QUATRIÈME SECTION AFFAIRE MEDIPRESS

Transcription

QUATRIÈME SECTION AFFAIRE MEDIPRESS
QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA,
LDA c. PORTUGAL
(Requête no 55442/12)
ARRÊT
STRASBOURG
30 août 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des retouches de forme.
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
1
En l’affaire Medipress-Sociedade Jornalística, Lda c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant
en une chambre composée de :
András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juillet 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 55442/12) dirigée
contre la République portugaise et dont une société anonyme de droit
portugais, Medipress-Sociedade Jornalística e Editorial, Lda (« la
requérante »), a saisi la Cour le 16 août 2012 en vertu de l’article 34 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me R. Gil Santos, avocate à
Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été
représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure
générale adjointe.
3. La requérante dénonçait une atteinte à sa liberté d’expression en
raison de sa condamnation à verser des dommages-intérêts pour la
publication d’un article d’opinion.
4. Le 2 septembre 2014, la requête a été communiquée au
Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est une société de droit portugais dont le siège social se
trouve à Paço de Arcos.
2
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
6. Le magazine « Visão », dont la société requérante est propriétaire
depuis le 10 décembre 2008, publia le 7 octobre 2004 un article d’opinion
sous le titre « L’éveil du président ? ».
7. Dans cet article, le journaliste affirmait ce qui suit :
« (...) M. fait preuve d’une grande précision lorsqu’il se borne à travailler sur les
actes et les erreurs du gouvernement et de l’opposition. II est vrai qu’il a un
problème avec P.S.L. [le Premier ministre], ou P.S.L. avec lui. C’est pourquoi, peutêtre, le Premier ministre a sommé un peu lâchement son plus fidèle serviteur,
R.G.S., le ministre des Affaires parlementaires, d’accuser M. d’être un menteur et
un manipulateur et de le menacer de porter plainte contre lui devant la Haute
autorité [pour la communication sociale]. Pour la simple raison qu’il n’est pas
possible de revenir à l’époque de la censure, il propose désormais que dans la
réglementation future des médias soit prévu le principe du contradictoire pour (...) le
commentaire politique ! C’est-à-dire que l’opinion cesse d’être subjective pour être
soumise à ces nouvelles règles du journalisme ! Une loi taillée sur mesure pour M. !
S’agirait-il d’un délire provoqué par la consommation de drogues dures ? D’une
nouvelle originalité portugaise ? Ou tout simplement d’une bavure innommable ? ».
8. Le 25 septembre 2007, P.S.L., Premier ministre du Portugal du
12 juillet 2004 au 12 mars 2005, saisit le tribunal d’Oeiras d’une action en
responsabilité civile contre la société Edimpresa-Editora, Lda, ancienne
propriétaire du magazine « Visão », et contre l’auteur de l’article. Il
alléguait que l’article litigieux lui imputait la consommation de drogues
dures et portait atteinte à sa réputation.
9. D’après les dépositions de quatre des témoins indiqués par le
demandeur, interrogés au cours des audiences tenues au tribunal d’Oeiras,
l’article litigieux entretenait la confusion sur la consommation de drogues
dures par celui-ci, d’autant plus que cette rumeur circulait à l’époque dans le
milieu politique et social.
Le tribunal d’Oeiras conclut comme suit son verdict du 28 mai 2010 sur
les faits de la cause :
« (...)
Comme l’ont dit plusieurs témoins avec connaissance de cause en raison de leurs
fonctions, une rumeur circulait [attribuant] au demandeur la consommation de
drogues dures. L’article visait ainsi à faire écho à cette rumeur, la propager ou, pour
ceux qui n’en étaient pas au courant, éveiller le doute des lecteurs. »
10. Par un jugement prononcé le 22 septembre 2010, le tribunal
d’Oeiras, faisant partiellement droit aux prétentions du demandeur, conclut
que celui-ci avait subi une atteinte à sa réputation et condamna la société
requérante, solidairement avec l’auteur de l’article, à payer 30 000 euros
(EUR) au demandeur pour le préjudice moral causé par ladite atteinte, en
application des articles 484 et 70 du code civil.
Le tribunal d’Oeiras se prononça comme suit :
« L) Le texte élaboré par la [requérante] créait un doute au sujet de la consommation
de drogues dures par le demandeur, et il visait à communiquer cette allégation à
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
3
l’opinion publique de façon à discréditer et à désavouer celui qui venait de prendre ses
fonctions en tant que Premier ministre (...).
M) Et il avait pour but de démontrer l’incapacité du demandeur à assumer les
responsabilités de l’État ou à gérer les affaires étatiques, diminuant la confiance du
public en sa capacité pour l’exercice de fonctions publiques.
N) Et il visait à humilier et à ruiner l’image du demandeur.
(...) »
11. Le 4 octobre 2010, la société requérante interjeta appel de cette
condamnation devant la cour d’appel de Lisbonne. Le 25 octobre 2010, le
demandeur interjeta également appel du jugement : il considérait que le
montant de la réparation était insuffisant eu égard au préjudice qu’il estimait
avoir subi.
12. Par un arrêt du 21 juin 2011, la cour d’appel de Lisbonne confirma le
jugement du tribunal d’Oeiras, considérant que l’atteinte à la réputation de
l’intéressé avait été commise avec dol. Elle releva notamment :
– que l’article litigieux imputait indirectement au Premier ministre la
consommation de drogues dures ;
– que la partie de l’article correspondant à cette imputation ne relevait
pas de l’exercice du droit d’informer et était, par conséquent, illicite ;
– que l’article faisait naître un doute sur la consommation de drogues
dures par le Premier ministre et qu’il ne se bornait pas à émettre une critique
objective de la politique du gouvernement.
La cour d’appel de Lisbonne s’exprima comme suit :
« L) Le texte élaboré par la [requérante] créait un doute au sujet de la consommation
de drogues dures par le demandeur, et il visait à communiquer cette allégation à
l’opinion publique de façon à discréditer et à désavouer celui qui venait de prendre ses
fonctions en tant que Premier ministre (...).
M) Et il avait pour but de démontrer l’incapacité du demandeur à assumer les
responsabilités de l’État ou à gérer les affaires étatiques, diminuant la confiance du
public en sa capacité pour l’exercice de fonctions publiques.
N) Et il visait à humilier et à ruiner l’image du demandeur. »
« (...)
En fait, étant établi que l’article litigieux soulevait un doute au sujet de la
consommation de drogues dures par le demandeur force est de constater que [la
requérante] porta atteinte à la réputation du demandeur se plaçant sous l’empire de la
loi de la presse, du statut du journaliste et de l’article 484 du code civil.
(...) »
« (...)
Compte tenu des faits établis en l’espèce, force est de constater que l’allégation [par
la requérante] d’une simple critique objective à l’activité politique du pays manque
d’appui factuel.
(...) »
4
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
13. La cour d’appel considéra en outre, en se référant aux dépositions de
plusieurs témoins entendus au cours du procès, que des rumeurs sur la
consommation de drogues dures par le Premier ministre, P. S. L., circulaient
à l’époque de la publication de l’article précité.
À cet égard, la cour d’appel s’exprima comme suit :
« La question de l’existence ou non de rumeurs sur la consommation de drogues
dures par [le demandeur], bien qu’elle ne figure pas dans la décision spécifiant les
faits à établir (base instrutória), fut largement discutée tout au long de l’interrogatoire
des témoins, car les conseils des parties les ont interpellés à ce sujet (...) ce qui signifie
que les deux parties ont voulu clarifier cet aspect (...) »
14. Le 29 juin 2011, la requérante et l’auteur de l’article se pourvurent
en cassation devant la Cour suprême de justice.
15. Par un arrêt du 14 février 2012, la Cour suprême de justice confirma
l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne, considérant que l’article publié le
7 octobre 2004 avait constitué une attaque de nature personnelle à
l’encontre du demandeur et qu’elle devait, dès lors, être qualifiée d’illicite.
La Cour suprême de justice souligna que la société requérante, en publiant
l’article litigieux, avait fait naître un doute inacceptable à l’égard du Premier
ministre, puisque l’article laissait penser au public que ce dernier était un
consommateur de drogues dures. Recherchant si la société requérante avait
agi de bonne foi, la Cour suprême de justice estima que celle-ci ne s’était
pas bornée à publier une critique politique sur un sujet d’intérêt général
mais qu’elle avait dirigé une attaque personnelle et gratuite contre le
Premier ministre. La Cour suprême de justice expliqua que, d’une part,
l’affirmation litigieuse était dénuée de toute base factuelle puisque l’auteur
de l’article n’avait pas dûment vérifié ses informations avant de le rédiger,
et que, d’autre part, sous prétexte de critiquer le projet de modification
législative proposé par le Premier ministre, l’article s’était mué en un
commentaire visant directement l’intéressé.
16. La Cour suprême de justice considéra ainsi comme établi que
l’imputation de consommation de drogues dures dirigée contre le Premier
ministre était injuste et que l’article litigieux n’avait pas été rédigé en
conformité avec les règles déontologiques auxquelles sont soumis les
journalistes. Par conséquent, alors qu’il n’existait pas de hiérarchie entre le
droit de l’intéressé à la protection de l’honneur et le droit de la requérante à
la liberté d’expression, elle décida en l’occurrence de faire prévaloir le
premier sur le second. À cet égard, elle s’exprima comme suit :
« (...)
Les citoyens en général, et les journalistes en particulier, doivent pouvoir débattre
ouvertement des questions d’intérêt général, sous peine de transformer la critique
publique en [activité à] risque. Ils doivent pouvoir le faire sans considération du choc,
de l’amertume, des traumatismes ou des troubles émotionnels que la critique peut
engendrer. En effet, la protection du droit au respect de la réputation d’autrui est
réduite de façon automatique lorsqu’il s’agit d’hommes politiques. (...) Les
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
5
journalistes doivent pouvoir jouir d’une plus grande latitude pour des exagérations et
(...) des provocations (...). L’activité journalistique doit cependant observer les
principes déontologiques qui la régissent, dans le respect de la bonne foi, de manière à
fournir des informations exactes et dignes de confiance. (...) L’article examiné ici,
dans la partie portant sur (...) le « délire provoqué par la consommation de drogues
dures », ne se place pas dans le champ de la critique objective et sérieuse (...).
L’imputation n’étant pas (...) légitime, le conflit de droits entre les droits de la
personnalité (direitos de personalidade), d’une part, et le droit à la liberté
d’expression, d’autre part, se résout en l’espèce au détriment de la liberté d’expression
(...) ».
« (...)
Le texte litigieux avait pour but de créer dans l’opinion un doute au sujet de la
consommation de drogues dures par le demandeur, de façon à soulever des réserves
sur celui qui venait de prendre ses fonctions en tant que Premier ministre, sur sa
capacité à prendre les responsabilités de l’État, et en mettant en cause l’image et le
prestige du demandeur et attaquant sa respectabilité d’homme politique (...) ».
« Les déclarations de fait sont vraies ou fausses et elles supposent la nécessité de
leur preuve. En revanche, les jugements de valeur ne pouvant certes être dénués d’une
base factuelle n’imposent pas, en principe, la recherche de leur véracité, de leur
caractère faux, ou de leur motivation émotionnelle ou rationnelle, pourvu que leur
origine subjective soit immédiatement perceptible pour les destinataires. »
« Le devoir de démonstration ne correspond pas au fait historique raconté ni à sa
démonstration scientifique ou même judiciaire. Il sera satisfait par les exigences
déontologiques des journalistes, qui ne devront pas se contenter de leur impression
subjective, et observer des exigences qui imposent une base objective de laquelle
puisse découler une croyance basée sur la vérité et dotée du même effet que celle-ci.
(...) »
Dans la mise en balance effectuée en l’espèce, la Cour suprême de justice
a cité la jurisprudence de la Cour, notamment l’affaire Oberschlick
c. Autriche, De Haes et Gijsels c. Belgique, Colombani et autres c. France,
et Radio France et autres c. France.
17. En exécution de l’arrêt de la Cour suprême de justice, la société
requérante versa le 5 mars 2012 au demandeur l’intégralité du montant des
dommages et intérêts auxquels elle avait été condamnée, soit 30 000 EUR.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
18. Les dispositions pertinentes de la Constitution sont les suivantes :
Article 26
« 1. Toute personne a droit (...) à l’honneur et à la réputation (...) et au respect de
l’intimité de sa vie privée et familiale (...) ».
Article 37
« 1. Toute personne dispose du droit (...) d’informer, de s’informer et d’être
informée, sans interdictions ni discriminations ».
6
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
Article 38
« 1. La liberté de la presse est garantie.
2. La liberté de la presse implique :
a) la liberté d’expression (...) pour les journalistes (...) ».
19. Au moment des faits, les dispositions pertinentes du code civil se
lisaient ainsi :
Article 70
Protection générale de la personne
« 1. La loi protège les individus contre les atteintes ou les menaces d’atteintes
illicites envers leur personnalité physique ou morale.
2. Sans préjudice à la responsabilité civile qu’engagerait l’atteinte, la personne visée
peut demander des mesures adaptées aux circonstances de l’affaire dans le but d’éviter
l’exécution d’une menace ou d’atténuer les conséquences d’une atteinte. »
Article 335
Conflit de droits
« 1. En cas de conflit entre les mêmes droits ou entre des droits de même nature,
leurs titulaires devront faire des concessions dans la mesure du nécessaire pour que
tous les droits produisent également leurs effets, sans défavoriser aucune des parties. »
Article 483
Principe général
« Quiconque, par un dol ou une faute simple, porte atteinte de manière illicite à un
droit d’autrui ou à une quelconque disposition légale ayant pour but la protection des
intérêts d’autrui doit indemniser la personne lésée pour les dommages résultant d’un
tel acte.
(...) »
Article 484
Atteinte au respect et à la réputation
« Quiconque énonce ou fait connaître un fait susceptible de porter atteinte au respect
et à la réputation d’une personne physique ou morale répondra des dommages causés.
»
Article 487
Faute
« (...)
2. La faute est appréciée, à défaut d’autre critère prévu par la loi, selon le critère de
la diligence d’un bon père de famille, en fonction des circonstances de chaque espèce.
»
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
7
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA
CONVENTION
20. La requérante allègue que sa condamnation au civil pour atteinte à
l’honneur et à la réputation du Premier ministre de l’époque a violé son
droit à la liberté d’expression tel que protégé par l’article 10 de la
Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté
d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées
sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de
frontière. (...).
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être
soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi,
qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité
nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la
prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la
réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations
confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Sur la recevabilité
21. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au
sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par
ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
22. La requérante dénonce une atteinte à son droit à la liberté
d’expression. Elle allègue que l’article litigieux ne visait pas le
Premier ministre en poste à l’époque des faits et qu’il n’insinuait rien
concernant la prétendue consommation de drogues dures de celui-ci. Elle
reconnaît que cet article contenait un jugement critique sévère du projet de
changement des normes juridiques régissant les articles d’opinion politique,
mais sans attaquer, directement ou indirectement, le Premier ministre. Selon
elle, l’article en question, au moyen d’une image forte, se bornait à
souligner la nature inadéquate, déraisonnable et même absurde de ce projet
législatif.
23. La requérante estime que, en faisant valoir que l’article litigieux
contenait une attaque personnelle dirigée contre le Premier ministre, la Cour
suprême de justice a sorti l’article de son contexte, et que les raisons qu’elle
a mises en avant pour confirmer la décision des instances inférieures ne
8
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
suffisaient pas à établir la nécessité d’une telle ingérence dans une société
démocratique. Elle conclut que la Cour suprême de justice n’a pas ménagé
un juste équilibre entre, d’une part, son droit à la liberté d’expression et,
d’autre part, le droit du Premier ministre de l’époque à la protection de son
honneur et de sa réputation.
24. Le Gouvernement admet que la condamnation de la requérante au
civil constitue une ingérence dans l’exercice par l’intéressée de son droit à
la liberté d’expression.
25. S’agissant du contexte particulier de l’affaire, le Gouvernement note
cependant que, d’après les dépositions de certains témoins au cours du
procès, des rumeurs associant la personne du Premier ministre à la
consommation de drogues dures circulaient à l’époque des faits. Il ajoute
que le magazine de la requérante fait partie de la presse dite sérieuse et jouit
d’une crédibilité certaine à la fois au Portugal et en dehors du pays. Par
conséquent, le Gouvernement conclut que l’article litigieux était susceptible
d’avoir fait naître au moins un doute sur la consommation de drogues dures
par le Premier ministre.
26. Se référant à l’arrêt Axel Springer AG c. Allemagne [GC],
o
(n 39954/08, § 93, 7 février 2012), le Gouvernement estime que la
requérante a diffusé une information dénuée de la moindre base factuelle et
a agi de mauvaise foi. Selon lui, les juridictions ont procédé à une
pondération adéquate des intérêts en jeu et ménagé un juste équilibre entre,
d’une part, le droit de l’ancien Premier ministre au respect de sa réputation
et de son honneur et, d’autre part, l’intérêt public et la liberté d’expression.
27. S’agissant du montant versé par la requérante pour dommage moral,
soit 30 000 EUR, il reconnaît que la somme en cause n’est pas négligeable.
Néanmoins, il ajoute que les juridictions ont pris en compte, pour la fixer,
les dommages causés à l’image du Premier ministre, le dol de l’auteur de
l’article litigieux et l’importance de la diffusion du magazine de la
requérante.
2. Appréciation de la Cour
28. La Cour a déjà examiné sur le terrain de l’article 10 des
condamnations au civil pour diffamation (De Haes et Gijsels c. Belgique,
24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I, et Bergens Tidende
et autres c. Norvège, 2 mai 2000, Recueil 2000-IV). La Cour examinera la
présente affaire, à la lumière des principes bien établis en la matière
rappelés dans l’arrêt Amorim Giestas et Jesus Costa Bordalo c. Portugal
(no 37840/10, §§ 24-27, 3 avril 2014).
a) Sur l’existence d’une ingérence
29. Les parties s’accordent à considérer que les décisions judiciaires
rendues en l’espèce ont constitué une ingérence dans l’exercice par la
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
9
requérante du droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la
Convention. La Cour souscrit à cette analyse.
b) Sur la justification de l’ingérence
30. Une ingérence est contraire à la Convention si elle ne respecte pas
les exigences prévues au paragraphe 2 de l’article 10. Il y a donc lieu de
déterminer si la présente ingérence était « prévue par la loi », si elle visait
un ou plusieurs des buts légitimes énoncés dans ce paragraphe et si elle était
« nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts.
i. Prévue par la loi
31. En l’espèce, la Cour constate que l’ingérence était prévue par les
articles 70 et 484 du code civil.
ii. But légitime
32. La Cour note que l’ingérence visait un but légitime, à savoir la
protection de la réputation ou des droits d’autrui au sens de l’article 10 § 2
de la Convention, ce qui peut englober, selon la jurisprudence de la Cour, le
droit des personnes concernées au respect de leur vie privée protégé par
l’article 8 de la Convention (Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 70,
CEDH 2004‑VI, Pfeifer c. Autriche, no 12556/03, § 35, 15 novembre 2007,
et Almeida Leitão Bento Fernandes c. Portugal, no 25790/11, § 45, 12 mars
2015).
33. La question qui se pose est donc celle de savoir si l’ingérence était
« nécessaire, dans une société démocratique ». Il s’agit plus particulièrement
d’examiner si les autorités ont ménagé un juste équilibre entre le droit de la
requérante à la liberté d’expression et le droit de l’homme politique visé par
l’article de presse au respect de sa vie privée.
iii. Nécessaire dans une société démocratique
α) Principes généraux
34. La Cour rappelle que sur le terrain de l’article 10 de la Convention
les États contractants disposent d’une certaine marge d’appréciation pour
juger de la nécessité et de l’ampleur d’une ingérence dans la liberté
d’expression protégée par cette disposition (Tammer c. Estonie,
no 41205/98, § 60, CEDH 2001-I, et Pedersen et Baadsgaard c. Danemark
[GC], no 49017/99, § 68, CEDH 2004‑XI). Toutefois, cette marge
d’appréciation va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la
loi et sur les décisions qui en font application, même quand elles émanent
d’une juridiction indépendante (voir, mutatis mutandis, Peck c. RoyaumeUni, no 44647/98, § 77, CEDH 2003‑I, et Karhuvaara et Iltalehti
c. Finlande, no 53678/00, § 38, CEDH 2004-X).
10
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
35. La Cour rappelle avoir dit dans son arrêt Lindon, OtchakovskyLaurens et July c. France ([GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 46, CEDH
2007-IV) que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour
des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours et du
débat politiques – dans lequel la liberté d’expression revêt la plus haute
importance (Brasilier c. France, no 71343/01, § 41, 11 avril 2006) – ou des
questions d’intérêt général (voir notamment Sürek c. Turquie (no 1) [GC],
no 26682/95, § 61, CEDH 1999-IV, et Brasilier, précité, idem).
36. La Cour rappelle en outre que les limites de la critique admissible
sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que
d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose
inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes
tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par
conséquent, montrer une plus grande tolérance (voir, par exemple, Lingens
c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103, Vides Aizsardzības Klubs
c. Lettonie, no 57829/00, § 40, 27 mai 2004, et Brasilier, précité, § 41). Par
ailleurs, la liberté journalistique comprend aussi le recours possible à une
certaine dose d’exagération, voire même de provocation (Prager et
Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 38, série A no 313,
Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, §§ 45-46, CEDH 2001-III, Perna
c. Italie [GC], no 48898/99, § 39, CEDH 2003-V, et Riolo c. Italie,
no 42211/07, § 70, 17 juillet 2008).
37. Si la presse ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à
la protection de la réputation et des droits d’autrui, il lui incombe néanmoins
de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des
informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général. Ainsi, la
mission d’information comporte nécessairement des « devoirs et des
responsabilités » ainsi que des limites que les organes de presse doivent
s’imposer spontanément (Mater c. Turquie, no 54997/08, § 55,
16 juillet 2013, et Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France [GC],
no 40454/07, § 89, CEDH 2015 (extraits)). La Cour rappelle également que
la protection que l’article 10 offre aux journalistes est subordonnée à la
condition qu’ils agissent de bonne foi de manière à fournir des informations
exactes et dignes de crédit dans le respect des principes d’un journalisme
responsable.
38. Lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur un conflit entre
deux droits également protégés par la Convention, la Cour doit effectuer une
mise en balance des intérêts en jeu. L’issue de la requête ne saurait en
principe varier selon qu’elle a été portée devant elle, sous l’angle de
l’article 8 de la Convention, par la personne faisant l’objet de la publication
ou, sous l’angle de l’article 10, par son auteur. En effet, ces droits méritent a
priori un égal respect (Hachette Filipacchi Associés (ICI PARIS) c. France,
no 12268/03, § 41, 23 juillet 2009, Timciuc c. Roumanie (déc.), no 28999/03,
§ 144, 12 octobre 2010, et Mosley c. Royaume-Uni, no 48009/08, § 111,
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
11
10 mai 2011). Dès lors, la marge d’appréciation devrait en principe être la
même dans les deux cas (Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC],
nos 40660/08 et 60641/08, § 106, CEDH 2012, Axel Springer AG, précité,
§ 87, et Almeida Leitão Bento Fernandes, précité, § 49).
39. En outre, dans les arrêts Lingens (précité, § 46) et Oberschlick
(Oberschlick c. Autriche (no 1), 23 mai 1991, § 63, série A no 204), la Cour
a distingué entre déclarations de fait et jugements de valeur. La matérialité
des déclarations de fait peut se prouver ; en revanche, les jugements de
valeur ne se prêtant pas à une démonstration de leur exactitude, l’obligation
de preuve est donc impossible à remplir et porte atteinte à la liberté
d’opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10
(De Haes et Gijsels, précité, § 42, et Bargão et Domingos Correia
c. Portugal, nos 53579/09 et 53582/09, § 37, 15 novembre 2012).
Cependant, en cas de jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence
dépend de l’existence d’une « base factuelle » suffisante sur laquelle
reposent les propos litigieux : à défaut, ce jugement de valeur pourrait se
révéler excessif (De Haes et Gijsels, précité, § 47, Oberschlick c. Autriche
(no 2), 1er juillet 1997, § 33, Recueil 1997-IV, Brasilier, précité, § 36, et
Lindon, Otchakovsky-Laurens et July, précité, § 55). Pour distinguer une
imputation de fait d’un jugement de valeur, il faut tenir compte des
circonstances de l’espèce et de la tonalité générale des propos (Brasilier,
précité, § 37), étant entendu que des assertions sur des questions d’intérêt
public peuvent constituer à ce titre des jugements de valeur plutôt que des
déclarations de fait (Paturel c. France, no 54968/00, § 37, 22 décembre
2005, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 126, 23 avril 2015).
40. Si la mise en balance par les autorités nationales s’est faite dans le
respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons
sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes
(MGN Limited c. Royaume-Uni, no 39401/04, §§ 150 et 155, 18 janvier
2011, Palomo Sánchez et autres c. Espagne [GC], nos 28955/06, 28957/06,
28959/06 et 28964/06, § 57, CEDH 2011, Jelševar et autres c. Slovénie
(déc.), no 47318/07, § 32, 11 mars 2014, et Almeida Leitão Bento
Fernandes, précité, § 50).
β) Application des principes précités à la présente espèce
41. En l’espèce, la Cour constate que l’article litigieux a été publié dans
un magazine jouissant d’une certaine crédibilité auprès du public et qu’il
portait sur un sujet d’intérêt général relevant de la vie politique et sociale du
pays. La marge d’appréciation dont disposaient les autorités pour juger de la
nécessité de la condamnation prononcée contre la requérante au civil était,
en conséquence, étroite.
42. Cela étant, la Cour rappelle que l’article 10 de la Convention ne
garantit pas une liberté d’expression sans aucune restriction même quand il
s’agit de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d’intérêt
12
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
général. Le paragraphe 2 de cet article précise que l’exercice de cette liberté
comporte des « devoirs et responsabilités » qui peuvent revêtir de
l’importance lorsque, comme en l’espèce, l’on risque de porter atteinte à la
réputation de particuliers et de mettre en péril les « droits d’autrui ». Ainsi,
l’information rapportée sur des questions d’intérêt général est subordonnée
à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir
des informations exactes et dignes de crédit (Fressoz et Roire c. France
[GC], no 29183/95, § 54, CEDH 1999-I, Brunet-Lecomte et autres
c. France, no 42117/04, § 47, 5 février 2009, et Barata Monteiro da Costa
Nogueira et Patrício Pereira c. Portugal, no 4035/08, § 31,
11 janvier 2011). La Cour rappelle que, s’il est vrai que les adversaires des
idées et positions officielles doivent pouvoir trouver leur place dans l’arène
politique, discutant au besoin des actions menées par des responsables dans
le cadre de l’exercice de leurs mandats publics, ils sont également tenus de
ne pas dépasser certaines limites quant au respect – notamment – de la
réputation et des droits d’autrui (Fleury c. France, no 29784/06, § 45,
11 mai 2010, et Barata Monteiro da Costa Nogueira et Patrício Pereira,
précité, § 37).
43. La Cour a examiné l’article incriminé sans y trouver d’expressions
déclarant que le demandeur avait commis des actes illicites punis d’une
amende administrative (coima), comme, en l’espèce, la consommation de
drogues dures au Portugal (voir, mutatis mutandis, Gouveia Gomes
Fernandes et Freitas e Costa c. Portugal, no 1529/08, § 51, 29 mars 2011).
Par ailleurs, même si l’on interprète les mots pertinents comme une allusion
à l’existence de rumeurs sur ce sujet, dont l’article litigieux ferait l’écho, la
Cour estime qu’elle n’a été utilisée par la requérante que pour appuyer sa
virulente critique de la proposition législative du gouvernement dirigé à
l’époque des faits par le demandeur (voir, mutatis mutandis, Riolo, précité,
§ 67). Contrairement aux juridictions portugaises, la Cour interprète les
déclarations incriminées dans la présente affaire comme faisant partie des
assertions critiques sur des questions d’intérêt public par un journaliste et
constituant à ce titre des jugements de valeur plutôt que des déclarations de
fait (voir, mutatis mutandis, Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, §§ 42 et
44, CEDH 2001-II, et Brasilier, précité, § 37). En effet, la Cour note que les
cours nationales n’ont pas pris en considération la nature ironique des
assertions du journaliste dans le contexte de sa critique sur les « nouvelles
règles du journalisme » proposées par le gouvernement (Lepojic c. Serbie,
no 13909/05, § 77, 6 novembre 2007, et Sokolowski c. Pologne,
no 75955/01, 46, 29 mars 2005). Pour la Cour, il est évident que le
journaliste ne voulait pas imputer la consommation de drogues dures au
Premier ministre, ni répandre une telle rumeur, mais au contraire utiliser
l’ironie pour contester une proposition politique qui faisait débat dans la
société portugaise. Enfin, les cours nationales n’ont pas examiné, comme
elles auraient dû le faire, l’existence d’une base factuelle pour la critique des
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
13
« nouvelles règles du journalisme » faite par le journaliste dans l’article
incriminé.
44. Dans ces conditions, la Cour estime que, tout en contenant une
certaine dose de provocation, l’article de la requérante ne saurait s’analyser
en une attaque personnelle gratuite à l’encontre de l’ex-Premier ministre
(voir, mutatis mutandis, Kwiecień c. Pologne, no 51744/99, § 54,
9 janvier 2007, Ormanni c. Italie, no 30278/04, § 73, 17 juillet 2007, et
Chalabi c. France, no 35916/04, §§ 45-46, 18 septembre 2008).
45. Les considérations qui précèdent suffisent pour conduire la Cour à
conclure que l’ingérence dans la liberté d’expression de la requérante n’a
pas été conforme à la Convention. Au demeurant, elle considère également
que le montant des dommages moraux et de la compensation que la
requérante a été condamnée à payer (30 000 EUR au total) est de nature à
altérer le juste équilibre requis en la matière (voir Riolo, précité, § 71). La
Cour rappelle que la nature et la lourdeur des sanctions infligées sont des
éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la
proportionnalité d’une ingérence (voir, par exemple, Sürek, précité, § 64,
deuxième alinéa, et Chauvy et autres, précité).
iv. Conclusion
46. À la lumière de ce qui précède, les motifs avancés à l’appui de la
condamnation de la requérante ne suffisent pas pour convaincre la Cour que
l’ingérence dans l’exercice du droit de l’intéressée à la liberté d’expression
était « nécessaire dans une société démocratique » ; en particulier, les
moyens employés étaient disproportionnés par rapport au but visé, à savoir
« la protection de la réputation ou des droits d’autrui ».
En conséquence, ladite condamnation a enfreint l’article 10 de la
Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
47. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie
lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
48. La requérante ne réclame aucune somme au titre du préjudice moral
qu’elle aurait subi. Quant au préjudice matériel, il s’élèverait à 30 000 EUR,
au titre de la somme déjà versée au demandeur dans la procédure nationale.
49. Le Gouvernement conteste le droit de la requérante à une réparation
pour dommage matériel, réitérant sa thèse de la non violation de l’article 10
14
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
de la Convention. À titre subsidiaire, une violation de l’article 10 de la
Convention étant reconnue par la Cour, il allègue que la requérante aura la
possibilité de former un recours en révision afin de redresser la violation de
son droit par un arrêt passé en force de chose jugée.
50. La Cour considère qu’il y a un lien de causalité entre la violation
constatée en la présente affaire et les sanctions, pénalités et frais de justice
de la partie civile que la requérante a été condamnée à payer (voir, mutatis
mutandis, Tønsbergs Blad AS and Haukom c. Norvège, no 510/04, § 107,
1er mars 2007, et Ormanni, précité, § 83). En particulier, le tribunal d’Oeiras
a condamné la requérante à verser au demandeur 30 000 EUR pour
dommages moraux. La cour d’appel de Lisbonne et la Cour suprême de
justice ont confirmé ce jugement. La Cour souligne à cet égard qu’on ne
saurait reprocher à la requérante de ne pas avoir accepté le jugement de
première instance, la recevabilité de sa requête dépendant de l’épuisement
des voies de recours internes (voir Riolo, précité, § 79).
51. A la lumière de ce qui précède, la Cour octroie à la requérante la
somme totale de 30 000 EUR pour préjudice matériel, plus tout montant
pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
52. Se fondant sur des notes d’honoraires de ses avocats, la requérante
demande également 10 875,56 EUR pour les frais et dépens encourus
devant les juridictions internes et 1 918,98 EUR pour ceux encourus devant
la Cour.
53. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
54. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent
établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La
Cour relève que la requérante, avant de s’adresser à elle, a dû faire face à
une procédure civile en diffamation dans le cadre de laquelle elle a dû
assurer sa défense à travers trois degrés de juridiction, invoquant des
arguments similaires à ceux qu’elle a utilisés pour étayer son grief tiré de
l’article 10 de la Convention. La Cour admet par conséquent que
l’intéressée a encouru des dépens pour prévenir la violation de la
Convention dans l’ordre juridique interne (voir, mutatis mutandis, Rojas
Morales c. Italie, no 39676/98, § 42, 16 novembre 2000, Sannino c. Italie,
no 30961/03, § 75, 27 avril 2006, Ormanni, précité, § 88, et Riolo, précité,
§ 79). Compte tenu des éléments en sa possession, ainsi que de sa pratique
en la matière, elle considère comme équitable d’accorder à la requérante à
ce titre la somme forfaitaire de 7 000 EUR.
55. Par ailleurs, la Cour juge raisonnable le montant sollicité pour les
frais et dépens afférents à la procédure devant elle (1 918,98 EUR) et décide
d’octroyer 1 919 EUR de ce chef.
ARRÊT MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL
15
56. A la lumière de ce qui précède, la Cour octroie à la requérante la
somme totale de 8 919 EUR pour frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
57. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur
le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à
compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article
44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 30 000 EUR (trente mille euros), plus tout montant pouvant être
dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii. 8 919 EUR (huit mille neuf cent dix-neuf euros), plus tout
montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais
et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces
montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la
facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable
pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 août 2016, en
application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Marialena Tsirli
Greffière
András Sajó
Président