Fusion-absorption d`une société anonyme d`HLM : droit

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Fusion-absorption d`une société anonyme d`HLM : droit
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Lexbase La lettre juridique n˚634 du 26 novembre 2015
[Sociétés] Jurisprudence
Fusion-absorption d'une société anonyme d'HLM : droit
spécial et droit commun des fusions de sociétés
N° Lexbase : N0090BWA
par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux, Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine — IRDAP
Réf. : Cass. com., 6 octobre 2015, n˚ 14-11.680, FS-P+B (N° Lexbase : A0545NTD)
Le contentieux dont a eu à connaître la Chambre commerciale de la Cour de cassation, à l'occasion de son
arrêt en date du 6 octobre 2015, concerne des sociétés à statut spécial mais les enseignements que l'on
peut en retirer intéressent le droit commun des sociétés commerciales. Pour aller à l'essentiel, la Haute
juridiction confirme, d'abord, la singularité de la fusion-absorption, en ce qu'elle emporte transmission
universelle du patrimoine, au regard du transfert de l'excédent d'actif constaté en cas de liquidation d'une
société faisant suite à sa dissolution. Elle affirme, ensuite, que les assemblées générales des sociétés qui
participent à une opération de fusion peuvent, sans méconnaître les pouvoirs des organes sociaux ayant
arrêté le projet de fusion, approuver la fusion après avoir modifié les conditions de l'opération.
Les circonstances de l'affaire ayant conduit la Cour de cassation à prendre de telles positions peuvent être synthétisées. Une société anonyme d'habitations à loyer modéré faisait l'objet d'une fusion-absorption par une société
anonyme d'économie mixte locale. Les assemblées générales de chacune des sociétés ont approuvé dans les
mêmes termes cette opération, mais après avoir modifié le projet de fusion dans ses dispositions relatives à la
valorisation des apports, pour retenir que la valeur réelle était égale à leur valeur comptable, ainsi qu'aux modalités
de calcul de la parité d'échange. Des actionnaires minoritaires de la société anonyme d'HLM ont tenté d'obtenir l'annulation des délibérations des assemblées, et, par voie de conséquence, celle de l'opération de fusion-absorption.
Pour ce faire, ils invoquaient principalement l'interdiction qui toucherait la société anonyme d'HLM de transférer
la totalité de son patrimoine à une entité autre qu'un organisme d'habitation à loyer modéré et également de rémunérer les actionnaires d'une telle société au-delà d'une fois et demi le montant du capital. A titre subsidiaire,
était également invoquée la violation des règles relatives aux pouvoirs du conseil d'administration, à l'ordre du jour
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et à l'information des actionnaires. Rejetées par les juges du fond (CA Nancy, 12 décembre 2013, n˚ 12/03 160
N° Lexbase : A1712KRT), les demandes n'ont pas trouvé satisfaction devant la Cour de cassation.
Loin de ne régler que des questions de droit spécial des sociétés, l'arrêt est intéressant car, pour fonder le rejet
du pourvoi, il s'appuie sur des positions de principe qui relèvent du droit commun des sociétés et soulèvent des
interrogations tant au regard de leur soubassement théorique que de leur conséquences pratiques.
L'arrêt analysé permet, en effet, de confronter les règles restreignant le transfert d'actif d'une société à une autre
avec le régime de la fusion-absorption (I) et de s'interroger sur la possibilité pour l'assemblée générale de modifier
le contenu du projet de fusion soumis à son approbation (II).
I — Restriction au transfert d'actif d'une société et fusion-absorption
Le régime spécial des sociétés anonymes d'HLM comporte une règle restreignant les possibilités de transfert d'actifs
sociaux, faisant application d'un principe rencontré pour d'autres formes de groupements (coopératives, associations, notamment). L'article L. 422-11 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L9166IZI), dans
sa version applicable aux faits de l'espèce, dispose qu'à la dissolution d'une société d'HLM, l'assemblée appelée à
statuer sur la liquidation ne peut, après paiement du passif et remboursement du capital social, attribuer la portion
d'actif qui excèderait la moitié du capital social qu'à un ou plusieurs organismes d'HLM ou à l'une des fédérations
d'organismes d'HLM, sous réserve d'une approbation administrative donnée dans des conditions fixées par décret.
La modification apportée à ce texte par la loi n˚ 2014-366 du 24 mars 2014 (N° Lexbase : L8342IZY) a consisté
à étendre le périmètre des entités susceptibles de recueillir l'excédent d'actif aux sociétés d'économie mixte de
construction et de gestion de logements sociaux. Si la restriction est classique, c'est son champ d'application en
considération des opérations en cause qui était en discussion.
Les auteurs du pourvoi estimaient que cette restriction légale s'appliquait à l'hypothèse d'un transfert d'actif réalisé
dans le cadre d'une fusion-absorption. C'est en se fondant sur l'effet de transmission universelle de patrimoine, qui
est attachée à la fusion, que la Cour de cassation justifie le rejet de la position défendue.
Même si l'on ne cherchera pas à nier la singularité du transfert universel de patrimoine, on ne peut passer sous
silence que la position adoptée par la Haute juridiction peut conduire, en pratique, à un contournement de la restriction légale au transfert d'actif. Si l'on imagine une situation comptable de la société absorbée qui soit exempte
de dette ou, plus probablement, dont le montant du passif est faible et qu'un actif très important sera, en réalité,
recueilli par la société absorbante, le résultat sera bien sûr, financièrement, équivalent à celui qui résulterait d'un
boni de liquidation transféré à la suite d'une liquidation faisant suite à une dissolution. Ce qui est prohibé dans cette
hypothèse pourrait bien avoir lieu dans l'autre. En jugeant que, par principe, la restriction au transfert de l'excédent
d'actif, visé par l'article L. 422-11 du Code de la construction et de l'habitation, ne peut s'appliquer à l'opération de
fusion-absorption parce que, dans ce dernier cas, la transmission universelle du patrimoine fait que ce sont à la fois
des dettes et des créances qui sont transférés, alors que dans le transfert du boni de liquidation, ce ne sont que des
éléments d'actifs qui sont transférés, la Haute juridiction est bien sûr dans le vrai. Pour autant, on ne peut nier, qu'en
pratique, les situations ne sont pas aussi tranchées et qu'en s'appuyant sur la technique de la fusion-absorption,
le résultat que le texte prohibitif voudrait éviter est tout de même atteint. L'arrêt commenté pourra donc être retenu
autant pour le principe, sans doute d'évidence, qu'il consacre que pour l'ouverture vers un contournement de la
règle qu'il suscite.
II — Adoption par l'assemblée générale d'un projet de fusion et droit de modification
La chronologie d'une opération de fusion doit être prise en compte pour mesurer l'impact de la position de la Cour
de cassation et, le cas échéant, pour justifier quelques réserves quant à son opportunité.
Il appartient au conseil d'administration (ou au directoire, ou au président, gérant..., selon la forme de société concernée) d'arrêter le projet de fusion et ce projet est signé par le représentant légal de chacune des sociétés concernées
(C. com., art. R. 236-1 N° Lexbase : L2355IRN). Il s'agit donc bien, pour l'organe concerné, d'une compétence exclusive et les statuts ne pourraient pas en décider autrement. Le contenu du projet doit être établi en considération
des mentions obligatoires qu'impose le Code de commerce (C. com., art. R. 236-1) et, notamment, doit indiquer
l'évaluation de l'actif et du passif dont la transmission à la société absorbante est prévue et le rapport d'échange
des droits sociaux, avec, le cas échéant, le montant de la soulte. Une publicité de ce projet est effectuée par dépôt
au greffe du tribunal de commerce et par l'insertion d'un avis au BODACC, reprenant, pour l'essentiel, le contenu
du projet. C'est à compter de la dernière en date des publicités prévues que s'ouvre un délai de trente jours au
cours duquel les créanciers des sociétés concernées peuvent former opposition à l'opération envisagée (C. com.,
art. L. 236-14 N° Lexbase : L6364AIK). Le choix pour les créanciers de former ou non opposition s'effectue donc en
contemplation des mentions contenues dans le projet de fusion. Il peut donc apparaître peu opportun que l'assemp. 2
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blée des actionnaires puisse procéder à une modification des éléments ayant donné lieu à publicité et sur la base
desquels les créanciers peuvent estimer judicieux de former opposition. En décidant que les associés peuvent modifier le contenu du projet de fusion, la Cour de cassation vient valider, pour la première fois à notre connaissance, la
présentation qui est ainsi donnée dans la littérature juridique (voir not., Mémento pratique Sociétés commerciales,
éd. Francis Lefebvre, 2016, n˚ 83 264).
A notre avis, une telle position ne nous paraît tenable que si, après la décision collective adoptant le contenu du
projet de fusion après l'avoir modifié, un nouveau délai était ouvert aux créanciers pour former opposition, à la suite
de la publicité dont doit faire l'objet cette décision. En l'état du droit, cette nouvelle faculté d'opposition n'est pas
reconnue et c'est cet aspect qui nous paraît devoir susciter des réserves quant au soutien apporté par la Haute
juridiction à une position qui néglige les droits des créanciers des sociétés concernées.
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