Mécanismes, conséquences et prise en charge de la sarcopénie

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Mécanismes, conséquences et prise en charge de la sarcopénie
Mise au point
Mécanismes, conséquences et
prise en charge de la sarcopénie
Tristan Cudennec,
Hôpital Sainte Périne, Paris.
La sarcopénie caractérise le déclin de la force et de la masse du muscle squelettique que l’on
observe au cours du vieillissement. Compliquée de nombreuses conséquences comme la perte
d’autonomie, une faiblesse et une fatigabilité ainsi que l’apparition de chutes, les mécanismes à l’origine
de cette fonte musculaire ne sont pas tous encore bien connus. En revanche, l’apparition de la sarcopénie
correspond inévitablement à un déséquilibre entre la protéolyse et la protéosynthèse. Ses conséquences
fonctionnelles constituent un véritable enjeu de santé publique. Le maintien d’un exercice physique
régulier et d’apports protéino-énergétiques suffisants concourt à lutter contre ce phénomène.
QUELQUES CHIFFRES
L’intensité de la sarcopénie dépend de la masse musculaire initiale et de la pente de décroissance de
cette masse musculaire. Sa prévalence est de l’ordre de 25% avant l’âge de 70 ans et de plus de 50%
après 80 ans. La perte de masse musculaire avec l’âge est de 1 à 2% par an après 50 ans. Au cours du
vieillissement, on observe une augmentation de la masse grasse parallèlement à cette diminution de la
masse maigre. Ces phénomènes inverses permettent d’expliquer l’observation d’une faible variation
pondérale avec l’âge.
LES MECANISMES
Les muscles squelettiques sont constitués de fibres dites de type I et de type II. Les premières,
également appelées fibres lentes, possèdent des temps de réaction et de contraction longs. Leur
métabolisme est principalement aérobique. Elles sont sollicitées lors de situations d’endurance. Les
secondes, appelées fibres rapides, ont un temps de réaction bref et une vitesse de contraction rapide.
Leur métabolisme est principalement anaérobique. Ces fibres permettent une meilleure résistance à
l’effort et une vitesse de détente accélérée. Les données histologiques à partir de biopsies musculaires
révèlent une diminution de l’ordre de 50% du nombre total de fibres entre la deuxième et la huitième
décennie. La surface occupée par les fibres de type II diminue de 20 à 50% contre une baisse de 1 à 25%
pour celles de type I.
- Une situation de malnutrition protéino-énergétique ou un déséquilibre de la balance azotée va
favoriser la survenue de la sarcopénie. Certaines études ont démontré qu’une supplémentation
quotidienne de 400 kcal/jour avec 30 g de protides chez des patients institutionnalisés favorise une
augmentation de la masse maigre.
- La synthèse protéique et le catabolisme protéique doivent être équilibrés afin de maintenir la masse
musculaire.
- La glutamine stimule la protéosynthèse et ralentit la protéolyse musculaire lors de situations
d’agression ou de dénutrition par carence d’apports. Une diminution de la quantité de glutamine
disponible au niveau du muscle pourrait expliquer l’apparition d’une sarcopénie.
- L’insuline stimule le transport des acides aminés et la synthèse de protéines. De plus, elle inhibe la
dégradation des protéines en agissant sur les systèmes protéolytiques. L’insuline et les acides aminés
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semblent avoir un effet additif sur la synthèse de protéines musculaires. Rappelons qu’une réduction de
l’activité physique peut favoriser le développement d’une insulinorésistance.
- Les cytokines pro-inflammatoires, essentiellement les interleukines 1 et 6 (IL-1 et IL-6) et le Tumor
Necrosis Factor (TNF), sont des médiateurs du catabolisme protéique musculaire. Leur production
augmente au cours du vieillissement.
- La séquestration en acides aminés par le territoire splanchnique est doublée après l’âge de 70 ans.
Pour un apport protéique équivalent entre un sujet jeune et une personne âgée, le débit de passage
systémique des acides aminés alimentaires n’est pas le même. Sachant que la biodisponibilité de ces
acides aminés est capable de moduler la réponse anabolique, on comprend les conséquences que ce
trouble métabolique peut engendrer et son impact sur le développement à long terme de la sarcopénie.
- Certains facteurs hormonaux jouent un rôle dans la sarcopénie. Il existe une relation vraisemblable
entre la chute des concentrations en testostérone et la sarcopénie. La testostérone possède un effet
protéosynthétique. Le traitement substitutif chez l’homme âgé et hypogonadique augmente la masse
maigre et la force musculaire. L’efficacité de cette substitution sur l’état fonctionnel et le risque de perte
d’autonomie n’est pas formellement démontrée. De plus, les risques d’une substitution au long cours ne
sont pas connus. S’agissant de la DHEAS, aucune donnée actuelle n’apporte la preuve de son efficacité
sur le muscle. De même, des essais de traitement substitutif par l’hormone de croissance et l’IGF-1 n’ont
pu démontrer un effet sur la force musculaire ou la synthèse protéique. En revanche, l’observation de
nombreux effets secondaires a nécessité l’arrêt de ces tentatives. Enfin, le cortisol, possédant une activité
protéolytique au niveau musculaire, favorise l’efflux tissulaire des acides aminés.
- Une perte de motoneurones α est associée à une perte de fibres musculaires. L’électrophysiologie
confirme les hypothèses du rôle occupé par les motoneurones et par les processus progressifs de
dénervation-réinervation sur le fonctionnement de l’unité motrice.
LES CONSEQUENCES FONCTIONNELLES
- La principale conséquence de la sarcopénie est l’atteinte de la force musculaire. Elle apparaît
surtout après 60 ans. L’étude de Framingham a montré que 65% des femmes âgées de plus de 75 ans
sont incapables de soulever une charge de 4,5 kg. De plus, la force musculaire est atteinte de façon plus
importante que la masse musculaire. S’agissant des membres inférieurs, cette faiblesse concerne à la fois
la force isométrique et la force isocinétique. A titre d’exemple, la force des muscles fléchisseurs du
genou diminue de 25 à 50% entre 70 et 90 ans. Les muscles des membres inférieurs semblent plus
affectés par ce phénomène que ceux des membres supérieurs. Certains mécanismes comme une
diminution des motoneurones et la réduction de taille des unités motrices permettent d’expliquer les
difficultés des muscles à produire de la force.
- Des diminutions de la vitesse de contraction et de relâchement des muscles sont également
observées au cours du vieillissement.
- Le déclin de la puissance musculaire est de 8,3% par décennie alors que celui de la masse
musculaire n’est que de 3,8%. La puissance correspond au produit de la force par la vitesse de
contraction musculaire. La puissance musculaire est le paramètre physiologique qui prédit le mieux le
risque d’incapacité chez les femmes de 70 à 95 ans vivant en communauté.
QUELLE PRISE EN CHARGE ?
- Les effets d’un entraînement à la force ont montré leur efficacité sur la force musculaire.
Cependant, les gains obtenus varient en fonction de la durée de l’entraînement, du nombre de séances
hebdomadaires et de la population concernée. Les effets observés sont un accroissement modeste de la
surface de section des muscles, une augmentation de la synthèse protéique et des chaînes lourdes de
myosine.
- Une prise en charge nutritionnelle thérapeutique doit pouvoir renforcer les gains espérés par
l’entraînement à la force, notamment chez les sujets âgés fragiles.
- La compliance dans le temps à ces deux principes représente le principal facteur limitatif.
- Plusieurs solutions existent au problème de séquestration splanchnique si l’on part du principe que
ce phénomène est saturable. Une supplémentation des repas en acides aminés ou la réalisation d’une
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charge protéique par administration de 80% des apports protéiques journaliers au cours du repas du midi
peut être proposée. Plus l’apparition des acides aminés dans le sang portal est massive et rapide, plus le
processus de séquestration splanchnique peut être saturé.
CONCLUSION
Processus physiologique progressif au cours du vieillissement, la sarcopénie survient chez tous les
sujets âgés, y compris chez ceux qui ne perdent pas de poids et qui se trouvent en bon état général. Elle
présente des complications graves de conséquences comme la perte de l’indépendance et la survenue de
chutes parfois aggravées par des fractures. Même si le processus qui aboutit à la sarcopénie est encore
mal connu, des efforts doivent être réalisés pour inciter la population des patients les plus âgés à
maintenir une activité physique suffisante et des apports alimentaires appropriés.
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©2005 Successful Aging Database
Mf 35-2005