COURS DOPAGE ORSAY
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COURS DOPAGE ORSAY
1 LES CAUSES DU DOPAGE SELON LES SPORTS Christophe BRISSONNEAU Docteur en STAPS, Université Paris X nanterre Objectifs du cours : - Montrer que le sportif dopé est non seulement un être rationnel mais aussi quelqu’un qui ne triche pas forcément avec les membres de sa famille. - Différence de tension entre cyclistes sur route et athlètes. Plan du cours : I- LE CYCLISME : 1°/ Spécificités - Sport reposant sur le développement énergétique ce qui amène des quantités d’entraînement importante. C’est un sport collectif, et donc tactique. Les pratiquants sont, majoritairement, issus de CSP « populaires », ce qui permet de faire des liens avec les travaux en sociologie de la santé et du sport : autre conception de la santé, du corps, du sport, de l’éthique. - Sport professionnel dans le sens où les cyclistes sont payés puis, à partir de 1985, où des spécialistes dans leur domaine sont recrutés. C’est un sport où la notion d’entraîneur n’existe pratiquement pas. La transmission du savoir (entraînement, produits) s’effectue de bouche à oreille par les anciens, transmission sous la forme du compagnonnage. C’est pour cela qu’on parle de « famille », de culture. C’est un sport éloigné de la fédération et de ses valeurs. L’entraînement s’effectue dans des structures fermées mais sur un modèle familial. 2°/ Pourquoi prennent-ils des produits : Selon les acteurs sociaux : a) Rôle de l’entourage qui parle de son dopage, montre « l’obligation » et qui propose des produits. « Au feeling. La culture cycliste s’apprend avec autour de vous. Vous apprenez tout seul... C’est une culture ». b) Les anciens perpétuent la culture, vecteurs de transmission du savoir. c) Aux duretés du cyclisme, à un moment de fatigue générale, d’échec : rôle de l’entourage qui conseille : « Au feeling. La culture cycliste s’apprend avec autour de vous. Vous apprenez tout seul... C’est une culture, c’est une culture. » 2 d) Convivialité : le produit et son utilisation par tous contribue à perpétuer le lien social. On voit régulièrement un cycliste donner un produit à un autre, un adversaire. Certains le prennent en groupe. Ainsi, celui qui en prend seul dans son coin devient un « tricheur ». « Quand on fait les courses…untel et, voilà ». e) Vaincre la Nature : la valeur reconnue dans la famille du cyclisme, c’est le travail, voire l’acharnement au travail. La blessure est perçue comme un frein à la progression, un fait anormal que le cycliste ne maîtrise pas. La prise de produit dopant permet de rétablir la « normalité », l’aptitude à travailler. Ainsi, la qualité physique en vient parfois à être perçue comme une source d’inégalité entre coureurs, octroyée arbitrairement par la Nature. f) Remonter le moral : vin dans les années 100 à 1940, remplacé par les amphétamines puis la cortisone. « le vélo, c’est dans la longueur. Vous faîtes une étape sous la flotte. Il fait froid. Vous prenez un petit truc, qui vous réchauffe » Le poids des structures : a) la logique du sport de haut niveau : « citius, altius, fortius ». Pour toujours aller plus loin, il faut utiliser toutes les techniques possibles. Le dopage est une technique à part entière que seuls des spécialistes peuvent « bien » faire. On assiste au milieu des années 1980 à une rationalisation de l’entraînement et le dopage vient s’insérer dans la programmation de l’entraînement. On peut le voir à travers le plan d’entraînement (transparent) suivi pour une des meilleurs performances mondiales au milieu des années 1990. Certains cyclistes expliquent comment ils programment leur entraînement et comment ils y incorporent des produits différents selon les moments de la saison. b) Le niveau de connaissances liées à l’entraînement : peu d’encadrement diplômé dans les 60-80’. Une mauvaise programmation des séances entraîne des moments de fatigue importants et mal contrôlés. On « bricole » le dopage pour gérer les moments de fatigue. L’arrivée de spécialistes de l’entraînement (entraîneurs-préparateurs physiques, médecins) au milieu des années 1980, amène une vision scientifique et en conséquence une utilisation rationnelle des produits de récupération (légaux et illégaux). c) Une CSP populaire qui sous-tend une autre vision du sport (métier) et autre vision de l’éthique et de la santé (« être en bonne santé, c’est pouvoir travailler afin d’apporter un salaire). 3°/ La question de l’éthique : a) Ils se considèrent comme des professionnels, pas des amateurs. Le cyclisme est un métier, pas un hobby. b) Peut-on parler d’inégalité quand la majorité a les mêmes comportements. c) Le produit est conçu comme une technique à part entière, que ceux de l’extérieur étiquettent comme « dopant » ; c’est-à-dire comme étant inapproprié. Pour ces cyclistes, l’absorption de produits (légaux ou illégaux) est une normalité. d) Il semble donc que la prise de produits ne soit pas considéré comme une forme de tricherie au sein du peloton professionnel. 3 4°/ Ce qu’est la tricherie au sein de cette famille : Elle existe mais les normes ne correspondent pas à celle du monde ordinaire (le notre) ! a) Prendre seul sans partager. Le produit est un facteur de convivialité, de lien social au sein du peloton. b) Prendre des produits qui ne fonctionnent pas par rapport au concept de fatigue et qui remettent en jeu la hiérarchie des valeurs physiques. « Mettre diagramme ». C’est ainsi que les cyclistes estiment que le dopage, dans le sens de la tricherie, est entré dans le cyclisme au début des années 1990 avec l’arrivée de l’EPO et de l’hormone de croissance. 5°/ La question de la santé : a) Le sport de haut niveau n’est pas la santé, au contraire la maladie. Ces cyclistes se considèrent comme étant dans un état quasi-pathologique ; c’est la raison pour laquelle il demandent à être rééquilibrés hormonalement. b) Les dopés rencontrés ne prennent des produits qu’à certains moments de l’année et à certaines doses. c) Ils recherchent des médecins afin d’optimiser le ration performance/risques pour la santé. d) On ne peut donc pas affirmer que les cyclistes « dopés » ne font pas attention à leur santé. Ils sont pour la « valeur » santé mais leur expérience du haut niveau les amènent à définir les « normes » qui disent ce que sont la « bonne » ou la « mauvaise » santé. II - L’ATHLETISME : 1°/ Spécificités : C’est un sport dit « ancien », basé sur l’exploitation des facteurs énergétiques. Les quantités d’entraînement importantes qui amène une fatigue générale. Les connaissances dans l’entraînement sont amenées par des entraîneurs souvent diplômés (anciens profs EPS, cadres fédéraux) et ayant un bagage de connaissances sciantifiques. Les CSP y sont plus « bourgeoises ». L‘athlétisme était un sport très prisé par l’aristocratie et haute bourgeoisie dans les 1900-1940. Les valeurs de l’amateurisme y sont omniprésentes ce qui va amener des tensions par rapport à la prise de produits légaux et illégaux. C’est un sport qui navigue entre amateurisme (marron) et semiprofessionnalisme. Les athlètes, pour la plupart vivent grâce à un métier qu’ils ont à côté. Le haut niveau s’entraîne dans des structures fermées (différentes du cyclisme sur route) calqué sur le modèle des pays de l’Est. 2°/ Pourquoi prennent-ils des produits : 4 Selon l’acteur social a) Rôle du groupe qui donne, qui partage. On trouve des valeurs partagées et qui sont véhiculées (fatigue récurrente, besoin de récupérer, ce que font les autres à l’Est) dans le milieu. b) L’entraîneur véhicule des valeurs : s’entraîner en quantités, nécessité de grossir pour lancer loin. Il est là pour faire gagner : « Le sport c’est la guerre » nous dit un entraîneur national. c) Vaincre la Nature. On retrouve la même idée qu’en cyclisme notamment à travers Ron Clarke (champion olympique australien) qui a demandé en 2001 la légalisation de l’EPO afin de réétablir les inégalités entre ceux qui vivent en altitude et ceux qui vivent en plaine. Les premiers ont un avantage concédé par la Nature. Le poids des structures : a) la logique du sport de haut niveau : « citius, altius, fortius ». Rationalisation de l’entraînement dès les années 1960. Encadrement diplômé, au fait des connaissances scientifiques qui véhicule, sans forcément s’en rendre compte, une logique pharmacologique. b) Des conception de l’entraînement qui induisent une logique pharmacologique : Stéroïdes anabolisants pris pour grossir dans les 60-70’, pour récupérer à partir des 80’. 3°/ La question de l’éthique : a) Une CSP moins populaire (sauf en demi-fond et peut être en lancers) qui induit une autre vision du sport [hobby, détachement par rapport à la performance (fair play)]. b) Une proximité avec la fédération ( FFA) qui distille les valeurs d’amateurisme, fair play… On peut donc percevoir des « tensions » chez les athlètes entre valeurs qu’ils reçoivent dans le monde ordinaire et ce qu’ils entendent et ressentent dans leur corps dans le monde « extra-ordinaire ». 4°/ Santé : a) CSP moins populaire. La vision de la santé est importante chez les sauteurs, sprinters, moins chez les demi-fondeurs, fondeurs et lanceurs. La santé n’est pas appréciée pareillement selon les différentes familles athlétiques. b) Recherche d’un suivi biologique afin de les préserver des effets néfastes de l’entraînement intensif sur leur organisme. c) Recherche du « bon » docteur qui les aidera dans cette démarche. Certains athlètes arrêtent leur dopage quand ils n’arrivent pas à trouver le médecin qui accepterait. 5 CONCLUSIONS : Sociologiques C’est un processus lent qui s’impose à ces sportifs au fur et à mesure de leur confrontations avec les dures réalités de l’entraînement de haut niveau ( + 15-20 heures/semaine, grosse sollicitation énergétique, nécessité de gagner). A travers leurs récits de vie, on perçoit une entrée dans des structures fermées (INSEP, sections sport-études) où se développe une autre vision du corps, du sport, de la santé. Par conséquence : - Le sportif dopé agit de façon rationnelle par rapport au monde du haut niveau dans lequel il vit. - On ne prend pas un produit dopant sur un coup de tête, une normalité s’impose. - Les acteurs sociaux donnent un sens à leur pratique, sens différents de ceux du monde ordinaire. - On perçoit des différences entre les différents sports. Elles sont dues, entre autre, aux CSP qui composent les sports, la proximité avec les fédérations (porteuses de valeurs éthiques) Prévention : - Le sport n’est pas bon en lui-même. Tout dépend de la façon dont on l’utilise. Ex : On peut abîmer et détruire quelqu’un, un enfant en peu de temps. L’enfant absorbe ce que dit son entraîneur. C’est la raison pour laquelle il est le premier vecteur pour la transmission des valeurs morales et de santé. - Il faut se poser la question du sport intensif, de sa logique et de ses normes. - Il existe le sport de haut niveau (quelques centaines) et un sport amateur (des millions) avec une logique autre (santé, plaisir, socialisation). Les pouvoirs politiques donnent des budgets conséquents pour les premiers et peu pour la majorité des sportifs. - Aborder « de face » les vrais tenants du dopage. Beaucoup de campagnes « anti-dopage » s’appuient sur des arguments moralistes. Les campagnes de prévention contre les incivilités routières, la toxicomanie montrent le peu de portée de ces arguments. Les sportifs de haut niveau savent ce qu’ils font. Le facteur santé est beaucoup plus porteur.