La saveur d`une pastèque - Peace Watch Switzerland
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La saveur d`une pastèque - Peace Watch Switzerland
2 REGARDS LE COURRIER MERCREDI 28 JANVIER 2015 LES PATRONS FACE AU FRANC FORT RÉCITS DU NORDESTE COLOMBIEN La saveur d’une pastèque «Elle propose à tous uarante degrés les paysans une préà l’ombre. Une tendue collaboration, marche d’une elle leur promet une bonne heure récolte facile et d’imaux alentours de midi, portants bénéfices. nous allons rendre viBeaucoup se laissent site à une famille de la tenter par cette opcommunauté de Las tion qui semble plus Pavas. Un vieux monfacile, moins exigeansieur aux pieds tordus PAR te en travail. Mais en et au sourire rayonSARA réalité, c’est le début nant nous accueille KASME* de la dépendance.» La avec une immense suite de l’histoire pastèque qu’il vient malheureusement de cueillir. On se rue dessus. Ja- semble mais une pastèque ne m’a parue étrangement familière: comme aussi délicieuse. Puis je m’inter- la terre «prêtée» par le paysan roge: combien de temps a-t-il n’est en général pas très étenfallu à cet homme pour faire due, et que la palme ne devient pousser cette pastèque que j’ai rentable que sur une grande engloutie en deux temps, trois surface, l’entreprise finit par lui mouvements? «Quatre se- expliquer que la récolte a enmaines, parfois cinq. Tout pous- gendré plus de dépenses que de se ici. Il suffit que je fasse tom- bénéfices. Or comme ils sont ber une graine maintenant, et si associés, le paysan doit de l’arj’ai un peu de chance, j’aurai gent à l’entreprise! A coups de une pastèque comme celle-ci dizaines de contrats du même dans quelques semaines.» Pareil type avec des petits paysans, pour la mangue, la papaye. Un l’entreprise fait d’énormes peu rassurée, je m’applique à je- bénéfices. Les paysans se reter les graines de pastèque au- trouvent pieds et poings liés, tour de moi. Aussi un peu per- criblés de dettes et avec une terplexe. Une phrase d’Eduardo re devenue stérile. Une autre réponse à cet inGaleano, écrivain et journaliste uruguayen, me vient alors à l’es- juste paradoxe se trouverait prit: «La pauvreté de l’homme dans le nombre d’intermécomme résultat de la richesse diaires commerciaux, et dans de la terre1.» Comme c’est le cas les intérêts de ces derniers. Au dans tant de pays possédant des rang desquels certaines associarichesses naturelles incroyables, tions locales soutenues par des la qualité de vie des paysans de la organismes de coopération inrégion, leurs revenus et leur sé- ternationale, selon un paysan curité alimentaire sont particu- représentant d’une commulièrement précaires. Dans le cas nauté voisine de Las Pavas: spécifique des communautés «Notre production est d’excelque je visite, j’entrevois deux lente qualité, mais on a l’imcauses principales de ce désé- pression de ne pas voir le résultat de ce succès. Entre le prix qu’on quilibre. D’abord, la stratégie de pro- nous paie pour la récolte et celui duction et d’exploitation de auquel l’association fédératrice l’entreprise d’huile de palme le vend aux acheteurs, il n’y a installée ici (stratégie par pas de travail, aucune valeur ailleurs courante dans l’en- ajoutée outre les transactions semble du pays), que le vieil administratives. Et pourtant, le homme de Las Pavas m’expose: prix a triplé... A croire qu’ils font Q d’importants bénéfices.» Il n’en reste pas moins que l’objectif serait de réduire au minimum les intermédiaires. Or la plupart des agriculteurs n’ont pas des récoltes suffisamment importantes pour établir un contrat direct avec les acheteurs. D’autre part, les paysans n’ont en général pas les moyens, les outils ou les connaissances pour prendre en charge la transformation de la matière première – par exemple le cacao qui pourrait être vendu déjà en pâte, voire en chocolat... Ainsi, dans bien des cas, tant l’effort fourni par le paysan que les biens qu’il produit sont dévalorisés, instrumentalisés et désappropriés. Retour à Las Pavas. «Mon objectif, c’est d’élever quelques animaux, pour la viande, le lait, les œufs ou encore la graisse, mais aussi du riz et de la canne à sucre... Avec le maïs, la yuca [manioc] et les bananes plantain que j’ai déjà, je peux vivre bien avec mes deux fils. On n’a besoin de personne et on reste libre. Et si la récolte est bonne, on peut vendre un peu à l’extérieur.» La lucidité de notre hôte, sa fierté et son désir d’autonomie me donnent de l’espoir. Et renforcent ma conviction quant à l’importance du rôle d’observateur international. Contribuer à rendre l’environnement de travail des communautés plus sûr, mais aussi contribuer à conserver un espace de liberté pour leurs actions, c’est d’une certaine manière encourager le maintien de cultures agricoles indépendantes et diversifiées. Et c’est aussi préserver la saveur d’une pastèque fraîche. * Titulaire d’une maîtrise universitaire en géographie humaine, observatrice des droits humains en Colombie mandatée par Peace Watch Switzerland. 1 Eduardo Galeano (1971), Les Veines ouvertes de l’Amérique latine. sauvages se multiplient et que uand les temps sont durs les équilibres fondamentaux de et injustes pour le plus la planète et de l’humanité sont grand nombre, et que les menacés par la voracité de l’écocrédules vont répétant que nomie marchande, autiste, égoc’est le «destin» sur lequel on ne tique et court-termiste, bref, pourrait agir, certains pseudo alors que les injustices s’accroismaîtres à penser ne trouvent sent jour après jour dans une rien de mieux comme dérivatifs époque bardée de technologies que de désigner des boucs émiset de communication, la même saires à la vindicte de la foule. PAR intoxication mortifère se déveC’est une vieille parade pour BRUNO loppe sous nos latitudes par la empêcher de réfléchir seul et en CLÉMENT* désignation d’un nouveau bouc groupe afin d’identifier les émissaire: les musulmans, ou causes du malaise et du mal-être personnel et collectif et trouver des issues. plutôt LE Musulman, lui aussi désigné bientôt comme le sous-homme, le déchet de l’humanité, qu’il faut passer au karcher avant de CHRONIQUES DE RÉSISTANCE le balancer dans de nouvelles fosses communes. Alors que l’antisémitisme traîne encore ici ou là sa face hideuse, c’est l’islamophobie qui explose, liée à un racisme anti-arabe bien épais et totalement crétin quand on sait que les plus grands pays musulmans sont l’Indonésie, le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh, les Ainsi, hier, ce furent les juifs ou plutôt pays arabes ne comptant que le 20% enviLE Juif comme personnage indifférencié ron de la population musulmane mondiachargé de tous les maux des gens et du le. Et, comme avec les juifs, la stigmatisamonde et appelé à devenir la victime ex- tion ne s’embarrasse pas de respect du piatoire de cette catharsis populaire. Bien réel, confondant islamisme et islam, ne faisûr, on ne poussa pas tout de suite au bû- sant aucune différence entre sunnites, cher que fut la Shoah, ce comble de la bar- chiites et alévis, comportements cultuels barie humaine, mais on passa d’abord par et culturels (de ce point de vue, la traque au le pilori. Ainsi, avant la mise à mort, foulard islamique est la marque d’une idiod’abord la persécution et les atteintes aux tie de béotien!). L’islamophobie se nourrit personnes et aux biens et pour permettre bien sûr d’ignorance et d’absence de liens celles-ci, la stigmatisation. C’est ainsi que sociaux, mais aussi de propos vénéneux l’on vit se répandre dès la fin du XIXe et le comme ceux des Renaud Camus, Zemdébut du siècle dernier, et de manière mour et autres Soral, Houellebecq et Le croissante, des plaisanteries graveleuses, Pen (Marine...)! Dans l’histoire, bien souvent, les juifs et des récits nauséabonds, des caricatures odieuses (oui!), des films immondes. Il fal- les musulmans ont été victimes de l’oplait obscurcir les imaginaires et les perver- pression et de la violence (et souvent entir peu à peu pour que les agressions multi- semble...), que ce soit par exemple avec les formes deviennent choses banales et Croisades dont les atrocités ne sont pas asacceptables. C’est dans ce contexte qu’il sez connues, ou encore le décret de l’Alfaut comprendre l’importance qu’a prise hambra en 1492 par lequel la reine Isabelle, ladite «affaire Dreyfus», principalement en dite la très catholique, chassa à la fois les France, mais en Europe plus générale- juifs sépharades et les derniers Maures ment. La grande boucherie de 14-18 n’a d’Espagne. Toutefois, nous ne sommes pas rien ralenti et la lente montée du fascisme en Italie, puis du nazisme en Allemagne, «obligés» d’oublier l’histoire, ancienne ou ont eu comme arrière-fond la chasse aux plus récente... Bien au contraire, nous juifs et les pogroms, notamment en Po- sommes appelés à en conserver tous les enseignements et, en tant que citoyens du logne. On sait où tout cela a mené... Aujourd’hui, alors que le monde vacille monde, poursuivant chaque jour le désir dans des inégalités sociales intolérables, du vivre-ensemble, libres, égaux et fraterque la pauvreté extrême se répand au Nord nels, à combattre toute discrimination, et que le Sud s’enfonce dans une misère tout racisme, tout fascisme! noire, alors que les guerres de plus en plus * Animateur en éducation populaire. Q Les musulmans, nouveaux juifs...