0022 De l`universite a la pratique Reniers(1).
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0022 De l`universite a la pratique Reniers(1).
Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 DE L’UNIVERSITE A LA PRATIQUE PSYCHOLOGIQUE : D’UN RATE NECESSAIRE From the university to psychological practice: about a necessary failure Dominique RENIERS1 Reçu le 21 mars 2011, accepté le 11 avril 2011 Résumé L’université, depuis toujours, contient une prétention à un savoir universalisant qui, dans le cas précis de la psychologie clinique, s’accommode difficilement de la particularité de son objet. Comment concilier en effet d’une part ce qui se réclame d’un savoir érigé en universel et d’autre part ce qui relève fondamentalement d’une pratique impliquant un sujet particulier face à un autre sujet particulier. Il est assez aisé de démontrer que l’enseignement universitaire en psychologie clinique admet un décalage insurmontable avec la pratique. Il l’est beaucoup moins d’éviter de s’en contenter. Nous tentons ici de montrer que c’est l’une des fonctions essentielles de l’enseignement universitaire, en psychologie clinique en tout cas, d’assurer au sein de ses enseignements un tel décalage qui rappelle ce qui s’écrit avant tout sur les coordonnées du désir qui, par définition, rate son objet. Motsclés : Désir – Savoir ‐ Clinique ‐ Pratique ‐ Université From the university to psychological practice: about a necessary failure Abstract Since always, University has for aim teaching of universal Learning. In the case of clinical Psychology, this aim is in a big staggering with his Object. How can we in fact conciliate on the one hand a learning which is put like an universality, and on the other a practice which implicates fundamentally a particular subject facing another particular subject. It’s easy to demonstrate that university teaching in clinical Psychology admits an insurmountable staggering with practice. But it is not so easy to avoid being satisfied for that. We try here to demonstrate it is one of essential function of university teaching, especially in clinical Psychology, to warrant this staggering which recalls what is written before all on coordinates of desire which, by definition, misses his object. Keywords: Desire – Learning – Clinic – Practice ‐ University De la universidad a la práctica psicológica: sobre un fracaso necesario Resumen 1 Laboratoire SHS‐CEC–Unité de Recherche en Psychologie OCeS (Organisation, Clinique et Sujet) Université Catholique de Lille – Faculté Libre des Lettres et Sciences Humaines ‐ 60 Bd Vauban BP 109. F – 59016 Lille Cedex‐ dominique.reniers@icl‐lille.fr 1 Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 Desde siempre, la universidad pretende sostener un saber universal que, en el caso preciso de la psicología, difícilmente se acomoda a la particularidad de su objeto. ¿Cómo conciliar por un lado aquello que se sustenta sobre un saber erigido como universal y por otro lado aquello que proviene de una práctica que implica fundamentalmente un sujeto particular frente a otro sujeto particular? Es relativamente fácil demostrar que la enseñanza universitaria en psicología clínica presenta un desfasaje fundamental con la práctica. Sin embargo, es mucho más difícil evitar contentarse con ello. En nuestro trabajo mostraremos que una de las funciones esenciales de la enseñanza universitaria, en todo caso en psicología clínica, es asegurar, en el marco de los cursos, este desfasaje que nos recuerda sobre todo aquello que se escribe en las coordenadas del deseo, el cual, por definición, no alcanza su objeto. Palabras clave: Deseo – Saber – Clinica – pràctica ‐ Universidad Les mots sont souvent trompeurs. Le substantif « Université » a beau venir du latin « universitas », il ne renvoie pas aussi simplement à un savoir qui se poserait comme universel. Le mot « université » désigne avant tout la corporation (Gaffiot, 1934, p. 1629) des maîtres et des étudiants qui, avec l’aval de deux bulles du pape Innocent III, s’institue à la tête de quatre facultés, celles de Théologie, de Droit canon, de Médecine et des Arts. De telles corporations ont vu le jour au début du XIIIème siècle, à Bologne et Padoue en Italie, à Oxford en Angleterre, à Salamanque en Espagne, et à Paris, Toulouse et Montpellier en France. Placé sous l’autorité papale, le savoir était forcément fondé sur le référentiel catholique, et ce non seulement au niveau des enseignements de théologie et de droit canon, mais aussi à celui concernant la médecine et les arts. La recherche, notamment dans son versant d’applicabilité, n’avait en cela aucune place. Au contraire, et les exemples historiques à ce titre sont multiples pour l’attester, tout ce qui s’autorisait à sortir du sillon ecclésiastique risquait à cette époque la mise à l’index papale. La recherche, pendant un bon moment, sentait le soufre et sollicitait le parfum du bûcher… Il ne s’agira évidemment pas ici d’établir un historique de l’Université. Je soulignerai seulement à ce propos le contraste qui se présente entre cette période où l’Université renvoyait à une corporation, et la nôtre où la notion d’ « universitas » semble se rattacher désormais au savoir. A quoi j’ajouterai que la recherche, devenue pièce maîtresse dans nos universités contemporaines, notamment depuis une dizaine d’années (en tout cas en France), tend à l’universalisation plus qu’à l’universel, dès lors que son applicabilité est devenue critère essentiel. Pareil visage, évidemment, prend tout son relief pour la profession qui est la nôtre, et pour la formation qui y conduit. C’est l’objectif de ces réflexions de l’interroger, avec toutefois une restriction que je m’empresse de poser : je parlerai essentiellement de la psychologie clinique telle qu’elle se présente en France. Quand bien même le monde contemporain n’est pas enclin à tenir compte des leçons de l’Histoire, il faut pourtant bien se rappeler que la psychologie, avant d’intégrer le cénacle universitaire, a pris son essor à partir de la recherche. Jusque dans les années 1920, les deux plus grands psychologues en France, pour le commun des mortels, se nommaient en effet Bergson et Proust (Ohayon, 2006, p. 20), et ce n’est que très progressivement que Théodule Ribot parvint, avec plus ou moins de succès, à libérer la psychologie du carcan de la 2 Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 philosophie et de la littérature. C’est à partir de là qu’elle acquit ses titres de noblesse en tant que discipline scientifique séparée et autonome, même s’il faut reconnaître que le titre « de philosophe médecin » que Ribot réservait à la fonction naissante de psychologue était loin d’être heureuse. D’entrée de jeu en tout cas, la psychologie devait faire face tout à la fois à un socle philosophique dont elle ne parviendra pas facilement à se débarrasser, notamment pour les cliniciens lorsque la psychanalyse fera son apparition, et à une prétention médicale sans jamais pouvoir l’assumer tout‐à‐fait compte tenu de l’originalité de son objet épistémologique. La naissance de la psychologie contient donc les germes d’une pluralité théorique que l’avenir ne fera que confirmer. Spécialiste du comportement observable, des opérations cognitives détectables, de la communication enregistrable, ou de l’inconscient insaisissable, assurément, le temps n’est certainement pas proche où de telles différences sont appelées à se lever. Doit‐ on seulement le souhaiter comme jadis Lagache qui, en France, tenait pour possible l’édification d’une unité de la psychologie (Lagache, 1945, p. 421 ; 1949) ? Ce serait là une question essentielle à se poser !... Retenons pour l’instant ceci : partie de la recherche, la psychologie n’a pas fini de se rechercher. Ce ne sont pas les facettes qu’elle présente aujourd’hui qui montreront le contraire !... Quoi qu’il en soit, l’enseignement de la psychologie, dès lors qu’il a pris place à l’Université, a dû combiner sa prétention scientifique avec la dispense d’un savoir académique. La philosophie sera alors progressivement reléguée au titre de culture générale ou de nécessaire connaissance de l’histoire de la discipline. Il suffirait de jeter un coup d’œil d’ensemble sur la très grande majorité des contenus de cours dispensés dans nos universités pour se convaincre que c’est en tout cas la direction essentielle qu’a prise la formation de psychologue. Surtout aujourd’hui, tandis que nous sommes attendus sur le marché de l’efficacité thérapeutique, le savoir en psychologie doit être unifiant et en cela universalisant. La méthode expérimentale devait en cela forcément être placée en avant plan dans la formation parce qu’elle se présentait comme idéale pour admettre ce type de formulation universalisante et applicable. Telle ou telle expérience permet à l'enseignant de formuler sans l'once d'une hésitation (pourquoi hésiter à dire ce qui ne lui appartient pas et qu'il ne fait que répéter ?) : ∀x fx (pour tout individu x, la fonction x peut être appliquée). Faut‐il des exemples ? Très certainement, pour ne pas demeurer justement dans ce principe du discours universitaire2 qui tend toujours à oublier la plus élémentaire des cliniques. L'application de tel programme de conditionnement pour l'enfant autiste permet de prédire une baisse significative des signes cliniques qui le caractérisent. La mise en place de telle procédure pour les individus victimes de traumatismes permet d'éviter une décompensation ultérieure (Reniers, 2011). La proposition est universelle et applicable pour tout individu se rangeant dans la classe concernée. Je voudrais néanmoins pointer le saut épistémologique qui ici se présente, doublé d'un plongeon éthique lorsqu'il est question d'un sujet qui se pose face au praticien psychologue comme logé à l'enseigne d'une souffrance, quelle qu'en soit la nature. Car, qu'on le veuille ou non, la pratique clinique est une pratique du particulier, fondamentalement (Pedinielli, 1994, p. 34), même si son objet peut être le social, comme le montrent entre autres les travaux plus ou moins récents sur le groupe ou plus encore ceux sur les nouvelles pathologies inhérentes à la postmodernité (Lesourd, 2006, 2007 ; Lebrun, 1997 ; Melman, 2002 ; Sauret, 2008)3. Pour 2 Le discours universitaire n’est évidemment pas entendu au sens très précis que lui réserve Lacan (1969‐1970) 3 Freud lui‐même soulignait que la distinction entre psychologie individuelle et psychologie sociale était beaucoup plus ténue qu’elle ne semble être au premier abord (Freud, p. 7) 3 Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 être plus précis, je dirai qu'elle se présente comme une pratique qui implique à plus d'un titre ce particulier. On pense évidemment, immédiatement, à ce qui peut se présenter du côté du patient. C'est vrai et on le rappelle régulièrement. Mais ce n'est pas suffisant comme je vais essayer de le démontrer. A ma connaissance, il n'existe pas d'études expérimentales portant sur l'acte de formation propre au psychologue. Cela se saurait d'ailleurs, car il est, je crois, assuré qu'une telle recherche remettrait gravement en cause un bon nombre d'actes professionnels qu'il est possible d'observer aujourd'hui. Cet acte de formation repose en effet sur quatre postulats au moins qu'il est facile de remettre en question : 1) Le savoir universitaire exige qu'un médiat soit bien là pour le dispenser. C'est l'enseignant, le professeur. Passons sur le problème, bien connu surtout dans le champ de la psychopathologie, de l'école d'appartenance de celui‐ci qui, inévitablement, pour un même phénomène clinique, posera un discours différent. On ne parle pas de la dépression ou de la mélancolie par exemple, de la même façon selon qu'on appartient à l'école analytique ou à celle cognitiviste. Cependant, même lorsque la différence d’école ne se présente pas, peut‐on raisonnablement affirmer qu'une étude de cas, par exemple, sera abordée de façon identique par deux enseignants, quand bien même l'un et l'autre appartiennent à la même orientation théorique ? Une simple observation, expérimentalement fondée ou non, prouverait à coup sûr que non. 2) Encore s'agit‐il encore d'un discours universalisant soutenu par nécessité par un seul enseignant. Le plus interpellant reste à venir car, et là aussi la plus simple observation le montre avec l'éclat de l'évidence, il est clair que ce discours n'est absolument pas reçu de façon identique du côté de l'étudiant. Même si le souci, lors des examens, est avant tout (et c'est peut‐être dommage !) de vérifier un acquis théorique ou méthodologique, c'est l'expérience de tout examinateur de constater avec surprise, voire avec rage, combien ce qu'il a formulé dans son enseignement est reproduit avec tant de variations dans ses copies ou à l'oral. 3) Plus encore, le transfert (à entendre évidemment ici dans son acception commune) de ce savoir, déjà « filtré » subjectivement par l'enseignant (et peut‐être par le rapport particulier qui s'établit avec lui) ne saurait conduire à une pratique unitaire. Cela est dû certes à la façon forcément subjectivée dont le savoir a été transmis et reçu. Mais aussi, mais surtout, et c'est là ce qui fonde toute l'originalité de la formation du psychologue clinicien, l'étudiant sur le terrain est forcément confronté à la différence dont il lui faut prendre la mesure avec ce qu'il a reçu comme enseignement. On a beau présenter le tableau clinique de la schizophrénie, au grand jamais un tel tableau ne se retrouve parfaitement, à l’identique, sur le terrain. Inévitablement, l'étudiant (mais aussi n'importe quel praticien honnête !) doit, une fois sur le terrain, réaliser le processus inverse à celui qui conduit, comme l'a montré Foucault (1978), aux classes nosographiques. Il doit reconnaître ce qui, chez le patient qu'il a face à lui, le particularise par rapport aux autres patients autant que par rapport à ces classes apprises à l'université. 4) C'est que le statut épistémologique dont se réclame l'objet de la psychologie clinique est unique en son genre. On peut certes réduire le patient aux signes objectifs que sont ses comportements ou les modalités discursives qui le caractérisent (cela est très à la mode, on le sait !) mais cela revient forcément à omettre gravement, au nom d'un confort qui se réclame face à la différence, voire d'une soumission aux autorités médicales et institutionnelles qui attendent leur quota de diagnostics pour justifier 4 Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 avant tout le bien fondé de leur établissement, ce qui du sujet reste à dire et surtout à entendre... C'est là l'essentiel que je désire mettre en relief dans cet exposé ! Binswanger, il y a bien longtemps de cela, affirmait déjà que la différence entre un schizophrène et un homme normal était la même que celle entre un homme normal et un autre homme normal. On ne discutera pas une telle affirmation qui cautionne entre autres cet écart ici visé entre le savoir universitaire et la pratique clinique. Mais il y a plus à souligner à partir d'elle ! On a beau vouloir rappeler ce qu'aujourd'hui, dans ce monde postmoderne radicalement ancré sur la technoscience, on a tant de mal à entendre, à savoir que le patient, avant d'être fou ou malade, est « sujet » avant tout, il convient d'ajouter ce point essentiel qu'il ne peut avoir accès à ce statut de sujet qu'à la condition que le praticien soit prêt à reconnaître qu'il l'est tout autant, et ce non à l'identique à l'autre mais dans la différence avec luimême. Pour le dire autrement, il me semble insuffisant de tenir l'originalité de l'objet de la pratique clinique sur la seule base de la dichotomie philosophique classique « sujet‐objet », de se contenter de souligner que cet objet d'étude ou d'analyse n'en est pas un parce qu'il est sujet. Cela n'est pas forcément inexact mais ne rend pas suffisamment compte de ce passage du savoir universitaire au champ de la pratique, pratique qui force à reconnaître ce qui fait fonction de sujet avant tout au niveau de cette puissance (au sens mathématique ou physique du terme) de praticien qui loge chez chacun des étudiants. Certes, on atteint le summum de la réduction objectivante quand on se limite à considérer le patient au seul niveau de ses comportements ou de la communication dans laquelle il baigne. Mais il n'en va pas autrement, même si cela se présente de façon autrement subtile, lorsqu'on admet, souvent d'ailleurs de façon forcée, la dimension du désir au seul niveau du patient. On croit alors le reconnaître comme sujet alors qu'on ne procède que d'une autre forme d'objectivation, de surcroît dangereuse si on y fait promouvoir quelque concept analytique qui prend forcément un aspect de plaquage. Un exemple... Combien de fois est‐il possible de trouver ces travaux qui consistent à identifier par exemple les mécanismes de défense chez le sujet qui vient d'apprendre qu'il est condamné par une maladie dont il vient d'apprendre l'existence ? On se persuade alors qu'on fait place au sujet alors qu'on ne fait qu'objectiver, sur le mode d'une inter‐subjectivité qui justement est dénoncée en psychanalyse, celui‐ci. Faut‐il le rappeler ? Connaître la jouissance (au sens de jouïr de... et non au sens du plaisir) de l'Autre, plus largement ce qui le fonde dans son rapport à lui‐même et aux autres, relève de la stratégie perverse. C'est se poser en divin marquis que de savoir ce qui anime l'Autre sans le savoir !... On pourra donc critiquer aisément le comportementalisme, l'approche cognitiviste ou encore celle systémique, dans ce qu'elles déterminent en réductionnisme. Mais on doit tout autant critiquer ces approches qui prétendent relever de la psychanalyse et qui procèdent le plus souvent d'une violence interprétative qui pose le sujet dans un savoir en imposant le silence à celui‐là qui, en tant que patient qui parle, devient presque prétexte à élucubration théorique qui enseigne davantage sur celui qui l'établit que sur celui censé être concerné par elle. On le voit bien, ce n'est certainement pas un conflit d'écoles ou d'orientations théoriques qui se présente ici. Il est trop facile de critiquer le réductionnisme comportementaliste, cognitiviste ou autre en se posant comme héraut de la subjectivité. Bon nombre de cercles analytiques aujourd'hui, au travers d'une théorisation qui fait gravement fi de la plus élémentaire clinique en se repliant dans une sorte de tour d'ivoire conceptuelle ou en s'alignant sur le pragmatisme ambiant en imposant une « psychologie dynamique » qui ose parfois se qualifier d' « humaniste » (et qui sont souvent les premiers à contester la place de la 5 Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 psychanalyse à l'université), feraient bien parfois de se prendre comme objet de leurs délires interprétatifs. Cela leur permettrait peut‐être de s'apercevoir qu'un autiste, ça parle avant tout une autre langue que la leur, même si à plus d'un titre, dans leur repli loin de la réalité clinique, elle semble s'en rapprocher. Le débat ici avancé ne relève pas du conflit d'écoles, mais veut porter sur ce passage d'un savoir, quelle qu'en soit l'orientation donc, à la pratique, soit le passage d'un savoir universalisant à une pratique fondamentalement particulière. Ce passage, on ne s'en préoccupe pas vraiment. A quoi juge‐t‐on qu'un étudiant peut être psychologue clinicien ? A la validation d'Unités d'Enseignement (UE), c'est‐à‐dire à partir de l'assurance qu'il est capable de reproduire fidèlement ce qui a été enseigné. Ce qui est vérifié, donc, n'est rien d'autre que les capacités mnésiques de l'étudiant. J'exagère sans doute, mais si peu au vu du peu de place qui est laissée à sa production personnelle et à sa critique... Il faut en tout cas prendre la mesure des conséquences d'une telle façon d'entendre la formation du psychologue clinicien. Avec elle, c'est toute la panoplie des psychologues d'aujourd'hui, qui visent l'efficacité prônée au nom de critères scientifiques, qui se retrouve. Ainsi ces psys qui adoptent telle technique de conditionnement pour l'enfant autiste sans se poser la question des bénéfices que tirent, des progrès mécaniques observés, les membres de la famille de cet enfant quand ce n'est pas le psy lui‐même qui, sans grande difficulté, va trouver dans ces progrès confirmation de sa technique et attestation de sa notoriété. Ainsi également ces psys qui appliquent à la lettre la procédure de prise en charge systématique des victimes, sans se soucier un seul instant du champ de la demande. Comment s'étonner que certains de ces psys s'affichent un jour ou l'autre avec l'étiquette de coach, dans la mesure où le seul critère retenu est l'efficacité quant à atteindre un résultat précisé d'avance. On l'observe de plus en plus en France dans la (prétendue) prise en charge des femmes souffrant de troubles alimentaires. A court terme et de façon objectivement vérifiable, le résultat est là pour attester de la validité de la procédure ou de la technique appliquée. Que le sujet décompense après, cela n'entrera évidemment pas dans les chiffres. Que le sujet refuse d'entrer dans la procédure, il sera déclaré comme résistant ou tirant bénéfice de ses symptômes. Bref, dans cette logique, la boucle est bouclée ! La technique ne peut pas ne pas se valider elle‐même, envers et contre ce que l'évidence et la plus élémentaire honnêteté clinique peuvent crier à son encontre. Ainsi André que j'ai eu en suivi, qui avait vécu une quinzaine de cures de désintoxication et que les services sociaux déclaraient simplement irrécupérable quant à son alcoolisme. S'ils avaient simplement pris le temps de l'écouter, André, avant de le conditionner à ne plus boire, ils auraient peut‐être compris ce qu'il ne pouvait retrouver, à savoir cet enfant dont il était le père et qui avait disparu, comme tous les membres de sa famille morts dans des circonstances liées directement ou indirectement à l’alcool. Certes il n'en parlait pas... Mais peut‐être parce que personne ne tenait son histoire personnelle comme aussi importante que l'alcool qu'il fallait, comme pour n'importe quel alcoolique anonyme, éliminer. En tout cas, cette efficacité promue en priorité dans la pratique laisse entrevoir l'importance qu'y prend le tiers, un tiers qui n'a rien de symbolique mais qui s'inscrit bien dans le registre de l'imaginaire. Il s'agit de la famille (notamment en clinique infantile), de l'institution qui doit rendre sa copie de statistiques au ministère de référence (dans le secteur médical, baptisé aujourd'hui, ce n'est pas un hasard, secteur de la santé), quand il ne s'agit pas de l'instance politique en place qui, lorsqu'une catastrophe se présente avec son cortège d'hyper‐médiatisation, s’empresse de préciser dans les communiqués de presse qu'une équipe de psys pompiers a bien reçu les individus concernés par elle. Que ce tiers soit imaginaire et non pas symbolique, cela s'atteste au niveau des modifications profondes qui se présentent du côté de la demande chez le sujet qui aujourd'hui 6 Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 consulte. De plus en plus, le sujet vient avec l'attente explicite d'une réponse à un problème qui se pose ou même quand un problème peut se poser (les émissions grand public qui montrent le prétendu tableau de telle ou telle souffrance n'y sont évidemment pas pour rien). Si cette réponse ne vient pas, comme cela semblait attesté dans les prétentions pseudo‐ scientifiques trouvées dans les medias, c'est donc que le psychologue n'est pas à la hauteur, est incompétent. L'espace est établi donc pour que de nouvelles formes de plaintes prennent corps dans les consultations. Il ne s'agit plus tant, pour le dire simplement, de dire, c'est‐à‐dire d'élaborer verbalement, le symptôme. Il s'agit de revendiquer la réponse à ce symptôme. La plainte ne se formule plus, elle se dépose, au sens où on dit qu'on dépose une plainte auprès de qui de droit... C'est une plainte qui, en s’inspirant des travaux de De Clérambault, peut être baptisée du nom de « quérulence commune » (Reniers, Pinel & Guillen, 2011). Pour revenir au problème de l'Université, ou plutôt de la tendance à l'universalisation du savoir qui s'y trouve dispensé, il me faut mentionner un phénomène d’actualité qui se produit en France. Il s'agit du droit à porter le titre de psychothérapeute. Le ministère de la santé fixe de façon explicite un nombre d'heures de formation complémentaire nécessaire pour porter celui‐ci. Ces heures concernent, outre un stage, un enseignement en psychologie clinique et en psychopathologie et surtout varient selon la formation de base. Le psychiatre par exemple n'a besoin d'aucune heure de formation complémentaire, le psychologue du travail d'un nombre d'heures plus important que les psychologues cliniciens mais moins important que ce qui est imposé à d'autres professions etc... Evidemment, la réaction des psychologues cliniciens ne s'est pas fait attendre, et cela évidemment avec raison.4 « Que fait‐on des heures de formation déjà existantes à l'université ? En quoi nos heures de formation universitaire ne seraient‐elles pas suffisantes pour avoir le droit de porter le titre de psychothérapeute ? ». Il est vrai que la mesure ministérielle fait bien peu cas de l'enseignement en psychopathologie qui est bel et bien présent à l'université mais qui se présente de façon presque anecdotique dans la formation initiale du psychiatre. Cela peut faire scandale. Mais l'attention vaut d'être portée sur ce qui prend bien la forme d'une prétention à caractère paradoxal, au sens russélien du terme, chez les psychologues en réponse à ce diktat ministériel. Car mettre en avant un déjà‐là formatif, de nature universitaire, pour justifier le droit de porter le titre de psychothérapeute revient bien à cautionner l'idée défendue dans le projet de loi que la fonction de psychothérapeute s'apprend au nom d'un savoir dispensé. Affirmer, autrement dit, que cinq années d'études suffisent pour porter ce titre revient bien à consolider l'idée avancée d'un passage pur et simple entre un lieu qui tend à l'universalisation (et ce même dans l'exigence de stages à réaliser) et une simple pratique. Il y a en cela bel et bien confirmation, paradoxalement, de ce qui sous‐tend l'idée du ministère. Rien n'est dit à propos de ce qui, dans l'acte psychothérapeutique, relève d'une dynamique nécessairement extérieure au savoir, plus largement à la formation. Je veux parler de cette dynamique foncièrement subjective forcément impliquée dans cet acte, qui exige, bien au‐delà de quelque savoir ou savoir‐faire, ce qu'on appelle communément un « travail sur soi ». Car, à moins d'être dans ce schéma simpliste de l'application de techniques apprises, qui me semble remettre gravement en question le terme même de psychothérapeute (et non plus la formation qu'elle exige), on ne saurait, je crois, contester qu'être psychothérapeute, c'est admettre une double rencontre, celle de l'autre, à savoir le patient, mais aussi cette part d'altérité fondamentale en soi, qui seule permet l'aménagement d'un espace de travail psychique. Disant cela, je ne revendique pas la nécessaire proximité de la psychothérapie avec la psychanalyse, même si celle‐ci me semble la moins éloignée (à condition d'éviter les écueils mentionnés plus haut) de cette 4 A l’heure où ces lignes sont écrites, des pourparlers ont lieu entre les syndicats soutenant la profession de psychologue et le Ministère de la santé 7 Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 exigence. Je veux souligner plus radicalement encore qu'il ne peut y avoir psychothérapie que si la dimension de sujet y peut trouver quelque place à s'exprimer, ou à s'élaborer. Sans cette place, je ne vois vraiment pas en quoi cet acte psychothérapeutique parviendrait à se distinguer d'une procédure éducative. Et si elle semble, au grand dam de l'officialité politique autant que de certains praticiens férus d'efficacité et de scientisme, particulièrement difficile à établir, c'est justement parce qu'elle échappe fondamentalement à ce canevas formatif qui vise l'universel quand avoir quelqu'un en psychothérapie se réclame avant tout du particulier... A partir de la critique que je formule ici d'un passage insuffisamment interrogé entre un savoir universalisant et une pratique singulière, doit‐on en déduire qu'il faille tenir pour absolument nécessaire que chacun de nos étudiants (je parle de ceux qui se destinent à une carrière de psychologue clinicien et/ou de psychothérapeute) ait à passer par le divan d'un psychanalyste, ou plus largement par un travail personnel situé en dehors de l'Université ? Cette mise au travail du subjectif est‐elle inévitablement dotée d'un caractère d'extériorité, voire d'extimité, par rapport à l'Université ? S'il est vrai qu'on ne saurait qu'encourager une telle démarche, la tenir pour nécessaire à la formation deviendrait strictement aberrant. Car on entreprend un travail analytique en parfaite indépendance d'un objectif de formation. Consulter un psychanalyste dans le but explicite de devenir soi‐même psychanalyste est une production symptomatique qui peut servir de défense, de résistance, au travail analytique, s'il n'est pas interrogé d'emblée. Encourager une telle démarche, c'est déjà fonder une autre scène que celle du savoir universitaire, et cela peut constituer un premier pas. Mais cela est‐il suffisant ? Ne peut‐on pas, ne doit‐on pas « travailler » cette dimension subjective au sein de l'université ? Et si oui, dans quelles limites ? On aura dit l'essentiel en insistant sur l'importance des stages au cours de la formation du psychologue clinicien. A cela toutefois deux conditions. Il est nécessaire de veiller à une réelle confrontation de l'étudiant à ce qui, sur le terrain (celui du stage) s'impose au titre de la différence. Celle‐ci s'impose, me semble‐t‐il, aux deux niveaux essentiels de la psychiatrie et de la clinique infantile. Mais faire un stage n'a pas grand sens si ce qu'y rencontre l'étudiant ne fait pas l'objet d'une possible élaboration en un temps et un espace réservés ad hoc. C'est en cela qu'il semble impératif d'aménager un certain nombre de séances en cours de formation où, en petits groupes, parfois en individuel, cette expérience du stage peut être travaillée. Que ces séances soient appelées « supervision », « intervision », importe peu. L'essentiel est d'y promouvoir une liberté de parole, évidemment dégagée de toute évaluation, permettant une mise au travail subjective de ce qui, forcément, s'inscrit dans une différence avec le savoir universitaire dans la confrontation au terrain. On ne saurait négliger l’importance de l'enseignant chargé de telles séances. Nonobstant l'inévitable inférence d'un « su‐posé » à son endroit au titre imaginaire, c'est en clinicien, et non en enseignant, qu'il doit se situer, et ce dans l'exacte limite qu'impose sa fonction qui porte sur ce qui, d'un subjectif qui interroge, ne peut pas ne pas s'écrire dans la rencontre du patient. La limite, bien sûr, sera d'orienter l'étudiant, ou plutôt de pointer l'occurrence d'un possible espace de travail extérieur à l'Université lorsqu'une dimension trop personnelle en vient à prendre place dans de telles séances. On ne s'improvise pas analyste n'importe où, surtout à l'Université ! Cependant, nonobstant l'importance du stage et du travail d'élaboration subjective à réaliser à son endroit, il est un autre point qui, me semble‐t‐il, prend toute son importance dans le cadre de la formation du psychologue clinicien. Il s'agit plus restrictivement de la question du rapport au savoir. Loin de moi l’idée de proposer quelque magnifique programmatique qui serait censée répondre efficacement à la question de ce passage du 8 Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 savoir à la pratique. En poserais‐je une que le piège se refermerait aussitôt, logiquement, sous la forme d’un paradoxe grossier. Car je resterais alors dans ce savoir que justement je dénonce comme insuffisamment interrogé dans la formation du psychologue clinicien. Je laisse les programmes bien huilés pour les exigences ministérielles et me contenterai de quelques points de réflexion. Comment les choses se présentent‐elles habituellement ? De façon « clivée ». D’un côté, le savoir universitaire et officiel, de l’autre une pratique fondamentalement particulière. On apprend les tableaux nosographiques, les rouages qui sont censés spécifier tel ou tel mécanisme de défense, et tout l’art du clinicien sera de retrouver, sur la scène où se trouve l’autre, le patient, ce qui a été appris et académiquement évalué. Pareil clivage repose sur une centration sur le contenu, le signifié, et le seul lien qui demeure avec la pratique est celui d’une mise en application de ce contenu de savoir ou savoir‐faire. Et cela tient ainsi, donnant caution à l’officialité d’un titre, celui de psychologue, et à celle d’une place dûment délimitée, celle de patient, de malade, de schizophrène, d’autiste ou de cancéreux condamné. Chacun donc y trouve une place par avance établie et dans laquelle on n’a d’autre principe que d’y entrer, de la retrouver sans cesse de patient en patient, de psychologue en psychologue, à l’identique. Tel patient, c’est ce que j’ai appris ; telle procédure de soin, c’est ce que j’ai retenu de ce que je devais appliquer. Le contenu est donc référencé en absolu, ce qui conduit à la formulation de l’adéquation A = A, sur les coordonnées d’un passage, celui du savoir à une pratique, passage qui ne s’interroge pas. Et c’est là tout le problème, car l’adéquation ainsi posée ne tient absolument pas compte de la spécificité de l’objet qui se pose en psychologie clinique. Je le répète, il serait trop facile de se réfugier derrière l’argument philosophique qui souligne qu’en pareille pratique le sujet‐ patient est réduit au statut d’objet‐de‐savoir. Derrière un tel argument peut se dissimuler dans l’implicite la plus subtile des objectivations si on ne s’interroge pas avec la rigueur nécessaire sur ce qu’est ou sur ce que peut être un sujet. La voie qui s’offre, la seule, pour éviter un tel piège est de reconnaître qu’il n’est de sujet que subverti à l’ordre du langage. Ce n’est pas faire preuve, je crois, d’orthodoxie théorique de rappeler que ce qui fonde la dimension du sujet repose sur une bévue. L’exemple du nouveau‐né qui crie sans le savoir, et dont le cri est saisi, dans l’interprétation de ce qui s’institue en tant qu’instance de l’Autre, comme appel, c’est‐à‐dire doté d’un sens (quel qu’en soit le contenu), est classique mais efficace (Freud, 1887‐1902, p. 376). C’est fondamentalement au nom de l’Autre qui institue le nouveau‐né dans ce qu’il n’est pas (un être de chair) que peut surgir du sujet. C’est peut‐être plus complexe que la théorie de l’apprentissage, mais c’est essentiel à retenir. Car, à y regarder attentivement, du temps d’apprentissage d’un savoir à prétention universalisante à une pratique forcément particulière, il n’est d’autre principe à l’œuvre, justement, que celui du langage. Voilà donc l'étudiant situé dans l'interstice qui a pour bords un discours, celui du maître à l'université, et un autre discours (fût‐il caractérisé par un mutisme), celui du patient. On aurait tort de croire, à partir de là, que l'on a affaire à l'occurrence de trois sujets (maître, étudiant, patient). Ce serait réduire une nouvelle fois la dimension du sujet qui est fondamentalement au‐delà de la notion d'individu parce que production de l'ordre du langage avant tout. C'est là qu'il convient de saisir l'essentiel. On ne peut aboutir, en quelque temps isolable dans une analyse, à ce lieu qui est celui du sujet. Car il n'est d'autre lieu pour lui que celui d'un passage, entre ce qui est et ce qui n'est pas pour exister (étymologiquement, être assis‐hors). On ne peut saisir une coupure, ou une déchirure. On ne peut la saisir que dans l'après‐coup d'une opération qui se nomme à partir seulement de son effet. Ainsi, il n'y a pas de sujet localisable au niveau de l'étudiant, de l'enseignant ou même du patient. Le sujet émerge dans la seule amorce d'une reconnaissance de ce qu'il n'est pas. C'est là le raté 9 Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 essentiel que je veux pointer avec l'insistance qu'impose le foisonnement de pratiques contemporaines en clinique, qui dérivent tout droit du savoir universitaire purement et simplement appliqué, et qui ne veulent pas reconnaître que la pratique clinique concerne fondamentalement un sujet en tant qu'il est parlant et seulement à ce titre. On peut se réfugier dans le savoir, dans le pur observable forcément réducteur au niveau des variables (comportements, opérations cognitives, communication, voire inconscient positivé). Cela est on ne peut plus actuel dans ce monde d’aujourd’hui où la communication est devenue tellement importante qu'on ne sait même plus ce que parler veut dire. Je me garde bien, personnellement, de reconnaître, dans ces pratiques qui visent avant tout l'efficacité et le rendement, quoi que ce soit de ce qui s'appellerait une clinique du sujet. Car non seulement elles font taire le patient, mais aussi elles procèdent d'une réduction au silence du praticien qui, plongé dans le savoir et l'application, ne se pose dans sa fonction de psychologue que pour voir et vérifier. Car le véritable, on ne saurait le contester, tend aujourd'hui à laisser la primeur au vérifiable. Et l'Université peut prétendre parler le juste au sens mathématique du terme, elle n'atteindra la vérité du sujet qu'au prix d'une remise en question radicale de sa prétention à l'universalisation. Il faut connaître le prix à payer d'une telle reconnaissance d’un tel ratage entre le savoir universitaire et la pratique clinique. Car le savoir subit un sort qui interroge radicalement ceux qui, par lui, sont concernés. On aurait grand tort de croire que les développements qui précèdent conduisent à l’idée de la nécessité de tenir tout savoir, clinique et psychopathologique, pour inutile ou caduque. Dans le cadre de la formation du psychologue clinicien, cela serait tout simplement aberrant. Seuls quelques cercles analytiques aujourd’hui aboutissent à cette extrémité de tenir ce savoir comme résistance symptomatique chez le psychologue, analyste ou pas. Mais le psychologue clinicien n’est pas (forcément) psychanalyste. Le savoir universitaire, dans sa portée inévitablement universalisante, est nécessaire parce qu’il permet la mise au travail de ce qui se supporte de l’exigence d’être déconstruit. Déconstruire n’est pas détruire, et on n’avance pas d’un pas dans la pratique clinique lorsqu’on se persuade que le savoir n’a de valeur qu’à renvoyer au symptôme du clinicien. Cela est trop facile et ouvre la voie à ces conceptualisations qui n’ont même plus la possibilité d’oublier le patient, tant celui‐ci s’y trouve forclos. Ce qui pose question, peut‐être symptôme, c’est lorsque la duperie demeure, je veux dire lorsque le savoir n’admet en aucune façon la logique de ratage qui lui revient de fait. Constamment, patient après patient, entretien après entretien, ce savoir doit être mis au travail pour rappeler encore et encore le point de ratage qui, à moins d’y apposer le voile leurrant d’un réductionnisme objectivant, doit lui être reconnu fondamentalement. Certes, cette nécessaire mise au travail, mieux, cette « mise à la question du savoir » est bien loin du confort qu’offrent les approches objectivantes contemporaines. Mais qui a dit, ailleurs que dans les images d’Epinal médiatisées et trompeuses, qu’être psychologue clinicien était une fonction confortable ? Il serait aberrant de tenir cette mise au travail comme susceptible d’être inscrite sous la forme de quelque programme préétabli et officiel. Elle ne peut avoir de place que sous la forme d’un horizon (dé)formatif. Et surtout, elle ne peut faire l’économie de la prise en compte essentielle de la dimension subjective qui se présente au niveau de l’étudiant. Non que cette dimension soit à entendre comme simple obstacle, ou difficulté majeure dans sa mise en place. Fondamentalement, cette dimension subjective constitue l’espace authentique dans lequel la mise au travail du savoir peut et doit être réalisée. On contestera sans doute la marge qui alors se présente, en impossibilité de tenir dans l’absolu pour vérifiable la capacité pour un 10 Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 étudiant d’être ou non déclaré comme apte à recevoir le titre de psychologue clinicien. Mais il suffit, je crois, de jeter un simple coup d’œil d’ensemble sur les orientations prises aujourd’hui par bon nombre de praticiens qui, dans leur soumission au savoir admis dans un réfléchissement spéculaire attestant dans l'Imaginaire leur place dégagée de toute réflexion, pour reconnaître honnêtement l'échec massif de ce délire de vérifiabilité dans la pratique clinique. Cela est à ce point vrai que, dans la prétendue pleine prise en compte des conditions poppériennes concernant la valeur scientifique d'une discipline, de tels praticiens en viennent à scier littéralement la branche sur laquelle ladite discipline est pourtant assise. Comment entendre les choses autrement quand on voit la profusion de méthodes scientifiquement éprouvées et donc généralisables ? A quand l'application de ces méthodes par des travailleurs sociaux ? Cela est déjà le cas d'ailleurs et il est surprenant que la rigueur de ces praticiens les conduise à la surprise face à un tel phénomène ! On admettra difficilement qu'on puisse se plaindre de ce qu'on sème en toute science... Le titre de psychologue serait‐il alors condamné à devenir simple « attestation » écrite, malléable à souhait dans les institutions et les directives ministérielles ? C'est ce qui se déroule aujourd'hui, en France en tout cas, et il y a vraiment lieu d'être inquiet pour la profession... Car la pratique clinique est en grande souffrance aujourd'hui, dans ce monde contemporain où l'efficacité visée se le dispute avec l'ordre administratif (la bonne vieille névrose française !) qui exige de régenter jusqu'au nombre et jusqu'à la durée des consultations au sein d'une institution. De là un choix s'impose. Ou bien la pratique clinique et la formation universitaire qui la sous‐tend s'alignent sur de telles exigences, ce qui conduit inévitablement, à partir des critères alors retenus, à une grave remise en question de la spécificité qui revient à la clinique dans sa valeur première. Ou bien elle admet cette part du sujet qui, du côté de l'étudiant, du patient, mais aussi du côté de l'enseignant, force à reconnaître ce qui par définition échappe, rate... Parce qu'il n'est de sujet que parlant, parce que c'est fondamentalement dans cette parole, qui se fait cri parfois, que la souffrance nécessairement se fait entendre, cette dimension de ratage semble non seulement inévitable au titre d'effet de ce qui se rappelle au titre d'une subjectivité oubliée envers et contre la prétendue efficacité des méthodes promues dans l'officialité des programmes, mais également indispensable à inclure, sinon à titre d'officialité pédagogique (c'est là le piège, et il est redoutable !), au moins à celui de ce qu'il convient de rappeler entre les lignes d'un savoir qui se prétend unitaire dans son enseignement. Je le répète et j’insiste, la reconnaissance et l'assomption de ce ratage nécessaire s'accorde difficilement avec l'ambiance contemporaine où le vérifiable et le pragmatisme sont maîtres. Mais peut‐être la fonction de la clinique et de sa transmission (plus que de son enseignement) doit‐elle enfin assumer sa propre part de subversion, de ratage vis‐à‐vis des attentes académiques. C'est là qu'on s'accordera à dire que c'est en clinicien qu'on doit transmettre quelque chose d'une clinique qui reste toujours à écrire. Et si la clinique est forcée d'intégrer les petites cases du savoir programmé par les instances ministérielles qui n'ont jamais vu un patient de leur vie, c'est en clinicien également qu'il convient de réagir en tenant cette pression comme production symptomatique d'un monde contemporain qui, dans les discours qui le sous‐tendent, ne sait plus ce qu'il dit parce qu'il veut oublier ce que la parole d'un sujet peut avoir de dérangeant. En quoi, reconnaissons‐le enfin, le dérangé n'est pas forcément aujourd'hui celui qu'on a toujours cru !... 11 Dominique Reniers, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 Bibliographie Foucault, M. (1978). Naissance de la clinique; Une archéologie du regard médical. Paris: PUF. Freud, S. (1887‐1902). Lettres à Whilelm Fliess. Notes et plans. Dans S. Freud, La naissance de la psychanalyse (pp. 47‐306). Paris: PUF. Freud, S. (1921). Psychologie des masses analyse du moi. Dans S. Freud, Oeuvres complètes XVI (pp. 5‐83). Paris: PUF, 1991. Gaffiot, F. (1934). Dictionnaire LatinFrançais. Paris: Hachette. Lacan, J. (1969‐1970). Séminaire XVII. L'envers de la psychanalyse. Paris: Le Seuil, 1991. Lagache, D. (1945). La méthode clinique en psychologie humaine. Dans D. Lagache, Les hallucinations verbales et travaux cliniques. Oeuvres I. 19321946 (pp. 413‐425). Paris: PUF. Lagache, D. (1949). L'unité de la psychologie. Psychologie expérimentale et psychologie clinique. 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