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La lettre des
n° 141 - 15e année
Amis de Montluçon
Société d’histoire et d’archéologie
Séance publique du 11 octobre 2009
 [email protected]
www.amis-de-montlucon.com
Charles-Louis Philippe, romancier,
dans l’effervescence littéraire et artistique parisienne
S
oixante-dix-neuf personnes étaient présentes à la séance publique annuelle des Amis de Montluçon, salle Robert-Lebourg, pour entendre le
conférencier parler de Charles-Louis Philippe, cet auteur, fils d’un sabotier
de Cérilly, décédé le 21 décembre 1909. Parmi l’auditoire étaient trois représentants de l’Émulation du Bourbonnais de Moulins intéressés aussi par le sujet : sa
présidente, son sécrétaire général et sa secrétaire.
Le conférencier, qui est anglais, a fait ses études de lettres à Oxford et il a
enseigné la littérature française à l’université de Leeds de 1970 à 2008, année de
sa retraite. En 1973, il a soutenu sa thèse de doctorat intitulée « Charles-Louis Philippe, l’homme et l’œuvre » . Par ailleurs, David Roe est aussi un spécialiste de Gustave Flaubert. Il a fait connaissance avec le Bourbonnais en 1967 et il y possède
maintenant une demeure près de la forêt de Tronçais.
Mais avant de l’entendre parler avec passion et avec la connaissance absolue
de notre langue, le président de l’association des Amis de Charles-Louis Philippe
qui l’accompagnait a fait une introduction.
Maurice Malleret
À noter sur votre agenda…
Vendredi 13 novembre 2009,
20 h 30, salle Salicis :
M. Maurice Toussaint : Les bétyles ornées
de Bellefaye et Montluçon. À quarante ans
d’intervalle, deux découvertes d’exception .
Vendredi 11 décembre 2009,
20 h 30, salle Salicis :
Assemblée générale annuelle
MM. Daniel Gibiat - Jean-François Brun :
Florane, dessinateur humoriste, peintre
et illustrateur.
« Je suis très touché, en tant que président de
l’association des Amis de Charles-Louis Philippe, du vœu
des Amis de Montluçon d’avoir une conférence sur cet
écrivain, l’année du centenaire de sa mort.
« Précisément, sa mort prématurée à trente-cinq
ans, peu avant la Grande guerre a freiné une notoriété
qui était là dans la première décade du XXe siècle : Gide,
Claudel, Barrès, Mirbeau, Fargue, Giraudoux, Larbaud
connaissaient très bien l’homme et son œuvre. Romancier,
il fut aussi l’un des fondateurs de la NRF.
« Des amis ont travaillé à la continuité de l’édition de
ses œuvres dans les années qui suivirent sa mort, Gide,
Fargue, Larbaud et Guillaumin notamment.
« En 1936 l’association fut fondée à l’initiative du
bouquiniste Louis Lanoizelée, de Paris, son but étant
de maintenir la publication des œuvres de l’auteur de
Bubu de Montparnasse. Le premier président fut Emile
Guillaumin.
« La connaissance de Philippe a gagné l’université
plus que le grand public, bien que, dans les années 40, on
lise des extraits de La Mère et l’Enfant en classe primaire 1
ou au début du secondaire.
« Des touristes avertis, de passage
à Cérilly, visitent avec intérêt sa maison
natale, transformée avec discrétion en
musée ; il fonctionne de mai à octobre
inclus.
« David Roe, notre conférencier,
professeur à l’université de Leeds en
Angleterre est la personne qui connaît le
mieux Philippe sur lequel il a fait sa thèse.
Il est également le rédacteur essentiel de
notre bulletin, lequel sera en vente, ainsi
que d’autres publications, au cours de
cette conférence.
et Centrale au lycée de Moulins, mais
échoue. Il y découvre pourtant la poésie
et sa vocation. Chômeur à vingt ans,
après deux « CDD » à Paris, il entre en
1896 à l’administration de la capitale et
se voue à l’écriture.
« Vers 1900 la principale porte
d’entrée au monde des lettres était les
revues. Une deuxième séquence du DVD
présente la trentaine de titres auxquels
il a collaboré. Signalons d’abord, entre
1896 et 1908, dix-neuf collaborations,
essentiellement littéraires, à L’Enclos,
petite revue sociale anarchisante, puis
« Nous aimerions qu’une plaque soit
une présence plus ponctuelle dans des
apposée à l’ancien lycée Jules-Ferry où
revues prestigieuses d’alors (Le Mercure
Philippe, interne boursier, vécut sept ans,
de France, La Revue Blanche), un
comme celle qui existe au lycée Banville
Portrait de Charles-Louis Philippe
intense travail de chroniqueur d’actualité
à Moulins.
peint par Charles Guérin
dans le Canard Sauvage en 1903. Quand
« Je passe la parole à David Roe, notre porteil a publié des romans considérés pour le prix Goncourt,
drapeau ! »
son nom, devenu une référence, paraît même dans des
journaux quotidiens importants, L’Humanité, et surtout
Jean-Louis Aurat
Le Matin avec ses 600 000 exemplaires par jour.
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« L’évolution de son œuvre est aussi marquée. Poète
À la mémoire de Simone Raynaud (1)
« Comme mon titre l’indique, mon propos est
d’évoquer l’autre face de la vie du fils de sabotier de Cérilly,
face qui est souvent beaucoup moins connue dans son
pays, où on risque de sous-estimer la place qu’il occupait
dans la vie culturelle de la capitale.
« D’abord, cependant, à l’aide de quelques images,
un rappel de sa jeunesse [projection commentée d’une
séquence du DVD préparé pour le musée de Cérilly par
Mme Aurat et Michèle Duplaix]. Enfance pauvre mais
confortable, sauf pour une maladie grave qui laissa son
visage un peu défiguré. Excellentes études, bourse au lycée
de Montluçon, bac scientifique. Il prépare Polytechnique
symboliste et obscur à vingt ans, il se tourne bientôt vers
la prose narrative et simplifie son style sans cesser de le
travailler comme un poète. Il prend ses premiers sujets
essentiellement dans sa vie et son expérience cérilloise,
justifiant dès le début cette remarque de 1904 : “ Le roman
m’a toujours semblé une sorte de confession,…je le
conçois comme quelque chose d’animé, de vivant, de
réel. Ce qu’il faut c’est recréer des personnages qu’on
a vus “.
« Son originalité lui attire rapidement l’intérêt, la
sympathie et souvent l’amitié de nombreux lecteurs, et
fait de sa vie parisienne une sorte de plaque tournante de
la vie littéraire parisienne. Sans renier ses origines, car il
continue de passer un mois de vacances à Cérilly tous les
ans, et d’y puiser la matière de certaines œuvres.
Charles-Louis Philippe, photographié pour
la collection des Éditions Dornac : « Nos contemporains chez eux ».
2
1 - cf. le nota bene
Paris : quai de l’Hôtel de ville (dessin de Grandjouan)
« Sa géographie parisienne réunit
symboliquement ces deux éléments. En
1899 il s’installe sur l’ile Saint-Louis, attiré
par son calme tout à fait provincial. Il se
trouve donc habiter ni “ rive gauche “,
ni “ rive droite “, ni “ Montmartre “. Ce
qui correspond à la largeur de son
cercle d’amis. Nommons-en seulement
quelques-uns : Gide et tout son cercle
(la future équipe de La Nouvelle Revue
Française, dont Philippe sera un des
fondateurs), Octave Mirbeau, Maurice
Barrès, la comtesse de Noailles, Paul
Claudel. Des noms moins connus :
Michel Iehl, Charles Chanvin, Léon Werth
et une simple couturière berrichonne,
Marguerite Audoux.
et à la pitié russe, malgré sa passion pour
Dostoievsky. Il donne le nom de Bubu à
son premier roman parisien parce qu’il
donne raison au personnage qui ne se
résigne pas, qui ose lutter contre son
destin et contre les fatalités de tout genre,
même si ce personnage est un souteneur.
« Dans ses deux autres romans
parisiens, moins connus, (Marie
Donadieu, 1904,
Croquignole,
1906) il se veut aussi, entre autres
choses, le romancier des plaisirs du
corps, de l’amour-passion comme
de l’amour physique, de la joie dans
toutes ses formes. Car depuis 1900 il a
lu Nietzsche et Claudel. Socialement,
ses personnages ne sont plus tout à
fait des pauvres. Sa Marie Donadieu
« Son don de l’amitié lui ouvrira Aquarelle de Jacques Poinson pour illustrer
découvre son corps de femme de façon
la réédition de Marie Donadieu.
aussi les portes de quelques ateliers de
moderne, son Croquignole est un grand
peintres. Charles Guérin fera deux beaux portraits de
“ consommateur “, et une force de la nature, prêt à se jouer
lui. Albert Marquet recueillera des croquis dans les rues
de la pauvreté quand il y tombe comme à jouir pleinement
pour illustrer Bubu de Montparnasse. Un autre artiste,
de la richesse dont il héritera.
Grandjouan, lui raflera le contrat. Il y aura surtout Francis
« Lisons :
Jourdain, fils de Franz, l’architecte de la Samaritaine et
- un passage décrivant la jeune Lyonnaise Marie
créateur du Salon d’Automne. Avec lui et certains de ses
faisant ses premières promenades parisiennes (rive
amis (Léon-Paul Fargue, Régis Gignoux…) et leurs femmes,
gauche, Luxembourg…) ;
il louera une maison à Carnetin au dessus de la Marne
- un discours où Croquignole développe avec
pour y passer des fins de semaine joyeuses en 1906. Il s’y
humour le principe du “ ressemelage au bitume “ (premier
mettra lui-même à peindre.
chapitre).
« À Paris sa peinture se fait uniquement en mots.
Sans être un grand peintre de toute la ville, comme Zola,
il fait surgir vivement certains coins, et surtout certaines
“ atmosphères “ qui les accompagnent. Car son terrain
d’élection, c’est le paysage intérieur. Citons-le encore :
“ Le romancier doit décrire ses personnages comme
s’il s’agissait de lui-même, en allant de l’intérieur à
l’extérieur (…). Il faut les sentir, se rendre compte de
leurs raisons d’agir “.
« Trois petites lectures pour faire
sentir et comprendre les personnages
de Bubu de Montparnasse :
- la deuxième page du roman,
description du «Sébasto» ;
- la promenade de Pierre
Hardy avec Berthe le long des
quais (ch. III) ;
- le moment où Berthe
commence à soupçonner qu’elle
est malade (ch. IV).
« Un monde et des
atmosphères en somme dans le registre qu’on
reconnaît tout de suite comme “ philippiens “. Des
personnages touchés, accablés par les misères et les
douleurs de la vie ; une pauvreté à la fois matérielle
(économique et physique) et immatérielle (psychologique
et morale).
« Mais son monde ne se limite pas au “ misérabilisme “
Dessin inédit de Croquignole par Jacques Poinson, prévu pour illustrer
la réédition des œuvres complètes de Ch.-L. Philippe par les ATP.
3
« Cet aspect du personnage est l’écho d’un trait
caractéristique de Philippe lui-même peu manifeste dans
ses livres les plus lus, mais qui paraît dans ses lettres, et
qu’ont évoqué tous ses amis intimes, les “ copains d’abord “
de Carnetin.
« Il y aurait bien d’autres aspects variés de la
personnalité comme de l’œuvre à signaler. Il y a le Philippe
chroniqueur de l’actualité et des “ faits divers “ . Il y a le
conteur du Matin : il y donne quarante- neuf contes en
un an, sans sacrifier son art de la prose. Pour qui trouve
le style de ses romans un peu trop “ travaillé “ et baroque,
c’est peut-être la meilleure porte d’entrée dans son œuvre
et son monde personnel. Œuvre cruellement interrompue
par la mort à trente-cinq ans, mais qui, déjà, confirme
le beau jugement de Gide : “ Il porte en lui de quoi
désorienter et surprendre, c’est à dire de quoi durer “ » .
David Roe
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La maison natale de Charles-Louis Philippe à Cérilly,
qui abrite aujourd’hui son musée.
Merci, monsieur Roe, de nous avoir adressé un
condensé de votre belle conférence de quatre-vingtdix minutes.
Dessin pour Bubu de
Montparnasse d’Albert Marquet
Nota bene
Charles-Louis Philippe n’était certes pas inconnu des Amis de Montluçon et il est bon de rappeler que deux
de leurs membres, en 1986, M. et Mme Pierre Couderc, les fondateurs des Amis du théâtre populaire (ATP) de
Montluçon, avaient édité en cinq volumes les œuvres complètes de cet auteur, illustrées par Jacques Poinson,
et qu’en 1991, Pierre Couderc avait réuni et publié les actes du colloque tenu en septembre à Clermont-Ferrand
intitulé « Rencontre autour de Charles-Louis-Philippe » (171 pages).
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D’autre part, en 1996, Simone Raynaud, membre des Amis de Montluçon et des Amis de Charles-Louis Philippe
avait publié, aux ATP aussi, une biographie dont le titre était Charles-Louis Philippe (1874-1909), le regard pénétrant du cœur (330 pages).

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