hf n¡50 technique

Transcription

hf n¡50 technique
TECHNIQUE
AMPLIFICATEUR DE PUISSANCE
Bel Canto Evo 200.2
La révolution
numérique…
TECHNIQUE
L
es amplificateurs
numériques font une lente apparition sur le marché audiophile. Un bon nombre existe déjà en
laboratoire (Philips, Texas,
Thomson, Harris, Tripath…), certains
sont déjà sur le marché (TacT Audio, qui
devrait présenter de nouveaux modèles,
dont certains de type multicanal), d’autres
fonctionnent en sonorisation où leurs utilisateurs apprécient non seulement leur
robustesse mais surtout leur légèreté.
Mais, que nomme-t-on réellement ampli
numérique ? Les premiers modèles d’amplis non linéaires, qui transformaient un
signal analogique en signal pulsé remontent au début des années 70. C’étaient déjà
des convertisseurs de puissance, qui travaillaient selon le principe de la classe D et
fournissaient un signal modulé en largeur
d’impulsion ou PWM. Cette technique
connaissait et connaît encore certaines
limites dues au manque de linéarité de la
conversion et à la faible vitesse. La technique PWM est donc restée au rang des
applications peu critiques, celle de la régulation pour les alimentations, par exemple,
ou des amplis pour caisson de grave.
Depuis, les transistors de commutation
de puissance ont fait des progrès considérables. Le facteur vitesse de commutation
est devenu moins critique. Par ailleurs, les
fabricants de convertisseurs N/A ont conçu
des circuits intégrés dont le fonctionnement évoque très fortement la technique
PWM. Ce sont tous les modèles connus
sous l’appellation “One Bit”. Il était donc
logique que certains fabricants d’amplis
tentent de faire la jonction entre ces deux
mondes. Mais demeuraient quand même
certains problèmes relatifs à la partie puissance. En effet, les algorithmes de filtrage
numérique qui compensent les défauts de
fonctionnement des convertisseurs équipant les lecteurs CD ne sont pas adaptés à
la conversion PWM de puissance. Dans le
premier cas, la conversion numérique vers
analogique est réalisée dans un circuit inté-
76
gré très rapide. Dans le cas d’un ampli, elle
est réalisée par les transistors de puissance
et un filtre passif. Solution en progrès
de vélocité, mais encore trop lente pour
une application directe. De ce fait, les
amplis numériques sont constitués
d’un filtre numérique particulier et
adaptés à la vitesse de réaction de la
partie puissance. Toute la réussite de
cette technique tient donc aux caractéristiques du filtre que le fabricant
de l’ampli doit concevoir lui-même et
réaliser le plus souvent avec un gros circuit
intégré DSP. Le Bel Canto Evo 200.2
n’échappe pas à cette règle.
Ce modèle, contrairement à celui rencontré
précédemment, possède des entrées analogiques et non numériques. On a le choix
entre signaux asymétriques sur prises RCA
de belle qualité et symétriques sur XLR.
Il n’y a pas de commande de volume, ni de
réglage de sensibilité. Les signaux entrants
sont traités dans des amplis opérationnels
très performants Burr-Brown, des classiques de l’audio (série OPA) ou de l’instrumentation (série INA). Cette partie est
plus qu’un simple buffer d’entrée. L’amplificateur assurant lui-même la conversion
A/N, il faut prendre garde à éviter l’écrêtage à cet endroit. Car l’écrêtage en numérique est désagréable à l’écoute, ceux qui se
sont fait posséder avec ce phénomène en
gravant un CD ou un
MD ne nous contrediront pas. C’est la partie
analogique du processeur interne qui assure
cette fonction, ainsi
elle détecte en continu
l’amplitude du signal
d’entrée et la réduit si
nécessaire, réalisant
ce que l’on nomme un
“Soft Clipping”, écrêtage en douceur (le nom est du à NAD, qui
proposait cette fonction il y a une vingtaine d’années sur ses amplis analogiques). Il
n’y a aucun condensateur de liaison sur le
trajet du signal analogique de cet ampli :
pas question de discuter la couleur sonore
de ce type de composant sur l’Evo 200 ! On
remarquera le traitement analogique en
différentiel, même si l’on utilise les prises
d’entrées RCA asymétriques. C’est un
avantage pour la conversion A/N qui s’opère plus facilement dans ces conditions. De
plus, cette configuration élimine les bruits
induits. Or la partie puissance de l’Evo 200
doit sûrement en générer un peu, compte
tenu de son mode de fonctionnement.
Dans le même esprit, on a remarqué un
soin particulier dans le routage des circuits
de masse, tant ceux pratiqués par des pistes
de circuit imprimé que ceux acheminés par
fil de gros diamètre. La référence de potentiel est assez complexe sur ce modèle et fait
appel à des éléments de correction de différence de potentiel. Cette partie audio en
amont du convertisseur possède bien sûr sa
propre alimentation isolée de celle du DSP
et de celle de l’étage de puissance.
Notons toutefois que la gestion de l’énergie
est assez astucieuse sur cet appareil. Les
deux amplis travaillent en opposition de
polarité. De ce fait, et compte tenu qu’une
bonne partie du message sonore est commune aux deux canaux, un des amplis tire
sur l’alimentation positive tandis que
l’autre pompe sur la partie négative et réciproquement. Cette astuce permet de ne pas
tirer simultanément l’énergie des deux canaux sur le même enroulement du transformateur. D’où une réserve de puissance supérieure à taille d’alimentation égale. Cette
astuce diminue aussi les bruits de commutation induits sur les lignes d’alimentation.
Bel Canto précise que son ampli numérique fonctionne sans contre-réaction. Pour
info, sachez que ce sujet, contre-réaction ou
La partie la plus importante du travail
s’effectue dans ce petit boîtier blindé.
pas, s’anime d’un grand débat chez les fabricants et dans les laboratoires spécialisés
dans les amplis numériques (notamment
chez B&O, qui travaille aussi sur le sujet).
En fait, on imagine mal comment appliquer un signal de contre-réaction sur une
chaîne de traitement aussi complexe. Bel
Canto parle en revanche de servos numériques qui contrôlent en temps réel et corrigent les signaux de commande pour les
TECHNIQUE
transistors de puissance. Il s’agit effectivement d’une contre-réaction, mais numérique et localisée, la boucle n’englobant pas
toute la chaîne. Cette correction est rendue
nécessaire par le fait que les transistors de
FICHE TECHNIQUE
Puissance : 2 x 120 W (8 ohms)
Dimensions : 45 x 13 x 30 cm
Prix : 3 800 euros
Origine : Etats-Unis
commutation utilisés ont une caractéristique de tension grille/source assez peu
linéaire et qui tend à retarder les instants
exacts de commutation. Les algorithmes
de commande intégrés au soft des DSP
tiennent compte de cette caractéristique.
La tâche de commutation des transistors
est difficile : ils doivent fournir, au rythme
de 600 kHz (600 000 fois par seconde) la
pleine tension d’alimentation positive puis
la pleine tension d’alimentation négative.
Et ce durant des durées précises, de l’ordre
du milliardième de seconde.
Cette vitesse élevée permet de repousser
assez loin en fréquence les résidus de bruit
de quantification inhérents au procédé
PWM. Lesquels occupent un spectre situé
entre 200 et 1500 kHz et sont bloqués en
sortie par un filtre passe-bas passif à 12 dB
par octave. Ce filtre est constitué d’une inductance sur tore en poudre de fer et d’un
condensateur à faibles pertes et diélectrique plastique, l’ensemble étant calibré
pour couper à 80 kHz. Bel Canto précise
que cette coupure s’avère quasiment indépendante de la charge (le type d’enceinte
connectée à la sortie de l’ampli). Argument
défendable, mais reprenant une certaine
critique qui avait été formulée à l’égard de
l’ampli numérique concurrent, et selon
lequel on pouvait perdre une fraction ou
même un décibel entre 10 kHz et 20 kHz,
avec des enceintes à impédance basse (typiquement 4 ohms). S’il fallait arbitrer, sans
vouloir fâcher qui que ce soit (et Bel Canto
en particulier), nous dirions que tout ampli
chargé par un filtre voit nécessairement sa
réponse affectée par cet élément.
On retiendra surtout, au rang des bénéfices
de la technique appliquée à l’Evo 200, le
fait de pouvoir fonctionner directement
avec des sources analogiques et une certaine simplicité de mise en œuvre qui n’a pas
été développée au détriment des performances. L’absence d’entrée numérique et
de commande de volume pourra en gêner
certains qui auraient pu souhaiter exploiter
une liaison et une transcription 100 % numérique pour leurs programmes préférés.
Mais, si l’on en croit la Rédaction, cet Evo
200 constitue déjà une des révélations de
l’an 2000. Place à l’écoute, donc.
Ecoute
Nous ne sommes pas de chauds partisans
du lyrisme exacerbé, mais nous faisons
tout pour vous communiquer nos coups de
cœur lorsque nous en avons. En l’occurrence, ce nouvel amplificateur de puissance
Bel Canto nous a fortement impressionnés.
Car, si les différences de comportement
entre appareils se situent toujours dans
un cadre déterminé, même large, on a vraiment l’impression que le nouveau Bel
Canto sort clairement de sa catégorie. Les
différences sont si grandes qu’il s’agit indéniablement d’un nouveau standard d’amplification pour son prix. Le Bel Canto offre
une restitution sonore d’une franchise
Cet amplificateur ne rajoute rien mais ne
retranche rien non plus. Si la musique est
douce et subtile, le son sera d’une suavité
incroyable et, si vous écoutez de la “house”
à fond les ballons, vous allez comprendre
votre douleur. Néanmoins le plus frappant,
c’est que l’Evo 20.2 permet d’écouter de la
musique à un niveau colossal sans que la
qualité sonore en souffre en quoi que ce
soit. Monter le volume, même très haut,
n’occasionne aucune dégradation ni même
le moindre signe de saturation. La dynamique s’avère stupéfiante. Rarement nous
avons eu l’occasion de tester un amplificateur aussi rapide, aussi spontané. Il est capable de passer d’une note très faible à une
très forte en une fraction de seconde. Du
coup le rythme le plus diabolique se suit
avec une aisance démoniaque. Et, c’est toute la musique qui en profite. Vous pouvez
suivre n’importe quelle ligne mélodique de
manière évidente. Tout est simple.
Le reste est à l’avenant. Cet amplificateur se
révèle très transparent. Il vous permettra
Les impacts restitués par ce Bel Canto s’avèrent si
puissants que l’auditeur les ressent physiquement.
désarmante. C’est un peu comme si la
musique enregistrée était débarrassée de
la moindre coloration, totalement exempte
de déformation, d’inertie et de traînage. A
quelques notables exceptions près, on a
l’impression que les autres amplis gomment la musique enregistrée, traînent en
route, manquent de souffle. Deux aspects
notamment sont incroyablement révélateurs, la bande passante et la dynamique.
La première se révèle pleinement étendue.
Le grave descend vraiment très bas et l’extrême-grave est restitué avec une facilité
absolument déconcertante. Dire de ce grave qu’il est “percutant” relève de la litote
la plus grossière. Les impacts s’avèrent si
puissants, si violents que l’auditeur les ressent physiquement avec une surprise non
dissimulée. Un pied d’orgue ou une contrebasse ressemblent à ce qu’ils sont vraiment
et non pas à de piètres succédanés. De l’extrême-grave à l’extrême-aigu, la bande passante est d’une régularité et d’une linéarité
impossibles à prendre en défaut. Et, pas la
moindre rupture entre registres, pas la plus
petite basse ou le moindre creux. On a l’impression d’écouter un haut-parleur large
bande, sans les coupures aux extrémités.
d’entendre toutes les petites nuances à côté
desquelles bon nombre d’amplis passent
sans rien voir. Mais là n’est pas l’aspect le
plus frappant de sa performance, le plus
étonnant, pour des gens comme nous, c’est
qu’avec cet amplificateur, la nature des produits associés saute immédiatement aux
oreilles. Avec lui, on entend tout. C’est un
formidable outil de travail pour un chroniqueur haute fidélité.
MAURICE GOLDENBERG
& LAURENT THORIN
VERDICT
Nous nous garderons bien d’affirmer
que ce nouveau Bel Canto est le
meilleur amplificateur du monde. Mais
il prouve indéniablement que la technologie numérique permet d’aller très
loin sur certains critères et de fabriquer
des amplificateurs aux performances
sidérantes. Dans tous les cas, nous
sommes frappés par le potentiel extraordinaire de ce nouveau Bel Canto et
surtout par son rapport qualité/prix
apocalyptique. Des performances de
ce calibre à un prix aussi “bas”, nous
ne l’avions encore jamais vu.
77