Penser une formation aux TIC - Distances et Savoirs
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Penser une formation aux TIC - Distances et Savoirs
Penser une formation aux TIC Une professionnalisation des acteurs de la formation : formateurs et chefs de projet Françoise Demaizière* Brigitte Cord-Maunoury** * Université Paris 7 Denis Diderot - CFEED 2, place Jussieu - F-75252 Paris cedex 05 [email protected] ** Université Pierre et Marie Curie Paris 6 - Formation permanente 4, place Jussieu - F-75252 Paris cedex 05 Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com [email protected] Cet article envisage la professionnalisation des acteurs avec un point d’entrée pédagogique et méthodologique. Nous insistons sur l’existence de points d’appui théoriques permettant de résister à l’improvisation. Une professionnalisation doit passer par un travail fondamental sur les représentations qui permet de se penser comme professionnel de la formation. La formation de chef de projet multimédia créée il y a une dizaine d’années sur le campus Jussieu permet de montrer une mise en œuvre possible. Nous évoquons l’importance qu’y revêtent une méthodologie de l’analyse de discours et le travail sur le mémoire professionnel. Une enquête auprès d’anciens étudiants fait ressortir quelques cas de figure prototypiques. En conclusion nous encourageons une prise en compte de l’importance grandissante du management des savoirs. RÉSUMÉ. This article adopts a pedagogical and methodological approach to the training of professionals. We insist on the existence of a theoretical background that makes it possible to refrain from improvising, as is too often the case. Turning trainees into true professionals means you make them work on their representations so that they think of themselves as such professionals. A multimedia project manager diploma was created at Jussieu ten years ago, it is used as an example. We stress the way discourse analysis is introduced and the importance of training students to write their professional dissertation. A survey was conducted with former students. It brings a few prototypical situations to light. In our conclusion we hope future developments will take knowledge management more into account. ABSTRACT. professionnalisation, e-learning, représentations, culture professionnelle, méthodologie, compétences, relation pédagogique, management des savoirs. MOTS-CLÉS : professionalizing, e-learning, representations, professional culture, methodology, competence, pedagogical approach, knowledge management. KEYWORDS: D&S – 4/2003. e-formation, pages 533 à 550 534 D&S – 4/2003. e-formation Un postulat de départ : une professionnalisation d’acteurs formateurs Nous envisagerons ici la professionnalisation des acteurs du domaine « TIC (technologies de l’information et de la communication) et formation » au sens plein. Ce qui relève d’une sensibilisation ou d’un accompagnement de l’intégration des TIC dans une pratique n’est donc pas au cœur de notre propos. Nous nous intéressons à une formation qui permettra aux intéressés de se déclarer professionnels de l’usage des TIC en formation et de prétendre, par exemple, à un poste de chef de projet. Reste ensuite à définir le point d’entrée principal vers le métier. Métier de formateur ou de développeur ? Prédominance de la culture et de la technicité de la formation ou de celles du développement multimédia ? Nous nous placerons clairement du côté des métiers de la formation de manière à ne pas sacrifier les aspects pédagogiques qui doivent, pour nous, rester primordiaux. Quelques éléments de la situation actuelle Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Un milieu encore en devenir Il existe aujourd’hui un nombre non négligeable de publications, de ressources et d’organismes bien reconnus travaillant sur le champ qui nous occupe, par exemple, Algora1, le Préau2, les groupes de travail de l’Afnor3. La création récente de la présente revue est une bonne illustration du dynamisme du milieu. On remarque également des rapprochements intéressants entre domaines jusque-là trop disjoints : le premier colloque EIAH (environnements informatiques pour l’apprentissage humain) regroupant la communauté informatique et celle des sciences de l’éducation a eu lieu à Strasbourg en avril 2003 (Desmoulins et al., 2003) alors que précédemment deux colloques distincts étaient organisés. L’entreprise est prise en compte par un nombre significatif de recherches et de publications. Un certain nombre des interventions de EIAH03 s’appuyaient sur des collaborations universitéentreprise (par la réalisation de thèses dans le cadre de conventions Cifre en particulier). On ne saurait dire pour autant que l’on ait affaire à une réelle culture des TIC pour la formation. En effet, aujourd’hui encore, très souvent (pour ne pas dire le plus souvent), la mise sur pied d’un projet de formation appuyé sur les TIC est une première dans l’institution ou l’organisation concernée. Nous constatons chaque année, dans le DESS (Diplôme d’études supérieures spécialisées) de chef de projet multimédia pour la formation dont nous nous occupons (voir ci-dessous) qu’un certain nombre d’étudiants se voient proposer des stages par des organismes où aucune culture préalable n’existe. On leur demande donc de gérer le lancement d’un 1. Algora, Formation ouverte et réseaux. Voir le site http://www.algora.org 2. Le Préau, Les technologies de l’information et de la communication au service de l’éducation et de la formation. Voir le site www.preau.ccip.fr 3. Voir www.afnor.fr/prt_actu_cont.asp?ref=119&PageActu=&lang=French Penser une formation aux TIC 535 projet pour lequel on ne peut leur trouver de véritable maître de stage et d’être, de fait, à la fois stagiaires et responsables du stage. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Le e-learning : nouvel horizon ou illusions déjà perdues ? Voilà un débat qui a beaucoup agité le microcosme ces derniers temps, avec ses phases de fascination suivies par des déceptions amèrement ressenties. Nous préférerons, pour une professionnalisation des acteurs du multimédia, nous replacer dans le cadre d’une approche historique. On peut facilement mettre en évidence des discours récurrents et des retours de balancier similaires. Ces sursauts irréfléchis devraient être bien connus, on les retrouve cycliquement : le tout EAO (enseignement assisté par ordinateur), le tout simulation libre, le tout navigationnel, le tout à distance, sans intervention des formateurs. On expérimente à la va-vite, sans réflexion ni formation approfondie des acteurs et l’on constate que « ça ne marche pas ». On conclut qu’il faut donc en revenir à la « salle de classe4 » (voir Bernard Blandin, 2001) et à une utilisation de l’EAO, de l’ordinateur, de la distance… « en complément » des formes classiques. Mot magique que celui de « complément » pour changer le moins possible tout en prenant l’air du temps. Tout en restant dans un modèle classique, on va vers le présentiel enrichi éventuellement amélioré du rapport Compétice5 ou, au mieux, vers les TIC satellites de l’analyse d’Elisabeth Brodin6. Il serait plus pertinent de s’interroger sur ce que peut apporter la nouvelle importance donnée, au moins dans les discours, au travail collaboratif et aux approches socio-constructivistes7 et sur le phénomène de la distance en formation, en essayant de le « penser »: une formation à distance où la « formation est (…) traitée, et cela est primordial, "à", "par" et "pour". A l’opposé de la "formation sans distance", il y a donc prise en considération de la distance assumée dans sa pluralité et sa complexité. » (Bernard, 1999 ; p. 110). S’agissant de former aujourd’hui de futurs professionnels des TIC pour la formation, on n’oubliera pas que tous les métiers concernés ne sont pas liés au e4. Blandin, B. (2001). « Le e-learning aux Etats-Unis : enquête en Floride », Ressources, n° 63, juin/juillet. Consulté en juillet 2003 sur le site d’Algora : http://ressources.algora.org/reperes/rebonds/dossiers/floride.asp 5. Frédéric Haeuw et al. (2001). COMPETICE - Outil de pilotage des projets TICE par les compétences. Consulté sur le site d’Algora en juillet 2003 : http://ressources.algora.org/reperes/competences/formateur/competice.asp 6. Brodin, E. (2002). « Innovation, instrumentation technologique de l’apprentissage des langues : des schèmes d’action aux modèles de pratiques émergentes », Alsic, vol. 5, 2, p. 149-181. (http://alsic.u-strasbg.fr/Num09/brodin/defaut.htm - Consulté en juillet 2003). 7. Voir par exemple Alain Chaptal (2003). « Réflexions sur les technologies éducatives et les évolutions des usages : le dilemme constructiviste », Distances et savoirs, vol. 1, 1, p. 121147. 536 D&S – 4/2003. e-formation learning ou aux plates-formes de FAD (formation à distance). Il existe encore des centres de ressources dans lesquels ces professionnels pourront avoir à exercer. De même, le profil de concepteur de cédéroms n’est pas (encore) totalement obsolète : une formation à la conception de ressources pédagogiques doit envisager tous les cas de figures possibles sur le terrain professionnel effectif. Penser la formation et résister à l’improvisation Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Quel corps théorique de référence ? Certains considèrent qu’il n’existe pas de corps théorique de référence constitué, et en concluent à l’impossibilité d’une formation. On s’en tiendrait à des formations informelles, par compagnonnage ou « sur le tas ». C’était, en gros, l’argument de l’ouvrage de Serge Pouts-Lajus (Pouts-Lajus et al., 1998). Roger Guir, lui, affirme dans l’introduction de l’ouvrage qu’il a dirigé en 2002 (Guir, 2002) : « On sait qu’il n’existe aucune théorie générale des technologies éducatives. » Heureusement dirions-nous. Par contre, il ne manque pas de points d’appui théoriques (voir cidessous, la citation de Michel Develay), de domaines de références et de disciplines contributoires qui peuvent permettre de constituer un champ scientifique préparant à l’action, domaines et disciplines qui seront en retour enrichis par les questionnements et les observations venus du terrain. Nous utilisons ici à dessein des formulations de la didactique des disciplines (voir le Manifeste de l’association des chercheurs et enseignants didacticiens des langues étrangères8). La démarche théorisante, la prise de distance comptent autant qu’un corps établi de doctrine, unique et dont on essaierait de faire un enseignement de type applicatif. Savoir se poser et poser les bonnes questions reste plus important que d’essayer d’appliquer des réponses ou des recettes pensées et préparées par d’autres. La méthodologie doit prévaloir sur la méthode. Rappelons une distinction de Christian Puren (1988). Pour lui, une méthode est « un ensemble de procédés et de techniques (…) visant à susciter (…) un comportement ou une activité déterminée » tandis que la méthodologie réfère à « un ensemble cohérent de procédés, techniques et méthodes (…) capable, sur une certaine période (…) et chez des concepteurs différents de générer des cours relativement originaux par rapport aux cours antérieurs. » Une des difficultés les plus persistante de la formation est de résister à la demande de recettes et de répondre aux questions par des questions : dépasser le mirage d’une nouveauté technologique merveilleuse sinon miraculeuse et qu’il suffirait d’appliquer suivant des modèles que l’on présenterait comme sans failles (modèle étant ici à entendre au sens le plus étroit de « modèle à imiter », sans la dimension de théorisation du modèle scientifique). P. Dillenbourg et P. Jermann 8. Acedle, Association des chercheurs et enseignants didacticiens des langues étrangères (2000). Manifeste. Consulté en avril 2003 sur le site de l’association : http://acedle.ustrasbg.fr/ Penser une formation aux TIC ÃXQSWGPV NGU 537 FG NOWUCIG FO+PVGTPGV .G VGTOG GUV HQTV OCKU NQKP FOÄVTG KPCRRTQRTKÃ ´ EG SWG NOQP RGWV RCTHQKU QDUGTXGT La professionnalisation contre l’improvisation Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Lise Demailly, citée par Michel Fabre (Fabre, 1994 ; p. 105) distingue « trois types de professionnalisation : celui des professions anciennement constituées, comme la médecine, qui ont depuis longtemps trouvé un équilibre entre enseignement théorique et clinique ; ceux des métiers en voie de professionnalisation (comme ceux du secteur social), et pour lesquels l’universitarisation est à la fois un facteur de rationalisation et de reconnaissance sociale ; enfin celui des métiers déjà professionnalisés (comme ceux de l’enseignement), mais que l’on invite à changer de rationnel. Dans ce troisième cas, les processus d’universitarisation et de professionnalisation sont distincts, mal articulés entre eux et ne bénéficient pas du consensus du milieu professionnel. » Cette absence de consensus conduit à des points d’entrée divergents. On peut, par exemple, remarquer que la tendance à se lancer dans l’action sans réflexion préalable approfondie reste un grand classique. On ne peut que constater la vigueur persistante d’une véritable culture de l’improvisation pédagogique. On observe là un autre versant du refus de penser l’action de formation, complémentaire de ce que nous évoquions ci-dessus pour les méthodes et les recettes à appliquer. On se contente parfois d’une formation technique (la plate-forme et ses caractéristiques par exemple). Ailleurs on lance une formation à distance sans avoir véritablement explicité le rôle des différents acteurs. Emmanuel Duplàa et al.,9 analysent de manière percutante une formation aux nouveaux métiers de la FOAD (formation ouverte à distance) dans laquelle les formateurs eux-mêmes semblent pour le moins avoir assez mal dominé leur sujet et leurs nouveaux rôles, ces rôles qu’ils étaient pourtant censés faire appréhender aux apprenants : « Les relations à distance ne se sont pas mises en place (…) parce que les rôles de l’accompagnement n’étaient pas explicitement définis chez les formateurs, lesquels se sont de fait surtout centrés sur les séances en présence. Et si ces rôles n’ont pas été identifiés de manière significative par les apprenants c’est en partie parce qu’ils n’ont pas été mis en œuvre par les formateurs. L’apprentissage des apprenants a été davantage déterminé par la pratique des formateurs que par la théorie présentée dans les ressources hypermédias pourtant consultées. » On ne saurait mieux souligner que le chemin peut être long de la théorie à la pratique, de l’exposition par les formateurs de ce qu’il faudrait faire mais que l’on ne fait pas à l’assimilation par les apprenants. Ces derniers retiennent mieux ce qui est fait que ce qui est dit sans être mis en 9. Duplàa, E., Galisson, A., Choplin, H. (2003). « Le tutorat à distance existe-t-il ? Propositions pour du tutorat proactif à partir de deux expérimentations de FOAD », In Desmoulins, C. et al., op. cit., p. 477-484. 538 D&S – 4/2003. e-formation pratique. La sagesse populaire connaît pourtant bien l’inefficacité du « fais ce que je dis, pas ce que je fais ». On n’insistera jamais assez sur la nécessité d’une construction de savoir sur le déroulement même du dispositif comme le rappelle Didier Paquelin10. Formation initiale ou formation continue ? Compétences génériques et compétences spécifiques Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com La formation aux TIC a d’abord été une formation continue, s’adressant à des formateurs déjà en fonction. Aujourd’hui, le secteur est suffisamment attractif et porteur pour que se développent une offre et une demande en formation initiale. Ce mouvement va de pair avec une professionnalisation croissante des études universitaires. A l’époque de la mise sur pied du nouveau système d’études supérieures Licence-Master-Doctorat, le LMD, le mouvement s’accentue. Les diplômes auront une dimension recherche et une dimension professionnelle sous le même intitulé, les anciens DEA (Diplôme d’études approfondies) et DESS deviendront tous des masters ; les licences professionnelles se développent. Cette évolution pose problème à ceux qui considèrent qu’un « débutant » ne peut légitimement aspirer à un poste de type « chef de projet ». Une formation initiale n’a pas l’appui de l’expérience professionnelle des apprenants concernés. Les naïvetés de l’aspirant formateur n’ayant jamais pratiqué peuvent freiner certaines dynamiques. Par contre, la rigidité de certaines habitudes des professionnels en place est, elle aussi, parfois un obstacle. Divers modes et divers publics doivent donc être envisagés aujourd’hui. On peut espérer que ce déplacement vers la formation initiale poussera à mieux gérer le rapport entre compétences génériques et spécifiques et à cesser de faire comme si les compétences génériques du formateur étaient bien établies chez tous les professionnels. Nous renverrons à l’article classique de Roger Guir (1996) dans lequel il souligne combien la mise en œuvre d’une formation aux TIC a été, de fait, l’occasion de revenir sur des compétences génériques que l’on aurait pu supposer acquises. Se penser comme professionnel de la formation Les (pré)représentations, nouveaux rôles et mythes Nous évoquerons en complémentarité deux textes, l’un relativement ancien, l’autre plus récent. Michel Fabre (op. cit., p. 31) estime que « Former n’est pas 10. Paquelin, D. (2002). « Les ressources humaines nécessaires à la mise en œuvre de la FOAD », ministère de la Jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Desco, CNDP. La formation continue ouverte et à distance. Université d’été. Caen : CRDP de BasseNormandie (Les Actes de la Desco), p. 40-53. Penser une formation aux TIC 539 O O Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Quant à Michel Develay (2002, p. 11711) il parle « des trois leviers de la formation en général : un travail sur les représentations des participants, l’apport de points d’appui théoriques, la construction et l’analyse de pratiques. » Le travail sur les représentations est primordial : représentation de notions comme l’autoformation, l’ouverture, la distance, l’interactivité, l’hypertexte et la navigation, le collaboratif… mais aussi représentation de soi comme formateur, formateur devenant tuteur, animateur de forum… (tous ces nouveaux rôles ou nouveaux métiers dans lesquels on n’entre pas d’emblée dans bien des cas). Le fossé à franchir est bien mis en évidence par les analyses évoquées ci-dessus. Il faudra, parfois, passer par des formes de recherche-action ou de situations proches des groupes d’analyses de pratiques pour arriver aux prises de conscience et aux échanges nécessaires. Dans le texte déjà évoqué ci-dessus, Didier Paquelin passe, lui, en revue huit « modalités d’acquisition des compétences (…) formation (…) formation-action (…) recherche-action (…) séminaire de réflexion-action (…) accompagnement (…) team-building (…) groupe d’analyses de pratiques (…) réseaux d’échanges réciproques de savoirs (RERS). » On n’oubliera jamais que, en dehors même des nouveaux rôles des acteurs que nous avons déjà évoqués, les TIC ou la FOAD sont, plus généralement, souvent perçus de manière biaisée par ceux-là mêmes qui s’y intéressent et montrent parfois le plus grand enthousiasme pour ces nouveaux horizons de la formation. P. Dillenbourg et P. Jermann (op. cit., p. 180) soulignent la nécessité de déraciner les mythes dans une formation à l’usage des TIC ou d’internet. Ils notent à propos d’enseignants qui suivent une formation que « leur perception des technologies éducatives reflète souvent les discours simplificateurs que véhiculent les médias. Les didacticiens nous ont appris que les pré-représentations sont robustes, qu’elles peuvent coexister avec les connaissances transmises et resurgir à moyen terme, en particulier hors du contexte de la formation. C’est pourquoi il est opportun que toute formation aux usages pédagogiques d’Internet s’attaque à ces mythes tenaces. » Le professionnel des TIC, le chef de projet qui nous intéresse, devra savoir, à la fois, expliciter et dominer ses représentations propres, en s’appuyant sur les références nécessaires, et construire les formations et le suivi adéquats pour les équipes de formateurs, tuteurs… qu’il devra encadrer. 11. Develay, M. (2002). « Introduction à la partie II », In Guir, R.,op. cit., p. 117-125. 540 D&S – 4/2003. e-formation Le formateur et sa culture professionnelle Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Nous avons déjà évoqué le fait que les formateurs ne peuvent pas toujours mobiliser les compétences génériques de leur métier. Ils apparaissent parfois comme peu « professionnels » de ce point de vue. Ceci n’est nullement surprenant si l’on observe la (non-) formation initiale qui leur a été généralement délivrée. On se centre sur la formation disciplinaire et l’on fonctionne beaucoup, en France du moins, sur l’imitation d’enseignants « modèles », ce qui conduit à cette culture de l’improvisation face à de nouveaux outils, que nous évoquions. Pourtant, pour faire face aux évolutions nécessaires de son métier, le formateur devrait pouvoir s’appuyer sur des compétences génériques transférables d’un terrain de mise en pratique à un autre et sur une culture de son domaine d’exercice. Cette culture devrait en particulier se nourrir de références sur les différentes théories de l’apprentissage et leurs mises en œuvre dans diverses pratiques de formation. Nous insisterons également sur la pertinence d’une connaissance de l’histoire du domaine. Nous entendons par là non seulement l’histoire des diverses méthodes et méthodologies dans une discipline ou dans la formation au sens large mais également l’histoire du domaine « TIC pour la formation » (voir F. Demaizière et Colette Dubuisson, 1992 ou Jacques Naymark, 1999). L’amnésie dont semble frappée ce milieu est parfois proprement sidérante (voir Geneviève Jacquinot, 199712 ou F. Demaizière, 200113). Il est pourtant éclairant de remonter aux sources des premiers EAO et de l’enseignement programmé béhavioriste qui les sous-tendait souvent. On peut, à partir de là, tracer, par exemple, une filiation avec le courant de la PPO (pédagogie par objectifs) et voir pourquoi aujourd’hui, à côté de certains discours prônant le constructivisme, on trouve des pratiques largement béhavioristes. Remonter à Célestin Freinet ou aux pionniers de la réflexion sur l’éducation permanente ou l’autoformation (voir Philippe Carré et al., 1997) permet également de voir l’épaisseur conceptuelle de certains termes et la manière dont ils se rattachent à des réflexions et des mises en œuvre n’ayant rien à voir avec les technologies. C. Freinet s’appuyait sur le travail coopératif ou collaboratif avec de modestes moyens techniques. Des centres de ressources offrant une autoformation éducative de grande qualité ont fonctionné et fonctionnent encore avec des supports papier. De manière similaire et pour évoquer des générations de pratiques plus récentes, on voit aujourd’hui se développer une réflexion sur le tutorat en FOAD que l’on peut utilement rattacher à des analyses et des propositions déjà faites autour de l’autoformation guidée. On peut ainsi se dégager de cette tendance à penser que tout est nouveau dans les TIC, la FOAD… et les discours qui les accompagnent alors que bon nombre des réflexions et des problématiques pédagogiques préexistent et ont déjà été formulées en dehors de tout lien avec les technologies, de toute « pollution » 12. Jacquinot, G. (1997), « Pour mieux savoir ce que l’on fait, en le faisant », Educations, n° 14, p. 28-33. 13. Demaizière, F. (2001), « Outils : de l’amnésie au fantasme », Des outils pour les langues. Les dossiers de l’ingénierie éducative, n° 35, juin 2001, p. 1-4. Penser une formation aux TIC 541 technologique pourrait-on dire. En effet, la technologie démontre une irrésistible tendance, d’une part, à pousser à des retours en arrière pédagogiques auxquels on n’oserait pas se risquer dans une salle de cours classique et, d’autre part, à s’emparer de problématiques fortes pour les diluer ou les affadir. On pensera ici à des approches comme celles de la navigation ou de l’autoformation, par exemple, deux termes qui souvent aujourd’hui ne renvoient à rien de plus qu’un parcours dans une séquence ou à un travail individuel sur un poste informatique (on est alors bien loin du refus de toute hétéro formation des pionniers de l’autoformation). « Certains usages actuels ne correspondent à aucune évolution pédagogique : mettre ses notes de cours sur Internet au lieu de les imprimer est une évolution logistique davantage que pédagogique » rappellent utilement P. Dillenbourg et P. Jermann (op. cit., p. 183). Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com La technicité « informatique », point d’entrée pernicieux ? Un professionnel doit maîtriser les outils de son métier, donc aujourd’hui pouvoir devenir opérationnel sur une plate-forme de FAD par exemple ; c’est une évidence mais là n’est pas le cœur d’une formation professionnalisante à un métier de la formation, nous tenons à le redire (cf. notre postulat de départ). Entrer dans le métier uniquement par le maniement d’outils, plates-formes, systèmes auteur ou autres, conduit assez sûrement à un manque de prise de distance tant au niveau de la didactique qu’à celui de l’ingénierie de formation. C’est en général le meilleur moyen de laisser passer des occasions d’exploiter les potentialités desdits outils et de s’en tenir aux approches pédagogiques antérieures. Il sera plus profitable de faire comparer différentes plates-formes pour repérer, derrière les rôles qu’elles donnent ou refusent aux différents participants, celles qui relèvent d’une logique d’enseignement (logique traditionnelle de l’enseignement présentiel), celles qui peuvent être classées comme privilégiant l’apprentissage et permettant, par exemple, de proposer un travail collaboratif ou celles pouvant entrer dans une logique de compétences. L’outil sera alors étudié dans la perspective des dispositifs de formation et des situations d’apprentissage qu’il permet plus ou moins aisément. Le métier de formateur utilisant les TIC ou celui de chef de projet multimédia pour la formation sont distincts de celui de développeur. Exemple d’une formation Nous présenterons, à titre d’exemple (et certainement pas de « modèle »), le DESS14 Ingénierie de formation, Chef de projet multimédia organisé par l’université Paris 6 en collaboration avec l’université Paris 7 et l’Enesad-Cnerta15. 14. Voir le site du DESS : http://www.upmc.fr/fp/CIM/CIMdess.htm 542 D&S – 4/2003. e-formation Une tradition universitaire, une formation pilotée par la recherche Le campus Jussieu a abrité dès 1967 un centre (OPE, ordinateur pour l’enseignement) où recherches didactiques et applications informatiques se déployaient. Le centre de formation aux Applications pédagogiques de l’informatique y a ouvert au début des années 80. Le Centre national EAO (19851997) a pris la suite de l’OPE. Des enseignements sur l’EAO ont existé à Paris 7 dès le début des années 80. Le DESS actuel, qui fonctionne depuis une dizaine d’années, est ancré dans cette tradition. Le risque de se laisser étourdir par les dernières proclamations tonitruantes sur le e-learning ou la granularisation est donc faible. Les mises en perspective se font assez spontanément. On ne s’affichera pas plus pionnier qu’on ne l’est dans un tel cadre. La tradition universitaire se traduit également par l’appui sur une recherche et des publications dans le domaine, la responsabilité d’une collection d’ouvrages (collection Autoformation et multimédia publiée aux éditions Ophrys depuis198616), d’une revue en ligne17. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Une approche formation continue Le DESS fonctionne uniquement en formation continue (le passage au format LMD entraînera un mélange entre formations initiale et continue qu’il faudra maîtriser pour conserver les orientations générales du diplôme actuel). Il accueille des personnes désirant élargir l’éventail de leurs compétences, formateurs ou responsables de formation désirant évoluer vers un usage des TIC.Y participent des personnes en poste ainsi que des demandeurs d’emploi. Le public a toujours été très diversifié, ce qui constitue une des richesses de la formation : dans le même groupe se retrouvent des personnes venant de La Poste, de France Télécom, de l’armée, de grands musées (Le Louvre, Orsay), des membres d’ateliers pédagogiques personnalisés, d’organismes de formation de personnels hospitaliers, des formateurs en langues, en mathématiques, en bureautique, des personnes travaillant dans des banques ou des compagnies d’assurance, dans des ministères ou à la Banque de France, dans la marine marchande ou à la fédération française de ping-pong, dans de grandes entreprises ou de petites structures spécialisées dans le multimédia pour la formation… L’esprit de la formation continue se traduit par une confrontation systématique de points de vue, les étudiants enrichissant de nombreuses séquences grâce à leurs expériences propres, expériences qui s’augmentent au fil de l’année du 15. Centre national d’études et de ressources en technologies avancées. L’Enesad-Cnerta de Dijon est un établissement relevant de l’enseignement agricole. 16. Voir Pothier, M. (2003). Multimédias, dispositifs d’apprentissage et acquisition des langues. Paris : Ophrys. 17. Revue Alsic, (Apprentissage des langues et systèmes d’information et de communication), http://alsic.org Penser une formation aux TIC 543 contenu de leur stage (lequel a lieu en parallèle des sessions à l’université pendant six mois environ). Le rythme a été adapté à un public de formation continue : en gros une semaine à plein temps à l’université par mois, ce qui permet également d’accueillir en présentiel des provinciaux ou des personnes ne résidant pas en région parisienne (province, outre-mer, étranger – la dernière promotion comprenait une personne venant d’Italie et une autre de Guyane). Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Projet et équipe pédagogique La confrontation des expériences professionnelles et des points de vue personnels variés des apprenants, déjà mentionnée, est un levier puissant pour que soient données à tous les participants les compétences (culture et technicité) leur permettant d’exercer les fonctions de chef de projet dans des environnements divers (entreprises, universités, centres de formation…). L’équipe pédagogique reflète ce projet. Composée d’universitaires et d’intervenants extérieurs elle rassemble des compétences et des profils variés : chercheurs, praticiens d’entreprise, spécialistes de didactique, d’ingénierie, de sciences de l’éducation, sciences de l’information et de la communication, sciences du langage. Des personnalités du domaine, universitaires ou représentants de la société civile, sont régulièrement invitées. Les grands pôles de la formation La formation est articulée autour de sept grands pôles ainsi présentés18. Introduction à l’ingénierie de formation, conduite de projet Ce diplôme a choisi une approche globale d’ingénierie de formation et de conduite de projet ; ces approches sont essentielles pour des étudiants de formation continue, dont un certain nombre, de plus, sont inscrits à la suite d’une validation d’acquis. Environnements conceptuels de l’ingénierie de formation et du multimédia On retrouve dans ce volet de la formation les éléments évoqués ci-dessus : culture du domaine, panorama historique (de l’EAO ancien à la FOAD, histoire de la FAD…), approfondissement de notions comme l’hypertexte et la navigation, l’interactivité, l’autoformation, l’ouverture et la distance en formation, travail sur l’image, évocation de différentes générations de théories de l’apprentissage et d’approches pédagogiques. 18. On pourra remarquer que certaines formulations remontant aux origines du diplôme ne seraient pas toujours celles qui s’imposeraient dans un discours rédigé aujourd’hui ; nous gardons volontairement cet aspect ancré dans l’histoire dans l’esprit que nous avons déjà souligné. 544 D&S – 4/2003. e-formation Le projet multimédia : intégration des TIC dans un dispositif de formation Ce volet permet d’envisager les multiples cas de figures relevant d’un usage des TIC en formation et de les comparer : rôles des TIC, des intervenants, des ressources proposées aux apprenants. Un certain nombre d’interventions de professionnels présentant des projets qu’ils pilotent entrent dans ce cadre, permettant un lien essentiel entre les discours universitaires et la réalité du terrain. Certaines de ces interventions sont confiées à d’anciens étudiants du DESS particulièrement à même de s’adresser à un public qu’ils connaissent bien. Le projet multimédia : conception de produits de formation hors ligne et en ligne Dans l’esprit indiqué plus haut, on insiste plus ici sur les méthodologies de création de maquettes de ressources que sur la médiatisation proprement dite. Une perspective large est adoptée, intégrant la création d’activités diversifiées : on ne se limite pas aux échanges que l’on trouve le plus souvent aujourd’hui dans les ressources proposées en FAD, on évoque une variété de sollicitations de l’apprenant et de traitement de ses messages. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Techniques et technologies pour le multimédia de formation : état de l’art et évolutions Ce volet s’approche de plus près des aspects techniques, introduction à des langages ou outils de développement, manipulations. Dans le cadre du partenariat avec le Cnerta19, les étudiants passent une semaine à Dijon. Ils peuvent ainsi apercevoir la vie d’un gros centre de production et de pilotage de dispositifs et bénéficier de présentations techniques de haut niveau. Travaux pratiques : projet de conception multimédia Il s’agit d’un mini-projet sur un thème commun proposé à tous et sur lequel les étudiants travaillent en groupes de quatre ou cinq pendant plus de six mois. Ils doivent d’une séance à l’autre changer de rôle, étant chacun à son tour chef de projet notamment. Une présentation finale est faite par chaque groupe à toute la promotion et aux responsables pédagogiques. Préparation à la rédaction du mémoire professionnel Une demi-journée est consacrée à cette préparation lors de chacune des semaines de présence à l’université. Nous reviendrons sur le mémoire ci-dessous. Pour compléter cette présentation, nous insistons sur deux aspects importants à nos yeux : la méthodologie d’analyse des discours et le mémoire professionnel. 19. Voir note 15. Penser une formation aux TIC 545 Une méthodologie de l’analyse de discours L’équipe comprend plusieurs spécialistes de sciences du langage ou de langues, ce qui nous a conduits à accorder une importance toute particulière à l’analyse des discours et aux phénomènes bien connus des linguistes que sont l’ambiguïté inhérente au langage et les interprétations diverses auxquelles peut prêter une même formulation. La compréhension n’est qu’un cas particulier du malentendu comme le dit si bien Antoine Culioli (1990). Il s’avère que cette piste de travail liant linguistique, didactique et pédagogie est particulièrement fructueuse qu’il s’agisse d’observer des échanges pédagogiques ou les discours sur les TIC en formation. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Au niveau pédagogique il est important de sensibiliser formateurs et concepteurs de ressources à la très grande difficulté que peut constituer l’interprétation d’une consigne, par exemple. Il peut se révéler plus ardu pour l’apprenant de comprendre ce qu’on attend de lui que d’effectuer la tâche proprement dite. S’agissant de situations pédagogiques appuyées sur les TIC, où tout doit, en général, être écrit, et ce de manière brève, le problème est particulièrement aigu. (Il est évident que ce travail est relié aux problèmes d’ergonomie des logiciels et à des aspects sémiologiques et non plus seulement linguistiques quand il convient.) Au niveau des discours sur l’usage des TIC en formation, on se trouve confronté à une véritable mine de termes ambigus, au sens fluctuant, mal stabilisé, perturbé par des effets de mode. Il y a (il y a eu) les moments où tout est (était) simulation, Logo, hypertexte, e-learning… puis le vent tourne et l’on passe à d’autres approches et d’autres termes deviennent incontournables. On faisait des didacticiels, on a fait des logiciels d’autoformation, puis des ressources numériques. Les exemples sont multiples et tout un travail de prise de conscience doit être fait. On ne peut pas définir ce qu’est l’interactivité en général. On peut seulement indiquer différentes approches, donner éventuellement des références et alerter les étudiants sur le fait qu’ils doivent dans certains cas impérativement donner ou demander des éclaircissements s’ils veulent pouvoir efficacement dialoguer avec leurs partenaires ou leurs commanditaires ou interpréter des textes (textes académiques aussi bien que textes officiels ou appels d’offres…). Quant à des termes comme « autoformation » ou « formation ouverte », l’explicitation prend quelque temps et doit être réitérée. L’échange entre membres du groupe est en général fructueux et rejoint le travail fondamental sur les représentations que nous avons déjà évoqué. On pourrait également citer ici des entrées comme « tuteur », « tutorat » ou « autonomie ». Il est également utile de savoir dater et situer certains discours. Des textes écrits il y a une dizaine d’années ou plus peuvent rester parfaitement pertinents mais il faut savoir les situer et comprendre en quoi leur vocabulaire et leurs références diffèrent de ce qui est de mise aujourd’hui. Il faut savoir aussi que selon l’endroit et les interlocuteurs des références parfaitement neutres ailleurs deviendront hétérodoxes et produiront un effet que l’on ne soupçonnait pas si l’on vient avec la culture d’un autre microcosme. Il est parfaitement standard en certains lieux de parler d’enseignement, y compris d’enseignement assisté par ordinateur. Si vous le faites dans d’autres 546 D&S – 4/2003. e-formation cercles vous serez considéré comme rétrograde, béhavioriste… Ces effets des discours sont en général assez aisément mis en lumière dans la dynamique d’un groupe de formation continue où chacun a une expérience et un questionnement à apporter au débat. Nous donnons donc comme objectif important à notre formation de doter les étudiants d’habitudes leur permettant de situer les discours qu’ils entendent ou lisent et bien évidemment ceux qu’ils produisent. Ce travail de fond est lié à ce qui est demandé pour la rédaction du mémoire professionnel. Le mémoire professionnel Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Le mémoire et sa soutenance sont présentés comme relevant de compétences des futurs métiers de niveau bac + 5 : savoir écrire (une note de synthèse, un compte rendu de réunion…), savoir argumenter à l’écrit et à l’oral pour convaincre tant la hiérarchie, les décideurs, que ceux qui auront à mettre en œuvre les projets. Le chef de projet est situé dans une position intermédiaire entre les niveaux de décision et d’exécution. Le mémoire professionnel reste parfois un objet universitaire mal identifié. La voie peut être étroite entre rapport de stage et mémoire de recherche. Le mémoire professionnel doit pourtant se distinguer de l’un comme de l’autre. Un étudiant de DESS doit démontrer sa capacité à mobiliser des savoirs théoriques, des références méthodologiques telles qu’on peut les élaborer et les transmettre en milieu universitaire (on est dans le domaine des compétences d’arrière-plan telles que les définit P. Zarifian, 1999) pour analyser et traiter une situation professionnelle en apportant une solution au problème rencontré sur le terrain. Cette solution est une solution personnelle, alimentée par le savoir d’arrière-plan, et la compétence professionnelle. Elle va au-delà de la simple application d’une procédure ou d’une technique restituées telles quelles si l’on peut dire. Le contexte universitaire ne doit jamais être oublié. Le mémoire professionnel doit en toutes circonstances relier les diverses étapes de l’action aux connaissances académiques acquises (ou manquantes) et donc constituer une sorte d’analyse critique des outils académiques face aux besoins de la pratique. Il est le lieu où doit se construire la liaison harmonieuse entre points de vue académique et professionnel, entre action et réflexion, entre concepts, méthodologies et prises de décisions ancrées dans la situation professionnelle. Les effets de la formation, éléments d’enquête sur le devenir des anciens étudiants Il n’a pas été facile de garder un lien avec l’ensemble des anciens étudiants. Les remarques qui suivent s’appuient sur la cinquantaine de contacts qui ont pu être Penser une formation aux TIC 547 établis en 2003. Les anciens étudiants restés en contact avec nous expriment assez massivement une grande satisfaction (il est clair que les déçus ne se sont sans doute pas manifestés…) en particulier au niveau méthodologique. Voici un commentaire envoyé spontanément par une étudiante : « Je relis ces jours-ci des documents que j’avais archivés dans mon micro sur les TIC et la FOAD, ma compréhension n’en est radicalement plus la même. Au-delà de ce que j’ai appris cette année, ce qui est peut-être plus important encore et que je pense avoir acquis ce sont suffisamment de repères pour pouvoir continuer à progresser et apprendre par moi-même cette fois sans être accompagnée. » Plusieurs étudiants insistent sur le fait que certains enseignements ou apprentissages n’ont pleinement pris leur pertinence que plusieurs mois après la fin de la formation. De la même manière la promotion à un nouveau poste ou de nouvelles responsabilités apparaissent plusieurs fois au moins un an après le diplôme. Nous ne nous aventurerons pas à des quantifications ou des conclusions qui ne pourraient se justifier néanmoins quelques cas de figure prototypiques peuvent être dégagés. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Nouveau poste, nouveau métier correspondant au diplôme On constate de véritables départs de carrières pour des jeunes qui se cherchaient jusque-là par exemple. Un étudiant était, en tant qu’emploi jeune, chargé de l’animation d’un centre de ressources, et est maintenant chef de projet dans le domaine courrier à La Poste (ingénierie de formation, conception…). Un spécialiste de français langue étrangère est chef de projet, responsable de service, dans une société travaillant pour le site du ministère des Affaires étrangères. Pour d’autres, plus âgés, il y a quelques reconversions significatives. Ainsi un étudiant a fondé sa propre société de consultants formateurs après quatre ans passés comme chargé du multimédia dans une université de technologie. Quelques anciens sont devenus, quelques années après leur DESS, des personnalités du milieu professionnel (poste au Préau par exemple). Continuité professionnelle avec extension de responsabilités liée à l’usage des TIC Un certain nombre de responsables de formation, en particulier, demeurent dans leur poste, bénéficiant d’un éventail de compétences plus large et dans certains cas d’une promotion : responsable de la gestion d’un centre de ressources multimédias dans un groupe hospitalier ; chef de projet formations synchrones et asynchrones « finances et gestion » à France Télécom, par exemple. Stabilisation par l’usage des TIC dans un poste jusque-là précaire Un responsable du développement du site d’un grand musée signale « Je suis resté au Musée d’Orsay où, grâce au diplôme j’ai pu être détaché sur un poste d’ingénieur d’études du ministère de la Culture. » Une autre personne, travaillant pour une municipalité, affirme pour sa part : « L’obtention du DESS a radicalement 548 D&S – 4/2003. e-formation bouleversé mes perspectives professionnelles. D’un emploi précaire je passe à un statut de fonctionnaire. » Parmi les témoignages certains attirent notre attention sur le passage à de nouveaux postes du type « responsable du département FOAD ». Retour au métier d’origine, le plus des capacités intellectuelles apportées par le diplôme plutôt que du contenu On observe le cas d’un informaticien demandeur d’emploi à son entrée dans le DESS, qui est redevenu informaticien mais à un niveau de poste plus élevé. En parallèle, un formateur est redevenu formateur dans d’autres structures que celles où il opérait précédemment mais sans pour le moment s’impliquer dans des projets multimédias : certains organismes privilégient l’embauche d’une personne à double compétence dans la perspective d’éventuelles évolutions. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Effet déclencheur du stage professionnel Comme c’est souvent le cas, le stage peut permettre de déboucher sur une embauche. « Depuis septembre 2002, j’occupe le poste intitulé "ingénieur de formation langues appliquées" à la Direction des études de l’appui technique de l’Afpa. Je dois cette position en grande partie au DESS au cours duquel j’ai fait mon stage à la DEAT. J’ai ensuite été embauché comme formateur pendant 3 ans avant d’occuper le poste ci-dessus. » Conclusions Repenser la relation pédagogique Au moment de la création du diplôme il était déjà clair que les TIC (le multimédia d’alors) allaient modifier profondément les pratiques de formation et donc créer de nouveaux métiers, d’où le désir de continuer le travail pionnier des deux universités du campus Jussieu par la création d’une formation de haut niveau conduisant à l’exercice de certains de ces nouveaux métiers. La formation a évolué sous la double influence des acteurs et de l’environnement socio-économique et technologique. Nous avons pu vérifier concrètement dans l’évolution de nos pratiques pédagogiques et le devenir de nos étudiants la profondeur de la remarque de Geneviève Jacquinot (2002, p. 104) : « Les systèmes de communication éducative médiatisée articulent du technique, du social et du symbolique et ces interrelations obligent à repenser la relation pédagogique et, en conséquence, la formation de ceux qui auront à la maîtriser. » Nous avons essayé ci-dessus de mettre en évidence quelques points pertinents pour une professionnalisation raisonnée et éclairée du chef de projet « TIC pour la formation », lequel est un des acteurs-clés dont la FOAD a tant besoin aujourd’hui. Penser une formation aux TIC 549 Des TIC pour la formation au management des savoirs Aujourd’hui les savoirs (connaissances, compétences, savoir-faire…) des salariés représentent pour beaucoup d’entreprises soumises à une compétition mondiale très dure un actif stratégique essentiel, qui doit être identifié, maintenu et amélioré. Il doit donc faire l’objet d’un « management » tout particulier. Le management des connaissances ou des savoirs se développe de plus en plus et il s’appuie sur les TIC. La formation, de plus en plus appuyée sur les mêmes TIC, est, par ailleurs, un élément de ce management des savoirs. Le rapprochement des deux problématiques dans les entreprises, et au sens plus large dans les organisations (y compris les universités), s’impose et devra désormais être intégré à une formation de futurs spécialistes des TIC. Plus encore que les TIC (mais avec l’appui des TIC) ce rapprochement est de nature à faire évoluer les pratiques de formation et donc la formation des futurs responsables ou chefs de projet. C’est par un tel biais, ici encore méthodologique plus que technique, que nous souhaitons envisager l’avenir. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Bibliographie Bernard M., Penser la mise à distance en formation, Paris : l’Harmattan, 1999. Carré, P., Moisan, A., Poisson, D., L’autoformation - Psychopédagogie, ingénierie, sociologie, Coll. Pédagogie. Paris : PUF, 1997. Culioli, A., Pour une linguistique de l’énonciation, Paris : Ophrys, 1990. Demaizière, F., Dubuisson, C., De l’EAO aux NTF – Utiliser l’ordinateur pour la formation, Paris : Ophrys, 1993. Desmoulins, C., Marquet, P., Bouhineau, D. (dir.). EIAH, Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain – Actes de la conférence EIAH 2003. Paris : Atief, INRP, 2003. Dillenbourg, P., Jermann, P., « Internet au service de l’innovation », In Guir, op. cit., 2002, p. 179-196. Fabre, M., Penser la formation, Paris : PUF, 1994. Guir, R., « Nouvelles compétences des formateurs et nouvelles technologies ». Education permanente - Technologies et approches nouvelles en formation, n° 127, 1996, p. 61-72. Guir, R. (dir.), Pratiquer les TICE – Former les enseignants et les formateurs à de nouveaux usages, Bruxelles : De Boeck Université, 2002. Jacquinot, G., « Absence et présence dans la médiation pédagogique ou comment faire circuler les signes de la présence », In Guir, R., op. cit., 2002, p. 103-113. Naymark, J. (dir.), Guide du multimédia en formation, Paris : Retz, 1999. Pouts-Lajus, S., Riché-Magnier, M., L’école à l’heure d’Internet - Les enjeux du multimédia dans l’éducation, Paris : Nathan, 1998. 550 D&S – 4/2003. e-formation Puren, C., Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, Paris : CLE International, 1988. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Zarifian, P., Objectif compétence, Paris : éditions Liaisons, 1999.