intérieur, insusceptibles, à ce titre, de faire grief et d'être déférés au juge de l'excès
de pouvoir. Le législateur a pensé autrement, et il a décidé, par une loi de 1992, que ces règlements
intérieurs pouvaient être déférés au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir,
donc qu'ils étaient des actes faisant grief.
L'intervention du législateur est parfois inévitable, et c'est à partir de certains projets (officieux)
du Conseil d'Etat que des projets de lois sont déposés. Ainsi, il était indispensable de passer par
une loi pour pouvoir créer des cours administratives d'appel, ce qui fut fait en 1987. Les tribunaux
administratifs, mais surtout le Conseil d'Etat, étaient encombrés et prenaient de plus en plus de
retard dans le prononcé des décisions de justice, une réforme était nécessaire. La création des cours
administratives d'appel a été un succès parce que préparée par le juge lui-même, mais c'est une loi
qui a réalisé cette réforme importante.
Une autre modification importante des sources du droit administratif tient au fait que le droit
administratif n'est plus seulement un droit national, ce droit est de plus en plus influencé par la
source communautaire.
Le droit communautaire intervient à plusieurs titres dans le droit administratif interne
•
•
Tout d'abord, parmi les lois que le législateur français adopte, et les règlements que les autorités
administratives nationales prennent, beaucoup ne sont que la transposition ou l'application
de normes communautaires. C'est l'application pure et simple par le pouvoir réglementaire
lorsqu'il s'agit de règlements communautaires, parce que ces derniers sont directement
applicables sur le territoire des Etats membres, c'est la transposition lorsqu'il s'agit de directives
communautaires, la transposition pouvant être effectuée par les instruments juridiques choisis
par l'Etat considéré, loi ou règlement. Or ces normes communautaires, en particulier les
directives, ne font que se multiplier, devenant source du droit interne. Le juge administratif
applique donc de plus en plus des normes communautaires, et son rôle d'interprétation à l'égard
de ces normes - et malgré le maintien par le Conseil d'Etat, de sa théorie de « l'acte clair » - est
réduit puisque les traités communautaires attribuent la fonction d'interprétation de ces traités
exclusivement à la Cour de justice des communautés européennes.
C'est précisément, ensuite, la jurisprudence de la Cour de justice des communautés
européennes (devenue, depuis le traité de Lisbonne, la Cour de justice de l’Union européenne),
mais également celle de la Cour européenne des droits de l'homme (la France ayant ratifié
la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 et accepté la clause attribuant
compétence à cette cour pour l'application de la Convention) qui concurrence la jurisprudence
du Conseil d'Etat et qui contraint ce dernier à opérer des adaptations ou des revirements de
jurisprudence.
Un exemple, toujours d'actualité, montre les difficultés résultant de la reconnaissance d'un droit
communautaire et d'un droit européen qui l'emportent sur le droit interne :
23
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Exemple
Depuis la création du Conseil d'Etat il existe devant ce dernier, comme devant toutes les juridictions
administratives, une institution particulière qui est le commissaire du gouvernement. Celui-ci ne
représente pas, malgré son nom (hérité de l'histoire) le gouvernement, il présente ses conclusions
« en toute indépendance », ainsi que le disait un arrêt du Conseil d'Etat lui-même. Mais la
Cour européenne des droits de l'homme voit les choses autrement et estime que la présence du
commissaire du gouvernement au délibéré porte atteinte à l'indépendance du juge. Le Conseil
d’Etat s’est résolu à modifier l’appellation : le Conseil constitutionnel ayant reconnu le caractère
réglementaire de l’expression « commissaire du gouvernement », le décret n° 2009-14 du 7 janvier
2009 a substitué à cette expression celle de rapporteur public, qui est devenue l’expression officielle.
B. Le droit administratif, un droit qui a connu de profondes modifications
dans son application
Le droit administratif a été caractérisé, pendant plus d'un siècle, par le rôle du juge dans l'élaboration
et la mise en oeuvre de la règle de droit applicable à l'administration, une règle de droit dont il était
l'auteur ou le découvreur, fixant ainsi l'étendue de l'assujettissement de l'administration au droit. Le
législateur a laissé faire parce que le juge administratif a procédé de manière intelligente et discrète,
veillant à ne pas empiéter directement sur les compétences du premier et que, beaucoup plus porté
sur les débats idéologiques et les querelles politiques que sur les fonctions du juge administratif,
le Parlement s'est reposé sur ce dernier du soin de mettre en place un système de contrôle de
l'administration.
Nous avons vu précédemment que le législateur intervient pour modifier l'état du droit, ou une
jurisprudence. Mais il arrive également que des textes qui modifient une jurisprudence ou impliquent
une nouvelle jurisprudence, soient inspirés par le juge lui-même, plus exactement par le Conseil
d'Etat en ses formations administratives, et tel a été le cas de la loi relative à l'injonction. Celle-ci
s'explique facilement, si l'on fait abstraction de toutes les difficultés de mise en oeuvre.
Dans le domaine du contentieux, il ne suffit pas que le juge prononce une décision qui soit
satisfaisante pour le requérant. Encore faut-il que ce dernier puisse en obtenir l'exécution. Car,
au fond, on a présumé pendant longtemps qu'à partir du moment où une décision de justice était
prononcée elle était exécutée par l'administration. Or, s'il paraît à la fois normal et naturel que
l'administration exécute et s'exécute, parce qu'elle est soumise au droit, que nous sommes dans
un Etat de droit, la réalité peut être différente. L'administration ne se soumet pas toujours, ou pas
spontanément, aux décisions de justice.
La loi du 8 février 1995 donne au juge administratif des moyens supplémentaires pour obtenir
l'exécution de la décision qu'il a rendue. Les pouvoirs d'injonction qui lui sont conférés
sont finalisés, c'est « en vue de l'exécution de la chose jugée ». Mais ils constituent un ensemble
diversifié. Le plus simple à comprendre est celui que le juge peut exercer lorsqu'il est sollicité, par
une partie qui, après le procès, se heurte à une difficulté d'exécution.
D'autres injonctions sont qualifiées de « préventives » parce qu'elles sont prononcées au moment
où le juge rend sa décision, et que leur objet est d'expliciter cette dernière en vue de sa bonne
exécution. Il peut les prononcer,
• d'une part lorsque la chose jugée « implique nécessairement » qu'une mesure d'exécution
déterminée soit prise
• d'autre part lorsque la chose jugée « implique nécessairement », toujours, qu'une décision soit
prise au terme d'une nouvelle instruction de l'affaire.
Relevons également que cette loi ne semble avoir suscité qu'un intérêt très limité chez les
parlementaires si l'on en juge par la quasi-absence de débat, ce qui peut aussi s'interpréter comme
une forme d'unanimité sur une réforme qui ne posait aucun problème de principe.
Cette loi a donné lieu à de nombreux et divers commentaires qui vont de l'approbation à la déception,
pour ceux qui attendaient que le législateur aille plus loin. On laissera aux divers exposés qui suivent
l'appréciation de ces jugements pour nous en tenir à des considérations plus globales.
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Du point de vue du contenu de ce pouvoir, et non plus de la méthode, le législateur a prévu en fait
deux pouvoirs d'injonction que l'on qualifie, pour le premier, d'injonctions a priori ou préventives et,
pour les second, d'injonctions a posteriori ou répressives. S'agissant des premières, prévues aux
articles L.911-1 et L.911-2 du code de justice administrative, le juge peut, dans le dispositif de sa
décision, prescrire à l'administration de prendre, dans un certain délai, une mesure déterminée en
application de la chose jugée - c'est l'hypothèse de l'article L. 911-1 - ou lui ordonner de prendre une
nouvelle décision dans un délai qu'il fixe lorsque l'exécution de la chose jugée ne permet pas de dire
dans quel sens cette décision doit être prise - c'est l'hypothèse de l'article L ; 911-2 - .
•
•
La demande d'une mesure d'injonction préventive de la part d'un requérant exprime
nécessairement la crainte de ce dernier que l'administration ne s'exécute pas, elle présume
que l'administration sera de mauvaise foi ou cherchera à se soustraire à ses obligations.
Cette demande fait l'objet d'une appréciation du juge, qui n'est jamais tenu de prononcer la
mesure d'injonction. Il est courant de dire que le contentieux de l'injonction est un contentieux
accessoire, mais la réponse que le juge donne aux conclusions à des fins d'injonction peut ne
pas être sans effets sur les conclusions principales, il peut également arriver que le litige que
le juge a à régler porte seulement sur les mesures d'exécution.
Avec les injonctions dites répressives, prévues à l'article L. 911-4 du code de justice
administrative, on ne se trouve plus du tout dans le même cas de figure puisque la demande
du requérant est fondée sur l'inexécution ou la mauvaise exécution de la décision de justice
par l'administration
Des conditions strictes doivent être réunies pour que la demande soit recevable.
•
•
•
D'abord, et de manière évidente, un certain délai est exigé, à compter de la notification
de la décision de justice (normalement trois mois, à moins que la décision de justice n'ait
prévu elle-même un autre délai, ou que l'administration ait clairement signifié au bénéficiaire
son refus d'exécuter).
Ensuite, le requérant doit indiquer, à la fois, les difficultés qu'il a rencontrées pour
obtenir exécution de la décision qui lui est favorable et les mesures d'exécution qu'il
estime nécessaires à l'exécution. Le juge va alors, dans un premier temps, accomplir
les démarches nécessaires pour assurer l'exécution de la décision de justice concernée,
notamment en s'adressant à l'administration qui est supposée ne pas exécuter ou mal exécuter.
Si, ces démarches faites, il constate qu'effectivement sa décision n'a pas été exécutée ou est
mal exécutée, il prescrit des mesures d'exécution. Parmi ces mesures figure notamment la
possibilité de prononcer une astreinte.
L'astreinte est précisément une autre caractéristique de la loi consacrant le pouvoir
d'injonction. On conviendra assez facilement que l'astreinte est étroitement liée à l'injonction.
Certes en soi il est possible de les séparer. Cependant, « les choses étant ce qu'elles sont », on
conçoit tout aussi facilement que l'astreinte soit un moyen d'assurer l'effectivité de l'injonction.
Car il ne suffit pas de pouvoir légalement donner un ordre, de commander à une personne de
faire, encore faut-il que la personne concernée exécute l'ordre. L'astreinte est l'un des moyens les
plus efficaces d'obtenir l'exécution, parce que c'est le point auquel les personnes, qu'elles soient
physiques ou morales, sont le plus sensibles. Ceci étant, si l'astreinte ne peut être sans pouvoir
de donner un ordre, le pouvoir d'injonction peut exister sans astreinte, et le Conseil d'Etat a
jugé qu'une cour d'appel s'était livrée à une appréciation souveraine des faits et circonstances de
l'espèce en prononçant une injonction non assortie d'une astreinte.
Et, de la même manière qu'il a distingué deux procédures d'injonctions, le législateur a distingué
deux types d'astreintes.
•
•
La première, prévue à l'article L. 911-3 du code de justice administrative, est liée à l'injonction
préventive : saisi de conclusions en ce sens, le juge peut, dans le cadre de la demande d'une
telle injonction, assortir cette dernière d'une astreinte dont il fixe les conditions, et demeurant
libre d'accorder ou non l'astreinte.
La seconde, prévue à l'article L. 911-5 du code précité, n'a pas été créée par la loi de 1995, mais
par celle du 16 juillet 1980 (mais généralisée en 1995), l'astreinte pouvant être prononcée en
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cas d'inexécution ou de mauvaise exécution d'une décision de justice et pouvant être provisoire
ou définitive.
Il est normal que le droit administratif fasse l'objet de constantes adaptations et connaisse même
de profondes transformations. Dans le passé les changements ont été dus au changement dans le
rôle et les fonctions de l'Etat, avec toutes les conséquences que cela impliquait.
Mais on demeurait dans la même logique, celle d'un droit issu de l'Etat, et destiné à établir un
équilibre entre les droits de l'Etat et les droits des citoyens. Les questionnements d'aujourd'hui
sont d'une autre nature, parce qu'ils sont principalement extérieurs au système de l'Etat, ils sont
d'origine communautaire, et la logique communautaire est différente de la logique nationale. Il y a
donc une difficile conciliation à opérer entre les exigences communautaires, qui sont légitimes, et
le nécessaire maintien des particularités nationales, que le principe de subsidiarité justifie.
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Cours : L’action administrative
Auteur : Jean-Marie Pontier
Leçon n° 2 : Les sources du droit administratif
Table des matières
Section 1. Introduction.............................................................................................................................p. 3
Section 2. Les Sources de rang constitutionnel...................................................................................p. 4
§ 1. La Constitution proprement dite............................................................................................................................p. 4
A. La supériorité de la norme constitutionnelle sur les autres normes.............................................................................................. p. 4
1. La conception traditionnelle de la loi en France de la Révolution à 1958................................................................................................................. p. 5
2. Le système de la Constitution de 1958...................................................................................................................................................................... p. 6
B. La reconnaissance par le juge de la supériorité de la norme constitutionnelle............................................................................. p. 8
§ 2. Le bloc de constitutionnalité................................................................................................................................. p. 9
A. La question générale des déclarations et préambules.................................................................................................................. p. 9
1. La problématique des déclarations et des préambules.............................................................................................................................................. p. 9
2. La reconnaissance par le juge de la valeur juridique de la Déclaration des droits de 1789 et du Préambule de 1946............................................ p. 10
B. La pluralité des normes constitutionnelles................................................................................................................................... p. 11
1. Les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (PFRLR)................................................................................................. p. 11
2. Les autres principes constitutionnels........................................................................................................................................................................ p. 12
Section 3. Les normes internationales................................................................................................ p. 13
§ 1. Le problème général soulevé par les traités...................................................................................................... p. 13
A. La validité des traités internationaux........................................................................................................................................... p. 13
1. Les conditions de forme à la validité d'un traité....................................................................................................................................................... p. 13
2. Les conditions de fond à l'application des traités.....................................................................................................................................................p. 14
B. La question de la supra-légalité des traités internationaux......................................................................................................... p. 15
1. Les difficultés tenant au droit international............................................................................................................................................................... p. 15
2. Les difficultés tenant à la place des traités dans l'ordonnancement juridique et aux conséquences qui en découlent............................................ p. 16
§ 2. Les problèmes juridiques soulevés par l'ordre communautaire.......................................................................... p. 18
A. Les règles du droit communautaire............................................................................................................................................. p. 18
1. La question de l'interprétation des dispositions communautaires.............................................................................................................................p. 19
2. L'applicabilité des dispositions communautaires.......................................................................................................................................................p. 19
B. La sanction des règles communautaires et européennes........................................................................................................... p. 20
Section 4. Les lois..................................................................................................................................p. 21
§ 1. Les transformations de la loi.............................................................................................................................. p. 21
A. Définition de la loi........................................................................................................................................................................ p. 21
B. L'évolution des conceptions de la loi........................................................................................................................................... p. 21
§ 2. Les problèmes soulevés par les lois.................................................................................................................. p. 23
A. Le problème du nombre et de la longueur des lois.....................................................................................................................p. 23
B. La qualité des lois........................................................................................................................................................................ p. 23
Section 5. La jurisprudence administrative......................................................................................... p. 25
§ 1. Les principes généraux du droit et les autres principes énoncés par le juge..................................................... p. 25
A. Diversité des principes invoqués par le juge............................................................................................................................... p. 25
B. Les principes généraux du droit dans la jurisprudence administrative........................................................................................ p. 26
§ 2. La variété des principes généraux du droit........................................................................................................ p. 27
A. Les principes généraux du droit à portée générale.....................................................................................................................p. 27
1. Principes généraux du droit se rapportant à l'idée de liberté...................................................................................................................................p. 27
2. Les principes généraux du droit se rapportant à l'idée d'égalité.............................................................................................................................. p. 28
3. Autres grands principes généraux du droit...............................................................................................................................................................p. 28
B. Les principes généraux du droit plus « spécialisés »..................................................................................................................p. 29
§ 3. Valeur juridique des principes généraux du droit............................................................................................... p. 30
A. Le débat sur la valeur des principes généraux du droit.............................................................................................................. p. 30
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B. Éléments d'appréciation............................................................................................................................................................... p. 31
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Section 1. Introduction
Remarque
La question des sources se pose pour le droit administratif comme pour les autres disciplines
juridiques. Ce n'est pas une question gratuite dont la réponse ne présenterait qu'un intérêt
intellectuel. A l'inverse, les sources déterminent le champ du droit comme sa portée et, plus
généralement, déterminent la place de ce droit par rapport aux autres droits et, encore plus
largement, dans la société.
Le chapitre précédent a pu permettre de se rendre compte que le droit administratif était dans une
situation particulière en raison des facteurs historiques qui ont conditionné sa naissance et son
développement. C'est la raison pour laquelle ce droit a été considéré, à juste titre, comme un droit
essentiellement jurisprudentiel. Cependant la situation du droit administratif d'aujourd'hui n'est plus
celle qu'il pouvait avoir encore au milieu du XXème siècle.
La Constitution de 1958 a opéré un changement profond par rapport à la tradition française depuis la
Révolution en donnant pour la première fois la possibilité d’un véritable contrôle de constitutionnalité
rendant effective la supériorité de la norme constitutionnelle sur les autres normes (section I).
Un autre changement a été l’influence de plus en plus grande des normes internationales et
surtout communautaires, ceci étant lié, bien entendu, à l’institution de la Communauté économique
européenne devenue ensuite Communauté européenne, puis l’Union européenne (section II). Pour
autant, il ne faut pas oublier que les normes dégagées par le juge lui-même demeurent une source
très importante du droit administratif d’aujourd’hui (section III).
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Section 2. Les Sources de rang constitutionnel
Les sources de rang constitutionnel sont représentées d'abord par les dispositions
constitutionnelles proprement dites. Cette apparente évidence recouvre en fait - comme souvent
en droit, il n'y a jamais d'évidence qui s'imposerait d'elle-même - un certain nombre de difficultés car
les normes constitutionnelles ne se limitent pas aux articles numérotés de la Constitution, il faut tenir
compte également d'autres normes, ce qui conduit à prendre en considération ce que l'on appelle
souvent le « bloc de constitutionnalité ».
§ 1. La Constitution proprement dite
La Constitution est, en droit interne (on verra plus loin la difficulté sous-jacente à cette affirmation)
la norme suprême.
Cela est accepté assez facilement dans les États qui se prétendent être des États de droit. Encore
faut-il en tirer les conséquences, ce qui n’a pas toujours été fait en France pour des raisons qui
tiennent à une certaine conception de la loi. Aujourd’hui, même si d'autres théories, parfois très
séduisantes, ont été développées (V. notamment F. Ost et M. van de Kerchove, De la pyramide au
réseau? Pour une théorie dialectique du droit, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis,
2002) la « pyramide » (la notion de pyramide des normes est avant tout due à Kelsen, qu’il faut
connaître) est debout avec, au sommet, la Constitution.
A. La supériorité de la norme constitutionnelle sur les autres normes
Un peuple qui n'a pas de constitution n'a pas d'État, écrivait Montesquieu. Avec la Révolution
française, l'une des premières préoccupations est de se doter d'une constitution. La France
éprouvera, ainsi qu'on le sait, beaucoup de difficultés à se doter d'institutions stables et, malgré le
nombre élevé de constitutions qui ont été adoptées ou proposées, dans notre pays, il a fallu attendre
1958 pour que la supériorité de la constitution sur les autres normes soit rendue effective.
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La pyramide de kelsen
1. La conception traditionnelle de la loi en France de la Révolution à 1958
La loi n'est pas la norme suprême puisque, au dessus de la loi se trouve la constitution, la loi doit
respecter la constitution. Ce principe n'a jamais été vraiment contesté à partir du moment où nous
nous sommes dotés d'une constitution.
Toutefois l'affirmation de la supériorité de la norme constitutionnelle sur les autres normes est
demeurée théorique, pour des raisons assez complexes mais qui tiennent largement, cependant,
à la conception que l'on a eue, en France, de la loi.
Nous avons été, nous demeurons, en France, tributaires d'une conception de la loi héritée des
encyclopédistes mais plus particulièrement de J.-J Rousseau. Celui-ci estime que la loi est
l'expression de ce qu'il appelle la Volonté générale, laquelle ne peut se tromper. En simplifiant,dans
la conception de Rousseau la minorité doit reconnaître qu'elle s'est trompée et se rallier à la Volonté
générale telle qu'elle est exprimée par la majorité. La loi va être revêtue, elle aussi, de ce caractère
quelque peu sacral qui est celui de la Volonté générale. Il va en découler un certain nombre de
conséquences.
En savoir plus : Biographie de Jean-Jacques Rousseau
• Jean-Jacques Rousseau est né à Genève en juin 1712. Sa mère meurt lorsqu'il naît ; il est
donc élevé par son père, puis par un pasteur genevois, jusqu'à ce qu'il soit recueilli par Mme
de Warens à Annecy (Rousseau a alors seize ans). Il a d'abord été laquais chez un comte, puis
musicien et secrétaire d'ambassade à Venise.
• Il s'installe à Paris en 1742. Là, il présente une méthode de notation musicale qu'il a inventée,
sans succès. Il fréquente le milieu littéraire et rencontre notamment Diderot, Condillac, Grimm,
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d'Alembert avec qui il se lie. Rousseau rédige des articles de musique pour l'Encyclopédie. À
Paris également, il rencontre Voltaire en 1744 (avec qui il se brouillera plus tard).
En 1749, alors qu'il rend visite à Diderot emprisonné à Vincennes, il découvre dans le journal
(Le Mercure de France) le sujet d'un concours organisé par l'Académie de Dijon et remporte le
prix. La thèse défendue par Rousseau est l'antagonisme entre la civilisation et la vertu. C'est
le début de l'oeuvre philosophique de Rousseau. En 1753, l'Académie propose un nouveau
sujet de concours : de là naît le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi
les hommes.
Rousseau devient alors célèbre et se retire à Montmorency. En 1761, il publie La Nouvelle
Héloïse, un roman épistolaire puis, en 1762, Du Contrat social et Émile. Cette même année,
le Parlement condamne Émile pour ses idées religieuses. Rousseau s'enfuit alors en Suisse.
Ses ouvrages sont brûlés publiquement. Il commence la rédaction de ses Confessions en 1765
et rentre à Paris en 1770, après avoir séjourné à Londres. Rousseau écrit les Rêveries du
promeneur solitaire.
Rousseau meurt à Ermenonville en juillet 1778. Ses cendres sont transférées au Panthéon en
1794
D'une part, la loi ne peut se tromper, ce serait contradictoire avec l'idée même de volonté
générale dont elle procède. L'histoire a évidemment montré que tel n'était pas le cas, que le
législateur pouvait prendre des lois qui étaient hautement contestables voire condamnables sur
le plan démocratique ou éthique. Plus encore, les lois sur le « statut des juifs » adoptées par
le régime de Vichy étaient contraires non seulement à l'éthique mais également à tous les
principes dont la France avait prétendu se prévaloir. Et il ne suffit pas de dire que le régime
de Vichy n'était pas légitime pour se débarrasser du problème.On a parlé ainsi, par exemple,
des « lois scélérates » pour désigner certaines lois, adoptées en 1893-1894 pour lutter contre
les attentats commis par des anarcho-syndicalistes, qui édictaient des incriminations nouvelles,
notamment la liberté d'opinion. Cependant cette idée selon laquelle le législateur ne peut se
tromper lorsqu'il adopte une loi a été celle des révolutionnaires, et a continué ensuite de marquer
les esprits. Même ceux qui reconnaissaient la supériorité de la Constitution éprouvaient des
réticences à accepter un contrôle de constitutionnalité. Les épisodes des deux empires, de
la monarchie constitutionnelle, la crainte des dérives de l'exécutif, ont ancré la conviction
chez de nombreux hommes politiques que seule la loi offrait une protection suffisante, et qu'il
convenait de ne pas y toucher. Les circonstances de l'établissement, puis de l'enracinement,
de la troisième République, ont conforté ce sentiment.
D'autre part, et par voie de conséquence, la loi a été considérée comme incontestable. Certes il
y a bien eu, au cours de l'histoire constitutionnelle (riche et mouvementée) de la France création
d'institutions qui pouvaient ressembler à des juridictions constitutionnelles, mais ce furent, ou
bien des caricatures, ou bien (les deux souvent en même temps) des organismes dépourvus de
tout pouvoir réel. Or, et surtout en ce qui concerne la norme constitutionnelle, la reconnaissance
de la supériorité de la norme n'a de sens que s'il existe un organe qui soit effectivement
en mesure de faire prévaloir cette norme sur les normes inférieures. La proclamation de la
supériorité de la constitution sur la loi implique nécessairement qu'un organe, don on peut
avoir des conceptions différentes, puisse prononcer l'annulation de la loi non-conforme à la
constitution. C'est bien cela qui, en France, est apparu longtemps comme étant choquant. Il
paraissait inadmissible que la volonté nationale résultant du vote des citoyens et exprimée par
le Parlement pût être mise en échec par une institution dont la légitimité démocratique pouvait
être contestée, voire n'existait pas : de quelle légitimité auraient pu se prévaloir les membres
d'une telle institution ? On a eu tendance, en France, à mélanger les questions de légitimité
avec la question de la hiérarchie des normes, qui découle de l'État de droit. La Constitution de
1958 a institué un véritable contrôle de constitutionnalité des lois.
2. Le système de la Constitution de 1958
La Constitution de 1958 apporte des changements importants, même si le bouleversement n'a pas
été celui que l'on croyait, même si le rapport du règlement à la loi n'a pas connu la révolution que
certains avaient cru voir dans les toutes premières années de la Cinquième République.
Outre la prépondérance de l'exécutif et, au sein de celui-ci, la prépondérance du président de la
République sur le Premier ministre, qui n'ont pas été, jusqu'à présent, remises en cause (et en tenant
compte des variations apportées par la cohabitation), la Constitution apporte deux changements
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importants qui, sans être liés directement entre eux, réagissent l'un sur l'autre et qui concernent
tous deux la loi.
Le premier de ces changements est relatif
au domaine de la loi
Le second changement est évidemment la
création du Conseil constitutionnel
Celle-ci se voit cantonnée à un certain
nombre de domaines, énumérés par
l'article 34, tandis que, parallèlement et
conséquemment, à côté du règlement
traditionnel d'application de la loi, qui
subsiste, apparaît un autre règlement, celui
de l'article 37, qui, en théorie, intervient
dans les domaines autres que ceux de
la loi. La qualification du règlement de
l'article 37 importe peu : au début certains
ont cru pouvoir qualifier ces règlements de
règlements « autonomes », certains auteurs
se sont insurgés contre cette qualification,
estimant qu'elle était fausse, qu'elle ne
correspondait pas à la réalité ; quelle
que soit la dénomination que l'on veuille
donner à ces règlements de l'article 37,
ils ne s'en distinguent pas moins des
règlements d'application de l'article 34 et,
d'ailleurs, il existe encore d'autres catégories
de règlements.Certes la jurisprudence du
Conseil constitutionnel a considérablement
atténué ce que l'on croyait pouvoir déduire du
texte
• D'une part le Conseil constitutionnel a
admis que le domaine de la loi n'était
pas seulement déterminé par l'article
34 de la Constitution, mais également
par d'autres articles, notamment l'article
72 de la Constitution. D'autre part, le
même Conseil constitutionnel a estimé
qu'une loi n'était pas inconstitutionnelle
du seul fait qu'elle était intervenue dans
le domaine de l'article 37.
• Tout cela est exact, mais il n'en
reste pas moins que, d'une part, cela
n'invalide pas la distinction entre la loi
et le règlement de l'article 37, d'autre
part le gouvernement peut toujours
demander au Conseil constitutionnel de
dire qu'une disposition législative est
en fait intervenue dans le domaine
réglementaire, et obtenir de modifier
par voie réglementaire, parce qu'elle est
de nature réglementaire, une disposition
qui a été adoptée par le législateur.
En soi, cette création était importante,
car la Constitution instituait un véritable
contrôle de constitutionnalité des lois,
mais les commentateurs, surtout ceux qui
n'étaient pas juristes, n'y ont pas prêté
une attention suffisante, en raison des
habitudes antérieures, celles d'une absence
de contrôle de constitutionnalité. Il a
fallu attendre la jurisprudence du Conseil
constitutionnel pour se rendre compte que
ce qui était inscrit dans la Constitution
était effectivement ce qui était mis en
oeuvre et, au surplus, en dehors des
juristes au début les décisions du Conseil
constitutionnel n'étaient même pas lues.
Selon une idée a priori qui s'est révélée
fausse, le Conseil constitutionnel aurait été
au service de l'exécutif, sa jurisprudence
ne pouvait qu'être en faveur de l'exécutif.
Or tout ceci était faux et non seulement
le Conseil constitutionnel a bien exercé
la fonction qui lui était dévolue par les
textes mais, de plus, sa jurisprudence
a été audacieuse, et le Conseil a opéré
un rééquilibre au profit du Parlement,
notamment dans l'interprétation de la
compétence du législateur.
question prioritaire de constitutionnalité
La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été introduite par la révision constitutionnelle du
23 juillet 2008. Selon l'article 61-1, alinéa 1er de la Constitution, résultant de cette révision: "Lorsqu'à
l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative
porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être
saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans
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un délai déterminé". Une loi organique a été adoptée le 10 décembre 2009 pour la mise en oeuvre
de cette disposition. A l'occasion de l'examen (obligatoire, puisque s'agissant d'une loi organique)
de cette loi organique le Conseil constitutionnel a précisé que le législateur avait entendu "garantir
le respect de la Constitution et rappeler sa place au sommet de l'ordre juridique interne" (décision
2009-595 DC du 3 décembre 2009).
La QPC est donc le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance de
soutenir qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
Mais il existe un "filtre", représenté, dans l'ordre administratif, par le Conseil d'Etat, dans l'ordre
judiciaire par la Cour de cassation. La QPC remporte un franc succès (ce qui risque de poser des
problèmes d'engorgement au Conseil constitutionnel s'il perdure dans sa forme actuelle): entre mars
2010 (début de la mise en oeuvre de la QPC) et mai 2011 356 questions ont été soumises au Conseil
d'Etat, et 86 d'entre elles ont été transmises au Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel a dressé le bilan suivant des QPC pour l'année 2011: pour cette année
2011 il a été saisi de 114 dossiers de renvoi, 42 provenant du Conseil d'Etat, 72 de la Cour de
cassation; le délai moyen de jugement de ces QPC a été de 2 mois, et l'effet de censure a été différé
dans 11 décisions. S'agissant des QPC en provenance du juge administratif, elles ont été posées
à 38% devant le Conseil d'Etat, à 24% devant les cours administratives d'appel, à 38% devant les
juridictions de première instance.
B. La reconnaissance par le juge de la supériorité de la norme
constitutionnelle
La reconnaissance de la supériorité de la norme constitutionnelle sur les autres normes résulte
simplement mais nécessairement, de l'existence d'un organe chargé d'assurer la constitutionnalité
des lois et de l'effectivité du contrôle ainsi exercé. Ces conditions ont été réunies sous la Cinquième
République avec la création du Conseil constitutionnel, et l'exercice, par lui, d'un véritable contrôle
de constitutionnalité des lois.
Cette affirmation par le Conseil constitutionnel de son rôle s'est faite progressivement, bien que, dès
le départ, le Conseil ait exercé un rôle important, par exemple en ce qui concerne la répartition des
matières entre la loi et le règlement, qui a fait apparaître une interprétation de l'article 34 favorable au
législateur (il suffit de songer, entre autres exemples, à la définition extensive que le Conseil a donnée
de la notion de catégorie d'établissement public, définition qui a contribué à étendre la compétence
du législateur par rapport à ce qu'aurait été une interprétation stricte du texte constitutionnel).
Certains moments du contrôle ont été propices à l'affirmation de la suprématie de la norme
constitutionnelle sur la loi. L'une des dates les plus importantes est évidemment celle du 16 juillet
1971, date à laquelle le Conseil a rendu une décision invalidant pour partie une loi parce
qu'elle était contraire à un principe fondamental reconnu par les lois de la République, le
principe de la liberté d'association. Cette décision a fait beaucoup pour faire connaître le Conseil
constitutionnel, pour le « dédouaner » à l'égard de ceux qui pensaient (même si c'était à tort) qu'il
était inféodé au pouvoir exécutif.
Une autre circonstance a contribué à accroître le rôle du Conseil constitutionnel, ce furent les
lois relatives à la décentralisation adoptées à partir de 1982, notamment la loi du 2 mars 1982,
adoptée dans un climat politique quelque peu tendu. Le Conseil constitutionnel a alors simultanément
affirmé l'existence d'un principe constitutionnel s'imposant au législateur, le principe de libre
administration des collectivités territoriales et rappelé la nécessité constitutionnelle d'un contrôle
par l'État des actes des collectivités territoriales
La « donnée » que constitue aujourd'hui la supériorité du texte constitutionnel sur les autres normes,
et en particulier la loi, et le contrôle à cette fin exercé par le Conseil constitutionnel, a été en
quelque sorte intégrée par le législateur qui, lorsqu'il s'agit d'adopter un texte, s'interroge aujourd'hui
systématiquement sur la constitutionnalité des dispositions qu'il envisage de prendre.
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Une précision importante doit être apportée : affirmer que des dispositions ont une valeur
constitutionnelle ne signifie pas obligatoirement que les citoyens peuvent s'en réclamer devant les
juges. L'invocabilité, ou la « justiciabilité » d'une disposition est distincte de sa valeur juridique.
Ceci est évidemment particulièrement vrai pour les dispositions du Préambule. La question s'est
notamment posée à propos des dispositions de la Charte pour l'environnement, adoptée par le
Congrès le 28 février 2005. Par son inscription dans le Préambule de 1958, la Charte devait
être considérée comme ayant une valeur normative. L'invocabilité de cette Charte devant le juge
administratif était beaucoup plus douteuse, cette charte ne possédant « qu'une faible densité
normative » (F. Mélin-Soucramanien).
Jurisprudence
Le Conseil d'État a été saisi pour la première fois en 2006 de cette question d'invocabilité dans
le cadre d'un contentieux de la légalité, un requérant invoquant les articles 1er (« Chacun a le
droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé »), 2 (« Toute personne
a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement »), 6 (« Les
politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la
protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès
social » pour demander l'annulation d'un arrêté fixant les règles techniques auxquelles doivent
satisfaire les élevages. Le Conseil d'État a déclaré que « lorsque des dispositions législatives ont été
prises pour assurer la mise en oeuvre des principes énoncés aux articles 1, 2 et 6 de la Charte de
l'environnement de 2004, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi
constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, la légalité des décisions administratives s'apprécie
par rapport à ces dispositions, sous réserve, s'agissant de dispositions législatives antérieures à
l'entrée en vigueur de la Charte de l'environnement, qu'elles ne soient pas incompatibles avec les
exigences qui découlent de cette Charte » (CE 19 juin 2006, Association Eau et rivières de Bretagne,
AJDA 2006, chron. C. Landais et F. Lénica p. 1584 et s.).
§ 2. Le bloc de constitutionnalité
Les normes constitutionnelles ne se limitent pas au seul texte de la Constitution qui se présente
sous formes d'articles, elles incluent d'autres normes, dont la place n'a cessé de se développer, et
qui résultent des déclarations de droits et des préambules.
A. La question générale des déclarations et préambules
Les constitutions, en France, sont quelquefois précédées d'une déclaration, dont la plus célèbre est
évidemment la Déclaration de 1789, ou d'un préambule, le plus connu étant le Préambule de la
Constitution de 1946. La question qui s'est posée a été celle de savoir quelle était la nature juridique
de ces textes, et cette question a reçu une réponse qui n'est plus discutée.
1. La problématique des déclarations et des préambules
Le législateur révolutionnaire est passé à la postérité en raison de l'adoption de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Ce n'était pas la première déclaration des droits,
mais c'est celle qui a le plus marqué les esprits et qui demeure à l'heure actuelle une référence
pour un certain nombre de peuples qui se trouvent sous le joug de dictateurs. Ce n'est donc pas
simplement un texte du passé, c'est un texte d'aujourd'hui et probablement de demain. C'est au
surplus un texte assez remarquable, qui témoigne d'une véritable inspiration. Le texte est d'autant
plus remarquable lorsqu'on le compare aux premières versions, qui furent rejetées, et qui n'avaient
pas le même « souffle ».
La Déclaration de 1789 est une déclaration à portée universelle, c'est ce qui a contribué à lui donner
un si grand écho : l'homme dont il est question n'est pas seulement celui qui vit en France, le
législateur prétend établir une déclaration valant pour tous les êtres humains.
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Aujourd'hui, on le sait, la philosophie des droits de l'homme est contestée dans certains pays, mais
ce n'est pas le lieu ici d'en discuter, et cela n'enlève rien à la Déclaration de 1789 qui conserve sa
force en traversant les siècles. Il faut relever que d'autres déclarations de droits ont pu être édictées,
mais elles n'ont jamais eu le même impact que la Déclaration de 1789.
Il faut également relever que la France, mais également d'autres pays, ont connu ou connaissent, à
côté de déclarations de droits, des déclarations de devoirs. Pour la France, à vrai dire, il n'en existe
qu'un seul exemple, celui de la constitution dite de l'an III, c'est-à-dire de 1795.
Le régime qui est institué à cette date institue une déclaration des droits et des devoirs.
Par la suite, l'idée d'une déclaration des devoirs n'a jamais été reprise. Cela ne veut pas dire,
naturellement, que le citoyen n'aurait pas de devoirs : tout citoyen a des obligations, mais également
des devoirs à l'égard des autres citoyens et à l'égard des autorités publiques comme à l'égard de
l'État. Qu'il y ait des devoirs n'est donc pas discuté, mais là n'est pas la question, la question est de
savoir si ces devoirs doivent être inscrits, en tant que devoirs, dans un texte. La réponse en France
a été négative parce que l'on estime que, s'agissant de devoirs, on se trouve dans le domaine du
moral et non pas du légal, qu'il n'y a pas à s'immiscer dans un domaine qui ne doit relever que de
l'appréciation de chacun, et l'énoncé de devoirs soulève effectivement, du point de vue juridique, des
questions assez redoutables. Cela explique que nous n'ayons plus de déclaration de devoirs.
Lorsque l'on parle de préambules, on fait référence, ou bien à celui de 1958, dont il va être question
ci-après, ou bien au Préambule de la Constitution de 1946. Le Préambule de 1946 s'inscrit dans
un contexte particulier, qui est celui d'une sortie de guerre en même temps que de transformations
économiques, mais également celui d'un renouvellement politique et d'une influence de ce que l'on
a appelé « l'esprit de la Résistance » dans lequel se mêlaient des conceptions idéologiques très
différentes.
Le Préambule est long, il énonce des droits nouveaux, que l'on résume généralement par la formule
de « droits à » lesquels s'ajoutent, voire peuvent s'opposer, aux droits classiques qualifiés de «
droits de ».
2. La reconnaissance par le juge de la valeur juridique de la Déclaration des
droits de 1789 et du Préambule de 1946
Il convient de relever, au préalable, que personne n'a jamais nié la valeur de la Déclaration et
du Préambule, encore faut-il préciser de quelle valeur on parle : que ces textes aient une valeur
philosophique, politique, a été admis très facilement, et on ne voit pas très bien comment on pourrait
écarter une telle valeur. Ce qui était nié, c'était la valeur juridique, et c'est cela qui a changé très
vite au début de la Cinquième République
Il a suffi, pour que l'ensemble normatif constitutionnel soit bouleversé, et que les droits énoncés
dans les deux textes précités reçoivent une valeur constitutionnelle, que le juge reconnaisse une
valeur juridique au préambule de 1958. Ce Préambule est paradoxal : il est le plus court que
nous ayons eu dans l'histoire de la République, et c'est celui qui a permis l'avènement du bloc de
constitutionnalité. Ce Préambule est apparemment assez anodin et, selon son premier alinéa : « Le
peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de
la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée
par le préambule de la Constitution de 1946 ». Cette disposition a été complétée, depuis la réforme
constitutionnelle sur la Charte de l'environnement, par la formule « ainsi qu'aux droits et devoirs
définis dans la Charte de l'environnement de 2004 ».
Cependant, en reconnaissant une valeur juridique au Préambule de 1958, le juge reconnaissait ipso
facto une similaire valeur juridique à la fois à la Déclaration de 1789 et au Préambule de 1946, tous
ceux inclus par référence dans le Préambule de 1958.Et si une valeur juridique était reconnue à ce
Préambule, à ces textes, cette valeur ne pouvait être qu'une valeur constitutionnelle.
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Ainsi, en reconnaissant une valeur juridique et constitutionnelle au Préambule de 1958 le juge
reconnaissait une valeur juridique, donc constitutionnelle, à la fois à la Déclaration des droits de
1789 et au Préambule de 1946.
B. La pluralité des normes constitutionnelles
Le « bloc de constitutionnalité » comporte non seulement les dispositions de la Constitution
proprement dites mais également les normes que l'on trouve dans la Déclaration de 1789 et
dans le Préambule de 1946. Or ce Préambule énonce des catégories de normes dont le contenu
a été quelque peu éclairé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
1. Les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République
» (PFRLR)
Le Préambule de 1946 fait référence aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République », sans pour autant préciser en quoi ils consistent, et sans en donner une liste. Les
deux seules certitudes tiennent à leur existence et à leur valeur, constitutionnelle, ainsi qu'il a été
dit plus haut.
•
•
La première grande occasion de faire référence à ces principes a été donnée au Conseil
constitutionnel par une loi, dont il fut saisi, qui restreignait la liberté d'association. Le Conseil
constitutionnel a rendu une grande décision, qu'on appelle « liberté d'association », par laquelle
il annule la loi pour sa non-conformité à un PFRLR, le principe de la liberté d'association
(CC 16 juill. 1971, Liberté d'association, AJ 1971 p. 537, note J. Rivero). Il faut remarquer
que, quinze ans auparavant, le Conseil d'État avait déclaré, dans une décision qui est
apparue rétrospectivement comme très importante, que la liberté d'association était un principe
fondamental reconnu par les lois de la République (CE Ass. 11 juill. 1956, Amicale des
Annamites de Paris, Rec. p. 317, AJ 1956, p. 400, chron. J. Fournier et G. Braibant).
Par la suite le Conseil constitutionnel a reconnu d'autres PFRLR, ce sont les suivants :
• principe du respect des droits de la défense(CC 2 déc. 1976, Prévention des accidents
du travail, RDP 1978 p. 817, note L. Favoreu)
• le principe de la liberté individuelle (CC 12 janv. 1977, Fouille des véhicules) ;
• le principe de la liberté de l'enseignement (CC 23 nov. 1977, Liberté de
l'enseignement) ;
• le principe de la liberté de conscience (même décision) ;
• le principe de l'indépendance de la juridiction administrative (CC 22 juill. 1980,
Validation d'actes administratifs) ;
• le principe de l'indépendance des professeurs d'université (CC 21 janv. 1984 Libertés
universitaires) ;
• le principe de la compétence exclusive de la juridiction administrative pour
« l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des
prérogatives de puissance publique » par l'administration (CC 23 janv. 1987, Conseil
de la concurrence) ;
• principe consacrant « l'importance des attributions conférées à l'autorité judiciaire
en matière de protection de la propriété immobilière » (CC 25 juill. 1989, TGV Nord) ;
principe de la proportionnalité des peins applicables aux mineurs
• principe de la proportionnalité des peins applicables aux mineurs (CC 29 août 2002)
• principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par une disposition
de droit commun ou harmonisées avec elle, des dispositions législatives et
réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la
Moselle peuvent demeurer en vigueur (CC 5 août 2011,2011-157 QPC, Sté SOMODIA)
La catégorie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République appelle deux
remarques complémentaires.
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•
•
D'une part, la liste de ces PFRLR, si on ne peut la considérer comme close, rien n'excluant que
le Conseil constitutionnel en découvre de nouveau, n'est pas pour autant illimitée. Le nombre
de PFRLR découverts par le juge constitutionnel s'est stabilisé autour d'une dizaine, c'est là un
ordre de grandeur qui ne devrait pas subir de modification fondamentale dans l'avenir.
D'autre part, et ce point a suscité plus de controverses, le Conseil d'État a reconnu lui-même
l'existence (à l'heure actuelle) d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République,
le principe qui impose à l'État de refuser l'extradition d'un étranger « lorsqu'elle est demandée
dans un but politique» (CE Ass. 3 juill. 1996, Koné, Rec. p. 255, RFDA 1996, p. 870, concl. J.M. Delarue, AJDA 1996, p. 722, chron. D. Chauvaux et T.-X. Girardot, D. 1996, p. 509, note
F.-J. Laferrière, JCP 1996, n° 22720, note X. Prétot).
• La reconnaissance par le Conseil d'État de PFRLR ne doit pas dérouter car, en premier
lieu, cette jurisprudence s'inscrit dans la continuité de celle de 1956 où le Conseil d'État
avait, alors, reconnu l'existence de tels principes en un temps où personne ou presque
ne les retenait comme principes juridiques,
• en deuxième lieu les PFRLR sont des principes de droit écrit, ce qui explique que d'autres
juges que le Conseil constitutionnel puissent en découvrir d'autant que,
• en troisième lieu, rien ne permet de considérer que le Conseil constitutionnel dispose d'un
monopole dans la découverte de ces principes. Il y a peu à craindre, au surplus, que le
Conseil d'État découvre un grand nombre de PFRLR.
2. Les autres principes constitutionnels
Le Préambule de 1946 parle, outre les principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République,des « principes particulièrement nécessaires à notre temps ». Cette catégorie présente
des caractéristiques différentes de celles des PFRLR car le Préambule donne une liste de ces
principes, qui est assez longue et qui constitue l'essentiel du Préambule. Le juge administratif a
déjà été saisi, dans le passé, de recours se prévalant de dispositions du Préambule. Sa réponse
a été claire :
en l'absence de dispositions législatives les mettant en oeuvre, les citoyens ne peuvent se prévaloir
de ces dispositions.
Exemple
Ainsi, par exemple, s'agissant du 12ème alinéa, selon lequel « La Nation proclame la solidarité et
l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales », le Conseil
d'État a déclaré que « le principe ainsi posé, en l'absence de disposition législative en assurant
l'application, ne saurait servir de base à une action contentieuse en indemnité » et on peut penser,
avec C. Landais et F. Lénica (AJDA 2006 p. 1587) que la même solution aurait prévalu dans un
contentieux de légalité (CE 10 déc. 1962, Sté indochinoise de constructions mécaniques, Rec. p.
676, et CE 29 nov. 1968, Sieur Tallagrand, Rec. p. 607).
La liste des principes particulièrement nécessaires à notre temps est suffisamment longue (et, par
certains de ses énoncés, suffisamment vague) pour permettre au juge constitutionnel de trouver un
fondement textuel suffisant pour assurer sa mission.
Ces principes n'épuisent cependant pas les normes constitutionnelles et, de même que le Conseil
d'État, le juge constitutionnel peut énoncer des principes d'origine jurisprudentielle.
Exemple
Un exemple au moins est, pour l'instant, significatif, celui du principe de continuité des services
publics, auquel le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle sans le rattacher
à une disposition écrite précise (CC 25 juill. 1979, Continuité du service public de la radio-diffusion ;
cependant plusieurs auteurs estiment qu'il n'est pas difficile de trouver plusieurs fondements
textuels à ce principe, avec l'article 5 de la Constitution et les lois qui, à diverses reprises, ont fait
référence à ce principe).
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Section 3. Les normes internationales
Avant qu'il n'y ait des États, au sens moderne du terme, les échanges commerciaux avaient donné
lieu à des traités, dont nous avons quelques exemples très anciens. La constitution des États a
multiplié les accords ou traités, traités d'alliance ou de paix, et la confrontation des États-nations
au XXe siècle a accéléré les efforts de mise en place d'un droit international. La question, toujours
difficile, est celle de l'articulation du droit interne avec ce droit international. Les réponses données
dans les développements qui suivent sont les réponses de l'ordre juridique français, elles peuvent
être différentes ailleurs. Il convient de distinguer nettement le problème général soulevé par les traités
des problèmes soulevés par l'ordre communautaire.
§ 1. Le problème général soulevé par les traités
La question des rapports entre les normes internes et les normes internationales est apparemment
réglée par la Constitution elle-même.
En effet, l'article 55 de la Constitution, qui est le dernier article du titre VI intitulé « Des traités et
accords internationaux » dispose : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont,
dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou
traité, de son application par l'autre partie ». Sous son apparente simplicité, cette disposition recouvre
des questions juridiques assez délicates.
A. La validité des traités internationaux
La question de la validité des traités internationaux dans l'ordre interne est celle qui divise le moins
parce que, tout au moins pour les règles de forme, on peut assez facilement se mettre d'accord.
1. Les conditions de forme à la validité d'un traité
L'article 55 de la Constitution subordonne la validité des traités internationaux au respect de règles
de forme qui paraissent aller de soi mais qui, concrètement, peuvent donner lieu à quelques
interrogations.
•
En premier lieu, pour être applicable un traité international doit nécessairement exister. Cette
affirmation pourrait faire ricaner un non-juriste par son évidence, qui est évidemment fausse, car
l'existence dont on parle ici est l'existence juridique, qui peut ne pas coïncider avec l'existence
matérielle.
Pour exister, le traité doit avoir été signé. Cette signature doit être régulière, en ce sens que les
autorités qui signent au nom de la France doivent effectivement être celles qui sont compétentes
pour signer au regard des règles du droit interne, le droit public étant d'abord une organisation des
compétences. Il en résulte que le traité irrégulièrement signé n'existe pas (CE 18 juin 1965, Consorts
Chatelain, Rec., p. 366). Relevons au passage (la réponse sera donnée un peu plus loin) que le
droit international connaît également des normes qui, par définition, n'appellent pas de signature, et
notamment la coutume internationale.
•
En deuxième lieu, et toujours selon l'article 55 de la Constitution, le traité doit avoir été
régulièrement ratifié ou approuvé. La distinction habituellement retenue entre la ratification et
l'approbation porte sur la nature de l'accord : la ratification est exigée pour les traités proprement
dits, et elle est effectuée par le Parlement ; l'approbation porte sur ce que l'on appelle les
accords en forme simplifiée, elle est faite par le président de la République. Le juge administratif
accepte de vérifier si les traités ont été régulièrement ratifiés (CE Ass. 18 déc. 1998, SARL du
parc d'activités de Blotzheim, AJDA 1999, p. 127, chron. Raynaud et Fombeur).
•
En troisième lieu, le traité ou l'accord doit avoir été « publié », la publication étant la
condition normale et nécessaire pour que les citoyens en aient connaissance, qu'ils puissent
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éventuellement contester, et que le texte soit opposable. Or, il arrive que la ratification (ou
l'approbation) et la publication soient dissociées, ce qui empêche l'introduction du texte dans
l'ordre juridique français.
Un traité publié en France mais qui n'a pas été ratifié ne peut être invoqué devant les juridictions
françaises.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, c'est le cas de la Déclaration universelle des droits de
l'homme, adoptée par l'ONU le 10 décembre 1948 (et dont, au surplus, l'un des principaux rédacteurs
fut un Français, R. Cassin), qui a bien été publiée au Journal officiel de la République française mais
qui n'a pas fait l'objet d'une ratification par le Parlement (CE 18 avr. 1951, Élections de Nolay, Rec.
p. 189 ; solution confirmée sous la Cinquième République par CE Ass. 23 nov. 1984, Roujansky,
AJDA 1985, p. 216 ; concl. D. Labetoulle et CE Ass. 21 déc. 1990, Conféd. nat. des assoc. familiales
catholiques et autres, Rec. p. 369, concl. B. Stirn). Cette situation a priori quelque peu choquante
n'est pas très gênante en réalité compte tenu,
• d'une part, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales (plus couramment appelée, pour abréger, convention européenne des droits de
l'homme) adoptée par le Conseil de l'Europe le 4 novembre 1950, et qui, elle, s'applique en
France et donne lieu à un abondant contentieux,
• et, d'autre part, des autres textes internationaux qui ont été signés et ratifiés par la France
(notamment deux « pactes » adoptés par l'ONU le 16 décembre 1966, le Pacte relatif aux
droits civils et politiques et le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui
reprennent les droits de la Déclaration universelle).
Par ailleurs, il ne suffit pas qu'il y ait publication, encore faut-il que celle-ci soit effectuée dans un
organe adéquat.
Exemple
L'exemple suivant va éclairer cette exigence : la publication, en son temps, d'une convention
internationale dans le Journal officiel de l'Inde française (c'était au temps où il existait des comptoirs
français en Inde, qui étaient au nombre de cinq : Chandernagor, Pondichéry, Yanaon, Karikal et
Mahé...) ne produit d'effets qu'à l'égard des seuls établissements français de l'Inde, et non sur
le territoire métropolitain (CE 11 avr. 1962, Sté Savana et Sté des Établissements textiles de
Modeliarpeth, Rec. p. 261).
2. Les conditions de fond à l'application des traités
L'application des traités dans l'ordre juridique interne français peut soulever plusieurs questions.
•
Une première question est celle de l'interprétation du traité, la question pouvant se poser pour
un traité comme pour n'importe quel autre texte, plus encore que pour les textes de droit interne
(ne serait-ce qu'en raison des questions de langue et des formulations laborieuses parfois
adoptées pour parvenir plus facilement à un accord).La solution, en droit administratif français,
a connu une évolution considérable. Trois étapes se sont succédé.
• Dans un premier temps, marqué par une décision de 1823 (CE 23 juill. 1823, Dame Veuve
Murat, Rec. p. 545), le Conseil d'État ne se reconnaît pas le droit d'interpréter un
traité, en cas de difficulté d'interprétation, il renvoie au ministre des affaires étrangères le
soin de donner l'interprétation, et il considère que cette interprétation s'impose à lui.
• Dans un deuxième temps, à partir de 1938 (CE Ass. 1er juill. 1938, Jabin-Dudognon, Rec.
p. 607), le juge opère une distinction entre deux sortes de dispositions du traité, les
dispositions claires et les dispositions non claires. Pour les secondes, il y a lieu à
renvoi, comme dans la situation précédente, en revanche pour les premières, il n'y a pas
lieu à renvoi parce que, selon la formule traditionnelle, ce qui est clair n'a pas besoin
d'interprétation.
• Enfin, et c'est un troisième temps, depuis 1990 (CE Ass. 29 juin 1990 GISTI, Rec. p. 171,
AJDA 1990 p. 621, concl. R. Abraham, note Teboul), le juge administratif se reconnaît
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compétent pour interpréter les traités, même non clairs (en mettant à part les traités
communautaires que l'on va retrouver un peu plus loin) et il en résulte qu'une juridiction
n'est pas tenue par l'interprétation qui a pu être donnée d'un traité par le ministère des
affaires étrangères (ainsi par ex. à propos des accords d'Évian, CE 25 nov. 1998, Mme
Teytaud, Rec. p. 436). Il est à noter que la Cour de cassation a adopté la même position
que le Conseil d'État (Cass. 1ère civ., 19 déc. 1995, Banque africaine de développement,
Gaz. Pal. 28-29 juin 1996, note Cohen-Jonathan).
•
Une deuxième question est celle dite de la réciprocité. Elle découle de l'exigence posée par
l'article 55 qui subordonne l'application d'un traité par la France à « son application par l'autre
partie ». Dans ses conclusions sur la décision du 21 décembre 1990, Confédération nationale
des associations familiales catholiques et autres, précitée, le commissaire du gouvernement B.
Stirn faisait valoir, avec bon sens, que « la condition de réciprocité n'a pas la même portée pour
un traité qui prévoit, entre deux parties, des obligations précises, de caractère synallagmatique,
et pour une convention par laquelle de nombreux États affirment leur attachement à des
principes fondamentaux ». Le Conseil d'État estimait que lorsque la question de réciprocité se
pose, elle doit être renvoyée à l'appréciation du ministère des affaires étrangères, mais la Cour
européenne des droits de l'homme avait condamné la position du juge français s'estimant lié
par l'avis du ministère des affaires étrangères (CEDH 13 févr. 2003, Chevrol c/ France, D 2003,
p. 931, note Moutouh).
Le Conseil d'Etat est revenu sur cette jurisprudence dans une décision d'Assemblée du 9 juillet
2010 Cheriet-Benseghir(req. n° 317747).
Le Conseil d'Etat déclare qu'il appartient au juge administratif de vérifier si la condition de
réciprocité est remplie. A cette fin, il lui revient, dans l'exercice de des pouvoirs d'instruction qui
sont les siens, après avoir recueilli les observations du ministre des affaires étrangères et, le
cas échéant, celles de l'Etat en cause, de soumettre ces observations au débat contradictoire,
afin d'apprécier si des éléments de droit et de fait suffisamment probants au vu de l'ensemble
des résultats de l'instruction sont de nature à établir que la condition tenant à l'application du
traité par l'autre partie est, ou non, remplie.
•
Une troisième question, dont il est même surprenant qu'elle ne se soit pas posée avant,
concerne l'appréciation de validité d'un traité par rapport à un autre traité. Elle a été posée
devant le Conseil d'Etat en 2011 à propos d'une vieille affaire qui avait fâché les Français avec
la Bourse, les emprunts russes. Un accord franco-russe a été adopté le 27 mai 1997. Un porteur
d'emprunts russes de nationalité portugaise a contesté le refus qui lui a été opposé du non
bénéfice de cet accord au motif qu'il n'était pas français. L'intéressé a naturellement contesté
et invoqué devant le juge la Convention européenne des droits de l'homme. La CAA Paris
avait déjà rejeté sa requête (8 juillet 2002,chron. F. Donnat et D. Casas p. 1005). Le Conseil
d'Etat a déclaré en Assemblée: "Lorsque le juge administratif est saisi d'un recours dirigé contre
un acte portant publication d'un traité ou d'un accord international, il ne lui appartient pas de
se prononcer sur la validité de ce traité ou de cet accord au regard d'autres engagements
internationaux souscrits par la France". Le Conseil d'Etat a cependant apporté une nuance à
ce rejet: "en revanche, sous réserve des cas où serait en cause l'ordre juridique intégré que
constitue l'Union européenne,peut être utilement invoqué, à l'appui de conclusions dirigées
contre une décision administrative qui fait application des stipulations inconditionnelles d'un
traité ou d'un accord international, un moyen tiré de l'incompatibilité des stipulations, dont
il a été fait application par la décision en cause, avec celles d'un autre traité ou accord
international" (CE Ass. 23 décembre 2011, M. Kandyrine de Brto Paiva, req. n° 303 678,AJDA
2012, chron. X. Domino et A. Bretonneau, p. 201).
B. La question de la supra-légalité des traités internationaux
.Lorsque les conditions précédentes sont satisfaites les traités internationaux ont, en vertu de
l'article 55, « une autorité supérieure à celle des lois ». Mais que signifie une telle formule ? Cela
signifie que, dans la hiérarchie des normes juridiques, les traités sont situés au-dessus de la loi, mais
la disposition constitutionnelle ne dit rien sur la place des traités dans l'ordonnancement juridique.
Les difficultés sont de deux ordres.
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1. Les difficultés tenant au droit international
Signalons tout d'abord, pour ne plus avoir à y revenir, un problème qui est d'ordre pratique, mais
qui n'en a pas moins des incidences concrètes importantes, c'est le nombre de traités auxquels la
France est partie (plus de 6000). En cas de contentieux, cela peut impliquer, de la part des juges
comme du ministère des affaires étrangères, des recherches compliquées.
•
Sur le plan juridique, une première difficulté tient au fait que tous les traités internationaux n'ont
pas d'effets directs en droit français, ce qui entraîne des situations très complexes.
Exemple
Ainsi, par exemple, en ce qui concerne la Convention internationale sur les droits de l'enfant, signée
à New York le 26 janvier 1990, et ratifiée par la France par une loi du 2 juillet 1990, le juge
judiciaire lui refuse tout effet direct (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, X/Y, D. 1998, p. 453, note Brunet)
tandis que le juge administratif reconnaît des effets directs, mais à certains articles seulement de
la convention, celle-ci ne peut pas être invoquée à l'encontre d'un acte réglementaire (CE Sect.
23 avr. 1997, GISTI, RRDA 1997, p. 585, concl. R. Abraham). La position du juge administratif est
similaire à l'égard du Pacte relatif aux droits économiques et sociaux, cité précédemment (CE Ass.
5 mars 1999, M. Rouquette, Mme Lipietz, RFDA 1999 p. 357, concl. C. Mauguë).
•
Une deuxième difficulté est relative à certaines sources du droit international qui ne sont
pas représentées seulement par les conventions internationales. Le juge administratif a été
amené à se prononcer sur la coutume internationale. Il a estimé que celle-ci était applicable
en droit interne mais que l'article 55 ne pouvait lui être appliqué, que la coutume ne pouvait
donc prévaloir, en cas de conflit, sur une loi (CE Ass. 6 juin 1997, Aquarone, AJDA 1997, p.
630, chron. Chauvaux et Girardot). Cette solution a été étendue à une autre source du droit
international, les principes généraux du droit international (CE 28 juill. 2000, Paulin) à ne pas
confondre avec les principes généraux du droit reconnus par le Conseil d'État et dont il sera
question plus loin.
2. Les difficultés tenant à la place des traités dans l'ordonnancement juridique
et aux conséquences qui en découlent.
La difficulté qui se présente est double, elle tient d'abord à la question de la place des traités dans
l'ordonnancement juridique, ensuite à la question de ce que l'on peut faire (et de ce que l'on doit
faire) en cas de non-conformité d'une loi à un traité.
•
La question à résoudre, qui a une dimension théorique mais également des conséquences
pratiques essentielles qui imposent que l'on apporte une réponse, est d'abord celle de la place
des traités dans l'ordonnancement juridique. Nous avons vu que l'article 55 de la Constitution
n'apportait qu'une réponse très partielle qui n'en est pas une en affirmant que les traités ont une
autorité supérieure à celle des lois. D'un point de vue purement abstrait et détaché de toute autre
considération, trois positions sont envisageables pour les traités dans cet ordonnancement
juridique : entre la loi et la Constitution ; au niveau de la Constitution ; au-dessus de la
Constitution.
Le Conseil d'État a été amené à répondre à cette question dans un arrêt de principe, en déclarant :
« La suprématie (...) conférée aux engagements internationaux (par l'article 55) ne s'applique pas,
dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle » (CE Ass. 30 oct. 1998, Sarran et
Levacher ; cet arrêt a été longuement commenté, on renvoie, pour les très nombreuses références,
aux manuels de droit administratif général). Il faut remarquer que la Cour de cassation a adopté la
même position que le Conseil d'État, en reproduisant la motivation de l'arrêt Sarran (Cass. Ass. plén.
2 juin 2000, Mme Fraisse). Par cette décision, le Conseil d'État (comme la Cour de cassation) affirme
clairement que les traités ne peuvent l'emporter sur la Constitution. On remarque également que le
Conseil d'État prend soin de dire « dans l'ordre interne ». Cela signifie que l'appréciation peut être
différente si l'on se place du point de vue du droit international, cela veut dire également (ce qui ne
surprendra pas) que l'articulation de l'ordre juridique interne et de l'ordre juridique international est
loin d'être satisfaisante sur le plan juridique.
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Les choses peuvent se compliquer encore lorsque le traité qui n'apparaît pas conforme à la
Constitution se trouve être un traité communautaire.
C'est ce qui est arrivé d'abord avec le traité de Maastricht, dont certaines clauses ont été déclarées
non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, puis avec d'autres modifications
ultérieures des traités communautaires. La solution qui a été adoptée, pour se conformer aux
engagements communautaires de notre pays, a consisté à procéder à une révision de la Constitution.
Le choix qui a été opéré est, au plus haut point, et dans le meilleur sens du terme, un choix
politique, et il ne pouvait guère en être autrement. Cependant, et pour ne citer que cet exemple,
après que le Conseil constitutionnel a déclaré que la Charte européenne des langues régionales ou
minoritairecomportait « des clauses contraires à la Constitution » (CC 15 juin 1999) la procédure de
ratification de cette convention a été abandonnée.
•
La seconde difficulté tient à l'appréciation de non-conformité dune loi à un traité (en supposant
que celui-ci ne met pas en cause la Constitution). En d'autres termes, comment assurer la
supra-légalité des traités internationaux sur les lois prévue par l'article 55 de la Constitution ?
Il convient de distinguer deux hypothèses, dont la seconde, seule, présente un intérêt sur le
plan juridique comme sur le plan pratique
•
La première hypothèse est celle dans laquelle la loi contraire au traité est antérieure à celuici. L'hypothèse est simple, et parfaitement compréhensible : après qu'une loi a été votée, un
traité est signé, ratifié, publié, et certaines de ses dispositions se révèlent contraires à des
dispositions d'une ou plusieurs lois antérieures. La solution est simple : le traité l'emporte sur
la loi. On remarque simplement qu'il n'est pas nécessaire, pour faire prévaloir le traité sur la loi,
de faire appel à l'article 55 : il suffirait de considérer que le traité a au moins la valeur de la loi
et, en application du principe Lex posterior derogat priori, l'emporterait sur elle.
•
Autrement plus délicate a été la seconde hypothèse qui appelle, elle, la mise en oeuvre de
l'article 55, c'est celle dans laquelle la loi contraire à un traité est postérieure à celui-ci. A
priori, cette situation est étrange, et ne devrait pas se présenter : on pourrait présupposer
qu'un législateur conséquent avec lui-même ne va pas se contredire, et adopter une loi qui
serait contraire à un traité qu'il avait ratifié un certain temps auparavant. C'est cependant ce
qui se produit, pour de multiples raisons (mauvaise lecture par le législateur du traité ratifié,
changement de circonstances, de moeurs ou de conceptions...).
Quoi qu'il en soit, le problème s'est posé et, si l'on peut dire, dans les plus mauvaises conditions
que l'on puisse imaginer, après la décision du Conseil constitutionnel 54 DC du 15 janvier 1975
relative à la loi sur l'IVG, décision dans laquelle le Conseil constitutionnel s'est déclaré incompétent
pour connaître de la non-conformité d'une loi à un traité (en l'espèce la Convention européenne des
droits de l'homme) sur le fondement de l'article 61 de la Constitution.
Le Conseil d'État avait adopté, avant la décision du Conseil constitutionnel précitée, une position de
principe, qui avait sa logique, et que l'on a appelée la « jurisprudence des semoules » par référence à
la décision dans laquelle cette position avait été adoptée (CE Sect. 1er mars 1968 Syndicat général
des fabricants de semoules de France, Rec., p. 149) : le Conseil d'État considérait qu'il n'était pas
le juge de la constitutionnalité des lois, puisqu'une juridiction avait été spécialement instituée à cette
fin, le Conseil constitutionnel, qu'il était seulement le juge de la légalité des actes administratifs, que
la loi faisait « écran» ' avec la Constitution (d'où le nom de « théorie de la loi écran » que l'on a
donné à cette jurisprudence).
En savoir plus : La théorie de la Loi-écran
La théorie de la loi-écran concerne les actes que le juge administratif refuse de contrôler du fait qu'ils
résultent directement de l'application d'une loi.Aujourd'hui, cette théorie ne s'applique plus qu'en
matière de contrôle de la conformité d'un tel acte à la Constitution. Elle ne s'applique plus au cas où
un tel acte est contraire à un traité international.
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En matière de conformité à la Constitution :Le juge administratif ne contrôle pas la constitutionnalité
d'un acte réglementaire éventuellement inconstitutionnel mais conforme à une loi. En effet, le juge
administratif n'exerce pas de contrôle sur la constitutionnalité des lois, tâche réservée au Conseil
Constitutionnel, et la loi fait alors écran à la constitution. Voir l'article arrêt Arrighi. En revanche, si
aucune loi ne s'interpose, le juge contrôle la conformité de l'acte à la Constitution.
En matière de conformité aux traités internationaux :Pour bien comprendre ici la théorie de la loi
écran, il faut rappeler qu'en droit français, les traités internationaux ont une autorité supérieure à
celle des lois (article 55 de la constitution de 1958).
• Lorsque la loi était antérieure au traité, l'application de ce principe ne posait pas de problème.
• Cependant, lorsque la loi était postérieure au traité, le Conseil d'État la faisait prévaloir sur un
traité ou sur un acte communautaire dérivé. On disait alors que la loi, expression de la volonté
générale (article 6 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789), faisait «
écran » entre l'acte administratif et le traité.
Cette position, trouvant son origine dans l'Arrêt Arrighi, CE, 6 novembre 1936, a été développée dans
plusieurs arrêts du Conseil d'État, notamment dans ce que l'on a appelé la jurisprudence « semoule
» : CE, 1er mars 1968, Syndicat national des fabricants de semoules de France.Cette position était
en contradiction, à partir de 1975, avec celle de la Cour de cassation, voir l'arrêt Société des cafés
Jacques Vabre, chambre mixte, 24 mai 1975 ; ainsi qu'avec celle du Conseil constitutionnel (décision
du 31 octobre 1988).Le Conseil d'État a fini par céder et abandonner la théorie de la loi-écran (en
matière de conformité aux traités internationaux) dans l'arrêt Nicolo, CE, 20 octobre 1989 (voir l'article
détaillé). Dans cet arrêt est affirmé le contrôle de conventionnalité des lois par le juge administratif,
c'est à dire qu'à l'occasion d'un recours exercé contre un acte administratif, le juge administratif
accepte de contrôler la « compatibilité à un engagement international de la loi sur le fondement de
laquelle cet acte a été édicté ».Ce contrôle de conventionnalité peut s'observer dans de nombreux
arrêts, tel l'arrêt Ministre de la Défense contre Diop (GAJA, n° 116) CE, Ass, 30 novembre 2001,
.La position prise par le Conseil constitutionnel en 1975, et les complications juridiques qui en ont
résulté, ont conduit le Conseil d'État à modifier sa jurisprudence (La Cour de cassation a modifié
sa position immédiatement après la décision du 15 janvier 1975, dans son arrêt du 24 mai 1975
Administration des douanes c/Cafés J. Vabre).
Dans une décision de principe (CE Ass. 20 oct. 1989 Nicolo,, Rec., p. 190, concl. Frydman), le
Conseil d'État a vérifié la conformité d'une loi postérieure à un traité (il s'agissait d'une loi de 1977
fixant les modalités de désignation des représentants français au Parlement européen, le traité était
le traité de Rome de 1957) et a fait prévaloir le traité sur la loi postérieure. Le principe une fois adopté,
la jurisprudence Nicolo a pu être appliquée, non seulement au traité de Rome, mais également
au droit communautaire dérivé : le principe de supériorité du traité sur la loi a été appliqué aux
règlements communautaires (CE 24 sept. 1990 Boisdet, Rec. p. 251, RFDA 1991, p. 172, note L.
Dubouis), puis aux directives communautaires (CE 28 févr. 1992, SA Rothmans International France
et, du même jour, Sté Arizona Tobacco Products, AJDA 1992, p. 210, concl. M. Laroque).
§ 2. Les problèmes juridiques soulevés par l'ordre communautaire
Le droit communautaire est constitué du Traité de Rome avec toutes les modifications ultérieures qui
lui ont été apportées (Maastricht, Amsterdam, Nice, etc.) ainsi que du droit produit par les institutions
créées par ce traité (Commission, Conseil des ministres, Cour de justice des communautés
européennes, Parlement européen). On appelle ce droit issu des institutions communautaires le
droit communautaire dérivé. C'est ce dernier qui, notamment avec les directives, constitue l'essentiel
du droit communautaire.
A. Les règles du droit communautaire
Les dispositions du droit communautaire ont soulevé de nombreuses et parfois délicates questions
juridiques. On peut présenter schématiquement deux d'entre elles.
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1. La question de l'interprétation des dispositions communautaires
Le Traité de Rome institue une juridiction spécifique, la Cour de justice des communautés
européennes (CJCE) qui n'est pas seulement compétente pour trancher les litiges pouvant survenir
entre les institutions communautaires mais également, et cela en vue d'assurer une cohérence
dans l'application des dispositions communautaires, pour donner l'interprétation d'une disposition
dont le sens serait contesté. Le principe posé par le Traité est celui du renvoi préjudiciel par les
juridictions nationales devant la CJCE, cette dernière se voyant donc attribuer un monopole en
matière d'interprétation.
Le Conseil d'État n'a commencé à renvoyer devant la CJCE qu'à partir de 1970 (CE 10 juill. 1970,
Syndicat du commerce extérieur des céréales) mais ce n'est plus là, désormais, une difficulté.
En revanche, une difficulté subsiste en ce sens que le juge français applique une jurisprudence,
évidemment antérieure à la création de la CJCE, en distinguant les actes clairs et les actes non clairs,
en considérant que ce qui est clair n'a pas besoin d'interprétation, et en renvoyant seulement pour
les actes non clairs. Mais cette distinction est rejetée par le CJCE qui estime qu'à partir du moment
où une question d'interprétation se pose, il doit y avoir renvoi devant elle, sans se demander si l'acte
est clair ou non clair (CJCE 15 juill. 1964, Costa c/ENEL).
2. L'applicabilité des dispositions communautaires
Il existe plusieurs catégories d'actes communautaires, mais seules deux d'entre elles nous
intéressent véritablement, les règlements et les directives.
•
Les règlements communautaires - à ne pas confondre avec les règlements du droit interne ont un régime clairement défini par le Traité de Rome. Selon l'article 189 (249 nouveau) : « le
règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement
applicable dans tout État membre ». Le règlement s'impose donc directement aux autorités
françaises comme aux citoyens, il a une valeur supérieure à la loi, les citoyens peuvent
s'en prévaloir, et les lois postérieures ne peuvent pas faire obstacle à son application
(CE 24 nov. 1990 Boisdet).
Les difficultés sont beaucoup plus grandes pour les directives communautaires, à ne surtout pas
confondre avec les directives du droit interne. Selon le Traité de Rome : « La directive lie tout état
destinataire quant au résultat à atteindre tout en laissant aux instances nationales la compétence
quant à la forme et quant aux moyens ».
Cela signifie que la directive a besoin d'être transposée en droit interne, la transposition pouvant
être opérée, au choix des autorités nationales, par la norme appropriée.
Lorsque le délai de transposition est expiré les dispositions réglementaires non compatibles avec
la directive doivent être abrogées et l'autorité administrative est tenue d'y procéder si elle est saisie
d'une demande en ce sens (CE Ass. 3 févr. 1989, Cie Alitalia).
La question des effets des directives a été compliquée par la jurisprudence, difficilement
compréhensible, de la CJCE qui tend à faire produire des effets directs aux directives sur le territoire
des États membres dès lors que ces directives sont suffisamment précises (CJCE 6 oct. 1970, Franz
Grad). Le Conseil d'État a refusé d'assimiler les directives aux règlements quant à leurs effets. Il
a estimé, contrairement à la CJCE (4 déc. 1974, Van Duyn), que les directives ne pouvaient pas
être invoquées par des requérants à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel
(CE Ass. 22 déc. 1978, Ministre de l'intérieur c/Cohn-Bendit) mais l'a admis en revanche pour les
actes réglementaires, même lorsqu'une loi s'interpose entre la directive et l'acte en question (CE
Ass. 28 févr. 1992, SA Rothmans international France et, du même jour, Sté Arizona Tobacco
Products).S'agissant de la question du délai de transposition, il faut retenir les points suivants.
19
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•
•
Tout d'abord, avant l'expiration du délai prévu par la directive pour sa transposition, si l'on
ne peut reprocher à l'État de n'avoir pas transposé puisque le délai n'est pas expiré, en
revanche, l'État doit s'abstenir de prendre des mesures qui seraient de nature « à compromettre
sérieusement le résultat prescrit par la directive » (CJCE 18 déc. 1997, Inter-Environnement
Wallonie ASBL et région wallonne ; CE 10 janv. 2001, France nature environnement), il ne peut
non plus adopter de dispositions qui seraient contraires aux objectifs poursuivis par la directive
(CE 7 déc. 1985, Fédération française de protection de la nature).
Après la date limite de transposition, même si la directive n'a pas été transposée, elle produit
tous ses effets et les administrés peuvent s'en prévaloir (CE Ass. 6 févr. 1998, Tête) mais l'État
ne peut, en revanche, opposer à ces derniers une directive qu'il n'a pas transposée (CE Sect.
23 juin 1995, SA Lilly France).
B. La sanction des règles communautaires et européennes
La sanction de la violation des dispositions communautaires - qu'il s'agisse du Traité ou
du droit communautaire dérivé - est d'abord l'annulation par le juge administratif des dispositions
administratives contraires à ces règles. Dans une décision de 2007, le Conseil d'État a défini les
modalités du contrôle qu'il convient au juge administratif d'exercer sur les actes réglementaires de
transposition des dispositions inconditionnelles et précises des directives communautaires (CE Ass.
8 févr. 2007, Sté Arcelor Atlantique et Lorraine et autres).
Mais une responsabilité administrative (la responsabilité fera l'objet d'un chapitre) est également
possible. Le Conseil d'État s'était d'abord engagé sur la voie de la responsabilité sans faute de l'État,
ce qui avait fait l'objet de critiques. Puis le juge administratif s'est orienté vers une responsabilité
pour faute (CE Ass. 30 oct. 1996, SA Jacques Daugeville, RFDA 1997, p. 1056, concl. Goulard).
Dans un important arrêt de 2007, le Conseil d'État a jugé que la responsabilité de l'État du fait des
lois était susceptible d'être engagée en raison de l'obligation qui lui incombe d'assurer le respect
des conventions internationales par les autorités publiques, aux fins de réparer l'ensemble des
préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements
internationaux de la France, cette responsabilité n'étant ni une responsabilité pour faute ni une
responsabilité sans faute (CE Ass. 8 févr. 2007, Gardedieu).
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Section 4. Les lois
La loi est peut-être la norme avec laquelle les citoyens sont le plus familiarisés parce que l'on
apprend très vite, même lorsque l'on est enfant, que dans une société organisée, il faut commencer
par respecter la loi même si elle ne nous convient pas, ce qui peut arriver plus ou moins
souvent. Mais la question de la loi se pose de manière particulière en France, pour des raisons
essentiellement historiques que l'on va présenter.
§ 1. Les transformations de la loi
On peut résumer l'évolution intervenue sous forme d'une double affirmation qui peut apparaître à la
fois comme une lapalissade et une contradiction : la loi n'est plus ce qu'elle était, la loi demeure la loi.
Avant d'expliquer les raisons d'une telle affirmation, il convient de rappeler la définition de la loi.
A. Définition de la loi
•
La loi peut être définie comme étant l'acte pris par l'organe législatif selon la procédure
législative. La définition comporte deux éléments. Le premier est celui de l'organe compétent,
le législateur, celui-ci étant appelé génériquement le Parlement, composé en France de deux
assemblées, l'Assemblée nationale et le Sénat. On ne revient pas ici sur les dispositions
constitutionnelles relatives à l'adoption de la loi. Rappelons simplement qu'en cas de désaccord
entre les deux assemblées, le gouvernement peut donner à l'Assemblée nationale le « pouvoir
de dernier mot », et des lois importantes ont été quelquefois adoptées par la seule Assemblée
nationale (ex. la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des
départements et des régions).
•
Mais, et c'est le second élément, il ne suffit pas que l'acte soit adopté par une assemblée
pour qu'il soit considéré comme une loi : encore faut-il que cette adaptation ait eu lieu selon la
procédure législative telle qu'elle est prévue par la Constitution. Cela signifie que chacune des
deux assemblées prend des actes qui ne sont pas des lois, mais des actes internes : il
en est ainsi de l'acte par lequel une assemblée adopte son budget propre (et pas le budget de
l'État qui fait évidemment l'objet, lui, de lois importantes, les lois de finances) ; il en est encore
ainsi des nominations de personnels d'une assemblée (ex. les questeurs, plus généralement
les fonctionnaires de ces assemblées).
B. L'évolution des conceptions de la loi
L'idée que l'on se fait de la loi, et qui a des conséquences juridiques, a changé, Même si la
transformation n'a pas été aussi profonde qu'on le pensait immédiatement après l'adoption de la
Constitution de 1958, même si, selon la formule de J. Rivero « la révolution n'a pas eu lieu », il
n'empêche que cette Constitution de 1958 a apporté des changements profonds à la loi, et cela
sur un double plan.
•
La première et la plus importante transformation est celle qui a concerné le statut de la loi dans
la hiérarchie des normes juridiques. Il y a bien, de ce point de vue, un « avant » et un « après
» 1958.
En effet, jusqu'en 1958, la loi était considérée comme un acte incontestable. Elle était l'acte de
puissance initiale, l'acte inconditionné. Cela tient à une conception héritée du XVIIIè siècle, et
Carré de Malberg a pu présenter cette conception dans un ouvrage intitulé « La loi expression de la
volonté générale ». Lorsque l'on parle de volonté générale, on pense tout naturellement à Rousseau,
et à son ouvrage célèbre « Du contrat social », écrit en 1762, et bien que Rousseau ait emprunté
lui-même cette idée à d'autres auteurs. Il y a, selon Rousseau, un pacte social, qu'il formule ainsi : «
Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la
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volonté générale, et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout ». La
volonté générale, dans cette conception, est infaillible puisque, selon Rousseau, « il est impossible
que le corps (social) veuille nuire à tous ses membres et (...) il ne peut nuire à aucun en particulier
». La loi est l'expression de la volonté générale, elle a, pour Rousseau, un caractère sacral, elle ne
peut être contestée.
Cette conception, très schématiquement présentée ici, a marqué toute notre histoire, et de manière
très simplifiée par rapport à ce que disait Rousseau. Le législateur révolutionnaire a surtout retenu
que la loi, expression de la volonté générale, ne pouvait faire l'objet d'une mise en cause. Cela
explique la difficulté à mettre en place en France un contrôle de constitutionnalité d'autant que perversion du système politique - un glissement s'est opéré, la « souveraineté parlementaire » se
substituant à la souveraineté nationale.
Tout ceci est (presque) terminé. Pour la première fois de notre histoire non seulement il est prévu
un contrôle de constitutionnalité des lois (cela n'est pas nouveau) mais, surtout (et c'est cela qui est
nouveau dans notre histoire), la loi doit respecter les normes supérieures, et que nous avons vues
précédemment, la Constitution ainsi que toutes les normes inférieures à celle-ci mais supérieures
à la loi.
La loi n'est plus la norme suprême et incontestable, elle s'insère dans la hiérarchie des normes
juridiques dont la norme suprême est représentée, dans l'ordre interne, par la Constitution.
Il subsiste cependant encore des traces de cette incontestabilité de la loi : en l'état actuel du droit, en
effet, la loi promulguée devient incontestable, sous les réserves suivantes. Tout d'abord, le Conseil
constitutionnel s'était engagé dans la voie du contrôle de constitutionnalité par voie d'exception,
en acceptant de contrôler la constitutionnalité d'une loi promulguée « à l'occasion de l'examen des
dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine » (CC 25 janv. 1985,
État d'urgence en Nouvelle-Calédonie). Ensuite, et surtout, avec la QPC introduite par la loi du 23
juillet 2008 (V. plus haut), un contrôle a posteriori est possible, si les juridictions suprêmes acceptent
de transmettre la question au Conseil constitutionnel. C'est un mécanisme original, qui ne se traduit
cependant pas par un contrôle systématique de la constitutionnalité de toutes les lois, ce qui peut
ne pas paraître satisfaisant à certains. la réforme n'est peut-être qu'une demi-mesure. Une autre
réforme, plus profonde, interviendra sans doute un jour.
•
La seconde transformation intervenue concerne le domaine de la loi. Dans la conception
dont nous avons hérité jusqu'en 1958, le domaine de la loi est infini, la loi peut intervenir
dans n'importe quel domaine. Le règlement - dont on percevait mal, à la Révolution, les
caractéristiques - était pensé comme ne devant être que de pures mesures d'application de
la loi, ce qui était évidemment une vue de l'esprit. Mais bien que la pratique eût démontré,
sous la Troisième République, la nécessité pour l'administration de disposer d'une marge
d'appréciation, et bien que le législateur lui-même se fût parfois complètement déchargé sur
le gouvernement par le biais des décrets-lois, on vivait avec cette fiction selon laquelle la loi
réglait l'ensemble des matières.
C'est, en partie, pour faire correspondre les textes à la réalité qu'en 1958, on imagine le mécanisme
des articles 34 et 37, c'est-à-dire une délimitation, qui ne pouvait être, de ce fait, qu'une limitation, du
domaine de la loi. L'article 34 consiste à énumérer un certain nombre de matières dans lesquelles
la loi peut intervenir, et qui lui sont réservées, l'article 37 alinéa premier déclarant, dans une formule
qui est particulièrement claire : « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont
un caractère réglementaire ».
Le partage opéré par les articles 34 et 37 aboutissait à distinguer au moins deux (en fait plus de
deux, ainsi que l'ont montré plusieurs auteurs) pouvoirs réglementaires : le pouvoir réglementaire
traditionnel de mise en oeuvre de la loi, qui intervient dans le cadre de l'article 34, et le pouvoir
réglementaire de l'article 37 qui intervient dans des domaines où, en principe, il n'y a pas (par
définition) de loi. C'est pourquoi ce pouvoir réglementaire a pu être qualifié de « pouvoir réglementaire
autonome ». Et certes, cette appellation n'est pas vraiment satisfaisante, et a fait l'objet de critiques
extrêmement vives. Mais, d'une part, l'expression continue d'être utilisée aujourd'hui par un certain
nombre d'auteurs, d'autre part, même si l'on récuse le terme d'« autonome », il n'en reste pas moins
que le règlement de l'article 37 se différencie de celui de l'article 34.
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Le Conseil constitutionnel a atténué la distinction entre le domaine de la loi et le domaine du
règlement qui découlait des articles 34 et 37. D'une part, il a estimé que la compétence du législateur
n'était pas déterminée seulement par l'article 34 de la Constitution mais également par d'autres
articles, notamment l'art. 72. D'autre part, il a jugé qu'une loi n'était pas inconstitutionnelle du seul
fait qu'elle était intervenue dans le domaine du règlement (CC 30 juill. 1982, Blocage des prix). En
d'autres termes, si le gouvernement ne s'y oppose pas (et ce peut être l'intérêt du gouvernement
pour des raisons de tactique politique, ou pour obtenir un vote plus rapide d'un texte), le législateur
peut empiéter sur le domaine du règlement. Il faut ajouter que, sur le fondement du 2e alinéa de
l'article 37, le gouvernement peut toujours demander au Conseil constitutionnel qu'une disposition
de loi relève en réalité du règlement et, si le Conseil se prononce en ce sens, modifier par voie
réglementaire la disposition en question.
§ 2. Les problèmes soulevés par les lois
Les problèmes théoriques évoqués précédemment n'ont pas disparu, mais ce sont des questions
beaucoup plus pratiques qui préoccupent aujourd'hui les gouvernants comme les juristes, voire les
citoyens qui s'intéressent un peu à ces questions.
A. Le problème du nombre et de la longueur des lois
Le Conseil d'État comme les auteurs ont attiré depuis plusieurs décennies l'attention des pouvoirs
publics sur le phénomène de « l'inflation législative », qui se manifeste doublement.
• La manifestation la plus visible de cette inflation est l'augmentation du nombre de lois
applicables : il ressort d'une enquête menée en 1990 à la demande du Premier ministre que plus
de 8000 lois étaient applicables (le compte exact est impossible à faire) et, depuis cette date, les
choses n'ont pu qu'empirer. L'augmentation du nombre de lois entraîne mécaniquement celle
du nombre de règlements d'application : plus de 120 000 décrets, sans compter les arrêtés et
les circulaires, dont le nombre se chiffre par millions.
• Une seconde manifestation, moins visible mais qui est également à relever, est l'augmentation
de la longueur moyenne des lois d'aujourd'hui par rapport à celles d'autrefois
L'une des solutions mises en oeuvre a été celle de la codification.
Codifier consiste à rassembler en un ordre cohérent l'ensemble des dispositions législatives et
réglementaires concernant un domaine
. La codification, dont les premières tentatives remontent à l'Ancien Régime, est indispensable
lorsque le nombre de textes applicables est très élevé, ce qui est le cas de la France. Plus de
cinquante codes ont été ainsi adoptés, et l'entreprise de codification est loin d'être achevée.
Mais la codification n'est pas une solution satisfaisante, d'abord parce que le nombre de codes
augmente sans cesse, et que chaque code « enfle » d'une année sur l'autre, ensuite parce que, au
fur et à mesure que l'on insère de nouvelles dispositions dans les codes, ces derniers perdent de leur
lisibilité. Certaines matières sont sujettes à des variations continuelles au point que la codification,
voulue, est constamment reportée (c'est le cas pour la fonction publique territoriale par ex.).
Il faut donc explorer d'autres voies. L'une de ces dernières est ce que l'on appelle la « simplification
du droit », qui
consiste à procéder à un « toilettage » des textes, et à supprimer un certain nombre d'entre
eux. C'est là une tâche indispensable, qui est constamment à reprendre, et qui n'avance que
lentement.Plusieurs lois ont été adoptées, la dernière en date étant la loi du 17 mai 2011 de
simplification et de clarification du droit
B. La qualité des lois
Les rapports officiels le reconnaissent tous : le Parlement fait preuve d'une sorte de logorrhée qui est
en définitive préjudiciable à l'intérêt général, au bien de la société. Il ne saurait être question d'imposer
quoi que ce soit au Parlement, d'autant que la quasi-totalité des lois a pour origine des projets de lois,
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donc déposés par le gouvernement. Ce dernier doit donc commencer lui-même par s'autodiscipliner
et se limiter. Or la tendance, qui est une croyance, est à régler en France les problèmes par des
textes.
La qualité de la loi est affectée par son instabilité. Quel que soit pratiquement le domaine, les lois
sont réformées en permanence. Il est difficile dès lors de connaître l'état du droit et, lorsqu'il s'agit de
régimes législatifs d'aide (par ex. au logement, à la création d'entreprises, etc.) plusieurs régimes
peuvent coexister selon la date à laquelle a été obtenue l'aide, et les bénéficiaires ne comprennent
pas les différences qui existent entre eux. Tout cela crée un climat d'incertitude et de méfiance qui
alimente la « société de défiance » dont parlent certains auteurs.
S'inscrivant dans le mouvement engagé par les lois de simplification, le Premier ministre a
pris le 7 juillet 2011 une circulaire "relative à la qualité du droit" dans laquelle il expose les
exigences qui s'imposent aux ministères dans l'édiction des normes afin de garantir notamment "la
sécurité juridique, la prévisibilité du droit" et de permettre "la simplification de règles inadaptées ou
dépassées".
Il faut également que la loi soit compréhensible par tous, Portalis l'avait déjà dit magnifiquement. Le
Conseil constitutionnel a fait du « principe de clarté de la loi » un objectif de valeur constitutionnelle.
Des ordonnances ont été prises, sur la base de la loi d'habilitation du 2 juillet 2003, pour apporter
des réformes et améliorer un certain nombre de procédures, un bilan pourra en être tiré d'ici quelque
temps.
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Section 5. La jurisprudence administrative
Il y a quelques décennies, le pouvoir normateur du juge était débattu, aujourd'hui l'existence de ce
pouvoir n'est plus guère discutée, la question est plutôt du contenu et de l'étendue de ce pouvoir.
En ce qui concerne le juge administratif, ce que l'on peut constater, c'est l'existence de principes
énoncés par ce dernier, et de principes qui sont essentiels dans les relations entre l'administration
et les citoyens.
§ 1. Les principes généraux du droit et les autres principes énoncés
par le juge
La lecture des décisions rendues par le juge administratif, plus particulièrement par le Conseil d'État,
montre le recours par ce dernier à un certain nombre de principes, qui n'entrent pas tous dans
la même catégorie. Et, parmi ces principes, ce que l'on appelle les principes généraux du droit
occupent une place privilégiée.
A. Diversité des principes invoqués par le juge
Il n'y a pas lieu de s'étonner que le juge fasse appel à des principes. La notion de principes est
extrêmement générale, on trouve des principes dans toutes les disciplines, et d'abord dans les
disciplines scientifiques (l'un des principes les plus connus est sans doute celui qualifié de « principe
de la relativité », qui est en fait double et qui a été énoncé par Einstein). Le langage courant luimême utilise largement les termes de « principe » ou de « principes » : certaines personnes affirment
avoir des principes (mais celles qui ne le disent pas en ont aussi, ils sont simplement différents),
nous disons facilement « en principe », ce qui implique que nous allons apporter des exceptions, ou
que nous y pensons. Le terme de principe, au singulier ou au pluriel, n'a donc pas du tout la même
signification selon le contexte dans lequel il est utilisé (pour des éclaircissements sur cette notion, v.
Les principes et le droit, sous la dir. de J.-M. Pontier, PUAM 2007).
Toutes les branches du droit comportent des principes, à la portée plus ou moins grande.
• Certains, par l'écho qu'ils rencontrent, relèvent à la fois du droit et de la politique, plus peut-être
de celle-ci que de celui-là, le « principe de précaution » en est un exemple.
• D'autres sont bien des principes juridiques, applicables et reconnus aussi bien en droit privé
qu'en droit public.
• D'autres encore sont propres à une branche du droit, comme les principes que l'on trouve,
par exemple, en droit budgétaire (principe de l'universalité, principe de l'unité, principe de
l'annualité).
Le droit administratif connaît ou consacre de nombreux principes.
Exemple
Par exemple, ainsi que nous l'avons vu précédemment, le Conseil d'État a consacré dans
sa décision du 24 mars 2006 Sté KPMG le principe de sécurité juridique, venu du droit
communautaire. Un autre principe que l'on va retrouver notamment dans le cadre de la police
administrative, et qui est largement utilisé par le juge, est le principe de proportionnalité.
Ce n'est pas de ces principes dont il est question ici.
Les principes que l'on va traiter ici ne sont pas des principes techniques (comme peuvent l'être,
par exemple, des principes de procédure), ce sont des principes qui sont relatifs aux relations
entre l'administration et le citoyen, entre le pouvoir et l'individu. Pour le dire en d'autres termes, ces
principes sont nécessairement ceux d'un État libéral qui reconnaît un certain nombre de droits à
ses citoyens.
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On l'a dit dans le chapitre introductif, le droit administratif français est un droit d'équilibre des droits,
les principes énoncés par le juge s'inscrivent dans cette volonté d'établir un équilibre entre le pouvoir
et les citoyens.
En dehors des principes généraux du droit dont il est question ci-après, une autre catégorie de
principes est constituée par les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Ainsi que nous l'avons vu, ces principes sont, non pas énoncés (ce qui faciliterait grandement les
choses) mais affirmés, sans autre précision, par le Préambule de 1946 dont on rappelle qu'il a valeur
constitutionnelle. Outre la question de leur contenu (la liste des principes fondamentaux) deux autres
questions se sont posées.
•
Une première question a porté sur l'auteur, ou les auteurs, de l'énonciation de principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République. La plupart de ces principes ont été «
découverts » et énoncés par le Conseil constitutionnel, ce qui est évidemment logique. Mais
certains ont été surpris lorsque, par la décision du 3 juillet 1996, Koné, le Conseil d'État a
reconnu l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, le principe
« selon lequel l'État doit refuser l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but
politique ». Des critiques ont été émises à l'encontre du Conseil d'État par ceux qui estiment que
le Conseil constitutionnel dispose, ou doit disposer, en la matière, d'un monopole. En réalité,
rien dans les normes constitutionnelles ne réserve la découverte de principes fondamentaux au
Conseil constitutionnel. L'argument selon lequel il serait dangereux que d'autres juridictions que
le Conseil constitutionnel puissent découvrir de tels principes est de peu de poids puisque, dans
leur ordre respectif, Conseil d'État et Cour de cassation assurent l'unité de la jurisprudence.
•
Une seconde question est évidemment celle de la distinction, que certains auteurs refusent,
entre les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les principes
généraux du droit. Cette distinction doit être faite : les principes fondamentaux, à valeur
constitutionnelle ainsi que cela résulte du texte du Préambule de 1946 sont, ainsi que le souligne
R. Chapus, des principes de droit écrit. Même s'ils ne sont pas répertoriés par ledit Préambule,
ils reposent sur des lois que l'on peut et que l'on doit retrouver dans l'histoire de nos républiques.
Il en résulte que la liste de ces principes, si elle n'est pas close (on peut imaginer encore, au
vu précisément de quelques législations, que de nouveaux principes puissent être énoncés)
est cependant limitative. Les principes généraux du droit ne se rattachent pas toujours et pas
nécessairement directement à un texte, la liste des principes généraux du droit est indéfinie (ce
qui ne veut pas dire infinie) en ce sens qu'elle est toujours ouverte.
B. Les principes généraux du droit dans la jurisprudence administrative
Les développements qui précèdent permettent déjà de se faire une idée de ce que sont les principes
généraux du droit, qui sont une catégorie de normes juridiques originales. Précisons que les principes
généraux du droit ne sont pas plus un monopole du Conseil d'État que les principes fondamentaux
ne le sont du Conseil constitutionnel. Les caractéristiques des principes généraux du droit tels qu'on
peut les trouver dans la jurisprudence administrative peuvent être résumées de la manière suivante.
Les principes généraux du droit sont tout d'abord des normes jurisprudentielles, ils sont découverts
ou « inventés » par le juge, ils ne résultent pas directement d'un texte écrit, même lorsque l'on peut
les rattacher (mais pas tous) à la Déclaration des droits de 1789.
Certaines décisions sont particulièrement éclairantes de la démarche du juge.
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Exemple
Tel est le cas de l'affaire Dame Peynet (CE Ass. 8 juin 1973, AJDA 1973, p. 587, chron. Léger et
Boyon). Dans cette affaire, le juge était invité à dire que l'article 29 du Livre Ier du code du travail - qui
interdit de licencier les salariées en état de grossesse - institue un principe général du droit. Ce n'est
pas ce qu'a fait le juge, qui a préféré déclarer : « le principe général du droit dont s'inspire l'article 29
du Livre Ier du code du travail ». La différence entre la solution demandée et la solution retenue est
considérable. Certes, dans les deux cas, le résultat est l'affirmation d'un principe général du droit
qui interdit de licencier les salariées en état de grossesse. Mais la différence est dans le champ
d'application : ce qui était demandé était la reconnaissance d'un principe général du droit déduit du
texte, conditionné donc par ce texte, ayant le même champ d'application que lui. La solution retenue
par le juge consiste à inverser le lien : ce n'est pas le principe qui résulte du texte, le texte n'est
qu'une application du principe. Cela donne une plus grande latitude au juge, qui peut appliquer ce
principe en dehors du champ d'application du code du travail.
Les principes généraux du droit son applicables « même en l'absence de texte », ainsi que le
déclare la décision du Conseil d'État qui, pour la première fois depuis 1873 reconnaît explicitement
l'existence de principes généraux du droit, la décision Aramu (CE Ass. 26 oct. 1945, D.1946 p. 158,
note Morange). Dans la décision Dame Lamotte, le Conseil d'État déclarait également que le recours
pour excès de pouvoir était « ouvert même sans texte contre tout acte administratif (...) conformément
aux principes généraux du droit ».
Les principes généraux du droit ne sont pas des solutions d'espèce - caractéristique que l'on
prête souvent aux décisions rendues par le juge administratif - ils s'inscrivent dans la durée, ils
sont destinés à avoir une certaine permanence. L'état du droit peut changer, les principes eux,
demeurent (sauf cas particulier) parce qu'ils répondent à cette exigence d'équilibre entre le pouvoir
et les individus.
Les principes généraux du droit ne peuvent s'expliquer, enfin, que parce qu'ils reposent sur une
certaine conception des relations dans un État entre le pouvoir et les individus. La conception sousjacente aux principes généraux du droit est celle d'un État libéral, c'est donc une certaine conception
de l'homme vivant en société que ces principes expriment.
§ 2. La variété des principes généraux du droit
Depuis une soixantaine d'années, le juge administratif a multiplié les principes généraux du droit,
qui forment aujourd'hui un ensemble impressionnant. Plusieurs classifications sont envisageables.
Sans prétendre aucunement à un caractère scientifique de ce qui est proposé, on peut distinguer
des principes que l'on dira à portée générale et des principes que l'on peut dire plus « spécialisés ».
A. Les principes généraux du droit à portée générale
1. Principes généraux du droit se rapportant à l'idée de liberté
Le juge administratif a consacré la liberté individuelle ainsi que la liberté d'aller et venir,
Exemple
par exemple pour des campeurs (CE Sect. 14 févr. 1958, Abisset, Rec. p. 98, concl. M. Long).
Une autre grande liberté classiquement consacrée par le juge est la liberté du commerce et de
l'industrie à propos de laquelle tantôt le juge se fonde sur la loi des 2-17 mars 1791 - sur laquelle on
reviendra à propos de services publics - (CE Ass. 22 juin 1951, Daudignac, Rec. p. 362, D 1951 p.
389, concl. F. Gazier), et tantôt le juge ne se réfère aucunement à la loi précitée, consacrant cette
liberté sans support textuel (CE Ass. 13 mai 1983, Sté René Moline, Rec. p. 191, AJ 1983, p. 624,
note Bazex, Rev. adm. 1983, p. 578, note B. Pacteau).
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Il ne faut pas s'étonner du nombre relativement peu élevé, en définitive, du nombre de principes
généraux du droit relatifs à l'idée de liberté, pour deux raisons :
•
•
d'une part, les principales libertés ont été progressivement reconnues et consacrées en France,
sous la IIIe République, par des lois ;
d'autre part, aujourd'hui, la plupart des grandes libertés ont une valeur constitutionnelle, la
nécessité d'édiction de principes généraux du droit s'impose moins.
2. Les principes généraux du droit se rapportant à l'idée d'égalité
Les principes généraux du droit portant sur l'égalité sont beaucoup plus nombreux que les
précédents et il n'y a là rien de surprenant : tout d'abord l'affirmation de l'égalité, en soi, ne veut pas
dire grand-chose, pour que la formule ait un peu de sens, il faut l'appliquer à un domaine déterminé,
sinon on reste dans le domaine de l'incantation, propre à toutes les dérives démagogiques. Ensuite,
les situations à propos desquelles on peut invoquer le principe d'égalité sont extraordinairement
variées, la loi ne peut toutes les prévoir, il revient au juge de vérifier et d'apprécier, pour chaque
situation, si le principe d'égalité est applicable.
Le principe d'égalité est d'abord le principe d'égalité devant la loi. Ce principe a été affirmé dans une
décision importante de 1958 qui a nourri les débats sur la valeur, que l'on examinera plus loin, des
principes généraux du droit (CE Ass. 7 févr. 1958, Syndicat des propriétaires de forêts de chêneslièges d'Algérie, AJDA 1958, p. 130, concl. Grévisse et, p. 220, chron. Fournier et Combarnous). Le
principe d'égalité devant la loi n'est pas quelque chose d'abstrait, il trouve au contraire à s'appliquer
dans des situations concrètes : le juge a ainsi estimé que la loi du 15 novembre 1999 instituant le
pacte civil de solidarité (PACS) impose d'étendre aux signataires dudit pacte les avantages que la
réglementation accorde aux conjoints (CE Ass. 28 juin 2002, M. Villemain, RFDA 2002.723, concl.
Boissard ; AJ 2002.586, chr. Donnat et Casas ; RDP 2003.447, note Guettier)
Le principe d'égalité est multiforme il s'applique à un grand nombre de situations
Exemple
On peut citer, à titre d'exemples :
• le principe d'égalité des usagers d'un même service public, lorsqu'ils sont placés au regard
de ce service dans une situation identique (CE 29 déc. 1911, Chomel, Rec. p. 1265, à propos
de la distribution du courrier ; CE Sect. 19 mars 1951, Sté des concerts du Conservatoire, Rec.
151, à propos de l'accès à ce qui était alors la Radio Télévision française ; CE 26 avr. 1985,
Ville de Tarbes, Rec. p. 119, concl. Lasserre, à propos des usagers des écoles de musique);
• le principe d'égalité dans l'utilisation du domaine public(CE 2 nov. 1956, Biberon, Rec.
p. 403, concl. Mosset) ; principe d'égalité dans l'accès aux emplois publics (CE Ass. 28 mai
1954, Barel) ;
• principe d'égalité entre les sexes, qui recoupe le précédent (on peut comparer la décision du
3 juill. 1936, Mlle Bobard, Rec. p. 232, où le Conseil d'État admet encore les discriminations,
et la décision du 9 nov. 1966, Commune de Clohars-Carnoët, où le juge sanctionne le non
respect de ce principe d'égalité) ;
• principe d'égalité des candidats à un grade universitaire (CE Sect. 28 sept. 1962, Jourde
et Malleville, D.1963 p. 62, concl. Braibant) ;
• principe d'égalité devant les tarifs publics (CE 1er avr. 1938, Sté L'alcool dénaturé de
Coubert, Rec. p. 337) ;
• principe d'égalité devant l'impôt (CE Sect. 4 févr. 1944, Guieysse, Rec. p. 45 ; naturellement
ce principe peut revêtir des formes différenciées, l'égalité devant l'impôt se prêtant à des
débats infinis) ;
• principe d'égalité des candidats à un concours (CE Ass. 29 déc. 1978, Assoc. gén. des
attachés d'administration centrale, Rec. p. 535) ;
• principe d'égalité devant la justice (CE Ass. 12 oct. 1979, Rassemblement des nouveaux
avocats de France, AJDA 1980, p. 248, note Debouy).
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3. Autres grands principes généraux du droit
Il faut également citer, parmi les grands principes généraux du droit qui ont pour objet la protection
des citoyens le principe du respect des droits de la défense (avec, outre la décision Aramy, précitée,
la première décision consacrant ce droit, mais sans qu'apparaisse explicitement la référence à un
principe général du droit, CE 15 mai 1944, Dame Veuve Trampier-Gravier, Rec. p. 133, RDP 1944,
p. 256, concl. B. Chenot, note Jèze), le principe de non-rétroactivité des actes administratifs (CE 25
juin 1948, Sté du journal l'Aurore, Rec. p. 289, S.1948.3.69, concl. Letourneur, D.1948 p. 437 note
Waline, JCP 1948, II, 4427, note Mestre) le principe selon lequel il est toujours possible d'intenter un
recours en cassation contre une décision rendue en dernier ressort (CE Ass. 7 févr. 1947, d'Aillières,
précitée), le principe selon lequel le recours pour excès de pouvoir est ouvert, même sans texte,
contre tout acte administratif (CE Ass. 17 févr. 1950, Dame Lamotte, précitée), le principe selon
lequel il est possible aux administrés d'exercer un recours hiérarchique à l'encontre d'une décision
d'une autorité subordonnée (CE Sect. 30 juin 1950, Quéralt, Rec. p. 413, Dr. soc. 1951, p. 246, concl.
Delvolvé, S.1951.3.85, note Auby ; il faut retenir d'ores et déjà que le recours hiérarchique prolonge
le délai de recours contentieux), le principe non bis idem (c'est-à-dire l'interdiction de prononcer
deux sanctions pour une seule faute : CE 23 avr. 1958, Commune de Petit-Quevilly, AJ 1958, 2,
p. 383), le principe du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle (CE Sect. 12 mai
1961, Sté La Huta, Rec. p. 313), l'obligation pour les collectivités publiques de couvrir leurs agents
des condamnations civiles prononcées contre eux dès lors qu'aucune faute personnelle ne leur est
imputable (CE Sect. 26 avr. 1963, Centre hospitalier de Besançon, Rec. p. 243, concl. Chardeau). Il
ne faut pas omettre, non plus, l'important principe, que l'on retrouvera à propos du régime juridique
des actes administratifs unilatéraux, et selon lequel « l'autorité compétente, saisie d'une demande
tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer » (CE Ass. 3 févr. 1989, Cie Alitalia,
Rec. p. 44, RFDA 1989 p. 391, concl. N. Chahid-Nouraï, notes L. Dubouis et O. Beaud, AJDA 1989,
p. 387, note O. Fouquet).
B. Les principes généraux du droit plus « spécialisés »
L'expression de principes généraux du droit spécialisés pourrait apparaître comme un oxymore,
figure de style très utilisée de nos jours. Mais ce n'est pas du tout le but recherché. En parlant de
principes généraux du droit plus « spécialisés », on veut simplement dire que l'on peut identifier des
catégories à propos desquelles le Conseil d'État a énoncé plusieurs principes généraux du droit se
rapportant à une même catégorie.
Cette évolution n'a du reste rien d'étonnant : après le temps de l'affirmation des grands principes
généraux du droit qui ont été vus précédemment (ce temps couvrant, en gros, le premier tiers de
la seconde moitié du XXe siècle) les principes généraux du droit sont moins généraux quant à leur
champ d'application, tout en conservant naturellement les caractères des principes généraux du
droit.
Parmi ces principes généraux du droit, on peut citer les principes énoncés par le juge à propos
des étrangers.
•
Dans une décision de 1978, le Conseil d'État a ainsi consacré le principe, pour les étrangers
vivant régulièrement en France, du « droit de mener une vie familiale normale » ce droit
comportant, notamment, la faculté, pour ces étrangers, de faire venir auprès d'eux leur conjoint
et leurs enfants mineurs (CE Ass. 8 déc. 1978, GISTI, Rec. p. 493, Dr. soc. 1979, p. 57, concl.
Dondoux, AJ 1979 (3) p. 38, chron. Dutheillet et de Lamothe et Robineau, D.1979.IR. p. 94,
obs. P. Delvolvé).
•
Le Conseil d'État a parlé également des « principes généraux du droit applicables aux réfugiés »
(CE Ass. 1er avr. 1988, Bereciartua Echarri, AJDA 1988, p. 322, chron. Azibert et de Boisdeffre,
RFDA 1988, p. 499, obs. B. Genevois).
•
Ces principes interdisent aux autorités françaises de remettre un réfugié aux autorités de son
pays d'origine (arrêt précédent) et imposent, pour l'unité de la famille, d'attribuer la qualité de
réfugié au conjoint et aux enfants mineurs de l'étranger auquel a déjà été reconnue la qualité
de réfugié (CE Ass. 2 déc. 1994, Dame Agyepong, AJDA 1994, p. 878, chron. Touvet et Stahl).
29
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•
On peut y ajouter les « principes généraux du droit de l'extradition », l'un de ces principes
interdisant l'extradition d'un étranger vers un État dont le système judiciaire ne respecte pas les
« droits et libertés fondamentaux de la personne humaine » (CE Ass. 26 sept. 1984, Lujambio
Galdeano, Rec. p. 308, JCP 1984, II, 20346, concl. Genevois, AJDA 1984 p. 702, chron.
Schoettl et S. Hubac)
Une autre série de principes généraux du droit concerne le droit du travail, qu'il s'agisse du secteur
privé ou du secteur public.
•
•
•
On a déjà vu le principe de l'interdiction de licencier une salariée en état de grossesse avec
la décision Dame Peynet (v. supra).
On pourrait citer également - et l'on voit bien ici le caractère « spécialisé » d'un tel principe le principe selon lequel un employeur a l'obligation de chercher à reclasser un salarié atteint
d'une inaptitude physique à son emploi et, en cas d'impossibilité, de le licencier (CE 2 oct. 2002,
Chbre de commerce et d'industrie de Meurthe-et-Moselle, AJDA 2002 p. 997, obs. M.-C. de
Montecler).
Dans le secteur public, on peut citer le principe selon lequel le personnel non titulaire des
collectivités publiques a droit à une rémunération au moins égale au SMIC (CE Sect. 23 avr.
1982, Ville de Toulouse c/Mme Aragnou, Rec. p. 152, concl. Labetoulle, AJ 1982, p. 440, chron.
Tiberghien et Lasserre, D.1983 p. 8 note J.-B. Auby).
Enfin, il faut ajouter que certains principes généraux du droit sont difficilement classables, ce qui
n'enlève évidemment rien à leur importance. Il convient de citer, notamment, un très important
principe dégagé par le juge et selon lequel « les principes déontologiques fondamentaux relatifs au
respect de la vie humaine, qui s'imposent au médecin dans ses rapports avec son patient, ne cessent
pas de s'appliquer après la mort de celui-ci » (CE Ass. 2 juill. 1993, Milhaud, Rec. p. 194, concl. D.
Kessler, AJDA 1993, p. 530, chron. C. Mauguë et L. Touvert, JCP 1993, n° 22133, note P. Gonod,
JCP 1993, I, n° 3700, chron. E. Picard, R. Chapus parle à cet égard d'un « arrêt remarquable par
son éminente signification philosophique »).
§ 3. Valeur juridique des principes généraux du droit
Les développements qui précèdent montrent l'importance des principes généraux du droit comme
instruments de régulation des relations entre l'administration et les citoyens. D'où l'importance de
la question de la place de ces principes dans l'ordonnancement juridique.
A. Le débat sur la valeur des principes généraux du droit
Pour comprendre l'importance de la question posée, et avant d'exposer les différentes solutions
envisageables, il est bon de rappeler une affaire importante, non par les circonstances dans
lesquelles elle est intervenue que par la portée qu'elle a eue. Il s'agit de la décision du Conseil d'État
de Section du 26 juin 1959 Syndicat général des ingénieurs conseils, (Rec. p. 394, RDP 1959, p.
1004, concl. Fournier, AJ 1959, I, 153, chron. Combarnous et Galabert). Cette affaire est réglée par le
Conseil d'État en 1959, mais elle porte sur une législation applicable sous la IVe République. A priori,
donc, c'est une affaire sans intérêt, ne présentant qu'un caractère historique, d'autant plus qu'en
l'espèce ce qui était en cause, c'était un pouvoir, remis au gouvernement, pour régir les colonies
dans certains domaines en vertu d'un sénatus-consulte du 3 mai 1854... Voir les choses ainsi serait
passer complètement à côté du problème. Car le pouvoir dont disposait le gouvernement était un
pouvoir dans le domaine de la loi.
La solution rendue par le Conseil d'État n'avait, en 1959, que des conséquences pratiques très
limitées. Mais nous avions changé de régime, et la Cinquième République établissait précisément,
avec les articles 34 et 37, une distinction entre le domaine de la loi et le domaine du règlement. Et
certains, en 1959, soutenaient que le pouvoir réglementaire de l'article 37 ne pouvait faire l'objet que
d'un contrôle par rapport à la Constitution, puisque, dans le domaine de l'article 37, il n'y avait plus
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de loi. En déclarant qu'en faisant usage de son pouvoir de « législateur colonial » le gouvernement
était tenu de respecter « les principes généraux du droit qui, résultant notamment du Préambule
de la Constitution, s'imposent à toute autorité réglementaire même en l'absence de dispositions
législatives » le Conseil d'État adoptait une solution qui, pour l'espèce, ne présentait qu'un intérêt
limité mais qui, pour l'avenir, était déterminante, car la solution applicable au pouvoir réglementaire
colonial autonome du gouvernement de la IVe République était évidemment transposable au
pouvoir réglementaire de l'article 37 : le gouvernement doit respecter, dans l'exercice du pouvoir
réglementaire qu'il tient de l'article 37 de la Constitution, les principes généraux du droit, alors
même qu'il n'y a pas de loi (en principe) dans les matières relevant de cet article 37. On voit par là
l'importance de cette décision par rapport au pouvoir réglementaire.
Les auteurs ont adopté des positions très différentes sur la valeur juridique des principes généraux
du droit. On peut ramener toutes ces positions à trois thèses, que l'on présentera brièvement.
•
•
•
Selon une première thèse, les principes généraux du droit auraient une valeur constitutionnelle.
Selon une deuxième thèse, les principes généraux du droit ont une valeur législative. Et les
tenants d'une telle position peuvent invoquer à l'appui de cette thèse une décision du Conseil
d'État, que nous avons rencontrée, la décision du 7 février 1958, Syndicat des propriétaires de
chênes-lièges d'Algérie, dans laquelle le juge a parlé de « principes généraux du droit ayant
valeur législative » (l'expression se retrouve dans deux autres arrêts de 1960). Mais ceci n'est
peut-être pas déterminant, la décision de 1958 s'inscrivant dans le système constitutionnel de
1946, celui de 1958 étant très différent.
Une troisième position, plus originale, a été soutenue par R. Chapus, c'est celle de la valeur
infra-législative et de la valeur supra-décrétale des principes généraux du droit (R. Chapus, De
la soumission au droit des règlements autonomes, D.1960, p. 119, ainsi qu'un autre article : De
la valeur juridique des principes généraux du droit et des autres règles jurisprudentielles du droit
administratif, D.1966, p. 99). Valeur infra-législative signifie que ces principes sont en-dessous
de la loi, valeur supra-décrétale signifie qu'ils sont au-dessus du règlement et, notamment, du
règlement de l'article 37 de la Constitution.
B. Éléments d'appréciation
Le débat, qui n'est pas éteint mais n'a plus la vivacité qu'il a pu avoir il y a quelques décennies, ne
doit pas troubler outre-mesure puisque le désaccord n'a pas d'incidence sur l'application du droit.
Trois brèves observations peuvent servir à éclairer le débat.
•
En premier lieu, on pourrait estimer que ces principes, étant énoncés par le juge administratif,
ne peuvent pas avoir dans ces conditions, et selon un simple principe de logique juridique, une
valeur supérieure à celle à laquelle le juge lui-même est placé. En d'autres termes, on pourrait
dire qu'une norme ne peut pas avoir de valeur supérieure à son auteur ce qui écarte la valeur
constitutionnelle, le choix demeurant entre la valeur législative et la valeur infra-législative.
Le juge lui-même va dans ce sens lorsqu'il déclare qu' « il n'appartient qu'au législateur d'en
déterminer l'étendue, d'en étendre ou d'en restreindre les limites » (c'est la formule de la
décision du CE Ass. 4 oct. 1974, Dame David, Rec. p. 464, concl. Gentot, sur le principe de la
publicité des débats judiciaires. Le législateur peut donc étendre ou restreindre les limites d'un
principe général du droit, ce que ne peut pas faire le règlement qui, à l'inverse, lui est soumis
•
En deuxième lieu, un élément de trouble est constitué par l'existence de principes généraux
du droit énoncés par le Conseil constitutionnel. L'un des exemples les plus significatifs est
celui du principe de continuité des services publics dont le Conseil constitutionnel a déclaré,
dans sa décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979 relative à l'exercice du droit de grève à
la radiodiffusion-télévision française, qu'il était un principe à valeur constitutionnelle, sans le
rattacher à aucun texte (ce n'est donc pas, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, un
principe fondamental reconnu par les lois de la République), tandis que le Conseil d'État en fait
également un principe général du droit (CE 13 juin 1980, Dame Bonjean, Rec. p. 274, D.1981
p. 241, note Toulemonde). Mais ceci, une nouvelle fois, ne doit pas troubler : il existe des ordres
juridiques distincts, lorsque le principe est énoncé par le Conseil constitutionnel, il a une valeur
constitutionnelle, lorsqu'il est énoncé par le Conseil d'État, il a une valeur au plus législative.
31
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•
En troisième lieu, enfin, la réponse à la question de la place des principes généraux du droit
dans l'ordonnancement juridique est passionnante d'un point de vue théorique, mais est au
fond relativement indifférente pour l'application du droit. Une chose compte, en définitive, et sur
laquelle tout le monde est d'accord : l'administration doit respecter les principes généraux du
droit, quel que soit le pouvoir réglementaire qu'elle utilise dans son action. C'est cela qui est
essentiel, les principes généraux du droit sont un instrument de soumission de l'administration
au Droit.
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Cours : L’action administrative
Auteur : Jean-Marie Pontier
Leçon n° 3 : Les atténuations au principe du juridicité
Table des matières
Section 1. Introduction.............................................................................................................................p. 2
Section 2. Les actes de gouvernement..................................................................................................p. 4
§ 1. Définition des actes de gouvernement................................................................................................................. p. 4
A. La notion historique d'acte de gouvernement................................................................................................................................p. 4
B. Les deux catégories d'actes de gouvernement............................................................................................................................. p. 5
1. Les actes de l'exécutif dans ses relations avec le Parlement....................................................................................................................................p. 5
2. Les actes de l'exécutif dans les relations internationales...........................................................................................................................................p. 6
§ 2. Le régime juridique des actes de gouvernement................................................................................................. p. 6
A. L'immunité des actes de gouvernement........................................................................................................................................ p. 7
1. Le plan de la légalité.................................................................................................................................................................................................. p. 7
2. Le plan de la responsabilité........................................................................................................................................................................................p. 7
B. L'atténuation à l'immunité: la détachabilité.................................................................................................................................... p. 7
Section 3. Les circonstances exceptionnelles...................................................................................... p. 9
§1. La notion de circonstances exceptionnelles.......................................................................................................... p. 9
A. La théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles..................................................................................................... p. 9
B. Les circonstances qualifiées de circonstances exceptionnelles.................................................................................................. p. 10
§2. Le régime juridique des circonstances exceptionnelles....................................................................................... p. 10
A. Les dérogations aux règles..........................................................................................................................................................p. 11
B. Circonstances exceptionnelles et voie de fait..............................................................................................................................p. 11
Section 4. Les situations exceptionnelles prévues par le constituant et le législateur................... p. 13
§1. Les législations du temps de crise.......................................................................................................................p. 13
A. L'état de siège..............................................................................................................................................................................p. 13
B. Le régime de l'état d'urgence...................................................................................................................................................... p. 13
1. Définition de l'état d'urgence.....................................................................................................................................................................................p. 13
2. L'état d'urgence de 2005...........................................................................................................................................................................................p. 14
§2. L'article 16 de la Constitution...............................................................................................................................p. 15
A. L'hypothèse de l'article 16........................................................................................................................................................... p. 15
B. Le régime de l'article 16.............................................................................................................................................................. p. 16
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Section 1. Introduction
Le principe de juridicité, examiné dans le chapitre précédent, est l'un des instruments juridiques
d'établissement de l'Etat de droit en même temps qu'il en est l'expression. L'Etat de droit implique
que l'action administrative soit soumise au droit, et l'on pourrait penser que le principe de
juridicité doit aller jusqu'à englober l'intégralité de l'action administrative sous tous ses aspects quels
qu'ils soient. En réalité, il est vain de penser qu'un jour toute l'action administrative pourrait être
enserrée dans des règles, que tout acte, toute action, serait déterminé par une règle préexistante.
Certes nos Etats, quels qu'ils soient, sont des Etats de droit imparfaits, aucun pays au monde ne peut
prétendre l'avoir réalisé pleinement. Mais s'il convient de progresser, d' « améliorer », si l'on peut
dire, ou de perfectionner l'Etat de droit, nous ne parviendrons jamais à cette situation dans laquelle
il n'y aurait plus aucun espace de liberté pour l'administration, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, et contrairement à certaines idées reçues, l'histoire n'est pas linéaire : on ne va
pas systématiquement d'un moins bien vers un mieux, l'histoire des civilisations n'est pas une
marche sans retour vers le progrès. Certes, dans le domaine des sciences et des techniques
l'évolution est cumulative, tout progrès est acquis (encore que, dans le détail, on pourrait en discuter
à propos de certains moments de l'histoire) et appelle un progrès ultérieur. Mais, dans tous les autres
domaines, les avancées peuvent être suivies de retours en arrière, rien n'est définitivement acquis :
il suffit de penser, par exemple, à la régression qu'a représenté, sur le plan des droits de l'homme,
le régime de Vichy.
Cela signifie, dans notre domaine, que compte tenu des circonstances, des sensibilités, des
personnes mêmes, le principe de juridicité peut être plus ou moins prononcé et plus ou moins
respecté.
Ensuite, il est probable que même avec la meilleure volonté du monde, c'est-à-dire avec des
dirigeants et des citoyens aussi attachés les uns que les autres au respect du droit, il ne serait pas
possible d'enfermer complètement l'action de l'administration dans des règles étroites et précises
•
•
D'une part, il ne faut pas oublier que la multiplication des règles ne s'applique pas seulement
à l'administration, elle a des conséquences sur les citoyens, qui peuvent subir les effets de
la multiplication des règles, c'est-à-dire, en définitive, perdre en liberté. Il faut se souvenir de
la description que fait Tocqueville de cette « foule innombrable d'hommes semblables et
égaux » avec un « pouvoir immense et tutélaire ». Ce pouvoir « aime que les citoyens se
réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur, mais
il en veut être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs
besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs
successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser
et la peine de vivre ! ».
D'autre part, et plus concrètement, l'administration a besoin d'un espace de liberté pour régler
les affaires qui sont de sa compétence, et l'on va voir que ces atténuations au principe de
juridicité sont la prise en considération, par le juge, de cette nécessité pour l'administration de
disposer d'une certaine marge de manoeuvre dans son action.
En savoir plus : Alexis de Tocqueville
Alexis Henri Charles Clérel, vicomte de Tocqueville, né à Paris le 29 juillet 1805, mort à Cannes
(Alpes-Maritimes) le 16 avril 1859, fut un penseur politique, historien et écrivain français. C’est sans
doute l’un des plus grands penseurs politiques français, à l’éciture particulièrement élégante. Il est
célèbre pour ses analyses de la Révolution française, de la démocratie américaine et de l'évolution
des démocraties occidentales en général. Raymond Aron, entre autres, a mis en évidence son
apport à la sociologie. François Furet, quant à lui, a mis en avant la pertinence de son analyse de la
Révolution française. A. de Tocqueville est avant tout le penseur de la démocratie, dont il a su voir
avec lucidité la grandeur mais aussi les faiblesses, c’est aussi l’analyste de l’homme vivant dans une
société de masses, dont il a pressenti l’avènement.
Ses oeuvres comprennent : Du système pénitentiaire aux États-Unis et de son application en
France (1833), (avec la collaboration de Gustave de Beaumont) De la démocratie en Amérique
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(1835 et 1840) Quinze jours dans le désert américain (1840) Souvenirs (1850) L'Ancien Régime et
la Révolution (1856)
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Section 2. Les actes de gouvernement
Le juge administratif a développé une jurisprudence sur des actes qualifiés d'actes de gouvernement
qui ont pour principale conséquence une quasi-absence de contrôle juridictionnel pouvant être
exercé sur eux.
§ 1. Définition des actes de gouvernement
Les actes de gouvernement sont une catégorie d'actes pris par les autorités administratives et qui
se caractérisent par une sorte d'immunité juridictionnelle.
Etant donné les conséquences importantes qui s'attachent à cette qualification, il faut éviter que
l'administration ne puisse apprécier si l'acte qu'elle prend est un acte de gouvernement. Le juge
administratif, seul, est en mesure de dire si l'acte relève de la catégorie acte de gouvernement.
Il faut tenir compte également du fait qu'une évolution se produit nécessairement et, en l'espèce,
et assez logiquement, cette évolution est allée dans le sens d'une réduction du nombre d'actes
pouvant être qualifiés d'actes de gouvernement.
A. La notion historique d'acte de gouvernement
L'expression « acte de gouvernement » peut prêter à confusion. Il ne faut pas confondre, en
effet, l'acte de gouvernement et l'acte du gouvernement. Il n'existe pas de catégorie d'acte du
gouvernement.
•
•
D'une part, le gouvernement est une notion beaucoup plus constitutionnelle, et encore plus
politique, que de droit administratif : en droit constitutionnel un gouvernement est constitué, il
a un chef, le Premier ministre (sous la réserve de l'intervention du président de la République),
il prend des décisions politiques, il est responsable devant l'Assemblée. En droit administratif
le gouvernement ne prend pas d'acte.
D'autre part, en effet, les auteurs des actes administratifs peuvent être très différents à l'échelon
central : des décisions peuvent être prises par le président de la République, en Conseil
des ministres ou hors du Conseil des ministres, ainsi qu'on le verra plus loin, par le Premier
ministre, dont on verra qu'il est la principale autorité administrative à l'échelon central, les
ministres, lorsque des textes leur attribuent un pouvoir. On voit donc que l'expression acte
du gouvernement est inadéquate en droit administratif. En revanche la catégorie « acte de
gouvernement » existe, c'est celle que nous examinons.
La confusion, à ne pas faire, entre acte de gouvernement et acte du gouvernement est celle qui,
au début du XIXème siècle, a caractérisé la définition qui était donnée par le juge de l'acte de
gouvernement : on considérait alors que l'acte de gouvernement était l'acte à mobile politique ce
qui était précisément faire la confusion que l'on a dénoncée et qui avait pour conséquence (fâcheuse)
de faire entrer un très grand nombre d'actes dans cette catégorie, les faisant ainsi échapper au
contrôle du juge.
Exemple
Ainsi, par exemple, dans la décision Lafitte (CE 1er mai 1822), relative à la demande par le banquier
Lafitte du paiement des arrérages d'une rente que lui avait cédée Pauline Borghèse, le Conseil d'Etat
déclare que la réclamation « tient à une question politique dont la décision appartient exclusivement
au Gouvernement ». Le juge s'est rendu compte que cette définition de l'acte de gouvernement
n'était pas satisfaisante, il l'a abandonnée à partir de l'arrêt Prince Napoléon, du 19 février 1875.
L'abandon du critère politique de l'acte de gouvernement n'a pu être obtenu que grâce à la
conjonction de la libéralisation du régime politique (même si cette libéralisation a été lente et
progressive) et au développement du rôle contentieux du Conseil d'Etat. Il reste à expliquer
cependant, d'un point de vue logique, ces actes de gouvernement : si le critère de leur délimitation
n'est pas le critère politique, quel est-il ?
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Deux remarques peuvent être faites à cet égard, que l'on emprunte à deux grands auteurs de notre
temps du droit administratif.
En premier lieu, F.-P. Bénoit fait valoir, dans son ouvrage intitulé Le droit administratif français (Dalloz
1968) qu'il s'est produit, au cours du XIXème siècle, une dissociation entre ce qu'il appelle « l'EtatCollectivité » et « l'Etat-Nation ». L'Etat-Nation se constitue, ainsi qu'on le sait, au XIXème siècle, il
a peut-être pour point de départ, au moins en France, la Révolution française qui substitue la nation
au roi, renforçant d'ailleurs par là le pouvoir. Selon F.-P. Bénoit, « l'apparition de l'Etat-Collectivité
ne s'est produite que du jour où les missions qui sont les siennes - fonctionnement des services
publics, police gestion du domaine - se sont trouvées subordonnées aux normes définies par les
autorités de l'Etat-Nation ». Avec la confusion de ces deux formes d'Etats, le mobile politique pouvait
se concevoir, avec la dissociation, et l'identification d'une personne publique à laquelle pouvaient
être imputés juridiquement un certain nombre d'actes, le mobile politique pouvait être abandonné,
fournissant aussi une explication au maintien de certains actes non soumis au contrôle du juge.
R. Chapus a bien montré, en effet, qu'il existe deux sortes de fonctions assurées par le gouvernement
(L'acte de gouvernement, monstre ou victime, D 1958, chron. p. 5), une fonction proprement
administrative, soumise au contrôle du juge, et une fonction gouvernementale, qui échappe au
contrôle de ce juge, et à laquelle peuvent être rattachés les actes de gouvernement.
B. Les deux catégories d'actes de gouvernement
Il existe aujourd'hui deux domaines dans lesquels le juge reconnaît l'existence d'actes de
gouvernement
1. Les actes de l'exécutif dans ses relations avec le Parlement
La jurisprudence relative à ce domaine des actes de gouvernement n'est pas très fournie, ce qui
ne veut pas dire pour autant qu'elle est amenée à s'éteindre, mais en revanche dans un certain
nombre de cas l'hésitation sur la qualification de l'acte est permise, ainsi que le montre le
nombre d'affaires dans lesquelles le juge ne suit pas les conclusions de son commissaire
du gouvernement. Il faut ajouter que, comme dans de nombreux autres cas, le refus du juge de
reconnaître l'existence d'un acte de gouvernement peut être aussi éclairante pour la notion que sa
consécration.
Parmi les exemples d'actes de gouvernement dans ce domaine on peut citer les décrets de
promulgation des lois (CE 3 nov. 1933, Desreumeaux, RDP 1934, note Jèze), la décision de mise en
vigueur de l'article 16 de la Constitution (CE 2 mars 1962, Rubin de Servens), qui a signé en quelque
sorte le rappel de l'existence de la catégorie des actes de gouvernement en un temps où certains
auteurs doutaient de cette persistance, la décision par laquelle le président de la République nomme
un membre du Conseil constitutionnel (CE Ass. 9 avr. 1999, Mme Bâ, Rec. 566, concl. contraires
Salat-Baroux, AJDA 1999, p. 409, chron. Raynaud et Fombeur), le refus par le gouvernement
de déposer un projet de loi devant le Parlement<REGLE_PRATIQUE/>, même s'il s'était engagé
(politiquement) en ce sens (CE 29 nov. 1968, Tallagrand), du décret soumettant un projet de loi à
référendum (CE Ass. 19 oct. 1962, Brocas, AJDA 1962.612, chron. A. de Laubadère), d'un décret
de dissolution de l'Assemblée nationale (CE 26 fév. 1992, Allain), du refus du gouvernement de
saisir le Conseil constitutionnel aux fins de lui faire constater un « empêchement » du président de
la République (CE 8 sept. 2005, Hoffer, AJDA 2005, p. 1711, obs. Brondel).
En revanche, le décret par lequel le Premier ministre charge un parlementaire d'une mission auprès
d'une administration n'est pas un acte de gouvernement mais un acte administratif «détachable
des rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif » car il «constitue le premier acte de
l'exécution d'une mission administrative dont un parlementaire se trouve provisoirement investi »
(CE Sect. 25 sept. 1998, Mégret, RDP 1999, p. 254, concl. contraires Mme Mauguë, AJDA 1999,
p. 240, note Lemaire). Ne constituent pas plus un acte de gouvernement le refus de saisir le
Conseil constitutionnel sur la base de l'article 37 al. 2 de la Constitution (CE Sect. 3 déc. 1999,
Rassemblement des opposants à la chasse, AJDA 2000, p. 170), ou encore la décision du président
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de la République de faire fleurir la tombe de Pétain à l'occasion du 11 novembre (CE 27 nov. 2000,
Assoc. Comité Tous Frères).
2. Les actes de l'exécutif dans les relations internationales
Les engagements internationaux de la France en tant qu'Etat prennent souvent la forme de traités
(terme ici générique pouvant recouvrir différentes formes d'engagements). Les actes relatifs à la
négociation et à la conclusion de ces traités sont des actes de gouvernement. Il en est de même
des actes concernant la vie du traité comme, par exemple, la suspension d'un traité (CE Ass. 18
déc. 1992, Mhamedi, RFDA 1993 p. 333, concl. Lamy, note Ruzié) ou la suspension, par voie de
simple circulaire, d'un accord de coopération scientifique (en l'espèce ave l'Iran, CE 23 sept. 1992,
GITI et MRAP, AJDA 1992, p. 755).
Le Conseil d'Etat opère en revanche un contrôle de la ratification des traités, ainsi que nous
l'avons vu dans la leçon précédente (CE Ass. 18 déc. 1998, SARL du Parc d'activités de Blotzheim,
Rec. 484, concl. Bachelier), et accepte de statuer sur une exception d'illégalité soulevée à l'occasion
d'une décision faisant application d'un traité (CE Ass. 5 mars 2003, M. Aggoun, RFDA 2003 p. 1214,
concl. Stahl, note Lachaume) mais refuse en revanche de se prononcer sur le moyen tiré de ce que
la loi autorisant la ratification serait contraire à la Constitution (CE 8 juill. 2002, Commune de Porta,
AJDA 2002 p. 1005, chron. Donnat et Casas).
Plus généralement, font partie de la catégorie des actes de gouvernement les actes relatifs à la
conduite des relations internationales de la France.
Exemple
Un exemple n'a plus aujourd'hui qu'un intérêt historique (encore que rien ne dit que dans l'avenir
il n'en sera pas autrement) mais a soulevé de vives passions, c'est celui des expérimentations
nucléaires de la France. Ainsi, la décision des autorités françaises de créer autour de l'atoll de
Mururoa (sur lequel la France faisait ses expérimentations) une zone de sécurité allant au-delà de la
mer territoriale, et le détournement conséquent d'un navire français dont les occupants entendaient
empêcher la réalisation de l'explosion, constitue un acte de gouvernement (CE Ass. 11 juill. 1975,
Paris de Bollardière, AJDA 1975, chron. Franck et Boyon). Il en a été de même de la décision
des autorités françaises de reprendre les essais nucléaires (CE Ass. 29 sept. 1995, Association
Greenpeace France, RDP 1996, p. 256, concl. Sanson, JCP 1996 II, n° 22582, note Moreau, AJDA
1995 p. 684, chron. Stahl et Chauvaux).
La protection diplomatique des Français se trouvant à l'étranger auprès des autorités nationales
des pays concernés constitue également un acte de gouvernement (CE 28 juin 1967, Sté des
transports en commun de la région d'Hanoï, Rec. p. 279), tout comme la défense des intérêts
français à l'étranger (CE 4 oct. 1958, Lévy, Rec. p. 473, 2 mars 1966, Dame veuve Cramencel,
Rec. p. 157).
Constituent à plus forte raison des actes de gouvernement les actes relatifs à la participation de la
France à des opérations militaires concernant des conflits mettant en cause d'autres pays :
ainsi en a-t-il été de la décision de la France d'engager des forces militaires en Yougoslavie (CE 5
juill. 2000, Mégret et Mekhantar, AJDA 2001, p. 95, note Gounin), de celle d'autoriser le survol de
l'espace aérien français par les avions militaires américains et britanniques qui allaient bombarder
l'Irak (CE ord. Réf. 10 avr. 2003, Comité contre la guerre en Irak). On peut rattacher à cette même
idée la circulaire prise par le ministre de l'éducation nationale et demandant aux universités de ne
pas inscrire pour l'année universitaire 1990-1991 les étudiants irakiens à la suite de la « guerre du
Golfe » (CE 23 sept. 1992, GISTI, AJDA 1992, p. 752, concl. J.-F. Kessler, note R.S.).
§ 2. Le régime juridique des actes de gouvernement
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Ainsi qu'on l'a dit précédemment, ce qui caractérise le régime juridique des actes de gouvernement,
c'est l'immunité dont ils bénéficient, pour les raisons qui ont été indiquées précédemment, cette
immunité pouvant faire cependant l'objet de certains tempéraments.
A. L'immunité des actes de gouvernement
Cette immunité se manifeste sur deux plans, le plan de la légalité et le plan de la responsabilité (la
responsabilité étant étudiée dans un autre cours).
1. Le plan de la légalité
Du point de vue de la légalité, les choses sont très simples : l'acte de gouvernement ne peut être
contesté devant le juge de l'annulation.
Cela vaut aussi bien pour le recours direct susceptible d'être fait contre l'acte, c'est-à-dire le recours
pour excès de pouvoir, que dans le cas d'une exception d'illégalité (celle-ci étant le fait de contester
indirectement l'acte à propos d'un recours contre un autre acte qui, lui, peut être attaqué), le juge
se déclarant dans les deux cas incompétent pour connaître de l'action engagée. Ceci vaut non
seulement pour le juge administratif mais également pour le juge judiciaire.
Cette solution où il n'existe pas de juge compétent pour recevoir une demande n'est évidemment
pas très satisfaisante du point de vue de l'Etat de droit, elle témoigne de l'imperfection de ce dernier.
Mais on ne voit pas comment, dans le cadre actuel du droit, il pourrait en être autrement, ces
actes correspondant, ainsi que nous l'avons vu précédemment, à une fonction que l'on a qualifiée
de « fonction gouvernementale » dont il paraît difficile de la soumettre entièrement au droit. Ces
considérations sont celles du droit interne, rien ne dit qu'un jour le droit de la convention européenne
des droits de l'homme ne viendra pas modifier cet état du droit.
2. Le plan de la responsabilité
La conséquence de l'existence d'un acte de gouvernement est, sur le plan contentieux de la
responsabilité, l'exacte réplique de ce qui a été dit pour la légalité : la responsabilité de l'Etat n'est
pas susceptible d'être engagée à raison des dommages qui auraient été causés par un acte de
gouvernement.
Le juge écarte toute idée de faute pour les dommages imputables aux rapports entre le gouvernement
et le Parlement comme aux rapports internationaux et aux événements de guerre, la responsabilité
contractuelle étant tout autant exclue (CE 16 mars 1962, prince Sliman-bey, Rec. p. 179, D 1962,
p. 745, note Silvera).
Il est à noter que, contrairement à une crainte que l’on aurait pu avoir, la Cour européenne des droits
de l’homme a estimé que l’immunité juridictionnelle des actes de gouvernement n’était pas contraire
à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH Grande Chambre, 14 décembre 2006,
Markovic c/ Italie, RFDA 2008, p. 728, note Vonsy).
B. L'atténuation à l'immunité: la détachabilité
Certaines opérations administratives, notamment celles qui sont relatives aux relations
internationales, exigent ou impliquent une pluralité d'actes. Tous ces actes ne s'incorporent pas à
l'opération poursuivie, certains peuvent en être détachés, sans que l'on considère que l'opération
à laquelle ils se rattachent en est affectée.
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La divisibilité des actes au sein d'un ensemble ne concerne pas seulement les actes de
gouvernement, la détachabilité a été « inventée » à propos d'actes de pur droit interne (les contrats).
Mais cette notion de détachabilité présente un intérêt certain dans le domaine des actes
de gouvernement, en particulier ceux relatifs aux relations internationales. Vont être considérés
comme détachables, et pourront, par conséquent, faire l'objet d'un recours en annulation, les
actes qui laissent aux autorités françaises une certaine marge d'appréciation dans l'exécution
comme dans le choix des moyens.
Ne sont pas des actes de gouvernement, en application du principe précédent, par exemple le permis
de construire la représentation diplomatique (autrement dit l'ambassade) d'un Etat à Paris, parce
que cet acte est détachable des relations diplomatiques entre cet Etat et la France (CE Sect. 22
déc. 1978, Vo Thanh Nghia, AJDA 1979, p. 36, concl. B. Genevois), l'autorisation d'émettre à partir
du territoire français accordée par le gouvernement à RMC (CE Sect. 17 déc. 1982, Sté RMC et
Premier ministre c/ Syndicat des cadres de l'ORTF), l'action en dommages-intérêts intentée par la
famille d'un ambassadeur étranger en France par suite de son assassinat (CE Sect. 29 avr. 1987,
Consorts Yener et consorts Erez, Rec. p. 151 ; en l'espèce l'ambassadeur avait refusé la protection
rapprochée qui lui avait été proposée), ou encore la mesure d'interdiction d'exporter des matériels
nucléaires vers le Pakistan (CE 19 fév. 1988, Sté Robatel SLPI, Rec. p. 74, AJDA 1988 p. 354,
concl. J. Massot).
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Section 3. Les circonstances exceptionnelles
Il en est des institutions publiques, et de l'administration, comme des personnes privées : il y
a le temps normal, où l'on applique les principes et les règles que l'on estime être ceux qui
s'imposent, qui doivent être respectés, il y a aussi les périodes exceptionnelles, celles qui constituent
une parenthèse, en bien ou en mal, par rapport aux circonstances normales. Et dans ces temps
particuliers, on n'applique pas tout à fait les mêmes règles, on accepte des atténuations, des
exceptions, des mises entre parenthèses. C'est ce que l'on traduit, en droit, par la théorie des
circonstances exceptionnelles.
§1. La notion de circonstances exceptionnelles
L'Etat de droit signifie une organisation des compétences, des formes à respecter, des règles de
fond à observer.
Tout ceci est fort bien tant que les événements sont « normaux », que rien de très grave ne
vient troubler le fonctionnement des institutions. Mais que viennent les temps de crise (quelle que
soit la nature de cette crise) et le système se « grippe », les institutions ne fonctionnent plus
comme elles le devraient, et les autorités publiques sont tentées de prendre des « libertés » par
rapport aux règles, au nom de l'intérêt général. Est-ce possible juridiquement ? Pour répondre
à cette question, et « tenir les deux bouts de la chaîne », le juge a inventé la théorie des
circonstances exceptionnelles.Soulignons au passage une distinction qu'il faut avoir à l'esprit: on
trouve assez fréquemment dans la jurisprudence la notion de "circonstances particulières"; les
circonstances exceptionnelles sont une forme - extrême - de circonstances particulières, mais toutes
les circonstances particulières (qui sont en fait les circonstances propres à une espèce) ne sont pas
(fort heureusement) des circonstances exceptionnelles.
A. La théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles
De même qu'une personne physique n'est tenue que par ce qu'elle est humainement capable de
faire, de même une institution publique n'est tenue que dans la mesure où il lui est possible de
respecter les règles auxquelles elle est soumise.
Cette apparente tautologie recouvre un problème de fond pour lequel les réponses apportées
peuvent être très différentes. En d'autres termes, l'administration est soumise au principe de juridicité.
Le respect de ce principe est-il absolu ? Si les circonstances rendent ce respect difficile, voire quasi
impossible, que doit-on décider, du point de vue de la légalité des interventions administratives ?
Certains sont partisans, sans le dire expressément, du tout ou rien : l'administration doit être soumise
aux règles de droit qui commandent son intervention, elle ne doit pas s'en écarter, on ne doit
pas accepter de demi-mesure, ou bien la règle de droit est respectée ou bien elle ne l'est pas, et
l'administration doit être sanctionnée. Cette position de principe est très honorable sur le plan ... des
principes, mais elle comporte un redoutable inconvénient : étant donné que - et c'est l'expérience qui
l'enseigne - que la règle n'est pas toujours respectée parce qu'elle ne peut pas toujours l'être, pour
les tenants du respect des principes, dans ces cas on « ferme les yeux », on ne veut pas voir ce qui
en dehors du droit. Dans un certain nombre de pays la théorie des circonstances exceptionnelles
n'existe pas, lorsque l'on se trouve dans des circonstances où le droit ne peut plus être respecté il n'y
a tout simplement plus de droit, l'administration fait ce qu'elle veut. La position du juge français est
toute autre, elle consiste en quelque sorte à sauver ce qui peut l'être : mieux vaut un respect atténué
du droit que pas de respect du tout. Cette jurisprudence consistant à tenir compte des réalités en
acceptant une atténuation des règles de droit, plutôt qu'à tenir à n'importe quel prix (y compris celui
de l'absence totale de règle) le respect des principes, est à approuver, car c'est une position humble
en même temps que réaliste.
C'est naturellement en temps de guerre que le juge a été amené à consacrer ce qui, ultérieurement,
a été théorisé sous l'expression de circonstances qu'il n'avait pas eu droit à la communication de
son dossier, rendue obligatoire par la loi du 22 avril 1905 (que l'on retrouvera plus loin). Le Conseil
d'Etat a rejeté le recours en se fondant sur l'idée que le « principe de la continuité des services
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publics comportait des exigences exceptionnelles en temps de guerre, justifiant une extension
exceptionnelle des pouvoirs du Gouvernement et de l'administration » (CE 28 juin 1918, Heyriès,
Rec. p. 651, S. 1922 p. 49, note Hauriou).
L'affaire suivante est encore plus étonnante. Durant la Première guerre mondiale lorsque la
marine était à quai, les militaires se rendaient dans les bars de la ville. Ces derniers étaient
également fréquentés par d'autres personnes, des péripatéticiennes, qui attendaient les clients. Le
commandement estima que des informations confidentielles pouvaient être donnée aux Allemands
par l'intermédiaire de ces dames (que l'on qualifiait aussi de « petite vertu ») et limita le déplacement
de ces dernières. Deux d'entre elles intentèrent un recours contre la mesure dont elles faisaient
l'objet. Leur requête fut jugée recevable, ce qui était déjà remarquable car les intéressées firent leur
recours en tant que « dames galantes », intérêt juridique qui serait douteux aujourd'hui (à l'époque
la prostitution était libre, il fallut attendre la loi dite « Marthe Richard », de 1946, pour que fussent
fermés les « maisons de tolérance », ce qui explique, en partie, la recevabilité du recours). Sur le
fond la demande fut rejetée en raison des circonstances exceptionnelles (Ce 28 fév. 1919, Dames
Dol et Laurent, Rec. p. 208).
B. Les circonstances qualifiées de circonstances exceptionnelles
La théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles peut s'appliquer à diverses situations
qui présentent toutes un point commun, celui de se traduire par des perturbations graves de la vie
sociale qui mettent en cause l'ordre au sens aristotélicien et thomiste du terme, l'ordre sans lequel
il ne peut y avoir de fonctionnement normal de la société.
Le premier type de circonstances est évidemment représenté par la guerre, qui est la plus grave
calamité que puisse connaître un pays. Les affaires citées précédemment sont intervenues en temps
de guerre et la jurisprudence élaborée durant la guerre de 1914-1918 a été confirmée durant la
seconde guerre mondiale, en particulier à propos des troubles qui ont eu lieu durant la période qui
a suivi la fin de la guerre, le retour à l'ordre ayant été progressif (TC 27 mars 1952, Dame de la
Murette, RDP 1952 p. 757, note M. Waline).
En dehors de la guerre la théorie des circonstances exceptionnelles a été appliquée par le juge
à d'autres situations telles que, par exemple, des menaces de grève générale (CE 18 avr. 1947,
Jarrigion, Rec. p. 148, S. 1948, III, p. 33) ; il faut préciser que ces menaces de grève avaient lieu
en 1938, date à laquelle les tensions internationales étaient extrêmement fortes et où, pour contrer
l'Allemagne nazie, tout arrêt de travail pouvait avoir de graves conséquences. En revanche il faut
relever que le juge administratif a toujours refusé de considérer ce que l'on appelle les « événements
» de 1968 de circonstances exceptionnelles, malgré la paralysie du pays entraînée par une grève
générale (CE Ass. 12 juill. 1969, Chambre de commerce et d'industrie de Saint-Etienne, AJDA 1969,
p. 553, chron. Dewost et Denoix de Saint-Marc), se contentant de les qualifier de « circonstances
particulières ». Il est vrai que le contexte international ne présentait pas le caractère dramatique de
celui de 1938.
Les circonstances de la décolonisation ont également donné lieu à qualification de circonstances
exceptionnelles dans plusieurs régions du monde qui étaient alors colonies françaises : ce fut le cas
à propos de la situation en Indochine en 1951 et 1952 (CE 10 déc. 1954, Andréani), de la situation
à Madagascar en 1947 (CE Sect. 7 janv. 1955, Andriamiseza), la situation en Algérie en 1960 (CE
Sect. 15 oct. 1965, Union fédérale des magistrats et Sieur Reliquet).
Certains événements naturels présentant le caractère de calamité publique peuvent également
donner lieu à qualification de circonstances exceptionnelles : ce fut le cas à propos d'une éruption
volcanique en Guadeloupe, celle du volcan de la Soufrière (CE 18 mai 1983, Félix Rodes). On peut
penser que d'autres calamités publiques, qu'elles soient naturelles ou technologiques, donneraient
lieu, également, à application de la théorie des circonstances exceptionnelles (sur les calamités
publiques V. J.-M. Pontier, Les calamités publiques, Berger-Levrault 1980 et, du même auteur,
L’article 12 du Préambule de 1946, in Le Préambule de 1946, Dalloz 2001).
§2. Le régime juridique des circonstances exceptionnelles
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La théorie des circonstances exceptionnelles est une théorie jurisprudentielle, ce qui signifie que
l'appréciation de telles circonstances appartient au seul juge, et non à l'administration : ce n'est pas
parce que celle-ci prétend qu'elle se trouve face à des circonstances exceptionnelles que celles-ci
existent.
Le juge examine d'abord si les circonstances peuvent être effectivement qualifiées de circonstances
exceptionnelles, il délimite la période pouvant être celle des circonstances exceptionnelles, enfin
il vérifie que les mesures prises correspondaient bien aux nécessités de l'action administrative,
s'il n'aurait pas été possible de satisfaire la mission d'intérêt général par d'autres mesures. Si ces
conditions sont réunies, l'application de la théorie des circonstances exceptionnelles se traduit par
une double série de dérogations par rapport aux règles du temps normal.
A. Les dérogations aux règles
Une des dérogations les plus importantes est la dérogation aux règles de compétence. La
détermination des compétences respectives entre les autorités et entre les personnes est l'un des
principes les plus fondamentaux de l'organisation d'un Etat, c'est pourquoi dans le contentieux de
l'annulation l'incompétence est un moyen d'ordre public.
Il faut donc de très fortes raisons pour que le juge accepte des dérogations à ces règles de
compétences. Les circonstances exceptionnelles sont l'une de ces raisons.
Parmi les exemples de mesures considérées comme légales alors qu'elles seraient annulées pour
incompétence de leur auteur dans le cas de circonstances normales on peut citer, par exemple, le
non respect par une autorité des règles régissant les délégations de compétences (CE 1er
août 1919, Société des établissements Saupiquet, Rec. p. 713, CE 26 juin 1946, Viguier, Rec. p. 179)
ou, plus grave encore, l'empiètement par une autorité administrative sur le domaine de la loi
(CE Ass. 16 avr. 1948, Laugier, Rec. p. 161), ou, dans le cas de Heyriès, la suspension d'une loi.Une
autre série d'hypothèses est représentée par les situations dans lesquelles une personne privée
se substitue à l'autorité administrative défaillante sans avoir reçu aucune habilitation à cette
fin : c'est le cas de la personne qui perçoit des taxes parce qu'il n'y a plus d'autorité administrative
pour le faire (CE 7 janv. 1944, Lecocq), qui procède à des réquisitions de denrées alimentaires (CE 5
mars 1948, Marion). On voit bien dans ces cas, la justification de la reconnaissance par le juge d'une
légalité des temps de crises : c'est l'intérêt général qui est en cause, qui justifie de telles dérogations.
Les dérogations peuvent être également des dérogations aux règles de forme : tout acte
administratif doit respecter, pour son édiction, un certain nombre de règles de forme qui sont
protectrices des droits et libertés des administrés. Ces règles de forme sont représentées par les
formalités à accomplir pour l'édiction de l'acte. Ainsi, normalement, il ne peut y avoir de réquisition
sans l'accord des intéressés, en cas de circonstances exceptionnelles il est possible de se passer
de cet accord (CE 23 mars 1947, Crespin, Rec. p. 142). Ou encore, le renouvellement d'un maire
a pu avoir lieu légalement sans qu'aient été respectées les formalités prévues (à cette date) par la
loi du 5 avril 1884 (16 mai 1941, Courrent). Ou encore, et c'est de nouveau l'hypothèse d'Heyriès,
pouvait ne pas être respectée, compte tenu des circonstances, la loi du 5 avril 1905 (adoptée après
le « scandale des fiches ») sur la communication obligatoire du dossier avant le prononcé d'une
éventuelle sanction.
B. Circonstances exceptionnelles et voie de fait
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La voie de fait est une irrégularité très grave commise par une autorité administrative - le juge parle
d'une « mesure manifestement insusceptible d'être rattachée à l'exercice d'un pouvoir appartenant
à l'administration » - et qui porte atteinte, soit à une liberté fondamentale, soit au droit de propriété.
Compte tenu de l'atteinte qu'elle représente par rapport à l'ordre juridique la voie de fait est
sévèrement sanctionnée : n'importe quel juge (administratif ou judiciaire) peut constater la voie de
fait, et le juge judiciaire est seul compétent pour apprécier les conséquences de la voie de fait,
l'administration perdant, dans ce cas, son juge naturel.
En cas de circonstances exceptionnelles une voie de fait devient une « simple » (si l'on peut
dire) illégalité, le juge administratif étant alors seul compétent pour en connaître. C'est ainsi que
(hypothèse de l'affaire Dame de la Murette) une arrestation arbitraire décidée en 1944 sans mandat
judiciaire ni arrêté d'internement administratif, qui serait incontestablement une voie de fait en
période normale est analysée par le juge comme un acte administratif illégale dont les conséquences
indemnitaires relèvent du juge administratif, compte tenu des circonstances de l'époque (une période
de sortie de guerre très troublée, ainsi que nous l'avons vu plus haut). Il en est également ainsi d'un
emprisonnement effectué en dehors de toute intervention d'un juge (CE 19 fév. 1947, Bosquain).
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Section 4. Les situations exceptionnelles prévues par le
constituant et le législateur
L'idée selon laquelle il convient de faciliter l'action de l'administration parce que l'on se trouve dans
une situation exceptionnelle n'est pas propre au juge : les autorités publiques ont cherché très tôt
à instituer des règles - naturellement dérogatoires - pour les temps de crise. Ces règles se sont
traduites par des lois et également par une disposition constitutionnelle.
§1. Les législations du temps de crise
Les législations prévues pour le temps de crise recouvrent en France deux régimes, dénommés,
pour l'un état de siège et pour l'autre état d'urgence.
A. L'état de siège
L'état de siège est mentionné par l'article 36 de la Constitution mais est régi par des lois, dont
certaines anciennes, la première loi en la matière étant sans doute la loi du 8 août 1849, adoptée
après des troubles dans le pays, qui a fait l'objet de plusieurs modifications au fil du temps,
notamment par une loi du 3 avril 1878, puis une loi du 27 avril 1916 et, plus récemment, une loi du
16 décembre 1962.
Selon l'article 36 alinéa 1er de la Constitution l'état de siège est « décrété en Conseil des ministres
», son déclenchement relève donc de la compétence du gouvernement. En revanche, et toujours
selon le même article (alinéa 2), sa prorogation au-delà de douze jours « ne peut être autorisée
que par le Parlement ».
La mise en vigueur de l'état de siège se traduit par trois mesures principales.
•
En premier lieu, l'état de siège produit un certain transfert des pouvoirs de l'autorité civile
à l'autorité militaire. On peut dire un certain transfert, car les pouvoirs autres que ceux
nommément désignés comme faisant partie du transfert demeurent à l'autorité civile. Le
transfert de pouvoir est donc à géométrie variable.
•
En deuxième lieu, l'autorité militaire se voit confier d'importants pouvoirs de police que ne
possède pas une autorité civile : pouvoir de perquisition de jour comme de nuit au domicile
des particuliers, pouvoir d'éloignement de toutes les personnes qui n'ont pas leur domicile dans
la zone soumise à l'état de siège, pouvoir d'ordonner la remise des armes et des munitions,
pouvoir d'interdire les réunions et les publications jugées susceptibles de causer des désordres.
•
En troisième lieu, un transfert de compétence se produit au profit des juridictions militaires, qui
deviennent compétentes pour un certain nombre de crimes et de délits de droit commun qui
relèvent, en temps normal, des juridictions ordinaires.
Ce régime est déjà strict et comporte de nombreuses atteintes aux libertés, certains auteurs
considèrent que le régime de l'état d'urgence est encore plus dangereux pour les libertés.
B. Le régime de l'état d'urgence
1. Définition de l'état d'urgence
Le régime de l'état d'urgence présente trois caractéristiques propres. C'est tout d'abord un régime
purement législatif, à la différence de l'état d'urgence et des circonstances exceptionnelles de
l'article 16. C'est ensuite un régime de circonstances, en ce sens que ce régime résulte de lois de
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circonstances. En d'autres termes il est fait de réactions immédiates du législateur à des situations
de crise (en particulier, pour la première loi, celle du 3 avril 1955, la crise de la « guerre d'Algérie
» qui commençait), ce qui n'est guère une garantie de cohérence et de respect des principes
démocratiques. Enfin, c'est un régime dont la définition demeure assez floue, pouvant être mis en
oeuvre, sur tout ou partie du territoire, « soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à
l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de
calamité publique ». Aucune des deux hypothèses retenues n'est définie dans un texte, ce qui laisse
une marge de manoeuvre considérable aux pouvoirs publics.
L'état d'urgence est, comme l'état de siège, décrété en Conseil des ministres et sa prorogation audelà de douze jours ne peut être autorisée que par une loi. La comparaison avec l'état de siège
s'arrête là.
On distingue deux degrés dans l'état d'urgence.
•
•
Le stade « normal » (ce qui est une façon de parler puisque, précisément, et par définition,
on ne se trouve pas dans une situation normale) emporte une très importante extension
des pouvoirs de police, mais au profit d'autorités civiles, ce qui pourrait paraître, a
priori, plus rassurant que le transfert de pouvoirs à l'autorité militaire et en fait ne l'est pas.
En effet cette extension profite, en fonction de ce qui a été décidé, soit au préfet, soit
au ministre de l'intérieur. Les mesures que peuvent prendre ces autorités consistent en
possibilité d'interdiction de circulation des personnes et des véhicules et en la création de «
zones de sécurité » dans lesquelles le séjour est réglementé, de fermeture provisoire des salles
de spectacles, débits de boissons et de tout autre lieu de réunion, l'interdiction de réunions
de nature à provoquer le désordre. Le ministre de l'intérieur peut prononcer des assignations
à résidence de toute personne dangereuse pour l'ordre public, la loi précisant cependant que
« en aucun cas, l'assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où
seraient détenues les personnes ».
Un second stade est possible, si le décret mettant en vigueur l'état d'urgence le précise
expressément, dans lequel les autorités administratives précitées peuvent disposer du
pouvoir d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit, de contrôler les
publications, la radio, le cinéma et le théâtre (la télévision n'est pas visée, cela s'explique
simplement par le fait que le législateur de 1955 n'a pas du tout envisagé l'importance
qu'elle prendrait dans l'avenir ...). Le décret peut également transférer la compétence des
juridictions répressives aux tribunaux militaires, mais cela supposerait de remettre ces
derniers en place, puisqu'ils ont été supprimés en temps de paix.
2. L'état d'urgence de 2005
Sur le fondement des dispositions précitées de la loi du 3 avril 1955, et afin de répondre aux violences
urbaines constatées depuis le 27 octobre 2005 dans plusieurs centaines de communes, le décret
n° 2005-1386 du 8 novembre 2005, délibéré en conseil des ministres et signé du président de la
République, a déclaré l'état d'urgence sur le territoire métropolitain à compter du 9 novembre. Ce
décret précisait que l'état d'urgence emportait pour sa durée l'application du 1° de la loi du 3 avril 1955
(c'est-à-dire l'état d'urgence aggravé) conférant à l'autorité administrative le pouvoir d'ordonner des
perquisitions de jour et de nuit. Le décret n° 2005-1387, du même jour que le précédent, prévoyait que
peuvent être mises en oeuvre, dans les zones dont la liste lui était annexée, des mesures relatives
à l'assignation à résidence de certaines personnes, à la police des réunions et des lieux public, et
au pouvoir d'ordonner la remise de certaines armes. La loi n° 2005-1425 a prorogé l'état d'urgence
pour une durée de trois mois, et a autorisé le gouvernement à mettre fin à l'état d'urgence par décret
en Conseil des ministres avant l'expiration de ce délai.
Les décrets en question ont fait l'objet de recours devant le Conseil d'Etat. Celui-ci s'est déclaré
compétent, excluant la nature d'acte de gouvernement pour le décret déclarant l'état d'urgence. Il a
estimé que la loi prorogeant l'état d'urgence ne comportait pas de dispositions incompatibles avec la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que,
compte tenu des caractéristiques de la loi du 3 avril 1955, la loi prorogeant l'état d'urgence ratifiait la
décision prise par décret de déclarer l'état d'urgence, la légalité des dispositions de ce dernier n'étant
plus susceptible d'être discutée par la voie contentieuse dès lors que le législateur était intervenu.
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Le juge a vérifié que les mesures prévues par le décret portant application de l'état d'urgence étaient
légalement justifiées par les troubles à l'ordre public constatés : il a considéré que l'article 7 de la
loi du 3 avril 1955 avait institué des garanties particulières notamment au bénéfice des personnes
faisant l'objet d'une assignation à résidence, un recours gracieux pouvant être formé à l'encontre
d'une telle mesure devant une commission départementale où siègent des représentants du conseil
général, et le juge administratif devant, en application de la loi de 1955, se prononcer à bref délai.
Il a également jugé que le décret attaqué avait pour fondement une loi dont il n'appartenait pas au
Conseil d'Etat statuant au contentieux d'apprécier la constitutionnalité et que, eu égard tout à la fois
à la situation de violence urbaine qui prévalait en France à la date de ce décret, à la circonstance que
les mesures d'assignation à résidence étaient limitées aussi bien dans le temps que dans l'espace
et faisaient l'objet d'un contrôle en ce qui concerne leur mise en oeuvre, la mise en application, dans
les zones déterminées par le décret, de l'état d'urgence était légalement justifiée et que le décret
instituant l'état d'urgence n'avait pas été pris en contradiction avec les stipulations de l'article 15 de
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Etat de siège
Etat d'urgence
L'état de siège est mentionné par l'article 36
de la Constitution mais est régi par des lois,
dont certaines anciennes, la première loi en la
matière étant sans doute la loi du 8 août 1849,
adoptée après des troubles dans le pays, qui
a fait l'objet de plusieurs modifications au fil
du temps, notamment par une loi du 3 avril
1878, puis une loi du 27 avril 1916 et, plus
récemment, une loi du 16 décembre 1962.
C'est un régime purement législatif mais
aussi un régime de circonstances, en ce
sens que ce régime résulte de lois de
circonstances.En d'autres termes il est fait
de réactions immédiates du législateur à des
situations de crise (en particulier, pour la
première loi, celle du 3 avril 1955, la crise de
la « guerre d'Algérie » qui commençait), ce qui
n'est guère une garantie de cohérence et de
respect des principes démocratiques.
Il se traduit par trois mesures principales :
On distingue deux stades :
•
•
•
un certain transfert des pouvoirs de
l'autorité civile à l'autorité militaire.
l'autorité militaire se voit confier
d'importants pouvoirs de police que ne
possède pas une autorité civile
un transfert de compétence se produit
au profit des juridictions militaires, qui
deviennent compétentes pour un certain
nombre de crimes et de délits de droit
commun
•
•
Le stade « normal » emporte une très
importante extension des pouvoirs de
police, mais au profit d'autorités civiles
Un second stade est possible, si
le décret mettant en vigueur l'état
d'urgence le précise expressément,
dans lequel les autorités administratives
précitées peuvent disposer du pouvoir
d'ordonner des perquisitions à domicile
de jour et de nuit, de contrôler les
publications, la radio, le cinéma et le
théâtre...
§2. L'article 16 de la Constitution
Bien que relevant de l'étude du droit constitutionnel, l'article 16 mérite un rapide aperçu, car il entre
dans le cadre de « circonstances exceptionnelles », il en est, d'une certaine manière, une sorte de
constitutionnalisation partielle.
A. L'hypothèse de l'article 16
L'article 16 de la Constitution prévoit un régime juridique particulier qui est un régime de confusion
(provisoire) des pouvoirs au profit du Président de la République.
Celui-ci dispose, en vertu de cet article, des pouvoirs les plus étendus, qui sont à la fois des pouvoirs
réglementaires mais aussi le pouvoir législatif.
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L'article 16 édicte deux conditions pour que l'article 16 puisse être mis en vigueur.
•
•
La première condition se décompose en quatre branches : il faut qu'il existe une menace «
grave et immédiate » contre,
• soit les institutions de la République,
• soit l'indépendance de la Nation,
• soit l'intégrité de son territoire,
• soit enfin l'exécution de ses engagements internationaux.
La seconde condition est que le « fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels
» soit interrompu. De nombreux commentaires pourraient être faits sur chacune de ces
conditions, tel n'est pas l'objet de ce développement, on renvoie pour cela aux manuels de droit
constitutionnel.
Lorsque ces conditions sont réunies, et que l'article 16 est en vigueur, le président de la République
prend les « mesures » exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier
ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. Le président en
informe la Nation par un message.
L'article 16 ajoute que : « Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs
publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil
constitutionnel est consulté à leur sujet ».
Les dispositions de l'article 16 soulèvent d'innombrables questions sur le plan juridique, auxquelles
leur mise en oeuvre en 1961 n'a pas permis d'apporter toutes les réponses. Sur le plan politique
l'article 16 a évidemment soulevé de véhémentes critiques. Remarquons seulement que l'un de
ceux qui furent les plus critiques à l'égard de l'article 16, F. Mitterrand, n'a jamais cherché, devenu
président de la République, à supprimer cette disposition.
Toutefois, il est apparu souhaitable d'apporter une précision au régime juridique de l'article 16. La
loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République, du 23 juillet 2008, a
ajouté un alinéa à l'article 16: après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil
constitutionnel peut être saisi par le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat,
soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier
alinéa de l'article 16 demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis
public. Il procède de plein droit à tout examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme
de soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée.
B. Le régime de l'article 16
Lors de la mise en oeuvre de l'article 16, en 1961, le Conseil d'Etat a été saisi de recours contre
des « mesures » prises par le président de la République au titre de l'article 16. La décision qu'il a
rendue, en 1962 (CE Ass. 2 mars 1962, Rubin de Servens, RDP 1962, p. 294, concl. Henry), n'est
pas exempte de toute critique. Le Conseil d'Etat s'est déclaré compétent, ce qui n'allait pas de soi,
sa décision comporte les enseignements suivants.
La décision de mise en vigueur de l'article 16 constitue un acte de gouvernement, qui échappe de
ce fait au contrôle du juge. Il en est de même de la décision mettant fin à l'application de l'article
16. Quant aux « mesures » prises par le président de la République sur le fondement de l'article
16, le juge a opéré une curieuse distinction selon le domaine sur lequel elles portent : les mesures
prises en vertu de l'article 16 qui, en temps normal, relèveraient de la compétence du législateur
(en simplifiant, les matières de l'article 34) sont insusceptibles de faire l'objet d'un contrôle de la
part du juge administratif, en revanche celles qui, en temps normal, relèvent de la compétence du
pouvoir réglementaire peuvent être contrôlées par le juge.
Il faut relever enfin que les différents régimes juridiques relatifs aux circonstances exceptionnelles
peuvent se superposer, mais que, dans ce cas, chacun d'eux produit ses effets propres, il et
appartient alors au juge de vérifier, pour en apprécier la légalité, à quel titre une décision a été
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prise c'est-à-dire de quel régime de circonstances exceptionnelles elle relève (CE Ass. 23 oct. 1964,
d'Oriano).
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Cours : L’action administrative
Auteur : Jean-Marie Pontier
Leçon n° 4 : La notion de service public
Table des matières
Section 1. Introduction.............................................................................................................................p. 2
Section 2. Une notion évolutive..............................................................................................................p. 3
§ 1. Le caractère évolutif des composantes du service public.................................................................................... p. 3
A. La potentialité d'extension du fait des composantes du service public......................................................................................... p. 3
1. La définition organique du service public................................................................................................................................................................... p. 3
2. La définition matérielle : l'intérêt général.................................................................................................................................................................... p. 4
B. La consécration jurisprudentielle du service public....................................................................................................................... p. 6
1. Les origines jurisprudentielles du service public : la décision Blanco........................................................................................................................ p. 6
2. La confirmation de la solution Blanco.........................................................................................................................................................................p. 7
§ 2. L'extension de l'aptitude à créer ou gérer un service public................................................................................ p. 7
A. L'aptitude des collectivités territoriales à créer ou gérer un service public....................................................................................p. 7
1. Les textes légaux et réglementaires........................................................................................................................................................................... p. 8
2. La jurisprudence du Conseil d'État............................................................................................................................................................................. p. 9
B. Le service public et les personnes privées................................................................................................................................. p. 10
1. La problématique du service public et des personnes privées................................................................................................................................ p. 10
2. La reconnaissance par le juge de l'aptitude des personnes privées à gérer un service public................................................................................p. 11
Section 3. Les interrogations juridiques soulevées par le service public........................................ p. 12
§ 1. La question des critères du service public......................................................................................................... p. 12
A. Le consensus sur certains critères.............................................................................................................................................. p. 12
1. Les critères qui font l'unanimité................................................................................................................................................................................ p. 12
2. La décision Narcy......................................................................................................................................................................................................p. 13
B. La question des prérogatives de puissance publique..................................................................................................................p. 13
§ 2. La question des catégories de services publics................................................................................................. p. 14
A. La dualité de catégories de services publics...............................................................................................................................p. 14
1. La catégorie des services publics administratifs (SPA) et la catégorie des services publics à caractère industriel et commercial (SPIC)............... p. 14
2. L'absence d'autres catégories juridiques de services publics.................................................................................................................................. p. 15
B. La détermination de la catégorie d'appartenance........................................................................................................................p. 17
1. Les qualifications a priori.......................................................................................................................................................................................... p. 17
2. La qualification jurisprudentielle................................................................................................................................................................................ p. 17
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Section 1. Introduction
La notion de service public est, pourrait-on dire, une des « notions phares » du droit administratif
en ce sens que le droit administratif tient largement son importance, l'écho qu'il a pu rencontrer en
France et dans d'autres pays, de cette notion de service public. Sans doute, le droit administratif
français ne se réduit pas au service public, loin de là, mais le service public occupe une place
considérable dans ce droit.
Au fond, le service public a été un facteur de légitimation du droit administratif, c'est par le service
public que le droit administratif a dépassé le cercle du juge et des juristes. Le service public a diffusé
dans l'opinion publique, il est devenu un élément du débat public. On pourrait même se demander
si le service public n'est pas devenu un des éléments de ce que l'on appelle « l'identité française ».
Le droit administratif est d'abord le droit de l'action administrative, et le service public est
l'un des procédés de l'action de l'administration. Il en existe d'autres, que l'on examinera dans
d'autres chapitres, mais le procédé du service public est celui qui a connu le développement le plus
remarquable, peut-être parce qu'il correspondait le mieux à « l'esprit français » et à la tendance plus
que séculaire à l'interventionnisme de l'État
Le service public passe par des moments d'engouement et par des phases de désintérêt. Nous
sommes plutôt, aujourd'hui, dans un moment de "désenchantement" à l'égard du service public, du
fait de l'évolution du système économique et social pas seulement national mais mondial, ce qui
explique le succès, à l'inverse, de notions telles que le contrat. Mais le service public demeure dans
le système français une notin clé de l'intervention publique.
La notion de service public n'est pas une notion qui aurait été inventée un jour et dont la définition
serait fixée définitivement. C'est une notion évolutive, ce qui explique que des interrogations
accompagnent en permanence le service public.
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Section 2. Une notion évolutive
Une double évolution a caractérisé l'histoire du service public.
La première de ces évolutions concerne les caractéristiques que l'on attribue au service public. La
seconde évolution est relative à l'aptitude des personnes à prendre en charge un service public.
§ 1. Le caractère évolutif des composantes du service public
Lorsque Hauriou déclarait, dans une formule célèbre maintes fois reprise, « on nous change notre
État », il pensait d'abord aux services publics. De fait, le service public a connu une expansion
spectaculaire, il a occupé une place de plus en plus importante au sein du droit administratif, ce
que montrent les potentialités d'extension des critères et la diversité des objets qui en a résulté.
A. La potentialité d'extension du fait des composantes du service public
Le service public recélait, dès ses origines, une grande potentialité d'extension en raison de la double
définition qui a été retenue du service public et, plus encore peut-être, de sa finalité qui peut justifier
que de nombreuses activités puissent être qualifiées de service public.
1. La définition organique du service public
Traditionnellement, on fait valoir que le service public peut se définir à partir d'un double pôle, le pôle
organique et le pôle matériel.
Le pôle organique, improprement appelé critère organique, est le plus simple à définir, il fait
référence aux institutions, aux structures qui assurent une activité, ainsi que les agents qui animent
ces structures. Parler de services publics, c'est donc parler avant tout des services des personnes
publiques qui assurent un certain nombre de missions.
Les personnes publiques sont d'abord représentées, dans notre pays, par l'État, qui est la personne
publique par excellence. L'État dispose de services centraux, très développés en France et qui
présentent une « visibilité » largement voulue car elle exprime cette présence de l'État (il suffit de
penser, par exemple, au ministère des finances, l'un des plus importants ministères, et l'habitude
a été prise de parler de « Bercy » : Bercy est le lieu, le bâtiment, que l'on ne peut pas ne pas
voir, où siège ce ministère). L'État dispose également de services à l'échelon local. Ce sont
des services que l'on a appelés, jusqu'en 1992, « services extérieurs » (formule significative de la
centralisation française : ce qui est extérieur, c'est ce qui est en dehors du cercle où se prennent
les décisions) et qui, depuis cette date, sont appelés plus justement ' services déconcentrés, ces
services déconcentrés pouvant être établis - choix premier et toujours de principe - à l'échelon
départemental (ex. les services de l'architecture) ou à l'échelon régional (ex. les directions régionales
de l'action culturelle, DRAC) ou bien encore aux deux échelons : c'est le cas, par exemple, de
services importants tels que les services sociaux (directions départementales de l'action sanitaire et
sociale (DDASS) et directions régionales de l'action sanitaire et sociale (DRASS).
Les personnes publiques sont représentées également par les collectivités territoriales avec,
principalement (mais il en existe d'autres) les communes, les départements et les régions. Toutes
ces collectivités disposent de services qui se sont considérablement accrus avec le développement
de la décentralisation et elles ont cherché, elles aussi, à se donner une plus grande visibilité,
notamment avec la création d'imposants « hôtel du département » et « hôtel de la région ». Le
transfert de certaines compétences de l'État aux collectivités territoriales s'est accompagné du
transfert d'un certain nombre de services.
Il faut noter que le seul fait qu’une collectivité territoriale intervienne n’implique pas automatiquement
la qualification de service public. Ainsi, dans le cas où une commune avait créé un festival de
musique de variétés, qui avait connu un succès croissant au point de devenir un événement majeur
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de la politique culturelle et touristique de la commune et de contribuer à sa renommée, et qu’après
avoir géré pendant dix ans ce festival la commune avait entendu en confier l’organisation et la
gestion à un professionnel du spectacle, la question s’est posée de savoir quelle était la nature de
la convention passée par la commune, nature qui dépendait de la qualification donnée à l’activité.
Le juge s’est prononcé finalement en faveur de la nature de service public, mais non sans avoir
hésité (V. le commentaire de J.-M. Pontier, Festival, service public et délégation de service public,
note sous CAA Marseille 17 juin 2010, Commune de Six-Fours-les-plages, JCP A 8 novembre 2010,
p. 2335).Toutefois, dans cette affaire de festival le Conseil d'Etat, en cassation, a considéré, de
manière critiquable, qu'il n'y avait pas service public mais marché public de service (CE 23 mai 2011,
Commune de Six-Fours-les-Plages, req. n° 345520; V. sur cette affaire J.-M. Pontier, Réflexions
discursives sur une catégorie juridique spéculative: les services publics culturels, in Les services
publics culturels, PUAM 2012 p. 9 et s., p. 146 et s.).
Pour faire fonctionner ces services, les personnes publiques disposent d'agents, qui ont souvent le
statut d'agents publics. La plupart de ces agents publics sont des fonctionnaires, et l'on distingue
trois fonctions publiques : la fonction publique de l'État, la fonction publique territoriale et la fonction
publique hospitalière. L'ensemble de ces trois fonctions publiques représente plus de 5 millions de
personnes, ce qui fait de la France le pays développé qui, à proportion de sa population, compte
le plus de fonctionnaires.
Il faut se souvenir aussi que, tant à l'échelon de l'État qu'à l'échelon des collectivités territoriales, un
service peut ou non être personnalisé, c'est-à-dire recevoir ou non la personnalité juridique.
La plupart des services n'ont pas la personnalité juridique, les décisions qu'ils prennent le sont au
nom de la collectivité dont ils relèvent : un service d'urbanisme, un service des ponts et chaussées,
etc., relèvent, selon les cas, de la commune ou de l'État, un service social relève du département,
de la commune ou de l'État. Lorsqu'un service est personnalisé, c'est-à-dire qu'il est doté de la
personnalité morale, on dit qu'il s'agit d'un établissement public : le Centre communal d'action sociale
(CCAS, anciennement appelé Bureau d'aide sociale), un hôpital, sont des établissements publics.
Ces établissements publics peuvent être communaux (cas de l'hôpital, un musée peut également
être un établissement public) départementaux (l'exemple le plus important est celui des collèges) ou
régionaux (le meilleur exemple est celui des lycées).
2. La définition matérielle : l'intérêt général
Un service public est une activité qui est assurée dans un intérêt général. Celui-ci appelle quelques
précisions, car c'est une notion qui peut paraître relativement vague.
•
En premier lieu, les personnes publiques, l'État au premier chef, mais également les autres
personnes publiques, sont finalisées, en ce sens qu'elles doivent poursuivre l'intérêt
général, qu'elles ne peuvent que poursuivre l'intérêt général. Le moyen du détournement de
pouvoir, dans le contentieux, est destiné à sanctionner la personne publique qui ne poursuivrait
pas l'intérêt général. De plus, il ne peut pas s'agir de n'importe quel intérêt général : une
personne publique est sanctionnée si elle ne poursuit que son intérêt financier, alors que cet
intérêt financier n'est évidemment pas celui de personnes particulières, mais de la collectivité.
•
En deuxième lieu, la terminologie utilisée peut varier, et il ne faut pas accorder plus
d'importance qu'elles n'en ont à ces variations. La Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen parlait de « l'utilité commune » qu'elle opposait à « l'utilité particulière ». L'utilité
commune c'est évidemment l'intérêt général. Dans certains domaines, on parle aujourd'hui
de « l'utilité publique ». C'est notamment le cas lorsque, dans le cadre d'une procédure
d'expropriation, intervient (obligatoirement) ce qui est appelé déclaration d'utilité publique
(DUP). L'utilité publique, c'est un intérêt général, mais appliqué à un domaine spécifique, celui
de l'expropriation (que les textes appellent précisément « expropriation pour cause d'utilité
publique »). On parle également d' « intérêt public ». Le recours à la formule « intérêt public
» permet de différencier plusieurs sortes d'intérêts publics. Il y a un intérêt public national et
un intérêt public local. L'intérêt public local est celui qui est poursuivi par la collectivité publique
locale (commune, département, région, etc.). L'intérêt public local est un intérêt général mais
on comprend facilement que puisse et même que doive exister une hiérarchie entre ces intérêts
publics : normalement (et sauf circonstances particulières) l'intérêt public national doit l'emporter
sur l'intérêt public local.
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•
En troisième lieu, on comprendra assez aisément que, lorsque l'on parle d'intérêt général, on
ne se trouve pas uniquement, et peut-être pas d'abord, sur le terrain juridique. Car l'intérêt
général est d'abord celui qui est défini par les gouvernants désignés démocratiquement
par la Nation. Les conceptions politiques peuvent être différentes, il est souhaitable qu'elles
le soient, l'unanimité est toujours dangereuse car fausse ou faussée. Cela signifie que,
selon les idéologies, l'intérêt général peut être compris et défini de manière plus ou moins
compréhensive, c'est-à-dire de manière plus ou moins large. En d'autres termes certaines
idéologies sont plus interventionnistes que d'autres, notamment dans le domaine économique.
Il est légitime que, en fonction de leur idéologie, les dirigeants donnent un contenu variable à
l'intérêt général. Cela ne veut pas dire qu'ils peuvent faire n'importe quoi. Les dirigeants doivent
respecter certains principes, et nous l'avons vu précédemment avec, par exemple, les principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République. Il faut également tenir compte, à côté
de l'idéologie, du facteur temps : ce qui est d'intérêt général à un moment donné peut ne
plus l'être quelques décennies ou un siècle après. Cela explique que des services publics
peuvent disparaître. Le meilleur exemple sans doute est celui des cultes : les cultes furent un
service public (ils furent reconnus comme tels par le concordat de 1801), ils ne le sont plus
depuis la loi de séparation des Églises et de l'État du 9 décembre 1905 (ainsi qu'on le sait, pour
des raisons historiques, la séparation n'existe pas sur plusieurs parties du territoire français
et, s'agissant du territoire métropolitain, elle ne s'applique pas dans les deux départements
d'Alsace et dans le département de la Moselle, les ministres du culte des trois cultes reconnus
étant, non de véritables agents publics, mais rémunérés par l'État). On pourrait également citer
la disparition du service public des lavoirs publics (où les femmes allaient laver le linge, ces
lavoirs subsistent encore dans de nombreuses communes)
Il est encore plus facile de comprendre et d'admettre que ce qui n'était pas service public peut le
devenir parce que les dirigeants, mais aussi l'opinion publique, considèrent qu'il doit en être
ainsi. Un signe, parmi d'autres, en est l'augmentation du nombre de ministères : en 1791, on comptait
six ministères (le ministère de l'intérieur, le ministère de la justice, le ministère du trésor, le ministère
des relations extérieures, le ministère de la guerre et, à mettre à part car correspondant à des facteurs
historiques, le ministère de la marine), aujourd'hui on compte, selon les gouvernements, entre
quarante et cinquante départements ministériels. Et certes tous les ministères ne correspondent pas
à un service public déterminé, mais il est encore plus vrai de constater qu'il existe de nombreux
services publics qui ne correspondent (évidemment) pas à un ministère (ex. il existe un service public
de l'équarrissage, on imagine mal qu'il puisse donner lieu à un département ministériel...).
L'intérêt général est donc une notion politique au sens le plus noble du terme, l'organisation de la
vie des hommes vivant dans la Cité (polis), et cela est tout à fait normal. Cependant, il convient
de ne pas faire de confusion entre les considérations purement politiques et les considérations
juridiques : ce n'est pas parce que quelque chose est qualifié de « public » que pour autant il
y a intérêt général et service public. Par ailleurs certains éprouvent aujourd’hui des doutes sur
l’existence ou la possibilité d’identifier l’intérêt général, qui a parfois tendance à se dissoudre, tout
en demeurant une irremplaçable référence (V. J.-M. Pontier, L’intérêt général existe-t-il encore ?,
Rec. Dalloz 8 octobre 1998, p. 327).
L'exemple des entreprises publiques le montre bien. Pour des raisons qui tiennent aussi bien à
l'histoire (les manufactures d'Ancien Régime dont a hérité la République, les entreprises allemandes
revenant à la France en 1918 au titre des réparations) que, surtout, à la politique (avec les trois
vagues de nationalisations que nous avons connues), l'État français a été, et demeure en partie,
propriétaire d'entreprises publiques, et les collectivités territoriales ont pu également l'être dans
une moindre mesure (quelques-unes le demeurent avec des entreprises de production d'électricité
et de gaz). Mais il n'y a aucune conjonction obligée entre l'entreprise publique et le service public.
Une entreprise publique peut certes gérer un service public (la SNCF est une entreprise publique
qui gère, en partie, un service public), mais la plupart des entreprises publiques ne gèrent pas
de service public.
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Exemple
L'exemple le plus caricatural a été Renault : l'entreprise a été nationalisée à la Libération et fut même
qualifiée, un temps, de « régie nationale des usines Renault » ce qui était un non sens puisque
Renault n'a jamais été une régie ; l'entreprise n'a jamais été, non plus, un service public et, quelle
que soit l'extension que l'on veuille éventuellement donner au service public, on ne peut considérer
que la fabrication de véhicules (sauf, peut-être, certains véhicules de l'armée tels que avions de
chasse, sous-marins nucléaires, etc.) puisse être un service public.
Tout ceci est source de confusion. L'entreprise publique est plus une notion économique qu'une
notion juridique, l'expression désigne seulement la propriété par une personne publique, sans que
cela entraîne aucune conséquence obligatoire, toutes les hypothèses étant possibles.
B. La consécration jurisprudentielle du service public
Si, aujourd'hui, le thème du service public a dépassé le cercle du droit pour devenir un thème
de société, la notion de service public est d'abord une notion juridique, une notion inventée et
développée par le juge.
1. Les origines jurisprudentielles du service public : la décision Blanco
De petits événements qui, à l'échelle d'une nation, n'ont guère d'importance, peuvent être à l'origine
de grands mouvements ou de grandes décisions. C'est ce qui s'est produit dans l'affaire Blanco :
une fillette, Agnès Blanco, est renversée par un wagonnet d'une manufacture de tabacs. L'affaire
se présente comme une banale affaire de responsabilité. Mais voilà que devant le tribunal saisi, le
préfet décide d'élever le conflit (on verra dans un autre chapitre que, dans le cadre du conflit positif,
le préfet peut saisir le Tribunal des conflits pour faire dire à ce dernier quel est le juge compétent).
Le Tribunal des conflits va rendre une décision (on ne parle pas d'arrêts pour le Tribunal des conflits,
mais de décisions) extrêmement importante pour la suite. L'idée de service public avait déjà été
utilisée auparavant, mais c'est dans la décision Blanco que toutes les conséquences juridiques en
sont tirées.
Dans ce que l'on appelle un « considérant de principe », le Tribunal des conflits déclare : « la
responsabilité, qui peut incomber à l'État pour les dommages causés aux particuliers par le
fait des personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui
sont établis dans le code civil pour les rapports de particulier à particulier ». Il ajoute, ce qui
est capital : « cette responsabilité n'est ni générale ni absolue ; (...) elle a ses règles spéciales
qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'État avec
les droits privés » (TC 8 févr. 1873, Blanco, Rec. 1er suppl. p. 61, concl. David).
La formulation du Tribunal des conflits est tout à fait remarquable, et parfaitement claire. Le Tribunal
des conflits écarte la compétence des juridictions judiciaires pour se prononcer sur des
litiges relatifs aux services publics. Le commissaire du gouvernement David déclarait, dans ses
conclusions sur cette décision, que les tribunaux judiciaires « sont radicalement incompétents pour
connaître de toutes les demandes formées contre l'administration à raison des services publics, quel
que soit leur objet ».
L'affirmation de l'incompétence des juridictions judiciaires pour connaître de tout ce qui est relatif
aux services publics a une conséquence très importante : le service public va devenir le critère de
la compétence de la juridiction administrative, autrement dit le service public va devenir le critère de
l'application du droit administratif. Le droit administratif n'est plus seulement le droit applicable aux
services publics, ou à certains services publics, c'est le droit du service public, celui-ci déterminant
celui-là.
On comprend ainsi toute l'importance de la décision Blanco.
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2. La confirmation de la solution Blanco
Une jurisprudence, due cette fois au Conseil d'État, va reprendre et conforter la solution apportée
par la décision Blanco et sera à la source d'un approfondissement et d'un enrichissement constant
de la notion de service public. Parmi les nombreuses décisions rendues au tout début du XXe siècle
par le Conseil d'État, on peut en retenir plus particulièrement deux qui vont dans le sens indiqué.
Jurisprudence
Une première grande décision est la décision Terrier (CE 6 févr. 1903, Terrier, Rec. p. 94, concl.
Romieu). On pourrait l'appeler, pour s'en souvenir plus facilement, l'affaire de « la chasse aux
vipères ». A cette époque, un conseil général avait décidé d'attribuer une prime pour toute vipère
qui serait tuée (aujourd'hui cela ne serait guère plus possible, ne serait-ce qu'en raison des
préoccupations environnementales...). Une personne, le sieur Terrier, ayant rapporté un certain
nombre de vipères qu'il avait tuées, se vit refuser la prime pour un motif très banal, l'épuisement
des crédits qui avaient été prévus à cet effet (le nombre de vipères tuées a dû être supérieur à ce
qu'escomptait le Conseil général...). Mécontent, l'intéressé saisit le Conseil d'État en faisant valoir
qu'il y avait eu violation du contrat conclu, selon lui, entre le département et les chasseurs.
Le Conseil d'État se reconnut compétent pour se prononcer sur ce litige et prit à cette occasion «
l'une des décisions les plus importantes du droit administratif », selon les auteurs des « Grandes
décisions de la jurisprudence administrative ». Les conclusions du commissaire du gouvernement
sont particulièrement éclairantes. Selon Romieu : « Toutes les actions entre les personnes
publiques et les tiers ou entre ces personnes publiques elles-mêmes, et fondées sur l'exécution,
l'inexécution ou la mauvaise exécution d'un service public sont de la compétence administrative
». On peut donc dire que, d'une part, la gestion publique entraîne la compétence de la juridiction
administrative, d'autre part, que cette gestion concerne l'organisation et le fonctionnement des
services publics
Une seconde grande décision de la période est la décision Thérond (CE 4 mars 1910, Thérond,
Rec. p. 193, concl. Pichot), on pourrait l'appeler l'affaire des « chiens errants ». En l'espèce une
commune, la ville de Montpellier, avait passé un contrat avec le sieur Thérond pour la mise en
fourrière des chiens errants et l'enlèvement des bêtes mortes (cela laisse supposer, au passage,
qu'au début du vingtième siècle, l'hygiène publique devait faire encore des progrès). Certaines
stipulations du contrat n'ayant pas été respectées, le sieur Thérond forma un recours en résiliation
avec demande de dommages intérêts devant le conseil de préfecture. En appel, devant le Conseil
d'État, la question principale posée sur le plan juridique devant le conseil de préfecture.
Dans l'affaire Terrier, le juge s'était prononcé, mais seulement sur le plan contractuel, il n'avait
pas réglé la question sur le plan de la responsabilité. Le Conseil d'État se reconnaît compétent et
déclare : « La ville de Montpellier a agi en vue de l'hygiène et de la sécurité de la population et a
eu, dès lors, pour but d'assurer un service public ».
§ 2. L'extension de l'aptitude à créer ou gérer un service public
La question de savoir si l'État peut étendre les services publics, en créer de nouveaux, transformer
une activité privée en un service public est une question non pas juridique mais politique, et le juge
administratif ne peut que s'incliner devant la loi.
Il en est différemment lorsqu'il s'agit de l'application de la loi et des principes en vigueur, dont le juge
est chargé de vérifier la bonne application. La question qui se pose en ce qui concerne le service
public est dès lors, concrètement, celle de l'aptitude à créer ou gérer un service public. Et cette
question s'est posée à propos des collectivités territoriales et des personnes privées.
A. L'aptitude des collectivités territoriales à créer ou gérer un service
public
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Les collectivités territoriales sont des collectivités publiques, mais elles ne se situent pas sur le même
plan que l'État : la loi de l'État peut être changée si le Parlement le décide (et, naturellement, sous
réserve de respecter les normes constitutionnelles), les collectivités territoriales sont soumises
à la loi, telle qu'elle est interprétée par le juge ; par ailleurs ces collectivités sont des institutions
administratives, ce qui explique qu'elles soient soumises au contrôle du juge administratif.
La question de savoir si les collectivités territoriales peuvent ou non créer un service public est donc
réglée, ou bien par la loi, ou bien par la jurisprudence.
1. Les textes légaux et réglementaires
Il n'existe pas de texte général et, notamment, pas de loi déterminant de manière précise et
circonstanciée si les collectivités territoriales peuvent créer un service public. Il est probable que le
législateur serait fort en peine pour adopter un texte de cette nature. Par ailleurs, pour les raisons
explicitées dans le chapitre introductif, le législateur a fait confiance au juge pour apprécier si les
collectivités territoriales intervenaient dans un cadre légal. La jurisprudence, en ce domaine,
est beaucoup plus importante que la loi.
Des textes particuliers ont cependant été adoptés par le législateur dans des circonstances qui
appelaient de telles dispositions. Les temps de crise, les circonstances exceptionnelles (au sens
large du terme et non dans l'acception contentieuse que nous avons étudiée dans la leçon
précédente) se prêtent naturellement à l'adoption de textes de cette nature, parce qu'il faut faire
face aux nécessités et, plus particulièrement, répondre aux besoins de la population.
Les guerres se traduisent toujours, entre autres, par des dérèglements économiques qui pèsent
lourd sur la vie quotidienne des populations. Durant les deux guerres mondiales, on a assisté
simultanément, les deux étant liés, à une pénurie, notamment des produits alimentaires, et à
une hausse des prix. Pour faire face à ces situations, le législateur a quelquefois donné des
pouvoirs étendus aux collectivités territoriales, les communes étant les collectivités les
plus concernées. C'est ainsi qu'une loi du 16 avril 1916 déclare qu' « il pourra être pourvu à
l'approvisionnement de la population civile par voie d'achats amiables ou de réquisitions en vue de
cessions, aux communes, des denrées ». Un décret d'application de cette loi, en date du 30 juin
1916, prévoit que la vente à la consommation locale de ces denrées peut notamment s'effectuer «
en régie directe dans des magasins gérés pour le compte de la commune ».
En dehors des périodes de guerre et de crises, d'autres textes ont spécifiquement habilité les
collectivités locales à gérer des services publics. Ces textes particuliers sont, ou étaient, relativement
nombreux. On peut citer les quelques exemples suivants. Tout d'abord certaines lois ou décrets ont
non seulement prévu une telle possibilité mais, de plus, ont conféré à ces collectivités un véritable
monopole. Ce fut le cas de décrets du 17 mars 1790 et 17 brumaire de l'an IX sur les halles de
marchés et les bureaux de pesage (ces derniers sont en voie de disparition mais subsistent encore
dans quelques petites communes), de différentes lois sur les abattoirs, de la loi du 28 décembre
1904 sur le service extérieur des pompes funèbres (le monopole des communes ayant été supprimé
en 1993).
D'autres textes ont porté sur les entreprises de bains publics (loi du 3 février 1851), sur l'exploitation
des mines (ordonnances du 8 novembre 1829 et 31 mai 1833), de tourbières (loi du 26 décembre
1814) ; de salles de spectacles (décret du 11 frimaire, an VII), d'habitations bon marché (HBM,
qui existaient avant les HLM, loi du 23 décembre 1912), etc. Tout cela fait un ensemble de textes
qui paraît impressionnant, mais qui l'est moins lorsqu'on les lit, car généralement, l'intervention des
collectivités locales (essentiellement les communes) était reconnue de manière restrictive.
Deux décrets, pris sur l'habilitation d'une loi, ont représenté une tentative du gouvernement pour
donner de plus larges possibilités d'intervention aux collectivités locales, ce sont les décrets du
5 novembre et du 28 décembre 1926. Bien que ces textes n'aient pas été exempts d'arrièrepensées (ils permettaient aux communes de mettre fin à des contrats de concession devenus trop
onéreux pour elles), ils donnaient un fondement légal à un certain nombre d'interventions de nature
économique. C'est précisément à propos de ces décrets que le Conseil d'État a rendu une décision
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qui a constitué la décision de référence pour la création, par les collectivités locales, de services
publics en matière industrielle et commerciale.
2. La jurisprudence du Conseil d'État
Le Conseil d'État a adopté une décision de principe en 1930 (CE 30 mai 1930, Chambre syndicale
du commerce en détail de Nevers, Rec. p. 583). Le Conseil d'État commence par rappeler que les
décrets du 5 novembre et du 28 décembre 1926, précités, « n'ont eu ni pour objet, ni pour effet,
d'étendre en matière de création de services publics communaux les attributions conférées aux
conseils municipaux par la législation antérieure ». Le considérant de principe est le suivant : « les
entreprises ayant un caractère commercial restent, en règle générale, réservées à l'initiative privée
et (...) des conseils municipaux ne peuvent ériger des entreprises de cette nature en services publics
communaux que si, en raison de circonstances particulières de temps et de lieu, un intérêt public
justifie leur intervention en cette matière ».
Cette décision du Conseil d'État donne une interprétation très restrictive des possibilités
d'intervention des communes en matière économique, et l'argumentation du juge est, en
l'espèce, des plus discutables. Cette jurisprudence permet au moins de comprendre que les
interventions économiques des communes aient été beaucoup moins développées en France
que dans les pays voisins (sous l'influence des Fabiens, dont les plus connus sont, en GrandeBretagne, S. et B. Webb, un peu partout en Europe se développent des entreprises publiques
locales, notamment des commerces municipaux). Cependant, l'interdiction posée par le juge n'est
pas absolue, des « circonstances particulières » peuvent justifier la création, par une collectivité
locale, d'un service public dans un domaine normalement réservé à l'initiative privée. Quelques
illustrations peuvent être données de ces circonstances.
Le juge évoque d'abord les « circonstances particulières de temps ». Celles-ci sont de nature à
justifier l'intervention de la collectivité locale s'il y a carence ou insuffisance manifeste de
l'initiative privée. Il est rare que l'on puisse parler de véritable carence, qui signifie que rien n'existe
pour faire face à un besoin (un exemple, d'autant plus intéressant qu'il concerne un département,
ce qui est rarement le cas, est la couverture de risques refusée par les compagnies d'assurances
privées : CE Sect. 15 oct. 1965, Département du Var c/Compagnie l'Abeille, Rec. p. 516).
L' « insuffisance », ou l' « insuffisance manifeste » est plus fréquente, elle est également plus difficile
à apprécier.
Jurisprudence
L'insuffisance peut être quantitative : ainsi le juge admet la création, par une commune, d'un
terrain de camping municipal parce que l'initiative privée existante ne permet pas, à elle seule,
de satisfaire les besoins (l'explication tient ici à la variabilité des besoins, car il s'agissait d'une
commune touristique dont la population, l'été, augmentait considérablement, CE Sect. 17 avr. 1964,
Commune de Merville-Franceville, Rec. p. 251). L'insuffisance peut être qualitative, elle est encore
plus délicate à apprécier. Ainsi, le juge a admis, en 1933, la création par la ville de Reims de
boucheries municipales en vue de favoriser « la régularisation des prix d'une denrée de première
nécessité » (les circonstances, ici, sont représentées par la crise mondiale qui avait touché la
France, CE Ass. 24 nov. 1933, Zénard, Rec. p. 1100). Plus remarquable sans doute, parce que
plus proche de nous et surtout plus proche de nos préoccupations actuelles est la constatation
par le juge de l'insuffisance de praticiens privés de soins dentaires, « alors surtout que ceux-ci
pratiquaient en fait, pour la plupart du moins, des tarifs supérieurs aux tarifs de responsabilité de
la sécurité sociale », cette insuffisance ayant justifié la création par la ville de Nanterre, dans son
dispensaire municipal, d' « un cabinet dentaire ouvert à l'ensemble de la population locale » en vue
de « permettre à la population locale, composée en grande majorité de salariés modestes, de ne
pas renoncer aux soins dentaires » (CE Sect. 20 nov. 1964, Ville de Nanterre, Rec. p. 563).
Les circonstances particulières de lien appellent moins de remarques : toute personne publique voit
sa compétence territorialement délimitée et limitée au territoire (à la circonscription, pour les services
d'une personne publique) sur lequel elle intervient.
La jurisprudence Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers doit être compétée et
précisée par les points suivants.
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•
En premier lieu, aujourd'hui, il convient d'associer à la liberté du commerce et de l'industrie,
rattachée traditionnellement par le juge administratif aux deux textes précités de 1791 la
liberté d'entreprendre. Celle-ci a été dégagée par le juge constitutionnel dans sa décision
81-132 DC du 16 janvier 1982 sur les nationalisations. Elle trouve sa source, selon le
Conseil constitutionnel, dans les articles 1, 2 et 4 de la Déclaration de 1789 et elle a valeur
constitutionnelle, la liberté du commerce et de l'industrie ayant une valeur législative confirmée
par la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et
des régions.
•
En deuxième lieu, la position du Conseil d'État a beaucoup évolué parce que le monde luimême a beaucoup changé, et que la situation d'aujourd'hui n'est plus celle de 1930. Les deux
références qui ne changent pas sont, d'une part l'intérêt public, qui doit toujours commander
les interventions des personnes publiques, d'autre part le respect de l'initiative privée (V. CE
Ass. 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, RFDA 2006, p. 1048, concl. Casas)
•
En troisième lieu, plus que du respect de l'initiative privée, il convient de parler, avec les acquis
communautaires, du respect du droit de la concurrence. Ce respect est celui, par les personnes
publiques, des personnes privées. Mais il faut également souligner, car il s'agit d'un aspect
important, que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ne fait pas obstacle à ce
que les collectivités publiques se portent elles-mêmes candidates à un marché public. Dans
un avis contentieux important, le Conseil d'État a déclaré que « aucun texte ni aucun principe
n'interdit en raison de sa nature, à une personne publique, de se porter candidate à l'attribution
d'un marché public ou d'un contrat de délégation de service public » (CE Sect. avis contentieux
8 nov. 2000, Société Jean-Louis Bernard Consultants, Rec. p. 492, BJCP 2001.111 et RFDA
2001.112, concl. Bergeal)
B. Le service public et les personnes privées
Pour comprendre les développements qui suivent, il faut partir du constat que l'on ne peut pas
opposer abruptement, d'un côté les personnes publiques qui, seules, poursuivraient l'intérêt général
et l'assureraient donc par le biais des services publics et, de l'autre, les personnes privées qui
seraient mues par le seul intérêt personnel se ramenant généralement au profit. La réalité n'est
guère conforme à ces oppositions tranchées, elle est beaucoup plus complexe, ce qui va expliquer
la reconnaissance progressive par le juge de la possibilité, pour une personne privée, de gérer un
service public.
1. La problématique du service public et des personnes privées
Deux séries de considérations ont pu conduire à la reconnaissance d'une aptitude des personnes
privées à gérer des services publics.
Les premières sont les considérations d'ordre historique. Avant que l'on ne parle de service public,
sous l'Ancien Régime, la plupart des services que nous considérerions aujourd'hui comme des
services publics étaient assurés par des personnes privées. C'était le cas de tous les services
que nous appelons sociaux ou médico-sociaux, ou de santé, et qui étaient assurés, soit directement
par l'Église catholique, soit par des ordres religieux. Certains de ces ordres religieux s'étaient même
spécialisés dans le traitement de certaines maladies. Au XVIIe siècle, l'un des personnages les plus
entreprenants en ce domaine est Saint Vincent de Paul, qui crée une confrérie, la confrérie des «
filles de la Charité » pour prendre en charge les enfants abandonnés. Il ne fait aucun doute qu'un tel
service pourrait être qualifié, rétrospectivement, de service public.
Une deuxième série de considérations est constituée par la logique de l'évolution jurisprudentielle.
Les conceptions révolutionnaires ont pu fausser un temps le raisonnement, en laissant croire que
l'intérêt public se trouvait du côté de la personne publique et l'intérêt privé du côté des personnes
privées. Mais le fait que la Nation décide de prendre en charge des actions qui étaient jusque-là
assurées par des personnes privées ne supprimait pas pour autant le caractère d'intérêt public de
certaines de leurs interventions. Mais cette reconnaissance n'a été rendue possible qu'à partir du
moment où l'on a admis, un peu par la force des choses, qu'une personne publique pouvait intervenir
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un peu de la même manière que le ferait un simple particulier. L'étape décisive est représentée,
sur le plan conceptuel, par l'affaire Terrier, dans laquelle le commissaire du gouvernement
envisage cette possibilité qu'une personne publique puisse agir comme une personne privée.
A partir du moment où l'on admettait ce découplage, il était inévitable, et logique, d'admettre que
des personnes privées puissent, elles aussi, poursuivre un intérêt général. Comment aurait-on pu
soutenir que seul l'État pouvait poursuivre cet intérêt général ? A. Mestre avait bien résumé la
question en déclarant : « L'État n'a pas le monopole du bien public ».
2. La reconnaissance par le juge de l'aptitude des personnes privées à gérer
un service public
La reconnaissance par le juge administratif de l'aptitude des personnes privées à gérer un service
public va s'effectuer en plusieurs étapes.
Un arrêt est annonciateur, sans représenter véritablement la reconnaissance, c'est la décision
Établissement Vézia (CE 20 déc. 1935, Établissement Vézia, Rec. p. 212). Le juge reconnaît dans
cette affaire le « caractère d'intérêt public » qui s'attache aux opérations de prévoyance, de secours et
de prêts mutuels agricoles qui avaient été instituées dans certaines colonies africaines de la France.
Mais la décision de principe, celle qui consacre véritablement cette possibilité, est la décision Caisse
primaire « Aide et protection » (CE Ass. 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et protection »,
D.1939.365, concl. R. Latournerie). Il s'agissait en l'espèce d'une loi relative, notamment, aux cumuls
de retraite et de rémunérations. Selon le Conseil d'État, cette disposition ' vise tous les agents
ressortissant à un organisme chargé de l'exécution d'un service public, même si cet organisme a le
caractère d'un « établissement privé » '.
Cette décision est extrêmement importante car elle reconnaît, pour la première fois explicitement,
qu'une personne privée peut gérer un service public. Par là, elle opère une dissociation entre la
nature de la personne et la nature de l'activité poursuivie par celle-ci et, par voie de conséquence,
le régime juridique qui lui est applicable : une personne, même privée, peut gérer un service public
et, par là, être soumise à un régime juridique de droit public.
La décision Caisse primaire « Aide et protection » s'inscrit dans cette évolution qui, admettant et
consacrant la possibilité pou une personne publique de ne pas être soumise au droit public si elle se
comportait comme une personne privée, devait logiquement se traduire, et en sens inverse, par la
reconnaissance de la possibilité pour des personnes privées de gérer un service public. Mais cette
décision ne fournissait pas toutes les réponses aux interrogations que soulevaient ces importantes
évolutions.
Un exemple récent est intéressant, il concerne un organisme d’accréditation, le Comité français
d’accréditation (COFRAC), association régie par la loi de 1901. Le Conseil d’Etat a considéré que «
le COFRAC assure sous le contrôle de l’Etat une mission d’intérêt général d’attestation de la capacité
des laboratoires de biologie médicale à réaliser des examents dans de bonnes conditions, pour
l’exécution de laquelle il a été habilité à délivrer, suspendre ou retirer l’accrédiation conditionnant la
possibilité, pour un laboratoire de biologie médicale, d’exercer son activité ; (…) dans ces conditions,
cette ordonnance (ordonnance de 2009 concernant la biologie médicale) a pour effet de charger
le COFRAC de l’exécution d’une mission de service public administratif » (CE 23 décembre 2010,
Conseil national de l’ordre des médecins, req. n° 337396).
La reconnaissance de la gestion de services publics par des personnes privées est particulièrement
importante dans trois domaines, qui recouvrent pratiquement tout le champ possible d'intervention
des personnes publiques: le domaine social (les services publics gérés par des personnes privées
y étant multiples, notamment à l'échelon local); le domaine culturel (où la gestion par une personne
privée est, en dehors des grandes institutions culturelles, la norme); le domaine sportif.
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Section 3. Les interrogations juridiques soulevées par le service
public
Le succès remarquable du service public n'a pas manqué de s'accompagner d'un certain nombre
d'interrogations. La première question qui vient à l'esprit est celle du ou des critères du service
public ? Existe-t-il des critères qui puissent permettre de dire à coup sûr si l'on a affaire à un service
public ? Une seconde question est apparue à la suite d'une jurisprudence du Tribunal des conflits,
celle de savoir s'il pouvait y avoir des catégories de services publics autres que les services publics
administratifs et les services publics à caractère industriel et commercial.
§ 1. La question des critères du service public
Puisque la nature de la personne ne permet pas de savoir si l'on se trouve en présence d'un service
public (l'équation selon laquelle une personne publique gère un service public et une personne privée
gère des activités privées est une présomption, mais qui supporte la preuve du contraire), on a
cherché des critères qui permettraient d'identifier le service public. Si l'accord se fait sur certains
critères, le doute a pu être permis sur le critère dit des prérogatives de puissance publique.
A. Le consensus sur certains critères
Certains points font l'unanimité, et l'on peut prendre comme illustration particulièrement pédagogique
la décisionNarcy de 1963.
1. Les critères qui font l'unanimité
Un critère met tout le monde d'accord, c'est l'intérêt général poursuivi par la personne, que celle-ci
soit une personne publique ou une personne privée. Si l'on y réfléchit un tant soit peu, on se rend
compte que la nature de la personne en cause ne soulève pas de difficultés, avec les différents
arrêts que nous avons vus ou que, tout au moins, la réponse est relativement claire, mais qu'il est
moins facile de savoir ce qui est d'intérêt général, même lorsque l'activité est poursuivie par
une personne publique. Il ne faut pas confondre cette question avec l'hypothèse de la personne
publique qui entend agir comme une personne privée. Ici, nous nous interrogeons sur la nature de
l'activité : ce n'est pas parce qu'une activité est assurée par une personne publique qu'elle
est nécessairement d'intérêt général. En d'autres termes, la question s'est maintes fois posée,
notamment à propos des interventions des collectivités locales, de savoir s'il s'agissait d'un service
public, ce qui revenait à se poser la question de savoir si la collectivité avait bien poursuivi l'intérêt
général. Ce que montre l'évolution, c'est l'acceptation de plus en plus large de la qualification
de service public, ce que l'on peut montrer avec les quelques exemples suivants.
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Jurisprudence
Une illustration paraît particulièrement remarquable à cet égard, c'est celle des services publics
que l'on qualifie de « culturels ». Une activité culturelle peut-elle être un service public ? Dans
une décision de 1916 (CE 7 avr. 1916, Astruc), la réponse du juge est négative. S'agissant d'une
demande d'indemnisation présentée à la ville de Paris à raison de l'inexécution d'une promesse
de concession d'un emplacement situé sur les Champs-Élysées pour la construction d'un « Palais
philarmonique », le Conseil d'État déclare que le « palais » en question « n'était pas destiné à
assurer un service public ». Cette position recueille l'assentiment de la doctrine. Mais, sept ans
plus tard à peine (en réalité, culturellement ce n'est pas sept années mais un siècle parce que le
basculement dans le XXe siècle ne se fait pas le 1er janvier 1901 mais au cours de la Première
guerre mondiale) le Conseil d'État opère un revirement de jurisprudence en admettant que le contrat
conclu à propos de l'Opéra comique « présente le caractère d'une concession de service public
» (CE 27 juill. 1923, Sieur Gheusi, Rec. p. 639). L'expression « service public culturel », trop
audacieuse pour l'époque, n'apparaît pas, on la trouve seulement à partir de la décision Dauphin
(CE 11 mars 1959, Dauphin, D.1959.J.315, concl. Mayras).
La même observation pourrait être faite pour d'autres activités, par exemple le sport. Le juge a
reconnu que l'exploitation d'une remontée mécanique par une commune, dans une station de sports
d'hiver, pouvait être un service public (CE Sect. 23 janv. 1959, Commune d'Huez, Rec. p. 67, AJDA
1959, p. 165, concl. Braibant).
2. La décision Narcy
La décision Narcy paraît synthétiser la jurisprudence antérieure et présente, en tout état de cause,
un intérêt pédagogique indiscutable. Une loi avait prévu la création dans toute branche d'activité où
l'intérêt général le commande la création de « centres techniques industriels » ayant pour objet de
promouvoir le progrès des techniques, de participer à l'amélioration du rendement et à la garantie
de la qualité de l'industrie.
Un litige s'étant élevé à propos de l'un de ces centres, le « centre technique des industries de la
fonderie », le Conseil d'État déclare, s'agissant de ces centres, que « en vue de les mettre à même
d'exécuter la mission d'intérêt général qui leur est ainsi confiée et d'assurer à l'administration un
droit de regard sur les modalités d'accomplissement de cette mission, le législateur a conféré aux
centres techniques industriels certaines prérogatives de puissance publique et les a soumis à divers
contrôles de l'autorité de tutelle ». Il en déduit que le législateur a entendu, sans leur enlever pour
autant le caractère d'organismes privés, charger ces centres de la gestion d'un véritable service
public (CE Sect. 28 juin 1963, Narcy, Rec. p. 401, RDP 1963, p. 1963, p. 1186, note Waline).
Ainsi, dans cette décision Narcy, le Conseil d'État retient trois éléments pour caractériser un service
public : l'existence d'une mission d'intérêt général confiée à l'organisme ; des prérogatives de
puissance publique qui lui sont attribuées ; les contrôles que l'administration peut exercer sur ces
organismes.
La décision Narcy est claire, mais certaines décisions ultérieures le sont moins, en particulier en ce
qui concerne les prérogatives de puissance publique
B. La question des prérogatives de puissance publique
Les prérogatives de puissance publique paraissent intimement associées à la personne publique,
plus précisément l'État : celui-ci se définit entre autres par de telles prérogatives, il peut aussi
confier certaines de ces prérogatives aux collectivités locales territoriales, aux autres personnes
publiques, aux personnes privées. Mais l’absence de prérogatives de puissance publique n’exclut
plus, désormais, la possibilité de la gestion d’un service public par une personne privée.
La question des prérogatives de puissance publique est double.
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Première question
Deuxième question
Le premier aspect de la question est le
plus facile à régler, c'est celui de savoir
en quoi consistent ou peuvent consister
de telles prérogatives. Celles-ci peuvent
revêtir plusieurs formes, il n'y en a pas
une qui en serait la seule expression.
Par exemple, l'attribution d'un monopole au
profit d'une personne ou d'un organisme
est une prérogative de puissance publique.
Dans l'affaire Nancy, pour chaque branche,
un seul centre technique était habilité à
percevoir sur les entreprises concernées une
cotisation obligatoire. Une autre affaire est
très significative, c'est la décision Magnier
(CE Sect. 13 janv. 1961, Magnier, RDP
1961, p. 155, concl. Fournier). Il s'agissait,
dans cette affaire, d'organismes de lutte
contre les hannetons, qui disposaient, dans le
cadre départemental où ils étaient institués,
d'un monopole pour organiser cette lutte,
mais également du pouvoir d'exécuter d'office
des traitements antiparasitaires. Le pouvoir
d'exécution d'office est une autre expression
des prérogatives de puissance publique,
comme l'est le pouvoir de se substituer à
une personne défaillante, ou encore, dans
certains cas, le pouvoir disciplinaire. Mais il
faut bien distinguer ce qui est prérogative
conférée par l'administration et ce qui découle
du statut d'un organisme privé, et qui ne peut
être considéré comme de telles prérogatives.
La seconde question soulevée par les
prérogatives de puissance publique est plus
délicate sur le fond, bien que simple à
énoncer : ces prérogatives sont-elles une
condition nécessaire pour la reconnaissance
de l'existence publique ? Le service public
est-il lié intrinsèquement à l'existence de
telles prérogatives ? La doctrine, longtemps
divisée, se prononçait majoritairement dans
le sens du caractère obligatoire de ces
prérogatives pour la qualification de service
public. Plusieurs décisions avaient cependant
consacré l'existence de services publics
sous prérogatives de puissance publique.
Mais l'on faisait valoir, ou bien que le
service public était évident (TC 6 nov.
1978, Bernardi, Rec. p. 652), ou bien que
l'organisme privé était « transparent » par
rapport à la personne publique, c'est-à-dire
n'avait aucune indépendance à son égard
(CE 20 juill. 1990, Ville de Melun, Rec. p.
220, AJDA 1990 p. 820, concl. Pochard).
Cependant, une décision de 2007 consacre
clairement cette possibilité de service public
sans prérogatives de puissance publique (CE
Sect. 22 févr. 2007, Assoc. du personnel des
établissements pour inadaptés, AJDA 2007,
p. 793, chron. Lenica et Boucher)
§ 2. La question des catégories de services publics
Les services publics peuvent être créés dans des domaines très variés, d'où les appellations elles
aussi diversifiées, et dont nous avons vu quelques exemples, avec les services publics culturels,
les services publics sportifs, les services publics sociaux, etc. Mais les appellations ne font pas
pour autant les catégories. Juridiquement, il n'existe que deux catégories de services publics, la
qualification entraînant un régime juridique propre, la seule difficulté (et toute la difficulté) étant de
savoir dans quelle catégorie on peut ranger un service public déterminé.
A. La dualité de catégories de services publics
Les deux catégories juridiques de services publics sont constituées par les services publics
administratifs (SPA) et les services publics à caractère industriel et commercial (SPIC), les
tentatives pour consacrer une troisième catégorie ayant été vouées à l'échec.
1. La catégorie des services publics administratifs (SPA) et la catégorie des
services publics à caractère industriel et commercial (SPIC)
La catégorie des services publics administratifs ne mérite pas que l'on s'y attarde longuement car
c'est la plus « naturelle ». En d'autres termes, un service public va être présumé administratif,
sauf si l'on peut démontrer qu'il présente un caractère industriel ou commercial. Le service public
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administratif est également « naturel » en ce que le droit qui lui est applicable est normalement le
droit administratif.
Le service public à caractère industriel ou commercial apparaît comme une sorte de dérogation à
ce régime naturel, une soustraction au régime qui apparaît « normal » pour un service public, le
régime du droit administratif. Comme pour d'autres notions que nous avons rencontrées et que nous
rencontrerons, le service public à caractère industriel ou commercial a vu sa naissance conditionnée
par des circonstances historiques. Cela signifie qu'il aurait pu ne pas être, il n'est pas un produit de la
nécessité, on aurait pu s'en passer sans que cela bouleverse le droit administratif. Mais aujourd'hui
il serait très difficile de revenir en arrière, on ne peut tirer comme conséquence de ce qui aurait pu
ne pas être que cela ne soit plus.
La reconnaissance de la catégorie de service public à caractère industriel ou commercial est passée
par trois étapes.
•
La première étape est celle de Terrier (1903), moins, d'ailleurs, dans la décision elle-même,
qui ne comporte pas d'avancées notables, que dans les conclusions du commissaire du
gouvernement. Celui-ci déclarait que si l'administration était normalement soumise au droit
public, il fallait « réserver (...) les circonstances où l'administration doit être réputée agir dans
les mêmes conditions qu'un particulier et se trouve soumise aux mêmes règles comme aux
mêmes juridictions. Cette distinction entre ce qu'on a proposé d'appeler la gestion publique et
la gestion privée peut se faire, soit à raison de la nature du service qui est en cause, soit à
raison de l'acte qu'il s'agit d'apprécier ». L'idée défendue par le commissaire du gouvernement,
et que l'on ne retrouve pas dans la décision rendue, est que l'on peut avoir également, dans
certains cas, une gestion privée du service public
•
La deuxième étape est la consécration par le juge de cette possibilité, pour une personne
publique, de ne pas être soumise, ponctuellement, au droit public pour l'une de ses
interventions. C'est la solution que retient le juge à propos du contrat passé entre une commune
et une entreprise pour la fourniture de pavés à la première par la seconde. Le Conseil d'État
relève que le contrat a pour « objet unique des fournitures à livrer selon les règles et conditions
des contrats intervenus entre particuliers » et que, par conséquent, la demande « soulève une
contestation dont il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître » (CE 31 juill.
1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges, Rec. p. 909). La nature de service public
de l'activité n'a pas été contestée, mais le régime à appliquer a été le régime de droit privé.
•
Dans cette logique, l'étape suivante a été la systématisation de la solution qui avait été dégagée
en 1912. Cette systématisation a pris la forme d'une catégorisation, le Tribunal des conflits
créant une nouvelle catégorie de services publics, la catégorie des SPIC. Dans une affaire
relative à un bac qui avait coulé en faisant la liaison entre les deux rives du lac Ebrié, dans
ce qui était la colonie de Côte d'Ivoire, le Tribunal des conflits a déclaré qu' « en effectuant,
moyennant rémunération, les opérations de passage des piétons et des voitures d'une rive à
l'autre de la lagune, la colonie de la Côte d'Ivoire exploite un service de transport dans les
mêmes conditions qu'un industriel ordinaire ; (...) par suite, en l'absence d'un texte spécial
attribuant compétence à la juridiction administrative, il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire de
connaître des conséquences dommageables de l'accident invoqué » (TC 22 janv. 1921, Société
commerciale de l'Ouest africain, Rec. p. 91, concl. Matter ; cette affaire est plus couramment
dénommée l'affaire du « Bac d'Eloka », du nom du bac concerné).
L'expression « service public à caractère industriel ou commercial » ne figure pas expressément
dans la décision en question, mais personne ne s'y est trompé : c'était bien une position de principe
qu'avait adoptée le Tribunal des conflits, et l'expression « service public à caractère industriel ou
commercial » (SPIC) s'est très vite répandue. Ce qui caractérise le SPIC, et qui le différencie des
opérations ponctuelles passées sous régime de droit privé par une personne publique, c'est qu'il
est par principe soumis au droit privé. Ce n'est plus seulement la gestion privée au sein d'un service
public, c'est le service public qui devient à gestion privée. Les conséquences de la reconnaissance
de la catégorie des SPIC sont extrêmement importantes.
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2. L'absence d'autres catégories juridiques de services publics
La logique des catégories juridiques de services publics a conduit le Tribunal des conflits à estimer
qu'il pouvait rééditer l'opération de 1921 en créant une nouvelle catégorie de services publics. Cette
nouvelle tentative a été un échec, il n'y a que deux catégories juridiques, ces catégories étant seules
à prendre en considération, à l'exclusion des appellations.
L'opération manquée est l'opération Naliato, du nom de la décision inaugurée par le Tribunal des
conflits en 1955 et qui entendait donner naissance à une nouvelle catégorie. Les circonstances
dans lesquelles le Tribunal des conflits se prononça furent celles d'un accident dont fut victime
un enfant dans une colonie de vacances organisée par l'État. Le Tribunal des conflits reconnut
d'abord, ce qui n'avait rien d'original, la nature de service public de l'activité et déclara ensuite que
l'organisation de cette colonie ne présentait, « en ce qui concerne les rapports entre ses bénéficiaires
et l'administration, aucune particularité de nature à la distinguer juridiquement des organisations
similaires relevant des personnes ou des institutions de droit privé » (TC 22 janv. 1955, Naliato, Rec.
p. 614). On en déduisit que le Tribunal des conflits avait entendu créer au profit du juge judiciaire un
nouveau « bloc de compétences » portant sur les services publics sociaux. L'une des explications
possibles de cette jurisprudence tient à l'importance du thème des services publics sociaux, ceci
étant une suite ou un écho à l'idéologie d'interventionnisme social qui avait marqué la France de
l'après-guerre.
Mais l'opération de 1955 n'est en rien comparable à celle de 1921 car elle fut un échec. Celui-ci tient
au refus de nos deux juridictions suprêmes, Conseil d'État et Cour de cassation, de suivre
cette logique d'une catégorie de services publics (les services publics sociaux) qui aurait été
soumise, par principe, au droit privé, comme le sont les SPIC : l'un comme l'autre considérèrent que
les colonies de vacances comme d'autres services publics sociaux, étaient, selon les cas, un service
public administratif ou un SPIC. N'ayant pas été suivi, le Tribunal des conflits finit lui-même par
renoncer : la décision Gambini (TC 4 juill. 1983, Gambini, Rec., p. 540) signe l'arrêt de mort de la
jurisprudence Naliato.
A la réflexion, il est assez compréhensible que cette tentative ait été un échec. La logique des
catégories juridiques de services publics est directement en lien avec la dualité d'ordres
juridictionnels : on peut comprendre - même si, disons-le une fois de plus, cela ne s'imposait pas
vraiment - que du fait de cette dualité, et de la nécessité, pour un service public, de recourir parfois
au droit privé, on ait pensé à créer une catégorie de services publics, celle des SPIC, principalement
soumise au droit privé et relevant, dans cette logique, du juge judiciaire. La création d'une nouvelle
catégorie de services publics, les services publics sociaux, n'aurait eu de sens que s'il avait existé
un ordre juridictionnel propre au droit de ces services publics sociaux. Et, précisément, au moment
de la Libération, et pendant quelques années, on a pensé instituer un tel ordre juridictionnel, ce qui
peut aussi expliquer la décision Naliato. L'idée de création d'un ordre juridictionnel spécialisé dans
les problèmes sociaux a été abandonnée, et une catégorie propre de services publics sociaux n'avait
dès lors plus guère de signification mais aurait entraîné de nombreuses complications.
Remarque
Redisons-le donc clairement, il n'existe que deux catégories juridiques de services publics, les
services publics administratifs et les services publics à caractère industriel ou commercial. Mais
un élément de trouble et, parfois, de confusion, découle des appellations données aux services
publics, par le législateur ou par le pouvoir réglementaire : certains services publics sont qualifiés de
culturels, touristiques, de santé, technologiques, de recherche, etc. Et, naturellement, de nombreux
services publics peuvent être qualifiés de sociaux parce qu'ils sont institués dans un domaine social.
Mais cette qualification, qui est relative au domaine d'intervention, ne dit rien sur le régime juridique
qui sera appliqué au service public en question. Cela veut dire qu'avec une même appellation deux
services publics pourront être considérés, par exemple, l'un comme service public, l'autre comme
SPIC avec, chaque fois, les conséquences juridiques qui s'attachent à chacune de ces qualifications
juridiques
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B. La détermination de la catégorie d'appartenance
Sachant qu'un service public est obligatoirement, soit un service public administratif, soit un SPIC,
il convient évidemment de pouvoir dire quand un service public est administratif et quand il est à
caractère industriel ou commercial.
1. Les qualifications a priori
Il existe deux sortes de qualifications a priori, l'une qui est à retenir parce qu'elle s'impose, l'autre qui
est à rejeter parce qu'elle ne répond à aucune réalité
La qualification qui, lorsqu'elle existe, s'impose, est évidemment celle du législateur. Rien n'interdit
en effet à ce dernier, lorsqu'il crée ou organise un service public, de le qualifier. Le bon sens
conduit à penser que lorsque le législateur se met à qualifier un service public, il y a beaucoup
plus de chances que ce soit la qualification de SPIC plutôt que celle de SPA qu'il adopte,
pour la simple raison énoncée précédemment, à savoir que la qualification de service public
administratif est la première, c'est celle que l'on présume. Si le législateur ne dit rien, la
présomption (qui peut toujours faire l'objet d'une démonstration contraire) est celle du service public
administratif avec application du droit public.
La qualification, lorsqu'elle est faite par le législateur, ne résulte pas toujours clairement du texte de
loi lui-même, elle peut résulter des travaux préparatoires. Ainsi par exemple selon le Tribunal des
conflits, il résulte des dispositions d'une loi du 8 juillet 1965 relative à la gestion et à l'exploitation
des abattoirs publics départementaux et communaux, éclairées par les travaux préparatoires, que
le législateur a entendu faire de ces abattoirs publics des SPIC (TC 8 nov. 1982, Société anonyme
Maine-Viande, Rec. p. 460).
En revanche, une autre qualification a priori est à exclure, celle selon laquelle il existerait des activités
qui, « par nature », seraient, ou bien des services publics administratifs, soit des services publics
à caractère industriel ou commercial. Certes, il existe des présomptions, qui sont plus ou moins
fortes, et l'on peut avoir le sentiment, face à des activités comme des services publics, que ces
derniers ne peuvent être que des services publics administratifs. Mais un sentiment n'est pas un
argument et la comparaison tant dans le temps (hier et aujourd'hui pour notre pays) que dans l'espace
(la situation des autres pays) montre qu'il n'y a guère de « vérité » en la matière. Même si des
juridictions (en particulier le Tribunal des conflits) évoquent des activités qui relèvent « par nature »
de la puissance publique, il convient d'être extrêmement méfiant à l'égard de telles affirmations, qui
peuvent facilement être démenties par les réalités.
2. La qualification jurisprudentielle
La plupart du temps, le législateur ne dit rien sur la nature juridique du service public, et les travaux
préparatoires ne sont pas plus éclairants sur la question. Il appartient alors au juge, à l'occasion
d'un litige, de dire s'il s'agit d'un service public administratif ou d'un SPIC.
Le critère à retenir est, en simplifiant, le critère des conditions d'organisation et de fonctionnement
du service. Méritent d'être citées, à cet égard, les formules des conclusions d'un commissaire du
gouvernement qui sont particulièrement claires et illustrent la démarche du juge. Le commissaire du
gouvernement, Laurent, ayant relevé que la décision de 1921 ne permettait pas de dire de manière
suffisamment précise quand on pouvait parler de SPIC estimait que celui-ci s'imposait lorsque
le service fonctionnait comme une « véritable entreprise », ajoutant : « La constitution de
l'entreprise implique une organisation interne particulière, des procédés de commandement,
des méthodes de travail, des rapports humains qui ne sont pas ceux du service administratif
».
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En d'autres termes, il convient d'examiner, pour chaque service public sur la nature duquel on
s'interroge, quel est son objet, quelle est l'origine de ses ressources, quelles sont ses modalités
de fonctionnement. Et l'on comprend alors facilement que, selon ces conditions d'organisation et
de fonctionnement, un même service public pourra être, selon les cas, tantôt un service public
administratif, et tantôt un SPIC, un des exemples pouvant être donnés étant précisément celui des
colonies de vacances qui avaient donné lieu à la décision Naliato.
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Cours : L’action administrative
Auteur : Jean-Marie Pontier
Leçon n° 5 : Le régime juridique des services publics
Table des matières
Section 1. Introduction.............................................................................................................................p. 2
Section 2. Les règles applicables aux services publics...................................................................... p. 3
§1. Les règles applicables aux services publics administratifs (SPA)......................................................................... p. 3
A. La gestion des SPA par une personne publique...........................................................................................................................p. 3
1. Les actes pris par les services publics administratifs.................................................................................................................................................p. 3
2. Le personnel et les usagers du SPA..........................................................................................................................................................................p. 3
B. La gestion du SPA par une personne privée................................................................................................................................ p. 4
1. Les actes des personnes privées dans le cadre de la gestion d'un SPA.................................................................................................................. p. 4
2. La responsabilité extracontractuelle des personnes privées gérant un SPA............................................................................................................. p. 6
§ 2. Les règles applicables aux services publics à caractère industriel ou commercial (SPIC)................................... p. 8
A. Les actes pris pour la gestion du SPIC.........................................................................................................................................p. 8
1. Les actes unilatéraux.................................................................................................................................................................................................. p. 8
2. Les contrats................................................................................................................................................................................................................. p. 9
B. Le personnel et les biens des SPIC..............................................................................................................................................p. 9
C. La responsabilité extracontractuelle.............................................................................................................................................p. 10
Section 3. Les modes de gestion des services publics..................................................................... p. 13
§1. La distinction entre la gestion directe et la gestion déléguée.............................................................................. p. 13
A. La gestion directe du service public............................................................................................................................................ p. 13
1. La véritable gestion en régie.................................................................................................................................................................................... p. 13
2. Les fausses régies.................................................................................................................................................................................................... p. 13
B. La gestion déléguée des services publics................................................................................................................................... p. 14
1. L'habilitation unilatérale............................................................................................................................................................................................. p. 14
2. L'habilitation contractuelle......................................................................................................................................................................................... p. 15
§ 2. Les formes de gestion déléguée ....................................................................................................................... p. 16
A. La gestion déléguée du service public par une personne publique............................................................................................ p. 16
1. Les établissements publics....................................................................................................................................................................................... p. 16
2. Les autres personnes publiques............................................................................................................................................................................... p. 17
B. La gestion déléguée du service public par une personne privée................................................................................................ p. 18
1. La concession............................................................................................................................................................................................................p. 18
2. Les autres modes de dévolution contractuelle du service public............................................................................................................................. p. 19
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Section 1. Introduction
La distinction entre notion et régime juridique est la plus classique qui soit en droit, de nombreuses
études sont construites autour de cette distinction. Une fois que l'on a identifié une notion,
on s'interroge sur les règles qui lui sont applicables. Le droit applicable est essentiel, tout au
moins en cas de litige, pour savoir devant quel juge aller, quels principes invoquer devant lui.
Indépendamment de tout litige, une activité est soumise à un certain nombre de règles de
fonctionnement, fonctionnement interne comme fonctionnement à l'égard des usagers. La question
de savoir quels sont les droits des usagers fait ainsi partie du régime juridique de l'activité. Une
activité peut-elle être supprimée librement? C'est encore une question de régime juridique, et l'on en
voit bien l'importance aujourd'hui à propos de la suppression de certains services tels que les petites
maternités en milieu rural, qui soulève tojours beaucoup d'émotion.
S'interroger sur le régime juridique des services publics, c'est donc d'abord s'interroger sur les règles
qui régissent ces services, règles de compétence juridictionnelle comme règles de fond. La leçon
précédente a donné déjà des orientations en montrant que l'on déduisait de la nature du service
public la nature des règles qui leur sont applicables. Il convient de préciser quelles sont ces règles,
car les situations peuvent être très différenciées.
Mais le régime juridique des services publics implique également de s’interroger sur la manière
dont sont gérés ces services car le droit administratif comporte plusieurs modalités de gestion, et
les personnes qui gèrent un service public disposent d’un certain choix, parfois étendu, parfois à
l’inverse très limité, dans le mode de gestion.
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Section 2. Les règles applicables aux services publics
Etant donné que nous avons pu identifier deux catégories juridiques de services publics, les
services publics administratifs et les services publics à caractère industriel ou commercial, il importe
d'examiner quelles sont les règles applicables respectivement aux uns et aux autres.
§1. Les règles applicables aux services publics administratifs (SPA)
Les services publics administratifs peuvent être gérés par une personne publique - c'est la situation
originelle et celle qui demeure, logiquement, plus fréquente - mais ils peuvent être gérés, également,
par des personnes privées, ces situations différentes entraînant des régimes juridiques différenciées
A. La gestion des SPA par une personne publique
La gestion d'un service public administratif par une personne publique est la situation la
plus courante, on finit par ne plus s'en rendre compte tant on est habitué à ce que des
administrations gèrent des services publics. C'est la situation qui, également, soulève le moins
de difficultés juridiques parce que l'on va trouver normalement une unité juridique qui découle
de l'application du droit administratif. Un certain nombre de précisions doivent néanmoins être
apportées.
1. Les actes pris par les services publics administratifs
Le principe ici est celui de l'application des règles du droit administratif. Cela vaut pour les actes
unilatéraux édictés comme pour les contrats passés, ainsi que pour l'éventuelle responsabilité.
En ce qui concerne les actes unilatéraux, ces actes vont être considérés normalement comme
des actes administratifs, qu'il s'agisse des actes s'adressant aux usagers du service ou qu'il
s'agisse des actes qui s'adressent au personnel. Le Conseil d'Etat utilise (utilisait, car on ne trouve
plus guère l'expression dans les décisions les plus récentes) l'expression de services « proprement
administratifs » (ex. CE 4 déc. 1931, Dumy, Rec. p. 1084).
L'organisation du service relève du droit administratif, ce seront généralement des mesures
réglementaires prises par le Premier ministre ou par un ministre. Le fonctionnement du service est
également soumis au droit administratif.
Les contrats conclus par ces services sont habituellement des contrats administratifs, mais il faut
réserver l'hypothèse de la décision Terrier permettant au service de recourir ponctuellement au droit
privé en se comportant comme le ferait n'importe quelle personne privée.
La personne publique qui gère le service peut voir sa responsabilité engagée en raison d'un mauvais
fonctionnement du service, ou d'un acte ou d'un agissement d'un agent du service ayant causé un
dommage, cette responsabilité est engagée devant le juge administratif qui applique les règles de
la responsabilité administrative
2. Le personnel et les usagers du SPA
Le personnel des SPA a le plus souvent la qualité d'agents publics. Ces derniers peuvent être
des fonctionnaires titulaires relevant de l'une des trois fonctions publiques que nous avons vues
précédemment, ou encore des agents qui ne sont pas titulaires parce qu'ils sont stagiaires ou
encore contractuels.
Les agents contractuels des services publics administratifs appellent quelques observations. Tout
d'abord il est possible, dans le cadre des lois en vigueur, de recruter des personnels contractuels :
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on a trop tendance à ne penser ces services qu'à travers les fonctionnaires titulaires, alors qu'il
existe des catégories de non titulaires (par ex. les vacataires), et il convient d'ajouter que, dans de
nombreux pays développés, dans le monde, le principe est celui du recrutement, par les services
publics administratifs, de contractuels et non de titulaires.
S'agissant du statut de ces contractuels rien, en théorie, ne s'oppose à ce qu'il soit de droit
privé, si les conditions du contrat administratif (que nous verrons dans une prochaine leçon)
ne sont pas réunies. C'est d'ailleurs le raisonnement qu'avait suivi, avec une logique certaine, le
Tribunal des conflits dans l'affaire Dame Veuve Mazerand : s'agissant d'une personne qui avait
été recrutée pour le nettoyage des locaux et l'entretien des appareils de chauffage et à laquelle,
ensuite, il avait été demandé d'assurer, dans certains cas, un service de garderie de l'école, le
Tribunal des conflits avait considéré qu'il y avait en réalité deux contrats, le premier de droit privé, le
second administratif (TC 25 nov. 1963, Dame Veuve Mazerand c/Commune de Jonquières, Rec. p.
792). Mais cette solution compliquée, si elle faisait les délices des commentateurs, était strictement
incompréhensible pour les intéressés. Le Tribunal des conflits a donc, avec raison, abandonné la
perfection juridique pour le bon sens en posant une présomption selon laquelle les agents des
services publics administratifs recrutés par contrat ' sont des agents contractuels de droit
public quel que soit leur emploi (TC 25 mars 1996, Berkani, AJDA 1996, p. 355, chron. Stahl et
Chauvaux).
La solution Berkani est loins d’avoir mis fin à toutes les difficultés, elle en a créé d’autres. Car, dans
certains cas, comme celui des artistes, l’affirmation précitée va à l’encotre de l’article L. 762-1 du
code du travail qui instaure une présomption de salariat « lorsqu’une personne physique ou morale
s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production
». Devant le risque d’une remise en cause de la jurisprudence Berkani, le Conseil d’Etat a préféré,
dans une affaire récente où un professeur de musique qui avait prêté son concours à un festival et
qui estimait devoir être rémunéré comme un intermittent et non en vacations, avait saisi du refus qui
lui était opposé le juge administratif, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de se prononcer sur la
question (CE 26 mai 2010, M. Bussière-Meyer, req. n° 307628).
Les usagers se trouvent, comme les fonctionnaires, dans une situation légale et réglementaire. Ils ne
peuvent s'opposer à une réorganisation du service, ni même à une suppression de celui-ci,
pour autant qu'il présente un caractère facultatif (dans le cas contraire seul le législateur pourrait,
sous le contrôle du Conseil constitutionnel, y mettre fin). Pour autant les usagers ne sont pas
dénués de tout moyen d'action : ils peuvent exiger un fonctionnement du service conformément
aux règles qui régissent celui-ci tant qu'il n'est pas supprimé, ils peuvent contester devant le juge
les mesures de réorganisation ou de suppression du service (le fait qu'ils sont recevables dans leur
action ne signifiant pas qu'ils obtiendront satisfaction sur le fond).
Les usagers peuvent se trouver, beaucoup plus rarement, dans une situation contractuelle et, dans
ce cas, il ne s'agit pas obligatoirement, d'une situation contractuelle de droit public, il peut s'agir d'une
situation contractuelle de droit privé : tel est le cas, par exemple, des locataires d'un appartement
d'un office public d'HLM, et en ce qui concerne la location de leur appartement.
B. La gestion du SPA par une personne privée
Depuis la décision Caisse primaire « Aide et protection » (1938), la gestion d'un service public
administratif par une personne privée s'est banalisée, et cette hypothèse se vérifie, notamment (et
parce qu'il en existe un très grand nombre) dans le cas de gestion d'un service public par une
association (V. leçon précédente).
1. Les actes des personnes privées dans le cadre de la gestion d'un SPA
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La situation est différente ici de celle examinée précédemment car s'il s'agit toujours de la gestion
d'un service public la personne qui gère est, par définition, une personne privée.
Remarque
C'est dire que l'on voit s'opposer ici, en théorie, l'exigence d'application du droit administratif
qui découle de la nature de service public, et l'exigence d'application du droit privé qui découle
normalement de la nature privée de la personne. Pour concilier ces deux exigences, les principes
suivants sont appliqués.
Les actes unilatéraux pris par ces personnes privées pour la gestion du service public
seront considérés comme des actes administratifs si trois conditions sont réunies. Il faut,
premièrement, que la personne privée soit investie d'une mission de service public. Cela semble
aller de soi, puisqu'il s'agit d'un service public, mais cette évidence est fausse car, dans la réalité, il
faut commencer par se demander s'il y a bien mission de service public, et l'hésitation est permise
dans de nombreuses situations. C'est souvent la méthode dite du « faisceau d'indices » qui sera
retenue par le juge pour retenir l'existence d'un intérêt public. Il faut, deuxièmement, que la personne
dispose de prérogatives de puissance publiques. Et là encore, il faut se méfier d'évidences qui n'en
sont pas : ce n'est pas parce qu'un organisme dispose de pouvoirs importants, qui ressemblent à
des prérogatives de puissance publique, qu'il s'agit pour autant de prérogatives qui peuvent recevoir
cette qualification. Car les pouvoirs en question peuvent résulter, tout simplement, du statut de
l'organisme (c'est l'hypothèse, vue dans la leçon précédente, de la décision du CE Sect. 21 mai 1976,
GIE Brousse-Cardell, Rec. p. 268, AJDA 1977, p. 42, concl. Mme Grévisse, à propos de comités
économiques agricoles). Naturellement, ceci ne vaut que pour des pouvoirs exercés à l'encontre
des membres du groupement, qui ont donc accepté les règles dudit groupement). Il faut enfin,
troisièmement, que ces prérogatives aient bien été utilisées en vue de la mission de service public
qui leur a été confiée
Ces actes administratifs pris par la personne privée gestionnaire du service public peuvent être aussi
bien des actes administratifs individuels (CE Sect. 13 janv. 1961, Magnier, précité) que des
actes réglementaires (CE Sect. 22 nov. 1974, Fédération des industries françaises d'articles de
sport, Rec. p. 577, concl. Théry, AJDA 1975 p. 19, chron. Franck et Boyon, D1975, p. 739, note
Lachaume, RDP 1975, p. 1109, note Waline, à propos de la décision de la Fédération française de
tennis de table fixant les conditions d'homologation des balles susceptibles d'être utilisées dans les
compétitions nationales).
On trouve, dans le contentieux administratif, d'assez nombreuses décisions qui sont relatives aux
fédérations sportives car la situation de ces fédérations est assez particulière : ce sont des
associations, mais qui sont reconnues par les pouvoirs publics, et l'appellation « fédération sportive
» ou encore « fédération nationale » n'est pas du tout libre, elle est attribuée par les pouvoirs publics,
et ces fédérations ainsi reconnues se voient investies de pouvoirs importants. Et c'est ainsi que
la décision du comité de la Société centrale canine (nom de la fédération agréée) de majorer les
tarifs des redevances afférentes à la tenue du livre généalogique de l'espèce canine est un acte
administratif (CE 15 avr. 1988, Syndicat national des éleveurs de chiens de race, Rec. T, p. 694).
Les contrats passés par ces personnes seront, le plus souvent, des contrats de droit privé parce
qu'ils seront passés avec d'autres personnes privées et que l'exigence que l'une des parties au
moins à un contrat soit une personne publique est une condition nécessaire, normalement, pour
qu'il y ait contrat administratif.
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LES S.P.A. GERES PAR DES PERSONNES PUBLIQUES
RAPPORTS
AGENTS
AVEC
LES
Leurs agents sont tous
des agents publics relevant
d'un statut de droit public
(fonctionnaires ou agents
contractuels,TC 25/03/1996,
Préfet de la région RhôneAlpes) ; leurs droits et
obligations sont, en effet,
établis unilatéralement par
l'administration et peuvent
être modifiés à tout moment ;
en cas de litige, le
juge administratif est donc
compétent.
RAPPORTS
USAGERS
AVEC
LES
Les usagers sont dans
une situation légale et
réglementaire (c'est à dire
définie par les lois et
règlements du service :
l'administration peut modifier
à tout moment et, de
manière
unilatérale,
le
fonctionnement du service
et la situation de l'usager).
Les
usagers
ont
la
possibilité d'attaquer par
la voie du recours pour
excès de pouvoir les
décisions réglementaires
ou individuelles relatives à
l'organisation du service.
Exceptionnellement, l'usager
d'un S.P.A. géré par une
personne publique peut se
trouver dans une situation
contractuelle de droit privé
(le locataire d'un office public
d'HLM ou les emprunteurs
sur gage auprès des caisses
de crédit municipal, par
exemple) ; le juge judiciaire
est alors compétent.
RAPPORTS
TIERS
AVEC
LES
Les
tiers
(fournisseurs,
entrepreneurs...)
peuvent
engager la responsabilité
contractuelle du service
devant le juge administratif
lorsque
le
contrat
litigieux est un contrat
administratif ( Pour être
administratif,
le
contrat
doit comporter :&#x2022;
Un élément organique :
présence ou représentation
(contrat conclu pour le
compte d'une personne
publique
par
exemple
TC,
8/07/1963
Soc.
Ent.
Peyrot)
d'une
personne publique.&#x2022;
Un élément matériel : clause
exorbitante (TC, 31/07/1912,
Granits des Vosges) ou
régime
exorbitant
(CE,
19/01/1973, Sté d'exploit.
élec. de la Rivière du
Sant) OU participation à
l'exécution d'un service
public
(CE,
20/04/1956
Epoux Bertin).Les contrats
conclus
entre
deux
personnes publiques sont
présumés être administratifs
(TC, 21/03/1989, UAP).
D'autres sont administratifs
en vertu de la loi (contrats
relatifs à l'exécution de
travaux publics, contrats
comportant occupation du
domaine public, contrats
de délégation de service
public...).).
S'il
s'agit
d'un
contrat
de
droit
privé,
son
contentieux
appartient à la juridiction
civile.
Le
contentieux
de
la
responsabilité
extracontractuelle relève
de
la
juridiction
administrative,
que
le
litige
résulte
d'une
décision (réglementaire ou
individuelle) ou d'un fait
matériel.
2. La responsabilité extracontractuelle des personnes privées gérant un SPA
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Le principe applicable est celui de la responsabilité de la personne privée devant les juridictions
judiciaires, précisément en raison de sa nature privée.
Par exception à ce principe, la responsabilité va relever du droit administratif et de la compétence
du juge administratif dans les cas suivants
Il en est ainsi lorsque l'origine du dommage se trouve dans une faute commise par une personne
publique. Une hypothèse classique, que nous avons déjà rencontrée, est celle dans laquelle une
personne publique a délégué son pouvoir de police à une personne privée, ce qu'elle ne pouvait pas
faire (CE 23 mai 1958, Consorts Amoudruz, précité).
Une deuxième hypothèse est celle dans laquelle le dommage résulte d'un travail public, celui-ci
présentant traditionnellement un « caractère attractif ».
Une troisième hypothèse est celle dans laquelle le préjudice résulte de la décision de mise-enoeuvre, par la personne privée, des prérogatives de puissance publique qui lui ont été conférées
pour la gestion du service public. Cette hypothèse est illustrée par la situation dans laquelle une
société agréée par l'Etat délivre un certificat de navigabilité aux aéronefs (certificat qui est obligatoire
pour que l'aéronef puisse légalement voler : CE 23 mars 1983, Société Bureau Veritas, Rec. p. 133,
concl. Denoix de Saint Marc).
Enfin, une dernière hypothèse, peu fréquente mais intéressante, est celle dans laquelle la personne
privée responsable se révèlerait insolvable, la personne publique étant alors substituée dans cette
responsabilité à cette personne privée (CE 13 nov. 1970, Ville de Royan c/Dame Le Lan, Rec. p.
683, RDP 1971, p. 741, concl. Braibant).
LES S.P.A. GERES PAR DES PERSONNES PRIVEES
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RAPPORTS
AGENTS
AVEC
LES
Le statut du personnel
relève du droit privé. Le
juge judiciaire est donc
compétent en la matière. Il
n'en est pas ainsi lorsque
le litige porte sur un
acte relatif à l'organisation
du service, pour autant
que la personne gérant
le S.P.A. ait été investie
d'une mission de service
public (CE,17/02/1992 Soc.
Textron), qu'elle détienne
des
prérogatives
de
puissance publique (CE,
6/10/1961, Magnier) et les
utilise en vue de la mission
de service public dont elle est
investie.
RAPPORTS
USAGERS
AVEC
LES
Les usagers des S.P.A.
gérés par une personne
privée sont en principe
dans une situation de droit
public. Il existe cependant
de nombreuses exceptions :
les
rapports
entre
les caisses d'assurance
maladie,
chômage,
vieillesse,
les
ordres
professionnels ou encore les
fédérations sportives et leurs
usagers, sont des rapports
de droit privé et entraînent
donc la compétence du
juge judiciaire, sauf : lorsque le litige porte sur un
acte relatif à l'organisation
du service (la légalité du
tarif institué par le cahier
des charges, par exemple)lorsque le dommage est
un dommage de travaux
publics-lorsque la personne
publique a commis une
faute ou, plus généralement
lorsque le dommage a été
causé par celle-ci dans
l'exercice des prérogatives
de puissance publique qui
lui ont été confiées (CE,
13/11/1970, SA Bureau
Véritas).
RAPPORTS
TIERS
AVEC
LES
En matière de responsabilité
contractuelle,
les
tiers
s'adresseront
au
juge
administratif si le contrat
remplit
les
conditions
exigées pour être qualifié
de contrat administratif.Le
contentieux extracontractuel
des relations de l'institution
de droit privé avec les
tiers relève des tribunaux
judiciaires, sauf :-lorsque
le litige porte sur un acte
relatif à l'organisation du
service-lorsque le dommage
est un dommage de travaux
publics-lorsque la personne
publique a commis une
faute ou, plus généralement,
lorsque le dommage a été
causé par celle-ci dans
l'exercice des prérogatives
de puissance publique qui lui
ont été confiées
§ 2. Les règles applicables aux services publics à caractère industriel
ou commercial (SPIC)
Les règles applicables aux SPIC vont être plus simples que les précédentes, en ce sens que le
principe de base est l'application du droit privé. Cela est logique puisque la catégorie des SPIC
représente la généralisation de l'application du droit privé à tout un service et non plus seulement
à certains actes de celui-ci.
A. Les actes pris pour la gestion du SPIC
1. Les actes unilatéraux
Remarque
Il convient ici de distinguer selon que ces actes sont des actes réglementaires ou des actes non
réglementaires (cette distinction sera précisée dans la leçon sur les actes unilatéraux).
En ce qui concerne les actes réglementaires, et bien que cela soit a priori surprenant, surtout
lorsque le SPIC est géré par une personne privée, comme dans l'affaire qui va être citée, ce qui
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constituerait une double raison d'appliquer le droit privé, néanmoins ces actes seront considérés
comme des actes administratifs s'ils sont pris pour « l'organisation du service ». Cette
solution a été dégagée dans une affaire étonnante : une hôtesse d'Air France fut licenciée au motif
qu'elle s'était mariée, en application d'un règlement pris par le conseil d'administration d'Air France.
L'appréciation de la légalité du licenciement impliquait donc l'appréciation de la légalité du règlement
pris par le conseil d'administration d'Air France, personne privée (une société d'économie mixte).
Le Tribunal des conflits déclara qu'un acte réglementaire pris pour l'organisation du service était,
même s'agissant d'un SPIC, un acte administratif (TC 15 janv. 1968, Epoux Barbier, Rec. p. 789,
concl. Kahn).
En revanche, les actes non réglementaires (catégorie un peu hétérogène qui sera explicitée dans
une autre leçon et qui comprend les actes individuels mais également d'autres actes tels que les
actes collectifs et les actes sui generis) ne peuvent relever que de la compétence judiciaire,
même si la personne qui gère le service est une personne publique : tel est le cas de l'acte d'un
maire refusant à une personne de se brancher sur le réseau d'eau (CE 21 avr. 1961, Dame Veuve
Agnesi, Rec. p. 253) ou du licenciement par le directeur d'une chambre de commerce (qui est un
établissement public) d'un agent (CE Sect. 15 déc. 1967, Level, Rec. p. 501).
2. Les contrats
De même que dans le cas précédent, nous trouvons ici un principe, assorti de quelques exceptions
Le principe est évidemment l'application du droit privé.
On trouve même ici un « bloc de compétences » au profit du juge judiciaire en ce qui concerne
les relations du service avec les usagers : cela signifie que le juge judiciaire va toujours être
compétent, dans les relations entre le SPIC et les usagers, et alors même que les critères du contrat
administratif seraient réunis et devraient conduire à consacrer la nature de contrat administratif et
la compétence du juge administratif. Ce n'est pas le cas parce que le juge a estimé qu'il convenait
d'éviter un morcellement du régime juridique applicable à de tels contrats. Cette jurisprudence
relative aux usagers est illustrée par deux décisions, CE 13 oct. 1961, Etablissement CampanonRey, Rec. p. 567, AJDA 1962, p. 98, concl. Heumann, et TC 17 déc. 1962, Dame Bertrand, Rec.
p. 831, concl. Chardeau.
Mais il convient d'ajouter que ce bloc de compétences ne vaut que pour les relations avec les
usagers, il ne s'applique pas aux autres catégories de personnes avec lesquelles le service
a des relations, notamment les fournisseurs, et le contrat peut donc être un contrat administratif
si les conditions de celui-ci sont réunies. De la même manière, et pour les raisons énoncées
précédemment, les contrats portant sur des travaux publics sont des contrats administratifs.
B. Le personnel et les biens des SPIC
Les solutions sont relativement simples en ce qui concerne le régime juridique applicable au
personnel, mais le législateur peut compliquer les situations.
Le personnel des SPIC est soumis au droit privé, donc au droit du travail avec les conventions
collectives.
Il existe deux exceptions, mais extrêmement limitées, et entendues au surplus restrictivement : sont
des agents publics, si le SPIC est géré par une personne publique, le directeur du service et
l'agent comptable, si ce dernier a la qualité de comptable public (CE 26 janv. 1923, de Robert
Lafreygère, Rec. p. 67 ; CE Sect. 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, Rec. p. 157, D 1957, p. 378,
concl. Mosset).
Des fonctionnaires peuvent être détachés après d'un SPIC, mais cela ne constitue pas une véritable
exception dans la mesure où le détachement conserve un caractère provisoire, il s'agit d'une simple
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application de la position d'un fonctionnaire appelée détachement, ce dernier pouvant se faire auprès
d'une personne publique mais, également, auprès d'une personne privée
En revanche, constitue une « anomalie », du point de vue de ces principes, le fait que des
fonctionnaires soient en fonction et fassent leur carrière au sein d'un SPIC. Cette anomalie
existe de par la volonté du législateur : celui-ci a décidé, lors de la transformation de France Télécom
en société anonyme, par la loi du 2 juillet 1990, que le personnel en poste pourrait conserver le statut
de fonctionnaire. La contradiction entre le statut de société anonyme et le statut de fonctionnaire est
flagrante, elle s'explique très simplement par la volonté du législateur d'éviter que la transformation
du statut de France Télécom ne s'accompagne de troubles sociaux, le législateur a ainsi « acheté
» la paix sociale.
Quant aux biens, tout dépend. Certains biens sont la propriété de la personne gestionnaire et,
lorsqu'ils sont utilisés pour la gestion du service, ils sont soumis aux règles de la propriété privée.
D'autres biens demeurent la propriété de la personne publique, que le gestionnaire soit une personne
privée ou une personne publique, et c'est particulièrement le cas des biens du domaine public. Ces
biens peuvent être mis par la personne publique propriétaire à la disposition du gestionnaire en vue
d'assurer l'exploitation du service.
C. La responsabilité extracontractuelle
Les règles applicables en matière de responsabilité extracontractuelle sont très nuancées parce
qu'il faut tenir compte de diverses considérations qui, chacune, a sa logique propre.
S'il s'agit des relations entre le service et les usagers, on retrouve le même « bloc de compétences »
vu précédemment : le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur les dommages
subis par un usager du service. Cette notion d'usager est entendue au surplus de manière
extensive : le candidat usager est assimilé à l'usager (CE 21 avr. 1961, Dame Veuve Agnesi, précité ;
TC 10 oct. 1966, Dame Canasse, Rec. p. 834, JCP 1966 n° 14899, concl. Dutheillet de La Mothe).
Par ailleurs, la solution est identique que l'usager soit un usager régulier ou un usager irrégulier (cas
du voyageur qui, n'ayant pas acheté de billet, saute du train pour échapper au contrôle, et se blesse
(CE 5 déc. 1983, Niddam c/SNCF, Rec. p. 541). Il est à relever que la compétence est judiciaire
même en cas de dommages de travaux publics, le « caractère attractif » de la notion de travail public
évoqué plus haut cédant ici devant l'exigence d'unité de juridiction.
Cependant, tout ceci ne vaut que s'il s'agit bien d'usagers. Cela signifie d'abord que lorsqu'il s'agit
de responsabilité à l'égard de tiers la compétence peut redevenir celle du juge administratif et
tel est le cas, par exemple, lorsqu'un tiers est victime d'un dommage de travail public, cette notion
retrouvant son empire. Ensuite, si le préjudice résulte d'un acte administratif pris par la personne
gestionnaire du service public (qu'il soit public ou privé) dans le cadre de l'exercice des prérogatives
de puissance publique qui lui ont été conférées, c'est le droit administratif qui s'applique et le juge
administratif qui est compétent (tel est le cas, par ex., de la frappe par les Monnaies et médailles
d'une pièce à l'effigie de J. Monnet : Cass. Ass. plén. 18 juin 1999, Bull. n° 5, p. 9). Enfin, l'usager n'est
pas toujours aisé à déterminer et il faut, par exemple, distinguer la situation de l'usager du SPIC, qui
implique la compétence judiciaire, de la situation de l'usager de l'ouvrage public qui utilise le service,
et qui implique, elle, la compétence du juge administratif (Voir pour une illustration particulièrement
intéressante, et complexe, CE Sect. 24 nov. 1967, Demoiselle Labat, Rec. p. 228).
LE REGIME APPLICABLE AUX S.P.IC GERES PAR DES PERSONNES PUBLIQUES OU
PRIVEES
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RAPPORTS
AGENTS
AVEC
LES
Les agents sont soumis au
droit privé, plus précisément,
au droit du travail. Le juge
judiciaire est donc compétent
pour tout ce qui concerne les
litiges d'ordre individuel entre
le service et ses agents. Il y a
des exceptions : le directeur
général de l'organisme et le
comptable en chef, s'il a la
qualité de comptable public,
ont un statut de droit public.
De plus, la contestation des
actes réglementaires relatifs
à l'organisation du service
relève de la compétence
du juge administratif .(Les
actes unilatéraux pris par
la personne gestionnaire du
S.P.I.C. sont généralement
des actes de droit privé.
Cependant la jurisprudence
a admis, d'abord dans le
cadre des S.P.I.C. gérés par
une personne publique, puis
dans le cas de gestion du
S.P.I.C. par une personne
privée (TC, 15/01/1968 Cie
Air France c/époux Barbier),
que le service pouvait
prendre de véritables actes
administratifs. Il faut 1°)
que ces actes concernent
l'organisation du service, 2°)
que l'organisme en cause
soit doté de prérogatives
de puissance publique et,
3°) si le gestionnaire
est une personne privée,
cette dernière doit avoir
été
habilité
(habilitation
expresse des statuts ou de la
loi) à prendre de tels actes.)
RAPPORTS
USAGERS
AVEC
LES
Les usagers des S.P.I.C.
sont dans une situation
contractuelle de droit privé.
On parle alors de « bloc
de compétence » au profit
du juge judiciaire (CE,
13/10/1961, Ets. CompanonRey) pour tout ce qui
concerne les litiges pouvant
naître de ces rapports. Cette
compétence ne cède devant
aucun autre critère (même
si le contrat contient des
clauses exorbitantes du droit
commun ou si le dommage
causé est un dommage
de travaux publics=TC,
24/06/1954, Dame Galland).
La notion d'usager est
entendue
de
manière
extensive ; peu importe
qu'il s'agisse de l'usager
ou du candidat usager,
que l'usager soit régulier
ou irrégulier. Attention : le
contentieux des dommages
subis par les usagers de
l'ouvrage public (Il faut
distinguer la situation de
l'usager du S.P.IC. de celle
de l'usager de l'ouvrage
public qui permet d'assurer
le service : par exemple, des
personnes venues assister
à un spectacle se déroulant
dans une gare sont usagères
de l'ouvrage public que
constitue la gare et non
du service public des
chemins de fer ( en cas
de dommage subi, cellesci devront se tourner vers
le juge judiciaire).) relève
de la compétence du juge
administratif. De plus, le
juge administratif est, par
exception, compétent si le
litige a été provoqué par un
acte relatif à l'organisation du
service (l'usager peut faire
un R.E.P. contre les actes
réglementaires pris pour
l'organisation du service)
ou par l'exercice d'une
prérogative de puissance
publique par la personne
gestionnaire du
11 S.P.I.C.(CE,
31/10/1998
ADASEA
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réservésdu
Rhône).
RAPPORTS
TIERS
AVEC
LES
Le contentieux des rapports
avec les tiers est en principe
judiciaire. Mais, il n'existe
pas de « bloc de compétence
» au profit du juge en la
matière. Aussi, les contrats
passés par le service avec
des tiers pourront être
administratifs s'il répondent à
certains critères (voir note n
°1) ou si le dommage causé
est un dommage de travaux
publics et ce, qu'il soit dû à
un fait de l'ouvrage ou à un
fait d'exploitation du service).
Le juge administratif sera
également compétent si le
litige est dû à un acte
d'organisation du service où
à l'exercice de prérogatives
de puissance publique.
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Section 3. Les modes de gestion des services publics
Un service est toujours géré par une personne, il n'existe pas en soi, le fait de pouvoir édicter un
acte, passer un contrat, être déclaré responsable est conditionné par la possibilité d'imputer un acte
ou un agissement à un agent qui intervient dans le cadre d'un service relevant d'une personne,
privée ou publique.
Remarque
Certains modes de gestion sont anciens, d'autres sont apparus plus récemment. L'opposition que
l'on pouvait établir traditionnellement entre modes de gestion publics et modes de gestion privée
n'a plus la portée qu'elle pouvait avoir il y a encore quelques années en raison de la création par le
législateur d'une appellation qui se veut générique et qui regroupe différents modes de gestion.
§1. La distinction entre la gestion directe et la gestion déléguée
Il y a gestion directe lorsque une personne - et cela s'applique évidemment à une personne publique,
non à une personne privée qui pourrait se voir reconnaître cette possibilité - gère un service public
sans intermédiaire, tandis que l'on peut parler de gestion déléguée lorsque, à l'inverse, la personne
publique passe par une autre personne pour la gestion du service.
A. La gestion directe du service public
La gestion directe par une collectivité publique d'un service public est appelée gestion en régie, mais
il faut se méfier des fausses appellations, où le terme de régie ne recouvre pas une gestion en régie.
1. La véritable gestion en régie
La régie est donc un procédé par lequel une collectivité publique gère directement un service avec
ses ressources, son personnel, ses moyens matériels. La première et principale caractéristique de
la régie est donc de ne pas apparaître en tant que telle, puisque ce qui apparaît, c'est seulement
la personne qui gère.
Chaque fois que l'on a affaire à une personne publique, celle-ci gère un certain nombre de services
publics en régie. Cela se vérifie au premier chef pour les collectivités publiques, dont de nombreux
services publics sont assurés en régie. L'Etat, les communes, les départements et les régions (sans
compter les collectivités à statut particulier) gèrent la plupart de leurs services publics en régie. Plus
les compétences d'une personne publique sont étendues, et plus on risque de trouver de services
gérés en régie. Les fonctions essentielles à la survie d'une communauté, et le maintien de l'ordre au
premier chef, sont prises en charge sous forme de régies.
On peut observer qu'une même fonction peut faire l'objet, pour partie d'une gestion en régie, et
pour partie d'une gestion déléguée. Ainsi, la fonction d'enseignement et d'éducation est assurée
en régie par les services centraux et locaux du ministère chargé de l'éducation (pour les services
locaux ce sont, notamment, les académies et les rectorats) et de manière déléguée à travers
des établissements publics (collèges, lycées, universités) et des personnes privées (sous forme,
généralement, d'associations).
2. Les fausses régies
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Il ne suffit pas de porter le nom de « régie » pour en être véritablement une, tout au moins du point
de vue juridique. Le législateur a multiplié les appellations trompeuses qui sont à regretter car
elles sont source de confusion.
Exemple
Une première dénomination trompeuse n'a plus aujourd'hui qu'un caractère historique, mais peut
être rappelée, en raison de l'importance de l'entreprise considérée dans notre histoire, économique
et même nationale. Cette appellation fut celle de l'entreprise Renault, qui appartenait au propriétaire
éponyme et fut nationalisée en 1945. L'entreprise fut alors appelée « Régie nationale des usines
Renault » (RNUR, sigle qui a longtemps figuré sur la calandre des véhicules de cette marque).
Or, bien évidemment, Renault n'a jamais été une régie pas plus qu'elle n'a été, et qu'elle n'est, un
service public
Une autre appellation trompeuse est celle de régie intéressée. La régie intéressée est bien un mode
de gestion, mais ce n'est pas une régie, le rapprochement avec cette dernière serait parfaitement
injustifié. S'il y a un mode de gestion dont se rapproche la régie intéressée, c'est plutôt celui de
la concession. La régie intéressée ressemble à une concession, elle s'en distingue, par le mode
de rémunération d'une part (dans la régie la rémunération du gestionnaire appelé régisseur est
constituée par un ensemble d'éléments tels que le chiffre d'affaires, les résultats d'exploitation, le
fonctionnement du service, etc.) par les conséquences de la gestion d'autre part (contrairement
au concessionnaire, le régisseur intéressé ne supporte pas, généralement, la charge des pertes
(CE Sect. 10 mars 1950, Département de la Seine c/Société de transports en commun de la régie
parisienne, Rec. p. 162). La régie intéressée est moins utilisée qu'autrefois, on la trouve encore
cependant pour la gestion de certains services publics locaux, notamment certains services publics
culturels ;
Une troisième appellation trompeuse, enfin, est celle qui a été donnée par le législateur à des
modes de gestion de services publics locaux, l'appellation de régies industrielles et commerciales.
Selon le code général des collectivités territoriales (CGCT), ces régies sont dotées, soit de la
personnalité morale et de l'autonomie financière, soit de la seule autonomie financière. Ces
régies sont administrées par un conseil d'administration et un directeur désignés par l'assemblée
délibérante de la collectivité sur proposition de l'exécutif. On comprend bien l'idée qui est à l'origine
de l'institution par le législateur de ces « régies », c'est la volonté de faire apparaître les résultats de la
gestion, d'éviter que le budget de l'activité ne soit « noyé » dans la masse du budget de la collectivité,
comme c'est le cas lorsqu'il s'agit de la gestion en régie. Mais ces régies, surtout lorsqu'elles sont
dotées de la personnalité morale, ne se distinguent en rien des établissements publics et c'est
pourquoi d'ailleurs, en 2004, le législateur a décidé d'appeler ces régies établissements publics.
B. La gestion déléguée des services publics
Lorsque la gestion du service public est publique, la gestion peut être directe, c'est ce que
nous venons de voir, elle peut aussi être déléguée à une autre personne, publique ou privée.
Lorsque l'on parle de gestion privée par une personne privée, cela suppose une habilitation de la
personne publique. Qu'il s'agisse d'une personne publique ou d'une personne privée, la gestion
déléguée signifie que la gestion du service est confiée à une autre personne que celle dont relève
juridiquement le service.
On distingue deux formes d'habilitation.
1. L'habilitation unilatérale
L'habilitation unilatérale est celle par laquelle une personne publique territoriale, l'Etat, reconnaît à
d'autres personnes, généralement privées, la possibilité de gérer un ou des services publics
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L'habilitation est donnée par le législateur, soit directement, soit indirectement : cette dernière
hypothèse est celle dans laquelle le juge, saisi d'un litige, est amené à se prononcer sur la nature de
l'activité assurée par la personne dont les décisions sont contestées, et déclare qu' « il résulte de la
loi », ou de la loi éclairée par les travaux préparatoires, que le législateur a bien entendu, d'une part
créer un service public, d'autre part autoriser la gestion de celui-ci par une personne privée.
La forme juridique de la personne privée importe peu. Le plus souvent, ces personnes privées
prennent la forme d'associations, c'est le cas, ainsi que nous l'avons vu dans la leçon précédente,
dans le domaine social et sanitaire, dans le domaine culturel, dans le domaine sportif avec les
fédérations sportives, etc. Mais la personne habilitée à gérer un service public peut également
prendre d'autres formes juridiques, notamment la société. La plupart des sociétés gérant des services
publics sont des sociétés d'économie mixte (SEM), soit nationales, soit locales (SEML). C'est dire
que ce sont des sociétés un peu particulières puisque, par définition, elles comportent une part de
capital public (et ce capital a pu, en d'autres temps, être à ce point prépondérant que le capital privé
ne faisait que de la figuration, ces sociétés étaient formellement privées mais totalement contrôlées
par la personne publique). Cependant, il peut arriver également que les sociétés gérant un service
public soient des sociétés anonymes (SA), ce statut apparaissant, aux yeux des pouvoirs publics,
comme une garantie, celle de l' « indépendance » de la société par rapport à l'Etat (ainsi la Banque
de France fut créée, en l'an VIII, sous forme de SA pour inspirer aux Français une confiance qu'ils
avaient perdue dans leur Etat, et la Banque de France a conservé ce statut jusqu'en 1993).
2. L'habilitation contractuelle
L'habilitation contractuelle est celle par laquelle une personne publique confie à une autre personne,
publique ou privée, le soin de gérer un service public.
On conçoit assez facilement qu'une personne publique veuille confier à une personne privée, par
contrat, l'exécution d'un service public, parce qu'elle estime que la satisfaction du besoin auquel
répond le service sera mieux assurée par la personne privée que par elle-même : dans certains
domaines, la personne publique ne dispose pas de la compétence technique nécessaire, elle
n'a ni les moyens en personnel ni les moyens matériels d'exécuter convenablement le service
public. Les personnes privées ainsi bénéficiaires d'une délégation contractuelle peuvent être tout
aussi diversifiées que précédemment : ce peuvent être des associations, ce sont, encore plus,
des sociétés et, par exemple, la concession de service public sera une forme de gestion déléguée
assurée, normalement, par une personne privée.
Mais l'histoire, avec ses aléas politiques, a également montré que le concessionnaire - qui est
donc titulaire d'un contrat avec une personne publique - pouvait être, non seulement une personne
privée, comme ce fut le cas au XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle, mais
également une personne publique : la loi de nationalisation de l'électricité et du gaz, du 8 avril
1946, confie les services publics de la production et de la distribution de l'électricité et du gaz à
deux grands établissements publics créés à cette fin, Electricité de France (EDF) et Gaz de France
(GDF). Ce ne sont pas les seuls établissements publics (ce qu'ils ne sont plus) concessionnaires
de services publics, les chambres de commerce le sont également pour les installations portuaires
et les aéroports.
Il convient de mentionner un point qui sera repris lors de la leçon sur les contrats administratifs :
le législateur a estimé nécessaire d'intervenir pour donner, pour des raisons qui seront explicitées
lors de l'étude des contrats, une définition de la délégation de service public. La loi n.2001.1168
du 11 décembre 2001 portant « mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier
» déclare : « Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de
droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public
ou privé dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service.
Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au
service ». Cette définition sera commentée dans la leçon sur les contrats.
Il convient de signaler qu’en dehors de la dévolution contractuelle et de la dévolution unilatérale une
troisième possibilité existe ; « Il n’est pas exclu, surtout, que l’exercice d’une mission de service public
par une personne privée ne résulte ni d’un contrat ni d’un acte unilatéral chargeant cette personne de
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la mission d’intérêt général, mais qu’il résulte de la simple reconnaissance par la personne publique
de l’intérêt général d’une mission dont la personne privée a pris elle-même l’initiative » (F. Séners,
concl. sur CE 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence). Cette hypothèse, rare, a été consacrée
par le Conseil d’Etat, d’abord dans un avis (Avis de la Section de l’Intérieur du 18 mai 2004 sur la
Cinémathèque française, EDCE 2005, p. 185), ensuite dans la décision précitée du 6 avril 2007,
Commune d’Aix-en-Provence (sur cette décision V. J.-M. Pontier, Mode d’emploi pour la gestion des
services publics culturels. Réflexions à propos de CE 6 avril 2007, JCP A 21 mai 2007, n° 2128).
§ 2. Les formes de gestion déléguée
Une distinction s'impose dans les formes juridiques de la gestion déléguée, selon que le
gestionnaire est une personne publique ou une personne privée.
A. La gestion déléguée du service public par une personne publique
Lorsque le service public est confié par une collectivité publique à une autre personne publique,
celle-ci, autrefois, ne pouvait pas être autre chose qu'un établissement public parce que l' « univers
» des personnes publiques ne comportait que des collectivités territoriales et des établissements
publics. Ces derniers, désormais, ne sont plus les seules personnes publiques spécialisées
1. Les établissements publics
L'établissement public est une notion qui a connu, depuis un siècle, de nombreux avatars - entendons
ce mot dans son sens étymologique de transformations.
L'établissement public est donc une personne publique spécialisée, qui est rattachée à une
collectivité publique territoriale.
Nous avons vu dans la leçon sur les sources que les établissements publics relevaient, selon la
Constitution, de la compétence du pouvoir réglementaire, sauf si le nouvel établissement public créé
ne peut être rattaché à une catégorie existante, auquel cas c'est le législateur qui est compétent.
Et, en vue d'étendre la compétence du législateur, le Conseil constitutionnel a entendu très
largement la notion de « catégorie d'établissements publics », estimant que constituaient, par
exemple, de nouvelles catégories des établissements publics tels que les agences de l'eau, les
caisses de crédit municipal, les universités, et un établissement public unique pouvant constituer, à
lui seul, une catégorie (cas du CNRS, de l'Institut national de la consommation, de l'Etablissement
public chargé des diagnostics et des opérations de fouilles et d'archéologie préventive). Mais la
question de savoir si un établissement public relève ou non d'une catégorie juridique existante n'a
pas de répercussions contentieuses en droit administratif.
En revanche, une véritable difficulté s'est présentée avec la distinction qui s'est opérée entre
établissements publics administratifs (EPA) et établissements publics à caractère industriel ou
commercial (EPIC). Cette distinction s'explique, en résumé, de la manière suivante. De même
qu'il existe une différenciation entre deux catégories de services publics, les services publics
administratifs (SPA) et les services publics à caractère industriel ou commercial (SPIC), de même, at-on pensé, il doit exister une semblable différenciation entre les établissements publics gestionnaires
avec les EPA et les EPIC. Le législateur comme le pouvoir réglementaire ont estimé que la formule
de l'EPIC pouvait effectivement être utile et l'ont consacrée dans les textes. Mais l'on a déduit de
cette distinction que les EPA devaient gérer des services publics administratifs et que les
EPIC géraient tout naturellement des SPIC. Les difficultés ont surgi lorsqu'il est apparu que la
dénomination de l'établissement public ne correspondait pas nécessairement à la nature du
service public ou d'un des services publics gérés. D'une part, en effet, et c'est l'aspect le plus «
acceptable », il peut arriver qu'un établissement public se voit confier différentes missions dont les
unes sont à caractère administratif et dont les autres sont à caractère industriel et commercial
(les auteurs ont parlé d'établissements « à double visage »). Et le juge n'a pu alors faire autrement que
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constater cette pluralité (ex. les ports autonomes ont des missions administratives, comme l'entretien
des ouvrages du port, la police du port, et des missions industrielles et commerciales comme la vente
de sable). D'autre part, et cela est évidemment plus contestable, il peut arriver que la nature du seul
service géré ne corresponde pas à la dénomination de l'établissement public. Cette situation
se présente surtout dans un sens : un établissement public est qualifié, par le législateur ou le pouvoir
réglementaire d'EPIC, alors que sa mission est administrative, parce que l'autorité compétente pour
créer l'établissement a simplement voulu faire échapper celui-ci au droit public. Dans ce cas, il arrive
au juge - mais seulement si la qualification a été donnée par l'autorité réglementaire - de requalifier
l'activité, c'est-à-dire en reconnaissant que le service géré est un service public administratif bien
que l'établissement public ait été qualifié d'EPIC (V. par ex. TC 24 juin juin 1968, Société Distilleries
bretonnes, Rec. p. 801, concl. Gégout).
Ainsi, lorsqu'il s'agit d'un établissement public, la qualification de l'établissement (EPA ou EPIC)
n'est pas déterminante pour savoir quel est le droit applicable, il faut examiner quelle est la nature
du service public géré par l'établissement et appliquer le droit administratif s'il s'agit d'un SPA, le
droit privé s'il s'agit d'un SPIC. Si le législateur est explicite dans la qualification (et il s'agit presque
inévitablement d'un EPIC) le juge ne peut que s'incliner.
Un autre avatar, et non des moindres, subi par l'établissement public a été l'apparition
d'établissements publics territoriaux (EPT). La caractéristique essentielle de ces établissements
publics, qui les différencie des établissements publics classiques, est de disposer d'un territoire.
Depuis un demi-siècle environ, ces établissements publics territoriaux se sont multipliés à l'initiative
du législateur, notamment dans le domaine de la coopération entre les collectivités territoriales
avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui regroupement les
syndicats et les communautés, les syndicats mixtes, mais également dans d'autres domaines tels
que l'environnement (agences de l'eau, parcs nationaux). Ces établissements publics territoriaux
soulèvent de nombreuses interrogations, à commencer - surtout lorsque le législateur leur
confère des compétences étendues - par la distinction avec la collectivité territoriale, qui
s'atténue fortement.
2. Les autres personnes publiques
Pendant longtemps il ne pouvait guère y avoir d'hésitation : lorsque la personne morale était une
personne publique elle était, ou bien une collectivité territoriale, ou bien un établissement public.
Ou, si l'on préfère, dès lors qu'une personne publique ne pouvait être considérée comme
une collectivité territoriale (et celles-ci sont facilement identifiables) elle était nécessairement un
établissement public. Cette simplicité (que certains avaient qualifiée de « pauvreté ») est en voie de
disparition en raison de la consécration de nouvelles catégories de personnes publiques qui ne
sont ni des collectivités territoriales ni des établissements publics.
L'origine de cette diversification se trouve dans une loi du 15 juillet 1982 « d'orientation et de
programmation pour la recherche et le développement technologique » créant des groupements
d'intérêt public dotés de la personnalité morale et de l'autonomie financière pour exercer, pendant
une durée déterminée, des activités de recherche et de développement technologique.
Ces groupements d'intérêt public, rapidement appelés par leur sigle GIP, ont été étendus ensuite
à d'autres domaines que celui de la recherche. Et, naturellement, s'est posée la question de
leur nature : il résulte de la loi que ce sont indubitablement des personnes publiques. N'étant
pas, à l'évidence, des collectivités territoriales, étaient-ils, tout simplement, une forme particulière
d'établissements publics ? La doctrine s'est divisée sur ce point, jusqu'à ce qu'une réponse claire soit
apportée par le Tribunal des conflits. Celui-ci a constaté que le législateur avait voulu faire des GIP
« des personnes publiques soumises à un régime spécifique », ce ne sont pas des établissements
publics (TC 14 févr. 2000, GIP « Habitat et interventions sociales pour les mal-logés et les sansabris » c/ Mme Verdier, Rec. p. 748). C'est donc une nouvelle catégorie de personnes publiques
qui a été consacrée.
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Le mouvement ne s'est pas arrêté là. La Banque de France - institution certes particulière - s'est
vu reconnaître la nature de personne publique spécifique par le Conseil d'Etat (CE 22 mars 2000,
Syndicat national autonome du personnel de la Banque de France). Puis ce sont des autorités
administratives indépendantes qui se sont vu attribuer par le législateur la personnalité morale
(Autorité des marchés financiers, Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, Haute
autorité de santé, Agence française de lutte contre le dopage), ce qui en fait nécessairement des
personnes publiques qui ne peuvent être rattachées à aucune catégorie existante.
B. La gestion déléguée du service public par une personne privée
La gestion déléguée du service public à une personne privée peut être opérée par voie d'habilitation
unilatérale ou par voie contractuelle.
Le premier cas de figure est notamment représenté par les associations, auxquelles les collectivités
publiques, plus particulièrement les collectivités territoriales confient souvent la gestion d'un service.
Les agréments sont l'une des modalités de dévolution unilatérale du service public. Cependant, les
dévolutions contractuelles sont les plus fréquentes.
Signalons également un cas un peu particulier: selon le juge administratif, les conventions
d'exploitation des casinos sont des délégations de service public (DSP) et cela même si les jeux ne
sont pas un service public (CE 19 mars 2012, SA Groupe Partouche, req. n° 341562).
1. La concession
La concession est une dévolution contractuelle du service public, c'est même l'un des modes les
plus traditionnels de délégation d'un service public.
La concession est donc un contrat - nous verrons dans une leçon ultérieure que c'est un contrat
administratif - par lequel une personne publique, dénommée concédant, confie à une autre personne,
dénommée concessionnaire, la gestion d'un service public, le concessionnaire payant un prix au
concédant et se rémunérant lui-même par des redevances perçues sur les usagers.
La concession fera l'objet d'une étude plus approfondie dans le cadre de l'étude des contrats
administratifs, mais l'on peut d'ores et déjà relever les trois points suivants.
•
En premier lieu, le concessionnaire peut être aussi bien une personne physique qu'une
personne morale. Cette seconde hypothèse est la plus fréquente et l'on peut penser, par
exemple, à la concession de la construction, puis de la gestion, d'une autoroute, ou encore celle
de la gestion d'un service de transports (transport urbain ou interurbain, transports scolaires,
etc.). Cependant la possibilité d'une concession assurée par une personne physique, beaucoup
moins fréquente pour des raisons assez évidentes (notamment de capacité financière) peut
se présenter. Tel est le cas d'une petite commune qui confie la gestion de son théâtre à un
homme de l'art
•
En deuxième lieu, la logique du procédé de la concession est que le concessionnaire soit une
personne privée. C'est ainsi que la concession s'est développée tout au long du XIXe siècle, la
collectivité publique se tournant vers les personnes privées pour réaliser des travaux (canaux,
chemins de fer, etc.) pour lesquels elle ne disposait pas de la compétence technique, pas plus,
d'ailleurs, que des capacités financières. Les évolutions politiques que la France a connues
ont cependant conduit à des situations dans lesquelles des personnes publiques se trouvaient
être concessionnaires de services publics. Et tel a été le cas, jusqu'à la transformation de
leur statut, d'EDF et de GDF, établissements publics ayant reçu de la loi de nationalisation
de l'électricité et du gaz du 8 avril 1946 le monopole (sous quelques très rares et limitées
exceptions) de la production et de la distribution de l'électricité et du gaz.
•
En troisième lieu, la concession a dû évoluer sous l'influence du droit communautaire. Car,
hormis le cas où le législateur lui-même désignait dans la loi le concessionnaire, comme dans
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le cas précédent, l'administration disposait de la liberté de choix de son cocontractant, dans le
cadre de la concession. C'était le principe de l'intuitu personae, qui définit ce mode de gestion
qu'est la concession. La liberté de choix n'a pas été supprimée, mais fortement encadrée, par
les principes de publicité et de mise en concurrence posés par le droit communautaire.
2. Les autres modes de dévolution contractuelle du service public
Il existe une grande variété de modes de gestion du service public et il ne saurait être question de les
passer en revue. Signalons seulement deux procédés, qui se rapprochent d'ailleurs de la concession.
Un procédé est celui dit de l'affermage.
Un autre procédé est celui de la gérance
Il s'agit là d'un mode de gestion dans lequel,
et à la différence de la concession, d'une
part la rémunération du fermier consiste
en la différence entre les recettes réalisées
et la redevance versée à l'administration,
d'autre part, les ouvrages nécessaires à
l'exploitation du service sont construits
par la personne publique et non par le
fermier.
Il s'agit d'un procédé par lequel le gérant
perçoit une rémunération forfaitaire, tandis
que la collectivité conserve les bénéfices et
assume les déficits, le risque pesant donc,
ici sur la personne publique et non sur le
gestionnaire.
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Cours : L’action administrative
Auteur : Jean-Marie Pontier
Leçon n° 6 : Les principes du service public
Table des matières
Section 1. Introduction.............................................................................................................................p. 2
Section 2. Les principes classiques applicables aux services publics.............................................. p. 3
§1. Le principe de continuité des services publics ..................................................................................................... p. 3
A. Appréciation de la continuité..........................................................................................................................................................p. 3
B. Valeur juridique du principe de continuité......................................................................................................................................p. 4
§ 2. Le principe d'égalité et le service public ............................................................................................................. p. 5
A. L'égale admissibilité aux emplois publics...................................................................................................................................... p. 6
B. L'égalité des usagers devant le services public............................................................................................................................ p. 7
§ 3. Le principe de neutralité ......................................................................................................................................p. 9
A. Le principe de neutralité et les agents du services....................................................................................................................... p. 9
B. Le principe de neutralité et les usagers...................................................................................................................................... p. 10
§ 4. Le principe de mutabilité.....................................................................................................................................p. 10
A. Signification du principe de mutabilité......................................................................................................................................... p. 11
B. Portée du principe de mutabilité.................................................................................................................................................. p. 11
Section 3. Les nouveaux principes du services public......................................................................p. 13
§1. Le principe de transparence................................................................................................................................ p. 13
A. Caractéristiques du principe de transparence............................................................................................................................. p. 13
B. La transparence dans l'édiction des actes unilateraux................................................................................................................ p. 13
1. La publicité des actes............................................................................................................................................................................................... p. 14
2. L'information des administrés....................................................................................................................................................................................p. 15
§ 2. Le principe de participation.................................................................................................................................p. 16
A. L'évolution de la participation.......................................................................................................................................................p. 16
B. Formes et valeur de la participation............................................................................................................................................ p. 17
C. Les domaines de la participation................................................................................................................................................. p. 18
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Section 1. Introduction
Les principes sont ce qui commande une action ou une organisation, ils orientent la manière de se
comporter, ils fixent une règle pour l'action.
Les principes existent dans tous les domaines, qu'il s'agisse du domaine des sciences dites exactes
ou de celui des sciences sociales. On les trouve donc logiquement en droit, et ces principes sont
très nombreux.
Remarque
Il suffit de rappeler, dans une leçon précédente, les principes généraux du droit, dont on a vu toute
l'importance qu'ils pouvaient revêtir.
Les services publics sont également soumis à un certain nombre de principes, en ce sens
que leur organisation mais surtout leur fonctionnement doivent répondre à un certain nombre
d'exigences représentées par ces principes. Ces derniers ont été dégagés progressivement par le
juge administratif ainsi que, à une époque plus récente, parfois par le législateur, qui a tendance,
désormais, à multiplier les principes
Certains de ces principes sont traditionnels, ce qui ne veut pas dire qu'ils n'évoluent pas et qu'ils ne
se renouvellent pas. D'autres, énoncés plus récemment, correspondent à de nouvelles exigences
de notre temps, les attentes des citoyens à l'encontre de l'administration s'étant tout naturellement
transformées avec les transformations de la société.
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Section 2. Les principes classiques applicables aux services
publics
Par principes classiques il faut entendre les principes que le juge a dégagés au fur et à mesure que
des questions relatives aux services publics lui étaient soumises. Ce sont aussi des principes sur
l'énoncé desquels un accord se fait sans difficultés (l'accord sur l'énoncé n'impliquant pas l'accord
absolu sur le contenu).
Un auteur, Louis Rolland, a systématisé ces principes, d'où le nom de « lois de Rolland » qu'on leur
donne quelquefois, étant entendu qu'il ne faut évidemment pas comprendre le terme de « lois » dans
son sens habituel. Ces principes sont au nombre de trois, leur importance, comme on va le voir,
n'est pas tout à fait la même.
§1. Le principe de continuité des services publics
Le principe de continuité des services publics est toujours présenté en premier, en raison de
l'importance qu'il présente pour toute société : la continuité des services publics c'est, d'une certaine
manière, la continuité de l'Etat, l'absence de continuité c'est le signe d'une faillite de l'Etat
A. Appréciation de la continuité
Il convient de se demander ce qu'est et ce que représente la continuité avant de s'interroger sur la
valeur juridique de continuité.
Que veut-on dire lorsque l'on parle de continuité ?
•
En premier lieu, il faut relever que la notion de continuité n'est pas propre aux services publics,
elle dépasse le service public. On trouve en effet la notion de continuité en droit constitutionnel,
avec la notion d' « affaires courantes ». Celle-ci signifie qu'un gouvernement démissionnaire
ne peut plus prendre de décisions importantes pour le pays, néanmoins, et selon la formule
consacrée, il doit continuer à « expédier les affaires courantes ». Expédier les affaires courantes
c'est, par exemple, continuer à payer les fournisseurs de l'administration, les agents de l'Etat,
etc. On n'imagine pas que, à partir du moment où un gouvernement est démissionnaire,
plus aucune décision ne peut être prise, ce serait la paralysie de l'Etat. La notion d'affaires
courantes est l'expression de ce principe de continuité, elle a d'ailleurs été consacrée par le
juge administratif dans une décision importante de 1952 (CE 4 avr. 1952, Syndicat régional des
quotidiens d'Algérie, Rec. p. 210).
•
En deuxième lieu, le simple bon sens commande de dire que le principe de continuité ne peut
pas être apprécié de la même manière pour tous les services : pour certains services le principe
de continuité sera plus exigeant que pour d'autres services, tout dépend de l'importance de la
fonction exercée. Certains services doivent fonctionner de manière continue, la nature même
des missions assurées implique qu'il n'y ait aucune interruption dans le fonctionnement du
service.
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Exemple
Deux exemples peuvent être cités en ce sens.
• Le premier est celui de la défense nationale. Par définition, la défense nationale doit être prête
à faire face à une agression pouvant survenir à n'importe quel moment. Shakespeare fait dire
à l'un de ses personnages : « J'aime les hommes gras, les hommes gras et qui dorment la nuit
» : ceux qui dorment ne préparent pas d'attentat ... Précisément, un ennemi potentiel pourrait
tirer profit d'un arrêt de fonctionnement, ou simplement d'une baisse de vigilance des services
ennemis et l'attaquer à ce moment-là. Nos sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE),
c'est-à-dire de missiles balistiques, n'auraient aucune utilité si, à certains moments, certaines
heures, certains jours, ils ne se trouvaient pas en patrouille dans les mers et les océans.
• Un second exemple est celui des hôpitaux : on comprend parfaitement que l'hôpital, pris au
sens large du terme, ne puisse jamais s'arrêter, ne connaisse pas les fins de semaines ou les
fêtes, car c'est précisément en ces circonstances que certains accidents arrivent.
Dans ces deux exemples la continuité du service ne peut signifier que la permanence du
fonctionnement du service.
En revanche pour d'autres services publics, pour la majorité même des services publics, on admet
que le principe de continuité ne signifie pas la permanence de fonctionnement, ce qu'implique
le principe de continuité est plutôt la régularité de fonctionnement du service, avec des horaires
d'ouverture au public, des « permanences » (qui ne sont pas la permanence) certains jours : les
bibliothèques, les services sociaux, les écoles, fonctionnent de cette manière-là, qui est d'ailleurs
également la manière de fonctionner des entreprises privées.
•
En troisième lieu l'appréciation de la continuité d'un service est fonction de différents facteurs,
qui peuvent naturellement évoluer avec le temps. S'agissant par exemple des services ouverts
au public, ce qui est le cas d'un grand nombre de services publics, des horaires réguliers
d'ouverture ne suffisent pas à assurer la continuité si ces horaires ne sont pas adaptés :
les horaires d'heures normales de travail, par exemple, sont de moins en moins adaptés car
les administrés se trouvent précisément eux-mêmes au travail durant ces heures d'ouverture,
les horaires décalés sont indispensables pour que ces administrés puissent accomplir les
démarches indispensables (d'où, d'ailleurs, et de manière justifiée, le développement des
procédures par internet, qui permet de se dégager des contraintes horaires). Cela signifie
également, puisque tout ne peut être mis sur internet, et n'y est d'ailleurs pas, même lorsque
cela serait possible (il y a un coût à cette opération, la numérisation des livres, par exemple,
prend du temps), que ce qui pouvait paraître satisfaisant autrefois ne l'est plus nécessairement
aujourd'hui : les horaires d'ouverture des bibliothèques, qu'elles soient universitaires ou
municipales, ne prennent pas suffisamment en compte les besoins des usagers. Il peut en
être de même pour les transports en commun, métro, bus, tramways, qui, le soir venu, ont un
fonctionnement ralenti.
•
En quatrième lieu, cela montre qu'il peut y avoir opposition entre des intérêts divergents, les
intérêts des personnels et les intérêts des usagers. Normalement le service public devrait
compris comme étant d'abord le service du public. Ce n'est pas toujours le sentiment
qu'éprouvent les usagers, les personnels défendant d'abord leurs intérêts propres (conditions
de travail par exemple). L'opposition est accentuée, voire exacerbée, dans le cas de grève. Le
droit de grève est reconnu aux agents, on verra plus loin qu'il a une valeur juridique équivalente
à celle du principe de continuité. Mais, quoi qu'il en soit, en cas de grève la continuité du service
est affectée, voire est interrompue, au profit des personnels et au détriment des usagers.
B. Valeur juridique du principe de continuité
Les juges ont été amenés à se prononcer sur la valeur juridique du principe de continuité, compte
tenu notamment du fait que ce principe s'oppose au droit de grève, qui a reçu, dans le Préambule
de 1946, une valeur constitutionnelle.
C'est précisément à propos d'une loi réglementant le droit de grève au sein du service public de la
radiodiffusion-télévision que le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le principe de continuité,
4
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et il a déclaré, dans sa décision 105-DC du 25 juillet 1979 que le législateur pouvait apporter les
limitations nécessaires au droit de grève « en vue d'assurer la continuité du service public qui, tout
comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle ». Les choses
sont donc désormais claires, le principe de continuité des services publics a, selon le Conseil
constitutionnel, une valeur constitutionnelle.
Le Conseil d'Etat a été conduit tout naturellement à se prononcer, lui aussi, sur le principe de
continuité du service public, dans des situations caractérisées par l'interruption du service, la question
posée étant de savoir quels sont les pouvoirs de l'autorité administrative dans un tel cas. La décision
de principe, en la matière, demeure celle rendue par le Conseil d'Etat en 1950 (CE Ass. 7 juill. 1950,
Dehaene, Rec. p. 426, RDP 1950, p. 691, concl. Gazier) à propos de mesures de suspension de
fonctionnaires d'autorité (en l'espèce des chefs de bureau de préfecture) par le ministre de l'intérieur
à la suite d'une grève intervenue en 1948. Le Conseil d'Etat fut confronté, pour la première fois, à la
disposition du Préambule consacrant le droit de grève. Le Préambule déclare que « le droit de grève
s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Ayant rappelé cette formule, le Conseil d'Etat
que par là le constituant « a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la
défense des intérêts professionnels dont la grève constitue une modalité et la sauvegarde de l'intérêt
général auquel elle peut être de nature à porter atteinte ». Et il déclare que « en l'absence de cette
réglementation la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les
limitations qui doivent être apportées à ce droit comme à tout autre en vue d'en éviter un usage
abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public ; (...) en l'état actuel de la législation, il appartient
au gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics, de fixer lui-même, sous
le contrôle du juge, en ce qui concerne ces services, la nature et l'étendue desdites limitations ».
On peut tirer de la jurisprudence du Conseil d'Etat trois enseignements.
•
•
•
En premier lieu, la grève des agents publics est licite, elle est reconnue par une norme
constitutionnelle comme par les lois, mais il faut rappeler que ce ne fut pas toujours le cas
dans le passé, il fut un temps où la grève des fonctionnaires était illégale, c’est encore le cas,
aujourd’hui, dans certains pays.
En deuxième lieu, le droit de grève qui appartient à tout fonctionnaire doit cependant se concilier
avec le devoir de réserve qui s'impose à tout agent public (V. en ce sens CE 12 oct. 1956,
Dlle Coquand, Rec. p. 362, l'incitation par voie de tracts et de harangues, même en dehors du
service, à une grève politique, constitue une faute disciplinaire).
En troisième lieu, même lorsque la grève est licite, l'autorité administrative peut prendre les
mesures destinées à éviter, selon la formule de Dehaene, « un usage abusif ou contraire aux
nécessités de l'ordre public »<CITATION/> (V. par ex. CE Ass. 4 fév. 1966, Syndicat unifié des
techniciens de la RTF, Rec. p. 81, CJEG 1966 p. 121, concl. Bertrand).
Il convient également de relever que la formule du Constituant de 1946 comporte deux aspects :
•
•
d'une part elle affirme et consacre le droit de grève mais,
d'autre part, elle ajoute que ce droit « s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Or
cette seconde partie de la formule a souvent été oubliée.
Sous la Quatrième République, le législateur, souvent impuissant, n'a pas osé adopter cette
législation générale qui était appelée par la disposition du Préambule, et plus le temps s'écoulait,
plus il paraissait difficile d'adopter une loi mettant en oeuvre la disposition du Préambule : cette loi
aurait apporté nécessairement des limitations au droit de grève, et cette idée se heurtait à l'opposition
unanime des syndicats. Sous la Cinquième République des lois ont bien été adoptées, mais aucune
d'entre elles ne constitue la législation générale impliquée par la disposition constitutionnelle. Tel est
le cas, notamment, de la loi du 31 juillet 1963, relative à certaines modalités de la grève dans les
services publics (l'expression « certaines modalités » indique bien qu'il ne s'agit pas d'une législation
générale ; V. en ce sens CE Ass. 4 fév. 1966, Syndicat unifié des techniciens de la RTF, précité).
C'est pourquoi, faute pour le législateur d'avoir édicté cette législation générale, le Conseil d'Etat a
maintenu l'essentiel de la jurisprudence Dehaene (CE Sect. 17 mars 1997, Fédération nationale des
syndicats du personnel des industries de l'énergie électrique, nucléaire et gazière, Rec. p. 90)
§ 2. Le principe d'égalité et le service public
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Remarque
Nous avons vu dans une leçon précédente que le principe d’égalité était un principe général du droit,
mais nous avons pu également constater que ce principe peut se décliner de différentes manières
selon les domaines, et que le fait de parler du principe d’égalité de façon abstraite n’a aucun sens,
n’est qu’un slogan politique.
S'agissant du service public, le principe d'égalité trouve les traductions suivantes
A. L'égale admissibilité aux emplois publics
Les services publics, pris au sens organique de l'expression, sont gérés par des agents publics.
Le principe d'égale admissibilité aux emplois publics est donc un principe essentiel de
fonctionnement de ces services.
L'histoire de l'administration montre qu'un certain nombre d'atteintes ont été portées à ce principe
d'égale admissibilité aux emplois publics, et ce sont les efforts pour supprimer ces atteintes qui sont
à rappeler.
Parmi les nombreuses atteintes auxquelles on peut songer, l'une de celles qui, encore aujourd'hui,
ont entraîné des politiques de correction, est l'atteinte à raison du sexe<REGLE_PRATIQUE/> c'està-dire, concrètement, les discriminations opérées à l'encontre des femmes. Le problème de l'égalité
entre hommes et femmes est évidemment loin de se limiter aux questions de recrutement dans les
différentes fonctions publiques, c'est un problème général de société, et le législateur, ainsi que
le constituant lui-même, sont intervenus pour tenter de régler cette question. S'agissant de notre
domaine, et de la fonction publique plus spécialement, il faut également relever, avant d'examiner
l'évolution qui s'est produite, que la question de l'égalité a été plutôt mieux résolue dans la fonction
publique que dans le secteur privé : les différences de salaires, notamment, subsistent dans le
secteur privé, alors qu'elles n'existent plus au sein des différentes fonctions publiques.
•
•
•
A la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, encore, le juge administratif se montre
compréhensif à l’égard de l’administration lorsque celle-ci écarte une femme, ne contrôlant pas
les motifs par lesquels l’administration prend sa décision. Il faut signaler, pour comprendre ces
décisions, qu’à cette époque il n’existe évidemment pas de statut de la fonction publique, et
que, parallèlement, le législateur, celui de la troisième République, se refuse obstinément à
reconnaître le droit de vote aux femmes.
Un deuxième stade de l'évolution est représenté par la décision Demoiselle Bobard (CE 3 juill.
1936, Rec. p. 721) dans laquelle le juge affirme « l'aptitude légale aux emplois dépendant des
administrations centrales des ministères », tout en reconnaissant au gouvernement le droit de
décider des restrictions à l'admission et à l'avancement du personnel féminin « si des raisons de
service (le) nécessitent », le juge ne contrôlant toujours pas ces raisons. Ministre de l'éducation
nationale c/Mme Buret, Rec. p. 556).
Le troisième stade de l'évolution est représenté par l'adoption du premier statut de la fonction
publique, le 19 octobre 1946, prohibant toute discrimination en dehors des « dispositions
spéciales » résultant de statuts particuliers. Le juge administratif va adapter sa jurisprudence
en conséquence, déclarant que le gouvernement ne peut apporter de dérogations au principe
d'égalité des sexes que « dans le cas où la nature des fonctions exercées ou les conditions
d'exercice de ces fonctions exigent de telles dérogations », celles-ci étant au surplus désormais
appréciées « sous le contrôle du juge » (CE Ass. 6 janv. 1956, Syndicat national autonome du
cadre d'administration générale des colonies, Rec. p. 4, Rev. adm. 1956 p. 33, concl. Laurent).
Exemple
Et l'on peut citer un exemple assez significatif dans lequel le maire d'une commune, ayant organisé
un concours pour le recrutement d'un secrétaire de mairie, avait fait savoir qu'il ne voulait pas d'une
femme, le juge ayant bien évidemment annulé le concours au terme duquel un homme avait été
pris (Ce 9 nov. 1966, Commune de Clohars-Carnoët, Rec. p. 591, D 1967, p. 92, concl. Braibant).
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Les statuts ultérieurs de la fonction publique se sont largement inspirés des formules
jurisprudentielles. Le statut général actuel de la fonction publique affirme le principe d'égalité, sous
la seule réserve de la possibilité de procéder à des recrutements distincts pour les hommes et
les femmes lorsque « l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante
pour l'exercice des fonctions », et le juge a appliqué ces dispositions au recrutement des corps
d'instituteurs et d'institutrices, des professeurs d'éducation physique et sportive, des personnels de
services extérieurs de l'administration pénitentiaire et de certains corps de la police nationale (CE
16 avr. 1986, CFDT, Rec. p. 104, concl. Boyon). Cependant, la CJCE a estimé ces recrutements
distincts non justifiés par la directive du 9 février 1976 relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité
de traitement entre hommes et femmes (CJCE 30 juin 1988, Commission c/France, aff. 318/86).
En application de cette jurisprudence, le Conseil d'Etat a notamment annulé le refus qui avait été
opposé à la candidature d'une femme à une affectation dans un emploi d'enseignant spécialisé dans
une maison d'arrêt (CE 7 déc. 1990)
Une deuxième série d'atteintes que l'on peut relever au principe d'égalité est représentée par
les atteintes portées à raison des opinions politiques des intéressés. On sait très bien que les
discriminations idéologiques et politiques sont intrinsèquement liées à la nature autoritaire ou
totalitaire d'un régime politique, mais les démocraties ont-elles aussi, à lutter contre la tentation
de telles discriminations. La jurisprudence en ce domaine est particulièrement claire, elle est
représentée par un arrêt de principe remarquable par la méthode utilisée par le juge.
Jurisprudence
Il s'agit de la célèbre affaire Barel (CE 28 mai 1954, Ass., Barel, Rec. p. 308, concl. Letourneur) : le
sieur Barel s'était vu refuser la possibilité de présenter le concours d'entrée à l'ENA, le motif réel,
mais non avoué, de ce refus étant son appartenance au parti communiste ; malgré les dénégations
du ministre, le juge annula le refus en déclarant que s'il appartient au ministre chargé d'arrêter
la liste des candidats admis à concourir, « d'apprécier, dans l'intérêt du service, si les candidats
présentent les garanties requises pour l'exercice des fonctions auxquelles donnent accès les études
poursuivies à l'Ecole nationale d'administration et s'il peut, à cet égard, tenir compte de faits et
manifestations contraires à la réserve que doivent observer ces candidats, il ne saurait, sans
méconnaître le principe de l'égalité de tous les Français aux emplois et fonctions publics, écarter
de ladite liste un candidat en se fondant exclusivement sur ses opinions politiques ».
Dans le même ordre d'idée, et dans le prolongement de Barel, le dossier du candidat qui présente un
concours ne doit comporter aucune mention de ses opinions politiques ou de son appartenance
syndicale (CE 28 sept. 1988, Mermenghi, Rec. p. 316), pas plus d'ailleurs que de ses convictions
philosophiques ou religieuses.
Les convictions religieuses, ou plus exactement l'état religieux, ont représenté une autre forme
d'atteinte au principe d'égalité. Sur ce point la jurisprudence administrative a été beaucoup moins
assurée et moins respectueuse de ces convictions : dans une décision de 1912 (CE 10 mai 1912,
Abbé Bouteyre, Rec. p. 553, concl. Helbronner) le Conseil d'Etat avait admis que le ministre de
l'instruction publique avait pu légalement écarter du concours un membre du clergé. Cette décision,
déjà fort critiquable en son temps (elle aboutit à faire des ministres du culte des « citoyens de seconde
zone ») ne paraît plus représentative de l'état du droit et doit être considérée comme caduque (un
jugement du TA de Paris du 7 juill. 1970, Spagnol, Rec. p. 851, a d'ailleurs annulé le refus d'admettre
un ecclésiastique à participer au concours d'agrégation d'anglais). Dans un avis du 21 septembre
1972 (EDCE n° 55, p. 422) l'assemblée générale du Conseil d'Etat déclare : « si les dispositions
constitutionnelles qui ont établi la laïcité de l'Etat et celle de l'enseignement imposent la neutralité de
l'ensemble des services publics et en particulier la neutralité du service de l'enseignement à l'égard
de toutes les religions, elles ne mettent pas obstacle par elles-mêmes à ce que des fonctions de ces
services soient confiées à des membres du clergé ».
B. L'égalité des usagers devant le services public
Un autre aspect du principe d'égalité est celui du principe d'égalité des usagers devant le service
public.
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Ainsi que l'on peut s'en douter, cette question a donné lieu à une abondante jurisprudence. Le
principe d'égalité qui régit le fonctionnement des services publics a été clairement consacré, en tant
que principe général du droit, par le Conseil d'Etat dans sa décision (vue dans les développements
relatifs aux principes généraux du droit) du 9 mars 1951,Société des concerts du Conservatoire .
Le juge a reconnu que les usagers avaient un intérêt suffisant - au sens juridique du terme - pour
attaquer, par la voie du recours pour excès de pouvoir, des décisions administratives relatives au
fonctionnement d'un service public dans une décision très célèbre (CE 21 déc. 1906,Syndicat des
propriétaires et contribuables du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli, Rec. p. 962, concl. Romieu).
Le principe d'égalité devant les services publics donne lieu à une jurisprudence complexe, car il
signifie - ce qui peut apparaître comme l'expression du bon sens mais est en réalité très difficile à
mettre en oeuvre - que les personnes doivent être soumises aux mêmes règles, mais à condition de
se trouver dans une situation identique à l'égard du service public. Et c'est cette notion de situation
identique qui soulève de nombreuses interrogations, car elle n'est pas aisée à apprécier.
En d'autres termes, des différences de traitement entre les usagers sont justifiées si elles tiennent
à la différence de situation des usagers, ou à des considérations d'intérêt général relatives au
fonctionnement du service.
Ces différences se traduisent fréquemment par des différences de tarification.
Jurisprudence
Le Conseil d'Etat a précisé les conditions de la légalité de différences de tarifs dans une affaire
célèbre, celle du bac (avant qu'il n'y ait un pont) entre La Rochelle et l'île de Ré. Le conseil général,
qui exploitait le bac, avait institué trois tarifs, un tarif préférentiel pour les habitants de l'île de Ré,
un autre tarif pour les habitants de Charente-Maritime, et un troisième tarif, le plus élevé, pour les
autres utilisateurs du bac. Le Conseil d'Etat considère que les habitants de l'île de Ré se trouvent
dans une situation différente des autres usagers justifiant des tarifs préférentiels (on comprend la
chose, puisque les habitants de l'île sont obligés de venir sur le continent, ne serait-ce que pour le
ravitaillement), mais qu'il n'y a pas de différence entre les habitants du département de CharenteMaritime et ceux des autres départements (ce qui se comprend tout aussi bien, le conseil général
avait peut-être pensé que les habitants des autres départements n'étaient pas des électeurs ...).
La formule utilisée par le Conseil d'Etat est la suivante : ' La fixation de tarifs différents pour un
même service rendu à diverses catégories d'usagers ou d'un ouvrage public implique, à moins
qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences
de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions
d'exploitation du service ou de l'ouvrage commande cette mesure (CE Sect., 10 mai 1974 Denoyez
et Chorques, , Rec. p. 274). L'histoire ne s'est pas tout à fait arrêtée là car le législateur a adopté une
loi, la loi du 12 juillet 1979, légalisant les différenciations tarifaires pour les bacs et les ponts à péage.
Cette loi a été déférée au Conseil constitutionnel, lequel a déclaré qu'une loi prévoyant de telles
discriminations n'était constitutionnelle que si elle était justifiée, soit par « une nécessité d'intérêt
général en rapport avec les conditions d'exploitation de l'ouvrage d'art », soit par « la situation
particulière de certains usagers » (CC n° 79-107 DC du 12 juill. 1979), l'idée étant la même que
celle consacrée par le juge administratif, mais la formulation étant un peu différente.
Le fonctionnement des services publics locaux a donné lieu à une jurisprudence relative aux
différenciations tarifaires que des collectivités territoriales (essentiellement des communes, car ce
sont elles qui sont le plus concernées) avaient instituées. Ces communes ont eu recours à deux
critères de différenciation entre les usagers. Le premier critère a été celui des ressources financières
des familles des élèves. Après avoir, durant un temps, différencié la réponse selon la nature du
service, en admettant cette différenciation pour les services publics sociaux (CE 20 janv. 1989,
Centre communal d'action sociale de la Rochelle, Rec. p. 8, à propos d'une crèche) et en la refusant
pour les services publics culturels (CE 26 avr. 1984, Ville de Tarbes, Rec. p. 119), le Conseil d'Etat a
admis de telles différenciations pour l'ensemble des services publics locaux (CE Sect. 29 déc. 1997,
Commune de Gennevilliers, Rec. p. 499, RFDA 1998 p. 539, concl. Stahl, à propos des tarifs d'une
école de musique).
De la même manière, pour ces services publics locaux, le Conseil d'Etat admet les différenciations
tarifaires fondées sur la domiciliation des intéressés : s'agissant d'une cantine scolaire, les tarifs
peuvent être plus élevés pour les élèves domiciliés hors de la commune que pour les élèves dont les
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familles ont leur résidence sur le territoire de la commune (CE Sect. 5 oct. 1984, Commissaire de la
République de l'Ariège, Rec. p. 315, concl. Delon), à condition, toutefois, que les tarifs les plus élevés
n'excèdent pas le prix de revient du repas (la solution est la même pour les écoles de musique : le
tarif le plus élevé ne doit pas dépasser le coût annuel par élève de l'établissement).
§ 3. Le principe de neutralité
Le principe de neutralité est présenté par certains auteurs comme une conséquence du principe
d'égalité, et est rattaché par eux à ce dernier.
Cependant, d'une part le principe de neutralité ne se confond pas systématiquement avec le principe
d'égalité, d'autre part il ne met pas l'accent sur les mêmes exigences : dans le principe d'égalité, ce
qui est mis en avant ce sont les droits des usagers à l'égard du service, dans le principe de neutralité
ce sont plutôt les devoirs du service à l'égard des usagers. Il est donc préférable de traiter le principe
de neutralité à part, en l'envisageant du côté des agents et du côté des usagers.
A. Le principe de neutralité et les agents du services
Les agents qui collaborent à un service public doivent respecter le « devoir de stricte neutralité qui
s'impose à tout agent collaborant à un service public » (CE 3 mai 1950, Demoiselle Jamet, Rec.
p. 247).
La neutralité doit être envisagée essentiellement dans les rapports de l'agent avec les usagers,
mais on peut également y faire entrer la réserve dont doivent faire preuve les agents à l'égard de
l'institution elle-même.
Remarque
La neutralité est l'indifférenciation de l'attitude que doivent avoir les agents par rapport aux
convictions de tous ordres, et notamment politiques ou religieuses, des personnes qui sont en lien
avec le service. Cela explique que ce soit de manière privilégiée dans le domaine de l'enseignement
que la question se soit posée, et que le juge ait été amené à préciser le contenu de la neutralité.
Jurisprudence
C'est, par exemple, au nom du principe de neutralité, que le juge a estimé en l'espèce non
respecté, qu'a été annulée une décision autorisant l'organisation dans un lycée de réunions par de
groupements politiques d'élèves (CE 8 nov. 1985, Rudent, Rec. p. 316, RFDA 1986 p. 630, concl.
M. Laroque). Le principe de neutralité s'oppose également à ce que les formulaires de candidature
à des concours (mais cela vaut plus largement pour les emplois) comportent des demandes de
renseignements portant sur les opinions confessionnelles, syndicales ou politiques (CE 4 nov. 1996,
Confédération nationale des groupes autonomes de l'enseignement public, Rec. p. 430). Il interdit
encore que des emblèmes religieux (exemple un crucifix) soient apposés dans les bâtiments publics
(CAA Nantes 4 fév. 1999, Association civique Joué Langueurs).
La neutralité est également représentée par le principe d'impartialité dont doivent faire preuve
non seulement les agents des services publics mais les organismes et les institutions publics :
l'impartialité est une « obligation », ainsi que l'a rappelé le Conseil constitutionnel, et cette obligation
s'applique aux juridictions comme aux organes administratifs.
Jurisprudence
Dans la décision Didier (CE Ass. 3 déc. 1999, Didier, RFDA 2000, p. 584, concl. Seban) le Conseil
d'Etat rappelle que le principe d'impartialité est énoncé à l'article 6-1 de la Convention européenne
des droits de l'homme. Le principe d'impartialité résulte donc, tantôt de l'article 6-1 de la Convention
européenne des droits de l'homme, tantôt de règles purement internes, sans que cela entraîne de
différences sensibles.
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On peut rapprocher également du principe d'impartialité l'obligation de réserve qui pèse sur tout
agent public.
Cette obligation de réserve est orientée vers l'Etat, ou la collectivité publique plus généralement, et
non vers les usagers. Elle implique que le fonctionnaire doit faire preuve de loyauté à l'égard des
pouvoirs publics : l'agent peut ne pas être d'accord avec les dirigeants du pays, ou de la collectivité,
mais il doit exécuter les ordres qui lui sont donnés et accomplir le mieux possible ses tâches, son
désaccord éventuel il l'exprime dans les bulletins de vote. La loyauté n'est pas le loyalisme, qui
impliquerait, pour les agents, de devoir partager les idées politiques des dirigeants (cela existe dans
des pays qui ne sont évidemment pas des démocraties).
B. Le principe de neutralité et les usagers
C'est, de nouveau, de manière privilégiée dans les établissements d'enseignement que la question
de la neutralité s'est présentée. Dans les années 80 la question s'est posée sous un jour nouveau,
auquel n'avaient manifestement pas songé les autorités publiques qui, au départ, ont été prises un
peu de court, l'affirmation de convictions religieuses. Les pouvoirs publics, marqués par une histoire
républicaine caractérisée par les conflits avec l'Eglise catholique qui s'étaient conclus avec la loi de
séparation de 1905, ont été surpris par l'affirmation de convictions islamiques se traduisant par ce
que l'on a appelé improprement le « port du foulard » par des jeunes filles dans les établissements
scolaires. Les réactions à ce phénomène ont été diverses, certaines élèves ont été exclues de
l'établissement dans lequel elles se trouvaient en raison du port de ce vêtement, ce qui a impliqué une
intervention des pouvoirs publics. Le gouvernement a, selon une (bonne) habitude, demandé l'avis
du Conseil d'Etat. Celui-ci a, le 27 novembre 1989, rendu un avis équilibré et assez remarquable
dans lequel il rappelle à la fois le principe de laïcité de la France et le nécessaire respect de la liberté
de conscience, suggéré des solutions de compromis. Des circulaires ministérielles ont été prises à
destination des établissements scolaires pour leur indiquer la conduite à tenir.
Le Conseil d'Etat a eu également à se prononcer, mais sur le plan contentieux, à propos de mesures
prises par des directeurs d'établissements scolaires à l'encontre de jeunes filles ne se conformant
pas aux dispositions du règlement intérieur de l'établissement. Conformément à une jurisprudence
traditionnelle, mais également à la position qu'il avait adoptée dans l'avis précité, le juge a annulé les
dispositions d'un règlement intérieur interdisant le port de tout signe distinctif, vestimentaire ou autre,
d'ordre religieux, politique ou philosophique, en raison du caractère général et absolu de l'interdiction
(CE 12 nov. 1992, Kherouaa, Rec. p. 389, RFDA 1993 p. 112, concl. Kessler). En revanche, il a
admis la légalité de l'exclusion définitive de deux élèves qui avaient refusé, lors d'un enseignement
d'éducation physique, d'ôter le foulard qu'elles portaient en signe d'appartenance religieuse, car le
port de ce foulard était « incompatible avec le bon déroulement des cours d'éducation physique » et
la décision définitive d'exclusion avait été prise « en raison des troubles que leur refus a entraînés
dans la vie de l'établissement, aggravés par les manifestations auxquelles participait le père des
intéressées à l'entrée du collège » (CE 10 mars 1995, M. et Mme Aoukili, AJDA 1995 p. 332, concl.
Aguila).
Le législateur a estimé nécessaire d'intervenir et a adopté la loi du 15 mars 2004, qui comporte un
article unique ainsi rédigé : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou
tenus par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, est interdit
» (pour la petite histoire on retiendra que des débats pittoresques, mais non inutiles, ont eu lieu au
Parlement sur le point de savoir s'il convenait de garder le terme d' « ostentatoire », qui figurait dans
la circulaire ministérielle du 20 septembre 1994, ou d'adopter le terme d' « ostensible », ce qui a
été finalement le choix du législateur). Le Conseil d'Etat, saisi d'un recours en annulation contre une
circulaire d'application de cette loi, considéré que ladite loi n'était pas contraire à l'article 9 de la
Convention européenne des droits de l'homme (CE 8 oct. 2004, Union française pour la cohésion
nationale, Rec. p. 367, RFDA 2004 p. 977, concl. Keller).
§ 4. Le principe de mutabilité
Le législateur de notre temps n'a plus les illusions du législateur révolutionnaire qui croyait établir des
lois pour les siècles à venir, les lois n'ont qu'un temps, elles doivent être adaptées aux circonstances
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et aux nouvelles exigences. Ce serait d'ailleurs plutôt l'inverse qui se produit aujourd'hui, la loi étant
frappée d'instabilité et de précarité, ainsi que le Conseil d'Etat l'a relevé dans son rapport de 1991.
Ce qui vaut pour la loi vaut à plus forte raison pour les actes pris par l'administration.
A. Signification du principe de mutabilité
Ce qui mute c'est ce qui se transforme, et c'est pourquoi on peut aussi bien parler du principe
d'adaptation, le changement étant opéré, normalement, en vue d'adapter la réglementation aux
nouvelles considérations (d'ordre politique ou autre). Et, normalement aussi, l'adaptation est faite
pour améliorer.
Le principe de mutabilité, ou d'adaptation, s'explique facilement. L'administration a en charge les
services publics, organisés, ainsi que nous l'avons observé précédemment, en vue de satisfaire les
intérêts publics tels qu'ils sont définis par les organes et les autorités compétents en vertu de la
Constitution pour ce faire. Elle apprécie donc ce que sont ces intérêts, et si elle estime que leur
satisfaction appelle un changement dans les réglementations elle peut apporter les modifications
jugées utiles. On peut relever à cet égard les points suivants.
•
Tout d'abord, et ainsi que l'observait un commissaire du gouvernement, le juge n'exerce
qu'un contrôle minimum (on verra dans une leçon ultérieure ce que recouvre cette notion de
contrôle minimum) sur « l'appréciation portée par l'administration des conditions dans lesquelles
les besoins du public peuvent être satisfaits » (concl. Massot sur CE Sect. 18 mars 1977,
Chambre de commerce de la Rochelle et autres, Rec. p. 153). Cela signifie que l(administration
peut modifier les conditions de fonctionnement du service, ou encore le mode de gestion du
service, par exemple en passant d'une gestion publique à une gestion privée, ou l'inverse. Cela
n'empêche pas les intéressés de contester, s'ils y ont un intérêt, la mesure de modification.
•
Ensuite, l'administration peut procéder à la modification, soit par voie unilatérale, soit par voie
conventionnelle. L'autorité administrative compétente peut, de sa propre initiative, procéder
à la modification jugée nécessaire, notamment lorsqu'il s'agit de la modification d'une
réglementation. C'est la situation la plus fréquente, l'administration procédant, notamment, aux
changements nécessités par l'adoption d'une loi nouvelle. Les citoyens ne peuvent, en effet,
se prévaloir d'un droit au maintien d'une réglementation (V., par ex. la décision du CE Sect.
27 janv. 1961, Vannier, Rec. p. 60, concl. Kahn, dans laquelle le juge déclare, à propos de
la suppression des émissions de télévision en 441 lignes que ce service peut être supprimé,
même si c'est avant - compte tenu d'un incendie ayant détruit l'émetteur - la date prévue par voie
réglementaire). Le changement peut résulter également d'un accord, plus ou moins formalisé.
D'une part, en effet, en ce qui concerne les relations avec les collectivités territoriales, l'Etat a
cherché à développer ce que l'on peut appeler la contractualisation, afin de mieux assurer la
satisfaction d'un certain nombre de services publics. D'autre part, l'Etat a cherché à « associer
», d'une manière ou d'une autre, les citoyens à la prise de décisions afin que les décisions
administratives soient mieux comprises et mieux appliquées (V. infra, les nouveaux principes
du service public).
•
Enfin, si l'administration peut, sous réserve naturellement de la légalité des mesures qu'elle
prend, apporter des modifications à l'organisation ou au fonctionnement des services, sa liberté
est limitée sur deux points. D'une part, l'administration ne peut supprimer un service si celuici a un caractère obligatoire (ce caractère obligatoire pouvant découler de la Constitution,
pour les services publics constitutionnels, ou de la loi). D'autre part, l'administration doit, dans
certains cas, procéder au changement, tel est le cas lorsque, en application de la jurisprudence
Compagnie Alitalia (3 fév. 1989), précitée, l'autorité administrative, saisie d'une demande
d'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y faire droit, que ce règlement ait été illégal dès
l'origine ou qu'il le soit devenu par suite du changement de circonstances.
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B. Portée du principe de mutabilité
Le principe de mutabilité a surtout des effets à l'égard des usagers du service, mais il convient de
distinguer selon la nature du service public concerné.
Les usagers des services publics administratifs se trouvent le plus souvent dans une situation légale
et réglementaire par rapport au service et tel est le cas,
Exemple
Tel est le cas d’un patient hospitalisé dans un établissement public d'hospitalisation (CE 30 mars
1984, Hôpital-hospice de Mayenne c/ Baras, Rec. p. 141). Les changements dans leur situation ne
peuvent intervenir que dans les conditions énoncées précédemment.
Les usagers des services publics à caractère industriel et commercial se trouvent soumis, eux aussi,
au principe de mutabilité et, par exemple, le juge a estimé que, du fait de la transformation profonde
des conditions économiques résultant de la crise pétrolière, certaines lignes aériennes avaient perdu
leur justification, et que la compagnie Air Inter (absorbée, depuis, par Air France) avait pu fermer
en priorité les lignes les plus déficitaires (CE Sect. 18 mars 1977, Chambre de commerce de La
Rochelle et autres, Rec. p. 153)
Qu'il s'agisse de services publics administratifs ou de services publics à caractère industriel et
commercial, les usagers ne sont pas pour autant dépourvus de moyens d'actions.
Ils ont droit, notamment au « fonctionnement normal du service », tant que celui-ci n'a pas
été réorganisé ou n'a pas été supprimé (s'il peut l'être), et peuvent contester les mesures de
réorganisation du service (ex. CE 25 juin 1969, Vincent, Rec. p. 334 : modification des horaires
d'ouverture et de fermeture des bureaux de poste). Par ailleurs de telles mesures de réorganisation
ne sont légales que si elles ne rétroagissent pas, et cela vaut, en particulier, pour les dispositions
financières qui régissent ces services :
Exemple
Une nouvelle tarification de l'eau doit s'appliquer uniquement à compter du relevé de consommation
suivant, l'application de la nouvelle tarification à des consommations d'eau effectuées avant l'entrée
en vigueur de la délibération fixant la nouvelle tarification est illégale (CE 11 juin 1993, Commune
de Rai, Rec. T. p. 660).
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Section 3. Les nouveaux principes du services public
Une précision préalable doit être apportée : les nouveaux principes dont il est question ci-après ne
sont pas assimilables aux principes qui viennent d'être examinés, notamment parce qu'ils n'ont pas,
ou pas encore, à la fois la précision et surtout la valeur des précédents. C'est pourquoi, d'ailleurs,
il n'existe pas de « liste » incontestable de ces nouveaux principes, que chacun croit voir émerger
et dont certains reçoivent d'ores et déjà, ou recevront peut-être, dans l'avenir, une confirmation
législative ou réglementaire.
Dans son rapport de 1995, Service public, services publics : déclin ou renouveau, le Conseil d'État
évoque, parmi les enjeux à clarifier, l'élucidation et l'enrichissement des principes du service public
et cite le principe d'égalité, les principes d'adaptation et de continuité, les principes de neutralité et de
laïcité, le principe de participation, les principes de transparence et de responsabilité, les principes
de simplicité et d'accessibilité. On peut s'arrêter sur deux de ces principes, en raison de la référence
qui y est faite assez fréquemment, on pourrait presque parler de « mode », sans attribuer à ce terme
de sens péjoratif : une mode peut correspondre à un besoins, c'est souvent le cas.
§1. Le principe de transparence
A. Caractéristiques du principe de transparence
Dans l'énumération du rapport du Conseil d'Etat, précité, il paraît incontestable que, dans certains
cas, on a bien affaire à des principes nouveaux. Il en est ainsi du principe de transparence. Le Conseil
d'État illustre ce principe par référence à un certain nombre de lois adoptées par le législateur depuis
la fin des années 1970 : loi du 6 janvier 1978 (dite "informatique et libertés") ; loi du 17 juillet 1978
qui consacre, notamment, le droit d'accès aux documents administratifs ; loi du 11 juillet 1979 sur
la motivation de certaines décisions administratives. Le décret du 28 novembre 1983 est également
invoqué à l'appui de ce principe. Celui-ci recouvre en fait, selon cette analyse, l'amélioration des
rapports entre les administrés et l'administration. Il se présente donc de manière assez vague.
Mais l'affirmation du principe de transparence n'est pas seulement nationale.
"La contribution la plus visible (et certaine) du droit communautaire au développement et à la
formation des obligations de service public se manifeste (...) en matière de progrès de l'exigence de
transparence" (J.-F. Flauss, L'influence du droit communautaire sur le droit administratif français, II,
LPA 16 janv. 1995), cette exigence ne paraissant cependant s'appliquer, selon les auteurs, qu'aux
services publics ayant une activité d'entreprise au sens du Traité, soit les SPIC (CJCE 7 mars 1990,
GB-INNO-BM et Confédération du commerce luxembourgeois, Rec. 683). Avec cette obligation de
transparence, celle de sécurité, J.-F. Flaus parle de nouvelles "lois" du service public qui pourraient
avoir un effet sur la notion française de service public.
La protection des droits des administrés, exigence fondamentale des sociétés modernes, est
conditionnée par la connaissance des actes de l'administration.
La notion de publicité des actes est essentielle à la réalisation de la transparence, elle s'applique
aux actes unilatéraux comme aux relations contractuelles. La protection des droits de la défense,
la motivation des actes administratifs, peuvent être considérées comme entrant dans ce principe
très général qu'est le principe de transparence.
Ces deux aspects seront analysés dans le chapitre sur les actes unilatéraux.
B. La transparence dans l'édiction des actes unilateraux
La transparence est entendue de plus en plus largement, et l'on parle de « droit à la transparence ».
Selon Y. Jegouzo ce droit engloberait « l'essentiel des procédés qui ont visé à améliorer les relations
entre l'administration et les administrés, c'est-à-dire non seulement ceux qui tendent à lever le secret
administratif, mais aussi ceux qui tendent à faire peser sur l'administration l'obligation d'accompagner
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son action de mesures de publicité ou d'information active ou d'y associer les administrés notamment
par la consultation ».
1. La publicité des actes
Le premier facteur ou la première condition de la transparence, c'est la publicité qui est donnée
aux actes pris par l'autorité administrative. Cette publicité s'oppose au secret de l'administration. Ce
secret fut une caractéristique de ce que l'on appelle, en France, l'Ancien Régime, c'est-à-dire toute
la période qui précède la Révolution française. Aujourd'hui encore, dans un certain nombre de pays
dans le monde, les décisions de l'administration ne sont pas publiées, les citoyens n'ont pas une
connaissance directe des actes de l'administration, ce qui confère à celle-ci une supériorité sur les
citoyens, met ces derniers dans la quasi impossibilité de contester les décisions administratives. Il
ne s'agit plus, alors, de pouvoir discrétionnaire mais d'un pouvoir arbitraire.
En France il convient de distinguer selon qu'il s'agit des actes de l'administration locale, c'est-à-dire
de l'administration décentralisée, ou des actes des autorités de l'Etat.
• En ce qui concerne les actes des autorités locales, le législateur a toujours été très soucieux
d'éviter l'arbitraire dans l'édiction des actes. Lorsque il existait une tutelle de l'Etat sur les
collectivités locales, soit jusqu'en 1982, le problème ne se posait guère du point de vue de
l'administration (il pouvait en revanche se poser pour les citoyens) : les actes des autorités
locales n'étaient exécutoires qu'après avoir été approuvés par le préfet, lequel avait un rôle
de vérification de la conformité à la loi de ces actes et c'était la décision du préfet qui pouvait,
éventuellement, être déférée au juge administratif.
Depuis 1982, et la suppression de la tutelle administrative, les actes des collectivités territoriales
n'ont plus besoin de l'approbation du préfet. Ils n'acquièrent cependant force exécutoire que si, pour
tous les actes quels qu'ils soient, une publicité est donnée à ces actes. Faute de cette publicité
l'acte n'est pas exécutoire (pour un certain nombre d'actes de ces collectivités, les plus importants,
il faut, au surplus, que l'acte ait été transmis au représentant de l'Etat, celui-ci exerçant un contrôle
administratif sur l'acte en question et pouvant le déférer au juge administratif s'il le juge illégal).
Cette publicité prend généralement la forme d'une publication qui est opérée par insertion dans le
bulletin de la collectivité, la loi imposant à un certain nombre de collectivités de tenir un registre de
ses délibérations. Par ailleurs la loi peut imposer d'autres modes de publicité parallèlement ou
à la place de la publication, cette publicité prenant la forme d'un affichage dans les locaux de
la collectivité. Dans certains cas une double publicité est imposée. C'est ainsi que dans le cas
des permis de construire - mais qui ne sont pas des actes réglementaires - la loi impose à la fois
l'affichage en mairie et l'affichage sur le terrain.
•
En ce qui concerne les actes émanant de l'Etat, il faut distinguer selon les types d'actes.
• S'il s'agit de décrets, et sauf cas très particuliers, la publicité ne soulève aucun problème,
elle est assurée par la publication au Journal officiel de la République française. Jusqu'à
une période récente, on pouvait cependant s'interroger sur l'effectivité de cette publicité,
en ce sens que si, ainsi qu'on l'affirme facilement en France, « nul n'est censé ignorer la
loi », en pratique le Journal officiel n'était guère lu par les « Français moyens », seuls les
juristes, et les administrations concernées, ayant soin de le lire. Cependant la situation
s'est très nettement améliorée, depuis environ trois ans, et la mise en ligne systématique
du Journal officiel sur le site Légifrance, désormais bien au point et facile d'emploi.
• En ce qui concerne les autres actes la question est beaucoup plus nuancée. Tous
les arrêtés ne sont pas publiés au Journal officiel, ou le sont avec retard, l'argument
invoqué étant l'engorgement de ce dernier du fait de la multiplication des textes. C'est
là un problème beaucoup plus de fait que de droit, et auquel il est difficile de donner
des réponses vraiment satisfaisantes. Une autre illustration de cette difficulté peut être
donnée à propos des schémas de services collectifs. Ces derniers sont théoriquement
importants puisque, même s'ils n'ont pas de caractère prescriptif, ils sont supposés définir
les équipements à réaliser dans tous les domaines et les aménagements à opérer.
Ces schémas ont fait l'objet d'une publication au Journal officiel, mais cette publication
est seulement relative au décret approuvant les schémas. Ces derniers constituaient
un ensemble beaucoup trop volumineux pour pouvoir être publiés au JO puisque ils
totalisent plus de 1600 pages. Il faut se reporter à une édition particulière du JO, l'édition
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des documents administratifs, pour avoir connaissance de ces schémas (les documents
administratifs ne sont pas mis en ligne).
Dans un certain nombre de cas la question de la publicité n'apparaît que par le biais d'un litige porté
devant la juridiction administrative, le juge étant alors amené à préciser l'étendue de l'exigence de
publicité.
Jurisprudence
Ainsi, dans une affaire où un arrêté avait prévu certaines primes au profit de certains personnels
et avait été publié dans la revue de l'Ecole nationale de la santé publique (ENSP), le juge a estimé
que la publicité était insuffisante et a exigé une publicité « raisonnable ». C'est donc le juge qui
est, en dernière analyse, le gardien de l'exigence de transparence dans l'exercice du pouvoir
discrétionnaire et précise l'étendue de l'obligation d'information qui incombe à l'administration.
2. L'information des administrés
Si l'on inclut les mesures d'information dans la transparence administrative, de nombreuses
mesures peuvent être considérées comme entrant dans la mise en oeuvre de ce droit à la
transparence.
•
La première mesure d'information est la publicité à donner aux décisions prises par une autorité
publique. La loi est, en dehors des normes constitutionnelles qui soulèvent d'autres problèmes,
la norme la plus importante pour les citoyens puisque émanant de la volonté nationale (ou/et
populaire), et elle est supposée être connue de tous. C'était là plus une pétition de principe
qu'une réalité, malgré l'existence, dans les pays d'Europe, d'un Journal officiel comportant
les lois applicables. A notre époque d'autres mesures de publicité sont indispensables, et on
ne comprendrait pas qu'il n'existe pas de sites officiels où n'importe qui peut, gratuitement,
consulter en ligne le journal officiel comme, d'ailleurs, les travaux préparatoires aux lois dans
les assemblées. De ce point de vue des progrès considérables ont été accomplis partout en
Europe.
Mais la publicité ne concerne pas seulement les lois, pour lesquelles elle est tellement évidente,
dans un pays démocratique, qu'elle ne se discute guère. En réalité l'essentiel des normes n'est
pas constitué par la loi mais pour les normes infra législatives, c'est-à-dire les règlements et,
plus encore, les circulaires, instructions et autres notes de service. En pratique on observe en
effet que, dans la plupart des pays, les agents publics se réfèrent d'abord, non pas à la loi mais aux
circulaires d'application. Et, bien que ces circulaires ne concernent en principe pas les administrés,
d'une part il peut arriver qu'elles soient réglementaires ou à caractère impératif, pour reprendre
la terminologie du Conseil d'Etat français, d'autre part, si l'on estime que la transparence inclut
le droit de savoir comment fonctionne l'administration, alors il paraît souhaitable que les citoyens
connaissent les circulaires en question. La difficulté tient à ce que ces circulaires se comptent, pour la
France (mais probablement en est-il de même pour la plupart des grands pays) et le journal officiel ne
les publie pas toutes. Il faut aller rechercher les bulletins officiels pour trouver ces circulaires et autres
mesures d'ordre intérieur, et encore toutes ne sont pas publiées, pour des raisons parfois obscures.
L'exigence de transparence vaut également pour les décisions de justice, car si celles-ci ne sont
pas accessibles aux citoyens on peut considérer que la démocratie n'est pas vraiment réalisée :
dans certains pays, par exemple, il existe une cour constitutionnelle, mais les arrêts de celle-ci ne
sont jamais publiés, et ne sont pas communicables, ce qui entretient naturellement une suspicion à
la fois sur la qualité des décisions et, surtout, sur l'indépendance de la juridiction. Les sites officiels
ont, de ce point de vue, grandement amélioré la transparence.
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Exemple
Pour la France, par exemple, les décisions du Conseil d’Etat non publiées au Recueil Lebon sont
accessibles sur le site Légifrance et, plus encore, les arrêts des cours administratives d’appel, où
se forge désormais la réalité du droit, sont disponibles sur ce même site. Seuls les jugements de
tribunaux administratifs ne figurent pas dans leur texte sur le site, on trouve seulement un résumé,
et il faut souhaiter que, pour ces tribunaux également, l’intégralité des jugements soient publiés. Des
efforts doivent être faits pour améliorer la lisibilité (au sens propre et au sens figuré) des décisions
de justice.
•
L'information recouvre encore d'autres mesures possibles. Parmi celles auxquelles peuvent
être sensibles les citoyens se trouve l'identification des agents ou des autorités qui ont pris
une décision. L'anonymat a été une sorte de marque de fabrique de l'administration, il est
caractéristique d'un univers que l'on qualifie volontiers de « kafkaïen ». En France, la loi
du 12 avril 2000 sur l'amélioration des relations entre l'administration et les citoyens a levé
de manière générale l'anonymat des fonctionnaires. Désormais toute personne a le droit de
connaître le nom, le prénom, la qualité et l'adresse (professionnelle bien entendu) de l'agent
chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui le concerne. Ces indications doivent
figurer sur les correspondances adressées aux citoyens par l'administration. Cette exigence
s'applique aux fonctionnaires de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics
à caractère administratif, le personnel des organismes de sécurité sociale et le personnel des
organismes chargés de la gestion d'un service public administratif.
•
L'information en vue de la transparence peut encore porter sur les comptes des autorités
administratives et des organismes aidés ou subventionnés. La transparence comporte ainsi un
volet de « transparence financière » qui est lui-même double.
• D'une part, les autorités administratives qui tiennent des comptes doivent mettre ces
derniers à la disposition des citoyens. Des dispositions en ce sens existaient en France
depuis plusieurs années en ce qui concerne les budgets des collectivités publiques,
notamment ceux des collectivités territoriales.
• L'exigence de publicité a été étendue aux organismes de sécurité sociale, pour lesquels
elle concerne la mise à disposition du public des comptes des caisses de sécurité sociale
ainsi que les documents qui intéressent les citoyens, ainsi qu'aux organismes de droit
privé bénéficiant d'une subvention publique, l'utilisation de deniers publics par ces derniers
justifiant cette mesure.
§ 2. Le principe de participation
Le principe de participation est surabondamment invoqué par les pouvoirs publics, comme par ceux
qui les critiquent, chacun en appelle à la participation, à plus de participation, et nombreuses sont les
lois qui prévoient, sous une forme ou sous une autre, une participation, la dernière loi adoptée en la
matière étant une loi du 27 décembre 2012 relative à la mise en oeuvre du principe de participation
du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement (V. ci-après)..
A. L'évolution de la participation
La participation des citoyens (des sujets, à l'époque) n'était pas, autrefois, entièrement inconnue : on
en trouve une application ancienne, et particulière, avec les "associations syndicales", ni véritables
associations, ni syndicats au sens où nous l'entendons aujourd'hui, destinées à la lutte contre les
inondations, à l'irrigation, aujourd'hui, en plus, à la lutte contre les incendies de forêts, l'adhésion
pouvant être obligatoire (dans le cas d'une association obligée) ou la sortie interdite (dans le cas
d'une association autorisée).
La participation a été, historiquement, revendiquée dans le domaine politique, peu dans le domaine
administratif. Cette limitation de la participation à la vie administrative tient à plusieurs facteurs : le
fait que, longtemps, elle ne parut guère utile parce que l'État intervenait peu dans la vie des citoyens ;
la réticence, critiquable mais explicable, des administrations ; le fait, aussi, que le "circuit politique"
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est un "circuit ascendant" tandis que le "circuit administratif" est un "circuit descendant de l'intérêt
général déterminé par la loi aux intérêts particuliers" (J. Boulouis).
La participation aux services publics, à laquelle les auteurs anciens n'attachaient guère d'importance,
est devenue essentielle pour des raisons inverses des précédentes : les services publics se
sont multipliés et le citoyen est en permanence en relations avec eux ; "l'administration de
commandement" est de moins en moins acceptée, une bonne exécution d'une décision est celle
qui emporte l'adhésion des intéressés ; les progrès de la démocratie, ou les exigences d'une plus
grande démocratisation, appellent un développement de la participation.
B. Formes et valeur de la participation
La participation des citoyens au fonctionnement des services publics peut prendre plusieurs formes,
associant plus ou moins étroitement les intéressés à la décision qui sera prise. Le stade le moins
contraignant est celui de la consultation, mais celle-ci a des effets plus ou moins prononcés :
• spontanée ou facultative, la consultation laisse toute la liberté à l'administration ;
• obligatoire, elle contraint l'administration à prendre l'avis exigé, tout en la laissant libre de sa
décision ;
• avec l'avis conforme, elle est tenue de suivre l'avis (cette hypothèse étant assez rare).
La participation peut être une association à la prise de décision. Cette collaboration entre les
citoyens et les services publics peut se réaliser à travers plusieurs procédés.
• On a parlé de cogestion pour désigner la gestion associée des caisses de sécurité sociale. .
• Un autre procédé, utilisable à l'échelon local, est le référendum (lequel n'est pas seulement
applicable dans le domaine politique). Les pouvoirs publics, et plus encore les élus locaux, sont
réticents, pour ne pas dire hostiles, à l'égard de ce procédé.
La loi du 6 février 1992 avait prévu, dans certains cas, le référendum de consultation (le référendum
de décision demeurant exclu). Cette solution ne pouvait perdurer, le référendum étant un procédé
de démocratie directe qui, au moins à l’échelon local, présente un réel intérêt. C’est pourquoi lors
de la réforme constitutionnelle de 2003 un article nouveau a été introduit, l’article 72-1 qui prévoit,
notamment, la possibilité pour les collectivités territoriales de recourir, sous certaines conditions, au
référendum de décision. Les dispositions relatives à l’organisation du référendum sont codifiées
aux articles L.O. 1112-1 et s. du Code général des collectivités territoriales (V. infra).
La participation au fonctionnement des services publics présente des avantages :
•
•
elle est un facteur de démocratie, de meilleure compréhension réciproque et, par là, de paix
sociale ;
elle garantit une meilleure exécution des décisions, donc est un facteur d'efficacité.
Elle comporte aussi des inconvénients :
•
•
•
il peut s'agir d'une fausse participation, ce qui accentue les tensions au lieu de les atténuer,
d'un moyen, pour l'administration, de se décharger de ses responsabilités ;
il y a aussi un risque de dissolution du pouvoir de décision, donc des responsabilités (en cas
de procédure complexe faisant intervenir de multiples organismes appelés successivement à
donner leur avis) ; .
enfin la participation ne supprime pas l'opposition, parfois irréductible, entre l'intérêt général et
les intérêts particuliers
Un phénomène a largement joué dans la revendication, d'abord, la réalisation, ensuite, d'une
participation des citoyens aux services publics, c'est le phénomène associatif. Ce dernier,
longtemps plus faible en France que dans les pays anglo-saxons, s'est largement développé avec,
aujourd'hui, environ 500 000 associations dans notre pays (25 000 associations nouvelles se créant
chaque année).
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Avantages de la participation
fonctionnement des services publics
•
•
au
Facteur de démocratie
• de
meilleure
compréhension
réciproque
• de paix sociale
Meilleure exécution des décisions
• dont un facteur d'efficacité
Inconvénients de la participation
fonctionnement des services publics
•
•
•
au
Fausse participation
Risque de dissolution du pouvoir de
décision
Ne supprime aps l'opposition entre
l'intérêt général et l'intérêt particulier
C. Les domaines de la participation
Le domaine de l'aménagement de l'espace et de l'urbanisme est un de ceux qui appellent la
participation et les procédures ont été réformées pour être plus conformes aux exigences de notre
temps. L'enquête, qui est une procédure assez ancienne en droit français, prévue, à l'origine, dans
une hypothèse principale, celle de l'expropriation, a été étendue à d'autres domaines. Plus de 8000
enquêtes ont lieu chaque année. Une réforme du 14 mai 1976 a prévu un plus grand nombre de
lieux accessibles au public appelé à donner son opinion, et un délai minimum d'enquête. La loi du 12
juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement
a porté la durée de l'enquête à un mois (pouvant être prolongé de 15 jours), modifié le statut des
commissaires enquêteurs pour accroître leur crédibilité et leur indépendance, donné la possibilité,
nouvelle, de provoquer des réunions publiques.
La loi dite « démocratie de proximité », du 27 février 2002, a institué des « conseils de quartier
», établis, ainsi que leur nom l'indique, à l'échelon du quartier. Ces conseils de quartier sont
obligatoires dans les communes de plus de 80 000 habitants et plus, facultatifs dans les autres. Le
conseil municipal en fixe la dénomination, la composition et les modalités de fonctionnement.
Ces conseils de quartier peuvent être consultés par le maire et peuvent lui faire des propositions sur
toute question concernant le quartier ou la ville. Le conseil municipal peut affecter aux conseils de
quartier un local et leur allouer chaque année des crédits pour leur fonctionnement.
La loi organique du 1er août 2003 a organisé le référendum local et la consultation des citoyens.
Ces dispositions figurent aujourd'hui dans le titre unique qui ouvre le code général des collectivités
territoriales (CGCT) intitulé « Libre administration des collectivités territoriales » dans un chapitre
2 dénommé « Participation des électeurs aux élections locales ». Selon l'article L.O. 1112-1 du
CGCT l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale peut soumettre à référendum tout projet
de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de cette collectivité. C'est ainsi le
référendum décisionnel - à l'égard duquel certains éprouvaient des doutes quant à sa légalité,
estimant que seul le référendum de consultation était possible - qui a été consacré par le législateur.
Naturellement ce référendum est entouré de conditions et de garanties, et ne peut - ce qui est logique
et normal - intervenir dans n'importe quel domaine.
Dans le domaine économique, on a cherché à associer les usagers à la gestion de certains services.
En particulier la philosophie des entreprises publiques (qu'elles gèrent ou non un service public)
repose sur l'idée de "représentation des intérêts", parmi lesquels figurent, outre l'État et le personnel,
les usagers. Mais la représentation des usagers a été difficile à organiser (comment définir la
catégorie des usagers ? Tout citoyen est un usager potentiel de la SNCF, par ex. Comment désigner
les représentants des usagers ?) et s'est révélée décevante. Dans certaines entreprises, la catégorie
des usagers a été remplacée, dès lors, par celle des "personnalités qualifiées".
Cela vaut aussi dans le domaine culturel (avec, par ex., les maisons des jeunes et de la culture
(MJC), les centres culturels, les festivals, etc.) et dans le domaine sportif, où les associations sont
extrêmement nombreuses et ne peuvent subsister, dans bien des cas, que grâce aux subventions
versées par la collectivité
Cela vaut encore dans le domaine de l'environnement (mettre domaine de l'environnement en bleu,
comme domaine culturel). Celui-ci appelle la participation, en raison de la sensibilité particulière
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de nos contemporains aux questions qui le concernent. La Charte de l'environnement consacre
dans son article 7 le droit pour toute personne de participer à l'élaboration des décisions publiques
ayant une incidence sur l'environnement. Plusieurs décisions du Conseil constitutionnel rendues
sur QPC ayant déclaré contraires à cet article 7 certaines dispositions du code de l'environnement,
les pouvoirs publics ont estimé nécessaire d'intervenir par le biais d'une loi. Le texte a pour objet,
selon l'exposé des motifs du projet, "en tirant les conséquences de la jurisprudence récente du
Conseil constitutionnel, de donner à l'article 7 de la Charte de l'environnement toute sa portée, afin
de permettre aux citoyens de s'impliquer de façon concrète et utile dans le processus d'élaboration
des décisions publiques ayant une incidence sur l'envirionnement". La loi adoptée à cette fin est la
loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 relative à la mise en oeuvre du principe de participation du
public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement.
Principes du Service Public
Principe d'égalité
Principes d'adaptation et de continuité
Principes de neutralité et de laïcité
Principe de participation
Principes de transparence et de responsabilité
Principes de simplicité et d'accessibilité
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Cours : L’action administrative
Auteur : Jean-Marie Pontier
Leçon n° 7 : La police administrative
Table des matières
Section 1. La notion de police administrative.......................................................................................p. 2
§1. Détermination de la notion de police administrative par rapport à d'autres notions du droit administratif.............. p. 2
A. La police administrative et le service public.................................................................................................................................. p. 3
B. La police et le pouvoir réglementaire............................................................................................................................................ p. 4
§2. Définition de la police administrative..................................................................................................................... p. 5
A. Les critères de la police administrative......................................................................................................................................... p. 6
1. La définition de la police administrative par le but de l'opération.............................................................................................................................. p. 6
2. La définition de la police administrative par la nature de l'activité de police..............................................................................................................p. 9
B. Les différentes polices administratives........................................................................................................................................ p. 12
1. La police administrative générale............................................................................................................................................................................. p. 12
2. Les polices administratives spéciales....................................................................................................................................................................... p. 13
Section 2. Le pouvoir de police............................................................................................................p. 14
§1. L'étendue du pouvoir de police............................................................................................................................ p. 14
A. Les autorités de police.................................................................................................................................................................p. 14
1. Les autorités de police en matière de police administrative générale......................................................................................................................p. 14
2. Les autorités de police en matière de police administrative spéciale...................................................................................................................... p. 16
B. Les personnels de police............................................................................................................................................................. p. 18
1. Les personnels de police à statut civil......................................................................................................................................................................p. 18
2. Les personnels à statut militaire............................................................................................................................................................................... p. 19
C. Les mesures de police.................................................................................................................................................................p. 19
1. Les mesures réglementaires de police..................................................................................................................................................................... p. 19
2. Les mesures individuelles de police......................................................................................................................................................................... p. 21
§2. L'exercice du pouvoir de police........................................................................................................................... p. 21
A. La combinaison des pouvoirs de police.......................................................................................................................................p. 21
1. La concurrence entre deux autorités de police générale ........................................................................................................................................ p. 21
2. La concurrence entre une autorité de police générale et une autorité de police spéciale....................................................................................... p. 22
B. Les caractères de l'intervention de police................................................................................................................................... p. 23
1. La prise en considération de la nature de la mesure de police............................................................................................................................... p. 23
2. La prise en considération de la nature de la situation............................................................................................................................................. p. 24
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La police est l'une des activités de l'administration, c'est même l'une des activités les plus anciennes :
dans un État en formation le maintien de l'ordre, au sens le plus large du terme, est la première
préoccupation des dirigeants. Mais, au-delà du maintien de l'ordre, c'est toute l'activité économique
du pays qui appelle, à l'époque, de multiples mesures de police, notamment, par exemple, la police
des grains, c'est-à-dire des céréales et, au XVIIIème siècle, un auteur, Delamare, va publier pour la
première fois un monumental traité de la police qui recense toutes les mesures de police qui peuvent
être prises et constitue, de ce seul fait, un témoignage remarquable des interventions des autorités
que nous qualifierions d'administratives.
Le terme de police appelle quelques précisions terminologiques, pour éviter de fréquentes et
fâcheuses confusions. En premier lieu, il convient de distinguer un certain nombre d'expressions,
qui peuvent paraître proches et sont, en réalité tout à fait différentes.
Remarque
On parle d’État de police, d’État policé, d’État policier. L’État policé est une vieille expression, que
l’on utilisait au XVIIIème siècle, elle est à peu près l’équivalent d’État civilisé, que l’on opposait aux
sauvages. Notons que si l’expression d’État policé a disparu, le terme de policé, tout en n’étant pas
d’utilisation courante, demeure cependant utilisé, il désigne une personne sachant se comporter à
l’égard des autres, une personne ayant de bonnes manières, ce qui ne va plus de soi dans nos
sociétés et devrait être réappris.
L'État policier est l'État dans lequel la police, en tant que corps, occupe une place prépondérante,
où les citoyens sont soumis au contrôle permanent de la police, où celle-ci dispose de prérogatives
exorbitantes, où les libertés sont sacrifiées.
Les États policiers sont des États de dictature, sans parler des États totalitaires, ou des États
dans lesquels une façade démocratique (ou qui se prétend telle) cache les méthodes autoritaires du
pouvoir qui agit par l'intermédiaire de la police. Les États policiers sont des États du XXème siècle,
dans les siècles précédents l'arbitraire pouvait régner, les États n'étaient pas pour autant des États
policiers (l'État policier suppose une capacité de contrôle des citoyens que ne pouvaient avoir les
États autrefois).
Il ne faut pas confondre l'État policier avec l'État de police.
Celui-ci est une expression juridique, qui désigne le système dans lequel le détenteur du pouvoir n'a
pas à rendre compte de ce pouvoir, où l'exercice du pouvoir n'est pas conditionné par des normes
mais par le « bon plaisir » du prince.
On oppose l'État de police à l'État de droit, dans lequel l'action du pouvoir, et particulièrement
de l'administration, est conditionnée par des normes préexistantes qui doivent être respectées.
La France est, comme un certain nombre d'autres États, un État de droit, avec une hiérarchie
des normes qui est sanctionnée, et des droits et libertés qui sont non seulement proclamés mais
effectivement protégés. Le terme de police désigne donc, aujourd'hui, l'action de l'administration,
encadrée par le droit, qui s'exprime par un certain nombre de normes et d'institutions.
Section 1. La notion de police administrative
Il importe de préciser ce qu'il convient d'entendre lorsqu'il est question de police administrative. Cela
signifie qu'il convient de délimiter la notion de police administrative par rapport à d'autres notions,
pour faire apparaître les traits spécifiques qu'elle présente.
§1. Détermination de la notion de police administrative par rapport à
d'autres notions du droit administratif
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La première étape de la détermination de la police administrative doit permettre de distinguer la
police administrative d'autres notions très importantes que l'on trouve en droit administratif et qui
recoupent, mais partiellement, la notion de police.
A. La police administrative et le service public
Le service public a été examiné dans une leçon précédente, et il y a été question, furtivement, de
la police. Il est indispensable de savoir ce qui distingue la police du service public, mais également
ce qui la rapproche de ce dernier.
L'opposition entre service public et police paraît a priori relativement simple à établir, voire s'imposer
avec évidence. L'opposition se situe sur un triple plan.
•
En premier lieu, police et service public s'opposent par leur nature. Le service public est une
intervention de l'administration ou sous son contrôle, qui est effectuée, le plus souvent, avec
des moyens exorbitants du droit commun, en vue de poursuivre un intérêt général dont on a vu,
dans la leçon sur le service public, qu'il pouvait être extrêmement diversifié. La police apparaît
comme un procédé de l'action administrative qui a généralement pour effet, même si ce n'est
pas son objet, de limiter les droits ou/et les libertés des citoyens, en vue de protéger, certes
un intérêt général, mais un intérêt général qui est bien délimité, qui ne peut pas être autre que
celui-ci, l'ordre public. L'ordre public est la seule finalité que peut poursuivre une autorité de
police. Le législateur peut sans doute définir, dans certains cas, plus ou moins largement l'ordre
public, mais c'est alors un autre problème.
•
En deuxième lieu, la police et le service public s'opposent par les procédés qu'ils utilisent. On
résume généralement cette opposition en disant que le procédé normal de la police c'est la
prescription, tandis que le procédé normal du service public c'est la prestation. Une prescription
c'est un ordre, un commandement, une mesure qu'il faut appliquer ou respecter. La prestation
c'est un service qui est proposé à des citoyens, sous certaines conditions, parmi lesquelles
entre, ainsi que nous l'avons vu, la tarification.
•
En troisième lieu, la police et le service public se différencient par leurs effets. Le service public
implique toujours une forme de prise en charge par l'administration, que cette prise en charge
soit directe, lorsque l'administration décide d'assumer directement le service, ou qu'elle soit
indirecte, lorsque une personne privée voit reconnaître la nature de service public de l'activité
qu'elle gère avec, toujours, un certain contrôle de l'administration. L'activité de la police ne
consiste pas en une prise en charge, elle est destinée à assurer le respect d'un certain nombre
de dispositions, légales et réglementaires, qui ont été prises en vue du respect de l'ordre public
tel qu'il est conçu par les dirigeants. On serait tenté de dire, si ce terme n'avait pas pris une
toute autre signification aujourd'hui, que la police est un instrument de régulation de certaines
activités ou comportements des citoyens.
Mais cette opposition n'est pas si tranchée que les développements précédents pourraient le laisser
paraître, en réalité on trouve des points de rencontre, qui donnent lieu à une superposition possible
de la police et du service public.
•
En premier lieu, on ne peut pas écarter l'affirmation selon laquelle la police est un service public.
Cela n'a rien de surprenant, lorsque l'on pense à la définition organique aussi bien qu'à la
définition fonctionnelle du service public : même si l'intérêt général poursuivi par la police est un
intérêt général spécifique, c'est bien un intérêt général, c'est même l'un des premiers intérêts,
à la fois chronologiquement et dans les priorités d'un gouvernement, qui est poursuivi par les
pouvoirs publics. Organiquement, ce service public de la police se traduit, comme les autres
services publics, par l'existence de bâtiments qui abritent les services de police, lesquels sont
animés, comme pour les autres services publics, par des personnels administratifs : le ministère
de l'intérieur qui, en France comme dans bien d'autres pays, est le ministère compétent en
matière de police, apparaît en 1791, il est l'un des six ministères qui sont alors créés ; les
personnels de police sont, dans la plupart des cas, caractérisés par leur visibilité (le port d'un
uniforme). Le service public de la police est l'un des premiers à organiser dans un État nouveau,
car sans ce service public les autres ne peuvent fonctionner en toute sécurité.
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•
En second lieu, les procédés d'intervention de la police et du service public ne sont pas aussi
opposés qu'ils semblent le paraître. Une illustration peut en être donnée par l'agent de police
qui assure la sécurité à la sortie d'une école : à l'égard des enfants qui veulent traverser
la voie publique l'agent procure un service, une prestation, en permettant cette traversée en
toute sécurité ; en revanche, simultanément, l'agent édicte une prescription à l'égard des
automobilistes, en leur intimant l'ordre de s'arrêter. Ce qui est prestation pour les uns est une
prescription pour d'autres.
•
En troisième lieu il faut ajouter que du fait de l'extension du service public dans des domaines
toujours plus étendus, et du fait de la transformation des procédés de police, qui ne se limitent
pas à des interdictions simples dans de nombreux domaines, la distinction entre police et
service public devient parfois aléatoire, on peut se demander si la mesure est une mesure
de police, ou s'il s'agit d'une disposition entrant dans le cadre du fonctionnement d'un service
public.
B. La police et le pouvoir réglementaire
La démarche spontanée que l'on est tenté d'avoir est inverse de la précédente : on est conduit
à rapprocher la police et le pouvoir réglementaire, ce qui se justifie sur certains points, mais
l'assimilation entre les deux serait inexacte.
La tendance que l'on pourrait avoir de faire coïncider police administrative et pouvoir réglementaire
se comprend facilement, car deux phénomènes sont susceptibles d'aller en ce sens.
• Le premier tient au fait que les autorités qui disposent d'un pouvoir réglementaire sont
également celles qui sont investies d'un pouvoir de police, et cette conjonction personnelle peut
conduire à une confusion de la nature des actes édictés.
• Le second phénomène est le fait que le pouvoir de police s'exprime le plus souvent - et
heureusement pour les libertés - par des règlements.
Comme en d'autres domaines déjà vus ou que nous verrons, l'évolution historique permet de mieux
comprendre la situation d'aujourd'hui. Lors des débuts de l'État, lorsque celui-ci se forme, de manière
hésitante, à partir (en gros) du quatorzième siècle, la confusion entre le pouvoir réglementaire et le
pouvoir de police est pratiquement complète.
•
•
D'une part, en effet, les fonctions de l'État (si tant est que l'on puisse parler, alors, d'État) sont
des fonctions essentiellement limitées au maintien de l'ordre public même si, ici et là, et pour
des raisons qui sont de nature fiscale ou, plus tard, d'indépendance, le pouvoir royal se met
parfois à créer des manufactures.
D'autre part, la notion de pouvoir réglementaire n'existe pas, il ne peut donc y avoir de réflexion
sur ce sujet. Du fait de cette étroite liaison de départ ces deux notions ne se sont jamais vraiment
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détachées complètement l'une de l'autre. Mais il convient d'ajouter qu'il est tout à fait normal et
souhaitable que les mesures de police s'expriment principalement par la voie du règlement. Car
si l'autorité de police pouvait intervenir en recourant à des mesures autres que réglementaires,
notamment à des mesures individuelles, d'une part cela supprimerait toute sécurité juridique,
puisque l'on ne saurait jamais quelle est, pour soi-même, la règle applicable, d'autre part cela
signifierait aussi qu'il n'y a pas de droits et libertés, le pouvoir agirait à l'égard de chacun selon
son bon plaisir, il n'y aurait plus d'État de droit.
Néanmoins, ces deux notions de police et de pouvoir réglementaire doivent être soigneusement
distinguées.
•
Tout d'abord, elles n'ont pas le même contenu. Certes les mesures de police sont d'abord, on
vient de le dire, des règlements, mais elles ne se limitent pas à cela. On trouve également
des mesures individuelles de police qui vont être, le plus souvent, le rappel de réglementations
préexistantes en matière de police. Ce peut être par exemple le cas du maire qui met en
demeure une personne, par une mesure individuelle de police, de conformer son immeuble à
la réglementation générale de police concernant les immeubles dangereux, incommodes ou
insalubres. Inversement, et plus encore, tout règlement n'est pas, pour autant, une mesure de
police. De nombreux règlements pris, soit pour l'exécution d'une loi dans le cadre de l'article
34 de la Constitution, soit dans le cadre de l'article 37, ont un tout autre objet que la police, il
peut s'agir de mesures d'organisation d'un service public, il peut également s'agir de mesures
qui concernent les agents publics, etc.
•
Ensuite, les finalités auxquelles correspondent ces notions sont des finalités différentes. La
police est, ainsi que nous l'avons déjà vu, l'une des missions de l'État. C'est évidemment
une mission essentielle, la première, peut-être, historiquement, et elle demeure aujourd'hui
tout aussi fondamentale, mais ce n'est pas la seule mission de l'État. L'évolution historique
nous montre que ces missions se sont à la fois étendues et diversifiées. A côté de la mission
de police sont apparues des fonctions sociales, des fonctions économiques, des fonctions
culturelles, et ces trois formules recouvrent une variété quasi infinie de missions possibles. Et
si, en certains domaines, on peut relever un retrait de l'État, dans d'autres c'est à l'inverse de
nouvelles avancées : le rôle de « garant » que l'on attribue volontiers à l'État (et qui se prête à
des interprétations multiples) n'existait pas hier, et l'État exerce continuellement de nouvelles
fonctions, par exemple, depuis quelques années, dans le domaine des risques, avec les plans
de prévention des risques, mission quasiment inconnue autrefois.
Le règlement, lui, est l'un des moyens (juridiques) par lesquels une autorité publique est susceptible
d'intervenir pour assurer la satisfaction de l'une des missions qui lui est confiée.
Ce moyen est, là encore, essentiel mais ce n'est pas le seul moyen :
•
•
•
tout d'abord, sur le plan juridique, nous verrons que l'autorité administrative peut utiliser des
mesures autres que réglementaires, et ces mesures non réglementaires sont représentées,
certes, par des mesures individuelles, mais également par des mesures qui ne sont pas
individuelles (sans pour autant être réglementaires) ;
ensuite, il ne faut pas oublier que l'administration peut parfaitement recourir, dans un certain
nombre de cas, au contrat et que, à l'époque actuelle, la tendance à la contractualisation est
de plus en plus affirmée ;
enfin, et même si - par définition, serait-t-on tenté de dire - cela est limité et doit rester limité, il
peut arriver que l'autorité administrative ait la possibilité, voire soit dans l'obligation, de recourir
à la contrainte matérielle pour amener un administré récalcitrant à résipiscence.
§2. Définition de la police administrative
Il importe maintenant, après avoir procédé à une délimitation générale, de définir la police
administrative. Cela conduit nécessairement à s'interroger sur les critères de la police
administrative, mais également à observer que l'on peut distinguer plusieurs formes ou sortes de
polices administratives.
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A. Les critères de la police administrative
De manière très classique, et peu contestée, la police administrative se définit à partir de deux
critères,
• le premier tiré du but de l'opération,
• le second tiré de la nature de celle-ci.
Mais, ceci fait, il reste à distinguer, ce qui est essentiel, entre la police administrative et la police
judiciaire.
1. La définition de la police administrative par le but de l'opération
La police a pour but, et pour but exclusif, le maintien ou la sauvegarde de l'ordre public.
Cette définition simple recouvre une grande difficulté, car toute la question est de savoir ce qu'est
l'ordre public. En effet il n'existe aucune définition légale de l'ordre public, qui serait à vrai dire très
difficile à donner, et il est préférable que le législateur ne s'engage pas dans cette voie.
On peut également se rendre compte rapidement que, selon les lieux et les moments, la notion
d'ordre public n'a pas la même signification, la même portée, qu'elle est interprétée de manière plus
ou moins large, ce qui a un retentissement immédiat sur les droits et libertés des citoyens. A la
limite, sous couvert d'ordre public il est possible de supprimer toutes les libertés. Si l'on s'en
tient à la France - car il est impossible et donc vain de vouloir raisonner pour l'ensemble des pays
- on peut constater des évolutions sensibles.
On trouvera dans une autre leçon, à propos des actes unilatéraux, des jurisprudences anciennes sur
la réglementation du port de certains vêtements à l'école qui peuvent faire sourire aujourd'hui, car à
notre époque on imaginerait mal de telles restrictions. Mais l'évolution n'est pas à sens unique. Ainsi,
inversement, autrefois, les comportements et propos racistes ne faisaient pas l'objet d'incriminations
comme aujourd'hui, et, avant la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, il n'est
pas rare de trouver, dans des ouvrages ou bandes dessinées destinées aux enfants des propos
racistes qui nous choquent. Et l'on pourrait s'interroger sur le point de savoir si ce que l'on appelle
le « politiquement correct », et qui ne concerne évidemment pas que le domaine politique, ne traduit
pas une certaine extension de la notion d'ordre public.
Ces remarques sont seulement destinées à faire prendre conscience de la difficulté à appréhender
la notion d'ordre public, non à trancher en faveur d'une thèse ou d'une autre.
On trouve cependant dans nos textes juridiques une disposition qui, d'une certaine manière (en verra
ensuite pourquoi la formule est volontairement vague), constitue une définition de l'ordre public et, de
manière attendue, on la trouve dans les textes relatifs aux collectivités territoriales, plus précisément
le maire.
Dison immédiatement que le maire est une autorité de police, et que cette caractéristique, si elle
paraît banale à beaucoup de Français, ne se retrouve pas dans de nombreux pays, il y a donc là
une particularité notable de notre droit.
L'ancien article 97 du code de l'administration communale, devenu ensuite l'article L. 131-1 du code
des communes et, enfin, aujourd'hui, l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales,
déclare que l'objet de la police municipale est « d'assurer le bon ordre, la sécurité, la sûreté et la
salubrité publiques ». Cette formule appelle un certain nombre de commentaires, pour éviter les
erreurs possibles d'interprétation.
Tout d'abord, il est clair que l'ordre public est ici défini par trois termes et non quatre : en d'autres
termes il ne faut pas compter le « bon ordre » comme la sécurité publique, la sûreté publique et
la salubrité publique. Le bon ordre, c'est la notion globale, qui résulte de la réalisation des trois
composantes énumérées par l'article, ce n'est pas une notion à part, il n'y a bon ordre que parce que
la sécurité publique, la sûreté publique, la salubrité publique, sont assurées.
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Ensuite, et cela est moins évident à percevoir, ce n'est pas une « trilogie » que comporte cette
disposition mais, ainsi que le faisait observer M. Waline, une « tétralogie » : en effet les auteurs,
comme le juge, sont d'accord pour dire qu'il faut sous-entendre une quatrième composante, qui
est peut-être la plus importante des quatre, la tranquillité publique. Le bon ordre, c'est d'abord la
tranquillité publique, celle à laquelle peuvent prétendre légitimement toutes les personnes qui vivent
dans la cité. Ce n'est d'ailleurs pas un ajout artificiel car le même article L. 2212 comporte bien la
référence à la tranquillité publique, que l'on retrouve également dans d'autres dispositions.
En troisième lieu, il faut préciser que si le bon ordre trouve son champ d'application privilégié
sur la voie publique, la rue, ce n'est pas son seul domaine. Le bon ordre s'étend à toutes les
manifestations de la pensée. Et il faut concilier parfois, et de manière délicate, des exigences
opposées.
Une illustration peut en être donnée avec ce que l'on appelle les « manifestations extérieurs du
culte ». En d'autres termes, un culte se manifeste d'abord, peut-t-on penser (mais tout dépend de
quelle religion l'on parle) par des réunions des fidèles au sein d'un édifice que l'on qualifie, pour cette
raison, d'édifice du culte. Cependant le culte, ou certains cultes, peuvent se traduire aussi par des
manifestations extérieures telles que des cortèges, des processions, des convois funèbres, cela se
vérifie particulièrement, dans l'histoire française, pour le culte catholique. Après la loi de séparation
des Églises et de l'État, qui se fit dans un climat de tension politique extrême, des maires interdirent,
par un anticléricalisme alors fort répandu, de telles manifestations, en invoquant le maintien de l'ordre
public, et le juge dut édifier toute une jurisprudence pour tenter de préserver la liberté religieuse en
la conciliant avec la nécessité du maintien de l'ordre public tel qu'il était perçu par le maire (V. par
ex. CE 19 fév. 1909, Abbé Olivier, Rec. p. 181).
On peut penser également, parmi ces manifestations de la pensée, aux réunions publiques qui, elles,
ne se tiennent pas sur la voie publique (sauf exception), et qui ont donné la possibilité au juge de
rendre l'un des grands arrêts de la jurisprudence, la mesure d'interdiction de la réunion publique par
le maire ayant été, dans cette affaire, annulée (CE 19 mai 1933, Benjamin, Rec. p. 541).
Un problème encore plus délicat a été soulevé par cette définition de l'article L. 2212-2 du CGCT.
Elle est de savoir si l'ordre public peut aller au-delà de l'énumération qui a été faite ci-dessus,
en d'autres termes si, en dehors de la tranquillité publique, qui ne soulève aucun problème, il
est possible à une autorité de police locale, le maire, de poursuivre d'autres buts que la sécurité
publique, la sûreté publique, la salubrité publique et la tranquillité publique.
Concrètement, le problème s'est posé à propos de deux types d'utilisations, par un maire, de ses
pouvoirs de police.
Le premier type d'interventions n'a pas à nous retenir longtemps, bien que l'affaire qui va être citée
ne constitue pas un cas isolé, et a donné lieu à toute une jurisprudence du juge administratif.
Jurisprudence
Certains maires ont cru pouvoir - pour des raisons qui ne sont pas explicitées par les décisions et qui
peuvent être diverses mais n'en sont pas moins curieuses - réglementer les édifices funéraires dans
les cimetières au titre de leur pouvoir de police (précisons qu'il existe une législation très précise en
matière funéraire et qu'elle n'est pas en cause dans la question traitée). Le juge a déclaré que les
maires ne pouvaient, à des fins d'esthétique (dont on peut se demander ce qu'elles pouvaient être
dans les cas ayant donné lieu à jurisprudence) utiliser leur pouvoir de police de l'article L. 2212-2.
En d'autres termes, l'ordre public n'inclut pas la recherche de l'esthétique, celle-ci n'est pas un but
de la police.
Autrement plus délicate a été la seconde situation, d'autant que le problème qui s'est présenté n'avait
jamais été imaginé par les auteurs d'un texte tel que cet article L. 2212-2. La question générale est
de savoir si la moralité publique peut entrer dans les buts de la police administrative.
Le maire peut-il, au titre de ses pouvoirs de police, chercher à préserver la moralité publique ?
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Précisons tout d'abord, dans un domaine aussi délicat, qu'il ne faut pas se tromper sur l'expression
« moralité publique ». Le terme de morale a généralement aujourd'hui plutôt mauvaise presse,
il évoque des interdits, ce qui est déjà faux ou très simplificateur puisque la morale, qui est une
discipline parmi d'autres, ne signifie pas d'abord l'interdit, la morale, dans une pure conception
aristotélicienne, est ce qui doit permettre de mieux vivre, d'avoir une « bonne vie », et un auteur tel
que Saint Thomas d'Aquin développera largement cette conception. Mais, outre cela, il est question
ici de moralité publique, ce qui est différent de la morale qu'une personne peut accepter ou se donner.
Cela ne simplifie pas pour autant la recherche d'une définition, mais on peut considérer, ainsi que
le faisait valoir G. Vedel, que la moralité publique est une sorte de minimum éthique admis par
tous les citoyens dans un pays donné à un moment donné.
La question de la protection de la moralité publique s'est d'abord posée à propos d'une activité
culturelle ou ludique, le cinéma. Des maires ont, dans le passé - cela arrive encore quelquefois, mais
passionne manifestement beaucoup moins, peut-être parce que la jurisprudence est fixée et que
les moeurs ont changé - interdit la projection de certains films sur le territoire de leur commune en
raison de l'immoralité desdits films. Était-ce légal ? Sur recours de certains habitants, ainsi privés de
la possibilité de voir un film, le juge administratif a édifié une jurisprudence qui a donné largement
satisfaction, le problème étant sans doute moins crucial qu'autrefois en raison de l'évolution des
moeurs (mais si la nudité au cinéma, cause, au début des années 50, de l'interdiction de films par
des maires, ne soulève plus de difficulté, les spectateurs étant souvent, même, blasés, de nouvelles
raisons pourraient entraîner l'application de la jurisprudence citée ci-après, qui conserve donc tout
son intérêt).
Le Conseil d'État a rendu une décision de principe (CE 18 décembre 1959, Société « Les films Lutetia
» et syndicat des producteurs et exportateurs de films, S. 1960, J p. 94, concl. Mayras).
Jurisprudence
Dans cette décision (que l'on cite habituellement sous le simple énoncé de Les films Lutetia, le
Conseil d'État déclare qu'un maire peut interdire la représentation d'un film sur le territoire de sa
commune si sa projection « est susceptible d'entraîner des troubles sérieux ou d'être, à raison du
caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable à l'ordre public ».
En d'autres termes, le Conseil d'État retient deux hypothèses dans lesquelles le maire peut
interdire la projection d'un film sur le territoire de sa commune.
•
•
La première est la plus simple, c'est celle de « troubles sérieux », qu'il convient d'entendre
comme les seuls troubles à l'ordre public matériel, c'est-à-dire encore l'ordre dans la rue, et non
le trouble dans les consciences. La question de l'appréciation des troubles est une question
de fait, qu'il faut analyser dans chaque cas, en fonction notamment des forces de police dont
disposait l'autorité de police pour prévenir ces atteintes à l'ordre public, le principe étant bien
celui de la liberté.
La seconde hypothèse est plus complexe puisqu'elle implique la réunion simultanée de deux
conditions, l'immoralité du film et des circonstances locales. Ces circonstances locales sont une
donnée classique dans la jurisprudence administrative, et l'on comprend fort bien que le juge
puisse porter une appréciation différente selon que la commune est une commune urbaine, ou
encore qu'il s'agit d'un lieu de pèlerinage (Lourdes, Lisieux). Ainsi, le juge prend en compte
l'immoralité, mais celle-ci ne peut, à elle-seule, justifier l'interdiction de projection d'un film.
C'est une affaire encore plus surprenante encore, dans ce domaine de l'ordre public, à laquelle a
été confronté le juge administratif, celle dite du « lancer de nains ». A la suite de l'importation de
ces « spectacles » en France, les autorités, ministre de l'intérieur en premier, demandèrent aux
maires d'interdire ces derniers, ce qui fut fait. Les arrêtés d'interdiction furent déférés au juge par la
société organisatrice, et le nain lui-même. L'affaire était assez délicate, et il n'est guère possible de
reprendre ici l'ensemble des arguments invoqués, et les remarquables conclusions du commissaire
du gouvernement. Signalons seulement qu'il n'y avait aucune menace de troubles à l'ordre public,
qui aurait pu entraîner l'application de la jurisprudence Les films Lutetia, car il n'y avait pas eu de
protestation et, de plus, le spectacle se déroulait dans des lieux fermés et à entrée payante, les
discothèques. Le nain faisait valoir, par l'intermédiaire de son avocat, que non seulement il était
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volontaire, et qu'il gagnait mieux sa vie, mais que, de plus, le ministère de l'intérieur aurait été dans
l'incapacité de lui fournir un emploi (en raison de l'exigence, pour les concours organisés par ce
ministère, d'une taille minimale). Le commissaire du gouvernement répondait que le respect de la
dignité de la personne humaine est un concept absolu et ne saurait s'accommoder des appréciations
subjectives que chacun peut porter, de même que le fait de se soumettre de manière délibérée à des
actes de violence n'a pas pour effet de retirer à ceux-ci leur caractère pénalement répréhensible.
Le Conseil d'État a suivi son commissaire du gouvernement et déclaré que « le respect de la dignité
de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public » - ce qui revient à admettre
que la moralité publique, sous cette forme certes particulière, est une composante supplémentaire
de l'ordre public - et que
l'autorité de police peut, « même en l'absence de circonstances locales particulières » interdire une
« attraction » qui porte atteinte à cette dignité
(CE Ass. 27 octobre 1995 Commune de Morsang-sur-Orge, et, du même jour, et avec la même
formulation, Commune d'Aix-en-Provence). Il convient d'ajouter, pour terminer, que cette solution,
qui est ici approuvée, n'a pas fait l'unanimité parmi les juristes, et que certains sont très critiques
à son égard.
2. La définition de la police administrative par la nature de l'activité de police
L'action de la police administrative est généralement de nature préventive, et cette caractéristique
l'oppose à la police judiciaire, qui a une nature répressive.
Cette distinction est très importante mais, en même temps, elle demeure, malgré toutes les
jurisprudences pour en préciser les contours, délicate.
La distinction entre police administrative et police judiciaire est déterminante pour la simple raison
qu'elle commande le juge compétent :
s'il s'agit de police administrative, le juge compétent est le juge administratif, s'il s'agit de police
judiciaire c'est le juge judiciaire
. Cela s'explique parce que les règles applicables sont, logiquement, différentes, droit administratif
pour la police administrative, droit privé pour la police judiciaire, les personnes responsables ne sont
pas les mêmes, etc.
En simplifiant, on peut dire que la police judiciaire a pour but la recherche et l'arrestation des
délinquants en vue de les remettre à la justice, tandis que la police administrative se place avant que
l'infraction ne soit commise, elle consiste à prendre toutes les dispositions pour que l'ordre public
ne soit pas troublé. C'est pour cette raison que l'on dit que la police administrative a un caractère
préventif, tandis que la police judiciaire a un but répressif.
Quelques applications jurisprudentielles permettent de se faire une idée de ce que sont ces deux
polices. Constituent ainsi des opérations de police judiciaire des interventions telles que une
arrestation opérée au cours de la poursuite d'individus surpris en flagrant délit de vol (CE 12 février
1954, Dame veuve Marolles, Rec. p. 101), ou encore un accident mortel survenu à l'occasion d'une
mise en scène destinée à surprendre des trafiquants d'or (TC 27 juin 1955, Dame Barbier, Rec. p.
624).
Inversement, relèvent de la police administrative et, par voie de conséquence, de la compétence des
juridictions administratives, des faits tels que des faits dommageables commis au cours d'une ronde
de nuit effectuée par des policiers (CE 28 février 1951, Desgranges, Rec. p. 112, concl. Barbet), ou
encore à l'occasion d'une vérification d'identité (CE 19 janvier 1945, Comptoir des métaux précieux,
Rec. p. 21), ou encore des blessures commises par un gardien de la paix assurant la surveillance
d'un bal et qui, pris de boisson et expulsé d'un café, perd son sang-froid et tire un coup de feu (CE
Sect. 1er octobre 1954). Notons encore que le concours apporté par la police pour l'exécution d'une
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décision de police judiciaire est une opération de police administrative (CE 23 février 1962, dame
veuve Picard).
On voit ainsi que la distinction, simple dans le principe, peut se révéler délicate sur le terrain. Et
certaines décisions de justice peuvent susciter une certaine perplexité :
Jurisprudence
ainsi, la Cour de cassation, en sa chambre criminelle, a considéré qu'était une opération de police
judiciaire une vérification d'identité qui avait été opérée et au cours de laquelle la carte d'identité de
l'intéressé, telle qu'elle était décrite par la cour d'appel (en l'espèce celle de Paris), et telle qu'elle
avait été présentée à la police, ' était suspecte et que sa possession laissait présumer que des
infractions pouvaient avoir été commises Cass. Crim. 5 janvier 1973, Sieur Friedel, AJDA 1973,
p. 600).
En fait, la distinction entre police administrative et police judiciaire, qui est capitale, demeure
néanmoins délicate, pour quatre raisons :
En premier lieu, il n'existe aucune obligation textuelle de différenciation organique, qui serait d'ailleurs
très difficile à organiser. Cela signifie qu'il n'existe pas, d'un côté des autorités de police administrative
et, de l'autre, des autorités de police judiciaire, avec une étanchéité complète entre les deux.
Certaines autorités sont détentrices, à la fois de pouvoirs de police administrative et de pouvoirs de
police judiciaire et, naturellement, cela implique que lorsque cette autorité intervient au titre de ses
pouvoirs de police, il faut savoir si c'est au titre de la police administrative ou au titre de la police
judiciaire.
La situation devient encore plus confuse, et plus compliquée, lorsque ladite autorité utilise l'un de
ses pouvoirs de police alors qu'elle aurait dû utiliser l'autre, soit qu'elle se trompe - ce qui est toujours
possible, compte tenu de la complexité de certains textes ou de la mauvaise compréhension de ces
derniers par l'autorité - soit que, volontairement, elle use de certains pouvoirs plutôt que d'autres,
parce qu'elle y trouve un avantage (ainsi de l'utilisation, par un préfet, de ses pouvoirs de police
judiciaire, parce qu'ils étaient plus étendus que les pouvoirs de police administrative qu'il aurait dû
normalement utiliser parce que le but de l'opération était bien un but de police administrative.
Exemple
Ex. à propos de la saisie de journaux par un préfet, le juge ayant évidemment annulé le
détournement de procédure ainsi commis par le préfet : CE 24 juin 1960, Société Frampar et Société
France Editions et publications, Rec. p. 312, que l'on retient généralement sous la seule appellation
de Société Frampar).
Il n'est évidemment pas souhaitable de trouver des autorités qui disposent à la fois d'un pouvoir
de police administrative et d'un pouvoir de police judiciaire et, lorsque cela est possible, il est
préférable de supprimer cette dualité. C'est ce qui a été fait pour le préfet, qui ne dispose plus,
aujourd'hui, de pouvoirs de police judiciaire. Mais il apparaît très difficile, parce que les inconvénients
qui en résulteraient seraient plus grands que les avantages que l'on pourrait en retirer, de supprimer
intégralement ces situations et, par exemple le maire, mais également le commissaire de police, sont
ou peuvent être autorités de police administrative et autorité de police judiciaire.
En deuxième lieu, d'ailleurs, même si l'on supprimait ce cumul de police administrative et de police
judiciaire pour une même autorité, cela ne supprimerait pas les difficultés, parce que la qualité de
l'autorité qui intervient n'est pas déterminante pour la qualification de la nature de l'opération.
Cela signifie, d'une part, qu'il faut prendre en considération, non la qualité de l'agent ou de l'autorité,
mais la nature de l'activité qu'il assurait au moment des faits litigieux, qui sont toujours des faits
dommageables (sinon il n'y aurait pas, ou quasiment pas, de contentieux).
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Exemple
C'est ainsi, par exemple, que dans une décision importante de 1951 le Conseil d'État va se
prononcer en faveur de la nature de police judiciaire de l'opération parce que il s'agissait d'une «
opération de police que des inspecteurs de police accomplissaient (...) en vue d'appréhender des
individus signalés comme faisant partie d'une bande de malfaiteurs » (CE 11 mai 1951, Consorts
Baud, Rec. p. 265 ; on peut insister ici sur le terme « signalés » que l'on trouve dans cette formule
et qui indique qu'en voulant les appréhender les inspecteurs savaient qu'ils avaient affaire à des
malfaiteurs ; V. aussi TC 7 juin 1951, Dame Noualek, Rec. p. 636, concl. Delvolvé).
Cela signifie, d'autre part, que « seule sont déterminantes les intentions véritables de l'auteur qu'il
importe donc de sonder », selon la formule du commissaire du gouvernement Schmelck dans ses
conclusions sur TC 15 janvier 1968, Préfet de la Haute Garonne c/ Cour d'appel de Toulouse, D 1968,
p. 417). En d'autres termes, il faut prendre en considération la qualité en vertu de laquelle l'auteur
de la mesure a réellement agi, c'est-à-dire a entendu agir. C'est ce qu'il a cru qui est déterminant
pour la qualification de l'opération.
En troisième lieu, l'opération de police peut changer de nature à tout moment. Une affaire le montre
de manière explicite : une opération de contrôle, banale, a lieu sur une route, c'est une opération de
police administrative. Survient un véhicule (dont le conducteur avait pris en stop une personne qui fut
blessée dans l'opération) qui n'obtempère pas et continue sa route. Poursuivi par des motocyclistes
de la police il brûle successivement plusieurs feux rouges, prend une voie en sens interdit jusqu'à
l'accident. L'opération est devenue une opération de police judiciaire alors qu'elle était, au départ,
une opération de police administrative, en raison des multiples infractions commises par l'intéressé
(TC 5 décembre 1977, Préfet des Alpes maritimes c/ Cour d'appel d'Aix-en-Provence et Demoiselle
Motsch).
On peut rencontrer des hypothèses encore plus complexes. L'une d'entre elles est la suivante. Une
entreprise passe un accord, moyennant paiement d'un « prix », avec la police, pour escorter un de
ses agents qui va régulièrement à la banque retirer de l'argent. Tout se passe bien jusqu'au jour où
des malfaiteurs armés s'emparent de la sacoche. A l'occasion du recours de la société mécontente,
et en passant sur la procédure, le Tribunal des conflits est amené à se prononcer sur la nature de
l'opération : police administrative ou police judiciaire ? (TC 12 juin 1978, Société Le Profil).
Le commissaire du gouvernement faisait valoir, avec bon sens, que l'on pouvait distinguer dans cette
opération trois phases. La première phase était celle qui précédait le vol, elle était incontestablement
de nature administrative. La troisième phase, après le vol, était tout aussi incontestablement une
opération de police judiciaire (une infraction a été commise, les policiers cherchent à en appréhender
les auteurs). Mais, ajoutait le commissaire du gouvernement, il y a une phase intermédiaire, pendant
le vol. Et, durant cette phase, l'opération a indissociablement la nature d'une opération de police
administrative (préserver l'ordre public en empêchant le trouble à celui-ci que constituerait le vol)
et d'une opération de police judiciaire (arrêter les délinquants qui veulent commettre un larcin). La
solution juridictionnelle, dans ce cas, consiste à ramener l'ensemble de l'opération à l'opération
principale, le juge compétent à l'égard de celle-ci étant compétent pour l'ensemble (V. en ce sens
également CE 18 mars 1981, Ferran, à propos de l'enlèvement par la fourrière d'un véhicule mal
garé).
En quatrième lieu, enfin, la répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire
en matière de police administrative et de police judiciaire peut être infléchie par le législateur ou
le juge constitutionnel à partir de considération tenant aux libertés. Ainsi, en matière de contrôles
d'identité, l'état du droit dépend largement des fluctuations de la loi, de la manière dont le législateur
perçoit les nécessités de protection de l'ordre public et des libertés, et de la manière dont le Conseil
constitutionnel contrôle ces lois. Une loi du 10 août 1993 disposait ainsi que l'identité d'une personne
pouvait être contrôlée « quel que soit son comportement », « pour prévenir une atteinte à l'ordre public
». Mais le Conseil constitutionnel a exigé, lui, que le contrôle soit justifié par « des circonstances
particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public ». L'affirmation traditionnelle selon laquelle
le juge judiciaire est le gardien des libertés individuelles aboutit également à atténuer la distinction
entre police administrative et police judiciaire.
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B. Les différentes polices administratives
Plusieurs types de polices administratives existent, la distinction classique qui s'impose, parce
qu'elle entraîne des conséquences administratives et juridiques précises, est la distinction entre
police administrative générale et polices administratives spéciales.
1. La police administrative générale
La police administrative générale se définit par les quatre termes, vus précédemment, de sécurité,
sûreté, salubrité, tranquillité publiques, avec les interrogations que cette énumération soulève et que
nous avons examinées.
Il est toujours un peu difficile de vouloir distinguer entre ces quatre termes, qui se rejoignent
fréquemment.
•
La tranquillité publique dit bien ce que ce terme exprime, la vie paisible des citoyens pouvant
se livrer en paix aux activités qu'ils peuvent légalement poursuivre. Il s'agit, pour l'autorité
investie du pouvoir de police générale, de prévenir les inconvénients qui dépassent les sujétions
normales de la vie en société. A ce titre l'autorité de police peut, par exemple, prendre les
dispositions tendant à assurer la réglementation de la circulation et du stationnement dans les
villes, surtout dans celles pour lesquelles, du fait de leur ancienneté qui se traduit par l'étroitesse
des rues, la cohabitation entre les piétons et les véhicules se révèle délicate, les intérêts des
groupes étant opposés. Pour des raisons qui tiennent au moins autant à des préoccupations
environnementales et aux risques de pollution qu'à la tranquillité des citoyens, la tendance est
aujourd'hui à la restriction de la circulation des véhicules dans les villes, le juge admettant de
plus en plus les restrictions à la circulation automobile imposées par des maires.
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•
•
La sûreté, si on la prend dans son sens traditionnel, est plus la protection des individus
contre le pouvoir et la sûreté du pouvoir lui-même, tandis que la sécurité vise plus
directement le fait pour les citoyens de ne pas craindre d'être dévalisés, d'être blessés, voire
de perdre la vie, sur la voie publique.
La salubrité est conditionnée par des préoccupations d'hygiène et de santé publiques, elle
vaut pour la voie publique (que l'on se souvienne de l'affaire Thérond) mais également dans
d'autres domaines, par exemple la restauration collective
2. Les polices administratives spéciales
Certaines polices ne correspondent pas aux caractéristiques que l'on donne énonce habituellement
pour la police générale, on les qualifie de polices spéciales.
On distingue deux sortes de polices spéciales.
Une première catégorie est constituée de polices qui poursuivent les mêmes buts que la police
administrative générale (soit, une fois de plus, le bon ordre, constitué de la sûreté, sécurité, salubrité,
tranquillité publiques) mais qui sont soumises à un régime juridique différent. Parmi les plus connues
de ces polices on peut citer la police des établissements dangereux, incommodes et insalubres,
attribuée au préfet, ou encore la police des édifices menaçant ruine, confiée au maire qui l'exerce
sous le contrôle du juge administratif, la police des chemins de fer, remise au ministre des travaux
publics.
Une seconde catégorie est celle des polices qui s'appliquent à des activités particulières, dont l'objet
n'entre plus dans la définition de la police générale. Ces polices sont extrêmement variées. On peut
citer par exemple la police des films cinématographiques : un film ne peut légalement être projeté,
sur le territoire français, que s'il a obtenu un visa attribué par le ministre chargé de la culture en vertu
de la loi ; une commission est chargée de donner un avis au ministre, qui suit systématiquement l'avis
qui lui est donné. Une autre police spéciale, distincte de la précédente, est la police des spectacles,
qui a longtemps reposé sur une ordonnance de 1945, on peut encore citer la police des chemins
ruraux, la police de la chasse, la police de la pêche, etc.
Depuis quelques décennies on assiste à une multiplication des polices spéciales, et certains
domaines sont particulièrement concernés par cette augmentation: il en est ainsi, notamment, du
domaine de l'environnement dans lequel on dénombrait, jusqu'à l'ordonnance citée ci-après, plus
de 25 polices spéciales. Si de multiples facteurs expliquent cette multiplication, cette dernière n'en
est pas moins problématique, compliquant le régime juridique de la police (V. J.-M. Pontier, La
multiplication des polices administratives: pourquoi?, JCP 16 avril 2012, n° 2113). Une ordonnance
de 2012 (ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation
des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l'environnement) a cherché
à réduire, dans ce domaine de l'environnement, le nombre de polices spéciales.
Voici un exemple, parmi bien d'autres, d'un pouvoir de police spéciale remis au préfet: dans le cas
d'un château inscrit en totalité à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, le préfet
peut, dans le cadre des pouvoirs de police spéciale qu'il détient en vertu du code du patrimoine,
ordonner au propriétaire de remettre en place immédiatement à leur emplacement d'origine des
statues que leur propriétaire avait déplacées (TA Rennes 16 mai 2012, M. Havas, AJDA 2012 p.
1804, concl. P. Report).
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Section 2. Le pouvoir de police
Le pouvoir de police est le pouvoir, reconnu à certaines autorités administratives, de prendre des
mesures de police qui seront, le plus souvent, et pour les raisons indiquées précédemment, des
mesures réglementaires de police, ces mesures ayant pour objet ou pour effet de limiter certaines
libertés des citoyens.
§1. L'étendue du pouvoir de police
L'analyse de l'étendue du pouvoir de police implique de savoir quelles sont les autorités (et les
personnels) de police, ainsi que les mesures susceptibles d'être prises par ces autorités.
A. Les autorités de police
Étant donné qu'il existe deux sortes de polices administratives, la police administrative générale et
la police administrative spéciale, on va distinguer, logiquement, deux sortes d'autorités de police.
1. Les autorités de police en matière de police administrative générale
Parmi les autorités détentrices d'un pouvoir de police administrative générale il convient de distinguer
celles qui interviennent au nom de l'État, et celles qui interviennent au nom d'une collectivité
territoriale.
Il convient toujours de mettre l'État à part ... parce qu'il est l'État.
A l'échelon national, les autorités de police représentant l'État sont le Premier ministre et le président
de la République.
Celui-ci s'est vu reconnaître le pouvoir de prendre des règlements, qui sont notamment des
règlements de police, depuis la décision du Conseil d'État du 8 août 1919, Labonne. Mais, ainsi que
nous le verrons à propos des actes unilatéraux, le pouvoir du président de la République n'est qu'un
pouvoir second, la principale autorité, en matière de police, est représentée par le Premier ministre.
En revanche, et contrairement à une opinion courante, le ministre de l'intérieur ne dispose pas
d'un pouvoir de police générale, et cela bien qu'il soit le supérieur hiérarchique des forces de police
civiles. Mais le ministre de l'intérieur ne présente aucune spécificité par rapport aux autres ministres,
il n'y aurait aucune raison de lui reconnaître à ce titre un pouvoir que les autres n'auraient pas.
A l'échelon local, c'est-à-dire, en ce qui concerne le pouvoir de police, l'échelon départemental, le
pouvoir de police générale est détenu au nom de l'État par le préfet.
Celui-ci dispose d'ailleurs d'une double compétence.
D'une part, en effet, le préfet exerce la police de la circulation sur les routes hors agglomération (en
agglomération, c'est le maire qui est compétent).
D'autre part, le préfet exerce des compétences de police générale à l'égard de la police municipale.
Le code général des collectivités territoriales, reprenant une formule que l'on trouvait auparavant
déjà dans le code de l'administration locale, puis dans le code des communes, déclare en effet que
les pouvoirs qui appartiennent aux maires « ne font pas obstacle au droit du préfet de prendre, pour
toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait
pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité,
de la sûreté et de la tranquillité publiques ». Cette disposition est assez complexe, et a donné lieu à
une jurisprudence qui l'est tout autant, mais l'on peut retenir, en résumé, que le préfet dispose d'un
pouvoir de substitution au maire dans trois hypothèses :
• pour prendre des mesures de police générale dans plusieurs communes,
• pour prendre des mesures de maintien de l'ordre dans deux ou plusieurs communes
limitrophes,
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•
pour prendre des mesures dans une seule commune mais seulement, alors, après une mise
en demeure adressée au maire et restée sans résultat. Il faut enfin retenir que le maire peut
intervenir, à titre d'autorité de police générale, au nom de l'État, lorsqu'il s'agit d'édicter des
mesures de sûreté générale.
Cependant le maire intervient, le plus souvent, au nom de la collectivité territoriale, c'est-à-dire de
la commune.
Le maire est, à l'échelon local, la principale autorité de police générale représentant une collectivité
territoriale. Il
convient de distinguer deux catégories de communes.
•
Le droit commun est celui dans lequel le maire est l'autorité de police compétente pour prendre
toutes les mesures destinées à maintenir le bon ordre, la sécurité, la sûreté, la salubrité, la
tranquillité publiques. Il doit veiller à ce que l'ordre public ne soit pas troublé, il exerce la
police sur les voies publiques qui se trouvent dans l'agglomération, y compris les portions
de routes départementales et de routes nationales (cependant, lorsqu'il s'agit de « routes à
grande circulation » des décrets peuvent alors transférer le pouvoir de police sur ces routes
au préfet), et, dans les communes littorales, le maire exerce la police des baignades et des
activités nautiques (jusqu'à trois cents mètres du rivage).
Dans cette première catégorie de communes le personnel de police relève de la fonction publique
territoriale. Après beaucoup de difficultés, tenant notamment à la question de l'armement des
policiers municipaux (les élus locaux de tous bords étaient favorables à l'armement, les ministres
de l'intérieur successifs étaient réservés), une loi a pu être votée en 1999 sur ces personnels de
police. Ces derniers ne sont plus seulement représentés aujourd'hui par la figure pittoresque, mais
assez marquée historiquement, du garde-champêtre, mais par des policiers qui ont une formation
spécifique et se sont vu reconnaître par la loi des pouvoirs assez étendus.
•
Une seconde catégorie de communes est celle dite des communes à « police étatisée ».
Il convient cependant de bien comprendre cette expression. Les origines tiennent à des
dysfonctionnements de la police locale vers la fin du XIXème siècle et au début du XXème
siècle, ce qui entraîna l'intervention de l'État qui, ponctuellement, « étatisa » la police dans ces
communes en mettant un personnel de police d'État. Cette solution fut, en principe, généralisé
par une loi du 23 avril 1941 qui étatisait la police dans toutes les communes de plus de 10 000
habitants. En fait ce ne fut pas le cas de toutes les communes en question, pour des raisons
essentiellement financières, et si toutes les communes de plus de 10 000 habitants n'avaient
pas, pour cette raison, leur police étatisée, inversement, et pour des raisons variables, certaines
communes de moins de 10 000 habitants avaient leur police étatisée. La loi du 21 janvier 1995
sur la police a abandonné ce critère pour une pluralité de critères à prendre en compte.
Les conséquences de l'étatisation de la police dans une commune sont les suivantes.
•
•
Tout d'abord, le personnel de police est un personnel à statut d'État (avec un commissariat de
police) mais, d'une part, cela n'empêche pas la commune de disposer de son propre personnel
de police (CE 11 mai 1951, Sieur Chabassier et autres), d'autre part le personnel d'État doit
évidemment appliquer et faire respecter les règlements municipaux de police.
Ensuite, en ce qui concerne les compétences de police, elles sont transférées du maire au
préfet, mais ce transfert ne porte que sur la préservation de la tranquillité publique (donc, pour
les autres fins de la police, le maire demeure compétent) ainsi que sur le maintien de l'ordre
lorsqu'il se fait de « grands rassemblements d'hommes » (selon la formule du CGCT), ce qui
signifie que la police des rassemblements habituels (ex. foires, défilés), continue de relever de
la compétence du maire. Il faut bien dire que dans les communes à police étatisée le partage
des compétences entre le maire et le préfet n'est pas toujours très évident, et le juge est amené
à préciser ce qui relève de chacun d'eux.
Il convient également de signaler une possibilité nouvelle, ouverte par la loi du 13 août 2004
relative aux libertés et aux responsabilités locales, et concernant le transfert éventuel par
un maire d'une partie de son pouvoir de police au président d'un établissement public de
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coopération intercommunale, seuls les présidents d'établissements à fiscalité propre pouvant
en bénéficier. Le transfert peut porter sur cinq domaines,
•
•
•
•
•
la circulation et le stationnement,
l'assainissement,
les déchets,
les gens du voyage,
les manifestations culturelles et sportives.
Cette possibilité ainsi ouverte montre la « montée en puissance » de l'intercommunalité, elle
est bienvenue. Cette possibilité n’avait guère été utilisée (comme l’on pouvait s’en douter). C’est
pourquoi la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriale, tout en maintenant les
domaines (et en les étendant) de police pouvant âtre transférés facilite ce transfert du pouvoir de
police.
2. Les autorités de police en matière de police administrative spéciale
Les autorités de police administrative spéciale sont extrêmement nombreuses, le législateur en crée
presque constamment de nouvelles en fonction des besoins.
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A l'échelon central,
•
•
•
•
•
•
A l'échelon local,
les ministres qui, rappelons-le une fois
de plus, n'ont pas de pouvoirs de
police générale, se voient reconnaître en
revanche très fréquemment un ou des
pouvoirs de police spéciale.
On trouve, naturellement, dans ce cas
de figure, le ministre de l'intérieur, qui
dispose de tels pouvoirs aussi bien
pour ce qui concerne certaines activités
particulières (par ex. la police des jeux
dans les casinos, ou encore la police
des publications étrangères) que pour
ce qui concerne certaines catégories
de personnes (la plus importante est
évidemment celle des étrangers).
Le ministre de la culture se voit
reconnaître un certain pouvoir de police
de l'esthétique (qui ne peut rentrer, ainsi
que nous l'avons vu, dans le cadre
du pouvoir de police générale) ainsi
que le pouvoir de police en matière de
projection de films, avec l'exigence du
visa, délivré par le ministre pour qu'un
film puisse être projeté sur le territoire
français, et qui est l'expression de ce
pouvoir de police.
Le ministre chargé des finances a
eu des pouvoirs de police spéciale
très importants, dont beaucoup ont
disparu à la suite de la libéralisation
de l'intervention de l'État (le contrôle
des prix, qui fut, pendant longtemps,
une prérogative de ce ministère) et du
transfert de certaines compétences aux
autorités communautaires.
Le ministre chargé des travaux publics
est investi de la police des chemins de
fer et des gares,
le ministre chargé de l'agriculture
dispose de la police de la chasse, de la
pêche, etc.
•
•
la principale autorité de police spéciale
est le préfet Celui-ci détient un très
grand nombre de pouvoirs de police
spéciale qui vont de la police des débits
de boissons (police très importante pour
le respect de la réglementation en ce qui
concerne la consommation de boissons
alcoolisées, et qui peut se traduire,
éventuellement, par une décision de
fermeture de l'établissement) à la police
des carrières, en passant par la police
de la chasse, de la pêche, des édifices
menaçant ruine, etc.
Il faut également compter parmi les
autorités de police spéciale à l'échelon
local le président du conseil général, qui
dispose d'un pouvoir de police sur les
voies départementales depuis les lois
de 1982-1983. Certains auteurs parlent
d'un pouvoir de police générale mais, en
réalité, c'est bien d'un pouvoir de police
spéciale qu'il s'agit, ce pouvoir de police
n'étant en rien comparable au pouvoir de
police qui est remis au maire.
La dévolution de pouvoirs de police spéciale inspire trois remarques.
•
En premier lieu, la plupart des autorités investies de pouvoirs de police spéciale sont des
autorités d'État ou des autorités qui agissent au nom de l'État.
Exemple
C'est ainsi, par exemple, que le maire dispose, entre autres, d'un pouvoir de police spéciale qui
est la « police rurale », mais ce pouvoir il l'exerce en tant qu'autorité de l'État et non en tant que
représentant de la commune, et il en est de même lorsque le maire exerce son pouvoir de police
spéciale en matière d'édifices menaçant ruine.
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•
En deuxième lieu, il n'est pas rare qu'une même autorité soit investie d'un pouvoir de police
générale et d'un ou de plusieurs pouvoirs de police spéciale. Si cette conjonction ne soulève, par
elle-même, aucune objection, la difficulté, dans certains cas, est de savoir à quel titre l'autorité
de police a agi, c'est-à-dire si elle est intervenue au titre de ses pouvoirs de police générale ou
au titre de ses pouvoirs de police spéciale. Or la réponse est essentielle puisque les pouvoirs
ne sont pas les mêmes dans les deux cas.
•
En troisième lieu on relève une tendance contemporaine à accroître le nombre d'autorités
chargées d'un pouvoir de police spéciale. Ainsi par exemple, les présidents d'université se sont
vu reconnaître un pouvoir de police, qui est un pouvoir de police spéciale, pour le maintien de
l'ordre dans les enceintes universitaires.
B. Les personnels de police
Les personnels de police, chargés de veiller à l'observation des prescriptions de police prises par
les autorités de police et de les faire exécuter, sont, à l'instar des autorités de police, très diversifiés.
Une distinction est à faire selon qu'il s'agit de personnels de police à statut civil ou de personnels
de police à statut militaire.
1. Les personnels de police à statut civil
On peut distinguer, parmi les personnels à statut civil, les personnels d'État et les personnels
locaux.
Le personnel de police d'État comprend d'abord ce qu'il est convenu d'appeler la « police nationale
». Il existait une ancienne tradition consistant à distinguer entre la « sûreté nationale » compétente
sur l'ensemble du territoire, et les personnels non municipaux de la Préfecture de Paris. A la suite
de « l'affaire Ben Barka », qui révéla des dysfonctionnements de la police, une fusion fut opérée, en
1966, entre ces deux corps pour ne plus former que le corps de la police nationale, cette unification
étant souhaitable.
Les compagnies républicaines de sécurité, plus connues sous leur acronyme CRS, sont un corps
de police distinct du précédent et placé sous l'autorité du ministre de l'intérieur. Celui-ci répartit les
compagnies sur le territoire en fonction des besoins tels qu'ils sont estimés par les pouvoirs publics.
Ces forces de police sont mises, sur place, à la disposition des préfets et, éventuellement, d'autres
autorités civiles.
A côté de ces personnels d'État on trouve les personnels locaux, représentés par les personnels
municipaux (ou, si l'on préfère, communaux), étant précisé qu'il n'existe pas de personnels
départementaux et encore moins de personnels régionaux de police. La police municipale entendue
au sens du personnel municipal de police comprend plusieurs milliers d'agents, placés sous l'autorité
du maire. Toutes les communes n'ont évidemment pas de personnels municipaux de police, et
l'effectif de ces personnels est très variable dans les communes qui se sont dotées d'un personnel
de police. Le législateur a imposé des uniformes différenciés avec la police nationale, afin d'éviter
toute confusion, et bien que, désormais, les agents de police municipale peuvent relever certaines
infractions, notamment au code de la route.
La loi 2011-267 du 14 mars 2011 d'organisation et de programmation pour la performance de la
sécurité intérieure (LOPPSI II) a entendu accentuer le rôle des polices municipales avec les conseils
locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (obligatoires dans les villes de plus de 10
000 habitants depuis 2007) et en renouvelant les "contrats locaux de sécurité" (CLS). Le Conseil
constitutionnel a censuré dans cette loi deux dispositions relatives aux polices municipales: celle
accordant la qualité d'agent de police judiciaire aux directeurs de police municipale comptant au
moins 40 agents et sous réserve que la convention de coordination conclue entre le maire et le
préfet le prévoie; celle autorisant les policiers municipaux à pratiquer des contrôles d'identité sous
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le contrôle d'un officier de police judiciaire (CC 2011-625 DC du 10 août 2011, AJDA 2011, p. 1097,
note D. Ginocchi).
2. Les personnels à statut militaire
Le personnel à statut militaire est essentiellement représenté par la gendarmerie, qui est, au
sens technique du terme, une « arme », au même titre que, par exemple, les blindés ou l'infanterie. La
gendarmerie est composée de plusieurs formations. La formation la plus importante, numériquement,
est celle de la gendarmerie dite départementale. Traditionnellement cette gendarmerie était chargée
de la police des campagnes et de la police hors agglomération, la police en agglomération étant
assurée par la police nationale. La gendarmerie a été réorganisée, avec la création, depuis
2005, de régions à l'échelon des régions administratives. A l'échelon du département se trouvent
les groupements de gendarmerie, divisés en compagnies, généralement situées à l'échelon de
l'arrondissement, les compagnies se subdivisant elles-mêmes en brigades territoriales, en principe
établies à l'échelon du canton.
La gendarmerie mobile est une autre formation de la gendarmerie, quelquefois confondue, à tort,
avec les CRS. Cette gendarmerie mobile est, comme les CRS, répartie sur le territoire en fonction
des besoins, mais elle est placée sous l'autorité du ministre chargé des armées. Une autre formation,
très connue mais peu importante quantitativement, est la garde républicaine, qui est en quelque sorte
la « police d'apparat » de la République. On trouve encore la gendarmerie aérienne, la gendarmerie
fluviale, la gendarmerie maritime.
L'un des problèmes traditionnels que l'on rencontre, dès lors qu'il y a dualité de personnels et
d'institutions de police, c'est la coordination entre eux, chaque institution ayant tendance à travailler
de son côté, quand il ne s'agit pas de se faire concurrence (« guerre des polices »). Pour assurer une
meilleure efficacité de l'action des forces chargées du maintien de l'ordre, et notamment pour assurer
une meilleure coordination des interventions des forces de police et de gendarmerie - d'autant
que, compte tenu de l'évolution démographique et des problèmes posés par certains quartiers des
villes, la répartition ancienne des tâches n'a plus guère de signification - les pouvoirs publics ont
mis en place des organismes destinés à assurer cette coordination des actions entre la police
nationale et la gendarmerie : une circulaire du 22 mai 2002 a mis en place des groupes d'intervention
régionaux (GIR), qui regroupent des services de police, de gendarmerie, de douane, du fisc, et qui
ont notamment pour objet de lutter contre le trafic de drogue et l'économie souterraine.
Les pouvoirs publics ont estimé nécessaire de fixer dans un texte les nouvelles règles d'organisation
de la gendarmerie nationale et une loi a été adoptée, la loi 2009-971 du 3 août 2009 relative à la
gendarmerie nationale (pour le point sur cette loi V. J.-M. Pontier, De l'an XI à 2009 : la gendarmerie
nationale change, JCP A 2009, n° 2238). L'exposé des motifs du projet de loi déclarait: "Le contexte
démographique, social et opérationnel dans lequel les forces de sécurité assurent leurs missions sont
en pleine mutation et appelle de nouvelles synergies". Cette situation a amené le gouvernement, dès
2002, à placer directement sous la responsabilité du ministre de l'intérieur l'emploi de la gendarmerie,
sauf pour ses missions de sécurité intérieure. Par ailleurs, la mise en place de la loi organique sur
les lois de finances, en instituant un lien étroit entre les politiques publiques et les moyens qui leur
sont affectés, a mis en évidence la nécessité de rechercher une plus grande cohérence dans la
définition et l'emploi des moyens consacrés à la mission de sécurité intérieure. Au plan budgétaire
la loi de finances a donc consacré le transfert du programme (au sens de la LOLF) "gendarmerie" au
ministère de l'intérieur, la mission (toujours au sens de la LOLF) "sécurité" devenant ainsi une mission
ministérielle.Le rattachement organique et opérationnel de la gendarmerie nationale au ministère
de l'intérieur a donc pour objectif de placer les deux forces de sécurité intérieure sous l'autorité du
même ministre, afin de parvenir à une plus grande synergie et une meilleure complémentarité des
actions au profit de la sécurité intérieure.
C. Les mesures de police
Les mesures de police sont susceptibles de revêtir deux formes, pouvant être, et c'est l'hypothèse
normale, des mesures réglementaires, ou, dans certains particuliers, des mesures individuelles de
police.
1. Les mesures réglementaires de police
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Rappelons d'abord que les mesures réglementaires de police sont la norme, la règle, dans tout état
de droit, pour éviter que l'autorité de police ne puisse adapter les mesures de police en fonction des
personnes. Les mesures de police ont nécessairement pour effet, et peuvent avoir pour objet, de
limiter les droits et libertés des citoyens. C'est pourquoi il convient de rappeler qu'il existe, dans notre
droit, deux grands régimes juridiques applicables aux activités des citoyens, le régime répressif et
le régime préventif.
On dit qu'une activité se trouve placée sous un régime préventif si elle ne peut s'exercer qu'après
une demande faisant intervenir de manière préalable l'autorité administrative. Le régime préventif
est constitué de deux modalités, la modalité de l'autorisation préalable, qui est le régime le plus dur,
un régime qui n'a rien de libéral puisqu'il suppose que l'on obtienne un accord de l'administration, et
le régime de la déclaration préalable qui, selon les cas, peut se ramener au régime de l'autorisation
préalable ou au régime répressif.
Le régime répressif est celui dans lequel une activité peut être exercée sans avoir à accomplir, au
préalable, des formalités particulières. Le régime répressif est donc, malgré sa dénomination qui peut
prêter à confusion, un régime beaucoup plus libéral que le régime préventif, il est même doublement
libéral puisque, d'une part, la personne n'a rien à demander ou à accomplir pour exercer cette activité
et que, d'autre part, la « répression », qui est toujours, par définition, a posteriori, et en cas d'abus
par la personne du droit qu'elle exerce, est soumise au contrôle du juge, notamment, pour ce qui
concerne les libertés, du juge judiciaire.
Il convient de rappeler que la plupart des grandes libertés s'exercent dans le cadre d'un régime
répressif, à tel point que l'on ne se rend même pas compte qu'il existe un cadre juridique (liberté
d'aller et venir, de domicile, de correspondances, de mariage, de pensée, d'expression, de religion,
etc.)
Les mesures réglementaires de police se retrouvent plus facilement dans le cadre d'un régime
préventif que dans le cadre d'un régime répressif, un certain nombre d'activités ne pouvant s'exercer
qu'avec une déclaration, voire une autorisation de l'autorité compétente (remarquons, à cet égard,
que si un régime d'autorisation préalable pour l'exercice d'une profession peut surprendre, un tel
régime est également protecteur de ceux qui sont déjà dans la profession, ce qui explique que des
professions soient fortement attachées à un tel régime comme, par exemple, le cinéma).
La mesure réglementaire de police la plus restrictive est évidemment l'interdiction pure et simple,
ce qui est inacceptable pour les libertés puisque il faut partir de l'idée que, dans un État libéral, tel
que le nôtre, et pour reprendre la formule d'un commissaire du gouvernement, « la liberté est la
règle, la mesure de police l'exception » (conclusions Corneille sur la décision Baldy). Il en résulte
que l'interdiction est parfaitement possible, mais qu'elle ne peut s'appliquer qu'à des activités qui ne
sont pas des libertés : on comprend ainsi, par exemple, que soient interdits le tapage nocturne, ou
encore la fabrication, le trafic, la consommation de substances considérées comme toxiques, etc. Et
l'on conçoit tout aussi bien que lorsqu'il existe une interdiction, et que celle-ci est justifiée, comme
dans les exemples qui viennent d'être donnés, elle ne peut être que générale.
Lorsque le régime est un régime d'autorisation préalable, tout dépend des pouvoirs dont dispose
l'autorité administrative. Si cette autorité dispose d'un pouvoir discrétionnaire, si elle peut accepter
ou refuser librement, l'activité n'est pas libre. En revanche si l'autorité administrative dispose d'une
compétence liée, si elle ne peut que vérifier l'existence de conditions posées par la loi, le régime
peut être compatible avec l'affirmation de libertés : ainsi, pour certains permis, tels que le permis de
chasse ou le permis de pêche, il suffit que le demandeur réunisse les conditions légales pour obtenir
le permis en question. Cependant, dans certains cas, notamment en matière économique, le pouvoir
dont dispose l'administration (par exemple pour attribuer un agrément, ou des subventions) n'est ni
discrétionnaire, ni entièrement lié, ce qui complique la tâche du juge en cas de litige.
Si le régime est un régime de déclaration préalable, là encore tout dépend : si l'autorité
administrative peut refuser la déclaration, cela revient à un régime d'autorisation préalable, si en
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revanche elle ne peut qu'enregistrer la déclaration sans pouvoir s'y opposer, cela revient quasiment
à un régime répressif, et tel le cas, par exemple, de la liberté d'association.
2. Les mesures individuelles de police
Il y a peu à dire, théoriquement, sur les mesures individuelles de police car ces mesures ne sont,
normalement, que l'application d'une mesure réglementaire antérieure, pour les raisons qui ont été
exposées précédemment. Il est même possible de dire qu'il ne peut exister de mesures individuelles
de police qui ne soient fondées sur une réglementation préalable (CE 20 janvier 1956, Brionnet, Rec.
p. 25). C'est dire que les mesures individuelles seront le plus souvent le rappel de réglementations
préexistantes.
Cependant, des mesures individuelles non fondées sur une réglementation préexistante sont
possibles dans le cas de circonstances exceptionnelles, en cas d'urgence, mais ceci uniquement
dans la mesure strictement indispensable au bon fonctionnement de l'administration, et toujours
sous le contrôle du juge.
§2. L'exercice du pouvoir de police
L'exercice du pouvoir de police soulève de nombreuses questions. L'une des plus importantes est
celle de la combinaison des pouvoirs de police, une autre étant celle des caractères que présente
la mesure de police.
A. La combinaison des pouvoirs de police
Parce qu'il existe plusieurs polices administratives, qui présentent des caractéristiques différentes,
on est obligé de se demander comment ces différentes polices peuvent s'articuler, se combiner entre
elles. Étant donné qu'il existe plusieurs autorités susceptibles d'intervenir pour une police déterminée,
il faut s'interroger à la fois sur la combinaison des pouvoirs de police en matière de police générale
et entre la police générale et les polices spéciales.
1. La concurrence entre deux autorités de police générale
Il est possible de parler de concurrence entre deux autorités de police générale dans la mesure où
ces deux autorités sont susceptibles de prendre des mesures de police relativement au même objet.
Il faut immédiatement préciser que cette hypothèse n'a de sens que si l'on prend deux autorités
qui ont une compétence territoriale différente, car si la compétence territoriale était le même, une
seule autorité serait habilitée à intervenir, le problème ne se poserait pas. En matière de police
générale, la seule hypothèse que l'on peut envisager est donc celle dans laquelle une autorité de
police représentant l'État prend, à l'échelon national ou à l'échelon local, une mesure de police et
que, ensuite, une autorité de police locale veut intervenir sur la même matière.
Concrètement, la question s'est posée à propos du code de la route. Il existe une réglementation
nationale de la circulation, c'est le code de la route dans sa partie réglementaire. Les autorités locales
de police peuvent-elles aussi intervenir dans ce même domaine ou sont-elles dessaisies du seul fait
qu'une autorité nationale est intervenue ? Et si l'on admet que l'autorité locale peut intervenir, en
quel sens et jusqu'à quel point cela est-il possible ?
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Jurisprudence
Le Conseil d'État a apporté une réponse de principe dans une décision célèbre Maire de Nérisles-bains, du 18 avril 1902. Dans cette décision le juge déclare que si la loi « autorise le préfet
à faire des règlements de police pour toutes les communes du département ou pour plusieurs
d'entre elles, aucune disposition n'interdit au maire d'une commune de prendre sur le même objet
et pour sa commune par des motifs propres à cette localité, des mesures plus rigoureuses ».
Quelques années après, dans sa décision du 8 août 1919 Labonne (que nous avons déjà rencontrée
à plusieurs reprises) le juge réitère sa position, déclarant que les autorités départementales et
communales « conservent chacune en ce qui la concerne, compétence pleine et entière pour ajouter
à la réglementation générale édictée par le chef de l'État toutes les prescriptions réglementaires
supplémentaires que l'intérêt public peut commander dans la localité ».
On peut donc résumer la position constante du juge administratif de la manière suivante : lorsqu'une
autorité de police générale supérieure édicte une mesure de police (que l'on suppose être, par
définition, une mesure réglementaire), l'autorité de police générale inférieure (au sens territorial)
peut toujours aggraver cette mesure (on remarque, dans Néris-les-Bains, la formule « mesures plus
rigoureuses » et, dans Labonne, celle d' « ajouter »), elle ne peut pas l'alléger.
2. La concurrence entre une autorité de police générale et une autorité de police
spéciale
En raison du champ d'intervention très large de la police générale, et du nombre élevé d'autorités
disposant d'un ou de plusieurs pouvoirs de police spéciale, on ne s'étonnera pas que la question
puisse se poser. Il faut distinguer ici plusieurs situations.
Ou bien, et c'est la première situation, les textes qui instituent la police spéciale excluent l'intervention
de la police générale, auquel cas il n'y a pas à s'interroger, le problème est réglé. C'est ainsi que les
dispositions relatives à la police des gares, attribuée au préfet, sont interprétées par le juge comme
excluant toute intervention de la police générale (on cite toujours en ce sens la décision du Conseil
d'État du 20 juillet 1935, Établissements SATAN, et il faut remarquer que le juge judiciaire a eu la
même interprétation). De la même manière, s'agissant de la police des établissements dangereux,
incommodes ou insalubres , la police spéciale qui est remise au préfet exclut l'intervention du
maire au titre de la police générale. On peut dire que dans les hypothèses qui viennent d'être citées
la police spéciale « absorbe » en quelque sorte la police générale.
Une autre application, bien d'actualité, de l'exclusion de l'intervention des autorités de police
autres que celle visée par la loi est la suivante : l'existence d'une police spéciale des organismes
génétiquement modifiés (OGM) est confiée à l'Etat, elle exclut toute réglementation locale qui
serait édictée par le maire au titre de ses pouvoirs de police générale, y compris sur le fondement
constitutionnel de précaution (CE 24 septembre 2012, Commune de Valence, req. n° 342990, AJDA
2012 p. 2122, note E. Untermaier).
Ces hypothèses qui viennent d'être citées sont claires, parce que les textes sont clairs, ou analysés
par le juge comme tels. Ce n'est pas toujours le cas, et bien plus fréquemment ont peut s'interroger,
tout simplement parce que le législateur n'a pas pensé à la question, sur le point de savoir si la police
spéciale exclut ou non l'intervention de la police générale (V. notamment dans l'affaire CE 20 juillet
1971, Sieur Méhu et autres).
Ou bien, et c'est la seconde situation, il résulte des textes instituant la police spéciale que celle-ci
n'a pas entendu exclure l'intervention de la police générale. Il convient alors d'opérer une nouvelle
distinction, car deux hypothèses peuvent se présenter.
•
La première hypothèse est celle où la police spéciale et la police générale dépendent de deux
autorités différentes. C'est le cas le plus fréquent. Le principe est alors que l'intervention de
la police spéciale ne fait pas obstacle à l'intervention de l'autorité de police générale, et cela
même si l'autorité de police spéciale est d'un rang supérieur à l'autorité détentrice du pouvoir de
police générale. Cette hypothèse est notamment représentée par la « police des films » avec,
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comme autorité de police spéciale, le ministre chargé de la culture qui intervient d'abord par
l'attribution d'un visa d'exploitation à un film et, comme autorité de police générale qui intervient
dans un seconds temps le maire, qui va vouloir, par exemple, interdire la projection du film sur
les territoire de sa commune dans les conditions qui ont été exposées précédemment. D'autres
illustrations peuvent être données de cette hypothèse et, par exemple, le juge a admis que
la police générale puisse intervenir pour combler les lacunes ou permettre l'application d'une
police spéciale, la police sanitaire (CE 17 octobre 1952, Syndicat climatique de Briançon, Rec.
p. 445, concl. Chardeau).
•
La seconde hypothèse est celle où la police générale et la police spéciale sont remises à la
même autorité. Le fait qu'une même autorité dispose ainsi de ces deux pouvoirs ne simplifie
pas nécessairement le problème car, pour les raisons déjà invoquées, il convient de savoir à
quel titre l'autorité a agi pour savoir de quels pouvoirs elle dispose. De plus, cette hypothèse est
fréquemment liée à une autre situation, celle de la concurrence entre deux autorités de police
spéciale. On se trouve donc avec, en même temps, un problème de concurrence entre deux
polices spéciales relevant d'autorités différentes et une concurrence entre une police générale
et une police spéciale relevant de la même autorité.
Le juge administratif a eu tendance à admettre le double cumul. Ainsi, dans une affaire où ce qui
était en cause était le code minier, qui institue une police spéciale des carrières remise au préfet,
et qui ne permet au maire de prendre, au plan local, que des « mesures provisoires » en cas de «
péril imminent », le juge a considéré que « l'existence de pouvoirs relevant de la police spéciale des
carrières et destinées à permettre aux autorités publiques de parer aux dangers tenant à la présence
ou à l'exploitation des carrières ne fait pas obstacle à ce que le maire use de ses pouvoirs de police
générale pour assurer la protection des terres contre les inondations d'origine maritime » (CE 20
juillet 1971, Sieur Méhu et autres, précité).
Toutefois des situations nouvelles se présentent, liées à des questions de société, et qui entraînent
souvent l'intervention de maires. Tel a été le cas de maires ayant voulu réglementer par arrêtés
municipaux l'implantation d'antennes relais en raison du rayonnement électromagnétique émis qui
soulève quelque émotion dans une partie de la population.Le Conseil d'Etat a été amené à se
prononcer sur ces arrêtés et a adopté le 26 octobre 2011 trois décisions en assemblée (CE ass.
Commune des Pennes-Mirabeau, req. n° 329904; Commune de Saint-Denis, req. n° 326492; SFR,
req. n°341767). Il a déclaré qu'il résultait du code des postes et télécommunications électroniques
que le législateur avait organisé "de manière complète" une police spéciale des communications
électroniques confiée à l'Etat, qu'il avait confié aux seules autorités qu'il avait désignées (le ministre
chargé des communications électroniques, l'ARCEP et l'ANFR) le soin de déterminer de manière
complète les modalités d'implantation des stations radioélectriques sur l'ensemble du territoire. Le
maire ne peut donc adopter de réglementation en la matière. Le Conseil d'Etat ajoute, et cette formule
présente un grand intérêt, que "le principe de précaution, s'il est applicable à toute autorité publique
dans ses domaines d'attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une
autorité publique d'excéder son champ de compétence et d'intervenir en dehors de ses domaines
d'attributions"
B. Les caractères de l'intervention de police
L'exercice du pouvoir de police entraîne des contraintes qui peuvent être particulièrement lourdes
pour les citoyens, c'est pourquoi il est contrôlé étroitement par le juge administratif. Celui-ci tient
compte à la fois de la nature de la mesure de police et de la situation.
1. La prise en considération de la nature de la mesure de police
Un premier point important à préciser est le suivant. Les mesures de police ne sont pas des sanctions,
elles visent uniquement à maintenir l'ordre public. Cela produit une conséquence, à savoir qu'en cas
de changement de législation, et d'adoption d'une législation plus sévère (si elle est moins sévère
le problème ne se pose pas), la mesure de police peut prendre en compte des faits antérieurs à ce
changement de législation. Cette caractéristique prend tout son intérêt en certains domaines comme
celui de la police des étrangers.
Par ailleurs, la mesure de police ne peut consister, par définition, qu'en des interdictions. Cela
signifie qu'une autorité de police ne peut édicter une réglementation de police qui subordonnerait
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l'obtention de quelque chose ou l'exercice d'une activité à une déclaration préalable, et encore moins
à une autorisation préalable. Ainsi, par exemple, une autorité administrative ne peut soumettre à
autorisation l'utilisation d'une rivière faisant partie du domaine privé (CE 13 novembre 1992, Ligue
du Centre de canoë-kayak). Cette solution consistant à ne pouvoir édicter que des interdictions
s'explique facilement par trois arguments.
•
•
•
En premier lieu, seule la loi peut évidemment édicter un régime juridique de déclaration ou
d'autorisation préalable.
En deuxième lieu, ne pouvant qu'interdire, l'autorité administrative est amenée à apprécier
la situation avant de prononcer une interdiction, si elle pouvait procéder autrement, elle
hésiterait moins à intervenir et multiplierait les mesures de police.
En troisième lieu, enfin, et parce que l'on est dans le domaine de la police, d'autres mesures
que l'interdiction seraient de nature à créer des inégalités entre les personnes destinataires
de la mesure.
En troisième lieu, la mesure de police ne peut prévoir les moyens par lesquels elle peut être
appliquée, s'il existe plusieurs possibilités pour les destinataires de mettre en oeuvre la mesure de
police. Ainsi par exemple, à propos d'un exemple un peu ancien mais qui a gardé son actualité,
dans le cas de présence de nombreux animaux dans un logement entraînant, pour les voisins,
des inconvénients pour la tranquillité et la salubrité publiques, l'autorité de police peut ordonner
la suppression de ces inconvénients, mais elle ne peut prescrire que la suppression de ces
inconvénients sera obtenue par la limitation du nombre d'animaux (CE Ass. 4 janvier 1935, Dame
Baras).
Enfin, l'autorité de police ne peut prévoir qu'il sera fait, éventuellement, une exécution forcée de la
mesure qu'elle a prise, l'appréciation de l'exécution forcée ne pouvant être appréciée, sauf si elle a
été prévue par le législateur, que par le juge.
2. La prise en considération de la nature de la situation
La légalité d'une mesure de police est étroitement conditionnée par les circonstances dans
lesquelles cette mesure intervient. Trois facteurs sont retenus par le juge.
Il s'agit d'abord des circonstances de lieu. On comprend aisément que l'étendue du pouvoir de police
varie selon la nature du lieu considéré.
Exemple
Un lieu privé, par exemple le domicile, sera particulièrement protégé contre les interventions de
l'autorité de police, à l'opposé le domaine public, et plus particulièrement la voie publique, est le lieu
de prédilection d'application de mesures de police.
Certains lieux sont intermédiaires, c'est le cas des lieux ouverts au public.
Exemple
Les établissements ouverts au public où, à la différence des lieux publics, l'accès est subordonné
à des conditions (par exemple le paiement du prix), le régime juridique des mesures de police y est
plus rigoureux que dans les lieux privés mais moins rigoureux que dans les lieux publics.
Il s'agit ensuite des circonstances de temps. Il est évident que lors des périodes de guerre, ou plus
simplement en période troublée, le juge administratif admet plus libéralement que dans les périodes
normales la légitimité de l'intervention de l'autorité de police.
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Jurisprudence
La décision du 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, est particulièrement significative à cet égard :
elle déclare que « les limites des pouvoirs dont dispose l'autorité publique pour le maintien de l'ordre
et de la sécurité, tant en vertu de la loi municipale que de la loi du 9 août 1849, ne sauraient être
les mêmes dans le temps de paix et pendant la période de guerre, où les intérêts de la défense
nationale donnent au principe de l'ordre public une extension plus grande et exigent pour la sécurité
publique des mesures plus rigoureuses. Il appartient au juge, sous le contrôle duquel s'exercent
ces pouvoirs de police, de tenir compte dans son appréciation des nécessités provenant de l'état
de guerre, selon les circonstances de temps et de lieu, la catégorie des individus visés, et la nature
des périls qu'il importe de prévenir ».
Il s'agit, enfin, de la nécessité d'adapter les mesures de police aux besoins de l'ordre public. Il doit y
avoir adéquation de la mesure à l'importance de la menace, celle-ci doit être proportionnée à celleslà. Les besoins de l'ordre public varient en fonction de différents facteurs. Le facteur essentiel est
évidemment constitué par la législation et la réglementation, or cette législation évolue elle-même
en fonction de la demande des citoyens, de la sensibilité plus ou moins grande aux problèmes de
sécurité, de la manière dont les pouvoirs publics apprécient eux-mêmes cette demande.
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Cours : L’action administrative
Auteur : Jean-Marie Pontier
Leçon n° 8 : La notion d'acte administratif unilatéral
Table des matières
Section 1. Contenu de la notion d'acte administratif unilatéral...........................................................p. 2
§1. Délimitation de la notion d'acte administratif unilatéral.......................................................................................... p. 2
A. Un acte unilatéral pris par une autorité administrative.................................................................................................................. p. 2
1. Un acte administratif unilatéral....................................................................................................................................................................................p. 2
2. Un acte pris par une autorité administrative...............................................................................................................................................................p. 3
B. La décision exécutoire................................................................................................................................................................... p. 4
1. Les différents sens de l'expression « décision exécutoire »...................................................................................................................................... p. 4
2. Un acte faisant grief....................................................................................................................................................................................................p. 4
§2. Les mesures d'ordre intérieur................................................................................................................................ p. 6
A. Les catégories de mesures d'ordre intérieur................................................................................................................................. p. 6
1. Les circulaires..............................................................................................................................................................................................................p. 6
2. Les directives...............................................................................................................................................................................................................p. 9
3. Les mesures internes au service.............................................................................................................................................................................. p. 10
B. La tendance à la réduction des mesures d'ordre intérieur.......................................................................................................... p. 12
Section 2. La diversité des décisions exécutoires............................................................................. p. 15
§1. La classification des décisions exécutoires......................................................................................................... p. 15
A. La distinction entre la décision réglementaire et la décision non réglementaire..........................................................................p. 15
1. Intérêt de la distinction entre décisions réglementaires et décisions non réglementaires........................................................................................ p. 15
2. La décision réglementaire......................................................................................................................................................................................... p. 16
B. Les décisions ni réglementaires ni individuelles.......................................................................................................................... p. 16
1. Les décisions collectives ..........................................................................................................................................................................................p. 17
2. Les actes « sui generis »......................................................................................................................................................................................... p. 17
3. L'intervention de la hiérarchie matérielle.................................................................................................................................................................. p. 18
§2. La hiérarchie des décisions................................................................................................................................. p. 19
A. La hiérarchie formelle...................................................................................................................................................................p. 19
B. L’intervention de la hiérarchie matérielle..................................................................................................................................... p. 20
1
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Le droit administratif présente des aspects très différents ou, si l'on préfère, il existe plusieurs angles
d'approche. On est très sensible, aujourd'hui, à la dimension de protection des droits et libertés
des citoyens, ce qui se comprend facilement, et le droit administratif est un droit de protection des
citoyens à travers différentes réglementations, à travers des principes tels que les principes généraux
du droit, examinés dans une précédente leçon, à travers toute une série de procédures, procédures
non juridictionnelles et procédures juridictionnelles notamment, parmi ces dernières, celle qui permet
de mettre en oeuvre l'un des recours les plus protecteurs, le recours pour excès de pouvoir. Cette
dimension sera examinée dans des leçons ultérieures.
Cependant, il ne faut pas oublier un autre aspect tout aussi important du droit administratif : le droit
administratif est aussi, et peut-être d'abord, le droit de l'action administrative.
C'est un droit qui permet à l'administration d'agir, qui est la formalisation des procédés et des
procédures qu'utilise et que met en oeuvre l'administration dans son action.
L'action de l'administration est faite, en partie, de simples agissements, par lesquels l'administration
met en oeuvre une politique ou, plus simplement, fonctionne : la transmission d'un document est
normalement - mais l'on verra que partout il y a des exceptions - une simple opération matérielle,
comme l'est aussi, par exemple, une action de dégagement d'une chaussée encombrée par un
arbre tombé sur la voie. Mais l'action de l'administration se traduit également par des actes, qu'il
s'agisse d'accords passés avec d'autres personnes, que l'on va qualifier de contrats, ou qu'il s'agisse
d'actes pris par une autorité administrative en cette qualité, et ce sont ces seuls actes qui vont nous
retenir dans cette leçon.
Les actes ainsi pris par une autorité administrative sont qualifiés d'actes administratifs unilatéraux.
Mais cette expression un peu anodine recouvre de nombreuses interrogations, et l'on va s'attacher,
dans un premier temps, à délimiter le contenu de cette notion avant d'examiner les diverses décisions
exécutoires.
Section 1. Contenu de la notion d'acte administratif unilatéral
L'administration prend régulièrement des actes que l'on va qualifier d'actes administratifs
unilatéraux. Mais que faut-il entendre exactement par là ? Une délimitation de cette notion est
indispensable, et elle va faire apparaître une catégorie d'actes qui, par leur importance comme par
la subtilité des solutions adoptées, appelle une étude à part, celle des mesures d'ordre intérieur.
§1. Délimitation de la notion d'acte administratif unilatéral
L'administration prend des actes unilatéraux qui n'ont pas tous le même contenu et ne produisent
pas les mêmes effets. L'analyse de ces actes fait apparaître l'existence d'actes unilatéraux parmi
lesquels seuls certains vont pouvoir être qualifiés de décisions exécutoires.
A. Un acte unilatéral pris par une autorité administrative
Il n'y a aucune évidence - ou ce sont de fausses évidences - à affirmer que l'acte administratif
unilatéral est un acte unilatéral pris par une autorité administrative.
1. Un acte administratif unilatéral
Tout d'abord rappelons qu'un acte administratif unilatéral est un acte, ce qui le différencie des simples
agissements de l'administration dont quelques exemples ont été donnés précédemment. En d'autres
termes, la volonté de l'administration peut s'exprimer par de simples agissements, qui peuvent
néanmoins produire des effets de droit, par exemple sur le plan de la responsabilité.
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Un acte unilatéral est le produit de la volonté administrative, mais ce n'est pas nécessairement l'acte
d'une seule personne.
•
D'une part, en effet, il est possible, et cela est prévu, voire imposé par des textes, qu'un acte
soit, pour être valide, signé par plusieurs autorités administratives. Un exemple classique est
celui d'un arrêté interministériel qui, comme sa dénomination l'indique, est pris par plusieurs
ministres (ceci est à ne surtout pas confondre avec le contreseing ministériel des ministres
responsables). De même, on peut trouver, à l'échelon local, des arrêtés interpréfectoraux.
Deux autorités locales décentralisées peuvent être amenées à prendre un acte commun, qu'il
s'agisse, par exemple, d'un arrêté relatif à une voie publique limitrophe à deux communes, ou
qu'il s'agisse d'un arrêté pris par un président de conseil général et un président de conseil
régional pour une opération concernant un bâtiment dans lequel se trouvent, à la fois, un collège
et un lycée (même si cette situation, de moins en moins fréquente, est appelée à disparaître.)
•
D'autre part, un acte unilatéral peut fort bien être pris par un organe collégial. C'est le cas de
toutes les délibérations prises par les assemblées délibérantes locales que sont les conseils
municipaux, les conseils généraux, les conseils régionaux. Ces délibérations, lorsqu'elles se
traduisent par un acte (car le terme de délibération est ambigu, il peut désigner le simple fait
de débattre, ou le résultat de la discussion), sont des actes unilatéraux.
Ainsi, le caractère unilatéral de l'acte se caractérise, non par l'unicité des auteurs de l'acte, mais
par les effets de celui-ci : un acte unilatéral est un acte que les destinataires doivent appliquer
sans l'avoir discuté, l'acte unilatéral est celui qui s'applique sans nécessiter le consentement des
personnes visées.
2. Un acte pris par une autorité administrative
Un acte unilatéral est un acte pris par une autorité administrative, ce qui revient à se demander ce
qu'est une autorité administrative.
Cette délimitation de l'acte unilatéral peut se faire, d'abord, de manière négative, en écartant des
actes qui ne pourront pas recevoir cette qualification parce que leurs auteurs ne sont pas des
autorités administratives.
Ainsi, tout d'abord, l'acte administratif unilatéral ne peut pas être l'acte émané d'un organe qui n'est
pas un organe administratif, même s'il s'agit d'un organe public : l'acte émané de l'organe législatif
suivant la procédure législative ne peut être un acte administratif, pas plus que ne l'est l'acte d'une
juridiction intervenant en la forme juridictionnelle.
Similairement, ne peuvent être des actes administratifs les actes pris par des personnes privées,
sauf si elles agissent en vue de satisfaire un service public et en ayant recours - le plus souvent
- à des prérogatives de puissance publique. Le cas des personnes privées illustre la difficulté que
l'on éprouve parfois à identifier un acte administratif : ce n'est pas parce qu'une personne privée
poursuit un intérêt général, qu'elle se voit dotée de prérogatives de puissance publique que, par
cela même, elle prend des actes devant être considérés comme des actes administratifs. Encore
faut-il que ces actes aient été pris en vue de l'exécution de la mission qui lui a été confiée. Et
par ailleurs, il faut distinguer, ainsi que nous l'avons vu dans la leçon sur les services publics,
les prérogatives qui sont effectivement des prérogatives de puissance publique, et celles dont une
personne privée dispose en vertu de son seul statut de droit privé (V. CE 20 juin 1946, Morand, Rec.
p. 183, et CE 21 mai 1976, GIE Brousse-Cardell, Rec. p. 268, AJ 1977, p. 42, concl. S. Grévisse),
la distinction n'étant pas, il faut bien le reconnaître, toujours évidente. En revanche, selon le juge,
les associations communales de chasse agréées sont des organismes de droit privé chargés d'un
service public; dès lors, "les décisions qu'elles prennent dans le cadre de leur mission de service
public et qui manifestent l'exercice de prérogatives de puissance publique constituent des actes
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administratifs susceptibles d'être déférés à la juridiction administrative" (TC 9 juillet 2012, AvocatMaulaz c/ Association communale de chasse agréée d'Abondance, req. n° 3861).
Ce n'est pas parce que l'acte est pris par une autorité administrative qu'il est obligatoirement un acte
administratif : il faut toujours penser à l'hypothèse, même si elle n'est pas très fréquente, de l'acte
de gouvernement, analysé dans une leçon précédente. Il faut également relever l'hypothèse dans
laquelle l'acte n'est pas détachable d'une autre procédure, auquel cas l'acte administratif unilatéral
ne peut être considéré indépendamment de cette procédure : tel est le cas d'un acte administratif non
détachable d'une procédure juridictionnelle (ex. la démission d'office d'un conseiller municipal par
décision du juge administratif : CE 17 janvier 1969, Maire de la commune de Saint Laurent-L'abbaye,
Rec. p. 25) ou encore d'un contrat de droit privé (CE 19 novembre 1971, Delle Leduc, Ministre de
l'Intérieur c/Dame Dodan ; CE 2 novembre 1988, Labadie, Rec. p. 391).
La détachabilité peut jouer en sens inverse, pour faire considérer qu'un acte est bien un acte
administratif : certains actes sont détachables d'une convention internationale, d'une procédure
juridictionnelle (ainsi, par exemple, le refus par une chambre régionale des comptes de constater
la non inscription d'une dépense obligatoire au budget d'une commune ; ou encore, la décision par
laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques saisit le
juge de l'élection n'est pas détachable de la procédure juridictionnelle engagée devant celui-ci, donc
n'est pas susceptible d'être attaquée : CE 13 novembre 1992, Grosjean), d'une procédure législative
(ainsi pour un acte administratif pris par la chambre des députés d'un territoire d'outre-mer : CE 27
févr. 1970, Saïd Ali Tourqui et autres, Rec. p. 138).
B. La décision exécutoire
L'expression « décision exécutoire » a été utilisée pour la première fois par M. Hauriou dans son
précis de droit administratif. Beaucoup plus tardivement, le Conseil d'État s'est mis à parler de
décision exécutoire, pour la première fois dans un arrêt de 1970 (CE Ass. 23 janv. 1970, Ministre
d'État chargé des affaires sociales c/Amoros et autres, Rec. p. 51). Mais cette expression de décision
exécutoire est extrêmement ambiguë.
1. Les différents sens de l'expression « décision exécutoire »
Les décisions du Conseil d'État parlent tantôt de « décision exécutoire » , tantôt d'« acte exécutoire
». Il semble que l'on puisse relever trois sens différents de ces expressions.
•
Un premier sens, qui paraît celui qui caractérise le mieux la décision exécutoire, est la
modification de l'ordonnancement juridique qu'entraîne celle-ci, c'est-à-dire la création de droits
ou d'obligations au profit ou à la charge d'autres personnes, notamment des administrés : un
permis de construire donne la possibilité à son bénéficiaire de construire l'immeuble pour lequel
il a demandé le permis, l'acte décidant de taxer les véhicules qui produisent un CO2 supérieur
à un certain taux crée une obligation à la charge de l'acheteur d'un véhicule dépassant ce taux
de payer la taxe en question ; la nomination d'un fonctionnaire entraîne à son profit un certain
nombre de droits, etc.
•
Un deuxième sens, étroitement lié au premier, est celui de l'obligatoriété, c'est-à-dire du
caractère obligatoire de l'acte. Un acte qui modifie l'ordonnancement juridique est un acte
obligatoire pour tous ceux qui sont tenus de l'appliquer. Toutefois, tous les actes impliquant une
modification de l'ordonnancement juridique ne sont pas des actes obligatoires, il en est ainsi,
notamment, de tous les actes qui autorisent, qui habilitent ou qui permettent : sans l'autorisation,
la permission, l'habilitation, l'activité n'est pas possible, donc l'acte en question ajoute un
élément à l'ordonnancement juridique, sans présenter pour autant un caractère obligatoire.
•
Le législateur a ajouté un troisième sens en subordonnant le caractère exécutoire des actes
des collectivités territoriales à l'accomplissement d'une double formalité, la transmission de
l'acte au représentant de l'État et la publicité (variable selon la nature de l'acte) de l'acte en
question. Le législateur a ici assimilé l'opposabilité de l'acte à ces formalités, qui conditionnent
la production d'effets.
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2. Un acte faisant grief
Malgré les incertitudes qui entourent la notion d'acte administratif unilatéral, et parce qu'il est
indispensable d'avoir des points de repère, on dira, pour simplifier, que toute décision exécutoire
est un acte administratif unilatéral, mais que tout acte administratif unilatéral n'est pas une décision
exécutoire, parce que certains de ces actes ne font pas grief et, par voie de conséquence, sont
insusceptibles d'être différés au juge de l'excès de pouvoir en vue de leur annulation.
Cela signifie que l'on peut identifier un certain nombre d'actes qui sont effectivement des actes
administratifs unilatéraux, mais auxquels on ne peut pas reconnaître le caractère d'acte exécutoire
ou de décision. Ce sont des actes qui, normalement, n'ont pas d'effet sur la situation juridique ou
matérielle des administrés.
Il existe une très grande variété d'actes auxquels le juge, s'il est saisi, refuse de reconnaître le
caractère de décision et cette réserve du juge paraît le plus souvent justifiée. Ainsi en est-il des
actes qui présentent un caractère simplement indicatif, parce qu'ils opèrent une simple constatation
(CE 7 octobre 1988, Bienvenu, Rec. p. 330), ou bien parce qu'ils manifestent une simple déclaration
d'intention (CE 22 avril 1970, Société ' Établissements Louis Rémusat, Rec. p. 264). C'est encore
le cas des actes par lesquels l'autorité administrative se borne à émettre une opinion (CE 18 février
1987, Rocache, Rec. p. 61), ainsi que des actes pris dans le cadre d'une procédure complexe faisant
intervenir une série d'actes successifs. C'est aussi le cas des actes que l'on qualifie de préparatoires
ou de provisoires. Les avis émis par de nombreux organes consultatifs (on en dénombre en
France plusieurs milliers) ainsi que des autorités administratives qui peuvent, par ailleurs, prendre
de véritables décisions, ne sont pas considérés, sauf cas particuliers que l'on examinera plus
loin, comme des décisions. Ces avis, de même que les voeux, ont eu, en d'autres temps, une
grande importance à l'échelon des conseils municipaux. Une particularité, dont l'intérêt n'est plus
qu'historique, est à relever. Le juge a été amené à considérer les avis rendus par les conseils
municipaux comme des décisions, et cela pour une raison simple : les avis spontanés émis par les
conseils municipaux et, notamment, ainsi que l'on peut s'en douter, ceux qui interviennent dans le
domaine politique, sont interdits mais le seul moyen de les annuler était de les considérer comme des
décisions (s'ils n'avaient pas été considérés comme tels ils n'auraient pu être annulés, ce qui aurait
privé l'État de moyen d'intervention ; ajoutons que dans tout ceci il y avait surtout une dimension
symbolique ou, si l'on préfère, une question de principes).
Cet exemple des avis des conseils municipaux montre que dans la qualification de l'acte unilatéral
comme décision, ou le refus de le considérer comme tel, le juge montre un très grand pragmatisme :
des actes qui, en théorie, ne sont pas censés produire des effets de droit sont analysés parfois par
le juge comme des décisions parce qu'ils produisent de tels effets. Ou bien le juge affirme qu'ils ne
produisent aucun effet, mais, pour le dire, il admet la recevabilité du recours, et il annule la mesure.
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Exemple
Un exemple assez pittoresque et qui, de plus, est instructif pour comprendre l'importance de la
maîtrise de la langue française, le montre bien. Il s'agit d'une affaire dans laquelle un rectificatif
est publié au Journal officiel. Un rectificatif est une pure opération de correction de forme, destiné
à corriger une coquille qui, malgré les relectures, est passée dans le texte publié. En l'espèce,
un organisme professionnel, la Chambre syndicale des fabricants français de balais de paille
de sorgho, fait un recours contre un tel rectificatif qui modifie le tableau des produits agricoles
légèrement transformés bénéficiant, pour l'application de la taxe à la production, d'un taux réduit
prévu par ce qui était, alors, l'article 256 du code général des impôts.
Dans cette affaire, le Conseil d'État déclare que le rectificatif publié Journal officiel a substitué dans
la nomenclature la mention « balais et balayettes en bottes liées, non emmanchés » à celle de «
balais et balayettes en bottes liées, non emmanchées » (bien relire ces deux formules). Il en déduit
que « ce prétendu rectificatif a eu pour objet non de corriger une erreur matérielle de transcription
survenue lors de la publication dudit arrêté (...), mais d'apporter une modification au texte original
au texte antérieurement publié ; que, dans ces conditions, il est sans valeur », le juge déclarant le
rectificatif nul et de nul effet (CE 25 juillet 1952, Sect., Chambre syndicale des fabricants français
de balais de paille de sorgho, sieur Hebert et autres) : en substituant un masculin pluriel ou féminin
pluriel, l'autorité administrative modifiait subrepticement le champ d'application de la taxation.
§2. Les mesures d'ordre intérieur
Les mesures d'ordre intérieur sont des actes administratifs unilatéraux que le juge considère comme
ne pouvant pas être invoqués devant lui par les administrés, qui ne peuvent ni s'en prévaloir, ni
les contester.
L'explication de cette situation est simple. Les actes unilatéraux qualifiés de mesures d'ordre intérieur
ne concernent que la marche interne des administrations, ils ne font pas grief aux administrés, qui ne
sont point destinataires de ces mesures. C'est même cette caractéristique qui constitue le principal
intérêt des mesures d'ordre intérieur. Toute administration a besoin, pour fonctionner normalement,
que des actes indiquent aux agents comment ils doivent agir. Cet univers administratif est étranger
et extérieur aux administrés.
Tout irait pour le mieux si la réalité, parfois, n'était différente du schéma théorique ainsi présenté.
Le juge a donc été amené à s'interroger sur ces mesures, la jurisprudence étant particulièrement
évolutive depuis quelques années.
A. Les catégories de mesures d'ordre intérieur
De manière classique et pratiquement incontestée, on distingue trois catégories de mesures
d'ordre intérieur.
1. Les circulaires
Les circulaires sont un instrument utilisé par l'autorité administrative centrale pour éclairer les
services placés sous son autorité sur le sens à donner à une disposition de loi ou de décret, sur la
manière d'appliquer un texte.
Ces circulaires se révèlent pour les agents très pratiques en raison de la multiplication des lois, dont
beaucoup de dispositions renvoient à d'autres lois, rendant le texte souvent illisible si l'on n'a pas à
l'esprit ces autres dispositions. Elles facilitent la compréhension des textes, donc leur application. Les
services déconcentrés sont les principaux destinataires de ces circulaires que les autorités centrales
n'hésitaient pas, autrefois, à adresser aussi aux autorités décentralisées (aujourd'hui ce sont les
préfets qui sont chargés par les circulaires d'apporter les informations aux élus).
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Naturellement, la réalité est éloignée de ce schéma un peu idyllique, l'administration fourmille de
circulaires (aux noms les plus divers, l'administration centrale n'étant jamais en reste pour trouver
toutes sortes d'appellations) et les lois de décentralisation n'ont pas réduit, contrairement à ce que
l'on aurait pu penser, le rythme de production des circulaires. Il faut dire que l'activisme du législateur
alimente la production de circulaires dont certaines présentent un caractère quasi ubuesque (Voir,
par exemple, la très longue circulaire du 22 octobre 2007 sur les chiens).
Quoi qu'il en soit, les circulaires sont nombreuses et, depuis longtemps, le juge a perçu la difficulté
qui pouvait survenir : les circulaires sont des actes à usage interne, elles ne concernent pas les
administrés mais si, en fait, des circulaires, nonobstant leur nature théorique, créent des droits ou/
et des obligations, posent une règle nouvelle, que fait-on ? Il est probable que ce problème n'est
pas propre à la France, mais se rencontre dans toutes les administrations, celles-ci obéissant,
sociologiquement, à des règles très similaires.
En d'autres termes, des circulaires produisent des effets à l'égard des administrés, elles ressemblent
fort à des décisions. La situation devient préoccupante lorsque les circulaires se multiplient. Du
temps de la Quatrième République, le commissaire du gouvernement Tricot faisait valoir que
l'interdépendance des problèmes, mais aussi l'instabilité ministérielle, poussaient l'administration à
inclure dans la circulaire des règles qui auraient dû figurer dans des décrets ou des arrêtés : « on
assiste ainsi à un recul de la règle de droit vers le précaire et le confidentiel », écrivait-il (B. Tricot).
Ce phénomène est moins net aujourd'hui (c'est le nombre de lois et de mesures d'application qui
pose problème) mais le problème est bien réel.
Pour tenir compte de cette réalité, le Conseil d'État a développé une jurisprudence très intéressante
à partir d'une décision de principe, CE 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker, Rec.
p. 64, RPDA 1954, p. 50, concl. Tricot). Dans cette décision, le Conseil d'État a distingué, parmi
les circulaires, deux catégories, les circulaires interprétatives et les circulaires réglementaires. Les
premières sont les circulaires « normales », celles qui répondent à leur nature, les secondes
s'apparentent à des décisions, et sont traitées comme telles.
Le principe de cette distinction est très satisfaisant, toute la difficulté est de trouver le critère
permettant de dire quelles sont les circulaires interprétatives et celles qui sont réglementaires.
D'un point de vue abstrait, il est possible d'affirmer que la circulaire est interprétative, qu'elle est une
« vraie » circulaire, lorsqu'elle se borne à rappeler, ou à commenter, ou à expliciter les règles de
droit antérieurement existantes. La circulaire est réglementaire - et il y a, alors, toutes les probabilités
pour qu'elle soit illégale - lorsqu'elle ajoute à la réglementation existante. On en revient, au fond, au
critère de modification de l'ordonnancement juridique : la circulaire qui affecte cet ordonnancement
est réglementaire, dans le cas contraire, elle est interprétative.
Malheureusement, la mise en oeuvre de ce critère se révèle fort délicate. Le juge se trouve en
permanence au coeur d'un dilemme, que B. Tricot avait bien vu, déclarant, dans ses conclusions
précitées, à propos du juge : « S'il refuse le caractère réglementaire à toute circulaire, il réduit les
garanties des administrés. Il les oblige à attendre la prise d'une décision individuelle, alors que
l'illégalité est déjà patente et qu'il serait opportun de la sanctionner sans attendre qu'elle ait sévi dans
de nombreux cas particuliers. Mais s'il décide trop souvent qu'il y a règlement, il consacre et renforce
ce qui pouvait n'être que l'énoncé d'une tendance, une directive susceptible d'accommodements ».
Cette appréciation est très réaliste, d'autant que la difficulté peut être encore accrue par le fait qu'une
circulaire peut être pour partie réglementaire et pour partie interprétative et, dans ce cas, il faut en
quelque sorte « découper » la circulaire pour voir ce qui est réglementaire et ce qui ne l'est pas, ce
qui complique encore la difficulté.
Devant une telle situation, il est bien difficile de donner un critère permettant de se prononcer à coup
sûr, on peut seulement donner des illustrations permettant de se faire une idée de ce que sont des
circulaires réglementaires et des circulaires non réglementaires.
Les circulaires non réglementaires sont, si l'on peut dire, la norme, le cas normal, celles qui répondent
effectivement à la définition de la circulaire.
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Exemple
• Parmi de très nombreux exemples, on peut citer, comme répondant à cette définition : les
circulaires qui comportent une réorganisation interne d'un service aboutissant à modifier les
attributions d'un agent public au sein de celui-ci, mais sans présenter pour autant le caractère
d'une mutation (CE 6 octobre 1972, Legreneur, Rec. p. 614) ;
• les circulaires prises à l'invitation d'un acte législatif ou réglementaire antérieur (CE Sect. 2
décembre 1966, Marchand, Rec. p. 632) ;
• les circulaires qui ne contiennent aucune règle nouvelle et qui, notamment, se bornent
à expliciter la réglementation en vigueur (CE Sect. 18 novembre 1977, SA Entreprise J.
Marchand, AJDA 1978, p. 676 ; CE Sect. 26 avril 1978, Minjuz, Rec. p. 186) ;
• les circulaires qui recommandent aux agents subordonnés un certain comportement (CE 27
janvier 1943, Prud'homme, Rec. p. 20) ; les circulaires qui se bornent à rappeler une décision
antérieurement prise, ou l'existence d'une réglementation (CE 11 avril 1951, Fédération
nationale de fabricants de vêtements masculins, Rec. p. 184).
Sont, en revanche, des circulaires réglementaires celles qui créent des règles nouvelles, et ces
circulaires vont être considérées par le juge comme de véritables décisions, les administrés peuvent
les déférer au juge qui, dans la plupart des cas, les annulera pour illégalité. Sont des circulaires
réglementaires, par exemple, les circulaires qui ajoutent une condition nouvelle (CE 26 juin 1965,
Lefranc, Rec. p. 199, condition d'âge posée par une circulaire pour pouvoir accéder aux oeuvres du
CROUS), qui soumettent la mise en oeuvre des droits des administrés à des sujétions (CE 14 janv.
1981, MRAP et UNEF, Rec. p. 13), ou qui l'entourent de garanties (CE 1er avr. 1949, Chaveneau,
Rec. p. 161) celles qui ajoutent à une loi (CE 15 févr. 1978, Association des étudiants en droit de
Metz, Bonichot et SGEN, AJDA 1978, p. 678), voire - à plus forte raison - qui modifient une loi (CE
28 janv. 1987, Département de la Vendée c/Ministre chargé des PTT, AJDA 1987, p. 282), celles
qui contiennent une règle générale et impérative nouvelle (ex. la circulaire du ministre des PTT qui
énumère les fonctionnaires auxquels est refusé le droit de grève (CE 28 nov. 1958, Lepouse, Rec.
p. 596 ; circulaire du ministre de l'Éducation nationale organisant la participation de l'État aux frais
engagés par les familles éloignées d'une école pour assurer la fréquentation scolaire de leurs enfants
et réservant le bénéfice de cette participation aux familles dont les enfants fréquentent une école
publique : CE 6 oct. 1961, Union nationale des parents d'élèves de l'enseignement public, Rec. p.
550, RDP 1961, p. 1271, concl. A. Bernard), celles qui restreignent les possibilités offertes par un
texte (CE Sect. 23 mai 1969, Sté « Distilleries Brabant », Rec. p. 264).
Cependant, avec l'expérience jurisprudentielle, le juge a estimé indispensable de faire évoluer le
critère de distinction entre les circulaires réglementaires et les circulaires non réglementaires. Dans
une décision importante de 2002, il a posé comme distinction celle des circulaires non impératives
et des circulaires impératives (CE Sect. 18 déc. 2002, Mme Duvignères). Cette jurisprudence
apporte une simplification : jusque-là, la circulaire qui n'était pas interprétative, mais qui n'avait pas
de portée obligatoire, ne pouvait faire l'objet d'un recours.
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Les circulaires non impératives
La circulaire impérative
Les circulaires non impératives sont, dans
la jurisprudence Duvignères, les circulaires
qui ne produisent aucun effet de droit,
ces circulaires ne sont ni opposables aux
administrés ni invocables par ces derniers
devant le juge, qui les ignore. Les circulaires
impératives sont celles qui produisent des
effets de droit parce qu'elles dictent une
certaine conduite à tenir. Dans l'arrêt Dame
Duvignères, l'ordre était en contradiction avec
l'état de droit existant. Dans ce cas, l'acte
est annulé, généralement sur le fondement
de l'incompétence. La circulaire impérative
peut être également celle qui rappelle
des règles existantes (auquel cas, dans
la jurisprudence précédente, cette circulaire
n'est pas considérée comme réglementaire),
mais ces règles en question ne sont pas
conformes à la hiérarchie des normes (tel
est le cas, par exemple, d'un décret qui ne
respecte pas une directive communautaire).
La circulaire impérative est un acte
attaquable, mais ce n'est pas nécessairement
un acte illégal : tel est le cas d'une
circulaire qui ordonne l'exécution d'une
mesure conforme à la hiérarchie des
normes (V. par ex. le cas de la circulaire
du ministre des transports prise sur le
fondement de l'article R.221-19 du code de
la route, interdisant le port du turban sur la
photographie du permis de conduire : CE 15
déc. 2006, Association United Sikhs, AJDA
2007, p. 313, concl. T. Olson).
2. Les directives
Une première remarque est une invitation à ne pas confondre les directives dont il est question ici
avec les directives communautaires dont il a été question dans une autre leçon.
Une directive est un acte par lequel une autorité administrative qui dispose d'un pouvoir
discrétionnaire se fixe à elle-même une règle sur la conduite à tenir dans des séries de cas
semblables.
La directive est l'expression d'une sorte de pouvoir d'orientation d'une autorité administrative qui,
d'une manière non contraignante, va donner des indications aux agents subordonnés sur l'attitude à
tenir dans des séries de cas individuels. On pourrait dire, également, que la directive est l'expression
d'une volonté d'anticipation sur la manière d'agir pour des cas qui se sont déjà présentés.
Au fond, la directive paraît présenter tous les avantages, à la fois pour l'autorité administrative et
pour les administrés.
•
•
Du côté de l'autorité administrative, le procédé introduit de la cohérence, dans la mesure où
les situations individuelles comparables vont pouvoir être traitées d'une manière similaire.
Du côté des administrés, le procédé procure une sécurité juridique, puisque ces administrés
savent à l'avance quelle sera la conduite de l'administration si une même situation se reproduit.
Cependant, cette vision un peu idéalisée se heurte à une objection importante : dès lors que
l'administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire, elle doit procéder, dans chaque cas, à un
examen particulier des circonstances : c'est bien pour cela qu'un pouvoir discrétionnaire est
remis à une autorité administrative. En se fixant à l'avance une règle sur la conduite à tenir,
l'administration renonce à opérer un examen particulier des circonstances, elle renonce à son pouvoir
discrétionnaire.
On a donc l'impression, au vu des arguments qui viennent d'être exposés, de se trouver face à
un dilemme dont il est difficile de sortir. Mais ce sont précisément ces exigences quelque peu
contradictoires qui expliquent la jurisprudence très nuancée du juge, un juge qui tente, à travers cette
jurisprudence, de concilier toutes ces exigences.
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Le juge administratif a édifié cette jurisprudence sur les directives à partir de deux décisions,
complétées par bien d'autres, l'une de 1970 (CE Sect. 11 déc. 1970, Crédit foncier de France, Rec.
p. 750, concl. L. Bertrand), l'autre de 1973 (CE 29 juin 1973, Société Géa, RDP 1974, p. 547, note
Waline).
Jurisprudence
Dans l'affaire Crédit foncier de France, il s'agissait de l'attribution, par une commission, de
subventions ou de prêts aux particuliers pour l'amélioration de leur habitat. L'autorité administrative
que constituait cette commission avait pris en l'espèce une directive par laquelle elle posait
des conditions pour l'attribution desdites subventions, et relatives, notamment, aux revenus des
propriétaires et à la nature des travaux entrepris. Des particuliers s'étaient vu refuser une subvention
en application de cette directive. Sur recours de ces personnes, le Tribunal administratif de Paris
avait annulé le refus d'attribution de subvention sur le fondement de l'erreur de droit, estimant qu'il
s'agissait d'une circulaire réglementaire illégale. En appel, le Conseil d'État estima qu'il s'agissait
d'une directive, qui ne pouvait être assimilée à une circulaire, et considéra qu'il n'y avait pas eu
d'illégalité dans la mesure où la commission s'était bornée à « définir des orientations générales
(...) sans renoncer à son pouvoir d'appréciation ».
La jurisprudence sur les directives peut être résumée de la manière suivante.
•
En premier lieu, et comme le montre clairement l'exemple précédent, la directive doit être
distinguée de la circulaire, tout en appartenant à la catégorie des mesures d'ordre extérieur.
Cela signifie que, normalement, la directive n'est pas un acte réglementaire, elle ne peut faire
grief et ne peut, non plus, faire l'objet d'un recours en annulation devant le juge administratif
(CE 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu, Rec. p. 193). En revanche, la directive peut être
contestée indirectement, par la voie de l'exception d'illégalité.
•
En deuxième lieu, la directive permet à l'administration de se fixer à l'avance la conduite à tenir,
mais à condition de respecter les principes suivants.
• D'une part, il doit toujours être possible à l'autorité administrative de déroger à une
directive, pour tenir compte, soit de considérations d'intérêt général, soit de la particularité
de la situation des administrés.
• D'autre part, l'autorité administrative doit toujours pouvoir procéder à un examen particulier
des circonstances, elle ne peut appliquer la directive mécaniquement, automatiquement,
elle doit rechercher si la situation n'appelle pas une dérogation.
3. Les mesures internes au service
Les mesures internes au service constituent la troisième catégorie des mesures d'ordre intérieur. La
dénomination assez vague de « mesures internes au service » montre la difficulté à appréhender
conceptuellement un ensemble aussi varié de mesures. On en distingue habituellement de trois
sortes.
•
On trouve, en premier lieu, les mesures dites d'organisation du service. Ce sont toutes les
mesures susceptibles d'être prises par les chefs de services concernant l'organisation
du service placé sous leur autorité. Ces mesures présentent une extrême diversité, ce n'est
qu'à l'occasion de recours qu'elles apparaissent. Car le juge applique à ces mesures le même
raisonnement qu'il tient pour les autres mesures d'ordre intérieur : par définition, elles ne font
pas grief, plus exactement, elles ne doivent pas faire grief, mais s'il arrive que tel est le cas, le
juge va considérer qu'il s'agit de décisions, susceptibles d'être attaquées et d'être annulées.
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Jurisprudence
Quelques illustrations permettent de se faire une idée de la diversité de ces mesures. Ainsi,
constituent bien des mesures d'organisation du service, insusceptibles de faire grief, des mesures
telles que, par exemple, celle qui décide que les internes d'un centre hospitalier participeront au
fonctionnement de l'antenne mobile de réanimation qui est un centre annexe de l'hôpital (CE Sect.
19 mars 1965, Antoine et autres et Dame Galabru, Rec. p. 186), ou encore celle qui opère une
mutation d'un étudiant d'un groupe de travaux dirigés à un autre (CE 11 janv. 1967, Bricq), ou
encore la lettre fixant, en application d'une délibération répartissant les fonctions entre enseignants,
les modalités pratiques d'organisation des fonctions d'enseignement, et notamment des horaires
(CE 12 déc. 1984, Melki, Rec. p. 419).
Inversement, sont des décisions et non de simples mesures d'organisation du service, la décision
d'un conseil scientifique d'université de réduire de moitié les crédits de recherche accordés à
un professeur titulaire ainsi que la décision de lui enlever la gestion de tous les crédits de
fonctionnement qui lui étaient précédemment attribués (CE Sect. 26 avr. 1978, Crumeyrolle, Rec.
p. 189), l'interdiction faite à un professeur d'université d'exercer ses activités d'enseignement et
de recherche (CE 1er juill. 1983, Payen de la Garanderie), l'exclusion d'une résidente de la cité
internationale universitaire de Paris (CE 15 oct. 1982, Mlle Mardirossian, Rec. p. 348).
•
Parmi les mesures internes au service, on trouve, en deuxième lieu, les correspondances
internes au service. On comprend facilement que, pour fonctionner, les services ont besoin
d'échanger des correspondances et, normalement, ces correspondances ne produisent
aucun effet à l'égard des administrés, elles leur sont extérieures, elles leur sont aussi
le plus souvent inconnues, puisque - et par définition - de tels actes ne font pas l'objet
d'une publication. Ce n'est qu'indirectement, par le biais d'organisations syndicales, ou par les
médias, par exemple, que ces correspondances sont connues. Il en est ainsi, par exemple, des
correspondances échangées entre des ministres.
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CE 6 oct. 1965, Mely et Fédération CFTC de l'aviation civile, lettre par laquelle le ministre des
finances indique au ministre chargé des travaux publics qu'il ne convient pas de réviser les
indemnités compensatrices versées à certains personnels dès lors qu'ils n'ont formé aucun recours).
Mais, comme précédemment, une correspondance peut être considérée par le juge comme
constitutive d'une décision si elle comporte une disposition ayant des effets à l'égard des administrés.
•
Enfin, en troisième lieu, et ce sont probablement les plus importantes, parmi les mesures
internes au service, on trouve les mesures de police interne du service. Il est plus facile
d'en comprendre l'idée que d'appréhender le contenu de ces mesures. En simplifiant, on peut
dire que les mesures par lesquelles l'autorité hiérarchique règle la discipline interne du
service placé sous son autorité sont des mesures d'ordre intérieur, et il n'appartient pas
au juge d'en connaître.Traditionnellement, on distingue trois domaines dans lesquels on va
trouver, de manière privilégiée, des mesures de police interne, ces trois illustrations n'étant
évidemment pas exclusives.
• Le premier de ces domaines est celui des établissements pénitentiaires. Ces derniers
soulèvent d'innombrables questions, qui vont de la philosophie à la sociologie en passant
par la politique, la médecine et le droit. De ce dernier point de vue, qui seul nous retient ici,
il apparaît que le juge avait traditionnellement tendance à considérer un certain nombre de
mesures concernant les détenus comme des mesures d'ordre intérieur. Il en allait ainsi,
par exemple, des mesures par lesquelles l'autorité pénitentiaire infligeait une sanction (CE
6 mars 1935, Bruneaux, Rec. p. 295) ou celle plaçant un détenu dans un quartier de «
plus haute sécurité » (CE Sect. 27 janv. 1984, Cuillal, AJDA 1984, p. 107). En revanche,
les mesures relatives au régime alimentaire des détenus - qu'il s'agisse de la composition
des menus, des horaires de repas ou des boissons autorisées - ne constituaient pas
(et, a fortiori, ne constituent pas) des mesures d'ordre intérieur, le juge ayant admis la
recevabilité des recours contre de telles mesures (CE 15 janvier 1992, Cherbonnel, RFDA
1993, p. 1131, concl. F. Scanvic).
• Le deuxième domaine concerné est celui des établissements scolaires, c'est-à-dire les
collègues et les lycées. Les responsables de ces établissements ont pris des mesures 11
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dont certaines peuvent faire sourire aujourd'hui, mais il ne faut pas oublier l'adage « autres
temps, autres moeurs » - considérées par le juge comme des mesures d'ordre intérieur
insusceptibles de recours : tel est le cas de l'interdiction du port de certains insignes (CE
21 octobre 1938, Lote, Rec. p. 786), ou encore, exemple toujours cité en raison de son
caractère pittoresque, l'interdiction du port de pantalons de ski, dans un lycée de jeunes
filles, sauf par temps de neige (CE 20 octobre 1954, Chapou).
• Un troisième domaine, enfin, où l'on ne s'étonnera pas de trouver des mesures d'ordre
intérieur est celui de l'armée. Parce que celle-ci a été considérée, et appelée, longtemps,
« la grande muette », et que la « discipline » est censée faire sa force, un certain nombre
de mesures ont été considérées comme des mesures d'ordre intérieur, et tel a été le cas
des mesures concernant les permissions (CE 18 octobre 1918, Voltine, Rec. p. 908), un
ordre d'entrée à l'hôpital (CE 5 octobre 1955, Baillard, Rec. p. 771), voire même certaines
sanctions, telle celle que l'on qualifie d'« arrêt de forteresse » (CE 11 juillet 1947, Devawrin,
Rec. p. 307).
Un exemple de mesure d'ordre intérieur dans une administration est représenté par la décision
par laquelle l'administration refuse d'accorder à l'un de ses agents, à titre discrétionnaire, une
autorisation d'absence pour commodité personnelle, sans retenue sur traitement (CE 11 mai
2011, Caisse des dépôts et consignations, req. n° 337280).
Comme pour les autres catégories de mesures d'ordre intérieur, cependant, les mesures de
police interne cessent d'appartenir à cette catégorie, et deviennent des décisions, à partir du
moment où elles modifient la situation juridique des intéressés : tel est le cas de l'exclusion
définitive d'un élève d'un lycée (CE 19 avril 1952, Veillard, Rec. p. 169), des sanctions
militaires touchant au statut des agents ou comportant pour eux des conséquences pécuniaires
ou matérielles, telle une mutation d'office (CE 5 novembre 1920, Wannieck, Rec. p. 923)
ou encore la mesure par laquelle le maire d'une ville remet le conservateur en chef de la
bibliothèque municipale classé (ce qui signifie que le conservateur, ayant un statut d'État, est
mis à la disposition de la collectivité) à son administration d'origine, portant ainsi atteinte à ses
prérogatives statutaires (CE 7 janvier 1983, Ville d'Aix-en-Provence c/Mme Suzanne Estève,
D.1983, p. 493, note B. Poujade).
B. La tendance à la réduction des mesures d'ordre intérieur
Il convient d'observer tout d'abord qu'un certain nombre de décisions précitées, et un peu anciennes,
ne sont plus représentatives de l'état actuel du droit parce que les circonstances ont changé.
On conçoit parfaitement que des solutions qui pouvaient s'expliquer et se justifier en 1938 ou dans
les années 50 ne sont plus guère justifiables aujourd'hui. Toutefois, il ne faudrait pas trop vite
conclure que toutes ces mesures qui, hier, étaient des mesures d'ordre intérieur, sont aujourd'hui
des décisions, parce que les exigences qui étaient à la base de ces solutions demeurent.
Exemple
Et, par exemple, dans les établissements scolaires, compte tenu des modes, parfois quelque peu
excentriques, qui caractérisent l'habillement, la présentation, le comportement des élèves, il n'est
pas certain du tout que le juge considèrerait des mesures d'interdiction comme des mesures faisant
grief.
•
•
•
Ceci étant, plusieurs facteurs ont contribué à l'évolution de la jurisprudence. Il faut observer,
d'abord, qu'une jurisprudence n'est jamais figée une fois pour toutes, elle ne vaut que pour
un temps, c'est même l'un des avantages d'un droit jurisprudentiel que de pouvoir s'adapter
rapidement.
En deuxième lieu, on a déjà souligné, dans des leçons précédentes, cette plus grande attention
qui est portée aux droits et libertés des individus avec une reconnaissance de plus en plus
affirmée de ces droits et une « montée en valeur » desdits droits.
En troisième lieu, on peut parler de l'influence de « l'air du temps », formule qui n'a pas trait au
temps mais à une sorte de météorologie sociale qui varie précisément au fil du temps. Le juge
ne peut faire abstraction de ces tendances, parce qu'il n'a pas à les juger, mais ses jugements
sont influencés par ces tendances. A plus forte raison, le législateur, parce qu'il est l'expression
de la volonté populaire, est-il l'interprète des évolutions sociales qui se manifestent, et sachant
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que, parfois, l'art de gouverner dans l'intérêt général est, ou devrait être, d'aller à l'encontre de
l'opinion publique dominante. Mais c'est là un autre problème.
Le législateur a fait évoluer certaines mesures d'ordre intérieur en décidant qu'elles ne présentaient
plus ce caractère et étaient des décisions.
Une illustration est particulièrement caractéristique, c'est celle qui concerne les règlements intérieurs
des assemblées délibérantes locales. Toute assemblée de ce type - conseil municipal, conseil
général, conseil régional, etc., et cela vaut aussi pour d'autres organisations telles que
les associations - adopte un règlement intérieur qui est destiné à déterminer le mode de
fonctionnement et les règles de fonctionnement de l'assemblée. Le Conseil d'État avait estimé
que ces règlements intérieurs, qui n'intéressent pas directement les citoyens et sont extrêmement
nombreux (plus de 50 000 si l'on ajoute à ceux des assemblées délibérantes locales les règlements
intérieurs des établissements publics de coopération), étaient des mesures d'ordre intérieur qui
n'étaient pas susceptibles de faire grief, et il s'était même prononcé sur la question par une décision
de principe (CE Ass. 2 décembre 1983, Charbonnel et autres).
Cependant le législateur, dûment informé de cette jurisprudence, a décidé de l'annihiler. En 1992, il a
adopté une disposition législative, aujourd'hui codifiée au code général des collectivités territoriales
(CGCT) faisant des règlements intérieurs de ces assemblées des mesures faisant grief et
susceptibles de recours devant le juge administratif. Le second alinéa de l'article L. 2121-8 de
ce code, introduit par la loi du 6 février 1992, dispose, pour les conseils municipaux : « Le règlement
intérieur peut être déféré au juge administratif ». Une disposition similaire existe pour les conseils
régionaux (art. L. 4132-6 du CGCT).
La tendance à la réduction des mesures d'ordre intérieur est également jurisprudentielle. On peut
relever une telle évolution de la jurisprudence sur quatre plans.
•
La réduction du champ des mesures d'ordre intérieur s'applique, en premier lieu, aux mesures
individuelles relatives à la carrière de certains fonctionnaires, en particulier les magistrats,
mesures qui ont été longtemps analysées comme des mesures d'ordre intérieur. Depuis 1975,
ces mesures concernant les magistrats, en particulier celles relatives à la notation, ou encore
au refus de confier certaines attributions, sont attaquables par les intéressés (CE 31 janvier
1975, Wolff).
En revanche, la décision par laquelle l'administration refuse une autorisation d'absence pour
commodité personnelle est une mesure d'ordre intérieur (CE 11 mais 2011 Caisse des dépôts et
consignations, précité).
• En deuxième lieu, au sein des établissements d'enseignement, le juge admet de plus en
plus largement la recevabilité des recours contre les mesures prises par l'établissement. En
particulier, il considère comme recevable le recours contre un règlement intérieur interdisant
les signes distinctifs à caractère religieux (CE 12 novembre 1992, Kherouaa, Rec. p. 389 ; CE
10 mars 1995, M. et Mme Aoullili, Rec. p. 122).
•
En troisième lieu, dans l'institution militaire, le Conseil d'État a fait également évoluer sa
jurisprudence. Dans une affaire où un maître timonier sur un navire de guerre s'était vu infliger
10 jours d'arrêt pour avoir, un soir, regagné le bord en état d'ivresse, le juge a admis la
recevabilité du recours (CE Ass. 17 février 1995, Philippe Ardouin, Rec. p. 83, concl. Frydman).
•
Enfin, en quatrième lieu, et s'agissant des établissements pénitentiaires, le juge a décidé,
à propos d'une punition de cellule (c'est-à-dire le placement du détenu à l'isolement dans
une cellule dépourvue de confort) entraînant la privation de visites et des restrictions de
correspondances qu'il s'agissait de mesures faisant grief (CE 17 février 1995, M. Pascal
Marie, mêmes références que pour Ardouin). Cette jurisprudence a été, par la suite, confirmée
et élargie. Dans une décision de 2007 le juge a déclaré que le transfert d’un détenu d’un
établissement à un autre établissement similaire était une mesure d’ordre intérieur, « sous
réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus
» (CE Ass. 14 décembre 2007, Garde des Sceaux c/ Boussouar, AJDA 2008 p. 128, chron.
J. Boucher et B. Bourgeois-Machureau). Il a précisé cette jurisprudence dans une décision du
27 mai 2009 (M. M.., req. n° 322148) dans laquelle il déclare que la décision de changement
d’affectation d’un détenu entre établissements pour peine de même nature est susceptible de
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recours dès lors qu’elle bouleverse son droit à conserver des liens familiaux. Depuis 2010 la
décision portant sur l'organisation de visites aux détenus est un acte faisant grief (CE 21 avril
2010, Ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés c/ M. Bompard,
req. n° 329564).Dans une décision du 28 mars 2011 (Garde des Sceaux, ministre de la justice
c/ Bennay) le Conseil d'Etat considère comme étant un acte attaquable la décision par laquelle
un détenu est placé en "régime différencié" pour être affecté à un secteur dit "portes fermées".
En ce domaine, le déclin des mesures d'ordre intérieur se poursuit et paraît inéluctable.
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Section 2. La diversité des décisions exécutoires
Les décisions exécutoires présentent une très grande diversité. Si l'on veut y voir un peu plus clair,
il est nécessaire de chercher à classer ces décisions, ce qui conduit aussi à établir entre elles une
hiérarchie.
§1. La classification des décisions exécutoires
Les décisions peuvent être analysées, en droit public, sous un double point de vue, le point de vue
formel ou organique et le point de vue matériel. La classification formelle s'attache à la nature de
l'organe qui prend la décision et, accessoirement, à des éléments tels que la procédure d'élaboration
des décisions. La classification matérielle s'attache, elle, au contenu des décisions prises. On peut
partir, pour présenter les décisions administratives, d'une classification ou d'une autre. Pour la
clarté de l'exposition, on partira de la classification matérielle, la classification formelle permettant
d'introduire une hiérarchie entre les décisions.
Du point de vue matériel, on peut distinguer les décisions réglementaires et les décisions non
réglementaires, que l'on a tendance à ramener aux décisions individuelles. Mais cette distinction ne
rend pas compte de l'ensemble des décisions.
A. La distinction entre la décision réglementaire et la décision non
réglementaire
Il paraît d'abord nécessaire de s'interroger sur l'intérêt de la distinction, pour pouvoir ensuite définir
les décisions règlementaires et les décisions individuelles.
1. Intérêt de la distinction entre décisions réglementaires et décisions non
réglementaires
Est-il vraiment utile de distinguer entre les décisions réglementaires et celles qui ne le sont pas ?
N'est-ce pas compliquer inutilement les choses ? La réponse ne fait aucun doute, il est indispensable
de pouvoir qualifier une décision, pour les raisons suivantes.
En premier lieu, et ainsi qu'on le verra plus en détail plus loin, les décisions réglementaires ne créent
jamais de droits acquis, à l'inverse des décisions non réglementaires qui, elles, créent de tels droits.
Cela s'explique parce que les décisions réglementaires sont, matériellement, comparables à des
lois, elles ont une portée générale. D'ailleurs, dans de nombreux pays, même développés, il n'existe
pas de possibilité de recours contre les décisions réglementaires. En France, il n'en est pas ainsi, les
décisions réglementaires sont attaquables, mais elles ne peuvent créer de droits ce qui a notamment
pour conséquence qu'elles peuvent être abrogées à tout moment.
En deuxième lieu, et s'agissant des recours possibles, la qualification de décision réglementaire
emporte comme conséquence la possibilité de la contester directement devant le juge (en intentant
une action, d'où l'expression de contestation par voie d'action) mais également, si les délais de
recours sont expirés, de la contester indirectement par la voie de l'exception d'illégalité : celle-ci
consiste, à l'occasion d'un recours, intenté dans les délais, contre une décision individuelle prise
en application de la décision règlementaire à l'égard de laquelle le délai de recours est expiré,
d'invoquer, à l'appui de la demande d'annulation de la décision individuelle, l'illégalité de la décision
règlementaire. Si le juge constate cette illégalité, il annule la décision individuelle, en laissant
subsister la décision réglementaire (puisque les délais de recours contre celle-ci sont expirés), mais
en la privant de tout effet. L'exception d'illégalité n'est pas possible contre une décision individuelle.
En troisième lieu, la qualification juridique de la décision entraîne des conséquences sur la
détermination du juge compétent lorsqu'il s'agit de l'appréciation de légalité et de l'interprétation d'un
acte : la décision réglementaire peut être interprétée par n'importe quelle juridiction, en revanche,
en ce qui concerne l'acte non réglementaire, le juge judiciaire non répressif ne peut procéder à
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l'interprétation d'un acte. Toutefois, selon le nouveau code pénal, entré en vigueur en 1994, les
juridictions pénales sont compétentes pour interpréter et apprécier la légalité des actes administratifs
tant individuels que réglementaires « lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal
qui leur est soumis » (art. 111-5).
2. La décision réglementaire
La décision réglementaire peut être définie comme un acte à portée générale et impersonnelle.
Il faut se garder d'en déduire que la décision réglementaire concerne nécessairement un grand
nombre de personnes. Tel peut être le cas, mais ce n'est pas toujours vrai : ce qui définit la
décision réglementaire c'est le nombre indéterminé de ses destinataires, qui n'est donc pas un
nombre préétabli. A la limite, et en raisonnant un peu ab absurbo, une seule personne peut, à un
moment donné, être concernée par une décision réglementaire. Cette hypothèse est évidemment
rare, mais pas impossible. G. Vedel citait en ce sens un exemple qui peut toujours être donné : une
décision qui attribue une indemnité au préfet de police de Paris présente un caractère réglementaire,
car elle a une portée indéterminée, elle s'adresse à toutes les personnes qui, après le titulaire
occupant cette fonction au moment de l'édiction de l'acte, lui succèderait dans ce poste, et ce
nombre est indéterminé ; elle s'applique cependant, concrètement, à une seule personne. La décision
réglementaire définit des catégories de personnes, elle ne désigne pas des personnes.
La décision réglementaire est celle qui est prise, sans considérer des personnes déterminées, en
application de prescriptions légales, voire d'autres dispositions réglementaires, ou bien qui est prise
pour l'organisation du service.
Un commissaire du gouvernement proposait la définition suivante, qui est assez satisfaisante : « est
un acte réglementaire tout acte qui définit une norme impersonnelle dans son objet et permanente
en principe dans la portée, indéfinie ou non, qu'elle se fixe dans le temps, et qui sert ou peut servir de
base à des décisions individuelles prises pour son application, et assujettissant à ladite norme des
catégories de personnes limitativement dénommées » (J. Rigaud, concl. sur CE Sect. 19 novembre
1965, Époux Delattre-Floury, Rec. p. 623).
Les applications de la notion de décision réglementaire sont des plus diverses.
Exemple
Constituent, par exemple, des décisions réglementaires la décision établissant le cahier des charges
d'un lotissement (CE 17 mai 1968, Cappelle, Rec. p. 313) ou l'arrêté préfectoral modifiant un tel
cahier des charges (CE 27 juillet 1979, Époux Poulizac, Rec. p. 932). Le refus de prendre une
décision réglementaire est une décision réglementaire - solution beaucoup moins évidente qu'il n'y
paraît - (V. CE Sect. 21 mars 1969, Société Hauser, Rec. p. 178, avec les concl. de L. Bertrand).
Sont encore des décisions réglementaires, par exemple, un arrêté interministériel pris en application
de la loi du 10 juillet 1964 sur les calamités agricoles fixant la part du dommage indemnisable en cas
de sinistre, et cela alors même qu'un seul exploitant serait concerné (CE 3 novembre 1982, Moscato,
req. n° 25887), l'habilitation ministérielle donnée à une université de délivrer des diplômes nationaux
(CE 12 février 1982, Université de Paris VII, Rec. p. 70), ainsi que les décisions qui instituent
des équivalences entre titres et grades universitaires (CE 14 juin 1912, Fédération nationale des
professeurs des lycées de garçons et des établissements secondaires de jeunes filles, Rec. p. 672).
Les solutions adoptées peuvent paraître parfois subtiles, même si on peut estimer qu'elles sont
parfaitement logiques : ainsi, les arrêtés qui créent une commission (CE 23 décembre 1949, Roy,
Rec. p. 576), qui fixent la composition d'une commission (CE 13 octobre 1961, Blake, Rec. p. 562),
ou qui en modifient la composition (CE 13 juin 1969, Commune de Clefay, Rec. p. 308) ; en revanche,
les décisions de nomination des membres d'une commission n'ont pas un caractère règlementaire.
B. Les décisions ni réglementaires ni individuelles
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Lorsque la décision n’est pas réglementaire, on pense spontanément qu’il s’agit d’une décision
individuelle, ce qui peut n’être pas exact.
La décision individuelle, à l'inverse de la décision réglementaire, est celle qui concerne, non
seulement un nombre déterminé de personnes mais aussi des personnes nommément désignées.
Il en résulte que la décision individuelle ne concerne pas nécessairement une seule personne, elle
peut concerner un nombre important de personnes (ex. la décision énumérant les bénéficiaires
d'une décoration). Il semblerait donc que tout ce qui n'est pas réglementaire est individuel. Tel n'est
cependant pas le cas, parce que deux catégories de décisions échappent à cette classification.
1. Les décisions collectives
On parle quelquefois de décisions collectives, ou de décisions à caractère collectif.
Une décision collective se distingue d'une décision individuelle concernant plusieurs personnes par
la solidarité qu'elle introduit entre les personnes visées par la mesure.
Mais elle se distingue de la décision réglementaire parce qu'elle n'est pas une décision à caractère
impersonnel, elle vise des personnes qui sont nommément désignées.
Exemple
L'exemple suivant permet de comprendre la différence entre la décision collective et la décision
individuelle. Soit un examen auquel se présentent des candidats. A l'issue de l'examen intervient
une décision individuelle : une personne est admise ou recalée à l'examen, et son sort ne dépend
que d'elle, il ne dépend pas des autres candidats (en caricaturant, on peut dire qu'à un examen tous
les candidats peuvent réussir, comme aucun). Soit un concours. A l'issue de ce dernier intervient
une décision, qui est une décision collective, en raison de la solidarité entre les candidats : si cent
postes sont mis au concours, le jury ne peut en admettre plus, au motif que plus le mériteraient ;
le sort de chaque candidat dépend (en partie) de ce que font les autres, il faut être meilleur (ou
moins mauvais) qu'eux.
La difficulté que l'on rencontre est de savoir comment traiter les décisions à caractère collectif. Car,
si elles se distinguent bien des décisions réglementaires et des décisions individuelles, il n'existe
que deux régimes juridiques pour les actes administratifs, et il faut donc « ramener » la décision
collective, soit au régime de la décision réglementaire, soit au régime de la décision individuelle.
2. Les actes « sui generis »
Il arrive au juge de dire de certains actes qui lui sont déférés qu'ils ne sont pas réglementaires, mais
qu'ils ne sont pas, non plus, individuels. De tels actes ne peuvent pas plus être considérés comme
des actes collectifs, ce qui suscite, dès lors, un certain embarras pour les qualifier comme pour les
classer.
Une illustration très nette de cette situation est fournie par les déclarations d'utilité publique (DUP),
qui interviennent dans la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique. Dans une décision
de 1975, le juge a été amené à déclarer de manière nette que « l'acte qui déclare l'utilité publique
d'un ouvrage n'a pas le caractère d'un acte réglementaire » (CE 14 février 1975, Epoux Merlin).
Quelques années plus tard, le juge a affirmé, de manière beaucoup plus évidente, que la déclaration
d'utilité publique n'était pas un acte individuel (CE 11 février 1983, Commune de Guidel). Or il est
exclu de considérer la déclaration d'utilité publique comme un acte à caractère collectif. La DUP
n'entre donc dans aucune classification, elle fait partie de ces actes que le juge et les auteurs appelle
« actes particuliers », « actes intermédiaires », « décisions d'espèce » (mais, vu le nombre de DUP
qui interviennent chaque année, cette dernière appellation est tout sauf satisfaisante).
L'exemple de la déclaration d'utilité publique n'est pas le seul, on trouve d'autres actes tout
autant inclassables. C'est le cas, notamment, des actes de classement. Il existe toutes sortes
de classements, mais on peut prendre, parce significatif, le classement d'un immeuble (un autre
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classement existe pour les meubles) comme monuments historiques, procédé utilisé par l'État pour
protéger les immeubles qui le justifient. Le même raisonnement fait pour les DUP vaut pour les
mesures de classement.
L'expression « sui generis » qui est utilisée est au fond une manière d'occulter ou d'évacuer le
problème, c'est un aveu d'impuissance à ramener un acte dans une catégorie bien définie (cela ne
vaut d'ailleurs pas que pour les actes, cela a pu être appliqué à des institutions ou des entreprises
publiques qui n'entraient dans aucune catégorie).
Quoi qu'il en soit, s'agissant de ces actes, deux situations peuvent se présenter.
•
•
Ou bien le régime juridique est prévu par les textes qui les prévoient, et tel est le cas, par
exemple, pour les DUP comme pour les décisions de classement. Dans ce cas, on applique le
régime juridique prévu par la loi ou le règlement.
Ou bien ce régime juridique n'est pas précisé par la loi, et dans ce cas le juge applique, selon
les cas, le régime de l'acte réglementaire ou le régime des actes individuels. Le choix de l'un ou
l'autre régime n'est pas indifférent, notamment pour l'application d'un certain nombre de règles
examinées précédemment, qu'il s'agisse, par exemple, de la motivation des actes, ou de leur
abrogation.
Le terme « arrêté » s'applique à des actes qui sont pris par les autorités administratives qui disposent
d'un pouvoir de décision.
Ces autorités sont souvent des autorités autres que celles qui sont compétentes pour prendre des
décrets, et que l'on vient de présenter. Cependant, il n'est pas possible de définir les arrêtés comme
étant les décisions prises par les autorités autres que celles compétentes pour édicter des décrets,
car ces dernières sont aussi compétentes pour prendre des arrêtés : le président de la République,
le Premier ministre, prennent des arrêtés, qui sont souvent des arrêtés de nomination.
Les auteurs des arrêtés sont donc les ministres, agissant seuls ou conjointement avec d'autres
ainsi que, à l'échelon local, les préfets et les autorités exécutives des collectivités territoriales
(maires, présidents de conseil général, présidents de conseil régional, pour s'en tenir aux collectivités
généralistes), ainsi que des directeurs ou présidents d'établissements publics (fort nombreux, et de
toutes sortes).
Les arrêtés sont subordonnés aux décrets, et il existe une hiérarchie interne aux arrêtés avec,
dans la hiérarchie descendante, les arrêtés interministériels, les arrêtés ministériels, les arrêtés
préfectoraux.
Il faut signaler qu'il n'existe pas de hiérarchie entre les actes des différentes autorités administratives
des collectivités territoriales parce qu'il n'existe pas de hiérarchie entre ces dernières. En 2003, le
constituant a explicitement décidé que toute tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre est
interdite. On peut penser que ce souci d'égalité entre les collectivités est une affirmation de principe
qui peut, à ce titre, satisfaire ce goût d'égalité, mais est aussi source d'inconvénients importants
lorsque des collectivités territoriales interviennent ensemble, ce qui est fréquent et souhaitable. On
a sacrifié les nécessités d'un bon fonctionnement des institutions à des principes.
Enfin, il ne faut pas oublier les décisions prises par des personnes privées, chargées de la gestion
d'un service public et auxquelles le juge reconnaît la qualité de décisions administratives. Ces
décisions ne sont évidemment pas des arrêtés mais, si l'on voulait les classer dans cette hiérarchie,
elles se situeraient au bas de celle-ci.
3. L'intervention de la hiérarchie matérielle
La hiérarchie matérielle complète la hiérarchie formelle ou organique en fournissant des éléments
d'appréciation de la portée des actes qui ont été pris. Deux remarques peuvent être présentées
à cet égard.
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En premier lieu, il faut relever qu'il y a indépendance de l'analyse formelle ou organique et de l'analyse
matérielle en ce sens que les catégories qu'elles définissent ne coïncident pas nécessairement.
Ainsi, un décret peut aussi bien être un acte à portée réglementaire qu'un acte à portée individuelle.
Si l'on s'attache à la classification formelle, on ne trouve qu'une seule catégorie, celle des décrets,
en revanche, l'analyse matérielle distingue ici deux catégories d'actes, l'acte réglementaire et l'acte
non réglementaire. Inversement, un règlement peut être un décret (tel est le cas, par exemple, d'un
décret du Premier ministre), mais peut être également un arrêté (arrêté municipal par exemple). Dans
ce cas, l'analyse matérielle voit une seule catégorie (le règlement), tandis que l'analyse formelle en
voit deux (le décret et l'arrêté).
En second lieu, la hiérarchie matérielle permet d'apporter deux importantes précisions.
•
Il s'agit, d'une part, de l'hypothèse dans laquelle une même autorité est compétente pour
prendre un acte réglementaire (qu'il s'agisse d'un décret ou d'un arrêt) et des décisions
individuelles. Ces dernières, dans ce cas, doivent être conformes à l'acte réglementaire pris
précédemment. C'est l'application de l'adage patere legem quam fecisti en même temps que
d'une exigence de justice (ainsi, pour prendre un exemple simple, si un arrêté municipal, qui est
un règlement, interdit le stationnement des véhicules dans une rue, le maire ne peut, ensuite,
par un acte individuel, autoriser l'un des riverains à faire stationner son véhicule dans la même
rue).
D'autre part, et c'est un peu moins évident que l'hypothèse précédente mais procède de la
même logique, l'acte individuel pris par une autorité supérieure doit être conforme à l'acte
réglementaire pris par l'autorité inférieure, dont la compétence doit être respectée (dans le
même exemple que ci-dessus, un ministre, ou le président de la République, ne peut, par un
acte individuel, accorder une autorisation de stationnement à un riverain).
•
Point de vue formel/organique
Point de vue matériel
Nature de l'organe prenant la décision
• Eléments divers : comme la procédure
d'élaboration de décision
Contenu des décisions prises
•
•
Décision règlementaire
Décision non-règlementaire
•
•
Décision collective
Acte "sui generis"
§2. La hiérarchie des décisions
Classer n'est pas nécessairement hiérarchiser, mais, en droit, dans le domaine des normes, parce
qu'il existe inévitablement une hiérarchie des normes, le classement n'est pas seulement une
classification, c'est une hiérarchisation.
Il faut, pour mémoire, rappeler une catégorie qui a disparu, celle des règlements d'administration
publique (couramment appelés RAP), qui se trouvaient au sommet de la hiérarchie des actes
administratifs parce qu'ils étaient pris par le président de la République pour l'application des lois
importantes après avis de l'Assemblée générale du Conseil d'État (celui-ci assimila même, jusqu'en
1907, ces RAP à des lois). Les RAP n'avaient plus de justification réelle sous la Ve République, la
catégorie a été supprimée définitivement en 1980.
La hiérarchie des actes est d'abord une hiérarchie formelle, celle-ci est complétée et précisée par
une hiérarchie matérielle.
A. La hiérarchie formelle
La hiérarchie formelle ou encore organique est celle qui prend en considération l'auteur de l'acte
ainsi que, de manière complémentaire, la procédure qui doit être suivie pour l'édiction d'un acte.
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Une distinction classique est faite, de ce point de vue, entre les décrets et les arrêtés.
Le terme « décret » s'applique à des actes qui sont pris, soit par le président de la République, soit
par le Premier ministre. Il convient de relever, au préalable, que la terminologie, comme souvent,
n'est pas toujours d'une rigueur extrême et, par exemple, et bien qu'il s'agisse d'un cas de figure très
particulier, qui constitue un héritage de la monarchie qui disparaîtra un jour, les décrets de grâce
du président de la République ne sont pas des actes administratifs mais des actes juridictionnels
(CE Ass. 28 mars 1947, Gombert, RDP 1947, p. 95, note Waline). Sous cette réserve, la hiérarchie
descendante est celle qui va des décrets du président de la République aux décrets du Premier
ministre.
Selon la Constitution, le président de la République signe les décrets délibérés en conseil des
ministres, ce qui signifie qu'il en est l'auteur. Une telle formulation paraît simple, en réalité, elle a
soulevé un certain nombre de difficultés juridiques, on en évoquera deux principales.
•
D'une part, les textes spécifiant qu'un décret doit être délibéré en conseil des ministres sont
en définitive très peu nombreux, et un certain nombre de décrets à propos desquels il n'était
rien précisé ont été délibérés en conseil des ministres. La question de leur légalité s'est donc
posée. Après avoir décidé, dans une jurisprudence de 1987 qui constitue une parenthèse, que
le président de la République ne devait signer de décrets délibérés en conseil des ministres
que ceux pour lesquels cette formalité était prévue par un texte, le Conseil d'État est revenu à
la logique de la jurisprudence de 1962, citée ci-après, et a décidé, opportunément, que relevait
de la compétence du président de la République l'édiction de l'ensemble des décrets délibérés
en conseil des ministres, sans qu'il y ait de distinguer selon que la délibération en conseil des
ministres était imposée par un texte ou procédait de considérations d'opportunité (CE Ass. 10
septembre 1992, Meyet, Rec. p. 327, concl. D. Kessler).
On a reproché à cette jurisprudence d'étendre le pouvoir réglementaire du président de la République
au détriment de celui du Premier ministre. Cet argument est de peu de poids : d'abord, en cas
d'accord (politique) entre les deux autorités, il ne doit pas y avoir, compte tenu des conceptions
constitutionnelles sur lesquelles repose la Cinquième République, de difficulté ; ensuite, en cas
de désaccord (cohabitation), le Premier ministre peut menacer de ne pas contresigner ; enfin le
mécanisme ne présente pas d'irréversibilité, la compétence peut toujours être restituée au Premier
ministre.
•
D'autre part, il peut arriver, il est arrivé - ainsi que l'on pouvait s'y attendre - que des décrets
non délibérés en conseil des ministres et qui n'ont pas à l'être soient signés par le président
de la République d'où, de nouveau, la question de la légalité. La réponse du juge est claire et
logique : un décret non délibéré en conseil des ministres signé par le président de la République
est légal s'il comporte la signature du Premier ministre (CE 27 avril 1962, Sicard et autres, Rec.
p. 279). La solution est logique parce que l'incompétence du président de la République est
couverte par la compétence du Premier ministre, la signature du premier est surabondante.
Mais, pour conserver cette logique, puisque le décret relève de la compétence du Premier ministre,
il en découle deux conséquences :
• cet acte doit, dans son édiction, respecter les règles de contreseing des décrets du Premier
ministre et, par ailleurs,
• celui-ci peut, par la suite, modifier ou abroger le décret en question.
Dans tous les autres cas qui sont, quantitativement, les plus nombreux, les décrets sont pris par le
Premier ministre. Il faut observer que les règles de procédure introduisent une hiérarchie interne aux
actes pris par une même autorité. En effet, les décrets sont, selon les cas, pris après avis du Conseil
d'État, ou sans que cet avis soit exigé. Il en résulte que, dans la hiérarchie descendante, on trouve,
d'abord, les décrets pris après avis obligatoire conforme (l'avis conforme étant, ainsi que nous l'avons
vu, celui qui a la portée la plus grande et aboutit quasiment à un transfert du pouvoir de décision),
ensuite les décrets pris après avis obligatoire (mais sans qu'il s'agisse d'un avis conforme, ce qui est
le cas le plus courant) du Conseil d'État, enfin les décrets pris sans avis obligatoire du Conseil d'État.
B. L’intervention de la hiérarchie matérielle
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La hiérarchie formelle présentée précédemment, et qui est fondamentale du point de vue de l’Etat
de droit, doit se combiner avec une autre hiérarchie, qui est la hiérarchie matérielle. La hiérarchie
matérielle est celle qui prend en considération la portée des actes : il tombe sous le sens que certains
actes ont une portée limitée, parce qu’ils ne visent que quelques personnes, d’autres ont une portée
générale, voire très générale, parce qu’ils ne visent personne de manière précise.
La prise en compte du critère matériel vient compliquer la hiérarchie des normes parce que il
n’existe pas de coïncidence nécessaire entre une catégorie juridique de la hiérarchie formelle et
une catégorie juridique de la hiérarchie matérielle. Pour comprendre cela prenons l’exemple d’un
décret, qualification qui résulte de la classification formelle : cette norme peut être aussi bien à portée
individuelle (un décret de nomination, par exemple) que à portée générale, et l’on dira alors que ce
décret est un décret réglementaire (ces décrets sont très nombreux et peuvent porter sur tous les
domaines, aussi bien, par exemple, sur des normes d’ouverture des portes dans les établissements
recevant du public que sur des appellations protégées de vin ou de fromages). Mais inversement,
si l’on prend l’exemple d’un règlement, celui-ci peut prendre la forme d’un décret (un exemple que
tout le mode comprend bien est celui de la partie réglementaire du code de la route), mais il peut
également relever d’une autre catégorie de la classification formelle (l’exemple le plus significatif
sans doute est celui d’un règlement de police municipal, donc édicté par un maire, ce règlement de
police est juridiquement un arrêté).
Il faut encore apporter une double précision à cette hiérarchie matérielle, qui va montrer qu’il ne s’agit
pas seulement d’appellations.
•
D’une part, lorsqu’une autorité administrative a pris un acte réglementaire (qu’il s’agisse, selon
la classification formelle, d’un décret ou d’un arrêté), les actes individuels que cette même
autorité pourra prendre par la suite (par définition, les actes individuels seront pris en application
de l’acte réglementaire, sinon il y a de fortes chances pour que l’acte soit illégal) devront être
conformes à l’acte réglementaire édicté précédemment. C’est là, au fond, un principe de bon
sens, qui correspond aussi à ce vieil adage latin patere legem quam fecisti (autrement dit, en
traduisant presque littéralement : respectes la règle que tu as toi-même posée).
•
D’autre part, et cela est un peu plus difficile à comprendre, mais parfaitement logique, ce critère
matériel conduit à poser la règle selon laquelle l’acte individuel pris par une autorité supérieure
doit être conforme à l’acte réglementaire pris par une autorité inférieure.
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Cours : L’action administrative
Auteur : Jean-Marie Pontier
Leçon n° 9 : Le régime juridique des actes administratifs unilatéraux
Table des matières
Section 1 . L'édiction des actes administratifs unilatéraux................................................................. p. 2
§ 1. Les exigences relatives à la forme de l'acte........................................................................................................ p. 2
A. La procédure consultative.............................................................................................................................................................. p. 3
B. La procédure contradictoire........................................................................................................................................................... p. 4
C. Le principe du parallélisme des formes.........................................................................................................................................p. 6
§2. Les exigences inhérentes à l'acte : la motivation.................................................................................................. p. 6
A. Etendue de l'obligation de motiver ............................................................................................................................................... p. 6
B. Contenu et sanction de l'obligation................................................................................................................................................p. 8
Section 2. L'exécution des actes administratifs................................................................................... p. 9
§1. Les actes administratifs et le temps ..................................................................................................................... p. 9
A. L'entrée en vigueur des actes administratifs................................................................................................................................. p. 9
1. Les règles relatives à l'entrée en vigueur de l'acte.................................................................................................................................................... p. 9
2. La non rétroactivité des actes administratifs............................................................................................................................................................ p. 10
B. La sortie de vigueur des actes administratifs.............................................................................................................................. p. 11
1. L'abrogation des actes administratifs........................................................................................................................................................................p. 12
2. Le retrait des actes administratifs............................................................................................................................................................................. p. 12
§2. L'autorité des actes administratifs........................................................................................................................ p. 15
A. Caractères de l'autorité des actes administratifs......................................................................................................................... p. 15
B. L'exécution des actes administratifs............................................................................................................................................ p. 16
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Un acte administratif est le produit d'une volonté, celle d'une autorité administrative d'obtenir un
certain résultat par l'adoption de cet acte.
Il en est des actes administratifs comme des lois, qui naissent et meurent, c'est-à-dire sont adoptées
pour répondre à un certain besoin, et son abrogées lorsque les circonstances changent, ce qui exige
un changement du droit.
Les questions qui se posent sont moins relatives à la vie de l'acte administratif qui, s'il n'est pas
contesté, s'applique tant qu'il n'est pas rapporté, qu'à sa naissance et à sa disparition. Une décision
administrative produisant des effets de droit, il est indispensable que tant son édiction que sa
disparition soient entourées de garanties.
Section 1 . L'édiction des actes administratifs unilatéraux
La question à laquelle il s'agit de répondre est de savoir à quelles conditions un acte administratif
doit répondre pour pouvoir être considéré comme valide au regard du droit. Les exigences sont
relatives aussi bien à la forme de l'acte qu'au contenu de celui-ci.
§ 1. Les exigences relatives à la forme de l'acte
Deux types d'éléments de forme sont à prendre en considération, ceux qui accompagnent
l'édiction de l'acte, et ceux inhérents à l'acte lui-même.
Il faut signaler d'abord, sans qu'il soit nécessaire d'y insister, que les actes administratifs doivent
être datés, ce qui est dans l'intérêt même de l'administration car l'absence de datation aurait pour
conséquence que le délai de recours ne pourrait pas commencer à courir à l'encontre de la décision.
Les actes administratifs doivent également comporter un timbre, qui est en quelque sorte la «
signature » du service concerné et qui est aussi une expression de la volonté de l'administration.
L'acte administratif doit comporter des visas. Ces derniers sont les références législatives et
réglementaires sur le fondement desquelles l'autorité administrative a pris l'acte. L'omission de visas
ou l'erreur dans les visas n'a généralement pas d'incidence sur la régularité de l'acte (en ce sens CE
Ass. 16 mai 1947, Gourlet, CE Ass ; 12 avril 1972, Benasse). Les visas sont cependant importants
car ils donnent éventuellement une indication sur le raisonnement suivi par le juge administratif,
l'absence de référence ou au contraire la référence à une disposition constitutionnelle ou législative
déterminée peut constituer une précieuse indication.
D'une manière générale les formalités sont instituées en vue de protéger les citoyens contre
l'arbitraire possible de l'administration, et non de leur compliquer la vie. Cela explique la tendance
du juge administratif à rapprocher la procédure administrative non contentieuse de la procédure
contentieuse.
Mais le juge veut éviter tout formalisme inutile. C'est ainsi que l'absence des nom et prénom du
signataire d'un acte ne constitue pas un vice substantiel dès lors que la signature est bien connue
du destinataire (décision de la présidente d'un centre intercommunal d'action sociale de prononcer
un licenciement : CAA Bordeaux 13 mars 2012, Mmme Hamou, req. n° 11BX01870).
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Conditions
formelles
administratifs :
des
actes
Correspondant à :
Date
Permet au délai de recours, de commencer à
la date prévue
1 timbre
Correspond à l'expression de la volonté de
l'administration
Des visas
Indiquent le raisonnement suivi par l’autorité
administrative
A. La procédure consultative
La consultation est très répandue dans l'administration, au point que l'on a parlé d'administration
consultative pour désigner ce phénomène qui se manifeste par la multiplication des comités et
commissions.
La prolifération est telle que, de temps en temps, les pouvoirs publics procèdent à un recensement
des commissions qui ne servent plus pour les supprimer. Du point de vue juridique, la question
n'est pas de savoir si les commissions sont trop nombreuses ou pas, si elles aident ou paralysent
le processus de prise de décision, mais de dire quand et sous quelles conditions un organisme
consultatif est consulté avant la prise d'une décision. Trois observations peuvent être données à
cet égard sur les avis que rendent des organismes.
En premier lieu, il faut s'interroger sur les différents types d'avis que l'on rencontre. On peut
distinguer quatre sortes d'avis, en allant de l'avis le moins contraignant à l'avis le plus contraignant.
L'avis le moins contraignant est l'avis spontané. C'est d'abord un avis qui n'est prévu par aucun texte.
Pour autant il n'est pas interdit, car on ne peut empêcher une autorité administrative de chercher
à s'éclairer avant de prendre une décision, même si aucune disposition n'en prévoit l'existence.
De ce fait l'avis spontané n'est entouré d'aucune exigence formelle, il n'apparaît nulle part, il peut
prendre la forme d'un coup de téléphone donné par une autorité administrative à une autre autorité
administrative, ou à une autorité juridictionnelle. Et, naturellement, n'ayant pas été prévu par un texte,
l'avis est libre, l'autorité qui l'a demandé est libre de le demander ou de ne pas le demander, de la
suivre ou de ne pas le suivre.
L'avis facultatif, à la différence de l'avis spontané, est prévu par un texte. Celui-ci déclare
généralement que l'autorité concernée « pourra » prendre l'avis de tel ou tel organisme. L'avis
facultatif se rapproche de l'avis spontané par l'absence d'obligation : l'autorité concernée peut ou
non solliciter l'avis, elle peut ou non le suivre.
L'avis obligatoire se différencie de l'avis facultatif en ce que, ainsi que sa dénomination l'indique, il
doit obligatoirement être demandé. En revanche, et comme le précédent avis, il peut ne pas être
suivi. Il faut prendre garde à ce sur quoi porte l'obligation : c'est seulement sur la demande d'avis,
non sur l'avis lui-même.
L'avis conforme est le plus contraignant, car, ici, l'obligation ne porte pas seulement sur la demande
d'avis, mais sur l'avis lui-même : l'autorité administrative concernée doit non seulement solliciter
l'avis, mais elle doit également le suivre. A vrai dire la contrainte est telle, dans cette hypothèse, que
l'on a le sentiment que l'autorité théoriquement détentrice du pouvoir de décision est dépossédée de
ce dernier au profit de l'organisme consulté, puisqu'elle ne peut s'écarter de l'avis qu'il a donné. La
vraie difficulté est de savoir si l'on se trouve dans le cadre d'un avis « simplement » obligatoire, ou
d'un avis conforme : R. Odent, dans son Contentieux administratif, fait valoir que l'expression « sur
avis de » signifie que l'on se trouve dans le cadre d'un avis obligatoire, tandis que l'expression « de
l'avis de » signifie que l'on se trouve dans le cadre d'un avis conforme.
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En deuxième lieu, en ce qui concerne la procédure de la consultation, celle-ci doit être régulière.
Et, pour être régulière, la consultation « doit être effective, loyale et complète » (concl. Braibant sur
CE 15 mars 1974, Syndicat national CGT-FOdes fonctionnaires et agents du commerce intérieur
et des prix). Le juge vérifie la réalité de la consultation et apprécie les motifs invoqués au soutien
d'un défaut de consultation, lorsque celle-ci était prévue (CE 26 avril 1974, Comité de liaison
étudiants pour la rénovation universitaire, CLERU), il contrôle la composition et le fonctionnement de
l'organisme consulté (CE Sect. 13 mars 1970, Ministre d'Etat chargé des affaires culturelles c/Dame
Benoist d'Anthenay). Il arrive même au juge d'estimer, dans certains domaines où les éléments de
fait sont importants, que l'écoulement d'un trop long délai entre la consultation et la décision vicie
cette dernière (11 décembre 1987, Ministre de l'intérieur c/ Stasi).
Par ailleurs, l'organisme consulté ne peut se prononcer que s'il est composé de personnes qui en
sont membres. Cependant la participation de personnes non membres peut ne pas être irrégulière
« eu égard à la composition de cet organisme, à son objet et aux conditions dans lesquelles il a
délibéré ». Mais une commission composée d'une personne ne peut valablement délibérer (CE 11
février 1981, Mme Cornée). La composition de l'organisme doit également garantir l'impartialité de
la consultation.
On a inventé la théorie de la « consultation impossible » pour les cas où il ne peut être reproché
à l'administration de n'avoir pas procédé à une consultation qui était prévue parce cela n'était pas
possible. Trois cas de consultation impossible apparaissent en jurisprudence :
•
•
•
lorsque l'organisme à consulter n'existe plus (CE Sect. 13 juillet 1953, Fédération nationale
des entreprises à commerces multiples),
lorsque cet organisme n'existe pas encore (CE 18 octobre 1968, Ville de Sceaux), sauf
si le retard à installer l'organisme en question est délibéré (CE Sect. 1er juillet 1966, Société
d'exploitation de la clinique St Roch),
lorsque, enfin, l'organisme, quoiqu'existant, est mis hors d'état de fonctionner, par
exemple parce que ses membres refusent de siéger (CE Sect. 12 octobre 1956, Baillet).
En troisième lieu, l'effet de l'avis est variable selon la nature de l'avis.
•
•
Lorsque l'avis est facultatif, l'administration concernée conserve sa liberté d'apporter à son
texte toutes les modifications qu'elle souhaite, et sans avoir d'obligation de saisir à nouveau
l'organisme en question.
Dans le cas d'un avis obligatoire, l'administration ne peut renoncer à la consultation que si elle
renonce à sa décision et, lorsqu'elle a procédé à la consultation, elle ne dispose que de deux
possibilités : soit prendre la décision qui avait été soumise à la consultation, sans tenir compte
de l'avis (puisque, répétons-le, l'obligation ne porte que sur la demande de consultation),
soit adopter une décision conforme à l'avis rendu. En d'autres termes l'administration ne
peut pas tenir compte partiellement de l'avis, car cela reviendrait à détourner la procédure,
l'organisme consulté se serait peut-être prononcé différemment s'il avait été saisi du texte que
l'administration a retenu.
B. La procédure contradictoire
Le principe de la procédure contradictoire est issu d'un vieil adage romain audi alteram partem ce
qui traduit presque littéralement, signifie « écoute l'autre partie ». en d'autres termes une autorité
administrative doit, avant de prendre des décisions qui peuvent avoir des conséquences sur les
personnes concernées, entendre leur point de vue, leur permettre de se défendre.
L'origine de ce principe, en France, est sans doute le célèbre « scandale des fiches » qui eut lieu
au tout début du vingtième siècle. A un moment de notre histoire marqué par le déchaînement
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des passions, le ministre de la guerre confia au Grand Orient de France, loge maçonnique, le soin
d'établir des fiches sur un certain nombre de hauts fonctionnaires, en particulier les officiers, fiches
sur lesquelles étaient indiquées les opinions philosophiques et surtout religieuses des intéressés,
ceci conditionnant leur avancement. Un membre du Grand Orient vendit ces fiches à un député de
droite qui se présenta à l'assemblée avec, provoquant un scandale qui entraîna, entre autres, le
départ du ministre de la guerre. A la suite de ce scandale fut votée la loi du 22 avril 1905 sur la
communication du dossier, loi qui, d'ailleurs, ne s'appliqua pas aux militaires (on était en un temps
où la guerre se profilait à l'horizon, on considéra que l'application de telles dispositions à l'armée
n'était pas souhaitable compte tenu des circonstances)
Ce principe du contradictoire a été consacré, ainsi qu'on l'a vu dans une leçon précédente, comme
un principe général du droit (CE 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier), il est donc applicable
sans texte, et la Cour de justice des communautés européennes s'est également prononcée dans
le même sens (CJCE 21 novembre 1991, Technische Universität München). Deux points sont à
préciser, concernant l'étendue de l'obligation, d'une part, le contenu de l'obligation, d'autre part.
•
En ce qui concerne l'étendue de l'obligation, elle s'applique d'abord aux sanctions. Les
sanctions sont des actes unilatéraux qui ont des conséquences sur le statut de la personne
qui en est l'objet. Dans les fonctions publiques, la loi a prévu toute une gamme de sanctions,
allant du blâme et de l'avertissement à la révocation sans droit à pension. Il n'est cependant
pas toujours évident de savoir si la mesure prise est ou non une sanction. Dans l'affaire Dame
Trompier-Gravier, il s'agissait du retrait d'une autorisation d'exploiter un kiosque à journaux,
c'était incontestablement une sanction. De même, un retrait de nationalité est une sanction
(CE 7 mars 1958, Epoux Speter). Le retrait d'un titre, celui de « centre dramatique national »
à une troupe a également été considéré comme une sanction, bien qu'en l'espèce cela ne fût
pas évident (mais cela se comprend car le retrait de ce « label » peut avoir des conséquences
financières, notamment la perte ou la réduction de subventions, CE 16 avril 1975, La Comédie
de Bourges, Rec. Leb. p. 231). Est encore une sanction l'annulation d'une prime qui avait été
promise à une entreprise pour sa délocalisation (CE 11 décembre 1992, Société Inefor, Rec.
Leb. p. 439).
• L'obligation s'applique aux mesures prises en considération de la personne. Ce sont des
mesures qui affectent une personne dans sa situation, qui lui sont défavorables mais qui,
par définition, ne peuvent pas être considérées comme des sanctions. Elles sont prises
par une autorité administrative en raison du comportement de l'intéressé, qui ne satisfait
pas l'administration et dans des situations où celle-ci dispose d'un pouvoir discrétionnaire
ou d'une large marge d'appréciation. Deux exemples peuvent illustrer ce type de mesures.
Une première application est celle d'un relèvement de fonctions, mais dans des cas où la
personne concernée ne se trouvait pas protégée par un statut (comme l'un des statuts de
la fonction publique, par exemple), c'est-à-dire dans le cas des fonctions à la discrétion
du gouvernement (tel fut le cas du directeur de l'Agence France Presse (AFP) révoqué de
ses fonctions CE 24 juin 1949 Nègre, CE 20 janvier 1956 Nègre). Une seconde application
est celle d'un refus d'agrément (par exemple un refus d'agrément d'auto-école, CE Sect.
4 mai 1962, Dame Ruard).
• L'obligation s'applique encore aux décisions individuelles défavorables. Cette catégorie
de mesures avait d'abord été prévue par un décret du 28 novembre 1983, mal rédigé, et
aujourd'hui abrogé. L'obligation résulte, aujourd'hui, de la loi du 12 avril 2000 qui vise les
mesures devant être motivées en application de la loi du 11 juillet 1979 en exigeant qu'elles
soient précédées d'une procédure contradictoire. Cette procédure est cependant écartée
par le juge administratif lorsque un autre texte prévoit une procédure équivalente. Tel est
le cas des décrets d'extradition (CE Ass. 8 mars 1985, Garcia Henriquez, AJDA 1985, p.
407, chron. Hubac et Schoettl), ceci ne s'appliquant pas, en revanche, aux reconduites à
la frontière (CE Sect. 19 avril 1991, Demir, AJDA 1991, p. 641, concl. Leroy).
•
En ce qui concerne le contenu de l'obligation, celui-ci comporte un minimum, qui peut
éventuellement être augmenté. Trois exigences doivent au minimum être respectées pour
que le principe du contradictoire soit respecté.
• La première obligation est d'informer la personne visée par l'acte susceptible d'être pris
qu'une procédure est en cours et, s'il y a lieu, l'administration doit communiquer les griefs
qui sont reprochés à l'intéressé et qui expliquent le déclenchement de la procédure.
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•
•
La deuxième obligation est de donner un délai raisonnable à l'intéressé pour répondre.
On comprend parfaitement cette notion de délai raisonnable car on ne peut exiger le
même délai selon que, pour caricaturer, la personne habite à Paris ou dans une lointaine
collectivité d'outre-mer.
Enfin, et c'est la troisième obligation, l'administration ne peut se prononcer avant que
l'intéressé ait pu présenter sa défense. Cette obligation est distincte de la précédente :
si elle n'était pas prévue, le délai ne servirait à rien si l'administration ne prenait pas la
peine de prendre connaissance de la réponse. Au-delà de ce minimum incompressible,
la loi du 12 avril 2000, précitée, prévoit d'autres mesures de nature à assurer le principe
du contradictoire, comme la possibilité de se faire assister d'un conseil. Cette possibilité,
par exemple en prenant un avocat, se révèle extrêmement utile en pratique.
C. Le principe du parallélisme des formes
Le principe du parallélisme des formes signifie que lorsque une décision administrative a été prise
en respectant certaines formes, en cas de silence du texte, la décision inverse ne peut être prise
qu'en suivant la même procédure (CE Sect. 18 novembre 1938, Société languedocienne de TSF).
La notion d'acte « inverse » ou « contraire » est appréciée très strictement par le juge : la révocation
du directeur du Centre national de la cinématographie n'est pas l'inverse de sa nomination (CE Sect.
10 avril 1959, Fourré-Cormeray) ; le rejet d'une demande d'autorisation de changement de nom
n'est pas l'acte inverse de l'autorisation de changer de nom car si cette dernière ne peut résulter
que d'un décret en Conseil d'Etat, la première peut être adoptée par décision du Garde des Sceaux
(CE 10 décembre 1993, M. Raimbaud).
§2. Les exigences inhérentes à l'acte : la motivation
La motivation d'un acte est constituée par les raisons, de droit ou de fait, qui sous-tendent l'acte, qui
le conditionnent. Parce qu'un acte administratif est l'expression d'une certaine volonté, il est toujours
motivé par certaines considérations, respectables, défendables ou contestables, mais il ne comporte
pas toujours les motifs qui ont entraîné ou justifié cet acte.
La question qui s'est longtemps posée a été de savoir si l'acte administratif devait ou non comporter
les motifs qui en étaient à l'origine, et un large débat existait en ce domaine. La position traditionnelle
du juge était claire : le principe était celui de la non motivation, le juge se réservant, dans certains
cas, d'exiger que l'acte fût motivé (on peut citer, parmi les exceptions jurisprudentielles au principe
de non motivation, donc l'obligation de motivation, CE Ass. 27 novembre 1970, Agence maritime
Marseille-Frêt).
Le législateur a apporté sa propre réponse en adoptant la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation
des actes administratifs.
A. Etendue de l'obligation de motiver
Il convient d'abord de préciser que le législateur n'a pas pris le contrepied du juge, en ce sens
qu'il n'a pas inversé la solution adoptée par le juge administratif en adoptant un principe qui aurait
été celui de la motivation des actes administratifs assorti de certaines exceptions. Manifestement
le législateur a voulu être prudent, estimant, probablement avec raison, qu'un tel principe pourrait
soulever des difficultés insurmontables dans des cas auxquels on n'aurait pas pensé et dans lesquels
la motivation, ou bien ne serait pas possible, ou bien ne serait pas souhaitable.
Le législateur a donc pris un autre parti, consistant à définir des catégories d'actes devant être
motivés. Cette méthode paraît rassurante, elle donne le sentiment de maîtriser ce que l'on énonce à
travers une énumération, même si, intellectuellement, le procédé n'est guère enthousiasmant (mais
c'est également la démarche qui est systématiquement suivie à l'échelon communautaire, pour des
raisons qui peuvent se comprendre). Les actes devant être motivés constituent deux catégories,
très inégales d'ailleurs.
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Une première catégorie est constituée, selon la loi, des décisions individuelles défavorables. Le
législateur a énuméré toute une série de décisions qui doivent être considérées comme telles. Ce
sont :
•
•
•
•
•
•
•
Les décisions qui restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale,
constituent une mesure de police.
Les décisions qui infligent une sanction.
Les décisions qui subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictive ou qui
imposent des sujétions.
Les décisions qui retirent ou abrogent une décision créatrice de droits
Les décisions qui opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance
Les décisions qui refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes
qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir.
Les décisions qui refusent une autorisation (ces dernières ayant été rajoutées par la législateur
par une loi du 17 janvier 1986).
Une seconde catégorie est constituée par les décisions individuelles qui dérogent aux règles
générales fixées par les lois ou les règlements.
Ces catégories de décisions devant être motivées ont donné lieu à une très abondante jurisprudence.
Elles ne sont en effet pas aussi claires qu'elles le paraissent dans l'énumération. Quelques exemples
vont le montrer.
Si l'on prend dans la première catégorie les « décisions qui restreignent l'exercice des libertés
publiques », la première question que l'on se pose est de savoir ce qu'est une liberté publique. Or,
s'il n'existe pas de difficultés pour qualifier comme telles des libertés telles que la liberté d'aller et
venir, la liberté de penser, la liberté de pratiquer la religion de son choix, la liberté d'adhérer à une
association ou à un syndicat, ou encore d'exercer une activité professionnelle, pour ne citer que
quelques exemples, dans d'autres cas le doute est permis, et les solutions adoptées par le juge
peuvent laisser perplexe.
Jurisprudence
Une décision rendue en 1983 témoigne de la réticence du juge à donner à cette notion de libertés
publiques un contenu trop large. Des parents avaient demandé de faire admettre en classe primaire
leur fils âgé de cinq ans (alors que l'âge normal est de six ans), il leur fallait donc une dérogation.
Celle-ci leur fut refusée par une décision de l'inspecteur d'académie non motivée. Sur recours des
parents le tribunal administratif de Lyon annula le refus de l'inspecteur d'académie en estimant que
cette décision restreignait l'exercice d'une liberté publique, celle de recevoir un enseignement, et
qu'elle aurait dû, de ce fait, être motivée. Pour rendre son jugement, le tribunal s'était inspiré d'une
circulaire du 10 janvier 1980 qui donnait une (longue) énumération indicative des décisions devant
être motivées et, dans cette énumération se trouvait précisément « le refus d'admettre un enfant
à l'école primaire avant l'âge de six ans ».
Cependant, en appel, le Conseil d'Etat a, d'abord, estimé que la circulaire était dépourvue de
caractère réglementaire, ensuite que la loi sur la motivation ne permettait pas d'inclure la décision
de l'inspecteur d'académie parmi les décisions restreignant l'exercice d'une liberté publique. Mais,
ainsi que l'ont fait observer les commentateurs, cette décision est source de paradoxe : en vertu de
la loi, la décision de l'inspecteur d'académie autorisant l'inscription d'un enfant en classe primaire
avant l'âge de six ans doit être motivée, car elle déroge aux règles posées par une loi du 11 juillet
1971 et un décret du 28 novembre 1976. Ainsi, et c'est là le paradoxe, la décision qui autorise
l'inscription doit être motivée, tandis que celle qui refuse une telle inscription n'a pas à être motivée,
alors que c'est là que la motivation serait la plus utile.
Donnons encore quelques exemples tirés d'une jurisprudence récente. Un refus de maintenir en
activité doit être motivé car étant un refus d'autorisation (CE 23 décembre 2011, Mme Maille, req. n
° 329 016). En revanche (et bien que ceci ne concerne qu'un nombre limité de personnes), le refus
d'inscription au registre du sceau de France (qui est le document officiel, tenu par la Répubique, des
titres de noblesse) n'est pas au nombre des décisions administratives défavorables dont la loi du 11
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juillet 1979 impose qu'elles soient obligatoirement motivées (CE 7 mai 2012, Garde des Sceaux c/
M. Colonna-Waleuski, req. n° 349976).
Il n'existe pas d'exigence sans limites, ou de principes sans exception, tout au moins dans des
domaines tels que le droit.
Le législateur a fort bien vu qu'il était des circonstances dans lesquelles on ne pouvait exiger la
motivation. Trois situations illustrent cette absence d'obligation, les deux premières se comprenant
facilement, la troisième étant moins évidente à comprendre.
•
•
•
L'obligation ne s'applique pas, d'abord, dans l'hypothèse de l'urgence absolue, le principe en
étant compréhensible, la notion d'urgence absolue beaucoup plus difficile, éventuellement, à
apprécier (l'urgence est déjà une situation de crise, l'urgence absolue ne peut que susciter
l'interrogation).
L'obligation ne s'applique pas, ensuite, dans l'hypothèse où l'exigence se heurte à un secret
dont on considère qu'il doit être protégé, qu'il s'agisse, par exemple, du secret médical, du
secret des délibérations gouvernementales ou encore du secret de la défense nationale (sur
ce dernier V. CE 23 mars 1994, Société Matiex).
La troisième exception ou limite est la situation suivante : la motivation n'est pas exigée lorsque
une décision implicite intervient dans un cas où la décision explicite aurait dû être motivée
mais, dans ce cas, l'intéressé est en droit de demander dans le délai de recours contentieux
les motivations de la décision implicite et ces motifs doivent alors lui être communiqués dans
le mois de la demande.
B. Contenu et sanction de l'obligation
Deux brèves considérations suffisent pour comprendre ce qu'il en est.
D'une part, le juge n'admet pas la motivation par référence. Il serait trop facile, en effet, à une autorité
administrative de faire simplement référence à une disposition législative ou réglementaire, ce qui
serait un véritable détournement de l'exigence et ne pourrait être considéré comme une véritable
motivation.
D'autre part, et l'on se trouve dans le même ordre d'idée consistant à faire prévaloir le réalisme et
l'effectivité d'une exigence sur les considérations de principe, la motivation ne peut pas se limiter à
l'énoncé de considérations abstraites mais doit exposer les « éléments de fait » qui sont à l'origine de
la décision, car sinon la motivation ne serait qu'un faux-semblant. Si cela se comprend bien on trouve
également certaines limites. L'une d'entre elles mérite d'être relevée, d'autant qu'elle ne soulève
guère d'objections, il s'agit de la motivation des décrets de dissolution de conseils municipaux. Bon
an, mal an, une cinquantaine de conseils municipaux sont ainsi dissous, pratiquement toujours pour
la même raison, l'impossibilité de fonctionnement de l'institution du fait des divisions qui se sont
installées parmi les membres du conseil (ceux qui gagnent ensemble une élection connaissent dans
un premier temps un moment de satisfaction, voire d'exaltation, puis, quelques mois après, des
divergences peuvent naître, ceux qui étaient unis en viennent à s'opposer).
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Section 2. L'exécution des actes administratifs
Les actes administratifs sont pris pour être exécutés, l'exécution étant elle-même destinée à
permettre un fonctionnement normal de l'administration qui a en charge l'intérêt général. Cette
exécution s'inscrit dans le temps, le temps de l'administration et du gouvernement qui a donné ses
directives à la cette dernière, avec la question qui se pose de l'autorité de ces actes.
§1. Les actes administratifs et le temps
Certaines normes surmontent les épreuves du temps, c'est-à-dire sont applicables très longtemps.
Mais vient toujours un moment où la norme n'est plus adaptée, doit être remplacée. Même un texte
aussi célèbre que l'ordonnance de Colbert sur la marine, dont on soulignait qu'elle avait traversé
monarchies, empires et républiques sans férir, a été abrogée lors de l'adoption du code de la propriété
des personnes publiques. C'est dire que les actes, comme ceux qui les édictent, ont une fin. Le
droit s'est préoccupé de régler ce qui peut être une succession de normes (on trouve cela en droit
international avec la succession d'Etats) mais également une disparition sans succession.
A. L'entrée en vigueur des actes administratifs
A supposer qu'une autorité administrative soit compétente pour édicter un acte, qu'elle se conforme
aux exigences de forme concernant l'adoption de cet acte, cela ne suffit pas pour que ledit acte
puisse être applicable en vertu de la seule volonté de son auteur : des règles relatives à l'entrée
en vigueur doivent être respectées, et, par ailleurs, les actes administratifs se voient appliquer un
principe essentiel, celui de non rétroactivité.
1. Les règles relatives à l'entrée en vigueur de l'acte
On peut distinguer ici deux exigences, dont la première s'applique à toutes les autorités
administratives, tandis que la seconde ne s'applique qu'aux actes des autorités locales
décentralisées.
Tout acte administratif, quel qu'il soit, et sauf exceptions, inévitables ici comme ailleurs, n'est
opposable aux administrés que s'il a reçu une publicité. La publicité (qui vient de publicus, c'està-dire qui concerne le peuple, et de populus, le peuple) consiste d'abord à faire connaître, donner
une publicité à une chose c'est lui donner un caractère public. On a donc prévu une publicité pour
les textes.
La publicité traditionnelle est prévue elle-même par un texte. C'est ainsi que selon des ordonnances
royales de 1816 et de 1817, puis d'un décret de 1870 (pris peu de temps après le désastre de Sedan,
dans une France en partie occupée) les lois et règlements entrent en vigueur un jour franc après
l'arrivée du numéro qui les contient au chef-lieu de département. En ce qui concerne les actes des
collectivités territoriales, les règles diffèrent, évidemment, selon la taille de la collectivité, parce qu'il
faut toujours tenir compte des petites communes : pour les communes de 3500 habitants et plus,
les départements et les régions, ainsi que la collectivité territoriale de Corse et les établissements
publics de coopération (intercommunale, interdépartementale, mixtes), un décret du 20 septembre
1993 (ce qui est relativement récent) a institué une obligation de publication dans un recueil d'actes
administratifs propre à chaque collectivité.
Ces règles anciennes avaient besoin d'être « modernisées », c'est-à-dire adaptées aux exigences
et aux techniques de notre temps. C'est ce qui a été réalisé par l'ordonnance N° 2004-164 du 20
février 2004.
Ces dispositions méritent d'être précisées sur les points suivants, qui concernent des situations
particulières.
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En deuxième lieu, les textes peuvent imposer des modalités particulières de publicité, et l'un des
exemples les plus simples est celui du permis de construire, pour lequel une double publicité est
exigée, l'affichage en mairie et sur le terrain, ceci pour des raisons que chacun comprend aisément,
surtout s'il est voisin de celui qui a obtenu un permis de construire.
En premier lieu, et il n'y a pas besoin d'insister longuement sur ce point, la France comporte
des territoires lointains pour lesquels, malgré les moyens modernes de communication, il est
indispensable de prévoir des modalités particulières.
En troisième lieu, il arrive, à l'inverse, que rien ne soit prévu, c'est-à-dire qu'aucun mode de publicité
ne soit prévu explicitement pour certaines dispositions. Et c'est à propos de la publication de
dispositions dans un bulletin interne à l'Ecole nationale de la santé, alors que lesdites dispositions
pouvaient intéresser (au sens juridique) d'autres personnes, que le Conseil d'Etat a imposé
l'exigence d'une publicité suffisante, cette notion variant nécessairement selon les circonstances et
les situations (V. CE 25 janv. 1974, Sieur Jean et autres, ainsi que CE 13 déc. 1974 Demoiselle du
Gratet du Bouchage).
En quatrième lieu, l'entrée en vigueur d'un acte peut être retardée.
En cinquième lieu, certains actes administratifs, avec lesquels on est désormais familiarisé pour les
avoir rencontrés précédemment, ne font l'objet d'aucune publicité, ou d'une publicité variable, ce sont
les actes qui, normalement, n'ont pas d'effets à l'égard des administrés, circulaires et instructions
notamment. Les positions sur cette question sont partagées. Certains estiment que ces actes n'ont
effectivement pas à faire l'objet d'une publicité, si ce n'est à l'égard des agents concernés, et que les
citoyens n'ont pas à en connaître. D'autres considèrent, et l'on se rangera ici dans cette catégorie,
estiment que les circulaires doivent être publiées (c'est d'ailleurs, désormais, souvent le cas), d'abord
parce que la communication électronique le permet facilement, ensuite parce que la connaissance
de ces textes par les citoyens est loin d'être inutile dans la mesure où, d'une part, les agents publics
se réfèrent d'abord à la circulaire (et non à la loi ou au règlement) pour appliquer le droit, d'autre part
parce que l'explicitation que comporte une circulaire est presque toujours utile, voire indispensable
à la compréhension d'un texte.
L'entrée en vigueur d'un acte peut également être subordonnée à d'autres exigences que la
publicité. Cela vaut essentiellement pour les collectivités territoriales : l'obtention de la liberté par la
suppression de la tutelle - avec toutes les nuances et les réserves que l'on a été amené à faire en
la matière - ne pouvait être obtenue qu'en garantissant les droits de l'Etat et le contrôle administratif
dont le Conseil constitutionnel a rappelé qu'il doit permettre « d'assurer le respect des lois, et, plus
généralement, la sauvegarde des intérêts nationaux auxquels, de surcroît, se rattache l'application
des engagements internationaux » de la France.
Pour cette raison le législateur de 1982 (dispositions aujourd'hui codifiées au Code général des
collectivités territoriales) a subordonné l'entrée en vigueur des actes des collectivités territoriales
non seulement à une publicité mais également à leur transmission au représentant de l'Etat, cette
transmission pouvant s'effectuer par voie électronique, et la preuve de la réception pouvant être faite
par tout moyen, l'accusé de réception, immédiatement délivré, pouvant être utilisé à cet effet mais
n'étant pas une condition du caractère exécutoire des actes.
2. La non rétroactivité des actes administratifs
Plusieurs raisons militent en faveur d'une non rétroactivité des actes administratifs. On se bornera
à signaler, car n'étant pas juridique, l'obscur sentiment que l'on peut avoir que le fait de revenir
sur des situations passées heurte un certain nombre de convictions. Sur un plan plus juridique, les
arguments suivants peuvent être invoqués.
Le code civil déclare dans son article 2 : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point
d'effet rétroactif ». Les rédacteurs du code civil, instruits par l'histoire, savaient combien il peut être
dangereux, pour les citoyens, d'adopter des lois rétroactives. Ce qui vaut pour le législateur - avec,
là encore, et nécessairement, des exceptions - vaut à plus forte raison pour l'administration, dont les
actes ne sont pas adoptés contradictoirement et publiquement, comme c'est le cas pour les lois.
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Une deuxième raison, qui rejoint le bon sens, et qui correspond à une forte exigence, tient à l'impératif
de sécurité juridique. Il n'y a plus ni liberté ni égalité, ni possibilité d'avoir des activités sûres si les
normes peuvent revenir sur des situations antérieures. La sécurité juridique, consacrée aujourd'hui
par le juge, et à laquelle les citoyens sont sensibilisés, implique à la fois que l'on ne puisse régir pour
le passé et une certaine stabilité des normes émises. Naturellement, et ainsi que nous allons le voir,
cet impératif de sécurité juridique peut s'opposer à la nécessité d'adapter les normes.
On fait valoir, également, un troisième argument, selon lequel la rétroactivité porte atteinte à la
répartition temporelle des compétences (ce que l'on appelle la compétence ratione temporis) dans la
mesure où, si on l'admet, l'auteur d'une norme empiète sur la compétence dont disposait, au moment
où l'acte sur lequel on revient, une autre autorité.
Le Conseil d'Etat a consacré pour la première fois le principe de non rétroactivité des actes
administratifs dans une décision du 28 février 1947, Ville de Lisieux et a fait de ce principe un principe
général du droit dans sa décision, déjà analysée, du 25 juin 1948, Société du journal « L'Aurore ».
Les exceptions au principe de non rétroactivité sont les suivantes.
En premier lieu, les actes administratifs peuvent s'appliquer immédiatement à des situations qui
ont leur origine dans le passé, mais qui n'ont pas acquis de caractère définitif. Ainsi que l'écrit R.
Chapus : « application immédiate ne signifie pas application rétroactive », et le principe est, pour les
règlements comme pour les lois, celui de l'application immédiate.
En deuxième lieu, peuvent être rétroactifs les actes administratifs pris en application d'une loi
(ou d'une convention internationale) elle-même rétroactive, en supposant celle-ci constitutionnelle.
Le Conseil constitutionnel a été amené à plusieurs reprises à examiner des lois comportant des
dispositions rétroactives.
En troisième lieu, même en l'absence de loi rétroactive, des actes administratifs peuvent être
rétroactifs. Tel est le cas, notamment, et ainsi qu'on le verra plus loin, lorsque l'autorité administrative
peut légalement procéder au retrait (rétroactif) de certains de ses actes. Tel fut le cas, également, du
temps de la tutelle, de l'approbation des actes des autorités locales par les autorités de tutelle dont les
actes rétroagissaient (logiquement) à la date d'entrée en vigueur de ceux pris par les précédentes.
Ces exceptions sont en définitive limitées et ne remettent pas en cause le principe de non
rétroactivité.
B. La sortie de vigueur des actes administratifs
Les actes administratifs ne sont pas destinés à s'appliquer indéfiniment, ne serait-ce que parce que
les circonstances changent.
A notre époque, d'ailleurs, ce serait plutôt l'inverse qui se produit : les pouvoirs publics ont tendance
à changer très souvent les règles, et le Conseil d'Etat a attiré l'attention à plusieurs reprises, dans
ses rapports, sur les inconvénients qui en résultaient.
Quoi qu'il en soit, la sortie de vigueur des actes administratifs obéit à des règles qui peuvent paraître
parfois subtiles parce que le juge cherche en permanence à concilier la nécessaire adaptation des
normes avec l'indispensable protection des droits des citoyens. Pour comprendre le régime juridique
applicable il faut garder à l'esprit que trois types de considérations entrent en jeu :
•
•
•
la distinction entre l'abrogation et le retrait des actes administratifs,
la distinction entre les actes réglementaires et les actes non réglementaires,
la distinction entre actes créateurs de droits et actes non créateurs de droits. On peut partir,
pour présenter ce régime juridique, de n'importe laquelle de ces trois distinctions.
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Le plus logique, compte tenu de l'idée de temps qui détermine ce régime, consiste à distinguer le
régime de l'abrogation de celui du retrait.
1. L'abrogation des actes administratifs
Afin que les choses soient parfaitement claires dès le départ, on tiendra pour acquis que l'abrogation
est la disparition des actes pour l'avenir, tandis que le retrait est, par définition, rétroactif.
L'abrogation est, normalement, ce qu'il y a de plus simple, parce qu'il s'agit « seulement » de faire
disparaître l'acte pour l'avenir, ce qui, a priori, est le moins susceptible de gêner, de porter atteinte
à des droits. Encore convient-il de distinguer selon la nature de l'acte, le problème, et sa solution,
pouvant être différents selon les cas de figure.
L'abrogation d'un acte réglementaire est le cas de figure qui ne soulève guère de difficultés. Les
citoyens ne disposent d'aucun droit au maintien d'un acte à portée générale (CE 17 mars 1911,
Blanchet). L'abrogation est possible à tout moment, alors même que l'acte aurait été édicté pour une
certaine durée (CE 25 juin 1954, Syndicat de la Meunerie à seigle). Encore faut-il, naturellement,
que l'acte d'abrogation soit lui-même régulier (CE 29 mars 1968, Manufacture des pneumatiques
Michelin, Rec. p. 214). Les explications de ce droit d'abrogation reconnu à l'administration tiennent
précisément au caractère général de l'acte en question, qui le fait ressembler, matériellement, à la
loi, à l'absence d'intangibilité de l'acte administratif, au fait que, par sa généralité, l'acte ne peut être
considéré comme créant des droits ou des obligations spécifiques à un groupe limité de personnes.
Si l'administration a le droit de retirer un acte réglementaire, peut-elle y être obligée ? Le juge
a répondu par l'affirmative, dès lors que l'acte en question présente un caractère irrégulier. Les
citoyens se sont vu reconnaître un véritable droit à obtenir l'abrogation d'un règlement illégal, que
l'illégalité existe dès l'origine (CE 3 février 1989, Compagnie Alitalia), ou que cette illégalité résulte
de changements survenus dans les circonstances de droit (CE 10 janvier 1930, Despujol ; 10 janvier
1964, Syndicat national des cadres des bibliothèques) ou de fait (CE 10 janvier 1964, Ministre de
l'agriculture c/ Simonnet).
En ce qui concerne l'abrogation d'un acte non réglementaire, il convient de distinguer. Si l'acte n'a
pas fait naître de droits, il peut toujours être abrogé. Cette abrogation peut avoir lieu, soit à l'initiative
de l'administration, soit, en vertu d'un principe général du droit, sur demande d'un administré fondée
sur l'illégalité de l'acte résultant de changements survenus dans les circonstances de droit ou de
fait postérieurement à son édiction (CE 30 novembre 1990, Association Les Verts, Rec. p. 339,
RFDA 1991 p. 571, concl. Pochard : obligation pour l'administration les modifier les actes relatifs
au découpage des cantons lorsque l'évolution démographique postérieure fait apparaître de trop
grandes disparités dans le nombre d'électeurs).
Si l'acte a créé des droits, l'acte ne peut normalement plus être remis en cause, mais il ne s'agit pas
d'une véritable intangibilité, dans la mesure où l'autorité administrative peut revenir sur cet acte par
un acte dit acte contraire.
2. Le retrait des actes administratifs
Le retrait soulève des questions plus délicates que l'abrogation puisque, dans le retrait, il s'agit de
faire disparaître l'acte ab initio, dès son commencement. Avec le retrait, l'acte est considéré comme
n'ayant jamais existé, il est annulé rétroactivement. On imagine facilement que, quelles que soient
les solutions adoptées, elles ne peuvent être que complexes et imparfaites, compte tenu des intérêts
opposés qui son en présence. Mettons cependant à part un cas qui ne soulève guère de difficulté :
le retrait peut être opéré sans conditions pour les actes qui ont été obtenus par fraude. Distinguons
trois hypothèses.
La première hypothèse est celle dans laquelle on a affaire à un acte régulier. Le principe est clair : le
retrait d'un acte, individuel ou réglementaire, pris régulièrement, et créateur de droits, est impossible.
Si l'acte n'a pas créé de droits, la situation est simple car l'acte peut être retiré.
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Ce qui est moins simple, c'est de savoir ce qu'est un acte créateur de droits. Il est délicat de définir
ou de déterminer les actes créateurs de droits. L'examen de la jurisprudence permet de le faire
négativement, à partir des actes non créateurs de droits. C'est ainsi que ne sont pas créateurs
de droits, parmi les actes réglementaires, les autorisations de police, ou encore les autorisations
d'occupation du domaine public, qui présentent toujours un caractère précaire et révocable. Ne sont
pas créateurs de droits, parmi les actes non réglementaires, les actes qualifiés d'inexistants, ou
encore les actes purement recognitifs, c'est-à-dire ceux par lesquels l'administration ne fait que tirer le
conséquences, en prenant un acte, d'un autre acte pris auparavant, les actes seulement provisoires,
les actes conditionnels. Les décisions défavorables ne créent évidemment pas de droits au profit
des personnes qu'elles visent, mais elles peuvent, en revanche, créer des droits au profit de tiers
(dans la fonction publique, un refus de nomination, ou une sanction telle que la révocation, peuvent
créer des droits au profit des autres fonctionnaires), le juge les analyse, selon les cas, tantôt comme
des décisions créatrices de droits, tantôt comme des décisions non créatrices de droits.
Une deuxième hypothèse est celle des actes irréguliers. La jurisprudence sur ces derniers fut
longtemps fixée par une décision de principe, la décision Dame Cachet. La solution résultant de cette
décision a largement été modifiée par la décision Ternon.
La solution de la décision Dame Cachet, rendue le 3 novembre 1922, consistait à lier les conditions
du retrait au délai de recours contentieux. Dans le cas d'une décision irrégulière ayant créé des
droits, les autorités administratives ne peuvent procéder à un retrait que « tant que les délais du
recours contentieux ne sont pas expirés » et, dans le cas où un recours était formé par le requérant
devant le juge administratif, le retrait pouvait intervenir tant que le juge n'avait pas statué. La solution
était parfaitement logique : l'administration peut procéder au retrait pendant le délai où l'acte peut
être annulé. C'est pourquoi, appliquant cette logique, le juge décidait que lorsque le délai de recours
ne commençait pas à courir - parce que l'acte n'avait pas fait l'objet de la publicité adéquate - le
retrait demeurait possible (CE 6 mai 1966, Ville de Bagneux, RDP 1967 p. 339, concl. Braibant,
AJDA 1966 p. 485, chron. Puissochet et Lecat). L'inconvénient de cette solution était d'introduire un
risque d'insécurité juridique.
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La décision Ternon, du 26 octobre 2001 (RFDA 2002, p. 77, note P. Delvolvé ; AJDA 2001, p. 1034,
chron. Guyomar et Collin, 2002 p. 738, note Y. Gaudemet) introduit un découplage entre le retrait et
le délai de recours : « l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de
droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois de la prise de décision ». Cette solution
évite les risques d'insécurité signalés avec la décision dame Cachet, mais elle comporte un autre
inconvénient dans la mesure où, passé ce délai de quatre mois, l'administration ne peut plus procéder
au retrait, alors même que l'illégalité serait flagrante et que son annulation aurait été prononcée par
le juge administratif s'il avait été saisi.
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Une troisième hypothèse, qui a soulevé, elle aussi, des difficultés considérables, est celle des
décisions implicites. Par définition, ces décisions implicites ne font pas l'objet d'une publicité.
L'application de la jurisprudence dame Cachet aurait redoublé l'insécurité juridique, puisque l'acte
irrégulier aurait pu être retiré à tout moment. Pour éviter cette conséquence, le juge administratif avait
décidé, dans la décision Eve du 14 novembre 1969 (Rec. p. 498, concl. Bertrand), que les décisions
implicites illégales ne pouvaient être retirées, sauf si elles avaient fait l'objet d'une publicité, auquel
cas on retombait dans la jurisprudence Dame Cachet (CE 1er juin 1973, Ministre de l'équipement
et du logement c/ Epoux Roulin, Rec. p. 390).
La loi du 12 avril 2000, relative à l'amélioration des relations entre l'administration et les citoyens, a
anéanti la jurisprudence Eve et posé de nouvelles règles. D'une part, le retrait des décisions implicites
d'acceptation peut intervenir « pendant la durée de l'instance au cas où un recours contentieux a été
formé ». Ces décisions peuvent également être retirées « pendant le délai de recours contentieux »
si « des mesures d'information des tiers ont été mises en oeuvre » (tel est le cas, notamment, des
permis de construire obtenus tacitement). D'autre part, lorsque aucune mesure d'information des
tiers n'a été mise en oeuvre le retrait peut être prononcé « pendant le délai de deux mois à compter
de la date à laquelle est intervenue la décision ».
§2. L'autorité des actes administratifs
Il ne suffit pas de pouvoir situer les actes dans la hiérarchie des normes. Il faut s'interroger
sur l'autorité que présentent les actes administratifs, car cette autorité conditionne en partie leur
efficacité.
A. Caractères de l'autorité des actes administratifs
Il est possible de dire que l'acte administratif n'a pas une autorité équivalente à d'autres actes,
revêtus d'une autorité particulière, mais que cette autorité, néanmoins, est supérieure à celle d'actes
de personnes privées.
Tout d'abord, donc, l'acte administratif n'a pas l'autorité de la chose jugée. Celle-ci caractérise,
comme son nom l'indique, la force de l'acte pris par une autorité juridictionnelle en la forme
juridictionnelle. On parle également de « force de vérité légale » qui s'attache à une décision
juridictionnelle. L'acte administratif n'a jamais une telle « force ». Deux différences séparent l'acte
administratif de la décision juridictionnelle.
•
D'une part, le jugement - pris au sens large du terme - est, une fois définitif, incontestable,
tandis que l'acte administratif, même lorsqu'il a acquis sa « définitivité », demeure doublement
contestable, par la voie d'une exception en illégalité d'abord, par la voie d'une action en
responsabilité ensuite.
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•
D'autre part, un jugement ne peut jamais faire l'objet d'une abrogation ou d'un retrait alors que, et
ainsi qu'on vient de le voir, cela est possible, sous certaines conditions, pour l'acte administratif.
Cependant, l'acte administratif a une autorité supérieure à celle des actes de droit privé. Certes,
l'acte administratif n'a pas la nature d'acte authentique, il ne fait donc foi que jusqu'à preuve du
contraire (CE 4 mai 1955, Athias). Il présente néanmoins une triple supériorité sur les actes de droit
privé. En premier lieu, l'administration dispose, ainsi que nous l'avons vu dans la leçon sur les actes
unilatéraux, du « privilège du préalable », qui le droit d'imposer aux tiers des obligations sans leur
consentement. En deuxième lieu, l'autorité administrative n'a pas besoin de recourir au juge pour
que ses actes puissent être exécutés, elle se donne elle-même le titre exécutoire. C'est pourquoi le
recours au juge administratif n'est pas, sauf exceptions, suspensif de l'acte administratif contesté,
alors que le recours devant le juge judiciaire est, lui, normalement suspensif. En troisième lieu,
l'administration peut parfois recourir à la force pour obtenir l'exécution de ses décisions sans avoir
besoin de s'adresser au juge - c'est ce que montre le paragraphe suivant - alors que les personnes
privées ne peuvent jamais, par elles-mêmes, procéder à une exécution forcée, ce qui serait un retour
à l'état primitif et au règne de la force.
B. L'exécution des actes administratifs
Le citoyen de la Cité idéale exécute les décisions de l'administration parce qu'il les sait inspirées
par le Bien Commun. Dans les sociétés concrètes que nous connaissons, il n'en est pas toujours
ainsi, il se peut que les administrés exécutent avec réticence, voire fassent preuve de résistance
aux décisions administratives.
Pour faire en sorte que ses décisions soient exécutées, l'administration dispose de deux voies.
La voie normale est celle des sanctions : une décision non exécutée (en supposant que cette dernière
a été prise par l'autorité compétente, dans le cadre de ses fonctions) va pouvoir donner lieu à des
sanctions. Deux types de sanctions sont envisageables.
•
•
On peut penser, d'abord, aux sanctions pénales. Des sanctions pénales répriment les
contraventions aux règlements faits par l'autorité administrative et, par ailleurs, le législateur
a institué des sanctions pour des infractions spécifiques (par exemple toutes les législations
relatives aux circonstances exceptionnelles et, parmi elles, au temps de guerre). .
Il existe également des sanctions administratives, et ces dernières sont extrêmement
nombreuses : les automobilistes (ils sont nombreux) connaissent les sanctions afférentes
aux infractions relatives au non respect du code de la route (les retraits de points sont une
réalité douloureuse pour nombre de conducteurs) ; la réglementation relative aux débits de
boissons prévoit des sanctions administratives en cas de non respect de la réglementation
(la fermeture administrative d'un débit de boisson par le préfet, en est une, et l'on imagine
facilement les incidences financières que cela peut avoir) ; enfin, parmi d'autres, on peut
citer les sanctions disciplinaires, qui concernent (potentiellement) des millions de personnes.
Les sanctions administratives soulèvent d'innombrables questions, et les juridictions tant
nationales (Conseil constitutionnel notamment) qu'européennes (Cour européenne des droits
de l'homme) cherchent à encadrer ces multiples sanctions administratives qui sont susceptibles
de porter des atteintes importantes aux droits des personnes. Soulignons, sans que l'on puisse
développer ici ce point, que l'une des difficultés que l'on rencontre est celle consistant à
distinguer les sanctions disciplinaires des mesures de police
A côté de ces sanctions « normales », on trouve une hypothèse exceptionnelle, celle de l'exécution
forcée. Rappelons d'abord fermement qu'en principe l'administration n'a pas le droit de recourir à la
force pour faire exécuter ses décisions. Ce recours à l'exécution forcée est bien quelque chose de
tout à fait exceptionnel, qui a été reconnu à l'administration par le juge, mais dans des conditions
très restrictives.
Les conclusions du commissaire du gouvernement Romieu sur la décision du Tribunal des conflits
du 2 décembre 1902 Société immobilière de Saint Just résument très bien les conditions du recours
à l'exécution forcée. Celle-ci ne peut intervenir que dans trois cas :
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•
•
•
lorsque l'exécution forcée est prévue par une loi (auquel cas il n'y a pas à s'interroger, sauf à
se poser la question de la constitutionnalité de la loi) ;
lorsque aucune autre sanction n'existe (une affaire illustre cette hypothèse, CE 17 mars 1911,
Abbé Bouchon) ;
lorsqu'il y a urgence (l'hypothèse de l'urgence est la moins évitable qui soit, le commissaire
du gouvernement Romieu l'illustrait en déclarant, de manière très réaliste : « quand la maison
brûle, on ne va pas demander au juge l'autorisation d'appeler les pompiers »).
Quant à la légalité de l'exécution forcée, si l'on se trouve dans l'un des cas précédents, elle est
subordonnée à la réunion de trois conditions :
•
•
•
que l'exécution forcée trouve sa source dans une texte de loi précis ;
que l'administration se soit heurtée à une « mauvaise volonté caractérisée » des intéressés ;
que l'exécution forcée ne tende qu'à la réalisation d'une opération prescrite par la loi
Le recours à l'exécution forcée est encadré et limité. Si l'administration excède se pouvoirs, elle est
sanctionnée par le juge.
•
•
D'une part, en effet, l'administration procède à l'exécution forcée à ses risques et périls et,
si la décision dont elle a cherché l'exécution est par la suite annulée, elle s'expose à devoir
verser des dommages intérêts (CE 27 février 1903, Zimmermann, Rec. p. 180).
D'autre part, le recours à l'exécution forcée peut être illégal alors même que la décision dont
l'administration a recherché l'exécution est légale. La responsabilité de l'administration peut
alors être engagée soit devant les juridictions administratives s'il n'y a pas eu atteinte au droit
de propriété ou à une liberté fondamentale (CE 8 avril 1961, Dame Klein, Rec. p. 216, D 1961,
p. 587, concl. Henry), soit devant les juridictions judiciaires dans le cas inverse, où l'on dira qu'il
y a voie de fait. Ainsi, par exemple, l'exhumation de corps viole « le respect dû aux tombes des
morts » et se révèle constitutive d'une voie de fait (TC 25 novembre 1963, Commune de SaintJust Chaleyssin, Rec. p. 793, concl. Chardeau)
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Cours : L’action administrative
Auteur : Jean-Marie Pontier
Leçon n° 10 : La notion de contrat administratif
Table des matières
Section 1. Les critères du contrat administratif....................................................................................p. 3
§1. Le critère organique du contrat administratif......................................................................................................... p. 4
A. Le principe de la présence d'une personne publique....................................................................................................................p. 4
1. Les contrats entre personnes publiques.....................................................................................................................................................................p. 4
2. Les contrats entre personnes privées ....................................................................................................................................................................... p. 5
B. L'exception : le contrat entre personnes privées, contrat administratif..........................................................................................p. 6
1. la personne privée mandataire d'une personne publique...........................................................................................................................................p. 6
2. Le contrat administratif en l'absence de mandat........................................................................................................................................................ p. 6
§2. Les critères matériels du contrat administratif....................................................................................................... p. 8
A. Le caractère de contrat administratif lié au service public............................................................................................................ p. 8
1. Les diverses expressions de la liaison au service public...........................................................................................................................................p. 8
2. Applications du critère de la participation à l'exécution du service public..................................................................................................................p. 9
B. Le caractère administratif du contrat lié à la présence de dispositions exorbitantes dans le contrat...........................................p. 11
1. La clause exorbitante du droit commun....................................................................................................................................................................p. 11
2. Le régime exorbitant du droit commun..................................................................................................................................................................... p. 12
Section 2. Les principaux types de contrats administratifs ............................................................. p. 14
§1. Les contrats comportant délégation de la gestion d'un service........................................................................... p. 14
A. La concession.............................................................................................................................................................................. p. 14
B. Les autres contrats de délégation de service public................................................................................................................... p. 16
§2. Les contrats ne comportant pas délégation d'un service public.......................................................................... p. 16
A. La définition des marchés publics en droit interne français........................................................................................................ p. 17
B. La définition des marchés publics par le droit communautaire................................................................................................... p. 19
§3. Les contrats de partenariat ................................................................................................................................. p. 20
A. Définition des contrats de partenariat.......................................................................................................................................... p. 21
B. Les conditions du recours au contrat de partenariat................................................................................................................... p. 22
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La possibilité de s'engager, de contracter des droits et/ou des obligations, ne peut être considérée
comme réservée aux personnes privées. Très tôt, dans l'histoire, les personnes publiques, à
commencer par l'Etat, ont passé des contrats.
On se souvient par exemple que l'Etat se déchargeait sur des personnes privées, par la voie
d'accords qui étaient des sortes de contrats, du soin de récupérer les impôts, ce qui était,
naturellement, un signe particulièrement tangible d'une forme d'impuissance de l'Etat. On trouvait
également des engagements de volonté qui ressemblaient plus à ce que nous appelons « contrats
», par exemple pour l'assèchement des marais (ces contrats ayant d'ailleurs subsisté de nos jours).
Au XIXème siècle, de manière déjà plus classique, l'Etat passe des contrats dits de concession avec
des personnes privées pour la construction de canaux, puis de chemins de fer.
C'est dire que les collectivités publiques recourent assez facilement au procédé contractuel, et le
juge a eu à connaître dès le début du XIXème siècle de recours fondés sur une mauvaise exécution
du contrat par une personne publique.
Avant de s'interroger sur le contrat administratif, il convient de faire quelques remarques sur cette
possibilité de recourir au contrat.
Car le procédé du contrat peut être interdit à l'administration, dans des domaines que l'on considère
comme « régaliens », et l'exemple traditionnel que l'on cite en ce sens est celui de la police : on a
déjà vu, dans la leçon sur celle-ci, que l'autorité administrative ne pouvait pas déléguer, par contrat,
son pouvoir de police.
Si le principe est incontestable, on trouve cependant des atténuations, par exemple avec ce que
le législateur a appelé « contrats locaux de sécurité », qui sont passés avec des communes, l'idée
étant d'associer celles-ci à la politique et aux actions de maintien de l'ordre public, sans qu'il y ait
abandon par l'Etat de ses prérogatives.
Certains types de contrats peuvent également être interdits à l'administration. On citait
traditionnellement en ce sens le compromis et la clause compromissoire. Le compromis est le contrat
par lequel deux parties à un litige conviennent de s'en remettre à un arbitre au lieu de confier le
règlement du litige au juge. L'explication du recours au compromis, de préférence au juge, est simple,
c'est la plus grande rapidité de la procédure : là où le juge va mettre des mois ou des années
pour se prononcer, l'arbitre va disposer d'un délai, fixé par les parties, de deux ou trois mois par
exemple. On comprend que les personnes privées recourent fréquemment au compromis, parce
que, compte tenu des intérêts en présence (qui sont souvent des montants financiers importants)
il est préférable d'avoir une solution rapide acceptée d'avance par chacune des parties plutôt que
d'attendre la solution du droit, qui peut prendre des années et paralyser l'activité. Mais on comprend
tout autant la réticence traditionnelle des personnes publiques à l'égard du compromis, puisque
l'admission de celui-ci est au fond un aveu de l'incapacité de l'Etat dans une de ses fonctions les plus
hautes, la fonction de justice, à remplir convenablement cette dernière. A plus forte raison la clause
compromissoire était-elle prohibée, car elle des effets encore plus marqués que le compromis : à la
différence du compromis, qui est adopté par deux parties lors de la survenance d'un litige, la clause
compromissoire consiste à stipuler par avance que, en cas de litige dans l'exécution du contrat, ce
litige sera porté devant un arbitre et non devant un juge.
Si ces solutions sont maintenues dans leur principe, elles connaissent de plus en plus d'exceptions,
car il est apparu que l'administration pouvait avoir avantage elle aussi à recourir à un arbitre,
notamment lorsqu'elle intervient dans le domaine économique. Le juge ne voit pas nécessairement
cela d'un mauvais oeil, compte tenu de l'augmentation du nombre d'affaires devant la justice :
les juridictions n'en sont plus à rechercher les affaires, elles cherchent plutôt comment éviter
le contentieux. Le développement de l'arbitrage paraît être une solution à cet engorgement des
juridictions, d'autant que l'arbitre peut fort bien être un juge administratif, il suffit d'organiser les
choses en ce sens.
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On signalera, sans le développer, car cela ne présente pas, concrètement, une situation importante,
qui est même marginale, et qui résulte de l'histoire de notre pays, c'est celle dans laquelle
l'administration est tenue d'accepter un contrat, qui est pour elle obligatoire. Cette hypothèse,
assez curieuse, découle du transfert de propriété aux personnes publiques des édifices du culte par
la loi de 1907 complétant celle de 1905. Lorsque les fidèles d'un culte présentent à la collectivité
concernée (qui est presque toujours la commune) une offre de concours (laquelle est un contrat),
celle-ci est obligée de l'accepter car, sinon, c'est la liberté religieuse, à valeur constitutionnelle, qui
serait menacée.
Ces précisions préalables étant données, il demeure une question essentielle à résoudre, celle de
la nature des contrats passés par l'administration. Celle-ci peut, en effet, recourir aussi bien au
contrat de droit privé qu'au contrat de droit public. On se souvient que, dans l'affaire des Granits
porphyroïdes, il s'agissait précisément d'un contrat d'achat de pavés, et que le commissaire du
gouvernement, Romieu, avait bien fait valoir qu'il n'y avait aucune raison d'appliquer le droit public
dès lors que la collectivité agissait comme l'aurait fait une personne privée. Dans ses conclusions,
le commissaire du gouvernement déclarait : « Il peut se faire que l'administration, tout en agissant,
non comme personne privée mais comme personne publique, dans l'intérêt d'un service public
proprement dit, n'invoque pas sa situation de personne publique et se place volontairement dans les
conditions d'un particulier (...) en passant un de ces contrats de droit commun, d'un type nettement
déterminé par le code civil (location d'un immeuble, par exemple pour y installer les locaux d'une
administration), qui ne suppose par lui-même l'application d'aucune règle spéciale au fonctionnement
des services publics ».
Puisque l'administration peut recourir aussi bien aux procédés contractuels du droit privé qu'au
contrat administratif, il est indispensable de savoir quand un contrat est de droit privé et quand il
est de droit public : en effet la nature du contrat détermine, à la fois, le droit applicable et le juge
compétent. Si le contrat est un contrat administratif, c'est le droit administratif qui va s'appliquer,
et ce droit est très différent, par plusieurs aspects, du droit applicable aux contrats de droit privé,
manifestant hautement l'autonomie du droit administratif.
La présente leçon est destinée à montrer quels sont les critères du contrat administratif pour pouvoir
déterminer avec suffisamment de précision la nature d'un contrat passé par l'administration et, ceci
fait, les principaux types de contrats administratifs.
Section 1. Les critères du contrat administratif
La question que l'on se pose ici est de savoir à quels critères doit répondre un contrat pour pouvoir
être considéré comme un contrat administratif.
Il faut au préalable observer que la question ne se pose pas toujours parce que la réponse est
donnée par avance, et tel est le cas lorsque le législateur s'est prononcé, c'est-à-dire a donné une
qualification au contrat ; dans cette hypothèse il n'y a qu'à s'incliner, quoi que l'on puisse penser de la
solution donnée par le législateur. Il faut d'ailleurs observer à ce propos que dans de nombreux pays
au monde qui connaissent au moins la dualité de droits (sans connaître nécessairement la dualité
de juridictions) la plupart des contrats sont directement qualifiés par le législateur.
En France certains contrats ont été qualifiés par le législateur de contrats administratifs. L'exemple le
plus important, à la fois en termes quantitatifs et en termes de questionnement, est celui des marchés
publics, ainsi qualifiés par la vieille loi - plusieurs fois citée dans ces leçons, du 28 pluviôse de l'an 8
(17 février 1800), désormais abrogée puis, de manière plus actuelle, et en droit positif, par le code
des marchés publics, et encore que, ainsi qu'on le verra plus loin, cette question de la nature des
marchés publics soulève un certain nombre d'interrogations. De même, l'ordonnance n° 2004-559
du 17 juin 2004 qui a institué les contrats de partenariat, a fait de ceux-ci des contrats administratifs.
Relevons également que, en sens inverse, le législateur peut qualifier de contrats de droit privé des
contrats conclus par l'administration, cette qualification résultant de considérations d'opportunité.
Tel est le cas, par exemple, des contrats d'affermage des taxes communales. La qualification par
le législateur de contrats de droit privé pour des contrats conclus par l'administration est moins «
naturelle », et moins fréquente, que la qualification de contrat administratif.
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Toutefois, il est encore plus fréquent que les contrats ne soient aucunement qualifiés par
le législateur, on peut même dire que c'est la règle. Ceci s'explique, à la différence des autres
pays cités plus haut, par des considérations d'ordre historique : au départ, dans le cadre d'un Etat
autoritaire et centralisé, l'empereur s'est reposé sur son Conseil, auquel il faisait confiance. Par
la suite, avec la République, le travail fait par le juge administratif ayant été considéré comme
satisfaisant, il n'est pas apparu utile de revenir sur sa jurisprudence, et il est même apparu préférable
de lui laisser le soin de régler des questions qui, pour le législateur, n'étaient pas primordiales (dans
un langage imagé et un peu familier, on dirait que le législateur avait « d'autres chats à fouetter »).
Il en résulte que les critères du contrat, lorsque aucune qualification législative ou réglementaire
n'a été donnée à ce dernier - ce qui, une nouvelle fois, est la situation la plus courante - sont ceux
dégagés par le juge administratif, et que l'on va présenter maintenant.
On dira, pour résumer cette jurisprudence et pour définir le contrat administratif, qu'un contrat est
administratif lorsque une personne publique, au moins, est partie au contrat, et que le contrat, soit
fait participer le cocontractant privé à l'exécution même du service public, soit comporte des clauses
exorbitantes du droit privé.
§1. Le critère organique du contrat administratif
Pour qu'un contrat puisse être administratif (et non : soit un contrat administratif puisque cette
condition est nécessaire mais non suffisante) il faut que l'une des personnes au moins partie au
contrat soit une personne publique. Cette simplicité apparente de l'exigence recouvre cependant
certaines difficultés.
A. Le principe de la présence d'une personne publique
L'exigence de la présence d'une personne publique à un contrat induit deux implications dont
la logique mérite d'être examinée : d'une part, des contrats entre personnes publiques sont des
contrats administratifs, d'autre part des contrats entre personnes privées ne peuvent être que des
contrats de droit privé.
1. Les contrats entre personnes publiques
Si la présence d'une personne publique est exigée pour qu'il puisse y avoir contrat de droit
administratif, a fortiori, est-on tenté de penser, si un contrat est conclu entre deux personnes
publiques, il sera inévitablement administratif.
Cette déduction mérite d'être examinée de plus près. Car, après tout, pourquoi le fait que le contrat
soit conclu entre deux personnes publiques exclurait-il la possibilité d'un contrat de droit privé ? Les
conclusions de Romieu sur l'affaire Terrier indiquent clairement que certains contrats passés
par des personnes publiques peuvent être, à raison de leur objet, des contrats de droit privé,
et peu importe que le cocontractant soit, lui aussi, une personne publique. Il peut en être ainsi,
par exemple, de la location d'un immeuble non affecté à un service public par une personne publique
à une autre personne publique, situation qui n'est en rien interdite par le droit.
C'est en suivant cette logique que le Conseil d'Etat avait reconnu la possibilité d'un contrat de droit
privé conclu entre deux personnes publiques (V. notamment CE Ass. 13 fév. 1942, Ville de Sarlat,
Rec. p. 49). Les auteurs faisaient toutefois remarquer que ces situations étaient relativement rares
et que, au surplus, elles donnaient lieu à peu de contentieux.
La situation a dû être réexaminée par le juge à l'époque contemporaine en raison de la multiplication
des relations entre les personnes publiques, en particulier des relations entre l'Etat et les collectivités
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locales, mais aussi entre les collectivités locales, du fait du développement de la décentralisation se
traduisant par des transferts de compétences. Le tribunal des conflits a été ainsi amené à poser,
par une décision du 21 mars 1983, Union des assurances de Paris (UAP) ce que l'on appelle une
présomption d'administrativité : un contrat conclu entre deux personnes publiques est présumé
être un contrat administratif. Dans cette affaire UAP il s'agissait d'un contrat entre un établissement
public, qui s'appelait alors Centre national pour l'exploitation des océans (CNEXO) et l'Etat, par lequel
le premier confiait au ministère chargé des postes et télécommunications la charge de la gestion
administrative et logistique d'un navire océanographique.
La décision UAP institue une présomption, mais qui n'est pas irréfragable. En d'autres termes c'est
une indication, mais qui n'exclut pas que le contrat puisse être un contrat de droit privé si les autres
conditions du contrat administratif ne sont pas réunies. La question s'est posée, entre autres, pour
des contrats de bail conclus par des organismes publics sociaux.
La cour de justice des communautés européennes (CJCE, aujourd'hui cour de justice de l'Union
européenne, CJUE) a été amenée également à se prononcer sur des contrats conclus par des
personnes publiques avec d'autres personnes publiques, ou certains de leurs services, la question
étant de savir si, dans cette procédure, les collectivités publiques étaient soumises aux directives
communautaires et, notamment, à la directive "Marchés publics". Depuis l'arrêt Teckal du 18
novembre 1999 (affaire C-107/98, Rec. CJCE I-8121) la cour admet que certains marchés conclus
par ces collectivités publiques n'entrent pas dans le champ d'application des directives marchés
(ces contrats sont qualifiés de "contrats in house" ou,en français, contrats de prestations intégrées.
Dans un arrêt de 2009 la cour a jugé qu'un contrat conclu par des communes pour la construction
et l'exploitation futures d'une installation destinée à l'accomplissement d'un service public échappe
à l'obligation d'appel à la concurrence découlant des directives communautaires (CJCE 9 juin 2009,
Commission des communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne, affaire C-480-06).
Dans un arrêt du 19 décembre 2012, Azienda sanitaria locale di Lecce, Università del Salento, affaire
C-159-11) la cour a précisé sa jurisprudence, estimant qu'en l'espèce "la mission de service public
qui fait l'objet de la coopération entre des entités publiques instaurée par ledit contrat ne paraît pas
assurer la mise en oeuvre d'une mission de service public qui est commune à l'Azienda sanitaria
locale di Lecce et à l'université".
2. Les contrats entre personnes privées
Inversement, et l'on semble être là sur un terrain plus sûr, lorsque un contrat est passé entre deux
(ou plusieurs) personnes privées, le contrat ne peut être administratif, le critère organique retrouve
tout son empire.
Cette solution très ferme vaut qu'il s'agisse de personnes physiques ou de personnes morales, elle
s'applique même si le contrat contient des clauses exorbitantes du droit commun, même si l'un des
cocontractants (privé, par définition) est chargé d'une mission de service public.
C'est une hypothèse que l'on rencontre, notamment, en matière de sécurité sociale où beaucoup
d'organismes, bien qu'ayant une nature privée et présentant les caractéristiques ci-dessus énoncées,
ne peuvent, de ce fait, que passer des contrats de droit privé (V. en ce sens CE Sect. 13 déc.
1963, Syndicat des praticiens de l'art dentaire du département du Nord, D. 1984, J. p. 55, concl.
Braibant). Cette situation se retrouve également dans le domaine de l'interventionnisme économique
(TC 3 mars 1969, Société Interlait, AJDA 1969 p. 307, concl. J. Kahn, note A. de Laubadère). Le
Tribunal des conflits a ainsi jugé, à propos d'un accident survenu à la suite de travaux publics (qui,
normalement, entraînent la compétence administrative et présentent même, suivant l'expression
habituellement utilisée, un « caractère attractif » du point de vue de la compétence juridictionnelle)
effectués par une entreprise liée par contrat avec la SNCF (qui avait alors le statut de société
d'économie mixte, c'est-à-dire un statut de droit privé) qui était concessionnaire de l'Etat, que
l'action en garantie introduite par la SNCF tendait seulement à l'application d'une clause d'un contrat
intervenu entre deux personnes morales de droit privé et mettait en jeu des règles de droit privé,
les litiges relevant donc de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire (TC 17 janv. 1972,
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SNCF c/ Entreprise Solon et Barrault, RDP 1972 p. 465, concl. Braibant, JCP 1973, II, 17312, note
F. Moderne).
La solution s'explique par le souci du juge de garder une cohérence aux solutions jurisprudentielles,
l'abandon du critère organique conduirait nécessairement à des situations beaucoup plus complexes.
On objectera que la solution pourrait être différente aujourd'hui, la SNCF ayant changé de statut
et étant devenue un établissement public. Mais, précisément, un changement de statu n'est pas
neutre, le législateur prend une décision politique - qui lui revient légitimement - en qualifiant une
institution d'une manière ou d'une autre, le choix entre la nature publique ou privée d'une personne
n'est pas anodin.
B. L'exception : le contrat entre personnes privées, contrat administratif
Ainsi que l'on peut s'en douter, le principe ci-dessus rappelé comporte des exceptions, il ne peut
en être autrement. Deux hypothèses doivent être examinées, celle où l'une des personnes privées
contractantes est un mandataire d'une personne publique, celle où, en l'absence de mandat, le
contrat peut cependant être administratif.
1. la personne privée mandataire d'une personne publique
Le mandat est défini par le code civil (article 1984) comme « un acte par lequel une personne donne
à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ».
Si, donc, dans un contrat dans lequel les parties sont toutes des personnes privées, l'une d'entre
elles est le mandataire d'une personne publique, le contrat pourra être administratif, si les autres
conditions sont réunies.
Cette hypothèse n'est pas une véritable exception au principe ci-dessus énoncé : la personne privée
doit être considérée comme n'agissant pas en son nom propre mais au nom et pour le compte
d'une personne publique. C'est pourquoi le juge l'a admis, à propos, par exemple, du contrat
d'exploitation d'une plage qui avait passé par un syndicat d'initiative avec une personne privée, le
syndicat d'initiative (constitué sous forme d'association, à la différence des offices de tourisme le plus
souvent gérés en régie ou sous forme d'établissement public) ayant été considéré comme agissant
au nom et pour le compte de la commune (CE 18 déc. 1936, Prade, Rec. p. 1124). Une autre
illustration peut en être donnée à propos d'un marché conclu pour la reconstruction d'une église
(dont on rappelle qu'elle appartenait à la commune) assurée par une coopérative de reconstruction
(personne privée) dont la commune était membre (CE 2 juin 1961, Leduc, Rec. p.365).
La seule question que l'on pourrait se poser, puisque juridiquement l'hypothèse du mandat ne
soulève pas de difficultés, est de savoir s'il peut être considéré comme « normal » qu'une personne
privée représente une personne publique. Car on ne saurait admettre que cette situation soit
courante. C'est pourquoi le juge se montre vigilant et, en définitive, de telles situations sont assez
rares.
2. Le contrat administratif en l'absence de mandat
Les efforts pour repérer un mandat sont parfois vains, on ne peut en constater l'existence, et
cependant le juge qualifie le contrat de contrat administratif. Il faut rendre compte de ces situations,
qui sont de trois ordres.
Une première situation est celle des contrats conclus entre des personnes privées pour la réalisation
d'infrastructures routières et autoroutières. Une affaire a donné lieu à de nombreux commentaires,
celle concernant un contrat de concession d'autoroutes. Dans les années 70, l'Etat a donné en
concession la construction puis, celle-ci achevée, l'exploitation, d'autoroutes à des personnes
privées. Le contrat de concession lui-même est incontestablement un contrat administratif (CE 30
juin 1961, Groupement de défense des riverains de la route de l'intérieur, Rec. p. 452, S. 1961 p. 344,
concl. J. Kahn). La question s'est posée de la nature des contrats conclus par le concessionnaire
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avec d'autres personnes privées pour la construction de l'autoroute. La logique aurait été d'analyser
ces contrats comme des contrats de droit privé : s'ils découlent de la concession, ces contrats
ne concernent que des personnes privées, dont aucune ne pouvait être considérée comme un
mandataire de l'Etat, d'autant que l'on ne peut être normalement (sous les réserves que l'on fera ciaprès) en même temps un concessionnaire et un mandataire, on est l'un ou l'autre. C'est pourquoi
le Conseil d'Etat avait analysé de tels contrats comme des contrats de droit privé (CE 20
déc. 1961, Société de l'autoroute Estérel-Côte d'Azur, Rec. p. 724). Cependant, le Tribunal des
conflits a adopté une position différente : il a considéré que ces contrats sont des contrats
administratifs parce la construction des autoroutes entre « par nature » dans les attributions
des personnes publiques (TC 8 juillet 1963, Société entreprise Peyrot, Rec. p. 787, RDP 1963 p.
776, concl. Lasry). Cette décision n'était pas une « anomalie » car le Tribunal des conflits a réitéré
sa position à propos de la construction des tunnels (TC 12 nov. 1984, Société d'économie mixte du
tunnel de Sainte Marie aux mines, AJDA 1985 p. 156, concl. B. Genevois).
Une telle jurisprudence laisse perplexe, et l'on a un peu de mal à la comprendre. L'idée selon laquelle
l'Etat disposerait d'attributions « par nature » est difficilement défendable. En premier lieu, en effet, en
dehors des fonctions dites régaliennes - et encore cela est-il contestable, ne serait-ce que parce que
l'on du mal à définir ce qui est régalien et que le concept lui-même est faussement clair - il n'existe
pas de fonctions qui, « par nature » relèveraient de l'Etat, la notion de « nature » étant l'une des
plus trompeuses qui soit. En deuxième lieu, et sur un plan concret, il suffit de quitter les frontières de
la France pour se rendre compte que ce qui est considéré chez nous comme relevant « par nature
» de la puissance publique relève ou peut relever, dans ces pays, des personnes privées, ce qui
invalide, en ce domaine, le recours au « par nature ». En troisième lieu, même en s'en tenant à la
France, on voit mal pourquoi la construction de routes et d'autoroutes relèverait « par nature » de
l'Etat, mais pas, par exemple, la sécurité sociale, dont on peut cependant qu'elle est aussi importante
(et probablement beaucoup plus) pour les citoyens que les routes et autoroutes.
Une deuxième situation est celle dans laquelle l'une des personnes privées contractantes, sans
être mandataire, apparaît comme agissant « au nom et pour le compte » d'une personne publique.
Cette situation, insistons sur ce point puisque le juge lui-même a bien distingué, n'est pas celle du
mandataire. Il convient de préciser, d'abord, que cette jurisprudence a été dégagée à propos de
contrats passés par des sociétés d'économie mixte avec des entrepreneurs portant sur des travaux
d'aménagement urbain. Ensuite, en l'espèce, la société d'économie mixte était concessionnaire. On
a dit plus haut que cette qualité excluait celle de mandataire, et c'est pourquoi, malgré la formule «
au nom et pour le compte », il ne s'agit pas d'un mandat.
Cependant, dans l'affaire qui a donné lieu à cette jurisprudence, le commissaire du gouvernement,
J.-F. Théry, déclarait, dans ses conclusions : « le concessionnaire est, en quelque sorte, transparent
et ne s'interpose que par commodité entre la collectivité publique et l'entreprise titulaire du marché,
ce qui est très précisément la position du mandataire » (concl. Sur CE 30 mai 1975, Société
d'équipement de la région montpelliéraine, AJDA 1975, p. 345). Le tribunal des conflits a adopté
la même position que le Conseil d'Etat à propos d'un marché relatif à la construction de réseaux
d'assainissement et de distribution d'eau potable dans une station touristique dont l'aménagement
avait été concédé (TC 7 juillet 1975, Commune d'Agde, JCP 1975, II, 18171, note F. Moderne ; V.
également CE 27 janvier 1984, Ville d'Avignon c/ Da Costa Nunes, Rec. p. 28).
Une troisième situation, enfin est celle des personnes privées « transparentes ». Cette hypothèse
vise essentiellement, comme personnes privées, des associations. Il arrive en effet assez
fréquemment, aussi bien à l'échelon national qu'à l'échelon local, que des associations ne soient que
des pseudopodes de l'administration qui, parfois en a été à l'origine. Et même lorsque tel n'est pas le
cas, ces associations sont principalement, voire exclusivement, financées par la collectivité publique
dont elles dépendent totalement. Le juge va alors tenir compte de la réalité des choses et, à travers
la personne privée, voir l'action de la personne publique, la première agissant pour le compte de la
seconde. C'est ainsi, par exemple, qu'un comité des fêtes doit, « eu égard à sa composition et à son
mode de financement, (...) être regardé comme ayant agi pour le compte de la commune » (TC 22
avril 1985, Laurent ; V. également une décision qui a suscité de nombreux commentaires à propos
de la qualification, non du contrat mais du service public, CE 20 juillet 1990, Ville de Melun).
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Entre deux personnes publiques
Présomption d'administrativité
Entre deux personnes privées
le contrat ne peut être privé sauf :
• quand la personne privée est
mandataire d'une personne publique
• dans trois situations: contrats conclus
entre des personnes privées pour
la réalisation d'infrastructures routières
et autoroutières; l'une des personnes
privées contractantes, sans être
mandataire, apparaît comme agissant
« au nom et pour le compte » d'une
personne publique; entre personnes
dont l’une est «transparente ».
Critère organique du contrat administratif
§2. Les critères matériels du contrat administratif
Si le critère de la présence d'une personne publique au contrat (avec les exceptions qui viennent
d'être examinées) est satisfait il faut encore, pour que le contrat soit administratif, qu'il réponde
au critère alternatif suivant : soit faire participer le cocontractant privé à l'exécution du contrat, soit
contenir des clauses exorbitantes du droit commun.
Ce dernier est chronologiquement le premier mais la participation à l'exécution du service public est
devenu, en pratique, le critère le plus souvent utilisé, c'est pourquoi il sera examiné en premier.
A. Le caractère de contrat administratif lié au service public
L'un des deux critères matériels pouvant être retenu pour qualifier un contrat de contrat administratif
est celui du lien entre le contrat et le service public : il faut que ce lien soit suffisamment fort, et la
prise en compte de lien a donné lieu à une jurisprudence abondante.
1. Les diverses expressions de la liaison au service public
A partir de 1956, le juge va dégager un nouveau critère du contrat administratif, tiré du lien du contrat
avec le service public, et ce critère va connaître plusieurs expressions ce qui, parfois, va compliquer
son utilisation.
La première affirmation du critère est celle de la participation du cocontractant à « l'exécution même
du service public ». Ce critère est consacré dans une décision très importante, la décision du Conseil
d'Etat du 20 avril 1956, Epoux Bertin. En l'espèce il s'agissait d'un contrat, au surplus verbal, passé
par l'administration avec les époux Bertin en vue d'assurer la nourriture de ressortissants soviétiques
hébergés dans des centres avant leur rapatriement dans leur pays. Un litige opposa les époux Bertin
à l'administration. L'application des critères classiques aurait dû conduire à reconnaître à ce contrat
une nature privée car si l'une des parties était bien une personne publique, le seul critère matériel
existant alors, la clause exorbitante du droit commun, faisait défaut (et pour cause : on voit mal
comment on aurait pu trouver une clause exorbitante dans un contrat verbal).
Cependant cette solution n'apparaissait pas satisfaisante au commissaire du gouvernement, M.
Long : « le rapatriement des ressortissants étrangers, leur hébergement avant leur départ entre dans
les attributions les plus traditionnelles, les moins discutables de l'Etat », estimait-il. Dès lors, ajoutait
le commissaire du gouvernement, « nous devons nous demander si, lorsque l'objet du contrat est
l'exécution même du service public, cet objet ne suffit pas à le rendre administratif même s'il ne
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contient pas de clauses exorbitantes du droit commun ». Le Conseil d'Etat suivit son commissaire du
gouvernement et jugea que le contrat « a pour objet de confier, à cet égard, aux intéressés l'exécution
même du service public. (...) Cette circonstance suffit, à elle seule, à imprimer au contrat dont s'agit
le caractère d'un contrat administratif ».
Ce critère de la participation à l'exécution même du service public a été régulièrement repris par
la jurisprudence ultérieure et a servi à qualifier d'administratifs de nombreux contrats. Il est important
de préciser qu'il doit s'agir d'une participation, et pas simplement d'une collaboration (V. CE 6 mai
1985, Association Eurolat-Crédit foncier de France). Lorsque le cocontractant a seulement apporté
sa collaboration, celle-ci ne suffit à donner au contrat un caractère administratif. La difficulté, comme
l'on peut s'en douter, consiste à distinguer la participation de la simple collaboration. Dans une affaire,
qui fut célèbre par la complication à laquelle on parvenait par rapport à la modestie de ce qui était en
cause (V. ci-après), le Tribunal des conflits avait été ainsi amené à dire qu'une employée recrutée
contractuellement par une commune était agent de droit privé lorsqu'elle accomplissait la tâche de
femme de service chargée du nettoyage et de l'entretien des locaux scolaires, et agent public lorsque
l'été, durant les vendanges, elle assurait une garderie d'enfants (TC 25 novembre 1963, Dame veuve
Mazerand, Rec. p. 792). La solution Mazerand a été abandonnée en 1996, ainsi qu'on le verra plus
loin.
A côté de la participation à l'exécution du service public le Conseil d'Etat a eu recours à ce critère
de la liaison avec le service public, avec une formulation légèrement différente. Le même jour où
était rendue la décision Bertin une autre décision portait sur la nature juridique des contrats passés
par l'administration des eaux et forêts en vue de la réalisation d'opérations de reboisement sur
des terrains privés. Le Conseil d'Etat a décidé que ces contrats étaient des contrats administratifs
parce qu'ils constituaient « l'une des modalités de l'exécution même du service public » (CE 20
avril 1956, Ministre de l'agriculture c/ consorts Grimouard, Rec. p. 168). Selon un certain nombre
d'auteurs, ce critère se différencie du précédent en ce que, ici, la personne publique gère directement
le service public. Ce critère aurait pour conséquence, selon les mêmes auteurs, de pouvoir rendre
administratifs de nombreux contrats.
2. Applications du critère de la participation à l'exécution du service public
Le critère de la participation à l'exécution du service public a donné lieu à un grand nombre de
décisions de jurisprudence parmi lesquelles il convient de faire une place particulière aux contrats
de louage de service.
Les juges recourent fréquemment au critère de la participation au service public pour
qualifier un contrat de contrat administratif, avec des nuances, voire ce qui peut apparaître,
quelquefois, comme des divergences entre le juge administratif et le Tribunal des conflits.
Ainsi, le Conseil d'Etat a reconnu le caractère administratif à un contrat par lequel une société
loue des téléviseurs aux malades hospitalisés au motif que « les service hospitalier comprend
non seulement la dispense de soins mais également l'aménagement des conditions de séjour des
malades ; que la fourniture d'appareils de télévision aux personnes hospitalisées relève des éléments
de confort proposés aux intéressés pendant cette hospitalisation ; qu'ainsi le contrat dont il s'agit
a eu pour objet de faire participer la société (...) à l'exécution du service public hospitalier » (CE 8
juin 1994, Société Codiam, Rec. p. 294). La motivation est ici très intéressante par ce qu'elle dit du
service public, et il n'y aurait pas lieu de s'y attarder si le Tribunal des conflits, de son côté, n'avait
pas rendu une décision dans laquelle il reconnaît la nature de contrat de droit privé à un contrat
relatif à la fourniture de téléviseurs aux pensionnaires d'une maison d'arrêt en se fondant sur le fait
que le contrat était « conclu seulement pour les besoins du service public » (TC 23 novembre 1998,
Bergas, Rec. p. 550). La nuance entre les deux peut paraître quelque peu subtile. Naturellement,
quelle que soit la situation, la solution adoptée suppose que l'on ait affaire à un service public, et il
peut arriver que le juge constate l'absence de service public. Cela n'exclut pas nécessairement la
nature administrative du contrat si le juge trouve une clause exorbitante du droit commun rendant
ce dernier administratif, ainsi qu'on le verra plus loin.
Les contrats de louage de service sont à l'origine d'une importante jurisprudence. Les services
publics emploient en effet de nombreux agents, et si la plupart d'entre eux sont soumis à un statut,
qui est nécessairement, dans la conception traditionnelle, un statut de droit public (ce sont les
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fonctionnaires et autres agents publics soumis à un statut), un certain nombre de ces agents sont
des agents contractuels. La question qui revient de manière récurrente (en raison de la diversité des
situations) est celle de la nature du contrat liant l'agent à l'administration. Il convient de distinguer
selon la nature du service public.
En ce qui concerne les agents des services publics à caractère industriel et commercial (SPIC), on
a déjà eu la possibilité de voir que les agents étaient soumis à un régime de droit privé, que seuls
le directeur et le comptable (à supposer qu'il ait le statut de comptable public) étaient des agents
publics (CE 26 janvier 1923, de Robert Lafrégeyre et CE 8 mars 1957, Jalenques de Labeau ; V.
la leçon sur les services publics). Les contrats par lesquels les SPIC recrutent des agents sont
donc des contrats de droit privé.
En ce qui concerne les services publics administratifs, la jurisprudence de base est représentée par
la décision Affortit et Vingtain (CE 4 juin 1954, Affortit et Vingtain, Rec. p. 342, concl. Chardeau).
Dans cette décision, le Conseil d'Etat a décidé qu'un contrat liant un agent à un service public
administratif était un contrat administratif si ses fonctions le faisaient « participer directement
au service public ». C'est pourquoi, par exemple, le juge a considéré comme administratif le contrat
par lequel un office public d'HLM recrute un concierge (CE 10 mars 1959, Lauthier, D. 1960, p. 280,
note A. de Laubadère ; en revanche si le même concierge est recruté par une société d'HLM son
contrat sera privé parce que il y aura absence de personne publique, la société d'HLM étant, comme
sa dénomination l'indique, une personne privée). Ce critère apparaissait logique, mais il a abouti à
des complications excessives et incompréhensibles pour les intéressés, complications dont l'affaire
Dame veuve Mazerand, citée plus haut, est une illustration presque caricaturale : là où l'on pouvait
penser qu'il y avait contrat le juge en a vu deux, l'un de droit public, l'autre de droit privé. Cette
situation était difficilement acceptable du point de vue d'une bonne administration et d'une bonne
perception de la justice (même si, rappelons-le, sur le plan juridique elle était d'une logique parfaite).
C'est pourquoi le juge a cherché une simplification, dans la décision appelée désormais Berkani (TC
25 mars 1996, Préfet de la région Rhône-Alpes c/ Conseil des prud'hommes de Lyon, Rec. p. 535,
concl. Martin, AJDA 1996, p. 354, Chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux).
Le juge considère, depuis la décision Berkani, que les contrats par lesquels un service public
administratif recrute des personnels sont présumés être des contrats administratifs, quel que soit
l'emploi occupé par ces personnels.
La solution est simplificatrice, donc bienvenue. Toutefois, des exceptions existent. Tout d'abord,
le législateur peut parfaitement adopter une toute autre solution : c'est ainsi que les anciens
contrats emploi-jeunes, les contrats emploi-solidarité ont été qualifiés par le législateur de contrats
de droit privé, même lorsqu'ils étaient passés par des personnes publiques, et même lorsqu'il
s'agit d'un service public administratif (V. par ex. TC 27 avril 1998, Préfet de la région Auvergne).
Ensuite, la simplification ne vaut que pour les services publics administratifs, les exceptions citées
précédemment pour le directeur d'un SPIC et pour le comptable public valent toujours. Il peut
donc subsister des difficultés, notamment lorsque l'on a affaire à un établissement public dit « à
double visage » (V. la leçon sur la gestion des services publics). Enfin, même dans le cas d'un
service public administratif, des difficultés persistent quelquefois sur la qualification du contrat.
Soit, par exemple, un artiste chanteur recruté par un rectorat afin d'apporter son concours à des
établissements scolaires. En cas de litige il faut se demander s'il effectue des prestations au titre
d'artiste du spectacle, auquel cas, en vertu du code du travail, son contrat sera de droit privé, ou
s'il apporte son concours à des enseignements artistiques de l'établissement, auquel cas le contrat
sera administratif par application de la jurisprudence Berkani (V. TC 22 octobre 2001, M. Cabanel
c/ Recteur de l'académie de Grenoble). En matière d’enseignements artistiques, les cas litigieux et
discutables ont tendance à se multiplier et, en 2010, le Conseil d’Etat a renvoyé au Tribunal des
conflits du soin de trancher le point de savoir si les dispositions du code du travail invoquées parfois
par les reaquérants sont une exception à la jurisprudence Berkani et à la jurisprudence traditionnelle
sur les services publics administratifs (CE 26 mai 2010, M. Bussière-Meyer, req. n° 307628).
Participation au service public
Présence de dispositions exorbitantes du
droit commun
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Les critères matériels du contrat administratif
B. Le caractère administratif du contrat lié à la présence de dispositions
exorbitantes dans le contrat
Lorsque le contrat ne comporte pas de participation du cocontractant à l'exécution du service public,
il peut cependant être administratif (en supposant toujours satisfaite l'exigence de la présence d'une
personne publique) s'il comporte des dispositions exorbitantes.
L'expression utilisée ici est volontairement vague pour recouvrir les deux hypothèses que l'on
rencontre, celle, classique, de la clause exorbitante, celle, plus mystérieuse, du régime exorbitant.
1. La clause exorbitante du droit commun
La clause exorbitante du droit commun est le critère matériel le plus ancien puisque, avant la
jurisprudence Bertin, c'était le seul critère auquel avait recours le juge. La présence d'une clause
exorbitante dans un contrat auquel est partie une personne publique est un contrat administratif, ce
principe comportant quelques exceptions.
Le principe est donc à la fois simple et très sûr : si l'on peut identifier, dans un contrat, la présence
d'une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit commun, le contrat sera administratif.
Précisons seulement que la clause en question doit être explicite, et que la déclaration de volonté
ne suffit pas. Reste la question essentielle qui se pose inévitablement : que doit-on entendre par
clause exorbitante du droit commun ?
Les auteurs ont adopté des définitions différentes de la clause exorbitante du droit commun. Pour
Marcel Waline, est une clause exorbitante « toute clause qui, dans un contrat de droit privé, serait
nulle comme contraire à l'ordre public ». Cette définition assez tranchée soulève un certain nombre
d'interrogations tenant à la notion d'ordre public, notion qui est différente selon les droits que l'on
examine (la notion d'ordre public n'est pas la même en droit public et en droit privé), voire au sein
d'un même droit (en droit public, la notion d'ordre public est différente selon que l'on s'en tient à la
police administrative ou que l'on prend un champ plus vaste). Pour Georges Vedel, en revanche,
la clause exorbitante n'était pas celle qui aurait été illicite dans un contrat de droit privé, mais une
clause que l'on n'y rencontrait pas fréquemment. Dans son ouvrage sur les contrats administratifs C.
Guettier écrit : « Clause inusuelle, impossible ou illicite en droit privé ... La clause exorbitante reste
donc en partie insaisissable dans ses différentes expressions jurisprudentielles ».
Plutôt que d'ajouter une définition supplémentaire, ou de discuter des différentes conceptions - ce que
l'on pourrait faire longuement - tenons-nous en à la jurisprudence, qui a fourni elle-même, parfois, des
définitions de ladite clause. Le juge administratif a ainsi été amené à dire que les clauses exorbitantes
sont des stipulations « ayant pour effet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge
des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont librement consentis par quiconque dans
le cadre des lois civiles et commerciales » (CE 15 février 1935, Société française de constructions
mécaniques, Rec. p. 201). Cette définition ne résout pas les difficultés conceptuelles, mais elle est
satisfaisante et l'on peut la retenir.
On peut dire également - mais c'est une formulation encore plus vague, sans être inexacte pour
autant - que les clauses exorbitantes sont celles qui portent « la marque administrative ». Citons en
quelques exemples. Tel est le cas des clauses qui donnent un contrôle exorbitant à l'administration
(CE 25 mars 1949, Société Joseph Huret, Rec. p. 151). Sont encore des clauses exorbitantes des
clauses prévoyant le recouvrement des créances contractuelles par le procédé de l'état exécutoire
et consentant des exonérations fiscales au cocontractant exploitant un théâtre municipal (TC 2 juillet
1962, Consorts Cazautets c/ Ville de Limoges, Rec. p. 823). Ce peuvent être, également, des clauses
inégalitaires, qui placent le cocontractant sous le contrôle d'une personne publique : tel est le cas,
pour l'exploitation d'un restaurant, du contrôle exercé sur le personnel employé et sur les tarifs
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pratiqués (TC 7 juillet 1980, Société d'exploitation touristique de Haute Maurienne, Rec. p. 509). Ou
encore, sont de telles clauses des clauses qui déterminent le genre et la fréquence des spectacles
à organiser dans un théâtre municipal (consorts Cazautets précité), des clauses de suspension ou
de résiliation. En revanche, ne constitue pas une clause exorbitante la faculté, prévue par le contrat,
de mettre fin préventivement au contrat (TC 12 décembre 2011, Commune de Nouméa c/ Sté Lima,
req. n° 3824).
On a dit plus haut que ce principe de la clause exorbitante, tout en étant bien affirmé, comportait
quelques exceptions. Ce sont notamment les suivantes.
En premier lieu, lorsque un contrat administratif contient des clauses qui sont exorbitantes, non pas
du droit privé, mais du droit administratif lui-même, de telles clauses sont illégales : le juge a ainsi
considéré comme nulles des clauses incompatibles avec les principes de la domanialité publique
(CE 6 mai 1985, Association Eurolat-Crédit foncier de France).
En second lieu (et nous avons cité ce point lors de la leçon sur les services publics à caractère
industriel et commercial, à laquelle on renvoie), les contrats conclus par un SPIC avec ses usagers
sont toujours des contrats de droit privé, et cela même s'ils contiennent une clause exorbitante (CE 13
octobre 1961, Etablissements Campanon-Rey, AJDA 1962, p. 98, concl. Heumann ; TC 17 décembre
1962, Dame Bertrand, rec. p. 831, concl. Chardeau). C'est là, ainsi que nous l'avons vu, l'expression
d'une volonté du juge de créer un « bloc de compétences » au profit du juge judiciaire pour simplifier
la vie des plaideurs.
2. Le régime exorbitant du droit commun
Il arrive parfois qu'un contrat ne contienne, à proprement parler, aucune clause exorbitante.
Toutefois son examen laisse clairement apparaître qu'il baigne dans un climat de droit public
(ces expressions peuvent paraître à juste titre non juridiques, mais elles ont été utilisées par le
commissaire du gouvernement dans ses conclusions sur l'affaire citée plus loin). Dans ce cas, ce
n'est pas une clause en particulier qui conduit à qualifier le contrat d'administratif, mais l'ensemble
des dispositions du contrat, d'où l'expression de « régime exorbitant ».
Même si, selon certains auteurs, le critère du régime exorbitant n'était pas inconnu avant 1973, c'est
incontestablement par une décision du 19 janvier 1973, Société d'exploitation électrique de la rivière
du Sant (AJDA 1973, p. 360, chron. D. Léger et M. Boyon, CJEG1973 p. 242, concl. RougevinBaville) que ce critère a reçu sa consécration. Dans cette affaire il s'agissait de la vente d'électricité
à EDF par un producteur autonome (la loi de nationalisation de 1946 ayant laissé subsister certains
producteurs dont, d'ailleurs, des collectivités locales qui avaient des régies de gaz et d'électricité).
Le contrat ne comprenait pas de clause exorbitante, il n'établissait pas de lien avec le service public
parce que les producteurs autonomes n'avaient aucune responsabilité dans la gestion du réseau de
distribution et n'étaient pas soumis à des obligations telles que l'on pût parler de « l'exécution même
» du service. Cependant le commissaire du gouvernement relevait que le contrat était régi par des
règles originales et, en particulier, EDF était tenu, en vertu d'un décret du 20 mai 1955, d'acheter
l'électricité produite par ces entreprises à un prix fixé par arrêté et donnait compétence au ministre
chargé de l'électricité pour le règlement des difficultés soulevées par l'exécution de ces contrats
avant tout recours juridictionnel. Suivant son commissaire du gouvernement, le juge a considéré que
le contrat était administratif.
La doctrine a beaucoup débattu de ce critère du régime exorbitant du droit commun, et deux positions
se sont dégagées. Pour les uns, le régime exorbitant est un critère tout à fait distinct de la
clause exorbitante. Pour d'autres il est plutôt à rattacher à cette dernière. Sans discuter du bien
fondé de ces positions on indiquera seulement que l'on adopte ici cette seconde conception, ce que
traduit la présentation qui a été choisie du régime exorbitant.
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Quoi qu'il en soit, au demeurant, tous les commentateurs sont d'accord pour dire que le critère
du régime exorbitant est un critère qui est d'application rare. Il n'y adonc pas lieu de s'étendre
longuement sur l'interrogation, purement doctrinale au surplus, précédente, il suffit de savoir qu'il
existe et qu'il peut être appliqué.
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Section 2. Les principaux types de contrats administratifs
L'étude des différents contrats administratifs constitue un cours en soi. Il n'est donc pas question de
présenter ici en détail tous les contrats administratifs. On se bornera à en donner une présentation
générale.
Une distinction s’impose aujourd’hui, entre les contrats qui comportent délégation de service public
et les autres, et l’on y ajoutera une autre catégorie de contrats, qui connaît un grand engouement
aujourd’hui, et fait l’objet de plusieurs réformes législatives et de constantes adaptations, les
contrats de partenariat.
§1. Les contrats comportant délégation de la gestion d'un service
L'expression « délégation de service public », aujourd'hui utilisée, résulte d'une loi du 6 février 1992
relative à l'administration territoriale de la République (et que l'on nomme, pour cette raison, loi ATR).
Elle recouvre des catégories traditionnelles de contrats, mais qui ont été renouvelées sous l'influence,
notamment, du droit communautaire.
Les contrats de délégation de service public présentent un certain nombre de caractéristiques
communes : ils résultent obligatoirement d'un contrat (il ne peut y avoir de délégation unilatérale) ;
la délégation peut comporter la dévolution d'une partie ou de l'ensemble du service public et porter
aussi bien sur un service public administratif que sur un service public à caractère industriel et
commercial ; elle doit confier au délégataire la gestion même du service public, elle ne doit pas se
borner à fournir au service les moyens ; la rémunération du concessionnaire doit comporter une
part d'aléas économique et financier.
On peut distinguer la concession des autres formes de délégation de service public.
A. La concession
La concession est un contrat par lequel une personne publique, appelée concédant, confie à une
autre personne, qui est normalement une personne privée, et qui est appelée concessionnaire, la
gestion d'un service public ou la réalisation d'un travail public, ou les deux à la fois, à charge pour ce
concessionnaire de se rémunérer sur les usagers en leur faisant acquitter une redevance pour les
service fourni. Il peut exister une concession de travail public sans service public (ce fut le cas de la
concession de chutes d'eau en zone montagneuse pour la réalisation d'un barrage) et concession
de service public sans concession de travail public.
L'hypothèse la plus fréquente est cependant celle dans laquelle on trouve simultanément une
concession de travail public et une concession de service public. Tel est le cas lorsque le
concessionnaire se voit confier la réalisation d'un ouvrage public et, lorsque celui-ci est achevé,
l'exploitation de cet ouvrage, par exemple les travaux autoroutiers (construction et gestion
d'autoroutes, ponts à péage, tunnels routiers).
Originellement le concessionnaire est une personne privée et, au 19ème siècle, pour la construction
des canaux d'abord, des chemins de fer ensuite, ce fut la solution qui fut adoptée. Au 20ème siècle on
a pu rencontrer des situations qui s'écartaient de ce schéma dans la mesure où le concessionnaire a
pu être une personne publique. Cela correspond aux nationalisations qui ont été opérées en France
en 1936, puis en 1946 et en 1981-1982. La loi de nationalisation de l'électricité et du gaz, qui a créé
les établissements publics d'EDF (Electricité de France) et de GDF (Gaz de France) a laissé subsister
certaines entreprises de production d'électricité ou de gaz, notamment les entreprises de production
dont disposaient certaines communes de montagne, mais ces communes ont dû concéder à EDF
la distribution de l'électricité qu'elles produisaient. De même encore la loi sur la communication
audiovisuelle a prévu la possibilité de concéder l'exploitation d'entreprises de communication à des
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personnes publiques ou privées. Il est vrai qu'à la date de cette loi certaines de ces entreprises
étaient sous forme de personnes publiques, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.
La conclusion du contrat de concession a longtemps été dominée par le principe de l'intuitu personae,
c'est-à-dire le choix fait par la personne publique de son concessionnaire en considération de la
personne, et l'on estimait que c'était là l'une des caractéristiques de la concession. Celle-ci doit obéir
aujourd'hui, sous l'influence du droit communautaire, à une mise en concurrence effective, mais qui
ne supprime pas la liberté de choix du concédant, ce choix demeurant librement effectué.
Au départ, la durée de la concession était généralement longue, parce que l'on estimait que cela
était nécessaire pou permettre au concessionnaire d'amortir les investissements qu'il avait réalisés.
Aujourd'hui la loi (article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales) impose une limitation
de cette durée, qui est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au
concessionnaire. Il est seulement précisé que dans le domaine de l'eau potable, de l'assainissement,
des ordures ménagères et autres déchets, les délégations ne peuvent pas avoir, en principe, une
durée supérieure à vingt ans. Une prorogation de la concession est possible à condition de ne pas
excéder un an.
La concession comporte deux types d'actes, le cahier des charges, qui est rédigé en fonction
d'un chier des charges type applicable en fonction de l'objet du contrat de concession, et le
contrat de concession proprement dit, qui est la partie contractuelle du document. Ce contrat de
concession comprend des dispositions qui sont pour partie réglementaires (ce sont les clauses du
contrat relatives aux conditions de gestion du service public concédé) et pour partie véritablement
contractuelles (ce sont celles relatives aux conditions financières du contrat, qu'il s'agisse des tarifs,
des recettes, des subventions et aides diverses). Le contrat de concession est soumis au droit de
la concurrence.
Les relations entre le concédant et le concessionnaire sont commandées par cette double nature
du contrat, le concédant disposant à l'égard du concessionnaire de pouvoirs exorbitants, mais
également d'obligations exorbitantes.
Les pouvoirs du concédant sont des pouvoirs de contrôle de la bonne exécution du contrat, avec la
possibilité de donner des ordres, ce sont également des pouvoirs de sanction, sanctions financières
(pénalités) et sanctions administratives (avec la possibilité de mise sous séquestre de l'exploitation).
Ce sont également des pouvoirs de modification unilatérale du contrat, qui ont soulevé beaucoup
de discussions, car ils apparaissent comme les plus dérogatoires au droit commun. Cependant, si
un tel pouvoir a effectivement été reconnu au concédant, et ceci dans tous les types de concession,
il n'est pas aussi étendu qu'on l'a parfois prétendu, ce n'est pas un pouvoir discrétionnaire, il doit
être commandé par l'unique préoccupation de l'intérêt général, et il est étroitement contrôlé par le
juge administratif.
Le concédant a également des obligations : il est tenu de garantir l'exécution paisible du
contrat, il doit respecter les conditions de rémunération et, plus généralement, les conditions
de ce que l'on appelle « l'équilibre financier » du contrat, qu'il ne peut remettre en
cause (c'est pourquoi, si le concédant aggrave les conditions d'exécution du contrat, il doit
compenser financièrement ces charges nouvelles). Le concédant doit également venir en aide à
son cocontractant si celui-ci rencontre des difficultés, car il importe avant tout que l'intérêt général
soit satisfait, que le service ne soit pas interrompu, et cette obligation apparaît en particulier dans la
théorie que l'on appelle la théorie de l'imprévision.
Le concessionnaire dispose de droits et se trouve soumis à des obligations qui sont l'exacte
contrepartie des droits et des obligations du concédant. Il a le droit à ce que certains moyens d'action
lui soient accordés, ces droits consistant par exemple en prérogatives de puissance publique, avec
la possibilité d'exproprier, des droits d'occupation du domaine public. Il a droit, naturellement, à
rémunération, celle-ci consistant en une redevance perçue sur les usagers du service public, il a
droit à l'équilibre financier du contrat. Il peut se voir reconnaître un certain nombre de privilèges tels
que le monopole d'exploitation et, lorsque cela est juridiquement possible, la protection contre la
concurrence. Il peut exiger du concédant que celui-ci lui vienne en aide s'il rencontre des difficultés.
Le concessionnaire a également des obligations : obligation d'exécuter correctement et loyalement le
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contrat, obligation d'accomplir les travaux supplémentaires qui lui sont demandés par le concédant,
soumission aux contrôles et aux ordres de service du concédant, interdiction de recourir à la soustraitance sans l'accord du concédant.
La concession prend fin, normalement, par l'arrivée du terme prévu, c'est-à-dire l'expiration de
la durée pour laquelle le contrat avait été conclu. Mais il existe d'autres hypothèses de fin de la
concession : il peut s'agir de la survenance d'un cas de force majeure, il peut s'agir également du
rachat de la concession, qui constitue un droit pour le concédant, il peut s'agir enfin de la déchéance,
qui constitue la plus grave des sanctions pouvant être prononcées contre le concessionnaire.
B. Les autres contrats de délégation de service public
Parmi les contrats de délégation de service public on trouve, outre la concession, des types de
contrats tels que l'affermage ou la régie intéressée.
L'affermage est un contrat par lequel une personne publique charge, sous son contrôle,
un cocontractant appelé fermier, d'exploiter un service public moyennant la perception de
redevances sur les usagers. L'affermage se rapproche donc de la concession, mais une double
différence l'en distingue. D'une part, le fermier prend en charge un service public qui existe déjà,
il reçoit de l'administration des ouvrages et des installations qu'il n'a pas lui-même créés ; d'autre
part, il verse à l'administration une redevance pour l'utilisation de ces ouvrages. Une autre différence
importante existe dans le régime juridique applicable : le juge se reconnaît le pouvoir d'annuler la
résiliation illégale d'une concession, il ne se reconnaît pas ce pouvoir dans le cas d'un affermage,
dans cette dernière hypothèse l'illégalité de la résiliation se résout en l'octroi de dommages intérêts.
L'affermage peut ne porter que sur une partie d'un service public, à condition que n'en résultent
pas pour les usagers des différences de traitement autres que celles découlant, soit d'une nécessité
d'intérêt général, soit de l'existence entre eux de différences objectives de situations.
Le terme d'affermage est parfois utilisé dans des situations qui ne relèvent pas du régime juridique
de ce dernier. Ainsi, on parle, dans les textes, de l'affermage des droits de place sur les halles et
marchés (ce sont des droits que paient les commerçants pour pouvoir s'installer sur ces marchés),
ainsi que de l'affermage des taxes municipales. Mais, en dépit de cette dénomination trompeuse, il
ne s'agit pas d'affermage au sens juridique du terme. Il s'agit, pour une personne privée, de percevoir
des taxes pour le compte d'une personne publique et de les lui remettre, ce sont d'ailleurs là, non
pas des contrats de droit public mais des contrats de droit privé dont le contentieux relève du juge
judiciaire en vertu d'un décret de 1809.
Un autre contrat de délégation de service public, beaucoup moins fréquent que le précédent, est celui
de la régie intéressée. Malgré sa dénomination, trompeuse, la régie intéressée n'est pas une régie,
celle-ci étant la gestion directe du service par la personne publique, avec ses moyens financiers,
son personnel, et sans que le service apparaisse directement. La régie intéressée est un contrat,
par lequel une personne publique confie à un cocontractant qui est une personne privée,
personne physique ou morale, appelée régisseur, le soin d'exploiter un service public que
cette personne publique a elle-même créé et organisé.
L'une des particularités de la régie intéressée est le mode de rémunération du régisseur. Celui-ci
est rémunéré en fonction des résultats de l'exploitation du service, ces résultats pouvant ne pas être,
ou ne pas être seulement, des bénéfices financiers mais des prestations matérielles non directement
financières. Il s'agit en fait pour l'administration de s'assurer le concours actif du régisseur en lui
attribuant des primes. La régie intéressée ressemble à la concession en ce que l'administration se
fait assister par le régisseur, mais elle s'en distingue par le mode de rémunération. Sur les autres
points la régie intéressée peut se comparer à la concession. Mais, de ce fait, elle présente en
définitive, aujourd'hui, un intérêt limité, les inconvénients paraissant l'emporter sur les avantages, et
c'est pourquoi les personnes publiques y recourent beaucoup moins qu'autrefois.
§2. Les contrats ne comportant pas délégation d'un service public
Les contrats ne comportant pas délégation de la gestion d'un service public constituent une catégorie
très hétérogène au sein de laquelle il existe une grande variété de contrats. A titre d'exemples on
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peut citer l'offre de concours, qui s'apparente quelque peu au marché de travaux publics. L'offre de
concours est un contrat par lequel une personne, publique ou privée, s'engage à participer, parce
qu'elle y trouve un intérêt, à participer, ou bien en nature (par l'apport d'un bien, par exemple un
immeuble constitué par un chemin), ou bien en espèces, aux frais nécessités par un travail public
qu'elle souhaite voir réaliser. L'administration bénéficiaire de l'offre n'est pas tenue d'accepter celleci, sauf dans des cas très particuliers.
On peut citer encore le marché d'entreprise de travaux publics (METP), qui est un contrat par lequel
une personne publique confie à un entrepreneur, contre paiement d'un prix à celui-ci, soit à la fois
la construction d'un ouvrage nécessaire à un service public (auquel cas on se trouve dans une
situation assez comparable à celle d'un marché public) et l'exploitation de cet ouvrage (ce qui est
une situation assez comparable à celle de la concession), soit seulement l'exploitation de celui-ci.
On peut encore citer la concession sur créments futurs, qui est un contrat par lequel un particulier
s'engage à exécuter à ses frais des travaux destinés à conquérir des travaux sur la mer ou sur un
étang et reçoit, en contrepartie, la jouissance des terrains asséchés ou exondés.
Mais la catégorie la plus importante au sein des contrats ne comportant pas délégation de la gestion
d'un service public est représentée par les marchés publics, auxquels on va s'attacher maintenant.
Les marchés publics constituent une catégorie de contrats très ancienne, et avec une réglementation
qui intervient tôt, puisque dès 1800 le législateur va décider que ces marchés sont des contrats
administratifs. Mais la définition contemporaine des marchés publics est devenue plus compliquée
qu'elle n'était car on se trouve avec une double définition des marchés publics, la définition donnée
par le droit administratif français et la définition donnée par le droit communautaire, ces deux
définitions ne coïncidant pas exactement entre elles.
A. La définition des marchés publics en droit interne français
Dès le Moyen Age on trouve des réglementations pour soumettre à concurrence les marchés que
passe la monarchie. Mais si la réglementation remonte à un passé lointain, ce n'est qu'en 1964
que paraît le premier code des marchés publics, ce code ayant connu de multiples transformations,
avec la parution en 2001 d'un code modifié, puis, en 2004, d'un Nouveau code des marchés publics,
qui doit lui-même céder sa place en 2006 à un code refondu.
Il convient d'ajouter que si ce code donne une lisibilité aux dispositions qui commandent les marchés
publics, de nombreuses règles concernant les marchés publics se trouvent dans d'autres
codes, comme le code pénal, ou en dehors de tout code, comme par exemple les dispositions
sur la sous-traitance, sur la maîtrise d'ouvrage publique, ou encore les dispositions sur la
transparence et la régularité des procédures de passation des marchés, qui figurent dans des
lois spécifiques qui ont un champ plus large que celui des seuls marchés, lois de 1991, 1992
et 1993, en particulier la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la
transparence économique et des procédures publiques, ou encore la loi du 11 décembre 2001
portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (dite loi MURCEF).
Le nouveau code des marchés publics donne une définition des marchés publics plus précise que
le précédent code. Selon le nouvel article 1er du code : « Les marchés publics sont les contrats
conclus à titre onéreux avec des personnes publiques ou privées par les personnes morales
de droit public mentionnées à l'article 2 pour répondre à leurs besoins en matière de travaux,
de fournitures ou de services ». Cette définition appelle quelques précisions.
En ce qui concerne tout d'abord les parties au contrat, il s'agit des personnes publiques mentionnées
à l'article 2 du code, à savoir, l'Etat, ses établissements publics administratifs, les collectivités
territoriales et leurs établissements publics. Cela signifie tout d'abord que certaines personnes
publiques ne sont pas soumises au code des marchés publics. Ce sont les établissements publics
à caractère industriel et commercial de l'Etat (mais non pas ceux des collectivités territoriales), ainsi
que certaines personnes auxquelles le Conseil d'Etat a reconnu la nature de personnes publiques
spécifiques, cela s'appliquant, pour l'instant, à la Banque de France ainsi qu'aux groupements
d'intérêt public (GIP à propos desquels on s'est demandé, pendant plusieurs années, s'il s'agissait
de personnes publiques à part, ou d'une forme particulière d'établissements publics, jusqu'à ce que
le Conseil d'Etat déclare, dans un arrêt de 2000, qu'il s'agissait de personnes publique spécifiques).
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Ces exclusions s'expliquent parce que ces personnes interviennent dans le domaine industriel et
commercial. Toutefois, comme ces personnes sont susceptibles d'être considérées par le droit
communautaire comme des « pouvoirs adjudicateurs », la loi MURCEF organise une procédure
de mise en concurrence pour certains de leurs contrats.
Ajoutons, sur ce point, deux précisions
• D'abord, il est toujours possible de se soumettre volontairement au code des marchés publics
mais, dans ce cas, ce sont toutes les règles du code qui doivent être respectées du début
jusqu'à la fin de la procédure.
• Ensuite, le code a repris une solution consacrée par le juge administratif selon laquelle une
personne privée agissant sur le fondement d'un mandat, exprès ou tacite, d'une personne
publique, est soumise au code.
Par ailleurs, traditionnellement il était admis que le code des marchés publics n'était pas applicable
aux contrats conclus entre des personnes publiques. Le Conseil d'Etat a fini par se prononcer,
dans un avis contentieux du 8 novembre 2000 (Société Jean-Louis Bernard Consultants) sur cette
question en faisant valoir qu' « aucun texte ni aucun principe n'interdit, en raison de sa nature, à
une personne publique de se porter candidate à l'attribution d'un marché public ou d'une délégation
de service public » en précisant que devait être garantie « l'égalité des conditions concurrentielles
» entre candidats publics et privés, et la Cour de justice des communautés européennes s'était
prononcée en 2000 dans le même sens. Le nouveau code des marchés publics a tranché la question
en soumettant les marchés conclus entre personnes publiques à ses dispositions.
En ce qui concerne, ensuite, l'objet du contrat, certains contrats sont inclus, en raison de leur objet,
dans le champ d'application du code tandis que d'autres en sont exclus, également en raison de
leur objet.
S'agissant tout d'abord de l'objet des contrats inclus dans le champ d'application du code des
marchés publics, selon ce dernier l'objet d'un marché est de répondre aux besoins des collectivités
publiques en matière de « travaux, de fournitures ou de services ».
Pour ce qui concerne les travaux, le code définit le marché public de travaux comme le contrat
ayant pour objet « la réalisation de tous travaux de bâtiment ou de génie civil à la demande d'une
personne publique exerçant la maîtrise d'ouvrage ». Ce type de marché public s'applique donc aux
seules hypothèses dans lesquelles une personne publique est maître d'ouvrage. Cela exclut tous
les contrats dans lesquels la personne publique commande la construction d'un ouvrage sans pour
autant en assurer la maîtrise d'ouvrage, et c'est le cas, par exemple, des baux emphytéotiques
administratifs (BEA), ou encore des ventes en l'état futur d'achèvement (VEFA).
En ce qui concerne ensuite les marchés de fournitures, le code consacre la conception extensive
retenue par le droit communautaire en indiquant que ces marchés ont pour objet non seulement
l'achat, mais également la prise en crédit-bail, la location ou la location-vente de produits ou
matériels.
En ce qui concerne enfin les marchés de services, selon le code ils ont pour objet « la réalisation
de prestations de services », ces prestations pouvant être très diverses et pouvant consister,
par exemple, en des études, des opérations de maîtrise d'oeuvre, de nettoyage de locaux, de
développement de logiciels, etc.
En fonction toujours de l'objet, certains contrats sont exclus du champ d'application du code.
L'article 3 du code en dresse une liste. Ce sont « les contrats qui ont pour objet l'acquisition ou la
location de terrains, de bâtiments existants ou d'autres biens immeubles, ou qui concernent d'autres
droits sur ces biens ; toutefois, les contrats de services financiers conclus en relation avec le contrat
d'acquisition ou de location sous quelque forme que ce soit, entrent dans le champ d'application du
code ».
C'est également le cas des contrats ayant pour objet l'achat, le développement, la production ou la
coproduction de programmes par des organismes de radiodiffusion et pour les contrats concernant
les temps de diffusion ; les contrats relatifs à des programmes de recherche-développement
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auxquels une personne publique contribue sans les financer intégralement ni en acquérir
complètement les résultats ; les contrats relatifs à des fournitures, des travaux ou des services
conclus pour le compte d'une organisation internationale,etc. En fait ces exclusions consacrées par
le code ne font que reprendre les exclusions instituées par les directives communautaires.
Toutefois le législateur français avait ajouté d'autres exclusions, en particulier les contrats d'achat
d'oeuvres d'art ou d'objets d'antiquité ou de collection. L'exclusion de ces contrats du champ
d'application du code des marchés publics avait été justifiée par l'objet même de ces contrats, car on
avait estimé que du fait de leurs particularités ces contrats ne pouvaient s'adapter aux procédures
de passation des marchés publics. Mais la Commission européenne a considéré cette exclusion
contraire à une directive. En arrière-plan de cette exclusion on trouve naturellement le débat sur
ce que l'on a appelé, en France, « l'exception culturelle ». Pour tenir compte des réserves de la
Commission le code des marchés publics de 2004 a adopté une formulation différente, en excluant
du code les biens qui, « en raison de leur nature et de leurs caractéristiques, ne permettent pas la
mise en oeuvre de procédures de publicité et de mise en concurrence ».
D'autres exclusions concernent les contrats qui ont pour objet des emprunts ou des engagements
financiers, les premiers étant considérés comme contraires aux directives communautaires par la
Commission. Les contrats de mandat avaient été également exclus mais, après la critique de la
Commission, qui a fait valoir qu'à partir du moment où ils donnaient lieu à une prestation rémunérée,
ils pouvaient être requalifiés en marchés de travaux ou de services au regard des directives, et après
une censure sur ce même fondement par le Conseil d'Etat dans un arrêt de 2003, cette exception
a disparu dans la version de 2004 du code.
B. La définition des marchés publics par le droit communautaire
Les institutions communautaires ont estimé que ce qu'elles ont appelé le droit de la « commande
publique » devait être soumis aux principes du droit communautaire et ont élaboré à cette fin des
directives spécifiques, qui sont intervenues en 1992 et 1993.
Il convient d'ajouter que la définition communautaire des marchés publics ne résulte pas seulement
des directives mais également de l'interprétation, extensive, qui a été donnée de ces dernières par la
Cour de justice des communautés européennes (CJCE), la Cour ayant même, à partie des principes
généraux du droit communautaire, consacré des principes spécifiques applicables aux marchés tels
que le principe de l'égalité de traitement, le principe de transparence, le principe de reconnaissance
mutuelle.
En ce qui concerne les parties, les directives font entrer dans ce droit de la commande publique,
et sous l'appellation de « pouvoirs adjudicateurs » l'Etat, les collectivités territoriales, mais
également les « organismes de droit public ». Ces organismes sont définis par une directive
de 1993 comme des « organismes créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt
général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, ayant la personnalité juridique et
dont soit l'activité est financée majoritairement par l'Etat, les collectivités territoriales ou d'autres
organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe
d'administration, de direction ou de surveillance est composée de membres dont plus de la moitié
est désignée par l'Etat, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public ».
Et, selon la jurisprudence communautaire, un organisme est un pouvoir adjudicateur dès qu'il a la
personnalité juridique, qu'il est soumis au contrôle de l'Etat ou d'autres collectivités publiques et
qu'il a été spécifiquement créé pour satisfaire des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre
qu'industriel et commercial.
Cette notion d'organisme de droit public peut soulever, du point de vue du droit français, des
hésitations, car elle peut s'appliquer aussi bien à des personnes privées qu'à des personnes
publiques. Quant à la notion de besoins d'intérêt général autre qu'industriel et commercial elle
est entendu également largement par la Cour de justice des communautés. Cette Cour estime
qu'entrent dans ce champ des activités telles que la fabrication d'imprimés officiels, les passeports,
les permis de conduire, les cartes d'identité, ou encore l'enlèvement et le traitement des ordures
ménagères, la gestion de réseaux publics de télécommunications et la fourniture de services publics
de communication.
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Même si l'on s'en tient au seul droit communautaire on relève certaines difficultés, qui tiennent
notamment au fait que les différentes directives sur les marchés publics n'ont pas la même
définition de ces derniers selon les secteurs considérés, cette définition étant plus ou moins
large. Ainsi, la directive dite « secteurs spéciaux », qui régit les secteurs de l'eau, de l'énergie,
des transports et des télécommunications, adopte un critère de définition qui n'est pas seulement
organique mais est également matériel : le premier est largement entendu, mais, du point de vue
matériel, ne sont concernées que les entités qui assurent certaines activités dans les domaines
couverts par la directive.
En ce qui concerne l'objet du contrat, le droit communautaire se caractérise également par une
approche plus extensive que le droit français. En ce qui concerne les marchés publics de travaux,
la directive de 1993 qui les régit les définit comme « des contrats à titre onéreux, conclus par écrit
entre, d'une part, un entrepreneur et, d'autre part, un pouvoir adjudicateur et ayant pour objet soit
l'exécution, soit conjointement l'exécution et la conception des travaux (...), soit la réalisation, par
quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur
». Cette définition est beaucoup plus large que celle du droit interne français et englobe, par exemple,
les baux emphytéotiques ou les ventes en l'état futur d'achèvement, qui sont exclus de la définition
française.
En ce qui concerne les marchés publics de fourniture, une autre directive de 1993 les définit
comme « des contrats conclus par écrit à titre onéreux ayant pour objet l'achat, le crédit-bail, la
location ou la location-vente, avec ou sans option d'achat, de produits entre un fournisseur (personne
physique ou morale), d'une part, et, d'autre part, un des pouvoirs adjudicateurs. La livraison de
produits peut comporter, à titre accessoire, des travaux de pose et d'installation ». Sur ce point la
définition française et la définition communautaire coïncident.
En ce qui concerne les marchés publics de services, le droit communautaire éprouve quelques
difficultés à les définir. Selon le Traité ce sont des prestations « qui ne sont pas régies par les
dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes » et la
directive de 1992 sur ces marchés déclare que les marchés de service sont « des contrats à titre
onéreux conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur, à l'exclusion des
marchés publics de fournitures et des marchés publics de travaux », cette catégorie de marchés étant
donc définie de manière négative. La directive comprend deux annexes plus explicites, la première
(annexe I A) dressant une liste exhaustive des services destinés à être directement ouverts à la
concurrence, la seconde annexe (annexe I B) couvrant « tous les autres services », qui bénéficient
d'un régime transitoire avec des obligations allégées de publicité.
Les directives communautaires ont contraint les pouvoirs publics français à revoir le système
de certains contrats, notamment ceux concernant les prestations de services techniques
que, traditionnellement, les services de l'Etat apportaient aux collectivités territoriales. Le
concours de ces services de l'Etat aux collectivités territoriales était considéré par la jurisprudence du
Conseil d'Etat comme étant de nature contractuelle, et il était également admis que ces contrats ne
relevaient pas du code des marchés publics, ce qui les faisaient dès lors échapper à toute exigence
de concurrence avec les professionnels du secteur privé. Les nouvelles exigences du droit de la
concurrence résultant, tant des dispositions de droit interne que du droit communautaire ont contraint
les pouvoirs publics à revoir le dispositif, et c'est ce qui a été effectué par la loi du 11 décembre
2001, dite loi MURCEF. Toutefois cette loi réserve toujours aux services de l'Etat la conclusion, sans
mise en concurrence, de certaines conventions d'assistance technique avec les communes et leurs
groupements, et la compatibilité de ce dispositif avec le droit communautaire demeure douteuse.
§3. Les contrats de partenariat
Une ordonnance du 17 juin 2004, appliquant la directive du Parlement européen et du Conseil
du 31 mars 2004, a créé une nouvelle catégorie de contrats, les contrats de partenariat, vite
appelés contrats PPP (pour partenariat public-privé). Ces contrats représentent une association de
personnes publiques et de personnes privées qui décident d'agir en commun en vue de répondre
à un besoin collectif et en partageant les ressources, les risques et les profits. Outre l'ordonnance
du 17 juin 2004, puis la loi du 28 juillet 2008 qui en a élargi les possibilités tout en apportant
des aménagements techniques,la loi de finances rectificative pour 2009 (art. 6) et surtout la loi du
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17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et
privés, les contrats de partenariat sont régis par un décret d'application du 9 août 2005, et une
circulaire du 29 novembre 2005 précise les conditions de ces contrats à destination des collectivités
territoriales.
A. Définition des contrats de partenariat
Les collectivités publiques disposent de plusieurs modalités d'action pour l'exercice de leur mission
de service public : elles peuvent gérer directement en régie, elles peuvent également procéder à
une délégation de service public, avec une personne publique mais, beaucoup plus souvent, avec
une personne privée. Les relations contractuelles avec les personnes privées sont anciennes, et
la concession représente déjà, bien avant que l'appellation n'existe, une forme de partenariat entre
une personne publique et une personne privée. Deux formes de relations contractuelles résultaient,
jusqu'en 2004, de la jurisprudence et des textes, celle des marchés publics, pour la réalisation de
travaux, fournitures ou services, celle des délégations de service public pour la gestion dans la durée
de services publics à dimension économique ou marchande, dont la rémunération peut être assurée
par l'exploitation.
Mais, selon les pouvoirs publics, il manquait un outil juridique permettant de confier à un tiers le
soin de financer, concevoir tout ou partie, réaliser, maintenir et gérer des ouvrages ou équipements
publics et des services concourant aux missions de service public en contrepartie d'une rémunération
publique étalée dans le temps. Divers mécanismes ont permis à titre temporaire d'expérimenter dans
cette voie. Il en a été ainsi, pour les collectivités territoriales, avec la procédure du bail emphytéotique
administratif (BEA), mais dans le seul domaine de la construction et de la gestion de bâtiments, sans
pouvoir y ajouter d'autres prestations.
Cette procédure, qui a été codifiée au code général des collectivités territoriales (CGCT), a été
aménagée pour couvrir, jusqu'au 31 décembre 2007, les opérations d'intérêt général liées aux
besoins de la défense, de l'intérieur et de la justice. Mais le contrat de partenariat représente, selon la
circulaire du 29 novembre 2005, « le premier mécanisme simple et d'application globale permettant
à toutes les administrations, et en particulier aux collectivités territoriales, premiers acteurs de la
commande et de l'investissement publics, de pratiquer un partenariat public-privé à la française ».
La définition du contrat de partenariat, reprise à l'article L. 1414-1 du code général des collectivités
territoriales, est le suivant : « Le contrat de partenariat est un contrat administratif par lequel
la personne publique confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la période
d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission
globale relative au financement d'investissements immatériels, d'ouvrages ou d'équipements
nécessaires au service public, à la construction ou à la transformation des ouvrages ou
équipements, ainsi qu'à leur entretien, leur maintenance, leur exploitation ou leur gestion et, le cas
échéant, à d'autres prestations de services concourant à l'exercice par la personne publique de la
mission de service public dont elle est chargée ».
Le contrat de partenariat est donc un contrat qui présente les caractéristiques suivantes. D'abord,
c'est un contrat « global », ainsi que le qualifient les textes. Il comprend en effet au moins
trois éléments : le financement privé d'investissements nécessaires au service public sur une
longue durée ; la construction ou la transformation des ouvrages ou des équipements ou d'autres
investissements ; leur entretien, leur maintenance et/ou leur exploitation ou leur gestion.
Ensuite, c'est un contrat qui est passé pour une longue durée, celle-ci étant déterminée par la durée
d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues. La circulaire du 29
novembre 2005 indique qu'un délai de cinq ans doit être considéré comme minimal. Cela suppose
que la personne publique soit en mesure d'assurer le « pilotage » de ce contrat sur toute sa durée,
laquelle dépassera le plus souvent, pour les collectivités territoriales, la durée du mandat d'une
équipe municipale.
C'est également un contrat dont les modalités de rémunération sont originales. Cette rémunération
présente trois éléments caractéristiques. En premier lieu, elle est étalée sur tout la durée du contrat,
les contrats de partenariat autorisant une rémunération dans laquelle les investissements initiaux ne
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sont pas nécessairement réglés à leur « réception » mais peuvent donner lieu à des paiements tout au
long de la phase d'exploitation. L'ordonnance pose une obligation de transparence en exigeant que
le contrat de partenariat distingue, pour le calcul de cette rémunération, les coûts d'investissement,
de fonctionnement et de financement. En deuxième lieu elle est liée à des objectifs de performance,
l'objet premier d'un contrat de partenariat étant l'amélioration du service rendu aux usagers. Cette
logique permet d'imposer au titulaire du contrat des objectifs de résultat, notamment en matière
d'entretien et de maintenance et le non respect des objectifs conduit à une pénalisation financière du
cocontractant sous la forme d'une minoration de sa rémunération. En troisième lieu la rémunération
peut comporter des recettes annexes, qui doivent cependant demeurer accessoires afin d'éviter tout
risque de requalification du contrat.
Le contrat de partenariat est un contrat administratif par détermination de la loi. Il est donc soumis
à l'ensemble des règles applicables à ce type de contrats, qu'il s'agisse des règles jurisprudentielles
ou des mécanismes de contrôle, en particulier lorsqu'ils passés par des autorités locales, avec
le contrôle de légalité. En revanche, ce n'est pas un marché public, les dispositions du code
des marchés publics ne lui sont pas applicables. Mais, étant donné que, au plan européen, le
droit communautaire de la commande publique ne connaît que deux catégories de contrats, les
concessions et les marchés publics, les contrats de partenariat seront qualifiés de marchés publics
au sens du droit communautaire. Et, pour renforcer la sécurité juridique de ces contrats, l'ordonnance
leur applique l'ensemble des règles de passation des marchés publics communautaires qui figurent
dans la directive du 31 mars 2004.
Quant au champ d'application des contrats de partenariat, il est très large. Ces contrats
peuvent concerner aussi bien le bâtiment et les travaux publics que les nouvelles technologies de
l'information et de la communication. Les pouvoirs publics estiment que le contrat de partenariat est
particulièrement adapté à la réalisation de certains projets des collectivités territoriales tels que les
infrastructures scolaires (écoles, collèges, lycées, instituts de formation), les bâtiments et services
sanitaires et sociaux (hôpitaux, crèches), l'éclairage public et la signalisation tricolore, la voirie,
les stationnement et le transport, l'informatisation des services publics locaux, les équipements
culturels et sportifs (stades, piscines, musées, centres culturels), les projets d'aménagement urbain
ou touristique, certaines infrastructures dans le domaine de l'eau, de l'assainissement ou des déchets
(stations d'épuration, incinérateurs).
Les pouvoirs publics insistent sur le fait que le contrat de partenariat n'est pas réservé aux grandes
collectivités territoriales, ni aux grands groupes privés. D'ailleurs les petites et moyennes entreprises
(PME) bénéficient d'un traitement privilégié dans la mesure où la part qui leur est réservée doit être
obligatoirement un critère d'attribution du contrat, celui-ci devant préciser comment la collectivité
publique pourra vérifier le respect de cet engagement.
B. Les conditions du recours au contrat de partenariat
L'ordonnance du 17 juin 2004 subordonne le recours au contrat de partenariat à une « évaluation »
préalable qui « montre, ou bien que, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique
n'est pas objectivement en mesure de définir seule et à l'avance les moyens techniques pouvant
répondre à ses besoins ou d'établir le montage financier ou juridique du projet, ou bien que le projet
présente un caractère d'urgence ».
La « complexité du projet » est donc la première hypothèse dans laquelle il est possible de recourir à
un contrat de partenariat. L'exigence qui est inscrite dans l'ordonnance est issue des dispositions de
la directive communautaire du 31 mars 2004. La directive précise que « les pouvoirs adjudicateurs
qui réalisent des projets particulièrement complexes peuvent, sans qu'une critique puisse leur être
adressée à cet égard, être dans l'impossibilité objective de définir les moyens aptes à satisfaire
leurs besoins ou d'évaluer ce que le marché peut offrir en termes de solutions techniques et/ou
de solutions financières/juridiques ». La complexité du projet est présentée comme une condition
objective. Mais la circulaire du 29 novembre 2005 précise : « La complexité doit s'apprécier dans une
situation donnée car, en passant des marchés d'études ou en s'entourant de partenaires spécialisés,
une collectivité pourrait toujours acquérir la possibilité de définir les moyens techniques adéquats ».
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Quant à la condition de l'urgence, elle n'est pas définie par l'ordonnance, mais deux décisions
du Conseil constitutionnel ont précisé cette notion dans le cadre des contrats de partenariat.
En particulier, dans sa décision du 2 décembre 2004 le Conseil constitutionnel a déclaré que «
l'urgence qui s'attache à la réalisation du projet envisagé est au nombre des motifs d'intérêt général
pouvant justifier la passation d'un contrat de partenariat, dès lors qu'elle résulte objectivement,
dans un secteur ou une zone géographique déterminés, de la nécessité de rattraper un retard
particulièrement grave affectant la réalisation d'équipements collectifs ».
Lorsque la condition de complexité ou d'urgence est remplie, l'analyse comparative permet de
déterminer et d'exposer les motifs que retient la personne publique pour expliquer son choix de
lancer une procédure de passation d'un contrat de partenariat. Cette analyse doit porter sur les
coûts, mais aussi au minimum sur la performance et le partage des risques. Cette analyse doit
toujours être accessible au public dans le cadre de la loi du 17 juillet 1978 modifiée relative à la liberté
d'accès aux documents administratifs. Cette évaluation est une phase délicate de la réalisation d'un
projet de partenariat, elle nécessite une réelle expertise en matière juridique, financière, comptable
et technique. Selon la circulaire du 29 novembre 2005 : « Il est recommandé à la personne publique
de faire appel à des conseils extérieurs si telle ou telle de ces compétences (juridique, technique,
financière ...) lui fait défaut ».
En ce qui concerne en particulier le partage du risque, il doit faire l'objet d'une analyse systématique,
l'optimisation du partage des risques étant une condition déterminante de la réussite du contrat de
partenariat. Une méthodologie est proposée dans un document intitulé « Les contrats de partenariat,
principes et méthodes », pour identifier les risques, les répartir et évaluer leurs coûts dans les
différentes possibilités qu'offre l'analyse comparative.
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Cours : L’action administrative
Auteur : Jean-Marie Pontier
Leçon n° 11 : Le régime juridique des contrats administratifs
Table des matières
Section 1. La formation des contrats administratifs............................................................................ p. 2
§1. Les principes qui commandent la formation des contrats administratifs................................................................p. 2
A. La limitation de la liberté de l'administration..................................................................................................................................p. 2
1. L'exigence du respect de principes applicables aux contrats.....................................................................................................................................p. 2
2. La contestation du choix : les référés ....................................................................................................................................................................... p. 4
a) Le référé précontractuel............................................................................................................................................................................................ p. 4
b) Le référé contractuel ................................................................................................................................................................................................ p. 4
B. L'extension de la liberté de la personne publique......................................................................................................................... p. 5
1. Un procédé traditionnel et largement abandonné, l'adjudication................................................................................................................................ p. 5
2. Le procédé de droit commun : l'appel d'offres........................................................................................................................................................... p. 6
3. Les autres procédures de passation des contrats .................................................................................................................................................... p. 6
§2. Les règles relatives aux contractants et au contrat lui-même................................................................................p. 7
A. Règles relatives à la qualité des contractants publics...................................................................................................................p. 7
1. Les règles relatives à la détermination de l'autorité administrative contractante pour l'Etat et les établissements publics.........................................p. 7
2. Règles applicables aux collectivités territoriales.........................................................................................................................................................p. 8
B. Règles relatives au contrat lui-même............................................................................................................................................ p. 9
1. Conditions de validité du contrat................................................................................................................................................................................ p. 9
a) Le consentement....................................................................................................................................................................................................... p. 9
b) L'objet du contrat..................................................................................................................................................................................................... p. 10
c) La cause du contrat ............................................................................................................................................................................................... p. 10
2. Le contenu du contrat............................................................................................................................................................................................... p. 10
Section 2. L'exécution des contrats administratifs............................................................................ p. 12
§1. Les pouvoirs de l'administration...........................................................................................................................p. 12
A. Les pouvoirs de l'administration relativement aux modalités d'exécution des contrats............................................................... p. 12
1. Le pouvoir de direction et de contrôle .....................................................................................................................................................................p. 13
2. Le pouvoir de modification unilatérale...................................................................................................................................................................... p. 13
3. Le pouvoir de sanction..............................................................................................................................................................................................p. 14
B. Les pouvoirs de l'administration relativement à la durée du contrat............................................................................................p. 16
1. La résiliation-sanction................................................................................................................................................................................................ p. 16
2. La résiliation dans l'intérêt général .......................................................................................................................................................................... p. 17
§2. Les obligations de l'administration contractante ................................................................................................. p. 17
A. L'obligation de rémunérer le cocontractant..................................................................................................................................p. 17
1. La rémunération du concessionnaire .......................................................................................................................................................................p. 17
2. La rémunération des contractants autres que le concessionnaire........................................................................................................................... p. 18
B. L'obligation d'indemniser le cocontractant................................................................................................................................... p. 18
1. L'obligation d'indemniser résultant d'une situation nouvelle créée par l'autorité administrative contractante........................................................... p. 19
2. L'obligation d'indemniser résultant de faits extérieurs à l'administration.................................................................................................................. p. 20
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Le régime juridique des contrats administratifs diffère largement de celui des contrats de droit privé,
ce qui ne peut surprendre dans la mesure où ce régime juridique va être conditionné par la volonté
de faire prévaloir, en toutes circonstances, l'intérêt public, lequel va déterminer des règles
particulières que l'on ne trouve pas en droit privé.
Le régime juridique des contrats administratifs a connu, depuis quelques années, une évolution
spectaculaire : longtemps stable, voire figé, à partir de principes et de règles établis depuis de
nombreuses années, il a fait l'objet de transformations, sous l'influence de plusieurs facteurs, dont le
droit communautaire est probablement le plus important. Des règles qui paraissaient immuables
parce qu'elles paraissaient correspondre aux besoins, ont dû être adaptées. Le droit communautaire,
et, à sa suite, le droit national, utilise désormais l'expression de « pouvoir adjudicateur » pour désigner
la personne publique qui décide de passer un contrat.
On observera également que, dans les développements qui suivent, nombreux sont ceux qui sont
relatifs à une catégorie de contrats, les marchés publics. Cela s'explique facilement par le fait
que les marchés ont pris une importance de plus en plus grande dans les contrats passés par
les personnes publiques, plus particulièrement, avec les développements de la décentralisation,
les collectivités territoriales. C'est cette importance, également, qui explique le nombre élevé de
directives communautaires en la matière.
La présentation des règles, législatives, réglementaires et jurisprudentielles, relatives au régime du
contrat va suivre la vie du contrat, et l'on va distinguer deux grands temps, d'abord celui de la
formation du contrat, ensuite celui de l'exécution du contrat.
Section 1. La formation des contrats administratifs
Il s'agit d'examiner ici les règles auxquelles doit obéir la formation du contrat, qu'il s'agisse de celles
relatives à la détermination des cocontractants ou de celles relatives au contrat lui-même.
§1. Les principes qui commandent la formation des contrats
administratifs
Plus qu'auparavant, où l'on se préoccupait surtout du respect des procédures, la formation des
contrats administratifs est commandée aujourd'hui par quelques grands principes, que l'on peut
résumer par l'égalité d'accès au contrat, l'égalité de traitement des candidats et le principe de
transparence. L'article 1er du code des marchés publics le dit explicitement pour cette catégorie de
contrats : « Les marchés publics respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique,
d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ». Les principes à respecter
ont pour effet une restriction de la liberté de l'administration, mais celle-ci a gagné, également, une
plus grande liberté dans les procédés de choix du cocontractant.
A. La limitation de la liberté de l'administration
Le pouvoir de l'administration de recourir au contrat administratif (qui n'exclut pas, ainsi que nous
l'avons vu, la possibilité de contrats de droit privé) est encadré par la nécessité de respecter les
principes énoncés par le droit communautaire et le droit national, ainsi que par les possibilités
reconnues aux candidats évincés de contester le choix de l'administration.
1. L'exigence du respect de principes applicables aux contrats
Le droit français des contrats publics attachait une grande importance à l'intuitu personae, principe
qui revient à laisser une grande liberté d'appréciation à l'administration dans le choix de son
cocontractant. Cette importance de l'intuitu personae s'expliquait par la double idée, d'une part que
le contrat administratif n'est pas conclu dans l'intérêt de l'une des parties, fût-ce l'administration, mais
dans l'intérêt public, dans l'intérêt général, d'autre part, et par voie de conséquence, par le fait que
le contrat doit, de son adoption à son exécution, répondre aux exigences de l'intérêt général, ce qui
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impliquait de laisser la plus grande latitude possible à l'administration dans la conduite du contrat. Le
contrat de concession était, demeure en partie, le terrain d'application privilégié de ce choix librement
fait par l'administration du concessionnaire. Mais il est clair que ce principe s'oppose à un autre
principe, celui de mise en concurrence des personnes susceptibles de devenir les cocontractants
de l'administration. Les dispositions du droit communautaire ont fortement atténué, ainsi qu'on va le
voir, la force de ce principe.
Le juge, tant administratif que constitutionnel, a consacré les principes qui régissent ce que l'on
appelle l'accès à la commande publique. Ces principes sont issus du droit communautaire bien que,
avec d'autres appellations, le juge administratif ait poursuivi les mêmes objectifs. Plusieurs directives
communautaires ont été adoptées en ce qui concerne la commande publique et, à l'occasion de
la transposition - ou du retard de transposition - le juge administratif a été amené à rappeler ces
principes. Ainsi, dans sa décision Tête de 1998, relative à une délibération par laquelle le conseil
de la communauté urbaine de Lyon avait décidé la réalisation de l'ouvrage dit « périphérique de
Lyon tronçon nord » et approuvé les dispositions de la convention de concession et du cahier des
charges entre le concessionnaire et la communauté urbaine, le Conseil d'Etat a constaté qu'en
vertu de la directive n° 71-305 CEE du 26 juillet 1971 modifiée par la directive n° 89-440 du 18
juillet 1989 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, les
pouvoirs adjudicateurs devaient faire connaître, au moyen d'un avis indicatif, les caractéristiques
essentielles des marchés de travaux qu'ils entendent passer et dont les montants égalent
ou dépassent un certain seuil. Les Etats membres devaient mettre en vigueur les mesures
nécessaires pour se conformer aux stipulations de la directive au plus tard un an après la date de sa
notification. Le Conseil d'Etat a jugé que les règles nationales à la date de la délibération attaquée
à la passation des contrats de concession de travaux publics ne prévoyaient pas de mesures de
publicité et n'étaient pas compatibles avec les objectifs de la directive, et ne pouvaient, dès lors,
donner de base légale à la délibération attaquée qui, prise sans que la communauté urbaine de Lyon
ait assuré une publicité de ses intentions de passer ce contrat de concession compatible avec la
directive, a été adoptée dans des conditions irrégulières (CE 6 février 1998, Tête).
Dans une décision de 2003, le Conseil d'Etat relève que la directive n° 92/50/CEE soumet la
passation des marchés publics de services à des règles de transparence et de mise en concurrence.
Il en déduit que l'autorité administrative ne pouvait, sans méconnaître les objectifs de la directive '
soustraire de façon générale et absolue tous les contrats de mandat à l'application des dispositions
du code des marchés publics prises pour assurer la transposition des dispositions de cette directive,
y compris ceux qui, conclus à titre onéreux, sont passés en vue de la réalisation de prestations
d'autres services, et les requérants sont donc fondés à en demander l'annulation (CE 5 mars 2003,
Union nationale des services publics industriels et commerciaux).
Le Conseil constitutionnel a été amené à affirmer à plusieurs reprises les principes applicables à
la commande publique et résultant des directives communautaires transposées dans le code des
marchés publics.
Dans sa décision n° 2001-452 DC du 6 décembre 2001 (Loi portant mesures urgentes de réformes à
caractère économique et financier), le Conseil rappelle d'abord les termes de l'article 1er du code des
marchés publics (tel qu'il était en vigueur) selon lesquels : « Les marchés publics sont les contrats
conclus à titre onéreux avec des personnes publiques ou privées par les personnes morales de droit
public (...) pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. Les
marchés publics respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de
traitement des candidats et de transparence des procédures. L'efficacité de la commande publique
et la bonne utilisation des deniers publics sont assurées par la définition préalable des besoins, le
respect des obligations de publicité et de mise en concurrence ainsi que par le choix de l'offre la plus
économiquement avantageuse ».
Le Conseil constitutionnel affirme que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur
règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des
raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en
résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Le législateur peut, dans le but de
concilier l'efficacité de la commande publique et l'égalité de traitement entre les candidats avec
d'autres objectifs d'intérêt général inspirés notamment par des préoccupations sociales, prévoir un
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droit de préférence, à égalité de prix ou à équivalence d'offres, en faveur de certaines catégories de
candidats. Et, s'il lui est loisible, dans le même but, de réserver l'attribution d'une partie de certains
marchés à des catégories d'organismes précisément déterminées, il ne saurait le faire que pour
une part réduite, pour des prestations définies et dans la mesure strictement nécessaire à la
satisfaction des objectifs d'intérêt général ainsi poursuivis (V également Conseil constitutionnel
n° 2003-473 du 26 juin 2003, Loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit).
2. La contestation du choix : les référés
a) Le référé précontractuel
Les articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative, dans la rédaction issue de la loi
du 30 juin 2000, après la loi du 4 janvier 1992 transposant des directives communautaires du 21
décembre 1989 pour les marchés des secteurs traditionnels et du 25 février 1992 pour les secteurs
dits « exclus » (eau, énergie, transports, télécommunications), ont introduit une procédure particulière
destinée à assurer le respect des principes de publicité et de mise en concurrence.
Selon ces dispositions, le président du tribunal administratif (ou le magistrat qu'il délègue) peut être
saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est
soumise la passation d'un certain nombre de contrats. Les personnes habilitées à agir sont celles
qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement,
ainsi que le représentant de l'Etat dans le département dans le cas où le contrat est conclu ou doit
être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local.
Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner
à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat
ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la
signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours.
Pour certains marchés non soumis au code des marchés publics, le président du tribunal administratif
(ou le magistrat qu'il délègue), peut déterminer les délais dans lesquels l'auteur du manquement
doit s'exécuter. Il peut aussi prononcer une astreinte provisoire courant à l'expiration des délais
impartis. Il peut toutefois prendre ne considération les conséquences probables de cette dernière
mesure pour tous les intérêts susceptibles d'être atteints, notamment l'intérêt public, et décider de ne
pas l'accorder lorsque ses conséquences négatives pourraient dépasser ses avantages. Le montant
de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a
été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.
Les candidats non retenus n'hésitent pas à utiliser la procédure du référé précontractuel.
Ainsi, par exemple, le juge a considéré, à la demande d'une société non retenue, comme illégale la
procédure de passation de la délégation de service public engagée par le Musée Rodin et relative à
l'exploitation de la cafétéria du jardin du musée, ledit musée n'ayant pas respecté ses obligations de
publicité et de concurrence en n'indiquant pas aux entreprises candidates la durée de la convention
envisagée (CE 23 mai 2008, Musée Rodin, req. n° 306153).
b) Le référé contractuel
Une directive européenne (directive 2007/66/CE) du Parlement européen et du Conseil, en date
du 11 décembre 2007, concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière
de passation des marchés publics. Les autorités françaises ont transposé cette directive par
l'ordonnance 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats
de la commande publique. La directive vise à accroître l'efficacité des recours, avant et après
la signature des contrats, et à lutter contre la passation des marchés de gré à gré illégaux. La
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transposition de la directive a donc nécessité de compléter le régime du référé précontractuel, et de
créer un recours après la signature du contrat.
Ces recours, ouverts pour des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence,
sont ouverts devant l'ordre administratif et devant l'ordre judiciaire, selon les règles de répartition des
compétences en vigueur pour le référé précontractuel. dans un souci de clarification, les autorités
ont décidé que tous les recours sont désormais régis par le code de justice administrative pour les
contrats administratifs, et par des dispositions propres de l'ordonnance pour les contrats de droit
privé.
Afin de répondre aux exigences de lisibilité du droit, le code de justice administrative a été réorganisé,
le chapitre consacré au référé en matière de passation de contrats étant divisé en deux sections,
consacrées respectivement au référé précontractuel et au référé contractuel.
Tous les contrats de la commande publique qui entrent dans le champ de la directive 2004/17/
CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant coordination des procédures
de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l''énergie, des transports et des services
postaux, et de la directive 2004/18CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative
à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de
services, sont soumis aux recours introduits par l'ordonnance.
Il est à noter que le recours contractuel demeure ouvert au demandeur ayant fait usage du référé
précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté la suspension prévue à l'article
L. 551-4 ou ne s'est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur recours. Il en va toutefois
autrement lorsque le recours contractuel, présenté par un demandeur qui avait antérieurement
présenté un recours précontractuel, est dirigé contre un marché signé durant la suspension prévue
à l'article L. 551-4 alors que le pouvoir adjudicateur étant dans l'ignorance du référé précontractuel
en raison de la m
B. L'extension de la liberté de la personne publique
On peut parler d'extension de liberté dans la mesure où les procédés de passation des contrats
ont été assouplis, plus exactement dans la mesure où il y a eu un changement dans le procédé
de droit commun utilisé par les personnes publiques pour passer un contrat. Selon l'article 26 du
code des marchés publics (version 2006), les pouvoirs adjudicateurs passent leurs marchés selon
les procédures suivantes : appel d'offres ouvert ou restreint ; procédures négociées ; dialogue
compétitif ; concours ; système d'acquisition dynamique.
1. Un procédé traditionnel et largement abandonné, l'adjudication
Il convient de parler de l'adjudication, bien qu'elle paraisse appartenir au passé (et encore que
l'adjudication par voie électronique pourrait lui donner un renouveau d'actualité) parce que, d'une
part, elle a marqué l'histoire des contrats administratifs jusqu'à une époque récente et que, d'autre
part, certaines dispositions de procédure qui vont être indiquées pour l'adjudication valent également
pour l'appel d'offres.
Le procédé de l'adjudication était le procédé le plus traditionnel. Il reposait sur le principe
d'automaticité d'attribution du marché au candidat appelé le « moins disant ». Le procédé de
l'adjudication consiste à mettre en concurrence les candidats à la conclusion d'un contrat afin d'en
permettre l'attribution automatique à celui qui offre le prix le plus bas.
L'adjudication pouvait prendre deux formes, celle de l'adjudication ouverte, qui reposait, d'une part
sur la publicité, réalisée par des avis de mise en adjudication, et par la concurrence, réalisée par
l'impossibilité, pour l'administration, d'exclure un entrepreneur (sauf cas particuliers tels que les faillis,
les personnes condamnées correctionnellement, etc.). l'administration indique, dans l'adjudication,
les travaux à effectuer ou les fournitures à livrer, ou les services à effectuer, avec une mise à prix, qui
est le chiffre de base estimé par l'administration, le soumissionnaire énonçant les conditions dans
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lesquelles il propose d'exécuter le contrat, notamment le rabais par rapport à la mise à prix. Les
soumissions sont faites sous pli cacheté, afin des respecter la concurrence entre les candidats. Un
bureau d'adjudication est chargé de procéder à l'ouverture des enveloppes, et celui qui propose les
conditions financières les plus avantageuses (d'où le nom de « moins disant ») doit obligatoirement
être déclaré adjudicataire (sauf si aucune proposition n'est financièrement satisfaisante par rapport
à la mise à prix). L'adjudication restreinte se différencie de l'adjudication ouverte par le fait que
l'administration peut, en raison de la nature du contrat envisagé, arrêter à l'avance la liste des
soumissionnaires (sous réserve de ne pas opérer de discrimination illégale V. CE 9 juillet 1975,
Ville des Lilas).
De manière assez étonnante, l'adjudication est demeurée, en droit, le procédé de principe jusqu'en
1976, et n'a été supprimée officiellement par le code des marchés publics qu'en 2001, alors que les
inconvénients du procédé étaient patents depuis longtemps et que l'administration s'était tournée
vers l'appel d'offres et les procédures négociées. L'un des inconvénients majeurs, qu'il convient
de relever car la préoccupation demeure toujours aussi actuelle, tient au fait que cette procédure
destinée à garantir la concurrence n'a jamais atteint son objectif, c'est-à-dire n'a jamais empêché
les ententes entre les candidats, l'idée que ces derniers vont se livrer entre eux à une concurrence
réelle sur les prix procédant d'une certaine naïveté (et encore que, naturellement, tout dépend des
situations et des secteurs, la concurrence étant réelle, voire « féroce » dans certains d'entre eux).
2. Le procédé de droit commun : l'appel d'offres
Un deuxième procédé est devenu le procédé de principe de conclusion des contrats administratifs,
il s'agit de la procédure dite d'appel d'offres.
L'appel d'offres est une technique de passation des contrats qui fait appel à la concurrence des
soumissionnaires mais où l'administration n'est pas tenue de donner sa préférence à celui qui a
proposé le meilleur prix mais à celui qui a proposé les prestations les plus intéressantes (ce point
va être précisé ci-après).
Selon l'article 33 du code des marchés publics l'appel d'offres est « la procédure par laquelle
le pouvoir adjudicateur choisit l'attributaire, sans négociation, sur la base de critères objectifs
préalablement portés à la connaissance des candidats ». On peut résumer la distinction, qui peut être
une véritable opposition en disant que le « mieux disant » de l'appel d'offres a succédé au « moins
disant » de l'adjudication. L'appel d'offres est susceptible, comme l'adjudication, de deux modalités,
l'appel d'offres ouvert et l'appel d'offres restreint. L'appel d'offres est dit ouvert lorsque tout opérateur
économique peut remettre une offre, il est dit restreint lorsque seuls peuvent remettre des offres les
opérateurs économiques qui y ont été autorisés après sélection.
En application des directives communautaires, l'appel d'offres, qu'il soit ouvert ou restreint,
s'applique obligatoirement aux marchés de l'Etat qui dépassent le montant de 135 000 euros et aux
marchés des collectivités territoriales qui dépassent 210 000 euros.
La notion de « mieux disant » pourrait donner lieu, si elle n'était précisée, à toutes sortes de
discussions sans fin, voire à des contournements de procédure, elle a d'ailleurs évolué au fil du
temps. Selon le droit actuellement applicable, la commission d'appel d'offres doit fonder son choix sur
« l'offre économiquement la plus avantageuse ». Même avec cette précision, on peut se douter que
des contestations demeurent possibles, et le juge administratif a été amené à maintes reprises à se
prononcer sur cette notion. Il faut également noter que, avec les préoccupations environnementales
de plus en plus marquées, notamment à l'échelon communautaire, donc à l'échelon national,
le critère environnemental peut (parfois doit) être pris en compte par les personnes publiques
contractantes pour le candidat retenu. Le pouvoir adjudicateur peut encore, selon la CJCE, retenir
un autre critère que l'on appelle, en français, le « mieux disant social ».
3. Les autres procédures de passation des contrats
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D'autres procédures, encore plus souples que l'appel d'offres, peuvent, sous certaines conditions,
être utilisées.
La procédure négociée a pris la suite, depuis 1976, de ce que l'on appelait les marchés de gré à gré.
Selon l'article 34 du code des marchés publics : « Une procédure négociée est une procédure dans
laquelle le pouvoir adjudicateur négocie les conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs
économiques ». Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer des marchés négociés dans les cas
définis par l'article 35 du même code. La liste suivante est donnée à titre simplement indicatif.
Certains doivent être négociés après publicité préalable et mise en concurrence : marchés
et accords-cadres pour lesquels, après appel d'offres ou dialogue compétitif, il n'a été proposé que
des offres irrégulières ou inacceptables que le pouvoir adjudicateur est tenu de rejeter ; marchés et
accords-cadres de services ; marchés et accords-cadres de travaux ; cas exceptionnels de travaux,
fournitures ou services ; marchés et accords-cadres de travaux dont le montant est compris entre
206 000 euros HT et 5 150 000 euros HT.
D'autres peuvent être négociés sans publicité préalable et sans mise en concurrence
: pour faire face à une urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles pour le
pouvoir adjudicateur et n'étant pas de son fait ; produits fabriqués à des fins de recherche,
d'essai, d'expérimentation, d'étude ou de développement ; procédure d'appel d'offres infructueuse ;
marchés complémentaires de fournitures, de services ou de travaux ; réalisation de prestations
similaires ; lauréats d'un concours ; raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits
d'exclusivité ; achat de matières premières cotées et achetées en bourse.
Lorsque leur valeur est inférieure aux seuils prévus (article 26-II du code des marchés publics), les
marchés de fournitures, de services ou de travaux peuvent être passés selon une procédure adaptée,
dont les modalités sont fixées librement par le pouvoir adjudicateur en fonction de la nature et des
caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques
susceptibles d'y répondre ainsi que des circonstances de l'achat.
La procédure de dialogue compétitif est une procédure dans laquelle le pouvoir adjudicateur
conduit un dialogue avec les candidats admis à y participer en vue de définir ou de développer
une ou plusieurs solutions de nature à répondre à ses besoins et sur la base de laquelle ou
desquelles les participants au dialogue sont invités à remettre une offre. Cette procédure est
possible lorsqu'un marché public est considéré comme complexe, c'est-à-dire lorsque l'une au moins
des conditions suivantes est remplie : le pouvoir adjudicateur n'est objectivement pas en mesure
de définir seul et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ; le pouvoir
adjudicateur n'est objectivement pas en mesure d'établir le montage juridique ou financier d'un projet.
§2. Les règles relatives aux contractants et au contrat lui-même
A. Règles relatives à la qualité des contractants publics
Le contrat administratif est conclu entre deux personnes dont l'une est une personne publique et
dont l'autre est fréquemment une personne privée. Il convient d'examiner les règles applicables à
la détermination de ceux qui peuvent engager une personne publique.
1. Les règles relatives à la détermination de l'autorité administrative
contractante pour l'Etat et les établissements publics
Le droit applicable aux personnes publiques est d'abord un droit relatif aux compétences des
autorités qui peuvent légalement engager la personne publique qu'ils représentent.
Les règles relatives à la compétence sont essentielles, en matière de formation des contrats
(comme en d'autres domaines, d'ailleurs) ces règles sont d'ordre public, en ce sens que, d'une
part, les autorités administratives ne peuvent pas les modifier à leur guise, même avec l'accord du
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cocontractant, d'autre part, en cas de litige, le juge soulève d'office le moyen d'ordre public. Les
compétences des autorités publiques sont fixées par les lois et les règlements d'application.
En ce qui concerne l'Etat, ce sont les ministres qui, en règle générale, sont compétents pour engager
l'Etat par la voie d'un contrat. Cette compétence résulte parfois d'un texte, elle est l'équivalent, sur
le plan contractuel, de la jurisprudence Jamart, de 1936, dont on se souvient (V. leçon sur les actes
unilatéraux) : « même dans le cas où les ministres ne tiennent d'aucune disposition législative un
pouvoir réglementaire, il leur appartient, comme à tout chef de service, de prendre les mesures
nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité ». Le champ de
compétence du ministre en matière contractuelle découle naturellement des dispositions relatives
à la détermination de leurs attributions ministérielles lors de la formation d'un gouvernement. Il va
(presque) de soi, également, que le ministre peut déléguer son pouvoir de signer un contrat, toute
autre solution aboutirait à contraindre le ministre à passer son temps à signer. Encore faut-il que la
délégation de compétence ait été régulière.
En ce qui concerne les établissements publics, il convient d'abord d'observer que ces derniers
peuvent parfaitement contracter, dans la mesure où ce sont des personnes publiques. La différence
par rapport aux personnes publiques territoriales est que les établissements publics sont soumis au
principe de spécialité, qui les enferme (en théorie, car tout dépend des établissements publics, les
établissements publics territoriaux voient leur compétence définie de plus en plus largement. V. la
leçon sur les collectivités territoriales) dans un domaine limité. Les règles de compétence relatives à
la signature des contrats sont fixées par le texte institutif de l'établissement public. Selon les statuts
l'autorité compétente peut être le conseil d'administration ou le directeur, le plus souvent les
deux, avec une intervention préalable du conseil d'administration.
2. Règles applicables aux collectivités territoriales
C'est cette solution de partage des attributions que l'on retrouve nécessairement à l'échelon des
collectivités décentralisées. En simplifiant on pourrait dire que l'assemblée délibérante donne
l'autorisation de contracter, l'exécutif disposant du pouvoir de décision. Les dispositions applicables
figurent au code général des collectivités territoriales (CGCT).
Selon l'article L. 2122-21 de ce code , sous le contrôle du conseil municipal, et sous le contrôle
administratif du représentant de l'Etat dans le département, le maire « est chargé, d'une manière
générale, d'exécuter les décisions du conseil municipal » et, en particulier « 6° De souscrire les
marchés, de passer les baux des biens et les adjudications des travaux communaux dans les formes
établies par les lois et les règlements ; 7° De passer dans les mêmes formes les actes de vente,
échange, partage, acceptation de dons ou legs, acquisition, transaction, lorsque ces actes ont été
autorisés conformément aux dispositions du présent code ».
L'article L. 2122-22 est relatif aux délégations du conseil municipal. Selon cet article, le maire
peut être chargé, en tout ou en partie, et pour la durée de son mandat : « 4° De prendre toute
décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés de travaux,
de fournitures et de services qui peuvent être passés sans formalités préalables en raison de leur
montant, lorsque les crédits sont inscrits au budget ; 5° de décider de la conclusion et de la révision du
louage de choses pour une durée n'excédant pas douze ans ; 6° De passer des contrats d'assurance
». Des dispositions similaires existent pour le département et la région. S'agissant du premier, outre
l'article L. 3221-11, qui est la reproduction du 4° de l'article L. 2122-22, l'ordonnance n° 2005-645 du
6 juin 2005 a ajouté un article L. 3221-11-1 selon lequel : « La délibération du conseil général ou de la
commission permanente chargeant le président du conseil général de souscrire un marché déterminé
peut être prise avant l'engagement de la procédure de passation de ce marché. Elle comporte alors
obligatoirement la définition de l'étendue du besoin à satisfaire et le montant prévisionnel du marché.
Le conseil général ou la commission permanente peuvent, à tout moment, décider que la signature
du marché ne pourra intervenir qu'après une nouvelle délibération, une fois connus l'identité de
l'attributaire et le montant du marché ». Les dispositions correspondantes pour la région sont celles
de l'article L. 4231-8-1.
Les actes des collectivités territoriales doivent, pour être opposables, faire l'objet d'une
transmission au représentant de l'Etat. La formulation de l'article L. 2131-1 du CGCT selon
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laquelle « Les actes des autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé
à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au
représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement » (avec des
dispositions similaires pour les autres catégories de collectivités territoriales) recouvre également
les contrats, sous réserve des dispositions spécifiques aux marchés et aux contrats de délégation
de services publics.
Deux précisions doivent être apportées. D'une part, et après avoir hésité, le juge a décidé que la
transmission portait également sur la délibération autorisant le maire à signer un contrat (CE 20
janvier 1989, Ville de Millau c/ Vincens ; CE 27 mars 1991, Préfet de la Haute-Garonne). D'autre
part, selon le juge, la transmission doit comporter le texte intégral de l'acte et être accompagnée des
documents annexes nécessaires pour mettre le représentant de l'Etat à même d'apprécier la porté et
la légalité des actes (CE 13 janvier 1988, Mutuelle générale des personnels des collectivités locales
et de leurs établissements publics, Rec. p. 6, concl. Roux, AJDA 1988 p. 142 et 160, chron. Azibert
et de Boisdeffre). C'est dire que doit être transmis, non seulement le texte même du contrat, mais
les documents annexes, qui peuvent être d'un volume important. Par exemple doivent être transmis
les documents qui établissent le caractère infructueux d'un appel d'offres justifiant la conclusion d'un
marché négocié (CE 31 mars 1989, Commune de Septème-les-Vallons).
B. Règles relatives au contrat lui-même
Les formes requises pour le contrat sont très peu strictes puisque, il faut le rappeler, un contrat
administratif peut être verbal et, parmi les exemples que l'on peut citer figurent quelques affaires
célèbres telles que l'affaire Bertin ou encore l'affaire Dame Veuve Mazerand (qui relève de
l'histoire du contentieux, la jurisprudence Berkani y ayant mis fin, sans mettre fin aux difficultés
contentieuses). La plupart des contrats sont cependant écrits, cela est indispensable pour certaines
catégories de contrats tels que les marchés publics.
1. Conditions de validité du contrat
Les conditions de validité, diverses, sont très similaires à celles que l'on rencontre en droit privé.
a) Le consentement
Le contrat repose, fondamentalement, sur un accord de volonté, que l'on se trouve en droit public
ou en droit privé, l'absence de ce consentement vicie le contrat qui ne peut être considéré comme
validement conclu.
Parmi les vices du consentement il convient d'abord de citer l'erreur. L'erreur peut, de même qu'en
droit civil, porter sur la chose ou sur la personne. L'erreur sur la chose peut être une erreur sur
l'identité de la chose ou encore sur les qualités substantielles de la chose. En revanche n'est pas
une erreur de nature à vivier le contrat celle qui est commise dans l'interprétation du contrat : ainsi,
par exemple, « en estimant qu'elle ne devait procéder qu'au ravalement des seules surfaces en
briques (des façades d'un immeuble), la Société de construction et de ravalement a commis un
erreur d'interprétation des clauses du marché (...) une telle erreur, qui n'affecte pas la substance
même de l'accord des parties, n'est pas de nature à entraîner la nullité du contrat » (CE 22 janvier
1986, Société de construction et de ravalements). L'erreur sur la personne est rare, mais elle n'est
pas inenvisageable, tel peut être le cas, par exemple, lorsque existe un risque de confusion entre la
personne morale et la personne physique qui représente cette dernière.
Cependant l'erreur n'est retenue par le juge comme vice du consentement que si deux conditions
sont réunies. D'une part, l'erreur doit avoir eu une influence « déterminante » sur le consentement
des parties car, sinon, l'erreur serait une excuse commode pour l'une des parties d'échapper à
ses obligations. D'autre part, l'erreur n'est retenue que si elle n'était pas excusable : l'imprudence
commise n'est pas une erreur excusable, si l'une des parties fait une erreur d'appréciation, elle ne
peut s'en prendre qu'à elle-même. Le juge est particulièrement vigilant dans l'appréciation de l'erreur,
pour que, notamment, la personne publique ne puisse l'invoquer trop facilement.
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Un autre vice du consentement, classique en droit privé, est le dol. Selon l'article 1116 du code
civil : « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par
l'une des parties sont telles que qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait
pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé ». Le dol suppose à la fois l'intention d'une
partie de tromper l'autre et des manoeuvres accomplies à cette fin. Le juge administratif admet
difficilement qu'une personne publique ait pu être victime d'un dol car lorsque tel semble
être le cas, il s'agit souvent d'une faute ou tout au moins d'une imprudence de la personne
publique, celle-ci ayant normalement les moyens de se prémunir contre de tels agissements.
Encore moins semble pouvoir être invoquée la violence comme vice du contrat de la part de
l'administration. Il y aurait quelque ironie à admettre que la puissance publique ait pu faire l'objet
d'une violence l'ayant contrainte à passer un contrat. Tout étant possible, néanmoins, il ne faut pas
exclure totalement une telle hypothèse ...
b) L'objet du contrat
Selon l'article 1108 du code civil, pour que le contrat soit valide, il doit avoir un «objet certain ». Il faut
donc que l'objet existe, ce qui n'exclut pas les choses futures. Il faut également, selon l'article
1129 du code civil, que l'obligation ait pour objet « une chose au moins déterminée quant à son
espèce ». La quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu'elle soit déterminée. Il faut encore
que cet objet soit licite. La licéité est déterminée par la législation, qui fixe les objets pouvant faire
l'objet d'un commerce : ainsi, par exemple, à partir d'une loi de 1915, le commerce de l'absinthe fut
interdit, en raison des effets nocifs pour la santé de cette dernière (l'interdiction a été levée aujourd'hui
parce que l'on a pu éliminer la substance dangereuse de ce produit). Il est évidemment peu probable
que l'on trouve des contrats administratifs dans lesquels l'administration a poursuivi ou laissé se
poursuivre un objet illicite. Cependant, les substances vénéneuses ne sont pas seules en cause.
Et, par exemple, les contrats relatifs à la délimitation du domaine public sont nuls parce qu'ils sont
relatifs à un objet qui met en cause la souveraineté de l'Etat (CE 20 juin 1975, Leverrier, Rec. p. 382).
Le prix est un élément de l'objet. Le juge administratif a appliqué, jusqu'à une date récente, l'article
1129 du code civil qui prévoit que le prix soit déterminé ou déterminable. En raison de l'érosion
monétaire et des risques de contentieux découlant des actions fondées sur l'absence, lors de la
conclusion du contrat, de fixation du prix, le juge a décidé que « l'article 1129 du Code civil n'est pas
applicable à la détermination du prix » (CE 1er décembre 1995, ). Désormais, il n'est plus nécessaire
que le prix soit déterminé, voire déterminable. Cependant, il faut distinguer selon la nature du contrat.
S'il s'agit d'un marché public, celui-ci doit nécessairement fixer le prix ou les modalités de
sa détermination. Cet aspect sera précisé ultérieurement. Dans le cas de délégation de service
public, des éléments peuvent être précisés dans le contrat. C'est ainsi que, selon l'article L.
1411-2, alinéa six, du CGCT, « la convention stipule les tarifs à la charge des usagers et précise
l'incidence sur ces tarifs des paramètres ou indices qui déterminent leur évolution ».
c) La cause du contrat
Il n'existe pas d'obligation sans cause, ainsi que le rappelle le code civil (article 1131), l'obligation
de l'une des parties a pour cause l'obligation de l'autre.
Le juge administratif fait très peu référence à la cause, au point que certains auteurs estiment
que la notion de cause n'est pas prise en considération en tant que telle en droit administratif.
Les décisions en la matière sont effectivement rares, et il est difficile de définir la position du juge
administratif, qui semble néanmoins, sur ce point, adopter la définition de la cause adoptée par le
code civil. Quoi qu'il en soit, il est certain que, de même qu'en droit civil, le contrat doit avoir une cause
non illicite, et, en particulier, ne doit pas avoir une cause contraire à l'ordre public (V. par exemple
CE 26 février 1947, Michaux, RDP 1948, p. 78, concl. Theis, dans laquelle la puissance publique
avait prévu une clause imposant au cocontractant de renoncer par avance à exercer éventuellement
un recours contre l'administration).
2. Le contenu du contrat
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Les conditions d'exécution du contrat ainsi que les relations entre les cocontractants étaient fixées,
traditionnellement, tout au moins pour cette catégorie importante de contrats que sont les marchés
publics, par des cahiers des charges.
Des décrets avaient ainsi approuvé des cahiers des charges types applicables aux différentes
catégories de marchés, et l'on distinguait ainsi les documents généraux (qui comprenaient les
cahiers des clauses administratives générales, CCAG, et les cahiers des clauses techniques
générales, CCTG) et les documents particuliers (constitués des cahiers des clauses administratives
particulières, CCAP, et des cahiers des clauses techniques particulières, CCTP). Les cahiers des
charges n'ont pas disparu, mais depuis la suppression des cahiers des charges types par la
loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des
régions, ces modèles sont devenus d'application facultative, le cahier des charges devenant
un document contractuel si le contrat y fait référence (CE 14 décembre 1988, Assistance
publique de Marseille).
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Section 2. L'exécution des contrats administratifs
Le contrat administratif doit normalement être exécuté conformément aux stipulations, et en cela
il ne se distingue pas du contrat de droit privé. Mais cette hypothèse suppose que rien ne vienne
troubler l'exécution normale.
Or bien des événements, des faits de tous ordres, viennent régulièrement perturber cette exécution,
et c'est alors que la nature publique du contrat manifeste toute son originalité. L'exécution des
contrats administratifs est toute entière dominée par cette préoccupation de satisfaire l'intérêt
général. Cela explique les particularités de l'exécution du contrat administratif par rapport au
contrat de droit privé : dans ce dernier, le contrat est la loi des partis, le contrat doit être
exécuté conformément à ce qui a été décidé, quelles qu'en soient - avec quelques nuances - les
conséquences.
En droit public il ne peut en être ainsi, c'est l'intérêt public qui commande les inflexions que peut
connaître éventuellement le contrat dans son exécution. Cela explique la reconnaissance au profit
de l'administration de prérogatives particulières, et à sa charge d'obligations qui le sont tout autant.
Rappelons au préalable que le juge administratif peut être saisi par l'un des cocontractants, et que
l'étendue du contrôle du juge a soulevé de nombreuses difficultés. Dans une décision importante
du 28 décembre 2009, Commune de Béziers, le Conseil d'Etat a modifié profondément l'office du
juge en distinguant, au sein de ce dernier, selon qu'il est saisi d'une action en annulation (et non
plus d'une action en nullité) ou d'une action indemnitaire. Et, dans sa décision du 21 mars 2011,
Commune de Béziers II, le Conseil d'Etat est revenu sur le principe selon lequel le juge du contrat
ne pouvait pas prononcer l'annulation d'une mesure de résiliation d'un contrat, mais seulement
indemniser le cocontractant de l'administration des conditions illégales dans lesquelles une telle
résiliation était intervenue.Des précisions ont été apportées par le juge à cette jurisprudence dans
deux décisions de 2011 rendues le même jour. Le Conseil d'Etat a d'abord précisé que si,en
principe, la méconnaissance des règles de passation ne peut conduire le juge de plein contentieux
à écarter l'application du contrat dont il est saisi, ce dernier doit néanmoins prendre en compte
les circonstances dans lesquelles ces irrégularités ont été commises (CE 12 janvier 2011, M.
Manoukan, req. n° 338551).Il a ensuite précisé qu'une disposition contractuelle prévoyant une date
de début d'exécution d'un marché antérieure à sa conclusion est de nature à entacher ce contrat
d'illicéité et constitue une irrégularité conduisant le juge de plein contentieux à écarter l'application
du contrat (CE 12 janvier 2011, Société Léon Grosse, req. n° 334320).
§1. Les pouvoirs de l'administration
Rappelons une nouvelle fois que les principes énoncés par le code civil à l'article 1134, selon lequel
les conventions légalement formées tiennent lieu de lois à ceux qui les ont faites, dans les contrats
administratifs l'une des parties, la personne publique, se voit reconnaître des pouvoirs que l'on ne
trouve pas en droit privé, même si, pour certains d'entre eux, le débat est possible.
A. Les pouvoirs de l'administration relativement aux modalités
d'exécution des contrats
Une précision préalable doit être apportée : le cocontractant doit exécuter personnellement le
contrat.
Ceci interdit au cocontractant de revendre l'attribution du contrat à d'autres, ce qui serait une violation
des règles de passation des contrats. Cette évidence a dû être relativisée en ce qui concerne la
sous-traitance : celle-ci était d'abord interdite, mais il est apparu que dans un certain nombre de
contrats - notamment les marchés publics - la sous-traitance est inévitable et que, au surplus, elle
est profitable à l'administration. La sous-traitance est donc largement admise aujourd'hui, mais sous
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certaines conditions parmi lesquelles l'acceptation par le cocontractant public. Si l'on met à part
cet aspect, deux pouvoirs sont reconnus à l'administration, un pouvoir de direction et de contrôle, un
pouvoir de modification unilatérale du contrat, un pouvoir de sanction.
1. Le pouvoir de direction et de contrôle
Le pouvoir de direction et de contrôle est celui qui surprend peut-être le moins, car il est
susceptible de se retrouver, sous des formes approchées et moins prononcées, dans les contrats
de droit privé. En droit public, cependant, et c'est ce qui le différencie du droit privé, ce
pouvoir est systématiquement reconnu à l'administration contractante, bien qu'avec des variantes
considérables selon les types de contrats.
Le pouvoir de direction
Le pouvoir de surveillance
Le pouvoir de direction semble être en
contradiction avec l'idée selon laquelle
le cocontractant doit choisir librement
les moyens qui lui paraissent le plus
appropriés pour une correcte application
du contrat. La justification de l'existence
d'un tel pouvoir réside dans le fait que,
dans un certain nombre de contrats, ce
n'est pas vraiment le cocontractant privé
qui a l'initiative, mais l'administration. C'est,
notamment, dans les marchés de travaux
publics que l'on rencontre assez fréquemment
ce pouvoir, car la personne publique
dispose de la maîtrise d'ouvrage. Notons
à ce propos que pour des contrats de
travaux publics de l'Etat, mais auxquels
contribuent des collectivités territoriales, le
législateur a parfois prévu la possibilité d'une
délégation de maîtrise d'ouvrages au profit de
collectivités territoriales (par ex. en matière
de constructions universitaires, dans le cadre
de ce qui a été appelé le plan U3M). Notons
également que même lorsque l'administration
n'a pas la qualité de maître de l'ouvrage, elle
dispose cependant de ce pouvoir de direction.
Certains auteurs ont parfois comparé ce
pouvoir dont dispose l'administration dans le
cadre de relations contractuelles au pouvoir
hiérarchique dont elle dispose sur ses agents.
Le pouvoir de surveillance peut être distingué
du pouvoir de direction. Le plus souvent
il est prévu par le contrat, l'administration,
gardienne du bon fonctionnement des
services publics, veillant à ce qu'il soit
inscrit dans ce dernier. Mais même
lorsque le contrat ne le prévoit pas
- hypothèse parfaitement envisageable
puisque les cahiers des charges types qui
les envisageaient systématiquement sont
facultatifs, le juge en reconnaît l'existence
au profit de l'administration contractante. Ce
pouvoir s'exerce sous forme d'un contrôle de
l'exécution correcte par le cocontractant de
ses obligations.
2. Le pouvoir de modification unilatérale
Le pouvoir de modification unilatérale représente un pouvoir tout à fait exorbitant, et qui peut
choquer un juriste, puisqu'il met en échec la commune volonté des parties telle qu'elle s'est exprimée
dans le contrat.
Avant de s'interroger sur ce pouvoir, il convient de distinguer deux hypothèses, car la première
ne soulève aucune difficulté. .Un contrat administratif peut comporter des clauses prévoyant la
possibilité pour l'administration, et dans des cas définis par le contrat, de modifier unilatéralement
celui-ci. Cette hypothèse ne soulève pas de difficulté, elle ne constitue pas l'exercice, par
l'administration, d'une prérogative exorbitante mais la mise en oeuvre d'une stipulation du contrat.
Une telle clause peut d'ailleurs être envisagée également en droit privé. Une personne publique
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prévoyante insère donc, dans les contrats qu'elle passe (ou dans ceux qui sont de nature à faire
penser qu'une telle clause est utile) de semblables clauses.
Toute autre est la seconde hypothèse, celle dans laquelle une personne publique contractante
entend apporter des modifications unilatérales à un contrat en cours d'exécution, alors que ledit
contrat ne comporte aucune clause en ce sens.
La question qui se pose est de savoir si la personne publique contractante détient, du seul
fait que le contrat est un contrat administratif, un pouvoir de modification unilatérale de ce
dernier.
Jurisprudence
Le Conseil d'Etat avait rendu une décision devenue très célèbre, la décision du 21 mars 1910,
Compagnie générale des tramways (S 1911.III. 1, concl. L. Blum, RDP 1910 p. 270, note Jèze)
dans laquelle il avait reconnu à un préfet le pouvoir d'imposer au concessionnaire d'un service
communal de tramways des prestations allant bien au-delà de ce que prévoyait le contrat. Mais,
postérieurement à cette décision, la doctrine s'est divisée dans l'interprétation à en donner, les uns
y voyant une décision isolée ne permettant pas d'en déduire un pouvoir de modification unilatérale
des contrats, d'autres affirmant que ce pouvoir était consacré par ladite décision.
Ces controverses ne semblent plus devoir être d'actualité, dans la mesure où le juge administratif a
clairement affirmé qu'il existait un pouvoir de modification unilatérale des contrats administratifs en
dehors et dans le silence des dispositions du contrat, ce pouvoir résultant des « règles générales
applicables aux contrats administratifs » (CE 2 février 1983, Union des transports publics urbains et
régionaux, RDP 1984 p. 212, note Auby, RFDA 1984, étude F. Llorens).
Une précision importante doit être apportée. La reconnaissance de principe d'un tel pouvoir à
l'administration ne signifie nullement que ce pouvoir est absolu, à l'inverse le juge l'encadre très
strictement, ce qui est compréhensible et justifié.
En premier lieu, parce que la seule finalité que peut poursuivre l'administration est la satisfaction
de l'intérêt général, ce pouvoir ne peut s'exercer que sur certaines clauses du contrat, celles qui
intéressent le service public, il ne peut porter sur les clauses financières du contrat. En deuxième
lieu, dans un certain nombre de contrats, tels les contrats de recrutement d'agents publics, les clause
de ces contrats sont décalquées ou directement transposées des statuts, notamment les clauses
concernant les obligations de service. Les seules modifications que l'administration peut apporter
sont celles qui résultent des modifications des statuts, l'administration ne peut modifier d'une autre
manière les contrats individuels car, sinon, elle porterait atteinte au principe de légalité. En troisième
lieu, l'exercice du pouvoir de modification unilatérale peut s'accompagner, en cas de préjudice subi
par le cocontractant, d'une compensation financière (V. par ex. CE 27 octobre 1978, Ville de SaintMalo, Rec. p. 401, affaire dans laquelle une commune avait concédé la réalisation d'un port de
plaisance et, postérieurement à la signature du contrat, avait modifié les limites de la concession)
et, à la limite, le juge peut prononcer la résiliation du contrat.
Nous allons voir que le pouvoir de résiliation unilatérale reconnu à l'administration n'est que
l'expression, poussée dans sa logique extrême, de ce pouvoir de modification unilatérale du contrat.
3. Le pouvoir de sanction
Le juge a reconnu à l'administration contractante un pouvoir de sanction à l'encontre du
cocontractant privé mais, comme précédemment, ce pouvoir n'est pas absolu, son contenu comme
son étendue sont strictement contrôlés par le juge administratif.
Le pouvoir de sanction présente, comme le pouvoir de modification unilatérale, un caractère
exorbitant, dont la justification est exactement la même : les voies de droit du droit privé peuvent
se révéler insuffisants pour assurer la satisfaction de l'intérêt général, lequel peut appeler 14
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ce n'est jamais quelque chose d'automatique, le juge contrôle le bien-fondé de l'utilisation par la
personne publique de sanctions - des mesures particulières.
La reconnaissance de ce pouvoir de sanction a une triple signification : en premier lieu,
l'administration n'a pas besoin, en règle générale, de s'adresser au juge pour prononcer des
sanctions dans le cadre du contrat, elle peut les appliquer d'office, sauf dans le cas d'une sanction, la
déchéance, pour laquelle, nous allons le voir, l'administration doit s'adresser au juge. En deuxième
lieu, lorsque le contrat prévoit un pouvoir de sanction au profit de la personne publique, et qu'il
énumère les sanctions qui peuvent être appliquées, l'administration n'est pas tenue par cet énoncé,
elle peut appliquer d'autres sanctions que celles prévues. En troisième lieu, lorsque le contrat n'a pas
prévu de sanctions, l'administration peut néanmoins y recourir (cette possibilité a depuis longtemps
été reconnue par le juge, V. CE 31 mai 1907, Deplanque, RDP 1907, p. 684, concl. Romieu).
Le pouvoir de sanction de la personne publique n'est pas pour autant illimité. Deux limites, très
différentes, doivent notamment être signalées.
D'une part, l'autorité administrative ne peut faire usage du pouvoir de police dont elle dispose
éventuellement (cas du maire). Certes, a priori, il paraîtrait pratique, voire justifié, puisque
l'administration agit dans l'intérêt général, que celle-ci puisse user de son pouvoir de police pour
contraindre le cocontractant à exécuter. Cependant, il s'agirait d'un détournement de procédure
(CE 19 mars 1930, Société toulousaine de Bazacle, Rec. p. 312), car le pouvoir de police est conféré
à une autorité dans une finalité bien précise, qui est celle du maintien de l'ordre public, et il est assez
peu probable que la non exécution d'un contrat ou sa mauvaise exécution porte une atteinte à l'ordre
public justifiant une intervention de l'autorité de police (auquel cas, d'ailleurs, l'autorité administrative
agirait en cette dernière qualité et non en tant que cocontractant). Au surplus il y aurait rupture de
' l'égalité des armes ' qui entraînerait une condamnation de la France par la juridiction européenne
de protection des droits.
D'autre part, l'administration doit respecter des règles de forme et de procédure. En particulier, la
sanction ne peut être prononcée (sauf cas d'urgence) qu'après une mise en demeure restée sans
résultat (V. concl. Baudouin sur CE 6 décembre 1970, Société anonyme touristique et hôtelière du
Lautaret, AJDA 1971, p. 105). Cette garantie procédurale est importante car si, après la mise en
demeure, l'administration entend néanmoins prononcer des sanctions, celles-ci ne pourront porter
que sur les obligations non assurées rappelées dans la mise en demeure.
Ces points étant précisés, les différentes sanctions susceptibles d'être prononcées par la personne
publique sont les suivantes. On distingue deux sortes de sanctions, les sanctions pécuniaires et les
sanctions coercitives.
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Les sanctions pécuniaires
Les sanctions coercitives
Les sanctions pécuniaires sont susceptibles
elles-mêmes de deux modalités. Tantôt
l'administration prend la précaution d'insérer
dans le contrat des clauses qui prévoient
des pénalités pécuniaires. On parle alors
de pénalités contractuelles, qui sont des
sortes d'amendes (mais non des sanctions
pénales, malgré le terme de « pénalités
») : l'administration les applique lorsque se
présentent les faits pouvant donner lieu à
leur application, le retard dans l'exécution
(notamment dans le cas des travaux publics)
étant le cas typique qui peut se présenter. Il
se peut également que aucune clause n'ait
été insérée dans le contrat. Cela n'exclut
pas les sanctions pécuniaires, mais il faut,
d'une part que le cocontractant ait commis
une faute, d'autre part que la personne
publique ait subi un préjudice, la sanction
pécuniaire présentant alors le caractère de
dommages intérêts compensant le préjudice.
Les sanctions coercitives sont destinées
à pallier la défaillance du cocontractant
par la substitution de l'administration au
cocontractant ou le recours à un tiers pour
la poursuite de l'exécution du contrat. Ces
sanctions peuvent être, comme dans le cas
précédent, l'application de clauses du contrat,
mais sont applicables même en l'absence de
telles clauses, dès lors qu'il y a manquement
grave de la part du cocontractant et que les
sanctions apparaissent indispensables pour
assurer la continuité du service public (V. R.
Odent, concl. sur CE 23 juin 1944, Ville de
Toulon, RDP 1945, p. 101).
Les sanctions coercitives comportent plusieurs modalités. La mise sous séquestre est une mesure
provisoire et conservatoire prise à l'égard du concessionnaire, qui conserve son « droit » à la
concession. La mise en régie s'applique à l'entrepreneur ou au fournisseur défaillant. Ces sanctions,
quelles qu'elles soient, ne mettent pas fin au contrat, celui-ci se poursuit, aux frais et risques du
signataire du contrat. Toute autre est la déchéance, qui est une résiliation mettant fin au contrat.
B. Les pouvoirs de l'administration relativement à la durée du contrat
Le contrat prend fin normalement, en droit public comme en droit privé, par l'expiration du terme
convenu ou par l'exécution complète des prestations convenues dans le contrat (qui peut intervenir
avant le terme si le cocontractant a fait diligence).
Il convient aussi de rappeler d'autres causes de fin prématurée du contrat : une hypothèse banale
(bien que l'on n'y songe pas nécessairement spontanément) est le décès du cocontractant ; une
autre hypothèse est celle de la survenance d'un cas de force majeure (V. par ex. CE 2 mars 1956,
Hoang-Van-Ngoc, Rec. Penant 1956, p. 301, concl. M. Long, à propos de la guerre).
En dehors de ces hypothèses la fin prématurée du contrat est principalement la conséquence d'une
résiliation. Il existe plusieurs formes de résiliation. Elle peut être demandée par le cocontractant, si
l'administration a bouleversé l'économie du contrat, ou encore si elle a commis une faute de nature
à justifier cette résiliation. Celle-ci peut encore être prononcée par le juge. La résiliation qui nous
intéresse ici est la résiliation prononcée par l'administration, et l'on peut en distinguer deux sortes.
1. La résiliation-sanction
La résiliation est, lorsqu'elle prononcée par l'administration, la sanction la plus grave qui puisse
frapper le cocontractant, il faut donc que celui-ci ait, par son action ou son inaction, commis un
manquement grave au contrat.
La résiliation sanction est subordonnée à la réunion d'un certain nombre de conditions. Tout d'abord,
il faut que le cocontractant ait commis une faute grave, le juge parle même, dans certaines décisions,
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d'une faute d'une « particulière gravité ». Celle-ci est constituée, par exemple, par l'arrêt de
l'exécution du contrat par le cocontractant, qu'il s'agisse de l'arrêt de travaux ou de l'arrêt du
fonctionnement du service, avec refus de les reprendre après une mise en demeure (CE 7 mai
1937, Société Samson et Spitzner, Rec. p. 480), ou encore de la livraison de fournitures ou de
matériels d'une qualité notoirement insuffisante. Ensuite, même si les stipulations contractuelles
prévoient cette possibilité de résiliation sanction, il faut que le juge puisse contrôler la régularité de
ladite résiliation. Il faut relever, enfin, que cette sanction peut fort bien se cumuler avec des pénalités
contractuelles ou des dommages intérêts. Si la faute du cocontractant est reconnue, celui-ci doit
supporter la charge des conséquences de la déchéance, par exemple la poursuite du fonctionnement
du service, en revanche si la déchéance est irrégulière, l'administration sera condamnée au paiement
de dommages intérêts au profit de son cocontractant.
2. La résiliation dans l'intérêt général
Le pouvoir de résiliation du contrat reconnu à l'administration n'est qu'un aspect du pouvoir général
de modification unilatérale du contrat consacré par le juge au profit de cette dernière. Le fondement
en est toujours le même, la satisfaction de l'intérêt général.
La jurisprudence a consacré ce pouvoir dans tous les types de contrats administratifs. Cela a
d'ailleurs été confirmé par le Conseil constitutionnel selon lequel « le pouvoir de résiliation d'un
contrat (administratif) conféré (...) au représentant de l'Etat est conforme aux principes applicables
aux contrats administratifs » (CC 18 janvier 1985, décision n° 84-182 DC). Il faut relever que, ce
pouvoir étant discrétionnaire (ce qui ne veut surtout pas dire arbitraire), les décisions prises à ce
titre n'ont pas à être motivées (CE 2 février 1987, Société TV6 et autres, Rec. p. 29, RFDA 1987,
p. 29, concl. Fornacciari).
§2. Les obligations de l'administration contractante
Chacun sait qu'il n'y a pas de droits sans obligations. Plus les droits, reconnus ou revendiqués, sont
importants, et plus importantes sont (ou devraient être) les obligations.
En ce qui concerne les contrats administratifs, il est normal, légitime et logique, que les
droits exorbitants consacrés au profit de l'administration s'accompagnent d'obligations tout aussi
exorbitantes, puisque la finalité demeure la même, et que l'intérêt général qui justifie ces droits
appelle de manière tout aussi incontestable des obligations.
Ces obligations peuvent être variables mais, d'une manière ou d'une autre, et parce que le monde est
ce qu'il est, ces obligations se ramènent presque inévitablement à des obligations financières. On
n'insistera pas, tant il paraît évident, sur le fait que l'administration doit payer le prix des fournitures,
travaux ou services, qui font l'objet du contrat. D'une manière plus générale, on peut parler de
l'équilibre financier du contrat, et les obligations de l'administration ne se peuvent comprendre
que dans la perspective du maintien ou du rétablissement de l'équilibre financier du contrat. En
simplifiant, il est possible de dire qu'une double obligation pèse sur la personne publique, l'obligation
de rémunérer le cocontractant, l'obligation d'indemniser ce dernier.
A. L'obligation de rémunérer le cocontractant
Une telle obligation paraît aller de soi. Encore faut-il préciser en quoi elle consiste, car, selon les
types de contrats, elle prend des formes différentes.
1. La rémunération du concessionnaire
La rémunération du concessionnaire présente des particularités en raison de la nature de la
concession. Nous avons déjà vu que, dans le contrat de concession, le concessionnaire exploite
pendant un certain temps, soit l'ouvrage qu'il a le plus souvent lui-même construit, soit le service
qui lui a été concédé. La durée du contrat est donc un élément important pour le cocontractant,
car celui-ci prend en considération cette durée dans ses calculs de rémunération, d'amortissement
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des investissements, etc. La concession, en particulier, était généralement, et pour les raisons qui
viennent d'être dites, un contrat de longue durée. Au surplus, pendant très longtemps les personnes
publiques ont été très libres dans la fixation de la durée des contrats administratifs. Il n'en est
plus ainsi aujourd'hui. La durée des délégations de service public (dont fait partie la concession,
V. leçon précédente) est réglementée par la loi. La loi du 29 janvier 1993, à laquelle il a été fait
référence à plusieurs reprises, déclare que la durée des conventions doit être déterminée en
fonction des prestations demandées au délégataire et, si les installations sont à la charge du
délégataire (cas fréquent dans la concession), la durée du contrat ne peut pas dépasser la durée
normale d'amortissement des installations mises en oeuvre. Le Conseil constitutionnel, saisi de la
constitutionnalité de ces dispositions, a déclaré qu'elles ne portaient pas atteinte au principe de libre
administration des collectivités territoriales, celles-ci disposant d'une marge d'appréciation suffisante
eu égard à la multiplicité des modes de calcul d'amortissement (CC n° 92-316 DC, 20 janvier 1993,
Prévention de la corruption).
Lorsque le concessionnaire n'a commis aucune faute, l'administration peut cependant
abréger la durée de la concession, mais elle doit, pour cela, procéder à un rachat de cette
dernière. L'indemnité que la personne publique verse alors à son cocontractant dans le cadre du
rachat doit couvrir à la fois la perte réalisée du fait de la privation d'exploitation pour le temps
qui restait à courir et l'espérance des gains que le cocontractant aurait pu obtenir. Précisons que
le rachat porte sur le droit d'exploiter et, éventuellement, sur les biens mobiliers achetés par le
concessionnaire, mais non sur les ouvrages réalisés par ce dernier, ouvrages qui, par hypothèse,
sont la propriété du concédant (CE 16 novembre 1956, Sociétés B.A.B. et B.L.B., RPDA 1957, p.
19, concl. Laurent).
2. La rémunération des contractants autres que le concessionnaire
En dehors du concessionnaire, le cocontractant est fréquemment un entrepreneur ou un
fournisseur, et la rémunération consiste en un prix payé à ces derniers. Le prix est fixé dans
le cahier des charges, lorsqu'il en existe un. Le principe de la comptabilité publique (analogue
à celui que l'on trouve pour la rémunération des agents dans la fonction publique) est celui du
paiement après constatation des ouvrages réalisés ou de la livraison des fournitures. On parle alors
de réception des travaux ou des fournitures.
Cependant dans un certain nombre de contrats, plus spécialement en matière de marchés publics,
ce principe peut se révéler un obstacle à une véritable concurrence, donc à la satisfaction de l'intérêt
général : en effet ces contrats portent le plus souvent sur des travaux très importants, ou sur des
quantités importantes, et la réalisation des travaux (dans le cas d'un marché de travaux publics)
porte sur plusieurs années. L'entrepreneur n'a pas, dans la plupart des cas, la « surface financière »
suffisante pour faire une avance des fonds sur une telle durée et pour un tel montant. L'application
stricte des règles de la comptabilité publique se retournerait ici contre l'intérêt public recherché en
ne permettant de s'adresser qu'à quelques entrepreneurs. L'intérêt de la puissance publique comme
celui de l'entrepreneur se rejoignent pour apporter des atténuations à la rigueur de ce principe.
C'est pourquoi l'administration est autorisée à payer au cocontractant une partie des sommes
dues avant réalisation complète des travaux ou livraison complète des fournitures. On
distingue les acomptes et les avances. Les acomptes sont versés périodiquement pour prix de
ce qui a déjà été effectivement réalisé (pour des travaux autoroutiers il peut s'agir, par exemple,
de la réalisation d'un certain kilométrage). Toutes les prestations à assurer ne sont pas susceptibles
de donner lieu à des acomptes mais, lorsque tel est le cas, les acomptes sont un droit pour le
cocontractant, et le refus de les verser peut constituer une faute de l'administration. Le titulaire
du contrat peut s'adresser au juge des référés pour lui demander le versement d'une provision
représentative de tout ou partie de ces acomptes (CE 3 décembre 2003, Société Bernard travaux
Polynésie). Les avances sont versées, ainsi que leur nom l'indique d'ailleurs, avant tout service
fait, lorsque le contrat à réaliser (cela s'applique essentiellement aux marchés publics) comporte
des achats importants indispensables au contractant pour entreprendre les travaux ou procéder à
la livraison de fournitures.
B. L'obligation d'indemniser le cocontractant
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L'obligation pour l'administration d'indemniser, dans les cas qui vont être cités, son cocontractant,
et qui va se traduire, pour ce dernier, par un droit à obtenir cette indemnisation, est l'expression
d'une double exigence, celle d'assurer la continuité de la satisfaction du service public, et celle de
respecter le principe de l'équilibre financier du contrat.
Commençons par écarter les hypothèses dans lesquelles cette obligation ne joue pas. Il en est ainsi,
tout d'abord, et il faut le préciser bien que cela puisse paraître évident (mais il n'y a jamais de véritable
évidence en droit), lorsque la rupture de l'équilibre financier du contrat n'est due qu'à la faute du
cocontractant, à son impéritie, son incapacité. Il en est ainsi, ensuite, lorsque la charge financière
supplémentaire qui pèse sur le cocontractant est le résultat d'aléas économiques normaux. Tel est
le cas, par exemple, dans le cas de la concession, lorsque le nombre d'usagers n'est pas aussi élevé
qu'on aurait pu le supposer ou l'espérer (par exemple le nombre d'usagers utilisant une autoroute
concédée), ou, dans le cas d'un marché, lorsque la hausse du prix des matières première déjoue les
prévisions initiales du titulaire du marché. Ce dernier exemple montre combien il est difficile parfois,
pour le juge, de distinguer l'aléa normal de l'aléa exceptionnel qui, lui, n'a pas à être supporté par
le contractant : notre époque connaît de multiples exemples d'augmentation de prix de certaines
matières premières que, naturellement, les experts n'avaient pas prévus, ou dont ils avaient sousestimé l'augmentation.
Sous ces réserves et observations, l'obligation d'indemniser pour l'administration joue dans deux
séries d'hypothèses : lorsque, d'une part, une situation nouvelle est créée par l'administration
contractante, d'autre part, lorsque surviennent certains faits extérieurs à l'autorité contractante.
1. L'obligation d'indemniser résultant d'une situation nouvelle créée par
l'autorité administrative contractante
Deux théories ont été élaborées pour répondre à des situations rentrant dans cette hypothèse, celle
des travaux supplémentaires et celle du fait du prince.
La théorie des travaux supplémentaires porte également la dénomination de théorie des sujétions
imprévues lorsqu'il s'agit de travaux publics. Elle aboutit à mettre à la charge de l'administration
contractante les travaux supplémentaires découlant de l'exécution du contrat. Deux séries de
situations l'illustrent.
Il peut tout d'abord arriver que des travaux non prévus au contrat soient expressément
commandés par l'administration à son cocontractant au moyen, le plus souvent, d'ordres
de service écrits. L'ordre de service est l'acte par lequel, en vertu de son pouvoir de direction et
de contrôle présenté plus haut, l'administration contractante dirige l'exécution du contrat et impose
éventuellement des modifications à ce dernier. Le caractère écrit est fréquemment exigé par les
stipulations du contrat (CE 12 juin 1942, Société des Etablissements Sainrapt et Brice, Rec. p. 199).
Dans ce cas l'autorité publique contractante assume la totalité du coût supplémentaire.
Il peut se faire, également, que des travaux non prévus par le contrat et non commandés par
l'administration, soient réalisés spontanément par le cocontractant parce qu'ils ont été jugés
par ce dernier indispensables, compte tenu des règles de l'art, à la réalisation de l'ouvrage.
Ces travaux supplémentaires donnent lieu à indemnisation intégrale de la part de l'administration,
mais à condition qu'ils aient été réellement indispensables, et pas seulement utiles (CE 17 octobre
1975, Commune de Canari, AJDA 1975, chron. Boyon et Nauwelaers).
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La théorie des sujétions imprévues correspond à une situation dans laquelle l'entrepreneur
rencontre, en cours d'exécution du marché de travaux, des difficultés particulières qui, pour être
prises en considération, doivent être extérieures aux parties, imprévisibles au moment de la
conclusion du contrat, et qui affectent gravement l'exécution du contrat.
Ces situations peuvent consister (puisqu'il s'agit de travaux publics) en difficultés rencontrées dans
la nature du sous-sol, qui ne correspond pas aux forages qui ont été effectués (CE 12 mai 1982,
Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, Rec. p. 668) ou en événements climatiques (laissés,
nécessairement, à l'appréciation du juge ; V. CE 13 mai 1987, Société Citra-France).
La théorie du fait du prince va jouer dans un autre cas de figure, celui dans lequel les charges du
cocontractant dans l'exécution du contrat sont aggravées, directement ou indirectement, par
une mesure prise par l'administration contractante au titre de prérogatives autres que celles
tirées du contrat en cause.
Deux conditions doivent être réunies pour que puisse s'appliquer la théorie de fait du prince.
Il faut, d'une part, que la personne publique dont émane la mesure qui est à l'origine de l'aggravation
des charges du cocontractant soit celle qui a signé le contrat. Lorsque, en effet, les mesures qui
frappent le cocontractant émanent d'une autre personne publique que celle qui a signé le contrat,
le cocontractant doit rechercher, s'il estime qu'une indemnisation lui est due par l'administration, un
autre fondement que celui du fait du prince (V., pour une distinction faite par le juge entre ces deux
sortes d'hypothèses CE 12 mars 1976, Département des Hautes-Pyrénées c/ Société Orfila). Ce cas
de figure se rencontre notamment lorsque l'Etat aggrave, par un changement de législation ou de
réglementation, les charges des cocontractants des collectivités locales (CE 4 mars 1949, Ville de
Toulon, Rec. p. 197 ; CE 5 novembre 1982, Société Propétrol, Rec. p. 381).
Il faut, d'autre part, que la mesure qui a eu un effet aggravant, ou bien soit spéciale au cocontractant,
ou bien porte atteinte à un élément essentiel du contrat. La condition de spécialité est assez facile
à satisfaire lorsque la mesure incriminée est un acte non réglementaire qui atteint uniquement le
cocontractant. La théorie du fait du prince ne fait que sanctionner ici le principe de l'exécution de
bonne foi du contrat (CE 29 décembre 1905, Bardy, Rec. p. 1015, concl. Romieu). Le commissaire
du gouvernement observait, dans une formule imagée que l'on reprend volontiers parce qu'elle
est évocatrice, que le Conseil d'Etat n'admet pas cette surcharge comparable au « geste célèbre
du guerrier gaulois jetant son épée dans la balance » (concl. Latournerie sur CE 9 mars 1928,
Compagnie des scieries africaines, RDP 1928, p. 327). En revanche lorsque la mesure est un acte
à caractère réglementaire, il y aura beaucoup moins de chances que le cocontractant puisse faire
valoir la théorie du fait du prince car, par définition, cette mesure est susceptible de toucher, sinon
un grand nombre de personnes, tout au moins un nombre indéterminé de personnes (CE 17 juillet
1950, Chouard, Rec. p. 444 ; V. la leçon sur l'acte unilatéral). Quant à l'atteinte à l'objet essentiel
du contrat, elle est réalisée notamment lorsque l'économie du contrat se trouve bouleversée par la
mesure administrative en question.
Si ces deux conditions sont réunies, l'administration contractante a l'obligation d'indemniser
intégralement de la surcharge financière qu'il subit, cette indemnisation devant couvrir à la fois le
damnum emergens (c'est-à-dire la perte subie) et le lucrum cessans (c'est-à-dire la perte du profit
escompté).
2. L'obligation d'indemniser résultant de faits extérieurs à l'administration
Plusieurs faits sont susceptibles d'affecter plus ou moins profondément la vie du contrat. Nous
en avons déjà cités certains, tels la force majeure. Une autre situation, celle qui va nous retenir
maintenant, est celle dite d'imprévision.
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La théorie de l'imprévision est destinée à permettre la poursuite de l'exécution du contrat, malgré
des difficultés importantes et passagères que rencontre, indépendamment de son fait comme de
l'administration, le cocontractant.
Si le terme d'imprévision apparaît avant 1916, c'est cependant à cette date que la théorie est faite par
le commissaire du gouvernement Chardenet, dans de remarquables conclusions sur la décision CE
30 mars 1916, Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux, S 1916, III, p. 17, concl. Chardenet,
note Hauriou), connue également sous le diminutif de « Gaz de Bordeaux ». Dans cette affaire la
Compagnie en question était concessionnaire de la distribution du gaz et de l'électricité de la ville
de Bordeaux. Les tarifs avaient été établis, dans le contrat, sur la base du prix du charbon. Avec la
guerre ce dernier augmenta et, la société ayant demandé en vain à la ville l'autorisation de relever
ses tarifs, déféra ce refus au juge du contrat.
Jurisprudence
L'argumentation suivie par le Conseil d'Etat est la suivante. Tout d'abord, « en principe le contrat
de concession règle d'une façon définitive, jusqu'à son expiration, les obligations respectives du
concessionnaire et du concédant ». En d'autres termes, le concessionnaire est tenu d'exécuter
le service aux conditions fixées par le contrat, la variation du prix des matières premières
ne constitue qu'un aléa qui peut être, selon les circonstances, favorable ou défavorable au
contractant. Dans un deuxième temps du raisonnement le juge relève qu'en l'espèce l'aléa non
seulement est exceptionnel mais dépasse toutes les prévisions qui ont pu être faites par
les parties au moment de la conclusion du contrat. Dans un troisième temps il en déduit que «
l'économie du contrat se trouve absolument bouleversée » et, dans un quatrième temps, il en
tire la conclusion que si la prétention du requérant de ne supporter aucune augmentation doit être
rejetée, il faut cependant adopter une solution qui tienne compte à la fois de l'intérêt général, qui
exige la continuation du service, donc du contrat, et des conditions spéciales qui ne permettent pas
au contrat de recevoir son application normale. Il faut donc que chacun des deux contractants
supporte une part du déficit jusqu'à ce que la situation soit redevenue normale.
Si l'on récapitule les différents temps de la démarche du juge, trois conditions apparaissent
indispensables pour que la théorie de l'imprévision puisse s'appliquer.
•
En premier lieu, les circonstances qui ont affecté l'exécution du contrat doivent excéder les
aléas économiques et commerciaux normaux, c'est-à-dire revêtir un caractère anormal et
imprévisible. La théorie de l'imprévision n'a donc pas pour effet de supprimer l'aléa qui existe
dans tout contrat, il ne suffit même pas que l'aléa présente un caractère exceptionnel, il faut qu'il
ait revêtu un caractère extraordinaire. Selon la formule d'un commissaire du gouvernement,
celui-ci est « l'événement déjouant tous les calculs que les partise ont pu faire au moment du
contrat » (Corneille, concl. sur 3 décembre 1920, Fromassol, RDP 1920, p. 64). Il convient
de préciser que les aléas qui peuvent survenir sont (c'est le plus fréquent) des aléas d'ordre
économique, mais peuvent être également des aléas d'ordre administratif (tel a pu être le cas puisque aujourd'hui la compétence monétaire n'appartient plus à la France - d'une dépréciation
monétaire qui n'a pu être prévue par les parties (CE 4 mai 1949, Ville de Toulon, Rec. p. 197 ;
CE 15 juillet 1949, Ville d'Elbeuf ; CE 22 février 1963, Ville d'Avignon),voire des aléas d'ordre
naturel (exemple un séisme violent, CE 12 mars 1920, Compagnie des automobiles postales,
Rec. 1921, p. 501, concl. Corneille) ou des événements politiques (CE 15 juin 1951, Société
Hydraulique-Asie, Rec. p. 349).
•
En deuxième lieu, les circonstances doivent être étrangères au cocontractant. Ce dernier ne
peut en effet se prévaloir de la théorie de l'imprévision s'il porte quelque responsabilité dans
la situation qui l'affecte, ou même s'il n'a pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter
cette situation. La condition de l'extériorité par rapport à l'administration a, en revanche, été
discutée. Certains auteurs tel que Jèze estimaient que l'événement devait avoir été extérieur
aussi bien à l'administration qu'au contractant de celle-ci. En réalité tel ne semble pas être le
cas, et dans l'hypothèse où l'administration est à l'origine des faits qui ont affecté l'exécution
du contrat, certes le cocontractant peut se prévaloir de la théorie du fait du prince, qui lui est
plus favorable, mais si les conditions de cette dernière ne sont pas réunies, il semble que le
cocontractant puisse de prévaloir de la théorie de l'imprévision.
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•
En troisième lieu, ces circonstances doivent entraîner un véritable bouleversement du contrat.
C'est là évidemment une notion sujette à discussion, c'est au juge qu'il revient d'apprécier si tel
est le cas ou non : une diminution du bénéfice, sa disparition, voire un déficit, ne signifient pas
nécessairement qu'il y a bouleversement du contrat (bien d'autres facteurs ont pu jouer pour
expliquer cette situation). Lorsque les parties se mettent d'accord contractuellement pour fixer
un seuil à ce bouleversement, ces dispositions s'imposent en cas de contestation (CE 5 juin
1985, Ministre délégué au temps libre c/ Société Baffrey-Hennebique). En pratique les cas de
reconnaissance, par le juge administratif, d'un bouleversement du contrat sont très rares (V.
pour un exemple de cette reconnaissance CE 14 juin 2000, Commune de Staffelfelden, BJDCP
2000, p. 434, concl. Bergeal : dans cette affaire, où il y avait un contrat de fourniture d'eau entre
une société et une commune, le juge a considéré qu'il y avait bouleversement de l'économie du
contrat car « la pollution qui a frappé le site de captage d'eau (...) avait un caractère irrésistible
et a constitué, en raison de son ampleur qui en interdit l'exploitation pendant une période qui
pourrait atteindre deux siècles, un événement imprévisible au moment où a été conclu le contrat
d'approvisionnement en eau de la commune »).
Lorsque la situation d'imprévision est reconnue par le juge, elle donne lieu au versement par
l'administration à son cocontractant d'une indemnité dite indemnité d'imprévision ou encore
indemnité pour charges extracontractuelles. La détermination de cette indemnité, par le juge, est
effectuée en trois temps consistant, d'abord à définir une « période extracontractuelle » - qui ne
signifie pas que le contrat n'est plus applicable mais que l'on se trouve, pour cette période (qui est,
par définition, temporaire) hors de l'application du contrat tel qu'il avait été prévu - ensuite à fixer le
montant de la « charge extracontractuelle » et, enfin, à arrêter le partage de cette charge entre la
personne publique et son cocontractant. Cela signifie que ce dernier doit supporter une partie de la
charge extracontractuelle, ce qui différencie l'imprévision de la théorie du fait du prince. En pratique,
cependant, cette part qui demeure à la charge du cocontractant est relativement faible, de l'ordre de
10% (V. CE 9 mai 1962, Ville de Bastia, Rec. p. 307, mais il ne faut pas prendre ce pourcentage
comme fixé une fois pour toutes, il peut varier en fonction des situations).
La théorie de l'imprévision est destinée à pallier les défaillances du cocontractant pour les raisons
que l'on vient d'exposer. Comme toute théorie jurisprudentielle, elle connaît des limites, car on ne
peut admettre, même avec les conditions qui viennent d'être présentées, que toutes les situations
puissent trouver une solution satisfaisante. La limite tient à ce caractère, exigé pour l'application de
l'imprévision, du caractère temporaire de l'aide apportée par l'administration.
Jurisprudence
Dans une affaire qui marque bien ces limites, le Conseil d'Etat a affirmé que « dans le cas où
les conditions économiques nouvelles ont créé une situation définitive qui ne permet plus au
concessionnaire d'équilibrer ses dépenses avec les ressources dont il dispose, le concédant ne
saurait être tenu d'assurer aux frais du contribuable, et contrairement aux prévisions essentielles
du contrat, le fonctionnement d'un service qui a cessé d'être viable » (CE 9 décembre 1932,
Compagnie des tramways de Cherbourg. Dans cette affaire une société concessionnaire avait
modifié à plusieurs reprises ses tarifs, avec l'accord de la ville, sans que cela mette fin à son déficit.
Ne pouvant plus augmenter encore ses tarifs sous peine de perdre tous ses clients, la société
s'adressa au juge pour lui demander l'application de la théorie de l'imprévision. Mais ici une double
différence séparait cette affaire de celle de la Compagnie du gaz de Bordeaux : la ville avait autorisé
le relèvement des tarifs, et le déficit paraissait définitif). Le juge estime que cette situation nouvelle
est constitutive d'un cas de force majeure qui permet la résiliation du contrat. Le juge peut être saisi,
pour dresser ce constat, soit par le concédant, soit par le concessionnaire.
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Jurisprudence
Une formule de la décision Commune de Staffelfelden, citée précédemment, résume fort bien la
jurisprudence : « au cas où des circonstances imprévisibles ont eu pour effet de bouleverser le
contrat et que les conditions économiques nouvelles ont en outre créé une situation définitive
qui ne permet plus au concessionnaire d'équilibrer ses dépenses avec les ressources dont il
dispose, la situation nouvelle ainsi créée constitue un cas de force majeure et autorise à ce titre
le concessionnaire, comme d'ailleurs le concédant, à défaut d'une orientation nouvelle à donner à
l'exploitation, à demander au juge la résiliation de la concession, avec indemnités s'il y a lieu, et en
tenant compte tant des stipulations du contrat que de toutes les circonstances de l'affaire ».
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