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JULIE RACOUPEAU
AVOCAT À LA COUR
« Le monstre » aussi a t-­‐il droit à l’oubli ? La sempiternelle question à laquelle est confrontée l’Avocat qui s’exerce à la défense pénale est celle de savoir comment il est possible de défendre celui qui est dépeint par tous comme « le monstre ». Les monstres n’existent pas. Ce serait trop facile, il suffirait de les écarter. Seul l’Homme peut devenir inhumain. Jacques Vergès dit souvent que quand un chien mord une vielle dame, on ne peut pas dire de lui qu’il est inhumain. L’inhumain est le corollaire de l’humain. La robe de l’Avocat est au service de celui qui la demande, l’Avocat défend l’Homme, mais ne défend pas le crime. Il ne reste que l’Avocat, dernier rempart de la défense, devant « Le monstre » isolé pour parer les coups portés par l’accusation et l’opinion publique. Il faut donc du courage pour défendre. Il faut être optimiste pour défendre, pour voir de la lumière là où chacun ne voit que de l’ombre. S’il est difficile de faire entendre au profane la différence fondamentale entre la morale et le droit, seul le droit permet de prononcer sinon, une peine juste, une peine justifiée. Pour défendre, l’Avocat s’interroge nécessairement sur la politique pénale au regard des principes et des libertés fondamentales. Le 10 mars 2016, l’Assemblée Nationale a adopté une proposition de loi qui prévoit que le délai de prescription pénale passe de dix à vingt ans pour les crimes et de trois à six ans pour les délits. Historiquement, d’aucun défendait que la prescription de l’action publique et des peines, institution séculaire, reposait sur l’œuvre du temps qui réduirait l’intensité du dommage causé à la société par l’auteur de l’infraction et de fait la nécessité de le sanctionner. En effet, la société aurait intérêt à oublier l’infraction passé un certain délai plutôt que d’en attiser le souvenir en la réprimant tardivement. 10 RUE DES POTIERS 31000 TOULOUSE
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Membre d’une Association Agréée, le règlement des honoraires par chèque est accepté Siret 800 583 353 000 19 Selon le philosophe des lumières Bécaria « (…) il faut fixer un temps après lequel le coupable assez puni par son exil volontaire peut reparaître sans craindre de nouveau châtiment » car « l’obscurité qui a enveloppé longtemps le délit diminue de beaucoup la nécessité de l’exemple, et permet de rendre au citoyen son état et ses droits avec le pouvoir de devenir meilleur ». Depuis 1808 et le Code d’Instruction criminelle l’action publique se prescrivait en matière délictuelle par trois ans et en matière criminelle par 10 ans. Sous couvert d’unifier les délais de prescriptions, puisque en dehors des délais de droit communs susmentionnés, il existe des régimes dérogatoires prévoyant des délais spéciaux de prescription, la proposition de loi ne vise qu’à allonger les délais de prescription puisque les délais spéciaux sont conservés. Ainsi, la loi met à mal les principes fondamentaux sur lesquels reposait traditionnellement la prescription. Le droit à l’oubli, commandait à la société d’oublier les infractions commises dans le passé afin de préserver la paix sociale car le trouble causé par celle-­‐ci s’apaiserait progressivement avec le temps. Et, l’idée selon laquelle le temps qui passe aurait modifié considérablement le comportement et la personnalité du coupable présumé, le risque est alors de juger un homme qui n’est plus le même. En tout état de cause, une peine prononcée aussi longtemps après la commission de l’infraction perdra inévitablement tout son sens. Cette réforme est d’autant plus critiquable au regard du principe, reconnu au niveau international, du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Alors même que la politique pénale du parquet tend vers un renvoi quasi systématique des prévenus en comparution immédiate, procédure d’urgence selon laquelle à l’issue de sa garce à vue le mis en cause est jugé seulement quelques jours après les faits . Deux idées qui interviennent dans le même temps et sont pourtant en parfaite opposition. D’une part la volonté de juger instantanément après les faits et d’autre part la mise en place de délais qui permettent de juger un homme toujours plus longtemps après les faits. La prescription est également un garde fou de l’exercice tardif du droit de punir. C’est la sanction de l’inaction du parquet dont le justiciable n’a pas à supporter les conséquences, qu’il s’agisse de négligence ou d’un manque de moyen. Interviewé en janvier 2016 le Bâtonnier de Paris plaidait pour une hausse du budget de la justice expliquant que « seul 10 centimes par jour et par habitant étaient consacrés à ce secteur ». Selon l’étude de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, la France se classe 37ème sur 45, derrière l’Allemagne, l’Angleterre, la Belgique ou encore l’Italie… Le constat d’un paradoxe s’impose. Récemment, les parlementaires se sont largement affrontés sur des versions plus ou moins maximalistes de la perpétuité réelle en matière de terrorisme. Une idée dangereuse et pas si éloignée de la peine de mort. Le Ministre Robert Badinter avait explicitement écarté la question de la substitution, celle de l’emprisonnement à perpétuité, soulignant qu’on ne remplaçait pas la peine de mort pour une autre forme de torture, on l’abolissait, un point c’est tout. Parce que lorsqu’on tue l’espoir, on tue l’Homme. Il a pu être reproché à certains chefs d’Etat de légiférer à chaque fois qu’un événement se produisait. C’est une loi symbolique, de circonstances, une opération politique qui surfe sur les peurs légitimes de la population. Dans un climat de durcissement de la politique pénale, qui en vient à oublier la prévention au profit de la répression, bordé de contradictions et de lois de circonstances, l’Avocat tient une place centrale. Au delà de la défense à proprement parlé de l’Homme, il est le gardien des libertés fondamentales parce qu’elles régressent dès lors que l’on cesse de se battre pour elles. L’Avocat et ancien Ministre Roland Dumas avait cette belle formule : « Ce qu’il y a de meilleur dans l’Avocat c’est qu’il soit là quand il n’y a plus personne. (…) Face au pouvoir, face au malheur, face à la haine, entre l’accusé solitaire, abandonné, humilié, menacé et la société qui s’apprête à punir, un homme s’interpose les bras en croix protégeant aussi bien l’innocent contre l’injustice que le coupable contre la vengeance ». Julie RACOUPEAU