LAISSEZ PARLER RAUL RIVERO Clémence MAREST

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LAISSEZ PARLER RAUL RIVERO Clémence MAREST
LAISSEZ PARLER RAUL RIVERO
Clémence MAREST - Lycée Victor Hugo - Caen (14) - 2004
Mesdames et messieurs, membres du jury, si je m’adresse à vous aujourd’hui, si je peux m’exprimer
sans crainte, c’est parce que l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme me le
permet. Mais c’est aussi, et surtout, parce que le pays démocratique dans lequel je vis, dans lequel
nous vivons, me le permet.
Raùl Rivero n’a pas cette chance. Il est actuellement détenu à la prison de Canaleta à Cuba. Figure
phare du journalisme indépendant cubain, il a été condamné en avril dernier à 20 ans
d’emprisonnement. De nombreux chefs d’accusation lui sont reprochés par le régime : « atteinte à
l’indépendance et à l’intégrité de l’État », publication d’articles qualifiés de « tendancieux » dans la
presse internationale, rencontres avec des diplomates américains, collaboration avec Reporters sans
Frontières, « une organisation terroriste française manipulée par le gouvernement des États-Unis »…
Directeur de l’agence de presse indépendante Cubapress, il dirige aussi la revue De Cuba. Ce fut la
première revue privée publiée sur le sol cubain depuis l’instauration du régime castriste, il y a plus de
40 ans. Malgré son contenu « très politiquement correct », sans polémique, propagande
anticommuniste, ni insulte, cette revue reste pourtant hors-la-loi. En effet l’article 53 de la
constitution cubaine stipule que la presse ne peut en aucun cas être privée. C’est donc l’État
communiste qui dispose du monopole sans faille de l’information et des médias au sein duquel Raùl
Rivero n’a pas le droit de parole.
Malheureusement, il n’est pas le seul à être victime de la répression cubaine. C’est lors de la grande
rafle de mars 2003 que 75 dissidents ont été arrêtés, dont 26 journalistes indépendants comme Raùl
Rivero. Début avril tous ont été condamnés à des peines allant de 14 à 28 ans de prison, le plus
souvent en vertu de lois sur la protection de « l’indépendance et de l’intégrité » de Cuba. La justice
est expéditive, les dossiers sont montés depuis des mois et les accusations reposent uniquement sur
des délits d’opinion. Les témoins sont des proches, des voisins ou des agents infiltrés. Le droit à la
défense n’est même pas respecté. Bref, le bilan est inquiétant, les peines sont draconiennes.
Mais en réalité, c’est bien avant leurs arrestations respectives que tous ces journalistes ont été
contraints de se taire. La répression commence avant tout par l’étroite surveillance des intéressés à
leur domicile et cela par des organisations officielles de quartier composées de membres des comités
de défense de la révolution (CDR) partisans de Fidel Castro. Victimes d’un harcèlement quotidien
permanent visant à maintenir sur eux une forte pression psychologique, le régime les isole du reste
de la société. Interpellations de quelques heures à quelques jours, saisies de matériel, assignations à
résidence, pressions sur les familles et relations, tentatives de discrédit, insultes, diffamations
publiques, les moyens employés sont vastes. Aux divers harcèlements cités peut être ajoutée la
politique du visa. Celle-ci autoriserait les journalistes à quitter le pays mais sans pouvoir y revenir.
Raùl Rivero lui-même a été victime de cette subtile invitation au départ chaque fois qu’il a été invité
à recevoir un prix à l’étranger. Au total, 56 journalistes indépendants ont pris le chemin de l’exil
depuis 1995 et une dizaine d’autres sont candidats au départ. À Cuba, les journalistes n’ont le choix
qu’entre la prison, le silence ou l’exil.
Leurs conditions de détention sont également alarmantes. Le 4 août dernier, Blanca Reyes, la femme
de Raùl Rivero, confiait à Reporters sans Frontières ses vives préoccupations concernant l’état de
santé de son mari. « Il a perdu 19 kilos depuis son arrestation » déclarait-elle. « Pour quelle raison ?
Parce qu’il a faim. Aujourd’hui je veux le faire savoir : Raùl Rivero a faim ! » Malheureusement,
l’insalubrité et la chaleur étouffante des prisons cubaines, sans compter les cafards, les rats, les
moustiques avec lesquels les prisonniers doivent vivre, engendrent des maladies physiques et
mentales parfois inquiétantes comme des cirrhoses, de l’hypertension artérielle, des crises
d’hallucinations, d’angoisse, d’asthme… pour lesquelles les journalistes ne sont pas soignés.
Malgré tout, de leur propre avis, les journalistes pensent bénéficier actuellement d’une période de
répression moins intense. En effet, le régime semble encore aujourd’hui hésiter à appliquer certaines
lois, comme par exemple celle de février 1999. Baptisée « loi 88 » ou encore « loi bâillon », elle
prévoyait 20 ans de prison, la confiscation des biens personnels et une lourde amende pour toute
personne qui aurait « collaboré », par n’importe quel moyen, avec des revues ou autres médias
étrangers. Elle punirait également tout individu faisant « la promotion, l’organisation,
l’encouragement ou participant à des réunions ou manifestations. » C’est probablement
l’acharnement des organisations de défense de la liberté de la presse à rendre systématiquement
publiques les atteintes aux droits de l’homme par le régime qui protège les journalistes de trop de
représailles.
De plus, la volonté du gouvernement castriste d’intensifier ses échanges commerciaux avec l’Union
Européenne ainsi que de lever l’embargo économique américain oblige le régime à modérer sa
répression dans son propre intérêt. C’est d’ailleurs à cette même période qu’apparaît le projet
« Varela » qui réclame un référendum pour la révision de la constitution cubaine dans un sens plus
démocratique notamment avec la reconnaissance de la liberté d’expression. Ce contexte
d’adoucissement et de réformes aurait pu annoncer la progression du régime vers des pratiques plus
démocratiques. Mais il n’en fut rien. Au contraire, le gouvernement castriste qui comprit son
affaiblissement devant l’ennemi organisa alors un vaste référendum qui consacra le caractère
« irrévocable » de la constitution cubaine.
Un échec ? Pas tout à fait. Dans ce contexte d’accalmie, l’activité des agences de presse
indépendantes, qui sont une vingtaine aujourd’hui à Cuba, n’a cessé de croître en quantité et en
crédibilité. D’après Reporters sans Frontières, les journalistes indépendants sont actuellement plus
d’une centaine sur l’île contre une poignée au début des années 1990. C’est maintenant aux pays
occidentaux d’adopter une position collective pour mettre un terme à leur persécution. Donnons une
chance à la population cubaine de sortir de ce régime hermétique pour enfin s’ouvrir sur le monde.
Saisissons chaque occasion pour défendre Raùl Rivero comme un exemple, simplement en refusant
de laisser une des figures emblématiques de la dissidence cubaine sombrer dans l’oubli. Parlons pour
Raùl Rivero. Parlons pour la démocratie. Et ensemble espérons qu’à l’avenir, chaque journaliste
indépendant pourra exercer son métier librement, à Cuba, et dans le monde entier.
Et peut-être qu’un jour, l’un d’entre eux s’adressera à nous tous et dira : « Mesdames et Messieurs,
membres du jury, si je m’adresse à vous aujourd’hui, si je peux m’exprimer sans crainte, c’est parce
que l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme me le permet, mais c’est aussi et
surtout parce qu’il n’y a pas si longtemps, la volonté de quelques personnes ma sauvé la vie. »