La polygamie - Juillet 2013

Transcription

La polygamie - Juillet 2013
Adresse : 64 rue Paul Verlaine, 69100 VILLEURBANNE - Tél. : 04.78.03.33.63 / Email : [email protected]
www.fiji-ra.com
LA POLYGAMIE
LETTRE THÉMATIQUE N°29
La polygamie constitue le fait pour une personne d’être engagée dans plusieurs unions matrimoniales et
recouvre tant la pluralité de maris (polyandrie) que la
pluralité d’épouses (polygynie). Cette dernière forme
est la plus répandue. La polygamie est une pratique
ancienne qui a une origine à la fois culturelle, sociale
et économique. Les pays connaissant la polygamie
sont multiples. Il en va ainsi de la majorité des pays
de droit musulman (à l’exception de la Turquie et de
la Tunisie). Elle est autorisée dans certains pays d’Afrique subsaharienne notamment en Afrique de
l’Ouest (Burkina Faso, Guinée Conakry, Mali, Mauritanie, Sénégal, Togo…), en Afrique de l’Est (Comores,
Djibouti…) et en Afrique centrale (Congo Brazzaville…).
Au Maghreb, la polygamie a été interdite en Tunisie
en 1956 (article 18 du Code de statut personnel tunisien). La réforme du Code de la Famille algérien de
2005 a maintenu la possibilité pour un homme d’avoir
jusqu’à quatre épouses. Cependant, la polygamie est
dorénavant encadrée : l’époux devra en informer sa
ou ses précédentes épouses ainsi que sa future
épouse et présenter une demande d’autorisation de
mariage au président du tribunal du lieu du domicile
conjugal. Le président du tribunal pourra alors autoriser le nouveau mariage s’il constate leur consentement et si l’époux a prouvé le motif justifié ainsi que
son aptitude à offrir l’équité et les conditions nécessaires à la vie conjugale. Le nouveau code marocain
de la famille soumet également la polygamie à
l‘autorisation du juge et au respect de conditions
strictes : la polygamie est interdite lorsqu’il existe
une clause de monogamie dans l’acte de mariage ou
lorsqu’une injustice est à craindre envers les épouses. Le juge n’autorisera pas non plus la polygamie si
sa justification objective et exceptionnelle n’est pas
établie, ou si le mari ne dispose pas de ressources
suffisantes pour entretenir les deux familles et garantir tous les droits (pension alimentaire, logement)
et l’égalité dans tous les aspects de la vie. En revanche, si l’autorisation du juge est donnée mais que la
première épouse refuse la polygamie, elle devra se
résigner au divorce.
La polygamie est toutefois légalement interdite dans
un certain nombre d’États au profit du principe de
monogamie, prééminent dans les pays occidentaux.
C’est à l’aune de ce principe fondamental que le droit
français prohibe la formation du mariage polygamique et lui attache des sanctions. Pour autant, les
unions polygamiques valablement célébrées à l’étranger pourront produire certains effets en France.
I. La formation du mariage polygamique
Parmi les conditions requises en droit français pour
pouvoir contracter un mariage figure l’absence d’un
premier mariage non dissout.
A. Une double prohibition
En raison de la célébration en France. L’article 147 du Code civil interdit la célébration d’un ma-
riage polygamique. Dès lors, une telle union ne pourra
être prononcée en France, nonobstant la nationalité
permissive des futurs époux.
A Mayotte, la polygamie des personnes relevant du
statut de droit local (mahorais de confession musulmane et de nationalité française n’ayant pas renoncé
à ce statut) a été progressivement prohibée par deux
textes successifs relativement récents. Depuis le 1er
janvier 2005, la polygamie est interdite à toute personne en âge de se marier (15 ans pour les filles et 18
ans pour les garçons). Seules les personnes ayant atteint l’âge légal du mariage avant cette date conservaient la possibilité de se marier en la forme polygamique. L’ordonnance du 3 juin 2010 interdit désormais toute célébration d’union polygamique sur le territoire de Mayotte. Elle a par ailleurs relevé l’âge légal du mariage des filles à 18 ans.
En raison de la nationalité française. Les conditions de fond du mariage sont soumises à l’application
distributive des lois en présence (article 202-1 inséré dans le Code civil par la loi du 17 mai 2013 et article 3, alinéa 3 du même code). Chaque époux est ainsi
soumis à sa loi nationale. En matière de polygamie, il
en va autrement, le droit français retient une application cumulative des lois nationales. Cela signifie que
la nationalité française de l’un des époux s’oppose à
une telle union quand bien même la loi de l’autre
époux l’autoriserait et/ou que celui-ci serait célébré
dans un pays admettant la polygamie. À l’évidence, la
loi étrangère dont la mise en œuvre entraînerait des
effets contraires à l’ordre public français doit être
écartée au profit de la loi française.
B. Les vérifications avant la célébration
L’officier d’état civil qui célèbre une union en France
doit s’assurer que les futurs époux ne sont pas déjà
mariés. Les futurs époux devront produire une copie
intégrale de leur acte de naissance. Celle-ci permet
de vérifier que les époux sont libres de tout engagement. Dès lors que l’un des époux est de nationalité
étrangère, d’autres vérifications pourront être nécessaires. En effet, certains actes d’état civil étrangers ne permettent pas de connaître le statut civil du
futur conjoint étranger. L’officier d’état civil demandera alors la production d’un certificat de coutume
(article 530 de l’Instruction générale relative à
l'état civil). Ce document offre un extrait de la législation étrangère : il peut mentionner si la loi du pays
de l’intéressé permet la polygamie, mais surtout il
précise quels documents informent de la situation
matrimoniale de l’étranger. Aucune autorité n’est
spécialement habilitée à le délivrer. Il est généralement établit par le consulat ou l’ambassade du pays
d’origine ou par toute autorité compétente : juristes
français ou étrangers (professeurs ou assistants des
facultés de droit, avocats…). Les services de la mairie
pourront également demander un certificat de capacité matrimoniale, un certificat de célibat, un certificat de non remariage ou un certificat de décès.
Association loi 1901 à but non lucratif - n° SIRET 499 638 260 00020
II. Les sanctions attachés au mariage polygamique
A. Au plan civil
Nullité du second mariage. Les juridictions françaises ont compétence pour connaître de l’action en annulation du mariage polygamique sur la base des critères posés par l’article 3 du règlement
n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit « Bruxelles
II bis » relatif à la compétence, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière matrimoniale et
en matière de responsabilité parentale. L’annulation
du mariage peut être demandée par les époux, par
tous ceux qui y ont intérêt et par le ministère public
dans un délai de 30 ans à compter de la célébration
du mariage (article 184 du Code civil) . Cette action
est également ouverte à l’époux au préjudice duquel a
été contracté un second mariage (article 188 du Code
civil). La dissolution du mariage par le divorce, n’ayant
d’effet que pour l’avenir, ne fait pas obstacle à l’action en annulation du ministère public pour la défense
de l’ordre public mais aussi de tous ceux qui y sont
admis à condition qu’ils justifient d’un intérêt à agir
(notamment Cour de cassation, 12 avril 2012).
Par principe, l’annulation du mariage anéantit tous les
effets du mariage. Un correctif a donc été prévu : le
mariage putatif (article 201 du Code civil). Le mariage produit ses effets entre les époux lorsqu’il a
été contracté de bonne foi (Cour d’appel de Rennes,
23 octobre 2012). La putativité du mariage ne joue
pas à l’égard de l’époux de mauvaise foi (Cour de cassation, 24 septembre 2002) mais la jurisprudence
actuelle témoigne d’une appréciation souple de la
bonne foi. Le caractère putatif d’un mariage annulé
est reconnu soit par le jugement qui annule le mariage
soit par un jugement ultérieur. En revanche, le mariage produit toujours ses effets à l’égard des enfants (article 202 du Code civil).
Divorce pour faute. La violation grave et renouvelée
des devoirs et obligations rendant intolérable le
maintien de la vie commune justifie le prononcé du
divorce. Le fait pour un époux de contracter une seconde union avant la dissolution de la première constitue un manquement au devoir de fidélité. Pour autant, la faute demeure soumise à l’appréciation souveraine du juge aux affaires familiales. Par exemple, la
Cour a considéré que la bigamie de l’époux excuse les
injures de la femme mais pas l’expulsion de celui-ci du
domicile conjugal de sorte que le divorce a été prononcé aux torts partagés (Cour d’appel de Paris, 11
octobre 2006). La faute peut être retenue même
lorsque la loi nationale des époux permet le mariage
polygamique (Cour d’appel de Lyon, 11 juin 2012 : les
époux, tous deux de nationalité algérienne, ce sont
mariés à Villeurbanne le 30 juin 2000. Le 22 novembre 2000, l’époux se marie avec une autre femme en
Algérie. Le tribunal de grande instance de Lyon avait
refusé de faire droit à la demande en divorce pour
faute de Madame. La Cour d’appel infirme ce jugement et prononce le divorce aux torts exclusifs de
Monsieur estimant que le comportement de l'époux
caractérise une faute au sens de l'article 242 du
Code civil).
B. Au plan pénal
La célébration d’un mariage polygamique en France
est incriminée au titre du délit de bigamie, puni d’un
an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amendes
(article 433-20 du Code pénal). L’officier public ayant
célébré ce mariage en connaissance de l’existence du
précédent est passible des mêmes peines. Le délit de
bigamie est un délit instantané qui se prescrit au
terme de 3 ans à compter de sa célébration. Il suppose la célébration d’un second mariage et une intention coupable. L’infraction n’est constituée que si l’époux a contracté le second mariage en connaissance
de l’existence de la persistance du premier mariage.
La preuve de l’intention sera généralement induite de
la mise en œuvre de moyens frauduleux : par exemple, la production d’un faux certificat de célibat ou
d’un acte d’état civil ne comportant pas le mention du
précédent mariage. En revanche, si un français se
marie dans un pays autorisant la polygamie, la loi pénale française n’aura vocation à s’appliquer que si le
délit de bigamie est également incriminé au lieu de
célébration du second mariage (article 113-6 du Code
pénal ; Cour d’appel de Paris, 29 février 1964).
III. Les effets du mariage polygamique valablement célébré à l’étranger
La célébration d’une seconde union à l’étranger entre
époux de statut personnel polygamique est reconnue
en France. Elle ne pourra néanmoins produire certains
effets dès lors que la première épouse est française.
A. Protection renforcée à l’égard des premières épouses françaises
Un conjoint étranger de statut polygame peut épouser une Française en premières noces puis, en secondes noces, une ressortissante étrangère dans son
pays d’origine dans le respect des conditions prévues
par le droit local. Le second mariage ne sera pas annulable en France. En revanche, il ne pourra produire
aucun effet en France à l’encontre de la première
épouse française (Cour de cassation, 6 juillet 1988).
La Cour de cassation considère que la non reconnaissance du mariage polygamique lorsque la première
épouse est française ne rompt pas le principe d’égalité et de non discrimination (Cour de cassation, 1er
décembre 2011 : la seconde épouse d’un algérien polygame décédé demandait la liquidation de la pension de
réversion. Or les droits à réversion avaient déjà été
versés à la première épouse, de nationalité française.
La demande de la seconde épouse a donc été refusée,
la Cour de cassation confirmant ce refus).
B. Protection limitée à l’égard des épouses
étrangères
Dès lors que le mariage polygamique est contracté à
l’étranger en conformité avec la loi nationale des
époux, celui-ci est valable en France (Cour de cassation, 28 janvier 1958). La seconde épouse pourra ainsi
se prévaloir d’une pension alimentaire en France (Cour
de cassation, 19 février 1963 ; Cour de cassation,
24 septembre 2002). Elle pourra hériter avec ses
enfants, concurremment avec la première épouse,
d’un étranger polygame décédé selon la loi successorale française (Cour de cassation, 3 janvier 1980).
Enfin, les épouses d’un assuré social polygame peuvent se partager la pension de réversion attribuée au
conjoint survivant (Cour de cassation, 22 avril 1986 ;
Cour de cassation, 14 février 2007 ; Cour d’appel de
Bourges, 4 février 2011).
JUILLET 2013