QUI DIT CONTRACTUEL, DIT JUGE ? 262d6

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QUI DIT CONTRACTUEL, DIT JUGE ? 262d6
Tr i b une
QUI DIT CONTRACTUEL, DIT JUGE ?
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262d6
L
Mustapha MEKKI
Professeur à l’université Sorbonne
Paris Cité (Paris 13), directeur
de l’IRDA
“ Un autre récit est
envisageable ; celui où la
réforme serait le signe
d’un retrait du juge
”
e contrat sera-t-il encore demain la chose des parties ? Telle est
l’interrogation de certains auteurs qui s’inquiètent de l’immixtion
croissante du juge que devrait susciter la réforme du droit des obligations.
À première vue, la place accordée au juge au sein du futur nouveau
Titre III du Livre III n’est plus celle d’un juge passif et contemplatif. Selon
certaines prophéties doctrinales, les signes d’un tel « gouvernement des
juges » sont nombreux. L’ordonnance lui octroie de nouveaux pouvoirs :
réviser, réduire, requalifier, évincer… À ces pouvoirs, faisant du juge une
« troisième partie » au contrat, il convient d’ajouter une pulvérisation
des standards juridiques : raisonnable, suffisant, manifeste, excessif,
bonne foi, intérêt général, intérêt privé, but, contenu, essentielle… Il
devient impensable aujourd’hui d’adresser à nos magistrats un « sois
juge et tais-toi ». Il devient impossible de réduire leur fonction à celle
d’une « bouche qui prononce les paroles de la loi ». Il devient improbable
de vouloir limiter leur raisonnement à celui d’un syllogisme formel…
Alors qui dit contractuel, dit juge ? Pas nécessairement. Un autre récit
est envisageable ; celui où, au contraire, la réforme serait le signe d’un
retrait du juge.
Sous cet angle, le juge n’est pas plus présent au sein du nouveau droit
des contrats, bien au contraire. La saisine du juge est devenue une mesure ultime. Les parties doivent comprendre que
la justice, y compris contractuelle, doit désormais se faire hors
le juge. Loin d’augmenter les pouvoirs du juge, l’ordonnance
ne cesse d’accroître ceux des parties : réduction unilatérale
du prix avant paiement, résolution par notification, exception
d’inexécution par anticipation, résolution de plein droit en cas
de force majeure, faculté de remplacement hors le juge… À ces
pouvoirs croissants des parties, il convient d’ajouter le principe
selon lequel tout ce qui n’est pas formellement impératif est
supplétif, selon l’interprétation suggérée dans le Rapport remis au président de la République. Tout est négociable, éjectable, aménageable,
modulable. C’est alors le contrat qui enfle et les clauses qui pullulent,
symbole d’une « américanisation du droit des contrats ».
Dès lors, le juge n’est pas le grand gagnant de la réforme du droit des
obligations. Il n’est pas le grand garant des engagements contractuels.
Il s’avance tel un spectre qu’il faut éviter en raison des aléas qui gouvernent son champ d’intervention. Alors oui, dans ce deuxième scénario,
le contrat de demain sera de moins en moins l’affaire du juge. Reste à
savoir si ce contrat, affaire des parties, sera encore une bonne affaire
pour toutes les parties !
On le voit les deux scenarii sont envisageables. Mais alors qui décidera
du dénouement de cette histoire ? Non sans ironie : le juge ! Gageons
que, si dire c’est faire, il saura bien dire et saura bien faire. •
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