La politique anti-concurrentielle d`UCB Pharma.
Transcription
La politique anti-concurrentielle d`UCB Pharma.
La politique anti-concurrentielle d’UCB Pharma. © Copyright 2007 Twin Partners Le 8 septembre 2004, le laboratoire pharmaceutique belge UCB Pharma annonçait l'arrêt de la commercialisation en France du Zyrtec® en comprimés, l’antiallergique phare du groupe, consommé par plusieurs milliers de patients et remboursés par la Sécurité Sociale. Lancé sur le marché européen en 1988, le Zyrtec® conférait au groupe un chiffre d’affaires mondial en 2004 de 1,55 milliard d’euros et une part de marché de plus d’un tiers1 : il était alors le seul blockbuster2 du groupe. Comment expliquer alors que le laboratoire pharmaceutique ait demandé le déremboursement de son médicament vedette puis le retrait des ventes le 8 septembre 2004, avant l’expiration de son brevet d’exploitation (qui devait arriver à échéance le 4 décembre 2004) ? 1 2 Données disponibles sur le site corporate. Médicament dont le chiffre d’affaires est supérieur à un milliard d’euros. © Copyright 2007 Twin Partners – http://twinpartners.wordpress.com/ 1 UCB Pharma est un laboratoire pharmaceutique belge spécialisé dans les domaines de l’épilepsie et du traitement anti-allergique. Son produit vedette, le Zyrtec®, est un médicament de la famille des anti-histaminiques : il soigne les rhinites allergiques saisonnières, l’urticaire et les conjonctivites allergiques3. La molécule qui le compose est la cétirizine. Au cours de la seule année 2003, plus de neuf millions de boîtes avaient été écoulées dans l'Hexagone, une manne de 56 millions d'euros pour le laboratoire et le meilleur score du marché des anti-histaminiques. Mais une manne menacée : dans deux mois, le brevet du Zyrtec® tombe dans le domaine public. Les fabricants de médicaments génériques s'engouffreront alors sur son précieux marché à des prix très compétitifs : une concurrence imparable à laquelle doit réagir le laboratoire belge. Les laboratoires pharmaceutiques évoluent, en effet, dans un environnement réglementaire contraignant. A l’image globalement ternie de l’industrie pharmaceutique, s’ajoutent les politiques de diminution des dépenses de santé ainsi que le développement des médicaments génériques. Ces nouveaux concurrents, aux copies peu onéreuses, grappillent peu à peu les parts de marché des laboratoires bien implantés et font ainsi vaciller leur position sur le marché. Face à l’agressivité nouvelle des génériqueurs, les laboratoires pharmaceutiques, déroutés, misent alors de plus en plus sur leur « blockbuster », ces molécules vendues à des millions de patients par une armada de visiteurs médicaux. Analyse des stratégies d’influence. Afin de conserver sa position majeure sur le marché des anti-allergiques, assurer ses parts de marché et contrer les génériqueurs, UCB Pharma a alors développé un arsenal de stratégies. Dès le début de la vie d’un médicament, la protection par les brevets est l’outil majeur pour contrer l’arrivée des génériques. Le brevet du Zyrtec® arrivant à échéance, le laboratoire lança au début de l’an 2003, le Xyzall®, le successeur du Zyrtec®, ayant pour molécule la lévocétirizine. Comme l’indique le dictionnaire Vidal, ce médicament de la famille des anti-histaminiques est utilisé dans le traitement des manifestations allergiques diverses : rhinite ou conjonctivite allergiques, urticaire, c’est-à-dire pour les mêmes maux que le Zyrtec®. Par ailleurs, les rapports de la Commission de la Transparence, instance scientifique qui évalue les médicaments ayant obtenu leur autorisation de mise sur le marché, soulignent une amélioration du service médical rendu de niveau V : c’est-à-dire que le médicament n’apporte aucune amélioration. Ceci est pour le moins paradoxal mais est une technique très pratiquée dans l’industrie pharmaceutique : celle du « Me Too ». Les vraies innovations représentent en effet moins de une mise sur le marché sur trois. La plupart des trois cents à cinq cents « nouveautés » enregistrées chaque année par les laboratoires pharmaceutiques sont en réalité déjà commercialisées, mais sous une autre forme4. Les laboratoires pharmaceutiques développent de nouveaux produits, très proches du produit initial et susceptibles de le remplacer : des isomères de la molécule originale. Ces isomères leur offrent alors l’arme absolue : un nouveau brevet et, avec lui, la garantie d’un monopole pendant au moins dix ans. 3 4 Source : dictionnaire Vidal. Source : Le lobby des labos, l’Express du 23 Février 2004. © Copyright 2007 Twin Partners – http://twinpartners.wordpress.com/ 2 Grâce à cette méthode, le laboratoire pharmaceutique UCB Pharma a donc créé le « frère jumeau » du Zyrtec®, le Xyzall® protégé pendant dix ans par un brevet et ne pouvant donc pas être concurrencé par un générique. Afin d’assurer la réussite de cette « stratégie de pérennisation par les brevets » et ainsi garder le monopole sur son marché, UCB Pharma va alors s’attacher à identifier des cibles sur lesquelles il appliquera des méthodes de communication et d’autres moyens, dont l’objet sera de modifier leurs perceptions, leurs croyances, leurs attitudes et/ou comportements, sans faire l’usage de la force ou de l’autorité, en jouant sur leurs motivations et les ressorts de leur processus décisionnel. Pour atteindre son objectif, le laboratoire pharmaceutique va ainsi jouer, dans un premier temps, sur les vulnérabilités de ses médecins et les failles du système de santé français. En France, les habitudes de prescription des médecins ne privilégient pas la dénomination commune internationale mais le nom d’une marque de médicament. Ainsi, au lieu de prescrire, comme dans nos pays voisins, le nom d’une molécule (par exemple, la cétirizine), les médecins de l’Hexagone prescrivent une marque de médicament (le Xyzall®). Ce sont ensuite les pharmaciens qui substituent un générique au princeps. Il est donc nécessaire de convaincre les médecins de prescrire la marque du médicament du laboratoire UCB Pharma, le Xyzall® afin que celui-ci ne soit pas substitué par un générique, car, rappelons-le le Zyrtec® ne sera plus « couvert » par son brevet dans deux mois et sera donc concurrencé par les génériques. L’appartenance à la marque est donc le facteur sur lequel les visiteurs médicaux joueront. L’objet de l’action d’influence sera alors de modifier les attitudes puis les comportements des médecins de l’Hexagone qui devront ordonner leurs convictions afin de prendre la décision de prescrire le Xyzall® à leurs patients. Pour ce faire, le laboratoire pharmaceutique a mis en place une intense communication d’influence, en trois étapes, adossée à une véritable armada de visiteurs médicaux. Dès le début de l’année 2004, le laboratoire lança un vaste mailing d’information sur le Xyzall® auprès des médecins de l’Hexagone. Ce mailing visait à faire acquérir à la cible, les médecins français, de l’information sur le « nouveau » médicament, le Xyzall®, qui sera parla suite la source de leur réflexion. En jouant sur les perceptions des médecins, le laboratoire pharmaceutique UCB Pharma gravissait petit à petit les échelons vers l’objectif à atteindre : faire prescrire le Xyzall® par les médecins. Une fois ce mailing reçu par les médecins, le laboratoire pharmaceutique appuya le mailing par une communication d’influence inédite : il fit parvenir aux prescripteurs un tract cartonné accompagné d’un mouchoir en tissu véritable noué en guise de pense-bête. Ce tract fut tiré au nombre de 65 000 exemplaires et visait à créer un effet amplificateur sur les médecins français. Par cette action, le laboratoire pharmaceutique a utilisé un langage adapté à la cible et au contexte des allergies, il a su utiliser les relais de l’influence pour surprendre le prescripteur. Finalement, vint le tour des visiteurs médicaux, ces représentants du laboratoire pharmaceutique auprès des professionnels de santé qui sillonnent les cabinets et officines pour faire la promotion du Xyzall®. Afin de convaincre les prescripteurs de l’intérêt du Xyzall® et de le prescrire à leurs patients, les visiteurs médicaux usent de divers arguments, vulnérabilités des médecins et autres ressorts. © Copyright 2007 Twin Partners – http://twinpartners.wordpress.com/ 3 Un des principaux arguments des visiteurs médicaux reposait sur le prix du Xyzall®. Avant de commercialiser son médicament, le laboratoire pharmaceutique a négocié le prix du Xyzall®, par convention, avec le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS) : la fixation du prix tient compte principalement de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) par le médicament. Celle-ci étant nulle, le comité octroya au médicament un prix inférieur à celui du Zyrtec®. Le prix d’un médicament est donc un argument précieux pour le laboratoire pharmaceutique afin de faire la promotion du Xyzall® auprès des médecins français et barrer la route aux génériques en empêchant toute forme de substitution. Outre cet argument, les visiteurs médicaux n’hésitent pas à jouer sur certaines vulnérabilités des prescripteurs : les carences de formation des médecins français. En effet, le Professeur Jean-Paul Giroud, pharmacologue clinicien à l’hôpital Saint-Antoine et membre de l’Académie de médecine confirme que « la France est le pays d’Europe où la formation des médecins sur les médicaments est la plus faible »5. Accueillir un visiteur médical dans son officine est alors l’opportunité pour un médecin de se former sur ces « nouveaux » médicaments. Et ceci n’échappe pas au visiteur médical, incollable sur le produit, qui connaît parfaitement le médecin et sait donc comment lui parler. Afin de convaincre les prescripteurs de la supériorité et de la qualité de leur médicament et de prescrire le Xyzall®, le visiteur médical dispose alors de fiches descriptives du produit, de brochures et divers outils de promotion : un journaliste du journal l’Humanité reprend, dans son article du 11 avril 2004, les dires d’un médecin auquel « un visiteur médical avait dit que cette molécule était plus efficace, et qu’en plus le Zyrtec® n’était plus remboursé ». Finalement, Danièle Paoli, la présidente de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, affirme qu’« en dix-huit mois, les visiteurs médicaux d'UCB Pharma avaient déjà convaincu une grande partie des médecins de changer leurs ordonnances au profit du Xyzall® »6. L’objectif premier du laboratoire pharmaceutique est ici atteint : grâce à la spécificité française de prescription des médicaments (la marque de médicament au lieu du nom de la molécule) et le nouveau brevet d’exploitation de dix ans du Xyzall®, UCB Pharma a réussi à imposer le Xyzall® sur le marché avant que le Zyrtec® ne soit disponible sous forme générique ; il assure ainsi ses parts de marché pour l’avenir et a réussi à contrer les fabricants de génériques. Pour favoriser le développement du Xyzall®, sa commercialisation s’est aussi accompagnée du retrait du marché de l’ancien produit de la gamme, le Zyrtec®, au mois de Septembre 2004. Hubert Olivier, président de Ratiopharm7 et vice-président de l'association Gemme8 assure que « l'abandon de cette marque deux mois avant l'échéance de son brevet n'a pas d'autre objectif !». Cette manoeuvre, qui n’a en fait d’autre objectif que de concrétiser le transfert des ventes du Zyrtec® au profit du Xyzall®, est démentie par le laboratoire pharmaceutique UCB Pharma qui parle d’un « accident de calendrier »9. 5 Source : Le lobby des labos, l’Express du 23 Février 2004. Source : JOLY J. Clone contre génériques. L’Express, 11 Octobre 2004. 7 Laboratoire spécialisé dans les médicaments génériques. 8 Association de laboratoires génériques. 9 Source : JOLY J. Clone contre génériques. L’Express, 11 Octobre 2004. 6 © Copyright 2007 Twin Partners – http://twinpartners.wordpress.com/ 4 Dans un deuxième temps, le laboratoire UCB Pharma a identifié une autre cible que celle des prescripteurs : les patients. Il s’est penché sur leurs modes de pensée, leurs valeurs et vulnérabilités afin de changer leur comportement en faveur du Xyzall®. En effet, avec le développement de nouvelles sources d’informations telles que les associations de patients, la presse grand public, les émissions de télévisions et radios, dont le succès témoigne de l’intérêt croissant des patients pour leur santé, le patient est devenu une cible à part entière pour les laboratoires pharmaceutiques, au même titre que la cible historique du prescripteur. Il est donc nécessaire d’orienter la communication pharmaceutique vers ce nouvel acteur qui prend en charge sa santé. Cependant, UCB Pharma s’est heurté à une réglementation en vigueur qui ne laisse qu’une marge de manoeuvre étroite aux laboratoires pharmaceutiques pour communiquer directement vers le grand public : la promotion pharmaceutique auprès des patients pour les spécialités de prescription médicale obligatoire et/ou remboursables est, en effet, interdite. Les spécificités du marché français ont donc incité le laboratoire pharmaceutique UCB Pharma à imaginer des stratégies de contournement pour toucher directement les patients : rendre le médicament accessible sans prescription et parier sur l’attachement à la marque. Pour ce faire, UCB Pharma a élaboré des campagnes « pathologies »10 avec l’agence Carole Bracq, orientées vers la prévention et la sensibilisation à un facteur de risque, les allergies, auprès des pharmaciens et dans la presse grand public spécialisée. Le laboratoire pharmaceutique a alors joué sur le besoin d’appartenance des patients à leur médicament « fétiche » et a ainsi profité de la notoriété de son premier médicament, le Zyrtec®, pour le commercialiser en OTC, « Over-The-Counter », c’est-à-dire sans ordonnance, non remboursé par la Sécurité Sociale et ainsi autorisé à faire de la publicité. Outre sa communication d’influence auprès des prescripteurs, UCB Pharma s’est alors attaché à modifier les comportements des patients sans usage de la force ou de l’autorité, en usant de leur attachement au premier médicament via les pharmacies et médias. UCB Pharma a su, par cette action d’influence, mettre à son profit la nouvelle réglementation européenne qui favorise cette stratégie en accordant un an d’exclusivité pour les produits que les laboratoires pharmaceutiques décident de passer en OTC. La promotion directe auprès des consommateurs a donc pour objet de créer une fidélité à la marque. Au final, ce passage en médicament d’automédication ou « switch » s’est révélé être une astuce pour le laboratoire pharmaceutique afin de déjouer les pièges de la réglementation et atteindre son objectif final : conserver ses parts de marché et déjouer la concurrence. Mesure d’efficacité & conclusion. Grâce à cette action, l’accomplissement du comportement recherché est donc total : les médecins prescrivent le Xyzall®, les patients le « consomment ». Ainsi, le Xyzall® a plus que doublé ses ventes (+156%) à 104 millions d’euros ; au cours du dernier trimestre, il a dépassé pour la première fois les ventes du Zyrtec® en Europe et a plus que compensé le recul des ventes mondiales du Zyrtec®11. 10 11 Anaice Magazine. Le rapport annuel d’activité. Année 2004. Source : Rapport financier annuel 2004 du groupe UCB Pharma, disponible sur le site corporate. © Copyright 2007 Twin Partners – http://twinpartners.wordpress.com/ 5 Ici est alors prouvé que l’action d’influence d’UCB Pharma est un succès : le laboratoire pharmaceutique a su transformer la menace des génériqueurs en opportunité. Cependant, une légère ombre semble noircir ce tableau. En effet, nous pourrions nous interroger sur le cadre éthique de cette action d’influence. Est-il acceptable qu’un laboratoire pharmaceutique fasse appel à de telles pratiques (Me-Too et switch) pour garantir ses revenus, même si l’environnement conflictuel et de crise dans lequel il évolue le pousse à être de plus en plus offensif ? Quoiqu’il en soit, ce cas d’espèce est un cas exemplaire de guerre économique du faible (UCB Pharma) au fort (les fabricants de génériques). Origine : © Copyright 2007 Twin Partners – http://twinpartners.wordpress.com Vous souhaitez réutiliser cette information ? La mention en italique ci-dessus est obligatoire et doit systématiquement accompagner la présente information. © Copyright 2007 Twin Partners – http://twinpartners.wordpress.com/ 6