Le récit de vie – Daniel Bertaux

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Le récit de vie – Daniel Bertaux
Le récit de vie – Daniel Bertaux
Armand Colin, 1997
Résumé par Léa Billen.
Introduction
Terme de « récit de vie » venu remplacer dans les 1970s celui d’« histoire de vie » :
distinction entre l’histoire vécue et le récit que la personne en fait. Forme particulière
d’entretien : l’entretien narratif.
CHAP 1 : La perspective ethnosociologique
Sociologue ≠ ethnologue : objectif de passer du particulier au général
(≠ monographie sur une sous-culture, un terrain particulier). Pb : coexistence au sein
d’une société de mondes sociaux développant chacun une sous-culture.
Les objets d’étude de l’enquête ethnosociologique
 Mondes sociaux : construit autour d’un type d’activité spécifique (métier,
mais aussi activité culturelles, sportives, associatives…). Constitue un
mésocosme qui se déclinent en plusieurs microcosmes. Postulat de la
démarche ethnosociologique : l’étude d’un ou plusieurs microcosmes donne
des informations sur l’ensemble du mésocosme. Ex. l’étude d’une boulangerie
donne des infos sur le monde de la boulangerie artisanale.
 Catégories de situation : ensemble des personnes dont la situation
engendre les mêmes contraintes, les mêmes logiques mais qui ne forment
pas pour autant un monde social (pas d’activité commune). Ex. les mères au
foyer.
Les techniques de l’enquête ethnosociologique
But ≠ vérifier des hypothèses posées a priori, mais comprendre le fonctionnement
interne de l’objet social étudié + élaborer un modèle de ce fonctionnement sous la
forme d’hypothèses plausibles. Construction d’un corps d’hypothèse
≠ vérification d’hypothèses a priori.
Interviewé n’a pas le même statut que dans l’enquête sociologique : statut
d’informateur sur un contexte social dont il a l’expérience ≠ accent mis sur l’intériorité
du sujet dans l’enquête sociologique.
Récit de vie doit être orienté vers le récit de pratiques : description d’expériences
vécues personnellement et des contextes au sein desquels elles se sont inscrites.
Statut et fonction des données empiriques
Fonction des données dans l’enquête sociologique :
 Description statistique de phénomènes collectifs
 Vérification des hypothèses
Fonction des données dans l’enquête ethnosociologique : thick description
(description en profondeur). Valeur de généralité :
 Contre-généralisation : fait exploser les représentations de sens commun
 + elle est profonde, + la description est universalisable
But de l’enquête ethnosociologique : découverte de récurrences entre les récits de
vie pour la construction d’un modèle.
Le statut des hypothèses
≠ sur des relations entre variables. = sur des configurations de rapports, logiques de
situation, mécanismes sociaux, processus récurrents. Pour « vérifier » le modèle
proposé à l’issue de l’enquête ethnosociologique, l’argument de l’adéquation au cas
concret ne vaut pas : c’est plutôt l’argument du choix qui s’est fait au cours de
l’enquête en faveur de ces hypothèses plutôt que d’autres qu’on a abandonnées.
La généralisation des résultats
Découvrir le général au sein du particulier. Particulièrement facile lorsque étude d’un
monde social institutionnel dans lequel les mêmes règles s’imposent à tous les
microcosmes (ex : l’école). Focalisation sur l’expérience vécue d’une même situation
sociale : à partir d’une même situation sociale, quelles réactions et qu’est-ce que ces
réactions nous apprennent de la situation sociale ?
CHAP 2 : Du récit de vie
≠ Autobiographie, récit de la totalité de l’histoire d’une personne de la naissance au
présent. Dans l’autobiographie, sujet voit sa vie comme une totalité. Dans le récit de
vie, le chercheur invite le sujet à considérer sa vie à travers un filtre : le chercheur lui
a dit qu’il faisait un travail sur un thème précis et pourquoi il voulait l’interviewé, lui
précisément.
Colonne vertébrale du récit de vie = la ligne de vie. Composée d’évènements, de
situation, de projets, d’actions et d’actions en cours.
Domaines de l’existence
 Relations familiales et interpersonnelles : projet de vie n’est pas le fruit d’une
conscience isolée, construit au cours d’un dialogue avec ses proches.
Postulats : les rapports instrumentaux ne régissent pas seuls une société,
aussi les rapports affectifs et moraux.
 Ecole et formation des adultes : école primaire produit du même / production
du différents à mesure que les enseignements se spécialisent.
 Insertion professionnelle : période entre la sortie du système scolaire et
l’emploi stable
 Emploi : entreprises structurées par des rapports de production et de pouvoir
CHAP 3 : 3 fonctions des récits de vie
La fonction exploratoire
Chercheur en début de recherche se tourne vers les « informateurs centraux » :
attention, situés au centre de l’horizon à appréhender, ont des convictions fortes, des
intérêts à protéger  Discours particulier  Nécessité d’interroger aussi de simples
« participants » sur leur expérience concrète de l’objet social à étudier.
1ers récits de vie : occasion pour le chercheur d’apprendre (intervient plus souvent
qu’il ne sera amené à le faire après, pour se faire expliquer ce qu’il ne comprend
pas), et de désapprendre (se débarrasser de ses préjugés).
La fonction analytique
Le chercheur se constitue une représentation mentale des mécanismes de
fonctionnement de son objet d’étude.
Elaboration d’hypothèses, test par la comparaison et élimination progressive des
mauvaises. Récurrences empiriques apparaissent vite, mais attention aux
conclusions hâtives sur leur signification sociologique pour le modèle.
Un basculement d’hypothèse, c’est déjà bien, ça suffit à justifier une enquête : se
produit lorsque le chercheur arrive à se débarrasser du sens commun et à renverser
la perspective de ses hypothèses initiales.
La fonction expressive
La retranscription entière d’un récit de vie a une fonction illustrative ≠ de recherche :
le récit de vie marque l’imaginaire, mais médiation du chercheur nécessaire pour en
faire un outil sociologique.
CHAP 4 : Le recueil des récits de vie
Identité du chercheur
Dans un microcosme où tout le monde se connaît, chercheur en position d’observé.
Se construire une identité : étudiant passe bien (on veut aider l’étudiant), journaliste,
sociologue ou ethnologue passe souvent mal, historien passe mieux.
Eviter le terme d’enquête. Faire savoir sur quoi on travaille et dans quel but.
Présenter l’enquête de telle sorte à ce qu’elle soit utile aux interviewés (notamment
ds le cas de catégories sociales dont on ne parle pas dans les médias).
Prise de rdv
Pr convaincre une personne de se laisser interviewer, lui faire comprendre qu’elle ne
racontera pas sa vie à un inconnu, mais seulement en tant que représentante d’une
catégorie ou d’un monde social. Faire connaître l’objet de la recherche, mais bannir
le vocabulaire « sociologique », termes simples. Lui dire que tout peut être
intéressant, que tout le monde a qc à raconter. Insister sur le terme de « raconter ».
Préparation de l’entretien
≠ Guide d’entretien thématique, ≠ questionnaire. Courte liste de points à aborder à la
fin de l’entretien si le sujet n’en a pas parlé = les questions que le chercheur se pose
à ce stade de l’enquête (et non celles auxquelles le sujet veut répondre)  Ne s’y
reporter qu’à la fin pour laisser à d’autres questions la possibilité d’émerger et à
certaines de la liste de s’annuler.
2 parties à l’entretien narratif :
 Laisser le sujet se raconter, mener l’entretien, le chercheur écoute, pose
éventuellement quelques questions futées au bon moment.
 A la fin, demande de précisions, éventuellement évoquer un mécanisme que
le chercheur croit avoir identifié pour voir si le sujet confirme.
Avant l’entretien, se faire un portrait prévisionnel de l’interviewé : ce qu’on nous en a
dit, ce qu’il est susceptible de nous dire compte-tenu de sa position dans le
microcosme.
Lancer l’entretien
 Contexte social : l’interviewé s’adresse par l’intermédiaire du chercheur à
l’Université, la Société. Contexte social mis en place lors de la prise de rdv
(thème et but de l’enquête…), mais à dépasser lors de l’entretien.
 Relation interpersonnelle entre interviewé et chercheur : reconnaître son
ignorance, mettre à l’aise l’interviewé.
 Question de lancement : 1) utiliser le verbe « raconter », 2) ne pas donner
d’ordre (« je voudrais que vous me racontiez » ≠ « racontez moi », « je veux
que »), 3) faire référence au filtre social à travers lequel le sujet racontera sa
vie au cours de l’entretien (permet de ne pas être trop intrusif et d’orienter
l’entretien vers le phénomène collectif qu’on cherche à élucider).
Accompagner
Différents types de questions :
 Relances
 Description de contextes, d’ambiances
 Explicitation d’une séquence enchaînant une situation et une action : récit
d’une réaction de l’interviewé qui nous surprend  pourquoi avez vous
fait ça ? auriez-vous pu faire autrement ?
 Envisager le champ des possible : est-ce que vous auriez préférez faire autre
chose ? est-ce que c’est ça que vous vouliez faire ? = Rendre visibles les
moments de choix.
A la fin de l’entretien, revenir sur un moment heureux : quel a été le moment le +
heureux ? l’amener à nous raconter ce qu’il considère comme un de ses grands
succès = Un contre-don après le don du récit qu’il vient de nous faire.
CHAP 5 : L’analyse au cas par cas
3 niveaux de phénomènes
 Intériorité du sujet : structuration de sa personnalité par la socialisation
 Historique de ses relations avec ses proches, de ses réseaux
 Rapports socio-structurels propres à tel monde social
3 états modifiés par des évènements.
3 ordres de réalité dans un récit de vie
 Réalité historico-empirique : histoire réellement vécue ou agie, comprend les
situations, la manière dont le sujet est passée de l’une à l’autre, les
évènements.
 Réalité psychique : ce que le sujet sait et pense rétrospectivement de son
parcours
 Réalité discursive : ce que le sujet a dit le jour de l’entretien, à cette personne
qu’est le chercheur
Dans quelle mesure le récit de vie donne une description fiable de la réalité historicoempirique ? Tout n’est pas fiable, mais il y a des choses fiables.
Reconstituer l’enchaînement diachronique des situations et des évènements pour
envisager une chaîne de réalité : une situation ne peut pas être causée par un
événement qui a eu lieu après ; un projet existe avant l’événement qui le réalise et
s’explique par des situations antérieures ; une action commandée par l’anticipation
d’un événement n’est pas causée par l’événement mais par l’anticipation…
Faire en sorte que l’interviewé nous donne un certain nb de dates qui permettent de
faire le lien entre temporalité biographique (contexte individuel) et temporalité
historique (contexte collectif). Analyser les médiations entre les grands évènements
collectifs, les changements sociaux historiques et les parcours individuels et
familiaux.
Phénomènes sociaux qui intéressent le chercheur sont rarement évoqués en tant
que tel par l’interviewé : savoir remarquer les mots « indices » qui cachent des
significations sociologiques importantes, mais que l’interviewé n’a pas développé en
tant que telles.
CHAP 7 : L’analyse comparative
Le moment de l’analyse comparative commence dès le 2 nd récit de vie (≠ enquête
quantitative) car déjà, remise en question de ce qu’on croyait savoir de l’objet. Esprit
comparatif irrigue toute l’enquête.
De la comparaison des parcours émergent des récurrences : lorsque la similitude
est telle qu’une typologie est inutile, comprendre la logique des parcours. Logiques
sociales peuvent ê interprétées de 2 façons : structuraliste (mécanismes sociaux) /
logiques d’action rationnelle en finalité (logique de chaque catégorie comparant sa
situation à celle des autres et faisant un choix rationnel à partir de ce constat).
Enquêtes quantitative (statistiques) peuvent venir confirmer l’hypothèse.
Ds l’enquête quantitative, concepts préalables aux hypothèses : concepts traduits en
variables, variables traduites en indicateurs, données empiriques confirment ou
infirment relations de causalité supposées entre variables.
Ds l’enquête de terrain, construction progressive d’un modèle d’interprétation des
phénomènes observés. Création simultanée de concepts et d’hypothèses.
CHAP 7 : Mise en forme et rédaction
Différentes logiques de construction de l’exposé :
 Découverte progressive des caractéristiques de l’objet : reproduction du
cheminement qu’a suivi le chercheur, genèse du modèle retracée
 Fonctionnement de l’objet : on commence par exposer le mécanisme qui
constitue le cœur de son fonctionnement puis on en montre les conséquences
 Genèse historique de l’objet lui-même : situer l’objet étudié dans son cadre
historique, faire émerger les tendances d’évolution historique et à venir.
 Passage du général au particulier : objet étudié et questions que l’on se pose
à son sujet = général / enquête de terrain = particulier. Mouvement de
l’exposé : 1) général (questions initiales, choix du terrain) 2) particulier
(raconter le terrain), 3) remontée en généralité
 Dynamique de développement biographique caractérisant un type particulier
de trajectoires : attention à la dérive biographique, centrer l’analyse sur les
cadres sociaux.

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