allocution de monsieur bernard murat, president
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allocution de monsieur bernard murat, president
ALLOCUTION DE MONSIEUR BERNARD MURAT, PRESIDENT DU SNDTP, THEATRE DE PARIS, JEUDI 9 JANVIER 2014. Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs, Chers amis, Merci d’abord de répondre toujours plus nombreux à l’invitation du Syndicat National des Directeurs et Tourneurs du Théâtre Privé : Votre présence assidue témoigne de l’intérêt que vous portez aux théâtres privés et à ceux qui les font vivre, et nous y sommes très sensibles. Cette première rencontre de l’année est bien sûr l’occasion de vous présenter nos vœux les plus chaleureux pour 2014 mais aussi de vous faire découvrir la programmation de nos adhérents, théâtres et tourneurs, pour la 2è partie de la saison 2013/2014. Très bonne année à tous, donc, en espérant qu’elle vous apporte de multiples satisfactions personnelles et professionnelles, quelles que soient les difficultés de la période et ses incertitudes. Pour cette nouvelle présentation de nos programmations, je suis heureux d’accueillir de nouveaux adhérents dont les spectacles viennent enrichir le magnifique kaléidoscope qui s’offre à vos yeux : Le Théâtre de Belleville, dirigé par Laurent Sroussi et les sociétés de production et de tournées « Ki m’aime me suive » et « Arts Live », respectivement dirigées par Pascal Guillaume et Richard Caillat. Il y a un an, presque jour pour jour, je n’avais pas caché le bilan très sombre que nous pouvions déjà dresser de l’année 2012, et de fait, celle-ci s’était traduite au final par une baisse de nos recettes de plus de 14 %, et de nos fréquentations de plus de 10 %. Il est encore trop tôt pour livrer les chiffres de 2013, mais selon le baromètre tiré de la compilation des recettes hebdomadaires déclarées à la SACD, il semble que la chute de 2012 ait été stoppée et que nous amorcions même une légère remontée. Mais de la même façon que je refusais, l’an passé, de sombrer dans le pessimisme le plus noir, je me garderai bien cette année de céder à la moindre euphorie et d’annoncer triomphalement je ne sais quelle inversion de courbe, pour reprendre une formule très en vogue. Je dirai simplement que nous n’avons aucune raison de désespérer, que nous devons continuer à nous battre sur tous les fronts, et que le théâtre privé, régulièrement condamné par certains à une fin imminente montre en réalité une belle capacité à s’adapter et à traverser les difficultés. Vous l’aurez constaté, cette 2è partie de saison est marquée par un net renouvellement de la programmation, confirmant ainsi des tendances soulignée lors de nos dernières rencontres. De fait, les spectacles en capacité de tenir toute la saison deviennent véritablement l’exception, la plupart de nos théâtres devant désormais anticiper un changement d’affiche, à échéance de janvier ou février. Deux lectures peuvent être faîtes de ce phénomène désormais bien ancré : Une lecture pessimiste, insistant sur la réduction des durées d’exploitation comme signe tangible de la raréfaction du public et de la fragilisation de nos établissements. Une lecture plus optimiste, soulignant au contraire la réactivité du théâtre privé et sa capacité à s’adapter aux contraintes de l’époque en développant l’offre de spectacles sans renoncer, loin s’en faut, à sa mission de découverte de nouveaux talents. Il me semble, comme souvent, que la vérité doit se situer entre les deux, et qu’il ne sert à rien de regretter un pseudo âge d’or du théâtre privé au cours duquel il suffisait d’ouvrir la billetterie pour remplir nos salles comme par magie, vision sans doute simpliste et déformée de la réalité historique. Il me semble surtout que dans une époque marquée par la multiplication des offres de sorties, et alors que le public est constamment soumis aux sollicitations véhiculées 24h sur 24 par Internet, c’est une prouesse que de parvenir à attirer bon an mal an plus de 3 millions de spectateurs à Paris, et pas loin du double si l’on y agrège le public des tournées. A nous en tous cas de rappeler que le théâtre n’est pas une sortie comme les autres et que nous sommes fiers d’incarner l’une des principales alternatives à la culture du tout numérique. Notre syndicat demeure vigilant sur les évolutions en cours, et la nécessité d’y adapter notre modèle de production ; ces sujets figurent d’ailleurs au cœur d’un groupe de travail récemment constitué par l’ASTP, chargé de formuler des propositions visant à adapter les mécanismes du Fonds de soutien à ces évolutions. Sans doute nécessaires, ces évolutions ne doivent pas se traduire par une remise en cause de ce qui fait notre spécificité. En particulier, nous devons conserver à l’esprit la nécessaire capacité d’amortissement de nos spectacles, en rappelant que la réussite de chacun est toujours une bonne nouvelle pour le collectif solidaire que nous formons, par le biais des retombées de taxe que ce succès génère. Autrement dit, tant que l’exploitation en longue, voire très longue durée demeure possible, il n’y a aucune raison de vouloir y renoncer, bien au contraire. Bien d’autres sujets retiennent l’attention du Syndicat à l’aube de cette nouvelle année. C’est d’abord la poursuite de la préparation du Projet de Loi d’orientation relatif à la création artistique, à l’initiative du ministère de la Culture et de la Communication. Si nous pouvons comprendre les retards multiples qui affectent ce projet de Loi, nous ne ferons pas preuve de la même mansuétude à l’égard de certains aspects de son actuel contenu. C’est ainsi que notre syndicat regrette vivement que certaines propositions très concrètes qu’il avait adressées n’ont pas été, à ce stade, retenues, je pense notamment aux mesures de lutte contre les pratiques illégales dans le spectacle vivant, à des dispositions susceptibles de prévenir les phénomènes de concentration dans la production et la distribution, et enfin, à des propositions visant à faciliter l’accueil des productions issues du secteur privé dans les établissements subventionnés de diffusion. Pour des raisons apparemment formelles et juridiques, et non sur le fond, il semble que la traduction de nos propositions ne soit pas compatible avec le format d’une Loi d’orientation. Comprenne qui pourra, nous sommes en tous cas très perplexes, pour ne pas dire plus, quant à la concertation souhaitée par le ministère de la Culture sur ce projet, alors même que nos propositions rejoignent de près des préoccupations maintes fois exprimées par ce ministère. A vouloir ménager des contraintes juridiques, semble-t-il insurmontables, on prend le risque de voir s’émousser toute volonté politique et de faire de ce projet de loi une compilation de déclarations d’intentions, aussi séduisantes qu’inutiles. A vrai dire, et comme je l’avais indiqué lors de notre dernière rencontre, le SNDTP n’attendra pas l’issue de ce projet pour agir et pour défendre la cause de ses adhérents et celle du théâtre privé sur certains sujets qui nous sont chers. C’est ainsi que conformément à ce que nous avions annoncé, nous avons engagé des démarches auprès des responsables de métropoles régionales pour les alerter sur le fait que les productions du théâtre privé étaient la plupart du temps totalement absentes des programmations d’établissements implantés localement et subventionnés sur fonds publics précisément pour leur activité de diffusion. Notre propos n’est pas, on l’aura compris, d’imposer quoi que ce soit, mais davantage de sensibiliser et de permettre l’ouverture d’un dialogue avec des responsables culturels locaux pour aborder sereinement ces questions. C’est une tâche de longue haleine, tant les préjugés demeurent et tant le théâtre privé est regardé parfois avec méfiance, pour ne pas dire plus ; raison supplémentaire, nous semble-t-il, pour agir sans retard, sous le regard forcément bienveillant du ministère de la Culture dont on connaît les discours récurrents sur la nécessité de développer les passerelles entre théâtre public et théâtre privé ! Notre syndicat est également très attentif quant au devenir du Théâtre Marigny, contraint de fermer ses portes pour des travaux longs et coûteux. Nous avons alerté le Maire de Paris, Bertrand Delanoë, et ne manquerons pas de sensibiliser également les candidats à sa succession. Ce Théâtre, propriété de la Ville de Paris, constitue avec ses deux salles l’un des plus beaux et des plus emblématiques théâtres privés de la capitale, et notre vigilance quant à son avenir et au respect, à long terme, de sa vocation théâtrale est totale. Par ailleurs, le SNDTP ne peut ignorer les échéances imminentes de renégociation des annexes 8 et 10 du régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle, sujet particulièrement sensible et dont le traitement sera déterminant pour les entreprises que nous représentons. Nous sommes bien évidemment partisan d’un maintien de ce régime, tant pour les artistes que pour les techniciens, tout en ayant clairement conscience que sa pérennité suppose pour les partenaires sociaux de revoir les termes d’une équation particulièrement délicate. Le SNDTP se sent d’autant plus légitime à défendre les grands principes du régime actuel que nos adhérents peuvent revendiquer de ne pas être des utilisateurs abusifs du système, avec des durées d’emploi d’intermittents les plus longues dans toute la sphère du spectacle vivant, et un niveau record d’emplois permanents, rapportés aux emplois d’intermittents. L’actualité de notre syndicat est également accaparée par le combat incessant que nous devons mener pour défendre notre Fonds de soutien et la taxe fiscale qu’il perçoit, véritable pilier du système mutualiste et solidaire qui caractérise l’organisation du théâtre privé. Avec l’appui constant du SNDTP, le Fonds de soutien a contesté l’application qui était faite de la réglementation en vigueur, considérant que rien ne justifiait que des spectacles intégrant une continuité de composition dramatique voient leur taxe littéralement happée par le CNV (Centre National des Variétés), lequel accorde des conditions de retour de taxe très favorables aux producteurs. C’est dans ce contexte que l’ASTP a saisi la justice administrative, pour contester la décision du ministère de la Culture d’attribuer la taxe due pour le spectacle musical « Kirikou et Karaba » au CNV, après avis d’une commission d’arbitrage présidée par ce même ministère. Après avoir été déboutée en 1ère instance, essentiellement pour des motifs de procédure, l’ASTP a obtenu satisfaction par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris : cet arrêt énonce que la taxe devait revenir à l’ASTP, tout en précisant à bon escient que l’existence ou non d’une continuité de composition dramatique détermine l’affectation de la taxe au théâtre privé ou aux variétés. Depuis lors, et à notre grande stupéfaction, le CNV diffuse l’information selon laquelle cet arrêt ne change rien, qu’il ne constitue pas une décision de principe et que la perspective d’un recours en cassation que déposerait le ministère de la Culture le prive de toute portée. Autrement dit, circulez, il n’y a rien à voir… Nous ne pouvons en rester là, et renoncer au simple respect d’une décision de justice dont le principal mérite est justement de clarifier les modalités d’application du décret en vigueur ; à cet égard, notre syndicat n’hésitera pas à interpeller directement la ministre de la Culture si cette confusion sciemment entretenue devait perdurer. Derrière ce débat, nous nous interrogeons sur l’attitude du ministère de la Culture à l’égard du théâtre privé, avec ce sentiment désagréable que notre secteur ne compte qu’à proportion des subventions qui lui sont indirectement alloués via le Fonds de soutien, et non pour ce qu’il représente en termes de créations, de diffusion, de nombre de spectateurs, d’emplois. D’un côté, si l’on s’en tient à la seule dotation du ministère de la Culture au Fonds de soutien, une subvention annuelle de 3,5 M€, soit de l’ordre de 0,5 % du total des crédits alloués par l’Etat au spectacle vivant ; de l’autre, le secteur du théâtre privé qui représente de l’ordre de 50 % de l’activité théâtrale en France, que l’on parle des fréquentations ou du nombre de représentations. Autrement dit, alors qu’il représente près de la moitié de l’activité théâtrale dans notre pays, le Théâtre privé perçoit, via son Fonds de soutien, l’équivalent de ce que reçoit annuellement, et en moyenne, un seul des 39 Centres Dramatiques Nationaux recensés sur le territoire. C’est vous dire à quel point les ressources de la taxe sont vitales pour le théâtre privé, et combien nous vivons mal ce conflit latent avec le CNV, alors même que le secteur « variétés et musiques actuelles » bénéfice aujourd’hui de subventions publiques sans commune mesure avec ce qui est chichement attribué à notre Fonds de soutien. (A titre indicatif, le 1er « panorama des industries culturelles et créatives » publié en 2013 par le cabinet Ernst and Young chiffre à 277 millions d’euros en 2012 le total des subventions publiques alloué au « Spectacle vivant de musiques actuelles). Que nous devions nous contenter d’un soutien très mesuré de la puissance publique, soit, cela est après tout conforme à notre vocation, à notre statut de « privés », je dirais même à notre tempérament ; mais que dans le même temps, nous devions nous battre pieds à pieds pour simplement défendre nos droits légitimes en matière de taxe, avec le sentiment d’un traitement très inéquitable entre l’ASTP et le CNV, c’est une situation que nous ne pouvons accepter, au risque d’un affaiblissement mortel de nos positions et d’une disparition progressive du théâtre indépendant que nous représentons. Dans ce paysage multiforme, nous persistons à penser que le théâtre privé et l’organisation solidaire sur laquelle il repose trace une voie originale entre un secteur subventionné, contraint de rogner sur ses fameuses « marges artistiques » au regard des fortes contraintes budgétaires qu’il subit, et un secteur ultra libéral, totalement dépendant du marché, dont les excès se mesurent dans les deux sens, aussi bien dans la pratique de prix bradés pour ceux qui ne font que démarrer, ou au contraire, dans les tarifs exorbitants pratiqués aux entrées de certains concerts. Face aux excès de l’un, comme de l’autre, nous aimerions que notre tutelle ministérielle prenne davantage en considération le modèle que nous incarnons et la nécessité non seulement de le défendre, mais de le conforter. Voici, Mesdames, Messieurs, chers amis les quelques réflexions que je tenais à vous faire partager, en espérant qu’elles ne vous privent pas de l’envie et du bonheur de venir dans nos théâtres ; nous serons toujours heureux de vous y accueillir. Bernard MURAT.