La politique anti-concurrentielle d`UCB Pharma.

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La politique anti-concurrentielle d`UCB Pharma.
La politique anti-concurrentielle d’UCB Pharma.
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Le 8 septembre 2004, le laboratoire pharmaceutique belge UCB Pharma annonçait l'arrêt de la
commercialisation en France du Zyrtec® en comprimés, l’antiallergique phare du groupe,
consommé par plusieurs milliers de patients et remboursés par la Sécurité Sociale.
Lancé sur le marché européen en 1988, le Zyrtec® conférait au groupe un chiffre d’affaires
mondial en 2004 de 1,55 milliard d’euros et une part de marché de plus d’un tiers1 : il était alors
le seul blockbuster2 du groupe.
Comment expliquer alors que le laboratoire pharmaceutique ait demandé le
déremboursement de son médicament vedette puis le retrait des ventes le 8 septembre
2004, avant l’expiration de son brevet d’exploitation (qui devait arriver à échéance le 4
décembre 2004) ?
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Données disponibles sur le site corporate.
Médicament dont le chiffre d’affaires est supérieur à un milliard d’euros.
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UCB Pharma est un laboratoire pharmaceutique belge spécialisé dans les domaines de
l’épilepsie et du traitement anti-allergique. Son produit vedette, le Zyrtec®, est un médicament
de la famille des anti-histaminiques : il soigne les rhinites allergiques saisonnières, l’urticaire et
les conjonctivites allergiques3. La molécule qui le compose est la cétirizine.
Au cours de la seule année 2003, plus de neuf millions de boîtes avaient été écoulées dans
l'Hexagone, une manne de 56 millions d'euros pour le laboratoire et le meilleur score du marché
des anti-histaminiques. Mais une manne menacée : dans deux mois, le brevet du Zyrtec®
tombe dans le domaine public. Les fabricants de médicaments génériques s'engouffreront alors
sur son précieux marché à des prix très compétitifs : une concurrence imparable à laquelle doit
réagir le laboratoire belge.
Les laboratoires pharmaceutiques évoluent, en effet, dans un environnement réglementaire
contraignant. A l’image globalement ternie de l’industrie pharmaceutique, s’ajoutent les
politiques de diminution des dépenses de santé ainsi que le développement des médicaments
génériques. Ces nouveaux concurrents, aux copies peu onéreuses, grappillent peu à peu les
parts de marché des laboratoires bien implantés et font ainsi vaciller leur position sur le marché.
Face à l’agressivité nouvelle des génériqueurs, les laboratoires pharmaceutiques, déroutés,
misent alors de plus en plus sur leur « blockbuster », ces molécules vendues à des millions de
patients par une armada de visiteurs médicaux.
Analyse des stratégies d’influence.
Afin de conserver sa position majeure sur le marché des anti-allergiques, assurer ses parts de
marché et contrer les génériqueurs, UCB Pharma a alors développé un arsenal de stratégies.
Dès le début de la vie d’un médicament, la protection par les brevets est l’outil majeur pour
contrer l’arrivée des génériques. Le brevet du Zyrtec® arrivant à échéance, le laboratoire lança
au début de l’an 2003, le Xyzall®, le successeur du Zyrtec®, ayant pour molécule la
lévocétirizine.
Comme l’indique le dictionnaire Vidal, ce médicament de la famille des anti-histaminiques est
utilisé dans le traitement des manifestations allergiques diverses : rhinite ou conjonctivite
allergiques, urticaire, c’est-à-dire pour les mêmes maux que le Zyrtec®.
Par ailleurs, les rapports de la Commission de la Transparence, instance scientifique qui évalue
les médicaments ayant obtenu leur autorisation de mise sur le marché, soulignent une
amélioration du service médical rendu de niveau V : c’est-à-dire que le médicament n’apporte
aucune amélioration.
Ceci est pour le moins paradoxal mais est une technique très pratiquée dans l’industrie
pharmaceutique : celle du « Me Too ». Les vraies innovations représentent en effet moins de
une mise sur le marché sur trois. La plupart des trois cents à cinq cents « nouveautés »
enregistrées chaque année par les laboratoires pharmaceutiques sont en réalité déjà
commercialisées, mais sous une autre forme4.
Les laboratoires pharmaceutiques développent de nouveaux produits, très proches du produit
initial et susceptibles de le remplacer : des isomères de la molécule originale. Ces isomères leur
offrent alors l’arme absolue : un nouveau brevet et, avec lui, la garantie d’un monopole pendant
au moins dix ans.
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Source : dictionnaire Vidal.
Source : Le lobby des labos, l’Express du 23 Février 2004.
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Grâce à cette méthode, le laboratoire pharmaceutique UCB Pharma a donc créé le « frère
jumeau » du Zyrtec®, le Xyzall® protégé pendant dix ans par un brevet et ne pouvant donc pas
être concurrencé par un générique.
Afin d’assurer la réussite de cette « stratégie de pérennisation par les brevets » et ainsi garder le
monopole sur son marché, UCB Pharma va alors s’attacher à identifier des cibles sur lesquelles
il appliquera des méthodes de communication et d’autres moyens, dont l’objet sera de modifier
leurs perceptions, leurs croyances, leurs attitudes et/ou comportements, sans faire l’usage de la
force ou de l’autorité, en jouant sur leurs motivations et les ressorts de leur processus
décisionnel.
Pour atteindre son objectif, le laboratoire pharmaceutique va ainsi jouer, dans un premier
temps, sur les vulnérabilités de ses médecins et les failles du système de santé français.
En France, les habitudes de prescription des médecins ne privilégient pas la dénomination
commune internationale mais le nom d’une marque de médicament. Ainsi, au lieu de prescrire,
comme dans nos pays voisins, le nom d’une molécule (par exemple, la cétirizine), les médecins
de l’Hexagone prescrivent une marque de médicament (le Xyzall®). Ce sont ensuite les
pharmaciens qui substituent un générique au princeps.
Il est donc nécessaire de convaincre les médecins de prescrire la marque du médicament du
laboratoire UCB Pharma, le Xyzall® afin que celui-ci ne soit pas substitué par un générique, car,
rappelons-le le Zyrtec® ne sera plus « couvert » par son brevet dans deux mois et sera donc
concurrencé par les génériques. L’appartenance à la marque est donc le facteur sur lequel les
visiteurs médicaux joueront.
L’objet de l’action d’influence sera alors de modifier les attitudes puis les comportements des
médecins de l’Hexagone qui devront ordonner leurs convictions afin de prendre la décision de
prescrire le Xyzall® à leurs patients.
Pour ce faire, le laboratoire pharmaceutique a mis en place une intense communication
d’influence, en trois étapes, adossée à une véritable armada de visiteurs médicaux.
Dès le début de l’année 2004, le laboratoire lança un vaste mailing d’information sur le Xyzall®
auprès des médecins de l’Hexagone. Ce mailing visait à faire acquérir à la cible, les médecins
français, de l’information sur le « nouveau » médicament, le Xyzall®, qui sera parla suite la
source de leur réflexion. En jouant sur les perceptions des médecins, le laboratoire
pharmaceutique UCB Pharma gravissait petit à petit les échelons vers l’objectif à atteindre : faire
prescrire le Xyzall® par les médecins.
Une fois ce mailing reçu par les médecins, le laboratoire pharmaceutique appuya le mailing par
une communication d’influence inédite : il fit parvenir aux prescripteurs un tract cartonné
accompagné d’un mouchoir en tissu véritable noué en guise de pense-bête. Ce tract fut tiré au
nombre de 65 000 exemplaires et visait à créer un effet amplificateur sur les médecins français.
Par cette action, le laboratoire pharmaceutique a utilisé un langage adapté à la cible et au
contexte des allergies, il a su utiliser les relais de l’influence pour surprendre le prescripteur.
Finalement, vint le tour des visiteurs médicaux, ces représentants du laboratoire
pharmaceutique auprès des professionnels de santé qui sillonnent les cabinets et officines pour
faire la promotion du Xyzall®.
Afin de convaincre les prescripteurs de l’intérêt du Xyzall® et de le prescrire à leurs patients, les
visiteurs médicaux usent de divers arguments, vulnérabilités des médecins et autres ressorts.
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Un des principaux arguments des visiteurs médicaux reposait sur le prix du Xyzall®. Avant de
commercialiser son médicament, le laboratoire pharmaceutique a négocié le prix du Xyzall®,
par convention, avec le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS) : la fixation du prix
tient compte principalement de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) par le
médicament. Celle-ci étant nulle, le comité octroya au médicament un prix inférieur à celui du
Zyrtec®.
Le prix d’un médicament est donc un argument précieux pour le laboratoire pharmaceutique afin
de faire la promotion du Xyzall® auprès des médecins français et barrer la route aux génériques
en empêchant toute forme de substitution.
Outre cet argument, les visiteurs médicaux n’hésitent pas à jouer sur certaines vulnérabilités des
prescripteurs : les carences de formation des médecins français.
En effet, le Professeur Jean-Paul Giroud, pharmacologue clinicien à l’hôpital Saint-Antoine et
membre de l’Académie de médecine confirme que « la France est le pays d’Europe où la
formation des médecins sur les médicaments est la plus faible »5.
Accueillir un visiteur médical dans son officine est alors l’opportunité pour un médecin de se
former sur ces « nouveaux » médicaments. Et ceci n’échappe pas au visiteur médical, incollable
sur le produit, qui connaît parfaitement le médecin et sait donc comment lui parler.
Afin de convaincre les prescripteurs de la supériorité et de la qualité de leur médicament et de
prescrire le Xyzall®, le visiteur médical dispose alors de fiches descriptives du produit, de
brochures et divers outils de promotion : un journaliste du journal l’Humanité reprend, dans son
article du 11 avril 2004, les dires d’un médecin auquel « un visiteur médical avait dit que cette
molécule était plus efficace, et qu’en plus le Zyrtec® n’était plus remboursé ».
Finalement, Danièle Paoli, la présidente de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de
France, affirme qu’« en dix-huit mois, les visiteurs médicaux d'UCB Pharma avaient déjà
convaincu une grande partie des médecins de changer leurs ordonnances au profit du Xyzall®
»6.
L’objectif premier du laboratoire pharmaceutique est ici atteint : grâce à la spécificité française
de prescription des médicaments (la marque de médicament au lieu du nom de la molécule) et
le nouveau brevet d’exploitation de dix ans du Xyzall®, UCB Pharma a réussi à imposer le
Xyzall® sur le marché avant que le Zyrtec® ne soit disponible sous forme générique ; il assure
ainsi ses parts de marché pour l’avenir et a réussi à contrer les fabricants de génériques.
Pour favoriser le développement du Xyzall®, sa commercialisation s’est aussi accompagnée du
retrait du marché de l’ancien produit de la gamme, le Zyrtec®, au mois de Septembre 2004.
Hubert Olivier, président de Ratiopharm7 et vice-président de l'association Gemme8 assure que
« l'abandon de cette marque deux mois avant l'échéance de son brevet n'a pas d'autre objectif
!». Cette manoeuvre, qui n’a en fait d’autre objectif que de concrétiser le transfert des ventes du
Zyrtec® au profit du Xyzall®, est démentie par le laboratoire pharmaceutique UCB Pharma qui
parle d’un « accident de calendrier »9.
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Source : Le lobby des labos, l’Express du 23 Février 2004.
Source : JOLY J. Clone contre génériques. L’Express, 11 Octobre 2004.
7
Laboratoire spécialisé dans les médicaments génériques.
8
Association de laboratoires génériques.
9
Source : JOLY J. Clone contre génériques. L’Express, 11 Octobre 2004.
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Dans un deuxième temps, le laboratoire UCB Pharma a identifié une autre cible que celle
des prescripteurs : les patients. Il s’est penché sur leurs modes de pensée, leurs valeurs
et vulnérabilités afin de changer leur comportement en faveur du Xyzall®.
En effet, avec le développement de nouvelles sources d’informations telles que les associations
de patients, la presse grand public, les émissions de télévisions et radios, dont le succès
témoigne de l’intérêt croissant des patients pour leur santé, le patient est devenu une cible à
part entière pour les laboratoires pharmaceutiques, au même titre que la cible historique du
prescripteur. Il est donc nécessaire d’orienter la communication pharmaceutique vers ce nouvel
acteur qui prend en charge sa santé.
Cependant, UCB Pharma s’est heurté à une réglementation en vigueur qui ne laisse qu’une
marge de manoeuvre étroite aux laboratoires pharmaceutiques pour communiquer directement
vers le grand public : la promotion pharmaceutique auprès des patients pour les spécialités de
prescription médicale obligatoire et/ou remboursables est, en effet, interdite.
Les spécificités du marché français ont donc incité le laboratoire pharmaceutique UCB Pharma
à imaginer des stratégies de contournement pour toucher directement les patients : rendre le
médicament accessible sans prescription et parier sur l’attachement à la marque.
Pour ce faire, UCB Pharma a élaboré des campagnes « pathologies »10 avec l’agence Carole
Bracq, orientées vers la prévention et la sensibilisation à un facteur de risque, les allergies,
auprès des pharmaciens et dans la presse grand public spécialisée.
Le laboratoire pharmaceutique a alors joué sur le besoin d’appartenance des patients à leur
médicament « fétiche » et a ainsi profité de la notoriété de son premier médicament, le Zyrtec®,
pour le commercialiser en OTC, « Over-The-Counter », c’est-à-dire sans ordonnance, non
remboursé par la Sécurité Sociale et ainsi autorisé à faire de la publicité.
Outre sa communication d’influence auprès des prescripteurs, UCB Pharma s’est alors attaché
à modifier les comportements des patients sans usage de la force ou de l’autorité, en usant de
leur attachement au premier médicament via les pharmacies et médias.
UCB Pharma a su, par cette action d’influence, mettre à son profit la nouvelle réglementation
européenne qui favorise cette stratégie en accordant un an d’exclusivité pour les produits que
les laboratoires pharmaceutiques décident de passer en OTC. La promotion directe auprès des
consommateurs a donc pour objet de créer une fidélité à la marque.
Au final, ce passage en médicament d’automédication ou « switch » s’est révélé être une astuce
pour le laboratoire pharmaceutique afin de déjouer les pièges de la réglementation et atteindre
son objectif final : conserver ses parts de marché et déjouer la concurrence.
Mesure d’efficacité & conclusion.
Grâce à cette action, l’accomplissement du comportement recherché est donc total : les
médecins prescrivent le Xyzall®, les patients le « consomment ». Ainsi, le Xyzall® a plus que
doublé ses ventes (+156%) à 104 millions d’euros ; au cours du dernier trimestre, il a dépassé
pour la première fois les ventes du Zyrtec® en Europe et a plus que compensé le recul des
ventes mondiales du Zyrtec®11.
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11
Anaice Magazine. Le rapport annuel d’activité. Année 2004.
Source : Rapport financier annuel 2004 du groupe UCB Pharma, disponible sur le site corporate.
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Ici est alors prouvé que l’action d’influence d’UCB Pharma est un succès : le laboratoire
pharmaceutique a su transformer la menace des génériqueurs en opportunité.
Cependant, une légère ombre semble noircir ce tableau. En effet, nous pourrions nous
interroger sur le cadre éthique de cette action d’influence. Est-il acceptable qu’un laboratoire
pharmaceutique fasse appel à de telles pratiques (Me-Too et switch) pour garantir ses revenus,
même si l’environnement conflictuel et de crise dans lequel il évolue le pousse à être de plus en
plus offensif ?
Quoiqu’il en soit, ce cas d’espèce est un cas exemplaire de guerre économique du faible (UCB
Pharma) au fort (les fabricants de génériques).
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