interview de francis huster - Societaires

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INTERVIEW DE FRANCIS HUSTER
Francis Huster, vous dites que l’œuvre de Musset est magnifique et qu’elle est aussi à
l’image de sa vie : ratée, inachevée, diffamée, trahie ; comment vous est venu cet
engouement pour Alfred de Musset ?
L’œuvre de Musset est en partie posthume puisque, par exemple, Lorenzaccio n’a été créé
que lorsque Sarah Bernard a joué le rôle de Lorenzo dans son théâtre, le théâtre de la
Renaissance ; Musset n’a jamais su que son œuvre prendrait une telle importance puisque
son passage à la Comédie-Française a été une catastrophe. Son œuvre serait donc restée
totalement dans l’oubli si elle n’avait été sublimée par Sarah Bernard puis, bien
évidemment, par Gérard Philippe au TNP et par de grands acteurs ou de grands metteurs en
scène de la Comédie-Française, qui l’ont joué dans le monde entier. Aujourd’hui on
considère Musset comme l’un des cinq grands de la littérature dramatique française, avec
Molière, Beaumarchais, Racine et Corneille. Sa virtuosité linguistique permet d’atteindre une
grâce qui rejoint celle de Racine et Mozart. Les plus grands interprètes de Musset ont
toujours été calibrés dans un style de « monstres sacrés » qui allient une extrême beauté,
une extrême élégance, une pureté de style vocale à, ce que l’on ignore le plus et que l’on ne
mesure pas : une puissance intérieure et une gravité folle. Musset exige cette musculature
et cette puissance, c’est ainsi que l’on atteint la grâce.
Qu’est-ce qui vous touche le plus chez cet auteur ?
Ce qui me touche le plus chez Alfred de Musset : c’est un voleur ! C’est l’Arsène Lupin de
l’histoire du théâtre. Il a tout volé à George Sand. Il est devenu son amant et lui a volé ses
textes. Dans On ne badine pas avec l’amour, la plus belle tirade ce n’est pas du tout Musset
qui l’a écrite, c’est George Sand. Et pour Lorenzaccio il a fait la même chose : il est parti
d’une pièce de George Sand, qui s’appelait Lorenzo de Médicis, une conspiration en 1537, où
elle avait écrit toute l’histoire de Lorenzo et du Duc Alexandre ; mais à la différence de la
pièce de George Sand, Lorenzaccio, est un chef d’œuvre. C’est le Hamlet français, alors que
la pièce de George Sand n’a aucun intérêt. Musset avait cette arrogance, cette insolence de
la jeunesse. N’oublions pas qu’il a écrit Lorenzaccio avant 20 ans, tout comme Corneille qui a
écrit le Cid au même âge. En fait, il était un « Arsène Lupin », car il a été volé des diamants, il
a puisé toute son œuvre dans des trésors de la littérature latine, mais il a su les magnifier, il
a donné à toutes ces œuvres mille facettes qui font de lui l’un des cinq grands de la
littérature française. Ces génies n’ont d’équivalent nulle part ailleurs.
Y aurait-il un personnage, une pensée, une vision exprimée dans son œuvre dont vous
vous sentez particulièrement proche ?
Perdican, dans On ne badine pas avec l’amour, dit, et ça c’est du Musset, « …C’est moi qui ai
vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui » ; cette tirade est
merveilleuse ! Lorenzaccio, me fait penser à Jean Moulin : ils sont martyrs et en même
temps ils ne cèdent jamais, ils vont jusqu’au sacrifice. J’ai toujours été attiré par les héros ;
Tony Parker au basket est le plus petit, il est peut-être plus frêle que les autres, mais quelle
puissance !
Comment avez-vous procédé dans ce travail avec une virtuose du piano ? Est-ce la
musique qui a déterminé le choix des textes ou est-ce l’inverse ?
Nous avons déterminé les textes en fonction de la musique pour atteindre à chaque fois un
palier supérieur. Ce qui est intéressant dans ce travail, c’est qu’il s’agit d’une femme et d’un
homme, ce n’est pas qu’un duo.
Aviez-vous déjà travaillé avec Hélène Tysman ?
Non, c’est une première pour cette création. Pour moi, cette femme est un Gainsbourg en
jupons ! Comme lui, elle est d’aspect fragile, presque vidée de tout son être quand elle arrive
sur scène, puis tout à coup la machine se met en route et elle atteint la grâce. Etre son
partenaire est un ravissement pour moi. Par sa virtuosité et sa puissance, elle transporte, et
c’est à moi de cimenter cette grâce avec celle de Musset. C’est un instant très pur que nous
partageons, où l’on s’aperçoit bien que Musset est loin d’être un romantique. Il y a chez les
romantiques une autodestruction qu’il n’y a pas chez Musset. Les romantiques sont des
êtres qui se détruisent en même temps qu’ils créent, alors que Musset se détruit dans sa
propre vie, mais pas dans sa création.
Comment s’est organisée cette collaboration ? Avez-vous beaucoup répété ensemble ?
Nous avons répété plusieurs fois et nous nous sommes rendus compte qu’il ne fallait pas
empiéter l’un sur l’autre, qu’il ne fallait pas prendre de mauvais réflexes mais qu’il fallait
toujours laisser une place à l’instant aussi bien qu’à l’instinct, et tout redécouvrir à chaque
fois. Un duo peut vite devenir prétentieux… Le plus difficile, lorsqu’on forme un duo alors
que l’on n’est pas en couple, c’est de se découvrir quand même. On ne peut pas faire un duo
en ayant l’air de ne pas se connaître, et l’on ne peut pas non plus faire un duo en ayant l’air
de trop se connaitre. Quand un duo se connait trop, le public pense qu’ils jouent pour eux
deux, pour se faire plaisir. Entre Hélène Tysman et moi, c’est le rire qui a créé le lien, nous
avons beaucoup ri pendant les répétitions ; Hélène est très drôle, très pince sans rire ! C’est
quelqu’un qui a un trac énorme, mais qui le combat par des rires, des espiègleries ; elle est
une véritable héroïne à la Woody Allen.
Auriez-vous une pensée, un petit message pour nos sociétaires qui, pour certains, seront là
salle Gaveau ?
Oui ! Nous avons tellement peu d’occasions de sortir de la situation insensée et
quotidiennement asphyxiante que l’on est en train de vivre, nous avons tellement peu
l’occasion d’oublier nos soucis et nos angoisses et d’être heureux dans un moment de grâce
où l’on ne pense plus qu’à se laisser emporter par la musique et la pureté, la beauté de la
langue de Musset, que je voudrais les remercier de venir partager ce moment de bonheur
avec nous.