Intervention Gilles Gracineau en Creuse
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Intervention Gilles Gracineau en Creuse
Témoignage d’une équipe de relecture de vie pastorale avec le Père Christoph Théobald Quelques chiffres 6 paroisses en Creuse dont 3 doyennés et 6 équipes pastorales St Jacques 44 communes ( 3 prêtres dont 1 auxiliaire de 88 ans) St Pardoux :51 communes ( 4 prêtres, dont un auxiliaire) St Jean en Limousin : 27 communes (1 prêtre et un auxiliaire) ND de Haute Marche : 62 communes ((6 prêtres dont 4 auxiliaires de 80 ans, 86 ans, 88 ans, 90 ans,) St Marien : 30 com. ( 3 prêtres dont deux auxiliaires de 92ans et 78 ans) Sainte Croix : 48 communes (2 prêtres dont un auxiliaire en partance) Introduction L’intervention que je vais faire concerne le territoire de la Creuse avec une légère extension sur le Plateau de Millevaches. C’est sur ce territoire que s’est formée une petite équipe de réflexion autour de Christoph Théobald. Au début nous n’étions que 4 puis au fur et à mesure que nous précisions nos objectifs nous sous sommes élargis à l’ensemble des curés de Creuse. Nous sommes aujourd’hui 10 personnes : Marie Angèle, religieuse chargée du suivi des Equipes Pastorales et membre du Conseil épiscopal, les 6 curés, Maxime chargé du suivi des prêtres, Jean-Michel curé sur le Plateau, Maurice un prêtre de Creuse. Notre réflexion s’enracine dans une histoire, celle du Père Edouard Pousset venu en Creuse dans les années 80. Il nous faisait part de sa foi en la puissance de l’Evangile « l’Evangile revient vers nous ». Personnellement j’ai vécu plusieurs années avec lui lisant et relisant l’Evangile pris comme un enseignement, l’Evangile qui donne une « forme » à la vie de disciple. Ici et là avec Monique Rozaz, ils ont parcouru la Creuse pour faire naître des groupes d’Evangile, constitués de prêtres et de laïcs.. tous disciples. Leur témoignage, relayé par Marie-Angèle, dérangeait notamment au niveau de l’association des Plateau Limousins axés sur le développement socio-économique du pays et la naissance d’une assemblée chrétienne significative. Leur initiative dérangeait en ce sens qu’elle mettait en avant la nécessité de créer, sur des espaces divers, de petits réseaux d’évangile souples.. diffus. Des mises à l’écart et des méfiances diverses firent souffrir le P. Pousset. Et pourtant de nombreux groupes virent le jour créant un esprit nouveau. Comme le dira plus tard Jean-Paul II, il s’agissait de « retrouver l’élan des origines » dans une foi à la Parole vivante de Dieu capable de faire naître un nouvel humus..Toute la quête était de retrouver l’élémentaire humain que nous raconte l’Evangile pour prendre des initiatives à la fois dans la vie sociale et économique, à la fois dans l’Eglise. Au fond il s’agissait , pour ceux et celles qui acceptaient l’aventure, de faire l’expérience de « passer par la mer » , de passer par des renoncements pour vivre de manière « aisée », sans cette lassitude qui assaille bien des chrétiens et des prêtres en raison de la sédimentation des structures qui se plissent les unes sur les autres. Le défi était de permettre aux chrétiens et aux prêtres de faire une expérience de Dieu afin de vivre la foi de manière plus légère, dans un processus de liberté et de libération du poids des structures. Retrouver la fraîcheur et la force de l’Evangile. Au fond c’était rejoindre l’aspiration profonde des Creusois épris de liberté, méfiants de l’institution. Lettres, cahiers de réflexion, enregistrement audio, rencontres personnelles tout était mis en œuvre pour attendre cet objectif. Une intelligence du monde et de la foi était recherchée non pour une plaisir intellectuel mais pour permettre de connaître la nouveauté de l’évangile dans une ambiance d’avènement de la conscience là où se tient le langage de l’Esprit. C’est dans ce contexte, marqué par l’expérience de l’Association des Plateaux Limousins et par l’impulsion de l’Association Roche Colombe fondée par Edouard Pousset que ce tint le premier synode en 1985. Notre équipe Elle se réunit 6 ou 7 fois dans l’année. Notre rencontre consiste à raconter un évènement ou une situation qui nous paraît significative soit au niveau des hommes et femmes qui vivent sur le territoire, soit au niveau de l’Eglise. Un tour de table se fait. Un débat s’installe sur tel ou tel apport avec une relecture que nous pratiquons ensemble, Christoph s’attachant à souligner ceci ou cela Ensuite il nous fait un apport à partir des débats précédents. Alors s’instaure un second travail pour acquérir une meilleure intelligence de ce que nous vivons. Nous avons lu un livre « le christianisme, la fin d’un monde ».. réfléchi à « rite et Evangile »,à « certains aspects du Concile » Ce temps est celui de la fraternité où se développe une attention mutuelle avec une conscience de pays, une conscience d’histoire d’Evangélisation. Temps du repas et quelquefois prolongation jusqu’à 16 h Quelles impulsions ? 1 -Cette réflexion nous conduit à prendre de la distance pour vivre de la gratuité. C’est un premier bénéfice de nous arracher à la vie quotidienne pour vivre la fraternité, fait d’une grande biodiversité ( Mission de France, Jésuite, Prado, Jesu Caritas, vie consacrée ) et de l’écoute d’évènements qui nous surprennent nous étonnent. 2 - Cette réflexion nous a conduits à relire l’histoire de l’Evangélisation en Creuse et à nous l’approprier. C’est ainsi que nous avons réalisé une session de 3 jours avec différents acteurs sur ces 50 dernières années. Cette session a montré l’importance de la PROXIMITE vécue par les prêtres au travail en rural, dont J. Etchegaray et bien d’autres, par les Missions en roulotte ( avec le Oblats, la MDF, les Missionnaires de la Plaine, ces missionnaires se déplaçant dans les villages à l’écoute des gens et leur ouvrant quelques perspectives de développement et d’Evangile) Cette réflexion a montré l’importance qu’avait eue la lettre de Hervé de Bellefon sur une espérance nouvelle fondée sur la foi, « Pourquoi ris-tu Sarah ». Une telle lettre avait permis à plusieurs congrégations de venir en Creuse. Elle avait donné un vrai dynamisme. Prêtre au travail.. mission en roulottes..synode..expérience d’Edouard montraient un déplacement d’une crispation sur l’Eglise à une liberté évangélique ; par là-même ce déplacement rejoignait, dans la conscience creusoise, l’espace vulnérable à la foi. Méfiante des curés et de l’Eglise.. elle demeure ouverte au message évangélique. Pour les Creusois message profondément humain! Message, pensent-ils souvent dénaturé par les curés, maîtres d’œuvre de l’Eglise ! Cette réflexion a montré que nous arrivions à une époque où nous sommes conduits à faire vivre des espaces évangéliques qui touchent la conscience creusoise là où pourrait s’opérer un engendrement à la nouveauté chrétienne. Nécessité de petites communautés fraternelles, conviviales, profondément humaine. 3 – Notre réflexion a impulsé une rencontre de personnes en relations significatives. Nous étions 40 pour vivre une journée avec repas au milieu. 40 personnes chez qui les membres de notre équipe avaient discerné un certain esprit d’Evangile et une reconnaissance locale par l’entourage. Des personnes, aurait dit Edouard Pousset, qui « font image ». Elles portent du sens, elles ont une certaine autorité qui vient d l’intérieur. Je pense à Jeanine qui a fait l’expérience du suicide de son unique fils, expérience relue dans la foi au beau milieu d’une rencontre de son relais. La voici investie d’une autorité douce et forte . « Par où tu es passée » , disent les gens, « avec ce que tu as vécu » ! Ce sont ces personnes-là que nous avons appelées. Ce sont des personnes qui ont « foi en la vie » et qui savent la déceler et l’accompagner chez d’autres. Nous souhaitons poursuivre dans cette quête de ce que l’Esprit Saint fait apparaître dans les consciences. Cela oblige à un regard théologal avant qu’il ne soit ecclésial au sens d’être soucieux de faire l’Eglise avec des personnes généreuses qui veulent rendre service. La visée est autre : rejoindre le champ que l’Esprit travaille pour y prendre part et servir des reconnaissances mutuelles et par là des fraternités, « confessantes » du Seigneur. Nous pensons très fort que, par là, les acteurs de la mission vont trouver un nouveau souffle, moins soucieux de l’institution que de l’écoute de l’Esprit Saint faisant naître en des endroits étranges des hommes et femmes d’Evangile, des hommes et femmes de Dieu, et parmi eux des pauvres. Ces acteurs prennent conscience qu’ils sont collaborateurs de l’Esprit. Il va de soi que ce sont ceux et celles qui sont en Equipe Pastorale et en équipe de relais, mais pas seulement eux. C’est de tout guetteur de l’Esprit qu’il s’agit. Des renoncements vitaux sont nécessaires. Un premier renoncement se manifeste pour les prêtres ; il est de renoncer à la course aux messes et de choisir des lieux significatifs pour les célébrations eucharistiques et par là de s’offrir des temps de présence et d’écoute. Une seule messe le dimanche dans un lieu significatif est libérant ! Nous quittons certes des pratiques - et on peut nous accuser de vouloir tout abandonner - mais c’est pour un objectif. Il ne s’agit pas de quadriller mais de collaborer à l’œuvre de l’Esprit dans la vie des hommes et des espaces ruraux. Il est l’acteur principal, le protagoniste de l’Evangélisation. Par là nous répondons à la question des Actes des apôtres « que devons-nous nous faire ? » Un autre renoncement vise à ne rien faire seul. Pour cela nous essayons d’entrer dans une mentalité d’éveilleur, de donner aux « aînés dans la foi » la possibilité d’entrer eux-mêmes dans une mentalité de « passeurs ». Cette mentalité nécessite de la gravité. En effet il s’agit de permettre à ces chrétiens de transmettre ce qu’ils ont reçu, par grâce, par expérience, au fond de transmettre ce qui est né en eux et qui les a fait vivre d’Evangile. Un ministère de la confiance est à vivre en l’autorité intérieure née en quelqu’un qui se laisse consacrer par l’Esprit. Heureux moment lorsqu’on découvre une personne qui a fait l’expérience de Dieu et qu’on peut appeler à être catéchète ou à mettre en route une catéchiste. Un autre renoncement est celui de vivre le dépassement de la dualité prêtre-laïcs. Nous évoluons mieux dans cette perspective du quiconque, des disciples, de quelques-uns. Malgré les contradictions, une aisance dans le ministère se dessine. Un ministère d’itinérance apparaît (avec un soutien ici et là dans les relais.. célébrer une eucharistie en semaine dans un petit village, encourager l’ouverture des églises lors d’un mois de Marie, un chemin de croix, une célébration de Rameaux) .Un ministère de reconnaissance apparaît et par là de mise au jour de l’œuvre de l’Esprit, des charismes, des vocations. Il s’agit de toujours chercher, avec un regard entraîné avec d’autres, où se fait l’œuvre de Dieu ! Un autre renoncement est celui de renoncer à manager la vie paroissiale, fusse avec beaucoup d’intelligence. En ce sens nous avons fait l’expérience d’une mission d’un mois en Creuse avec des Pères Jésuites, franciscain et dominicains. Pendant un mois, sans idée a priori, ils ont parcouru en autostop le pays de Combraille. Expérience d’écoute, de proximité, de gratuité de la rencontre. Expérience aussi de veillée-débat le soir. Au fond il s’agissait de retrouver les chemins des hommes pour faire crédit à la rencontre du « quiconque » sans préjuger de ce qu’il en serait. Nous avons vu des fruits notamment auprès des personnes prises dans quelques esclavages, auprès des jeunes. Une vingtaine de personnes accompagnées sur plusieurs rencontres. Un jeune qui demande le baptême. Des gens d’Eglise se sont approchés et les gens étaient contents se rappelant les « Missions en roulottes » ! Cette expérience nous enseigne à accueillir ce qui vient vers nous, ce qui nous est donné. Il s’agit, loin d’une logique volontariste, de « laisser faire Dieu ». Des projets oui mais des projets qui viennent se greffer sur ce que l’Esprit est en train de faire, sous peine de peiner en vain ! A quoi bon gratter un terrain qui, pour l’heure, n’accueille pas la pluie ? 3 – La formation à la relecture Lors de nos rencontres, nous pratiquons la relecture. Et c’est cette pratique que nous voudrions faire vivre à des chrétiens. Dans ma paroisse nous avons organisé pour le temps du carême trois rencontres animées par deux membres de notre équipe se déplaçant sur trois soirées. Une trentaine de personnes y ont participé. Première rencontre : lecture d’un récit et échange. Seconde rencontre : proposition de récits par les participants et débats. Troisième rencontre : la relecture c’est quoi ? Ces rencontres ont permis de mieux percevoir la densité humaine de ce qui risque de passer en profit et perte, sans qu’on se rende compte de la beauté de ce qui est vécu. Nous pensons étendre cette expérience à d’autres paroisses. 4 - Les groupes bibliques Ces groupes existent et se développent selon une lecture simple où se vit bien sûr une écoute du texte, un accueil du langage de Dieu à l’adresse de chaque personne du groupe, la prière, mais aussi l’échange sur des évènements de la vie. 5 – La formation dans une démarche inductive. Dans le diocèse comme dans bien des diocèses on est tenté de mettre surtout en place des dispositifs d’animation et de formation. Dans notre groupe nous pensons développer un accent complémentaire : aller au plus près des gens pour des formations simples et situées avec des personnes connues et reconnues. L’objectif n’est pas tant l’apport de connaissances qu’à travers elles « donner la forme de l’Evangile ». Cela suppose un certain nomadisme de personnes formées et libres pour guider, initier, ouvrir à l’allure de l’Evangile, au style de vie de Jésus. C’est ce qui a été fait pour la relecture. 6 – Des initiatives sont prises, inspirée de la pratique de Jésus qui guérit et enseigne dans les maisons, en route, dans les synagogues: des pèlerinages, des chemins de croix dans la nature, des innovations pour les Rameaux. Nous réinvestissons ces espaces symboliques où les laïcs ont une place toujours plus grande, lieux- matrice d’une ouverture à l’Evangile. Diverses visites sont réalisées dans les maisons, organisées par un membre du relais, où à l’initiative d’un prêtre. Des messes sont célébrées dans les petites communes en semaine. Un bon moment pour la proximité. Les églises sont ouvertes. La logique à l’œuvre n’est pas celle de gérer l’Eglise pour qu’elle perdure. Elle est celle d’une logique d’écoute de ce que L’Esprit veut réaliser sur nos territoires dont il fait une terre sacrée, où la Parole est appelée à germer. Beaucoup ne comprennent pas... mais voici que des évidences s’imposent et viennent à notre secours : « il n’y a plus de curés », dit- on, et encore « bientôt les femmes pourrontelles faire face pour nous enterrer ? ». Certains disent : « s’il n’y a plus de curés, on s’en passera ! » La prestation de service commence à devenir incertaine, aléatoire par manque de « fonctionnaires » habilités. Peut-être alors que la logique d’Evangile va se faire entendre à ceux qui prêtent l’oreille. En effet, dans ce contexte des oreilles neuves commencent à pointer. Et un ministère nouveau apparaît : celui de l’écoute, de la guidance, de la formation. Des catéchumènes se mettent en route, des questions sont posées sur le sens de la vie. Les Creusois ont fait un bout de réconciliation avec l’Eglise, avec des curés, peut-être vont-il se réconcilier avec l’Evangile et la parole de Dieu, espérance pour eux et pour le monde des pauvres. Conclusion Des choix sont à faire. Nous les faisons simplement sur la base de la foi : foi en l’homme, foi dans la communauté des disciples, foi en Christ le Ressuscité. Mais pour faire ces choix l’équipe est nécessaire. Celle dont j’ai parlé est capitale. A l’avenir nous serons obligés d’aller vers moins de paroisses. 5 peut-être 4 en Creuse. A l’avenir je vois des équipes d’Evangélisation constituées de prêtres, de personnes consacrées, de laïcs qu’on peut appeler « équipe pastorale » avec des personnes mobiles et d’autres plus fixes. Un secrétariat dans chaque paroisse. Les personnes mobiles iront passer du temps auprès des communautés. Au fond deux types de ministères se profilent : - - celui d’itinérants avec l’axe de la formation et de propositions exceptionnelles, saisonnières. Leur liberté de circulation leur permettrait d’aller irriguer en dehors de quelques grands pôles. Celui du pasteur local qui ne quadrille pas le territoire mais anime quelques pôles (présence et proximité). Ce pastorat peut être occupé par des responsables de communautés locales. Une équipe de formation. J’espère qu’au centre de la Creuse nous trouverons une maison et des personnes consacrées pour animer un petit centre spirituel avec formation à la prière et à la relecture sur place mais aussi lieu-base de formation au plus près des Relais. Chaque année je verrais bien une rencontre de personnes en relation significative. Tous les deux ans une assemblée de Chrétiens de Creuse. Tous les trois ans une Assemblée Diocésaine des Equipes Pastorales. Le dégraissage des structures est nécessaire comme est nécessaire de faire confiance à la sève de la Parole du Ressuscité se faisant voir à Marie Madeleine: « va vers mes frères et dis-leur ». Cet envoi est toujours pour nous, dans l’histoire de nos vies dont chacun porte le secret, expérience d’une rencontre et parole à raconter. Cet envoi et cette confiance nous suffisent et c’est notre joie ! Père Gilles Gracineau