L`AMANITE TUE-MOUCHE NE MERITE PAS SON NOM
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L`AMANITE TUE-MOUCHE NE MERITE PAS SON NOM
L'AMANITE TUE-MOUCHE NE MERITE PAS SON NOM. HALLUCINANT, NON ? (Nous verrons pourquoi un peu plus loin). Par Daniel MARIN Septembre revient et avec lui, l'Amanite Muscarine, que l'on apercevra jusqu'à fin novembre, très souvent à proximité des bouleaux et des conifères, arbres avec lesquelles elle forme des mycorhizes. Elle est largement répandue dans tout l'hémisphère nord, Eurasie et Amérique, jusqu'à des latitudes très septentrionales. Le nom de l'Amanite viendrait du grec Amanas, une montagne de Cilicie où ce champignon était abondant. Amanita muscaria est très facile à identifier : son chapeau rouge et convexe peut atteindre 25 cm de diamètre et est couvert de petites verrues blanches. Ce sont les restes de la volve. Les taches peuvent partir avec la pluie et la couleur du chapeau tendre vers l'orangé. Le pied blanc porte un anneau et se termine par un bulbe arrondi entouré de bourrelets. D'où vient le nom de tue-mouche ? En 1349, un des premiers livres d'histoire naturelle, publié en Allemagne, affirmait que le jus d'A. Muscarine, mélangé à du lait, tuait les mouches. Pourtant, même si celles-ci sont intoxiquées par les alcaloïdes, cela ne les tue pas. Son utilisation comme insecticide serait (ou aurait été) commune dans les fermes de l'Europe de l'Est, dans les cuisines desquelles on trouve un plat rempli de lait où baigne un chapeau de ce champignon. Les mouches, attirées par le lait, s'intoxiquent avec les alcaloïdes secrétés par le champignon, mais se réveillent après une trentaine d'heures de sommeil. Expérience à tenter ? A. muscaria exerce trois actions principales : action toxique due à la muscarine, action hallucinogène due au muscinol et à l'acide iboténique, action sédative et hypnotique due à la muscazone. Sa consommation reproduit les symptômes d'une affection gastro-intestinale sévère, mais surtout provoque des convulsions suivies d'un état d'ébriété, puis d'une période de sommeil profond. En état de stupeur, l'intoxiqué a des visions très vives, puis se réveille très gai et bouillonnant d'activité, ses nerfs ayant été fortement stimulés. Le moindre effort musculaire se traduit par des réactions physiques très exagérées. Des maux de tête peuvent se déclarer au réveil. L'Amanite tue-mouche contient de la mycoatropine. Celle-ci, surtout concentrée dans le revêtement coloré du chapeau, est un composé très instable, se dégradant rapidement en séchant pour donner cette fameuse muscarine, beaucoup plus toxique. (1) Connue depuis le 19ème siècle, la muscarine ne fut isolée qu'en 1931 et il fallut attendre 1953 pour l'obtenir pure à partir du chlorure de muscarine. EUGSTER, à partir de 124 kg de champignons, réussit à obtenir 260mg de muscarine, soit 0,0002% du poids frais ou 2 mg par kg. A. muscaria, contenant une très faible quantité de muscarine, ne peut être responsable du syndrome muscarien. (On dit aussi sudorien ou myco-atropinien). Les espèces responsables de ce syndrome appartiennent aux genres Clitocybe et Inocybe et parmi les Amanites, A. Panthera en contient beaucoup plus que Muscaria. Chez les Clitocybes, la muscarine est présente à une concentration de 10 à 50 mg par 100 g de ces champignons. La dose mortelle pour un adulte est estimée à 180 mg de muscarine.(2) C'est seulement en 1970 que devaient être identifiés les principaux alcaloïdes psychoactifs, l'acide iboténique et le muscinol. Cet acide est relativement peu hallucinogène, mais au fur et à mesure du séchage de A. muscaria, il donne naissance au muscinol (par perte d'une molécule de CO2). Si l'acide iboténique est hallucinogène à une dose de 100 mg, le muscinol l'est à partir d'une dose beaucoup plus faible, 10 à 15 mg. Une partie importante du muscinol se retrouve dans l'urine (ce qui explique certains comportements que nous verrons plus loin). Enfin la muscazone, qui a des effets sédatif et hypnotique, se forme également à partir de l'acide iboténique. Ainsi, au cours du séchage du champignon, la concentration en acide iboténique diminue tandis que celle en muscinol et en muscazone augmente et donc ses propriétés hallucinogènes aussi. (1) Cela expliquerait peut-être que ce champignon soit consommé sans inconvénient en Italie du Nord. Est-il localement dépourvu de composés toxiques ou les pratiques culinaires sont-elles différentes ? Le fait de retirer la cuticule ou d'éliminer l'eau de cuisson semblerait diminuer considérablement les risques d'intoxication. (2) Dorothy Sayers, un auteur de romans policiers un peu oublié, publié dans la collection Le Masque, a utilisé la muscarine dans un de ses livres. Un amateur de champignons est trouvé mort pour avoir confondu, semble-t-il, l'A. Muscaria avec l’A. rubescens. Le fils de la victime refuse de croire que son père ait pu commettre une erreur aussi grossière. Une enquête rigoureuse révèle que le père a été empoisonné avec de la muscarine de synthèse. Le meurtrier est découvert et sa culpabilité établie grâce au témoignage d'un chimiste démontrant, qu'en laboratoire, on peut distinguer la muscarine naturelle de la synthétique. ETHNOMYCOLOGIE. L'ethnomycologie étudie la relation entre l'homme et les champignons, particulièrement les champignons hallucinogènes et notamment l'usage de A. muscaria dans le folklore et la religion. Nous quittons là le domaine des sciences exactes pour celui des théories et interprétations parfois surprenantes. L'amanite est sans doute le plus ancien des champignons hallucinogènes et a été utilisé jusqu'à notre époque en Sibérie, lors de rites chamaniques destinés à « communiquer avec les esprits ». En ethnologie, on explique généralement la naissance des religions par la transmission de l'hallucination du grand prêtre aux fidèles. Le renne consomme à satiété les amanites qui se trouvent à profusion dans les forêts nordiques. Il semble qu'il soit alors lui-même intoxiqué et présente des comportements bizarres. L'un des intérêts de la domestication des rennes, en Sibérie et en Scandinavie, était de recueillir plus facilement leur urine. Au Kamchatka, les shamans buvaient l'urine des rennes et faisaient ensuite boire la leur par les fidèles selon un ordre hiérarchique. Le muscinol pouvait ainsi se transmettre jusqu'à six fois. Les buveurs d'urine évitaient en grande partie l'affection gastro-intestinale, inévitable si le champignon était consommé directement. Pour vaincre la peur et être invincible, les Vikings, également appelés Berserker, c'est-à-dire intrépides, sans peur, buvaient de la « bière dans laquelle avait macéré de l'Amanite muscarine ». Cette bière, en fait, aurait été de l'urine contenant une grande quantité de muscinol. Tous les auteurs intéressés par l'aspect folklorique de l'A. Tue-mouche font référence au Père Noël, qui serait l'Odin de la mythologie scandinave, christianisé en Saint Nicolas, puis à nouveau paganisé en Amérique avec le Père Noël avant de nous revenir en Europe. Ce robuste vieillard au bonnet rouge et à la barbe blanche, conduisant son traîneau tiré par des rennes, serait la représentation de l'A. Muscaria, champignon mythique que l'on retrouve parmi les décorations du sapin de Noël, sur la bûche de Noël, sur les cartes de voeux et sur différents petits objets porte-bonheur. J'espère donc que désormais, c'est avec crainte et respect que vous admirerez ce champignon à la réputation sulfureuse. Daniel MARIN