Un directeur général d`hôpital s`exprime

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Un directeur général d`hôpital s`exprime
CORRESPONDANCE
Un directeur général
d’hôpital s’exprime
vant l’été, PHAR 41 a publié le témoignage d’un « ex-futur PH » qui exprimait sans
détour les raisons de son départ pour le secteur libéral. La Rédaction a souhaité que
l’un des 29 directeurs généraux de CHU expose son point de vue. C’est librement que
PHAR donne aujourd’hui la parole à Joël Martinez, directeur général du CHU de Caen depuis
février 2007, qui s’exprime ici à titre personnel.
A
La revue PHAR a plusieurs fois rapporté le témoignage
de médecins anesthésistes ayant décidé de quitter le
service public hospitalier pour rejoindre le secteur privé.
Dans ma carrière de chef d’établissement, et sur des
postes au Nord de la Loire et en dehors de Paris, j’ai,
hélas, très (trop !) souvent eu à échanger avec des
médecins m’informant d’une telle décision et l’exprimant
sur un mode de désenchantement.
Par tempérament personnel, dans un premier
mouvement, j’ai toujours tenu à exprimer que ce choix
était le bon, et respectable, puisque c’était le leur…
Mais, outre l’aggravation de la pénurie de temps
médicaux, il est toujours demeuré une insatisfaction
devant un choix exprimé comme l’étant par défaut :
« Dites-moi qu’elle(il) est partie pour un autre que moi
et pas à cause de moi… » chante Michel Jonasz… Il
faudrait davantage de lignes pour analyser les raisons de
ces départs et comment y remédier.
LES DÉPARTS : ÉCHEC
INSTITUTIONNEL, PROFESSIONNEL,
DÉSENCHANTEMENT PERSONNEL... ?
Les situations sont diverses et toujours intriquées.
Plusieurs raisons motivent ces défections : pénibilité
de la charge (les gardes…), manque de reconnaissance
...
Coopérations interétablissements : l’exemple du centre hospitalier des Quatre-Villes
(suite de la page 9)
sèche pour l'établissement ! Alors que, dans le même temps,
les PHAR doivent faire face à une surcharge de travail et une
présence particulièrement importante. Il va donc falloir
répondre à ces attentes.
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PHAR : Au total, comment qualifieriez-vous cette
expérience ?
IP : « Exténuante » est le premier terme qui me vient à
l'esprit, car je suis complètement submergée par le fonctionnement du centre hospitalier et toutes les problématiques
sur lesquelles il faut être en permanence en appui, en
conseil, en écoute, vigilante. Je regrette tout particulièrement de ne pas avoir de temps pour savoir ce qui se passe
ailleurs, en allant ne serait-ce qu'aux congrès de la SFAR ou
de la SRFL. Les échanges d'expériences avec d'autres
responsables me manquent…
Mais, finalement, je dirais aussi « expérience remarquablement enrichissante », surtout devant un récent bilan annuel
réellement positif avec une augmentation d'activité en
chirurgie, une médecine et un pôle femme/enfant équilibrés
budgétairement et un déficit de l'établissement qui a
quasiment disparu.
Propos recueillis par A. le Masne
COMMENTAIRE DE LA RÉDACTION
Le succès de la mission semble avoir reposé sur un gros
investissement personnel de quelques-uns, dont le Dr Pipien.
Il faut saluer ici son sens du service public, sa connaissance
du terrain, la confiance de ses collègues, qui ont contribué à
l'aboutissement de cette fusion d'établissements. Mais, on peut
déplorer que l'investissement de chacun n'ait apparemment
pas reçu une reconnaissance suffisante ou visible pour être
« exemplaire » et donner l'envie à d'autres de s'y essayer. Si l'on
veut multiplier ce genre de regroupement, il faut sans aucun
doute investir en termes de financement, de formation et de
reconnaissance pour les médecins sollicités. Sinon, c'est se
leurrer que croire que les médecins participeront pleinement à
la gestion et au devenir des structures. Car il s'agit, pour eux,
d'un deuxième métier, qui s'ajoute à leur métier de médecin,
tandis que pour les directeurs, c'est leur métier à 100 % qui
continue de s'exercer. Il y a là « une inégalité des moyens pour
faire face aux devoirs » qui, si elle perdure, risque d'aboutir à
une démotivation généralisée.
Le SNPHAR suit de près ces expériences de rationalisation de
l'offre de soin. Il est demandé aux PHAR qui y sont impliqués
de rapporter leur expérience auprès de leurs délégués régionaux.
CORRESPONDANCE
du travail (certaines rivalités entre corporations),
rémunération plus attractive... Toutes ces questions
interpellent également notre service public hospitalier
pour d’autres professions… y compris du champ
gestionnaire.
Il est vrai, notre mission hospitalière connaît, depuis
de nombreuses années, une profonde mutation dans un
environnement économique de plus en plus rigoureux,
une exigence plus forte dans l’efficience des organisations, une demande d’obligation de résultat de la part de
patients hésitant de moins à moins à mener des actions
en justice à l’encontre d’une profession médicale
particulièrement exposée.
Dans le même temps, l’augmentation de la demande
de soins ne faiblit pas, de grands enjeux de santé
publique (cancer, vieillissement) sont avancés avec des
moyens comptés et un poids réglementaire qui, souvent,
paralyse plutôt qu’il ne guide, et peut freiner les
meilleures motivations. Comme l’explique fort bien
Marie-Anne Dujarier dans son ouvrage « L’idéal au
travail », le décalage entre « travail requis » et « travail
possible » s’aggrave parfois jusqu’à la fracture, avec le
risque d’une sorte de « burn out » institutionnalisé.
LES VALEURS DU SERVICE PUBLIC
DEMEURENT ET DOIVENT ÊTRE
L’approche par le métier tend à dépasser la référence au
seul statut. Au rapport hiérarchique, pyramidal, qu’accompagnent encore trop souvent des représentations
sociales et des attitudes « prestancielles », va progressivement succèder une culture des métiers, des compétences, rendant plus synergiques nos organisations et
valorisant mieux les hommes.
TRANSMISES AUX PLUS JEUNES
C’est tout l’enjeu de la gouvernance qui doit favoriser une
organisation plus efficiente, plus souple et fédérant
Mais le service public hospitalier demeure, et il vit, malsurtout mieux, à travers les conseils de pôle, les
gré toutes ces contraintes, grâce aux valeurs qui portent
énergies professionnelles.
son fonctionnement au quotidien. Sans entonner un
Alors, s’il faut évidemment des hommes pour servir ces
discours « sacerdotal », je reste convaincu que ceux qui
valeurs, il convient également de reconnaître à un meilleur
le choisissent ont encore la flamme
niveau l’exigence, l’engagement
du principe fondamental que consqu’elles requièrent. De manière
titue la solidarité dans une société
réaliste, le temps est assurément venu
La gouvernance n’est pas
moderne et qu’incarne bien la déond’un réexamen des conditions
qu’une série de textes, mais d’exercice et, disons-le tout net, des
tologie médicale. L’égalité devant les
soins, la continuité de l’offre, quel
rémunérations. Il s’agit d’un enjeu
surtout ce qu’on en fait.
que soit le statut social, l’âge, et bien
particulièrement complexe et très
sûr, la pathologie des patients, sont
sensible en ce qu’il interroge l’histodes fondamentaux régaliens d’une
rique unicité statutaire, comme le
communauté liée par une culture des valeurs
démontre une actualité brûlante. Et c’est également dans
plutôt que par une alliance d’intérêts. Il ne faut pas
l’institution même, avec tous ses professionnels, que cette
cesser d’y croire et nous devons cultiver ce bien
question doit être débattue et la réponse trouvée, pour elle
précieux.
et pour soi, et non ailleurs et par d’autres.
“
“
...
Le service public est également riche de perspectives
d’évolution, malgré un poids structurel évident. Il faut le
montrer et, plus encore, le démontrer chaque jour aux
plus jeunes comme aux plus anciens dans le métier.
Évidemment, les témoignages que vous publiez doivent
nous interpeller tous. Il faut comprendre le changement
culturel qui s’affirme dans sa sociologie du travail.
C’est un choix, et le fait de l’avoir est, sans aucun doute,
déjà un grand privilège… et une source de motivation … pour continuer à en être acteur.
Joël MARTINEZ
Directeur général du CHU de Caen
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