GPL11 Entretien Francis Lamy

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GPL11 Entretien Francis Lamy
Ac tu a l it é
260n6
PROFESSIONS
« La Commission nationale
des sanctions se réserve maintenant
la possibilité d’infliger des sanctions
beaucoup plus lourdes »
260n6
Entretien avec Francis Lamy, président de la Commission nationale
des sanctions
Francis Lamy
Ce n’est que le 12 janvier dernier que la Commission nationale des sanctions a rendu son premier rapport
annuel au ministre des Finances et des Comptes publics, Michel Sapin. Prévue par l’ordonnance n° 2009104 du 30 janvier 2009 qui a transposé la 3e directive « anti-blanchiment », cette Commission concerne les
professions dites « orphelines » c’est-à-dire qui, dans le secteur non financier, ne sont pas organisées par
un ordre professionnel. Sa compétence s’étend aux agents immobiliers, aux sociétés de domiciliation et aux
opérateurs de jeux et paris, y compris en ligne. Son président, Francis Lamy, a accepté de répondre à nos
questions.
Gazette du Palais : Comment fonctionne la
Commission nationale des sanctions ?
Francis Lamy : La Commission nationale des sanctions
a été créée par une ordonnance de 2009 mais elle n’a
commencé à fonctionner que depuis 2014. Moimême, je n’ai été nommé qu’à la fin de l’année 2013.
Il a fallu recruter un secrétaire général, nommer les
membres de la Commission, les former, mettre en
place des procédures, notamment pour les autorités
chargées du contrôle. Tout cela explique pourquoi
nous publions maintenant notre premier rapport
annuel. La Commission est une autorité administrative,
indépendante, rattachée au ministère de l’Économie.
Elle est composée d’un membre du Conseil d’État qui
la préside, d’un magistrat de la Cour de cassation et
d’un magistrat à la Cour des comptes, ainsi que de
quatre personnalités qualifiées en matière juridique
ou économique, en l’espèce, un notaire, un président
d’association nationale, un universitaire et un banquier.
Chacun a un suppléant. Il est important d’avoir une
composition pluraliste qui diversifie les compétences
professionnelles. Les professions réglementées ont leur
ordre pour sanctionner le non-respect des obligations
en matière de blanchiment, les banques et les assurances
ont leur régulateur, il manquait une instance en mesure
de sanctionner les professions qui ne disposent ni d’un
ordre professionnel ni d’un régulateur, c’est notre
raison d’être. La loi nous donne la compétence pour
sanctionner les agences immobilières, les sociétés de
domiciliation et les cercles de jeux et casinos, ainsi
que les jeux en ligne. Mais l’actuel projet de loi sur la
sécurité, en cours d’examen au Parlement, comprend
un dispositif d’habilitation du Gouvernement à
prendre des ordonnances qui pourrait étendre notre
compétence à d’autres professions : les marchands de
pierres et métaux précieux, les marchands d’antiquités
et d’œuvres d’art ainsi que les agents sportifs.
Gaz. Pal. : Ces professions ont des obligations en
matière de blanchiment ?
F. L. : Oui, depuis 1998 ! Leurs obligations sont
fixées par le Code monétaire et financier. Ce sont des
obligations prudentielles, d’organisation, de formation
notamment. Par exemple, une agence immobilière doit
établir un diagnostic des risques pour identifier dans
son activité où se situent les risques de blanchiment
d’argent, puis le formaliser en mettant en place
des mécanismes de contrôle des risques, à travers
des procédures ou des modes de fonctionnement
appropriés. Cela peut consister à vérifier sa clientèle,
former son personnel, éventuellement arrêter une
relation d’affaires s’il y a un doute, ou bien encore
effectuer une déclaration de soupçon. Les entreprises
qui ne respectent pas ces obligations encourent les
sanctions de la Commission.
Gaz. Pal. : Agents immobiliers, casinos, opérateurs
de jeux en ligne, sociétés de domiciliation, c’est une
population large et hétérogène. Comment identifiezvous les professionnels qui ne respectent pas leurs
obligations ? Qui vous saisit ?
F. L. : Le législateur n’a pas prévu que la Commission
s’autosaisisse. La saisine dépend des acteurs concernés.
S’agissant des agences immobilières et des sociétés
de domiciliation, la DGCCRF, à l’occasion de ses
contrôles, vérifie notamment le respect des règles
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anti-blanchiment. Si elle constate des manquements,
elle demande au ministre de l’Économie de nous
saisir. Pour les casinos, nous pouvons être saisis par le
ministère de l’Intérieur et pour les jeux en ligne par
l’ARJEL.
Gaz. Pal. : Comment se déroule la procédure ?
F. L. : Une fois reçue la saisine du ministre, c’est le
secrétaire général qui procède à la notification de griefs.
Il envoie à la personne mise en cause une lettre de
notification qui contient les manquements reprochés
sur la base du rapport de l’autorité de contrôle et ensuite
on l’invite à faire les observations qu’elle souhaite. Le
rapporteur prépare son rapport qui est communiqué
au mis en cause, puis la personne est convoquée à
la séance d’examen de son dossier. Tout ceci se fait
dans le respect du contradictoire et avec toutes les
garanties requises devant une Commission comme la
nôtre. La personne peut se faire assister d’un avocat
ou de la personne de son choix. C’est aussi à elle qu’il
appartient de choisir si la séance sera publique ou non.
C’est d’ailleurs la première question que je lui pose :
souhaitez-vous que la porte soit ouverte ou fermée ?
La plupart des personnes souhaitent que l’audience ne
soit pas publique.
“ Au début de l’année 2016,
nous avions examiné 21 dossiers
concernant 36 personnes et prononcé
58 sanctions
”
Gaz. Pal. : Combien de dossiers de sanctions avezvous examiné au cours de votre première année
d’exercice ?
F. L. : Au début de l’année 2016, quand j’ai remis
notre rapport d’activité à Monsieur Michel Sapin, nous
avions examiné 21 dossiers concernant 36 personnes
et prononcé 58 sanctions. Chaque dossier a débouché
sur une sanction. Dès lors qu’il y a un manquement,
le minimum c’est l’avertissement pour rappeler la
personne à ses obligations. Les amendes peuvent
aller jusqu’à 5 millions d’euros, nous pouvons aussi
prononcer une interdiction d’exercer ou un blâme. Il
nous est également permis de publier la sanction dans
la presse. Certains acteurs, notamment des enseignes
prestigieuses, nous ont signalé au cours des auditions
que la publication est ce qui pourrait leur arriver de
pire avec, bien sûr, l’interdiction d’exercer. C’est le
cas des agences immobilières, mais aussi des sociétés
de domiciliation. Le risque en termes de réputation
que représenterait la publication de la sanction est
important, auprès des autres actionnaires, des banques,
de la clientèle. Le mot blanchiment fait peur, même
si nous sommes davantage en amont de l’infraction,
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au stade de la prévention. Je tiens à préciser, comme
on parle beaucoup de ne bis in idem en ce moment,
qu’une entreprise qui ne respecterait pas ses obligations
anti-blanchiment et serait par ailleurs poursuivie pour
avoir commis le délit de blanchiment pourrait être à la
fois sanctionnée par nous et sanctionnée pénalement.
Nos décisions relèvent en appel de la juridiction
administrative, de sorte qu’il manque une des quatre
conditions posées par le Conseil constitutionnel pour
appliquer le principe de nécessité des peines. Par
ailleurs, il me semble que l’objet de la sanction n’est pas
le même puisque nous intervenons sur les dispositifs
prudentiels, et nous sanctionnons leur absence ou
insuffisance de mise en place, alors que le juge pénal
sanctionne le délit de blanchiment. Les fautes sont
d’une nature différente et les sanctions ont un objet
différent.
Gaz. Pal. : À la lecture de votre rapport annuel l’on
constate que les sanctions les plus fréquemment
prononcées sont l’amende et l’interdiction d’exercer
avec sursis. La plus haute amende s’élève à 8 000
euros, ce n’est pas très élevé…
F. L. : Nous avons prononcé dans un cas une
interdiction définitive. Il s’agissait d’une personne
qui se présentait comme le responsable d’une agence
immobilière alors qu’elle vivait à l’étranger et que
l’agence était dirigée de manière effective par une autre
personne. L’agence, en tant que personne morale,
s’est, elle, vu infliger une interdiction d’exercer, mais
avec sursis. Les sanctions prononcées cette année en
effet peuvent ne pas paraître très lourdes au regard du
maximum possible : 5 millions d’euros. Au cours de
cette première année, la Commission a aussi voulu
mettre en avant son rôle pédagogique. Le seul fait
de convoquer les personnes dans bien des cas suffit à
leur faire prendre conscience de leurs obligations. Les
membres de la Commission peuvent d’ailleurs en séance
les aider à se mettre en conformité par leurs observations
et en répondant à leurs questions. Par ailleurs, nous
tenons compte de la gravité du manquement et de la
situation de l’entreprise concernée. La Commission
n’est évidemment pas là pour mettre des entreprises
sur la paille, mais pour rappeler l’importance du respect
des règles anti-blanchiment. Par exemple, la sanction
pécuniaire de 8 000 € a été infligée au dirigeant d’une
agence immobilière en région parisienne. C’était une
maison fondée depuis les années 1950 par un dirigeant
toujours en place qui refusait de faire évoluer son
organisation, malgré un premier contrôle avant celui
qui a conduit à nous saisir. Par ailleurs nous publions
nos décisions sous forme anonymisée pour que les
professionnels concernés prennent conscience qu’il
existe une autorité susceptible de les sanctionner s’ils ne
respectent pas leurs obligations. Mais maintenant que
l’existence de la Commission commence à être connue
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la Commission se réserve la possibilité d’infliger des
sanctions beaucoup plus lourdes dès lors que la gravité
des faits le justifiera.
Gaz. Pal. : Dans l’introduction de votre rapport vous
tenez un discours ferme sur la nécessité pour les
acteurs, leurs associations et syndicats de prendre
leurs responsabilités et de se mettre en conformité.
F. L. : Par définition, la Commission ne voit que ce
qui ne va pas, néanmoins de nos échanges avec les
professionnels mis en cause, nous constatons qu’ils
ignorent assez largement leurs obligations. Soit ils
ne savent même pas qu’ils ont des règles à respecter,
soit ils en ont une vague idée et pensent qu’il suffit
de demander au maximum au client sa carte d’identité
pour être en conformité avec la réglementation. Ces
obligations, rappelons-le, existent depuis 1998. Les
autorités de contrôle font régulièrement des réunions
avec les professionnels ou avec leurs organisations
professionnelles et les réseaux. Dans l’immobilier il y
a 43 000 agences, les organisations et les réseaux ont
donc un rôle particulier à jouer et c’est à eux d’assumer
leur responsabilité. Le blanchiment d’argent est un
fléau, qu’il s’agisse du produit de la fraude fiscale ou
d’activités criminelles, ou de blanchiment en vue du
financement d’activités terroristes. Les tragédies que
notre pays a connues avec les attentats terroristes de
l’année dernière doivent rappeler à tous ceux qui ont
une responsabilité particulière en matière de prévention
du blanchiment qu’ils doivent pleinement l’exercer.
Pour les professionnels qui relèvent de la compétence
de la Commission nationale des sanctions cela signifie
qu’ils doivent mettre en place les dispositifs prudentiels
et de contrôle que leur impose la loi, le Code monétaire
et financier, éclairé par les lignes directrices de la
DGCCRF.
Propos recueillis par Olivia Dufour
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