La nacelle et le tracteur - Revue des sciences sociales
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La nacelle et le tracteur - Revue des sciences sociales
NATHALIE FISCHER La nacelle et le tracteur Tous les pilotes vous le diront : la phase la plus délicate d'un vol en montgolfière, c'est l'atterrissage. Aux Pays-Bas ce n'est pas seulement à cause des caprices du temps : il y a aussi les agriculteurs. L es Pays-Bas connaissent une des den sités de population les plus élevées au monde (355 habitants au km2). Mais une grande partie de la population vit à l'ouest du pays où se trouvent les grandes villes (Amsterdam, Rotterdam, La Haye et Utrecht). Les Néerlandais appellent cette zone la Randstad Holland (conurbation de Hollande). La densité y est de 725 à 1103 habitants au km2. N'imaginez cepen dant pas la Randstad comme une énorme pieuvre de bitume et de béton. Des plans d'aménagement ont prévu la sauvegarde de vastes zones vertes réservées à l'agriculture (intensive) et aux loisirs. Mais la réglemen tation ne résout pas tous les problèmes, et, en particulier, en ce qui concerne l'utilisa tion de l'espace, désaccords et conflits sont habituels aux Pays-Bas. Ainsi les agricul teurs voient-ils souvent d'un mauvais œil l'arrivée de citadins en balade sur leurs terres, surtout si ces derniers viennent du ciel. Comme une montgolfière dans le ciel Nathalie Fischer Doctorante en sociologie, boursière Erasmus Un ballon à air chaud, couramment ap pelé «montgolfière», contrairement à une voiture ou à un avion, n'a pas de système de direction: pour prendre de l'altitude, le pi lote brûle du gaz propane, chauffant ainsi l'air contenu dans l'enveloppe et, pour re descendre, il ouvre une soupape par laquelle l'air chaud s'échappe. Ainsi la direction prise par le ballon dépend des vents et du choix de l'altitude. Dans ces circonstances, Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, 1993 91 un aéronaute ne peut choisir son terrain d'atterrissage à l'avance. L'atterrissage en agglomération étant interdit, il a régulière ment lieu sur un terrain agricole. Cet atter rissage est donc souvent l'occasion d'une rencontre avec un agriculteur. Au cours de différentes expériences en tant qu'équipière dans plusieurs pays euro péens, j'ai été étonnée de remarquer que les relations avec les agriculteurs semblaient moins détendues aux Pays-Bas. Elles revê tent même un caractère conflictuel. Je me suis donc intéressée aux causes de ces ten sions. Un voyage d'étude dans le cadre du programme Erasmus a été pour moi l'occa sion d'approfondir cette question. L'agriculture aux Pays-Bas Bien que l'on prévoie une diminution du nombre d'agriculteurs dans les années à venir, la situation est loin d'être aussi dra matique qu'en France. Les Pays-Bas se ca ractérisent par une agriculture intensive et très performante. A titre d'exemple, la pro duction néerlandaise de blé est de 80 quin taux à l'hectare, alors que la production moyenne au sein de la CEE n'est que de 46 quintaux à l'hectare. Le secteur agricole occupe 5% de la population active, mais l'industrie alimentaire représente près de 30% du chiffre d'affaires total de la pro duction industrielle du pays. L'agriculture néerlandaise a largement profité de la créa tion de la CEE. Actuellement les produits agricoles représentent le quart des exporta tions néerlandaises (il s'agit essentiellement de viandes, de produits laitiers et de produits de l'horticulture). L'originalité de l'agriculture néerlan daise réside dans la façon dont sont struc turées les organisations syndicales. L'en treprise familiale est la forme de production agricole dominante en Europe occidentale. Aussi les organisations ne se sont-elles pas attachées à la lutte des classes, mais à la dé fense des droits de propriété et de l'utilisa tion de la terre, ainsi qu'à la mise en valeur d'une identité propre. Cet attachement à la propriété et à l'indépendance conduit à ce que les organisations agricoles fassent par tie des groupements les plus conservateurs de la vie sociale. Cependant il n'y a pas au sein des organisations agricoles néerlan daises d'équivalent de l'anti-étatisme fran çais ou du libéralisme anglais. Aux PaysBas, un appareil d'Etat centralisé est apparu relativement tard en se concrétisant seule ment à la fin du XIXe siècle. C'est pourquoi l'administration s'est mise en place en étroite collaboration avec les organisations sociales. De plus, l'orientation dominante vers l'exportation (dans l'après guerre) n'a pu se faire que grâce au soutien de l'Etat. Tous ces facteurs ont contribué à ce qu'existe une tradition de collaboration entre les organisations agricoles et le gou vernement. La plupart des syndicats agricoles néer landais sont représentés au sein du Landbouwschap. Cet organisme est chargé de veiller aux intérêts du secteur en prenant en compte l'intérêt général. Il est en contact au moins une fois par mois avec le ministère de l'Agriculture, et est également influent au niveau européen. Dans le cas qui nous occupe, c'est par son intermédiaire qu'ont lieu les négociations entre les agriculteurs et les aéronautes. Juridiquement, le Landbouwschap est une organisation de droit pu blic au même titre qu'une commune ou un Etat. On ne devient pas volontairement membre d'une organisation de droit public. C'est pourquoi les personnes concernées ont accès aux informations et aux connais sances dont dispose le Landbouwschap (cours de formation, publications ...). Par contre, elles doivent suivre les décisions prises par cet organisme. Le Landbouwschap est financé par les agriculteurs qui paient un impôt calculé en fonction de la nature et de la taille de l'exploitation. A cela s'ajoute une taxe payée par ceux qui profitent directement d'un service (service de santé pour les porcs, fermes expérimen tales, économies d'énergie dans les serres, etc.). Cet organisme joue un rôle de tampon, ce qui explique peut-être que l'on n'assiste guère à de grandes manifestations pay sannes comme nous en connaissons régu lièrement en France. Le défi majeur auquel est confrontée l'agriculture néerlandaise de nos jours est lié à la prise de conscience des risques de pol lution qu'entraîne l'agriculture intensive. Le problème numéro un est la surproduction de lisier. Pour donner une idée de son am pleur, il faut savoir qu'il y a, aux Pays-Bas, plus de porcs que d'habitants. A cela s'ajoute la production ovine, bovine et avi cole. L'utilisation intensive de fertilisants et de pesticides contribue aussi beaucoup à la pollution. Face à la pression de l'opinion pu blique et du lobby écologiste, le gouverne ment et les organisations agricoles ont lancé 92 une «offensive»: mise en place de régle mentations (quantité limitée de fumier auto risée à l'hectare) et encouragement à la re cherche technologique (recyclage du lisier), mais sans remettre réellement en cause les fondements mêmes du mode de culture in tensif. Cependant les lois concernant l'agri culture et la protection de l'environnement se multiplient, provoquant le mécontente ment des agriculteurs. En 1990 le ministère de l'Agriculture a proposé d'introduire l'en vironnement comme facteur de production au même titre que la terre, le travail et le ca pital, avec l'intention de mettre en place une politique agricole à long terme. Cependant les agriculteurs, au moment même où ils sont mis en accusation en tant que pol lueurs, doivent faire face à la surproduction, à une concurrence et une réglementation in ternationales accrues. Ce sont surtout les éleveurs de vaches laitières qui voient ainsi leur avenir doublement menacé. L'aérostation aux Pays-Bas Le développement de l'aérostation comme activité de loisir est un phénomène assez récent. Il a commencé dans les an nées 70, mais c'est au milieu des années 80 qu'il a pris un véritable essor: en 1977 on recensait une dizaine de ballons; ils étaient plus de 140 en 1990. De plus le nombre d'heures de vol a pratiquement quintuplé de 1985 à 1990. Mais le plus surprenant est qu'il y a nettement plus de montgolfières que de pilotes, situation tout à fait excep tionnelle en Europe, car dans les autres pays c'est la situation inverse que l'on observe. Cette situation est liée à une commerciali sation intensive de l'activité : pour financer leurs montgolfières, les pilotes font de plus en plus appel aux sponsors et aux passagers. Mais pour rentabiliser ces ballons il faut beaucoup voler. Parallèlement on assiste à une professionnalisation de l'activité: de plus en plus de pilotes ne volent plus pour le sport ou le plaisir mais pour gagner leur vie. Tous ces changements ont non seule ment entraîné une augmentation de la pro babilité d'incidents, et peut-être aussi une baisse de la qualité des nouveaux pilotes, mais encore une modification de l'état d'es prit : les « anciens » se plaignent du manque de fair play, de l'individualisme et de l'ar rivisme de certains. L'image du conflit dans la presse Les conflits entre aéronautes et agricul teurs ont fait l'objet de nombreux articles dans la presse néerlandaise. Une recherche dans les archives de trois quotidiens néer landais (Algemeen Dagblad, NRC Handelsblad et Utrechts Nieuwsblad) a ré vélé qu'au cours des seules années 1989 et 1990, douze articles ont été publiés sur ce sujet. Il ressort de l'analyse des articles que les aéronautes y sont souvent présentés sous un jour négatif: ils provoquent des dommages au cours de l'atterrissage ou en survolant le bétail en basse altitude, dispa raissent sans rembourser les dégâts, ne fer ment pas les barrières des prés en partant, etc. Ce sont surtout les incidents au cours desquels des dégâts graves ont été provo qués qui retiennent l'attention des journa listes (chevaux qui s'emballent et se bles sent, vaches qui se déchirent les pis aux fils de fer barbelés ou se noient dans des fossés...) Plusieurs articles font état de «droits d'atterrissage» allant de 25 à 500 florins (environ 75 à 1500 francs) exigés par cer tains agriculteurs (même si aucun dégât n'a été constaté), et d'incidents au cours des quels des agriculteurs, parce que les pilotes refusaient de payer, sont passés, ou ont me nacé de passer, sur les enveloppes des mont golfières avec leur tracteur. A quelques exceptions près, les journa listes s'intéressent surtout à l'aspect sensa tionnel de quelques incidents et ont tendance à généraliser à partir de quelques cas parti culiers. Ces premières constatations faites, j'ai désiré connaître la nature exacte des rela tions entre les deux groupes et savoir quelles étaient les représentations mutuelles. Mon étude s'est plus particulièrement portée sur une région réputée « sensible » aux environs d'Utrecht (au centre des Pays-Bas). Les questionnaires Mon enquête était, en partie, basée sur des interviews, mais j'ai aussi demandé aux agriculteurs, comme aux aéronautes, de ré pondre à un questionnaire afin de mieux cer ner les représentations des uns et des autres en ce qui concerne l'aérostation et le métier d'agriculteur. Chacun devait d'abord me Constellation d'attributs des réponses des aéronautes par rapport au mot "aérostation" proposer cinq mots par rapport à sa propre activité et cinq mots par rapport à l'autre groupe (réponses spontanées). Les deux termes auxquels devaient être associées les réponses étaient «agriculteur» et «aéro station». Après quoi j'ai proposé aux mêmes per sonnes une liste de vingt mots pouvant évo quer l'aérostation, mots qu'elles devaient classer par ordre décroissant d'importance (représentation réfléchie). Plus précisément, je leur ai demandé d'inscrire devant chaque mot proposé un nombre, entre 1 et 20, de façon que les mots ainsi placés en début de liste soient ceux qui correspondent le mieux à leur propre représentation de l'aérostation. La liste a été composée aussi bien de termes concrets que de termes abstraits, et proposait un choix assez large entre des mots ayant une connotation négative, des mots ayant une connotation positive ou d'autres plus neutres. La constellation d'attributs Pour analyser les résultats des réponses spontanées (cinq mots en relation avec le 93 métier d'agriculteur et cinq mots en relation avec l'aérostation), j'ai utilisé la méthode des constellations d'attributs. Voici comment A. Moles définit cette méthode: «La constellation d'attributs est une méthode de représentation d'associa tions mentales [...]. Elle permet de repré senter sous forme graphique des stéréotypes et d'apprécier le registre des associations ou des évocations liées à un item quelconque ». A partir de cette méthode j'ai conçu deux graphiques pour chacun des groupes (les aé ronautes et les agriculteurs). Sur chaque graphique le pôle central représente un item (agriculteur ou aérosta tion). Les autres pôles représentent les items qui lui sont associés, afin que les dis tances soient inversement proportionnelles à la fréquence des réponses, c'est-à-dire que plus un item est proche du centre et plus il a été associé avec l'item de départ. Comme je ne pouvais représenter tous les mots cités, j'ai procédé à des regroupe ments, et j'ai éliminé les réponses qui étaient trop marginales. J'ai essayé de représenter, dans la mesure du possible, les pôles de manière à ce que les termes proches sémantiquement soient voi- ger de régler les problèmes d'organisation Constellation d'attributs des réponses des aéronautes par rapport au mot "agriculteur" sins, et que les termes contraires soient en opposition par rapport au pôle central. La première constellation correspond à la façon dont les aéronautes se représentent l'aérostation (voir graphique). J'ai traduit par «chaleureux» ou «am biance chaleureuse», deux termes si typi quement néerlandais qu'il n'existe pas de traduction satisfaisante : gezellig et gezelligheid. Ces termes expriment un sentiment de bien-être et de confort à la fois matériels et spirituels, décrivent une ambiance chaleu reuse et amicale. Ils sont représentés par le pôle «ambiance». Par «diversité», j'en tends que mes interlocuteurs considèrent l'aérostation comme une activité aux nom breuses facettes. Le pôle «temps» concerne les préoccupations météorolo giques des aéronautes (cette activité est très dépendante des conditions météorolo giques aussi bien pour le décollage que pour l'atterrissage). Nous remarquons tout d'abord l'oppo sition entre les pôles «tension» et «dé tente». Cela ne correspond pas à un désac cord au sein du groupe, mais, au contraire, à une opposition qui est caractéristique de la représentation du groupe même. En effet quatre personnes m'ont cité les deux termes à la fois, et un de mes interlocuteurs a tra duit cette ambivalence en parlant de « stress sain». La fréquence des réponses pour cer tains mots n'est pas toujours équilibrée entre le groupe des pilotes et celui des équi piers (en tenant compte du fait que les pi lotes sont moins nombreux). C'est ainsi que les mots «diversité» et «hobby» n'ont été cités que par des équipiers, et «tran quillité» a été cité cinq fois par des équi piers et seulement une fois par un pilote. Il apparaît donc que l'aspect récréatif est plus fortement marqué dans le groupe des équi piers. Cela s'explique en grande partie par le fait que les pilotes doivent aussi se char 94 et de financement. De plus, l'aérostation est le gagne-pain de plusieurs des pilotes que j'ai rencontrés. Quant aux autres, ils ne peuvent généralement financer leur passetemps, fort coûteux, que par l'intermé diaire d'un sponsor ou en organisant des vols avec des passagers payants. Les relations humaines ont une place re lativement importante dans la représenta tion, mais elle est exprimée différemment selon les interlocuteurs. C'est ainsi que les pilotes parlent de «contact» ou d'«amitié», alors que les équipiers parlent d'«équipe». Cela reflète aussi la position particulière du pilote qui n'est pas réellement intégré dans l'équipe : le pilote s'occupe des relations pu bliques (avec le sponsor ou les agriculteurs), manœuvre le ballon, prend les décisions, alors que les équipiers sont chargés de dé baller et d'emballer le ballon, de le suivre et de le retrouver (le seul contact avec le pilote est alors radio). A remarquer le «com merce» qui détonne un peu au milieu des autres termes mais qui correspond à la si tuation ambiguë de cette activité actuelle ment. La seconde constellation d'attributs a été construite à partir des réponses des aéro nautes à propos de l'item «agriculteur». Elle m'a permis de mettre en évidence une op position entre les pôles «bonnes rela tions «/«mauvaises relations» qui reflète une certaine ambivalence de la représenta tion: il s'agissait souvent des mêmes per sonnes qui déclaraient avoir parfois de bonnes, parfois de mauvaises relations avec les agriculteurs. Par contre, l'opposition entre ce que j'ai regroupé sous le pôle «jugements positifs » (patients, durs travailleurs...) et le pôle «ju gements négatifs» (alcooliques râleurs, amers...) sont des opinions exprimées par des personnes différentes. Les jugements né gatifs allaient presque toujours de pair, avec les réponses que j'ai représentées par le pôle « âpre au gain ». Il y a donc un désaccord au sein du groupe sur la façon de juger les agri culteurs. L'enjeu est tel pour les aéronautes que l'attitude à avoir envers les agriculteurs, leurs plaintes et leurs revendications, est sinon source de tensions au moins de dis cussions au sein du groupe. Les plus enga gés sont ceux qui désirent maintenir de bonnes relations avec les agriculteurs (consi dérant qu'il y va de l'image et de l'avenir de l'activité). Il s'agit, par exemple, d'engager le dialogue avec les agriculteurs, soit direc tement, soit par l'intermédiaire de leurs or ganisations syndicales, de faire circuler une liste des zones où l'atterrissage et le survol en basse altitude sont déconseillés, de mettre en place un système de formulaires remplis par le pilote et le propriétaire à l'atterrissage, devant permettre de retrouver la trace des aéronautes en cas de dégâts constatés tardi vement. La principale faiblesse de ces me sures est qu'elles se font sur la base du vo lontariat. En effet les actions de ces pilotes sont freinées par le peu d'enthousiasme et la force d'inertie d'autres aéronautes qui, bien que se déclarant rarement de manière expli cite contre ces mesures, contribuent à en mi nimiser la portée par indifférence ou par égoïsme. Cependant n'exagérons pas l'importance des jugements négatifs envers les agricul teurs. Il faut, en effet, aussi tenir compte des pôles « amicaux » et « accueillants » qui sont assez importants. La relation particulière qui s'établit avec les agriculteurs est expri mée par « on a besoin d'eux », et cela se tra duit par une volonté de maintenir de bonnes relations : il s'agit de réparer les dégâts et de faire des efforts, principalement en ce qui concerne la communication (demander l'au torisation de pénétrer sur le terrain, discuter, expliquer...). Enfin viennent des évocations plus concrètes. Pour comprendre le pôle «es pace », il faut se placer du point de vue d'un Néerlandais. Aux Pays-Bas l'espace est un bien précieux, voire un luxe. Aux yeux des citadins que sont les aéronautes, les exploi tations des agriculteurs néerlandais (de 10 à 14 ha. en moyenne) paraissent très grandes. Le terme de «bouse» (purin, fumier, sa leté...) n'est pas à prendre forcément comme un jugement négatif, mais c'est une expérience concrète et répétée, et certaine ment assez frappante pour certains aéro nautes qui ont été élevés à la ville (il y aussi des aéronautes issus du milieu agricole, mais ils sont moins nombreux). De plus, le problème de la pollution à cause de l'épandage excessif de lisier est un sujet important de discussion aux Pays-Bas actuellement. Les termes se rapportant au paysage (pâtu rages, fossés) n'ont été cités que par les équipiers. Sous le terme « animaux » j'ai re groupé les mots «vaches», «bétail», «che vaux»... C'est une préoccupation que l'on retrouve aussi dans l'évocation des pâtu rages et de la bouse de vache. Non sans rai- Constellation d'attributs des réponses des agriculteurs par rapport au mot "agriculteur" son car, tout d'abord, il y a effectivement un très grand nombre de têtes de bétail aux Pays-Bas, alors que la taille des exploita tions n'est pas très grande et il y en a partout (c'est très impressionnant vu du ciel). La seconde raison est que c'est la source prin cipale de tensions avec les agriculteurs. En ce qui concerne la constellation d'at tributs de la représentation de l'aérostation par les agriculteurs, nous pouvons répéter la remarque précédente : les agriculteurs ré pondent souvent que les ballons font peur aux animaux, et c'est à ce titre qu'ils consi dèrent l'aérostation comme une nuisance (overlast). Il apparaît donc que les deux parties sont relativement d'accord sur la cause des tensions : c'est avant tout la peur que provoque la montgolfière chez les ani maux. Cependant, sans que cela soit dit ex plicitement, deux autres pôles peuvent être à l'origine du mécontentement des agricul teurs : l'auto de retrouving (autorisation de pénétrer dans le champ, dégâts pouvant être provoqués par le véhicule), et l'atterrissage (sur propriété privée, dégâts éventuels). Cependant ces deux termes peuvent cor respondre à une représentation qui n'a rien de négatif. Par ailleurs plusieurs agricul teurs émettent le désir que les aéronautes 95 fassent attention (en évitant de voler bas quand il y a du bétail par exemple), tiennent compte du point de vue des agriculteurs. Cela fait écho au désir de communiquer et d'entretenir de bonnes relations exprimé par certains aéronautes. Mais nous venons de voir que certains aéronautes avaient des a priori négatifs sur les agriculteurs et cela peut rendre le dialogue difficile, voire être source de dérapage. En effet, il est apparu à travers les interviews que ce ne sont pas toujours les agriculteurs ayant subi des dé gâts qui sont le plus hostiles à l'aérostation. D'ailleurs les agriculteurs sont loin d'avoir une vision totalement négative de l'aéro station puisque cela reste malgré tout à leurs yeux quelque chose de beau. La conduite des aéronautes ainsi que l'image qui en est donnée à travers les témoignages des voisins et des proches a une grande in fluence sur la représentation qu'ont les agriculteurs de l'aérostation et sur l'attitude qui en découle. Plus que les dommages, ce sont souvent un manque de communication (certains pilotes ne se signalent même pas auprès des propriétaires), ou une commu nication mal engagée (arrogance, manque de politesse...) qui sont, à la longue, sources d'hostilité et de conflits. liberté (2), aventure (3,1), détente (4,1), Constellation d'attributs des réponses des agriculteurs par rapport au mot "aérostation" Dans la constellation d'attributs de la re présentation de leur métier par les agricul teurs, rien d'étonnant à ce que «lait» et «bé tail» soient évoqués puisque tous les agriculteurs interrogés sont des producteurs laitiers. Puis viennent «travail» et «argent» (probablement plus parce qu'il en manque que parce que c'est un bon moyen d'en gagner). Alors pourquoi continuer ce métier? La ré ponse est donnée dans les trois pôles suivants : «diversité» (donc pas monotone), «engage ment» (passion, idéalisme, style de vie...) terme qui exprime l'idée que l'agriculture est plus qu'une simple profession, et «liberté». Il est à remarquer que lorsqu'ils citaient ce der nier mot, les agriculteurs ajoutaient souvent qu'ils en avaient de moins en moins. Cela ex plique aussi peut-être la réaction agressive de certains agriculteurs. Ils ont le sentiment de ne pas contrôler la situation. L'arrivée des aéro nautes s'ajoute à d'autres éléments extérieurs (réglementations, difficultés économiques) qui les dérangent dans le bon déroulement de leur vie d'agriculteurs. Réponses à la liste de vingt mots La deuxième partie du questionnaire consistait en une liste de vingt mots qu'il fal lait ranger par ordre décroissant. Je consi dère que les mots ayant des positions ex trêmes dans la liste sont les plus significatifs, alors que les mots cités dans les premières places sont ceux qui correspondent le mieux à la représentation de l'aérostation. Les mots se trouvant en fin de liste sont considérés soit comme peu pertinents soit en opposition avec leur représentation par les personnes interrogées. Je voulais connaître la repré sentation globale des différents groupes, à travers les mots fréquemment cités dans des positions proches. C'est pourquoi j'ai sélec tionné, pour chaque groupe, les mots placés dans les cinq premières positions et les mots placés dans les cinq dernières positions, par au moins la moitié des individus du groupe étudié. C'est ainsi que le mot devait être cité au moins quatre fois par les pilotes, sept fois par les équipiers et quatre fois pour les agri culteurs. Cette première sélection faite, je souhaitais savoir dans quel ordre placer ces mots les uns par rapport aux autres. Considérant leur place dans la liste comme leur «poids», j'ai calculé la moyenne de celui-ci dans l'ensemble des réponses, par groupe, ce qui m'a permis de les ordonner. Les résultats sont les suivants (les moyennes sont données entre parenthèses). Pour les pilotes, les mots les plus souvent cités dans les cinq premières positions sont : 96 sport (4,3). Pour les équipiers, les mots les plus sou vent cités dans les cinq premières positions sont : liberté/détente (3,1), sport (3,7), aven ture (3,9). Pour les agriculteurs, les mots les plus souvent cités dans les cinq premières posi tions sont: liberté (8,8), nature (9), peur (9,1). Pour les pilotes, les mots les plus souvent cités dans les cinq dernières positions sont : argent (14), couleurs (16,3), nuisance (17,2), léger (18,3), peur (18,7). Pour les équipiers, les mots les plus sou vent cités dans les cinq dernières positions sont : bruit (15,6), peur (15,8), danger (16,2), dégâts (17,5), nuisance (18,3). Pour les agriculteurs, un seul mot est cité par la moitié des individus dans les cinq der nières positions : léger (14,2). Je voulais savoir plus précisément com ment les deux groupes réagissaient face aux termes négatifs. C'est pourquoi, pour avoir une idée de la position des mots ayant une connotation négative, j'ai calculé le poids moyen des mots bruit, peur, dégâts, danger et nuisance, pour le groupe des aéronautes (pilotes + équipiers), et pour le groupe des agriculteurs. Le désavantage de cette mé thode est qu'on ne fait pas la différence entre la position d'un mot cité parfois en première place, parfois en dernière place, et un mot qui se retrouve toujours dans une position moyenne. Or dans le premier cas les opi nions diffèrent fortement au sein du groupe, dans l'autre cas, non. - Poids moyen parmi les aéronautes : bruit 14,7 peur 16,1 dégâts 16,3 danger 15 nuisance 16,3 Poids moyen parmi les agriculteurs : bruit 10,2 peur 9,1 dégâts 10,1 danger 10,3 nuisance 11 Si ces mots obtiennent des scores élevés dans le groupe des aéronautes, c'est que ceux-ci rejettent ces termes de façon assez conséquente en dernière position. Par contre le score est moyen dans le groupe des agri culteurs, car les réponses sont très irrégu- lières et parfois en opposition les unes par rapport aux autres. Ce qui ressort de ces différents résultats, c'est qu'il y a une grande similarité dans les réponses des différents aéronautes. Cela est assez normal puisque c'est autour de cette représentation que se fait l'unité du groupe. Les moyennes sont très faibles (le mot «li berté » arrive en moyenne en deuxième po sition chez les pilotes) ce qui signifie que les écarts d'un individu à l'autre sont peu im portants. L'influence du groupe sur la for mation de la représentation apparaît nette ment. Par contre les agriculteurs sont moins influencés par leur groupe d'appartenance sur ce sujet, les réponses varient davantage. Tous groupes confondus, c'est le mot «li berté» qui arrive en premier. Ce sont les quatre mêmes mots qui se trouvent en pre mière position dans le groupe des pilotes et celui des équipiers, mais dans un ordre dif férent. Pour les équipiers la détente est ex aequo avec la liberté, alors que chez les pi lotes c'est l'aventure qui arrive en seconde position. Par ailleurs malgré le développe ment du sponsoring et des vols avec passa gers, pour tous l'aérostation reste un sport. Les agriculteurs en citant souvent « nature » et «peur», font davantage le lien avec leur propre situation. La nature est leur environ nement quotidien, là où la rencontre avec les aéronautes est la plus probable. La peur, c'est surtout la peur du bétail : c'est le seul mot négatif cité avec conséquence par les agriculteurs dans les premières positions. C'est là un point très sensible, mais on au rait pu s'attendre à un résultat plus négatif. Les agriculteurs sont beaucoup plus concrets dans leur représentation, en comparaison avec les réponses des aéronautes : pour ces derniers l'aérostation est avant tout une ex périence, une sensation. Le travail de socia lisation transforme la représentation en don nant un sens aux objets et aux actions. Bas : en donnant la priorité à la négociation et à la recherche d'un consensus. L'origina lité de la société néerlandaise est que son or ganisation est très marquée par la verzuiling(1). Les groupes y vivent côte à côte, ensemble et séparés à la fois, mais il est gé néralement admis que lorsque le contact ou la collaboration sont nécessaires, c'est la paix sociale qu'il faut privilégier. Ainsi cette enquête nous donne aussi un aperçu des contradictions et de la complexité de la so ciété néerlandaise, à la fois compartimentée et policée, stricte et tolérante. Note 1 La verzuiling (certains traduisent par « cloison nement ») est un système d'organisation de la vie sociale typiquement néerlandais fonctionnant sous forme d'une différenciation verticale qui se base sur des différences en matière de croyances religieuses et politiques. Ce système a pleine ment fonctionné des années 30 à 60, mais il continue à marquer fortement la société néer landaise. Aucun secteur de la société n'est épar gné : la presse écrite et audio-visuelle, l'ensei gnement et la vie associative suivent ce schéma. Chacun de ces secteurs a été organisé en cinq blocs ou colonnes (zuilen). On distingue habi tuellement les blocs catholique, réformé, ré formé orthodoxe, socialiste et neutre. Pluralisme à la néerlandaise Les relations entre agriculteurs et aéro nautes sont parfois difficiles mais l'enquête a révélé la volonté de la plupart des acteurs de résoudre les problèmes à l'amiable. Les deux parties ont mis en place des commis sions pour en discuter et des agents de liai son servent de relais. En cela ces relations reflètent assez la façon dont les conflits so ciaux sont couramment abordés aux Pays- 97