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6 juillet 2016
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L'Union est l'atout le plus fort...
Le Royaume-Uni fait le choix désastreux du dumping fiscal
Pour renforcer sa compétitivité, la Grande-Bretagne indique vouloir réduire l'impôt sur les sociétés. Cette décision bénéficie à une City affaiblie par
le Brexit et ne pourra pas garantir la prospérité de tous
es clameurs des Cassandre qui expliquaient qu'un Brexit provoquerait l'anéantissement du Royaume-Uni devraient se révéler largement exagérées.
Comme le remarque l'économiste Steve Keen, de la Kingston University, le niveau moyen des tarifs douaniers entre l'Union européenne et les Etats-Unis est
aujourd'hui de 2 %. C'est sans doute la hauteur maximale que pourraient atteindre des tarifs douaniers de l'Union à 27 à l'égard des produits venus d'outre-Manche.
La menace d'un retour au protectionnisme des " trente glorieuses " n'en est donc pas une. La dévaluation de la livre sterling n'est pas un sujet beaucoup plus
préoccupant. Les quelques pour cent qu'elle vient de perdre vis-à-vis de l'euro sont faibles par comparaison avec la volatilité que la devise britannique affiche depuis
plus d'un an, avec ou sans perspective de Brexit. La dislocation du Royaume-Uni par rattachement de l'Ecosse ou de l'Irlande du Nord à l'Union ? Elle ne deviendrait
effective que si l'un de ces pays choisissait l'euro comme devise nationale. Nous en sommes loin. Quant à la politique commune de défense du Royaume-Uni avec la
France, par exemple, elle ne passait pas par l'Union et n'a donc aucune raison d'être remise en cause.
Non, la véritable question que pose la sortie du Royaume-Uni concerne la City. En 1976, quatre ans après l'entrée du royaume dans la Communauté européenne,
l'économie britannique, en voie de désindustrialisation massive, avait dû faire appel au FMI pour ne pas sombrer. Depuis lors, l'aventure de la dérégulation financière
et du dumping fiscal inaugurée sous Thatcher a propulsé la City au rang des premières places boursières de la planète sans pour autant résoudre le problème de
l'économie insulaire : la difficulté à financer les entreprises. Car, avec quatre décennies de recul, il est aujourd'hui clair que, même dérégulés, les marchés ne
fournissent pas le canal de financement du secteur privé susceptible d'assurer les investissements qui feront, demain, la prospérité des Britanniques, et plus
généralement des Européens.
deux options
En outre, l'expérience montre que les marchés financiers dérégulés sont la proie récurrente de bulles et de krachs financiers contre lesquels il est fort difficile de se
protéger. Le rapport que j'ai rendu en 2015 au Parlement européen sur le coût de la non-Europe bancaire montre que, en cas de crise de même amplitude qu'en 2008,
la quasi-totalité des groupes bancaires systémiques européens ferait faillite, creusant un trou d'environ 1 000 milliards d'euros dans le PIB de la zone euro, en deux ou
trois ans.
Nos amis anglais vont devoir choisir entre deux options : continuer de fonder leur prospérité sur les charmes dangereux d'une City vraisemblablement affaiblie, c'est
l'option dans laquelle Londres semble vouloir s'obstiner en annonçant la réduction de l'impôt sur les sociétés ; ou bien consentir à réguler leur place financière, ce qui
voudra dire, pour une minorité d'entre eux, renoncer aux rentes qui ont fait leur fortune depuis trois décennies. Oseront-ils entamer un changement radical de
paradigme vers un modèle de société moins financiarisé, plus résilient et moins inégalitaire ?
Pour ce qui est des rapports que l'île entretiendra désormais avec l'Union, il me semble raisonnable qu'elle s'oriente vers la voie médiane de la Suisse : l'appartenance à
l'Association européenne de libre-échange. Aller plus loin supposerait l'adhésion du royaume à l'espace économique européen, à l'instar de la Norvège, de l'Irlande et
du Liechtenstein, qui la contraindrait à accepter la libre circulation des personnes et l'essentiel de la législation européenne sans y participer.
Comment les citoyens britanniques ne prendraient-ils pas une telle option pour un déni démocratique fomenté par l'Europe ? A l'inverse, aller moins loin supposerait
de simples accords de libre-échange au cas par cas, à l'image de ce que négocie la Turquie avec Bruxelles. Londres tenterait logiquement d'obtenir un libre accès au
marché européen pour ses services financiers, mais pourrait ne l'obtenir désormais qu'au prix de fortes concessions : le marché britannique ne représente que 10 %
des exportations continentales, alors que 50 % des exportations britanniques atterrissent sur notre continent. Nos voisins ont-ils intérêt à entrer dans un rapport de
force si clairement en leur défaveur ?
les points de vigilance
En face, quels pourraient être les points de vigilance de l'Europe continentale ? La taxe sur les transactions financières à neuf devrait pouvoir être relancée : qui craint,
désormais, que les capitaux français ne traversent la Manche ? De même, l'éloignement du DFID (l'organisme britannique d'aide publique au développement) devrait
nous encourager à construire une politique européenne d'aide au développement sur le triangle Paris-Francfort-Rome, mettant nos intelligences en commun,
notamment autour de l'immense question des migrations.
Plus largement, si le vote britannique exprime bien le rejet d'un certain typede construction européenne par ceux qu'elle a laissés pour compte, la question qui nous est
posée en retour devient : sur quel projet de société voulons-nous à présent reconstruire l'ambition européenne ? A mon sens, la transition écologique, sociale et
citoyenne a vocation à devenir ce grand projet mobilisateur qui fait tant défaut à une Europe en panne de récit collectif depuis les années 1980. L'extraordinaire succès
de la COP21 peut en devenir a posteriori l'acte fondateur.
L'acte suivant, qui devrait être recommandé par le prochain rapport Canfin-Grandjean-Mestrallet, pourrait être l'émergence d'un corridor de prix carbone en
cohérence avec les engagements pris au Bourget. Le financement d'infrastructures décarbonées par la Banque centrale européenne et la Banque européenne
d'investissement pourrait être le troisième. A la concurrence marchande de l'Angleterre et du continent au sein d'une concurrence équitable pourrait succéder la seule
vraie rivalité qui vaille : une saine émulation entre projets de société.
Gaël Giraud
© Le Monde
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05/07/2016 20:36