Synthèse TRNJ 111 - la mise en cause de l`expert

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Synthèse TRNJ 111 - la mise en cause de l`expert
COLLEGE NATIONAL DES EXPERTS ARCHITECTES FRANCAIS
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111° TABLE RONDE NATIONALE JURISPRUDENTIELLE
Tenue le Vendredi 16 Mai 2002
à l’Hôtel Mercure-Carpennes 7, Place Charles Hernu, 69100 LYON-VILLEURBANE,
sous la présidence de Monsieur Henri ROUCH, Président du C.N.E.A.F.
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LA MISE EN CAUSE DE L’EXPERT
DEVANT LES JURIDICTIONS FRANCAISES
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SYNTHESE
---oOo--Introduction de :
- Monsieur Henri ROUCH, Président du C.N.E.A.F.
Interventions de :
- Monsieur VILLIEN, Conseiller à la 3 e Chambre de la Cour de Cassation,
- Monsieur DENIZON, représentant M. le Premier Président de la Cour d’Appel de LYON,
- Monsieur CHABANOL, Président de la Cour Administrative d’Appel de LYON,
- Monsieur CAVELIER, représentant M. le Président du Tribunal de Grande Instance de LYON,
En présence de:
- Monsieur CARAYOL, Président de la Compagnie des Experts près la Cour d’Appel de LYON,
- Monsieur ROUSSEL, Président de la Compagnie des Experts-Architectes de LYON.
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LA MISE EN CAUSE DE L’EXPERT...
Auxiliaire du juge, l’expert judiciaire voit son intervention
devenir de plus en plus indispensable compte tenu de progrès
constant et de la complexité croissante des techniques, mais il
est, dans le même temps, de plus en plus la cible de parties
mécontentes qui cherchent à le déstabiliser et le conduire à la
faute.
Sa responsabilité est de plus en plus souvent recherchée
Sa mise en cause reste une démarche très particulière qui
obéit aux règles du droit commun qui obligent le plaignant à faire
la preuve, sans ambiguïté, de la faute de l’expert, du préjudice
qu’il subit et du lien de cause à effet entre cette faute et ce
préjudice.
La faute, qui donne lieu à réparation, se trouve, principalement, dans le non-respect des règles de procédure.
L’erreur sera généralement technique et ne pourra engager
de réparation que si elle est fautive.
Dans le domaine particulier de la Construction, l’expert
devra s’interdire, dans l’accomplissement de sa mission, de toute
maîtrise d’œuvre, sous quelle que forme que ce soit, qui
engagerait, alors, sa responsabilité spécifique de maître d’œuvre.
Les mises en cause ne sont pas nombreuses , les condamnations restent assez rares et les cas répertoriés par les
Compagnies d’assurance sont encore rarissimes.
Il n’en demeure pas moins que l’évolution future de la
société devrait, semble-t-il, conduire à une augmentation toujours
croissante de ces mises en causes.
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Cette réunion, programmée par le COLLEGE NATIONAL DES
EXPERTS ARCHITECTES FRANCAIS et la COMPAGNIE DES EXPERTS
ARCHITECTES de LYON,ne pouvait débuter, en l’état, sans un préambule
présentant la situation et l’environnement de l’Expert judiciaire, tels qu’ils
apparaissent actuellement.
Choisi sur la liste établie par chaque Cour d’Appel ou sur la liste
nationale dressée par la Cour de Cassation, l’expert est désigné par un juge ou
un tribunal - que ce soit en matière civile, pénale ou administrative - pour lui
apporter son concours technique et l’aider à résoudre un litige.
C’est un technicien reconnu pour sa compétence et le juge et les parties
ne s’intéressent qu’à son savoir technique et procédural.
Il est reconnu, depuis toujours, par la jurisprudence administrative
comme étant un collaborateur occasionnel du service public de la Justice, avec
toutes les conséquences en découlant, notamment au regard de sa
responsabilité. Par contre, la jurisprudence judiciaire et une partie de la doctrine
ne le considère que comme un prestataire de service.
Selon les termes et le cadre de sa mission, l’expert donne son avis sur
des points de fait mais cet avis ne s’impose pas au juge qui n’a jamais
obligation de le suivre, faute de quoi primauté serait donnée à la technique sur
le droit.
Comment alors évoquer une quelconque responsabilité de l’expert
judiciaire autrement que pour une faute dans l’appréhension, la représentation
et l’analyse du fait et la remise de celui-ci dans son contexte ? Or, le nonrespect de la procédure par l’expert peut avoir comme conséquence l’annulation
de son rapport alors, qu’à ce jour, aucun texte ne lui fait obligation de connaître
celle-ci.
Honneur et responsabilité pourraient symboliser l’avis de l’expert actif,
cible de toutes les critiques lorsqu’il est dessaisi.
Dès que l’expert a déposé son rapport, le binôme Juge-Expert n’existe
plus. L’expert est seul sans pouvoir répondre alors que, de plus en plus
souvent, son rapport est critiqué, sa compétence mise en doute et sa probité
insidieusement mise en cause. Si ses conclusions déplaisent, sa rémunération
sera contestée et sa responsabilité recherchée.
Il est d’autant plus important de se pencher sur ces formes larvées de
disgrâce de l’expert que le volume des affaires et l’évolution des techniques
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conduisent la Justice à recourir, plus que jamais, aux techniciens pour des
missions de plus en plus spécialisées et complexes.
L’expert judiciaire français se trouve donc dans une situation pour le
moins paradoxale et inconfortable. Son intervention est indispensable au nom
du progrès constant et de la complexité croissante des techniques, car il est
l’auxiliaire du juge. Mais il n’a jamais été aussi peu reconnu. Objet de propos
officieux, ou officiels, toujours élogieux, d’appréciations médiatiques parfois
flatteuses, il est aussi contesté, voire attaqué, en raison d’un statut hybride et de
conditions d’exercice difficiles et délicates mais certainement perfectibles.
Pour le plaideur, tout à la passion de son procès, l’expert dont les
conclusions semblent donner tort à un plaideur devient l’homme à abattre - au
sens figuré - par les divers moyens allant des pressions de toutes sortes au
recours de plus en plus fréquent à la Justice, suivant en cela les usages
américains actuels.
La déstabilisation de l‘expert par les parties ou/et leurs avocats est, de
plus en plus recherchée. La tendance, dans certaines affaires où des intérêts
importants sont en jeu, est de mettre en cause l’expert qui sera poussé à la
faute pour non-respect de conscience, d’objectivité, d’impartialité ou du principe
de la contradiction devant, par exemple, la multiplicité des dires, quand chaque
lettre ou note d’une des parties sera annoncée comme tel et deviendra
l’occasion d’une grief procédural potentiel. L’expert devra supporter la menace
savamment distillée d’une récusation, ou sa mise en oeuvre, voire même, d’une
assignation au civil ou d’une plainte au pénal.
Le risque d’attaque judiciaire est de plus en plus actuel. Il est désormais
ressenti, non comme une menace permanente, mais comme un élément de la
trame de fond de sa mission. Or, l’expert assume une responsabilité trentenaire
de droit commun et ses assureurs refusent, au mépris d’une jurisprudence
constante de la Cour de Cassation, en particulier, d’apporter les garanties
subséquentes pour ce délai après la réactivité ou le décès de l’assuré, même au
travers d’assurances de groupe par les compagnies et les collèges. En effet, la
pérennité de ces assurances ne pouvant être garantie ne serait-ce que du fait
des résiliations possibles dans le cadre du Code des assurances ou de la
disparition d’une compagnie d’assurances. Et là, l’expert ne peut rien.
La conjonction de divers facteurs que sont, parmi d’autres, le recours à la
Justice qui se développe actuellement, la durée trentenaire de la prescription de
la responsabilité et les réticences des Compagnies d’assurances, génère la
situation actuelle.
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Cette présentation pourrait apparaître quelque peu catastrophique et polémique, mais elle s’appuie sur un fond de vérité.
Heureusement, si les mises en causes judiciaires de l’expert ne
cessent d’augmenter, elles n’aboutissent pas toujours à des condamnations,
que ce soit en matière Judiciaire ou en matière Administrative .
La Jurisprudence Judiciaire :
La mise en cause de l’Expert judiciaire reste une démarche très
particulière et très spéciale.
Dans le développement d’une procédure normale, à l’intérieur du cadre
précis du Nouveau Code de Procédure Civile, l’expert judiciaire, soumis au
contrôle du juge, pourra, tout d’abord, faire l’objet de toutes sortes d’avanies
“mineures” que sont, entre autres:
- sa récusation,
- son remplacement,
- l’annulation de son rapport, pour diverses raisons,
- la réduction de ses honoraires,
- ...
Si cela ne devait pas suffire, il pourrait alors être mis en cause, au pénal
comme au civil.
La Mise en cause au pénal est très exceptionnelle et ne se justifie que
pour les cas les plus graves, tels que :
- violation du secret professionnel,
- corruption,
- violences,
- ...
Fort heureusement, ce ne sont pas les meilleurs experts qui ont pu être
traînés devant les tribunaux correctionnels.
La mise en cause au civil obéit, quant à elle, aux règles du droit commun
et plus particulièrement de l’article 1382 du Code civil qui, stipulant que tout fait
quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel
il est arrivé à le réparer, fonde ainsi la responsabilité quasi-délictuelle, c’est à
dire autre que contractuelle.
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Cette règle s’applique, bien évidemment à l’expert, dès lors qu’il n’existe
pas de contrat le liant aux parties.
Depuis la réforme de 1985 ( cf art. 2.281 du Code Civil ), cette responsabilité n’est pas trentenaire mais décennale mais avec, cependant, la
particularité de prendre sa source à la révélation du dommage.
En l’état, une mise en cause de l’expert par une partie, qui se plaindrait
d’une faute ou d’une défaillance que celui-ci aurait pu commettre, nécessitera
donc que le plaignant prouve, sans ambiguïté, les trois éléments clés de l’article
1.382, à savoir:
- la faute, commise par l’expert,
- la préjudice, subi par la partie qui se plaint,
- le lien de causalité entre la faute commise et le préjudice subi.
La faute :
Il faut faire la distinction entre la faute et l’erreur.
Il y a faute lorsque l’expert méconnaît, dans l’accomplissement de sa
mission, l’une des règles de l’expertise judiciaire :
- non-respect du contradictoire, ( principe fondamental du Droit Français
des
et, aussi du Droit Européen, particulièrement surveillé par la Cour Européenne
Droits de l’Homme ),
- non-respect des délais,
- sous-traitance occulte,
- partialité de l’expert,
- ...
Toute faute peut donner lieu à des dommages et intérêts.
Il y a erreur lorsque l’expert donne un avis non conforme aux règles
techniques de son art. Il est reconnu, toutefois, que l‘expert ne peut être absolument infaillible.
Seule une erreur technique grave devient fautive et peut donner lieu à
réparation de la part de l’expert et justifier de dommages et intérêts.
Cependant, il n’y a pas de critère précis de distinction de l’erreur fautive
de celle non-fautive. La doctrine estime qu’est fautive l’erreur que n’aurait pas
commis un technicien moyennement consciencieux, diligent, attentif et informé.
Cette notion de “moyenne” est très difficile à apprécier. Il faut se méfier
de toutes interprétations et conclusions hâtives telle celle qui affirmerait qu’un
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individu serait moyennement à l’aise dès lors qu’il aurait, tout à la fois, les
pieds dans le four et la tête dans le congélateur.
Il y aura aussi erreur fautive, semble-t-il, lorsque l’expert:
- n’aura pas fait part au Juge du cas de récusation dans lequel il se trouve,
- acceptera une mission dépassant sa compétence.
Une erreur légère de l’expert n’entraînera pas sa responsabilité dès lors
qu’il aura:
- exécuté sa mission avec conscience et compétence : ( C. Cass. - 2° Ch. - 1966 ),
- conservé, dans son avis, son indépendance et sa liberté d’expression,
( C.A Lyon - 1981 ).
Le lien de causalité entre faute et préjudice:
Il convient, pour le plaideur, de démontrer que la faute de l’expert a eu
une incidence certaine sur la décision du juge, qu’elle a, ainsi, entraîné celui-ci
dans une voie ayant causé un préjudice à la partie en cause.
Il est bon de rappeler ici que le juge n’homologue pas et n’entérine pas le
rapport de l’expert mais qu’il ne fait que se servir de ses propositions.
C’est ainsi qu’un arrêt de la 1ère Chambre de la Cour de Cassation, dit
Arrêt Canon, précise bien que la responsabilité de l’expert - technicien - est
reconnue, dès lors que son avis aura conduit le juge - non technicien - sur une
mauvaise voie.
Ce n’est pas revenir sur la chose jugée que de demander à l’expert,
après décision du tribunal, de réparer le préjudice causé par sa faute.
Il est toutefois particulièrement difficile d’établir la preuve de ce lien de
cause à effet lorsque l’expertise abouti à des décisions judiciaires non-motivées
comme le sont les arrêts de Cour d’Assises.
Le préjudice :
Le préjudice peut être constitué d’éléments divers, tels que:
- frais exposés en pure perte du fait de retard dans la solution du litige,
- perte d’une chance de gagner ( C.A. Colmar - 1977 ),
- défaut de restitution des pièces,
- dépassement du délai raisonnable des opérations d’expertise,
( il est à noter que l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme,
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dont le respect est particulièrement surveillé par la Cour de Strasbourg, vise le
délai raisonnable d’examen des procédures et, donc, de fait, le délai des
opérations d’expertise ).
- lorsque l’expert, dans le domaine particulier de la Construction, est chargé, et
accepte, des missions :
- de maîtrise d’œuvre ( comme cela pouvait être le cas autrefois...)
- de contrôle de bonne fin,
- ...
( De telles missions ne devraient pas être données et doivent toujours être refusées.)
L’expertise dans le domaine de la Construction:
Cette expertise présente des aspects très particuliers qui peuvent justifier
de mises en cause de l’expert.
La Maîtrise d’œuvre:
L’expert qui réalise une maîtrise d’œuvre dans le cadre de son expertise
engage alors sa responsabilité spécifique de maître d’œuvre.
Les exemples ne sont pas rares. Il n’y a encore pas si longtemps, les
experts se voyaient assez fréquemment chargés, dans le cadre de leur mission
d’expertise, de la direction, de l’exécution et du contrôle des travaux de reprise
ou de remise en état.
- Premier exemple :
Le Tribunal de Grande Instance de Draguignan rend, en 1983, un
jugement précisant que l‘architecte, désigné en qualité d‘expert par décision de
justice à l‘effet de surveiller les travaux qu‘il a préconisés, peut voir sa
responsabilité engagée dans l‘exécution de sa mission s‘il commet une faute
technique grave.
- Deuxième exemple :
Une Cour d’Appel retient, dans un arrêt, que la mission confiée à l’expert
par le juge de la mise en état comprenant la direction, l’exécution et le contrôle
de tous travaux nécessaires à l’achèvement de bâtiments et de leurs abords et
à la livraison des appartements aux acquéreurs est celle d’un maître d’œuvre et
que ce juge reconnaissait l’existence de rapports contractuels entre le maître de
l’ouvrage et l’expert puisqu’il donnait acte aux parties de leur accord et, qu’en
conséquence, celui-ci doit répondre, en tant que constructeur, des désordres
affectant l’ouvrage en vertu de l’article 1792 du Code Civil.
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Il est à noter que la Cour de Cassation a cassé cet arrêt au motif que les
motifs avancés ne suffisaient pas à caractériser l’existence d’un lien contractuel
entre le maître de l’ouvrage et l’expert.
- Troisième exemple:
Ce cas a fait l’objet, en 1993, d’un arrêt de la Cour de Cassation, dit arrêt
Scherer.
Le litige porte sur des désordres affectant un immeuble construit à usage
d’hôtel.
L’expert S..., commis initialement, conclut que les infiltrations observées
résultent d’enduits de façade fortement fissurés et décollés.
Le Tribunal de Charleville-Mézières autorise alors le maître de l’ouvrage
à faire procéder, par tous entrepreneurs de son choix, sous la direction et la
surveillance de l’expert S..., à l’exécution des travaux de réfection des façades
que celui-ci avait préconisé dans son rapport.
Ces travaux sont réalisés mais ne donnent pas satisfaction et des
désordres semblables à ceux qu’ils devaient corriger réapparaissent. Le maître
de l’ouvrage assigne alors l’entreprise ayant réalisé ces travaux de reprise et
l’expert S...
Le tribunal ordonne une nouvelle expertise et commet un nouvel expert.
Cette nouvelle expertise conclut que:
- les travaux de reprise de la façade ont été correctement réalisés et ne sont
donc pas critiquables,
- les infiltrations ne proviennent pas d’un défaut d’étanchéité de la façade mais
d’un défaut d’étanchéité de la toiture terrasse et donc que la cause réelle des
dommages n’a pas été traitée.
Il apparaît ainsi que S... s’était arrêté à de premières constatations et,
négligeant toute autre possibilité vraisemblable, avait conclu sans pousser se
investigations et, en particulier, sans procéder à une mise en eau de la terrasse.
Il apparaît aussi, par ailleurs, que S... aurait choisi l’entrepreneur et fait
réaliser des travaux différents de ceux préconisés.
Le tribunal condamne S...
La Cour d’Appel de Reims est saisie. Elle relève dans son arrêt que la
mission confiée initialement à S...... était bien une mission de direction et de
surveillance de chantier relevant, indiscutablement, de la compétence d’un
maître d’œuvre et non d’un expert. Cet arrêt précise aussi que la désignation du
maître d’œuvre par une décision de justice ne fait pas obstacle à l’existence de
liens contractuels entre le maître d’œuvre et le maître de l’ouvrage, lesquels
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naissent du seul fait de l’acceptation par l’une ou l’autre partie de la décision de
nomination et de la mission.
La Cour de Cassation, saisie d’un pourvoi se limitant, dans une extrême
banalité, à la faute commise par S..., ne traite donc, fort normalement, que cet
aspect là. Tout aussi normalement, la Cour ne traite pas la question de savoir si
S... avait agi comme expert ou comme architecte dès lors que le pourvoi ignorait
cet aspect de la question.
La Cour rend un arrêt de rejet confirmant l’arrêt critiqué.
Il apparaît, par ailleurs, une certaine tendance à considérer que lorsque
l’expert “préconise”, dans le cadre de sa mission, les travaux qui lui apparaissent nécessaires pour faire cesser le désordre et réparer le dommage, il fait
acte de maître d’œuvre.
Un cas peut-être évoqué :
La quasi totalité d’un carrelage d’une piscine s’est décollé. L’expert
préconise les travaux de réparation. Ces travaux sont exécutés hors de toute
direction et tout contrôle de sa part. Cinq ans après les désordres sont aussi
importants. L’expert est assigné.
A-t-il commis une erreur technique ou une mauvaise préconisation ?
L’expert avait donné, dans son rapport, des éléments permettant à un
maître d’œuvre d’étudier et à des entreprises d’exécuter les travaux voulus en
assumant leurs responsabilités, chacun en ce qui le concerne.
Les “préconisations” de l’expert ne sont que des éléments de
programmation. Le diagnostic de l’expert doit comporter la solution - réparatrice
- du problème posé. Il appartiendra donc à l’expert de bien se limiter à un avis et
d’éviter, dans son rapport, toute rédaction telle que Description des ouvrages,
Notice descriptive ou Devis descriptif,... qui pouvant laisser croire que l’expert
s’est comporter en maître d’œuvre.
L’ évaluation des travaux:
Il est une information nécessaire au juge qui figure, évidemment, dans la
mission de l’expert: l’évaluation des travaux de reprise et de remise en état.
L’expert doit-il procéder lui-même ou faire procéder à cette évaluation par
un économiste ?
Ces solutions sont toutes possibles. Il est aussi possible de demander
aux parties de communiquer à l’expert les évaluations des travaux envisagés
qu’elles auront fait établir par un maître d’œuvre à leur service.
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Certaines juridictions ont adopté cette pratique et les missions d’expert
sont rédigées en conséquence. La situation de l’expert est alors plus confortable
car il n’aura alors qu’à apprécier les éléments qui lui seront communiqués.
Il est fréquent de voir des devis d’entreprises contactées par les parties
atteindre des valeurs hors de toute proportion avec les évaluations de l’expert,
les entreprises ayant, d’elles mêmes ou à la demande des parties, “gonflé” leur
propres évaluations.
A ce propos, un cas particulier peut être évoqué. Un expert s’est trouvé
assigné pour faire réaliser les travaux qu’il avait préconisés au prix qu’il avait
indiqué dans son rapport. ...
Cas particuliers:
Les dires:
Le propos de certains avocats est de déstabiliser l’expert. Une des
techniques utiliser pour ce faire consiste à “noyer” l’expert sous les dires, plus
ou moins réels que l’expert devra, conformément aux règles de procédure,
prendre en considération, y répondre si nécessaire et reproduire in extenso
dans son rapport.
Les travaux réalisés “au noir”:
Il arrive à l’expert de rencontrer, dans le cadre de sa mission, des travaux
exécutés et payés “au noir”. L’expert n’a pas à se prononcer sur ces
irrégularités et les qualifier, dès lors que sa mission ne porte pas sur ces faits
particuliers. Il devra veiller particulièrement à la rédaction de son rapport en ce
sens.
Le Code Pénal, en son article 40, fait obligation à quiconque de dénoncer
au Procureur les avanies dont il a connaissances. Mais cet article ne devrait
pas, semble-t-il, s’appliquer au fonctionnement des juridictions.
- La Jurisprudence Administrative :
Il existe de Listes d’Experts dans les Juridictions judiciaires mais pas
dans les Juridictions Administratives.
Ces Listes d’experts des Cours d’Appel (Judiciaires) ne sont destinées
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qu’à l’information des juges. Elles ne s’imposent donc pas aux Juges
Administratifs qui choisissent librement leurs experts.
Le déroulement de l’expertise est visé par le Code de Justice
Administrative qui stipule, en son article R 621.4 que l’expert qui, après avoir
accepté sa mission, ne la remplit pas et celui qui ne dépose pas son rapport dans le
délai fixé par la décision, peuvent, après avoir été entendus par le tribunal, être
condamnés à tous les frais frustratoires et à des dommages et intérêts?
L’expert
est en outre remplacé s’il y a lieu.
Les incidents d’expertise existent bien évidemment et des litiges opposant une partie à l’expert pourront être régler par le juge administratif., sur la
demande expresse de la partie. Le juge ne peut s’emparer d’office des
conclusions. Il est, toutefois, nécessaire et indispensable que la victime
établisse la faute, le préjudice et le lien de causalité.
Ces incidents peuvent survenir lorsque l‘expert:
- n’aura pas bien accompli sa mission,
- aura été totalement défaillant,
- n’aura pas respecté le délai qui lui était imparti :
( C.E. - 07.02.2003 ) : s’il résulte de l’instruction que l’expert a remis son rapport avec un retard d’environ quatre mois, il n’y a pas lieu, en l’absence de
préjudice établi par le requérant, de faire application des dispositions
précitées.
La tension qui existe entre les auxiliaires de justice est de plus en plus
forte mais il n’en demeure pas moins que les cas de mise en cause de l’expert
restent extrêmement limités.
Que se passera-t-il lorsque, ayant respecté ses obligations procédurales, l’expert se trompera, volontairement ou pas ?
Y aura-t-il faute ou pas ?
Si cette erreur est décelée dans le rapport, le débat contradictoire devant
le juge permettra de nettoyer ces erreurs techniques, à charge pour les parties
de les démontrer au juge.
Si cette erreur n’est décelée qu’après coup, les conséquences peuvent
être lourdes, surtout en matière de Construction.
Mais, il n’apparaît pas y avoir de jurisprudence à ce sujet.
En effet, dans l’affirmative, c’est la décision qui peut être critiquée et non
le rapport de l’expert, contrairement aux positions prises par les juges
judiciaires.
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L’expert est un collaborateur du service public. Il participe à l’œuvre de
justice, au même titre que le greffiers, les secrétaires qui travaillent au Palais de
justice ou le juge, même s’il n’est qu’un collaborateur occasionnel qui vaque à
ses propres occupations une fois sa mission terminée.
Cet situation est bien reconnue et la jurisprudence Aragon l’atteste:
l’expert qui ne peut être payé par le justiciable est en droit de se retourner vers
l’État qui assumera alors sa rémunération.
Cet expert commet donc une erreur ou, même, une faute. Le juge,
n’homologuant jamais le rapport de l’expert, est simplement éclairé par celui-ci
et prend sa décision . L’erreur qui lèse la victime est dans la décision du juge et
non avant. La faute sera donc celle du Service public.
Il est bien évident que la responsabilité personnelle du collaborateur du
Service public - l’expert, par exemple - resterait entière si, d’aventure, la faute
avait été intentionnelle.
La mise en cause personnelle de cette personne se ferait alors, au pénal,
devant le juge judiciaire.
Il n’en demeure pas moins qu’une action récursoire du service public
contre le fautif - juge, agent, greffier ou expert - est juridiquement possible afin
que l’État soit rembourser des sommes versées à la victime. C’est là une
hypothèse d’école, car il n’y a pas, à priori, en matière administrative, de
précédents et donc de jurisprudence.
Il n’est pas inutile de relever que les expertises arguées d’irrégularités
par les avocats sont encore assez fréquentes.
La jurisprudence administrative est précise.
La procédure d’expertise peut être attaquée mais si le rapport, en soi, ne
l’est pas, il sera considéré comme constituant une pièce du dossier et le juge
pourra parfaitement s’en servir. L’expert ne pourrait donc pas voir sa
responsabilité recherchée pour ces irrégularités de procédure parce qu’elles
n’auraient aucune importance sur le déroulement du litige.
Dans le domaine de la Construction:
Il est vrai que l’expert n’est pas maître d’œuvre. mais il est tout aussi vrai
que le diagnostic fait par l’expert aura des conséquences directes sur les
préconisations et sur le chiffrage, même si celui-ci est fait de façon très
grossière.
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On peut citer, à titre d’exemple, le cas d’un immeuble objet d’infiltrations:
Le juge demandera à l’expert :
- de quel immeuble s’agit-il : école, mairie,...?
- pourquoi des infiltrations dans cet immeuble ?
- est-ce la faute de l’entrepreneur ou du maître d’œuvre ?
- que faut-il faire pour qu’il n’y ait plus d‘infiltrations ?
Le juge attend que l’expert réponde à ces questions.
Cette réponse n’est qu’un avis. Ce n’est pas de la maîtrise d’œuvre.
L’expert ne doit pas faire de maîtrise d’œuvre et accepter de telle
mission. Il ne faut pas oublier qu’il s’agirait alors d’acceptation tacite qui, sans
protestation, vaudrait contrat de maîtrise d’œuvre.
- Les Assurances :
La MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS, qui couvre leurs
activités professionnelles, et donc, leurs expertises, a vu croître de façon
significative le nombre de sinistres déclarés à ce titre, mais il faut faire la
différence entre le fait d’être recherché et celui d’être condamné.
Les mises en cause notées par la M.A.F. portent, plus particulièrement,
- d’une part, sur l’aspect technique lui-même, soit:
- la mauvaise évaluation des préjudices,
- les travaux inutilement coûteux invoqués,
- la persistance des désordres,
- des erreurs de diagnostic ayant provoqué de nouveaux désordres,
- et, d’autre part, sur l’aspect purement procédural , soit:
- la durée excessive des opérations d’expertise,
- la nullité des expertises pour vices de procédure.
Le nombre des mises en cause reste très faible, en valeur absolue et il
faut noter que les procédures engagées - une centaine en 1988 - sont
abandonnées pour les trois-quarts ( 73 % ) de ces mises en causes.
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EN CONCLUSION,
Les mises en cause des experts sont réelles et leur responsabilité peut
se trouver engager, même si les condamnations sont, encore, assez rares.
Les experts doivent toujours éviter de commettre des fautes techniques
graves et veiller particulièrement à la bonne régularité de leurs opérations.
Faute de quoi leurs mises en causes seraient plus nombreuses, notre
société se dirigeant, semble-t-il, vers un système à l’américaine ou chacun a, à
ses cotés, son médecin et son avocat .
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Le Collège National des Experts Architectes Français présente, par avance, aux
Intervenants et aux Participants toutes ses excuses pour les erreurs ou les omissions qui
pourraient s’être glissées involontairement dans cette Synthèse,
à Paris, le 16 Mai 2003
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