Séries de Fourier absolument convergentes

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Séries de Fourier absolument convergentes
SÉRIES DE FOURIER ABSOLUMENT CONVERGENTES
THÉORÈME DE WIENER
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Hubert Hennion
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Théorème
Soit f une fonction continue 2π-périodique ayant une série de Fourier absolument convergente. Alors, si f ne s’annule pas, la série de Fourier de la fonction 1/f est absolument
convergente.
Il y a de multiples manières de prouver ce théorème dû à Norbert Wiener. Le but de
cette note est d’exposer la preuve élémentaire qu’en a donné D. J. Newman(1) . Cette preuve
utilise des résultats sur les séries de Fourier absolument (ou normalement) convergentes qui
font partie de la théorie élémentaire et ne sauraient être omis dans une leçon sur le sujet.
Dans une première partie A, on énonce ces résultats sous une forme adaptée aux besoins
ultérieurs. Ils sont accompagnés de brèves démontrations destinées à rafraichir la mémoire
du lecteur, qui cependant doit pouvoir les retrouver dans la littérature en consultant, par
exemple, Z.Q(2) , Théo III.6, p. 83. La partie B est consacrée à la preuve du Théorème de
Wiener. On y verra comment l’introduction d’une algèbre de Banach adaptée permet une
démonstration simple.
Comme le lecteur pourra s’en convaincre le théorème et sa preuve peuvent figurer
dans les leçons traitant de sujets tels que : séries de Fourier, espaces de fonctions, espaces
complets.
Notations et rappel
On désigne par L1 (I
R/2πZZ) (resp. C(I
R/2πZZ)) l’espace des fonctions de R
I dans C
I
mesurables, 2π-périodiques, intégrables sur [−π, +π] (resp. continues, 2π-périodiques).
L’espace C(I
R/2πZZ) est muni de la norme uniforme k · ku .
Les coefficients de Fourier d’une fonction f ∈ L1 (I
R/2πZZ) sont notés cn (f ), n ∈ ZZ,
R +π
1
−inx
cn (f ) = 2π −π f (x)e
dx.
P
On rappelle que, pour une suite (un )n∈ZZ de nombres complexes, le symbole n∈ZZ un
P+N
désigne la limite lorsqu’elle existe des sommmes partielles n=−M un lorsque les entiers
M, N tendent (indépendamment) vers +∞.
A. SÉRIES DE FOURIER ABSOLUMENT CONVERGENTES
Proposition A.1
P
(i) Soit (un )n∈ZZ ∈ C
I ZZ telle que n∈ZZ |un | <P+∞. La formule
∀x ∈ R,
I
S(x) = n∈ZZ un einx
définit une fonction S ∈ C(I
R/2πZZ) telle que, pour tout n ∈ ZZ, cn (S) = un .
P
(ii) Soit f ∈ L1 (I
R/2πZZ) telle que n∈ZZ |cn (f )| < +∞. On a
(1)
(2)
D. J. Newman, A Simple proof of Wiener’s
1/f
Theorem, Proc. Amer. Math. Soc. Vol 48, 1, (1975).
Cl. Zuily, H. Queffélec, Eléments d’Analyse pour l’Agrégation.
1
P
f (x) = n∈ZZ cn (f )einx p.p.
En particulier, f est égale presque partout à une fonction continue.
(3)
Preuve
P
(i) Puisque supx∈IR |un einx | = |un |, la série n∈ZZ un einx converge normalement, donc
uniformément sur R.
I La fonction S est donc définie, continue et évidemment 2π-périodique. La convergence uniforme mentionée permet le calcul des coefficients de Fourier de
S par intégration termes à termes P
dans la série, d’où cn (S) = un , n ∈ ZZ.
(ii) Posons, pour x ∈ R,
I S(x) = n∈ZZ cn (f )einx . D’après (i), les fonctions S et f ont
même coefficients de Fourier, elles coincident donc en dehors d’un ensemble de mesure
nulle.
[]
Définition
On désigne par A l’espace
R/2πZZ) ayant une série de Fourier
P des fonctions de C(I
absolument convergente (i.e.
n∈Z
Z |cn (f )| < +∞)
On peut, de manière équivalente, parler de séries de Fourier normalement convergentes. La dernière assertion de la Proposition A.1 montre que A est l’espace convenable
pour l’étude des séries de Fourier absolument convergentes. On énonce maintenant une
condition suffisante pour l’appartenance à A (cf. Z.Q. Théo III.3, v).
Proposition A.2
Soit f ∈ C(I
R/2πZZ), C 1 par morceaux. Alors f ∈ A, plus précisément on a l’inégalité
X
|cn (f )| ≤ |c0 (f )| + 2kf 0 k2
avec
kf 0 k22
=
1
2π
R +π
−π
n∈Z
Z
0
2
|f (x)| dx, et, si f est C 1 , on peut écrire
X
|cn (f )| ≤ kf ku + 2kf 0 ku .
n∈Z
Z
Preuve
On sait (Z.Q. Prop. I.5, vii) que, si f vérifie les hypothèses de l’énoncé, on a, pour
tout n ∈ ZZ, cn (f 0 ) = in cn (f ).
Pour M, N ∈ N
I ∗ , on peut écrire, en utilisant l’inégalité de Schwarz, puis l’égalité de
Bessel,
+N
+N
+N
X
X
¡
¢
1 ¢1/2 ¡ X
0 2 1/2
|cn (f )| ≤ |c0 (f )| +
|c
(f
)|
n
n2
n=−M
n=−M
n6=0,n=−M,
¡ π 2 ¢1/2 ¡ X
¢
1/2
≤ |c0 (f )| +
|cn (f 0 )|2
≤ |c0 (f )| + 2kf 0 k2 < +∞.
3
n∈ZZ
De là, la convergence de la série et la borne de sa somme. La seconde inégalité est
immédiate.
[]
(3)
On notera la spécificité de la convergence énoncée. En effet l’étude de la convergence de la série de Fourier
P+N
inx
d’une fonction f est celle des sommes partielles “symétriques”
.
n=−N cn (f )e
2
B. PREUVE DU THÉORÈME DE WIENER
B.1. Rappel : l’algèbre de Banach `1 .
P
1
L’espace `1 = `C
Z)P
= {u : u = (un )n∈ZZ ∈ C
I ZZ , n∈ZZ |un | < +∞} muni de sa norme
I (Z
usuelle ||| · |||1 , |||u|||1 = n∈ZZ |un |, est un espace de Banach.
1
Si u = (un )n∈ZZ et v = (vn )n∈ZZ ∈ `1 , on définit
P la convolution u ? v ∈ ` par
∀n ∈ ZZ, (u ? v)n = k∈ZZ uk vn−k ,
et l’on a l’inégalité |||u ? v|||1 ≤ |||u|||1 |||u||1 , de sorte que (`1 , ?, ||| · |||1 ) est une algèbre de
Banach.
(On établit simultanément le fait que le produit de convolution est défini, son appartenance
à `1 , et l’inégalité des
dans
I + ∪ {+∞},
Pnormes
P en considérant l’égalité
P
PR
n∈Z
Z
k∈Z
Z |uk vn−k | =
k∈Z
Z |uk |
n∈Z
Z |vn |.)
B.2. Structure d’algèbre de Banach sur A induite par `1 .
Lemme B.1
Pour u = (un )n∈ZZ ∈ `1 , on définit la fonction Φ(u) par
P
∀x ∈ R,
I Φ(u)(x) = n∈ZZ un einx .
Alors
1
(i) Φ est un isomorphisme de l’algèbre
P (` , ?) sur l’algèbre (A, ×),
(ii) posons, pour f ∈ A, kf kA =
n∈Z
Z |cn (f )|, (A, ×, k · kA ) est une algèbre de Ba(4)
nach,
(ii) pour f ∈ A, kf ku ≤ kf kA .(5)
Preuve
¡
¢
(i) Pour f ∈ A, posons Ψ(f ) = cn (f ) n∈ZZ ∈ `1 . Les assertions (i), (ii) de la
Proposition A.1 montrent respectivement que Ψ ◦ Φ = I`1 et que Φ ◦ Ψ = IA . Φ est par
conséquent une bijection, évidemment linéaire, de `1 sur A.
Soient u = (un )n∈ZZ et v = (vn )n∈ZZ ∈ `1 . Pour x ∈ R,
I
¡P
¢ inx P
P
P
= n∈ZZ k∈ZZ uk eikx vn−k ei(n−k)x .
Φ(u ? v)(x) = n∈ZZ
k∈Z
Z uk vn−k e
P
P
P
P
Comme n∈ZZ k∈ZZ |uk eikx vn−k ei(n−k)x | = k∈ZZ |uk | n∈ZZ |vn | < +∞, il est possible
de permuter l’ordre des sommations, il vient
∀x ∈ R,
I Φ(u ? v)(x) = Φ(u)(x) Φ(v)(x),
soit
Φ(u ? v) = Φ(u) Φ(v).
Φ est donc un isomorphisme de l’algèbre (`1 , ?) sur l’algèbre (A, ×).
(ii) Soit f ∈ A, kf kA = |||Φ−1 (f )|||1 . On voit que k · kA est une norme sur A et
que Φ est maintenant un isomorphisme isométrique. Il en résulte que (A, ×, k · kA ) comme
(`1 , ?, ||| · |||1 ) est une algèbre de Banach.
(iii) Immédiat.
(4)
[]
k · ku , l’espace A n’est pas complet. En effet les polynomes trigonométriques sont des
A, le théoréme de Fejer assure que toute fonction de C(I
R/2πZZ) est limite uniforme de polynomes
u
trigonométriques, de sorte que A = C(I
R/2πZZ).
(5)
En conséquence, dans A, la convergence au sens k · kA implique la convergence uniforme.
Muni de la norme
éléments de
3
Dans le cadre introduit ci-dessus, la conclusion du théorème de Wiener est “f est
inversible dans A”. (6)
B.3. Inversibilité dans A.
D’après la Proposition A.1, une condition suffisante pour qu’une fonction g soit dans
A et soit inversible dans A est qu’elle soit dans C 1 (I
R/2πZZ) et ne s’annule pas. En effet,
1
1
R/2πZZ).
dans ce cas g est aussi dans C (I
Par ailleurs, on sait que, dans une algèbre de Banach A, l’ensemble des éléments
inversibles est un ouvert. Plus précisément : soit g un élément inversible de A et f ∈ A,
l’écriture
³
¡
¢
g−f´
f = g − (g − f ) = g 1 − g −1 (g − f ) = g 1 −
,
g
montre que f est inversible dans A dès que la série
X ³ g − f ´n
g
n≥0
converge dans A. Comme A est complet, une condition suffisante pour la convergence
de la série dans A est sa convergence absolue, soit
°³ g − f ´n °
X
° (7)
°
un < +∞,
avec
un = °
° .
g
A
n≥0
La preuve consiste à approcher au sens de A la fonction f donnée par une fonction g
inversible convenable de façon à assurer la convergence de la série ci-dessus.
B.4 Fin de la preuve
Il est commode de faire la réduction suivante. Soit f vérifiant les hypothèses du
théorème. De la périodicité et la continuité de f , et de la compacité de [−π, +π], on
déduit que le nombre m = inf{|f (x)| : x ∈ R}
I est strictement positif. Pour tout x ∈ R,
I on
−1
a |(m f )(x)| ≥ 1. Comme A est stable par homothétie, on voit qu’une forme équivalente
du théorème est
(f ∈ A, ∀x ∈ R,
I |f (x)| ≥ 1) ⇒ (1/f ∈ A).
Soit Sn (f ) laPsomme partielle de rang n ≥ 0 de la série de Fourier de f . Sn (f ) ∈ A et
kSn (f ) − f kA = k∈ZZ,|k|>n |ck (f )|, de sorte que limn→∞ kSn (f ) − f kA = 0. Choisissons
n0 tel que kSn0 (f ) − f kA ≤ 1/3 et désignons plus simplement par g ∈ A le polynome
trigonométrique Sn0 (f ). On a donc
g∈A
et
kg − f kA ≤ 1/3.
Du Lemme B.1, il vient kg − f ku ≤ 1/3, d’où
∀x ∈ R,
I |g(x)| ≥ |f (x)| − |g(x) − f (x)| ≥ 1 − 1/3 = 2/3.
Il en résulte que g ∈ C 1 (I
R/2πZZ) ne s’annule pas donc que
(6)
(7)
∀x ∈ R,
I f (x) 6= 0 assure l’inversibilité de f dans l’algèbre (C(I
R/2πZZ), ×, k · ku ).
g−f
convergence est évidemment assurée lorsque k g kA < 1, mais aussi plus généralement, comme
La condition
Cette
ici, lorsque
1/n
n
lim supn k( g−f
g ) kA
< 1.
4
°1°
1
° °
∈A
avec
° ° ≤ 3/2.
g
g u
En utilisant la dernière assertion de la Proposition A.2, il vient
°1°
° −ng 0 °
° 1 °n ¡
°1° ¢
°1°
¡
¢
° °
° °
°
°
° °
° °
0
≤
+
2
≤
1
+
2nkg
k
≤ (3/2)n 1 + 3nkg 0 ku .
° n°
° n°
° n+1 °
° °
u° °
g A
g u
g
g u
g u
u
La propriété de norme d’algèbre et l’inégalité kf − gkA ≤ 1/3 donnent
°1°
¡
¢
° °
un ≤ ° n ° kf − gknA ≤ (1/2)n 1 + 3nkg 0 ku .
g A
X
Par conséquent
un < +∞. Q.E.D.
n≥0
————————————
5