Maladie Veineuse thrombo embolique et voyage aérien Pr F

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Maladie Veineuse thrombo embolique et voyage aérien Pr F
COPACAMU 2008
Maladie Veineuse thrombo embolique et voyage aérien
Pr F. Bertrand
Maladie Veineuse thrombo embolique et voyage aérien
Pr F. Bertrand
Service de Médecine Générale d’Urgence
HOPITAL ST ROCH
C.H.U. de Nice
En 1988, Cruickshank J.M. et Collaborateurs, dans le Lancet, soulignait le danger des voyages aériens
pour la survenue d’épisode thromboembolique d’origine veineuse, et instaurait le terme de
« syndrome de la classe économique ».
Si le bon sens veut que l’immobilisation prolongée associée à une compression des veines poplitées
puissent être à l’origine de thrombose, le caractère spécifique du voyage aérien dans leur survenue a
été rapidement mis en doute. Ce mécanisme physiopathologique avait déjà été souligné par plusieurs
auteurs : Virchow dès 1856, qui avait observé que la stase veineuse prédisposait à la survenue de
thrombose veineuse profonde, Simpson en 1940 qui avait constaté la survenue fréquente d’embolies
pulmonaires mortelles chez les Britanniques contraints à une immobilisation prolongée pendant le
Blitz, et Homans qui rapportait des cas de thrombose veineuse profonde des membres inférieurs
survenant lors de situation assise prolongée (réf 7,8).
Dans les suites de l’apparition de l’article Princeps sur le « syndrome de la classe économique », de
nombreuses études, de méthodologies très variables, ont voulu montrer que l’avion n’était pas seul en
cause, mais qu’une thrombose veineuse profonde, pouvait se déclarer de tout voyage prolongé quel
que soit le mode de transport utilisé. Ainsi dès 1992, R. Benoît (3) proposait-il de remplacer le terme
de « Economy class syndrome » par celui de « Travellers thromboembolic desease ».
Toutefois, malgré le caractère très discordant des études, l’organisation mondiale de la santé concluait
en mars 2001 qu’il y avait un lien probable, bien que de faible incidence, entre des vols de longue
durée et le risque de présenter une embolie pulmonaire.
Le but de notre propos est de rediscuter de la réalité du « syndrome de la classe économique » à la
lumière des différentes études parues dans la littérature.
Avion, ou pas avion ? Telle est la question : physiopathologie et son évolution
(1,3,4,7,9,15,16,17,18,20 et 21).
Initialement les mécanismes physiopathologiques de survenue de la thrombose évoqués par les
partisans de la spécificité du transport aérien, paraissaient assez clairs : la compression prolongée des
veines des membres inférieurs qui augmentait la stase veineuse, une tendance à la déshydratation et
à l’hyperosmolarité en raison de la faible hygrométrie dans les avions, enfin une inhibition de la
fibrinolyse spontanée en rapport avec le moindre taux d’oxygène de l’air ambiant (in 7).
Les études multicentriques (1,4,18,21) ont rapidement démontré que ces facteurs étaient discutables,
que tout transport pouvait être en cause, mais que le risque augmentait avec la durée et la présence
de facteurs de risques individuels de thrombose.
P. Egermaier (4) reprenant les études menées par Ferrari en 1999, Rege en 1999, et kraaijenhagen
en 2000, concluait à l’absence de preuves formelles de risques majorés de thrombose veineuse au
cours des voyages. Il soulignait en particulier que la compression des veines poplitées par un siège,
n’était pas en cause, les mêmes constatations pouvant être faites chez des voyageurs longtemps
debout, ni la déshydratation puisque l’ingestion de 2 litres de boisson chez des volontaires sains s’était
avérée insuffisante pour la prévention. Dès lors il apparaissait que malgré la très faible incidence des
thromboses, tout voyage prolongé pouvait en être responsable (3,7,9,20,21), dès lors que le voyageur
se trouvait dans une situation exposant aux crampes (9,15).
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Si ces différentes études ont établi que l’avion n’était pas seul en cause, elles ont également souligné
que la durée du trajet, quel que soit le mode de transport choisi, était corrélé à une plus grande
fréquence de la maladie veineuse thromboembolique. La durée minimale de transport devant être de
4 heures (7) à 6 heures (18), durée qui pour Ferrari (7) pourrait être un élément suffisant : puisque
75 % des voyageurs victimes d’une MVTE dans son étude n’avaient pas d’autre facteur de risque que
le voyage.
E. Perez Rodriguez, dans son étude sur les cas d’embolie pulmonaire dans le groupe des voyageurs
internationaux arrivés à l’aéroport de Madrid entre 95 et 2000 (17) conclut que l’embolie pulmonaire
est d’autant plus fréquente que le voyage a été plus prolongé, et cite l’étude de Lapostole menée à
« Charles De Gaulle », qui retrouve une augmentation du nombre d’embolies pulmonaires avec la
durée du vol, mais souligne également la présence concomitante de facteur de risque de thrombose
indépendant du voyage dans ces populations de patients. Ces facteurs de risque de thrombose sont
largement soulignés dans plusieurs études (15,16,17,18), et l’association entre facteur de risque et
voyages itératifs est particulièrement délétère (13).
Voyage de longue durée ou facteur de risque individuel de thrombose ?
Malgré le fait que Ferrari (7) souligne l’absence de facteur de risque classique chez les voyageurs
victimes de thrombose veineuse par rapport à une population témoin admise en cardiologie, il n’en
demeure pas moins que les risques individuels sont très largement soulignés dans la littérature
(3,5,6,13,14,16,17,19), allant de 72 % (13) à 100 % (17).
Le poids de chacun de ces facteurs réputés thrombogènes est cependant diversement apprécié : l’âge
supérieur à 40 ans, l’obésité, la présence d’une néoplasie évolutive, de varices, d’antécédents de
maladie veineuse thromboembolique font l’unanimité. Par contre la prise d’alcool, de somnifères
responsables d’une immobilisation absolue, la prise d’œstrogène, ou le type de siège utilisé ne semble
pas avoir de conséquences (16). Plus anecdotiquement sont soulignés les facteurs biologiques :
résistance à la protéine C activée (5), thrombocytose (17).
Des particularités cliniques ?
L’expression clinique de la maladie veineuse thromboembolique chez les voyageurs n’a aucune
spécificité. L’hétérogénéité des études ne permet pas de conclure de façon certaine au délai
d’apparition de la symptomatologie, qui va de 72 heures à une semaine (6,8,14) aussi bien dans les
séries prospectives que rétrospectives.
Maladie veineuse thromboembolique : une complication fréquente des voyages ?
L’incidence exacte de maladie veineuse thromboembolique du voyageur est inconnue, mais toutes les
études, aussi partielles qu’elles soient, s’accordent pour admettre qu’elle est faible. Les cas mortels ne
sont toutefois que la partie émergée de l’iceberg. Etablissant un parallèle avec le risque de mourir
d’une maladie veineuse thromboembolique lors de la prise de contraceptif oraux, le même auteur
estime le risque mortel de 0,25 à 0,5 % / 100 000 habitants, ce qui correspondrait à celui de mourir
foudroyé.
L’embolie pulmonaire serait la principale complication des voyages aériens, et serait responsable de 20
% des morts subites des patients sans antécédent dans cette population (6). Cependant, les études
autopsiques menées dans la population générale montrent que l’embolie pulmonaire serait à l’origine
de 60 % des décès,et que de ce fait, les voyages aériens ne seraient pas un facteur de risque notoire.
Pour les voyageurs vols internationaux arrivant à l’aéroport de Madrid (17), le risque d’embolie
pulmonaire serait de 0,39 / 1000000 passagers, mais variable avec la durée du voyage puisque estimé
à 0,25 / 1000000 de passagers pour les voyages de 6 à 8 heures et à 1,65 / 1000000 de passagers
pour des durées de voyage supérieures à 8 heures. Mais cette étude porte sur la seule embolie
pulmonaire.
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Ailleurs (18) la survenue d’une embolie pulmonaire après un voyage prolongé est estimée à 27 pour
un million de voyageurs, et celle d’une thrombose veineuse profonde à 0,05 % des voyageurs.
Enfin (20) la maladie veineuse thromboembolique du voyageur représente 3,4 % d’un collectif de 465
patients atteints de cette pathologie, pour la majorité des thromboses veineuses profondes mais
également des embolies pulmonaires ou l’association des deux. Quoiqu’il en soit, ce risque est faible
et la méta analyse la plus récente (21) fait état d’un risque relatif faible variant de 1,1 à 4, selon les
études citées.
Conseils de prévention
Les recommandations pour la prévention ont également évolué au cours du temps. Aux listes
exhaustives, ciblées sur le transport aérien, ont fait place des recommandations adaptées aux facteurs
de risque individuels (3,4,8,9,10,15,18,20).
Les mesures classiques sont recommandées à tous les voyageurs soumis à une situation d’immobilité
prolongée au-delà de 6 heures : boire abondamment pour éviter la déshydratation, éviter la prise
d’alcool et de café qui pourraient accroître la déshydratation en majorant la diurèse, se lever
régulièrement pour faire quelques pas, ou si cela est impossible, réaliser fréquemment des
mouvements de flexion et extension des pieds pour éviter la stase veineuse.
Il est souligné, non sans humour (4), que même en l’absence de preuve physiopathologique
démontrée, ces mesures ne peuvent pas faire de mal. Pour les voyageurs présentant des facteurs de
risque, la contention élastique et/ou la prescription de petites doses d’une héparine de bas poids
moléculaire sont recommandées (18,15), mais pas la prescription d’aspirine qui serait totalement
inefficace.
Thrombo-phlébite, embolie pulmonaire, et plus si affinités … ?
Depuis les années 2000, la pathologie thromboembolique du voyageur s’est enrichie d’une nouvelle
entité : l’accident vasculaire cérébral du transport (2,11,12) :
-
Eckmann (11) dans une série de 338 patients victimes d’un accident vasculaire cérébral
aigu note que 42 d’entre eux soit 12,4 % avait fait un voyage récent : les patients
concernés sont plus jeunes de 10 ans que les malades « non voyageurs », et la présence
d’un foramen ovale perméable était noté chez 44,8 % dans le groupe voyageurs contre
18, 8% dans le groupe témoin. En outre les patients du groupe voyageurs avaient moins
de facteur de risque d’accident vasculaire cérébral que les autres.
-
Kakkos (12) dans une revue récente de la littérature notait que chez ce type de patients,
une maladie veineuses thromboembolique était prouvée dans 58 % des cas mais que 11
patients sur 12 avaient un foramen ovale perméable. La survenue de l’accident vasculaire
cérébral serait plus fréquente au moment de l’atterrissage.
En conclusion :
Il paraît définitivement établi que le risque de maladie veineuse thromboembolique à l’occasion de
voyage prolongé soit une réalité. Toutefois le transport aérien n’a plus le monopole de la
responsabilité dans la genèse de cette pathologie, et il semble que les facteurs de risque individuels
soient de loin l’élément le plus important.
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