Aparté linguistique : les étranges rapports entre

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Aparté linguistique : les étranges rapports entre
VENDREDI, MARS 11, 2005
Aparté linguistique : les étranges rapports entre le québécois et le
français
Depuis que nous sommes arrivés au Québec, résonnent à nos oreilles les pittoresques
expressions québécoises, et le dépaysant (pour nous) accent de ces cousins nord-américains…
De temps à autre également, un québécois plus hardi que les autres nous assène pour la
énième fois que les vrais défenseurs de la langue française se trouvent de ce côté-ci de l’océan
atlantique…
Et d’égrener le traditionnel chapelet d’anglicismes qui fleurissent le français de France (je suis
assez fier de cette allitération improbable..).
Pourtant, la réalité, loin d’être totalement différente, ne se réduit pas tout à fait à ce constat
sommaire… et finalement erroné, comme le prouvera ce qui suit !
Les Québécois, ne leur en déplaise, ne sont pas avares à leur tour en anglicismes.
On ne peut nier, bien sur, que le Français passe ses "week-end" à faire du "shopping" en
mangeant des "sandwichs", qu’il revêt à l’occasion (rare) un "smoking", et laisse
ponctuellement sa voiture au "parking" pour s’adonner aux joies du "roller", lorsqu’il ne
s’abandonne pas dans la contemplation d’un match de "catch" à la télévision…
Et effectivement, dans le même temps, le Québécois occupe sa "fin de semaine" en
"magasinage" tout en grignotant des "sous-marins", qui mettent des miettes sur son "tuxedo". Il
laisse sa voiture au "stationnement" lorsqu’il opte plutôt pour une balade en "patins à roues
alignées" ou un match de "lutte" à la télévision.
Soit !
Mais c’est bien le même Québécois, que le climat a rendu "tough", qui aime faire des "jokes" à
ses amis, qui "cruise" les blondes qu’il trouve "cute", ne met pas de "shoe-claques" avec son
costume s’il veut rester "swell", apprécie les accords "win-win", se frotte à des dossiers un peu
"rough", mais ça fait partie de la "game", qui "print" les documents de travail sur lesquels il
"spot" les erreurs, et "flush" ses toilettes…
Jusque dans certains termes français usités par ici, difficile de ne pas subodorer l’hérédité
anglophone, tels le "char" qui, comme chacun sait, désigne la voiture et qui évoque le "car"
anglais, ou, plus pittoresque, la "toune" qui sert à désigner une chanson, un morceau de
musique, et qui m’inspire le "tune" anglo-saxon.
Même le mot "chum" qui signifie "ami" est paraît-il (source = le routard, non vérifié) un dérivé
de vieil anglais.
Donc, sur le front des anglicismes, je prononcerai, avec la mansuétude qui me caractérise, un
équitable match nul…
Ce qui m’a le plus frappé, dans le langage local, ce ne sont donc pas ces querelles de clocher,
qui ne servent qu’à détourner l’attention, dans un cas comme dans l’autre, de l’influence
envahissante des États-Unis jusque dans le parler quotidien, mais bien plutôt l’indépendance,
sur le plan grammatical mais aussi sur celui du vocabulaire, du français pratiqué au Québec.
En fait, deux siècles d’isolement ont bel et bien conduit les deux langues à évoluer et croître
dans des directions différentes, comme deux branches distinctes à partir d’un tronc commun.
Et, au risque de lasser, je suis bien contraint de reprendre à mon compte la formule galvaudée
selon laquelle le fait de partager une langue commune ne signifie pas pour autant que l’on se
comprend.
Je ne reviendrai pas sur l'art de jurer en québécois (ici, on dit "sacrer") qui se décline autour
des innombrables symboles de la réligion, trop connu pour mériter un développement
supplémentaire.
Je passerai rapidement sur le "moé" qui veut dire "moi", le "toé" qui veut dire "toi", et le "noé"
qui veut dire nous... ah non, celui-là c'est impossible, il y a déjà un copyright dessus qui date
de l'origine de l'humanité :-)) Mais pour "moé" et "toé", c'est vrai, et c'est toujours un plaisir à
entendre.
Je m'étendrai un peu, par contre, sur le vocabulaire courant, et châtié, au sujet duquel je dois
confesser mes airs égarés et mes demandes répétées d’éclaircissements auprès de mes
interlocuteurs québécois lorsque j'entreprends de comprendre ce qui peut bien se cacher
derrière la phrase suivante (exemple totalement artificiel, élaboré pour les besoins de la
démonstration) :
"Coudonc, c’est-y plate depuis que ton baveux de vieux mononcle t’a pogné tantôt en train de
pitonner sur son bazou, t’arrêtes pas de chiâler. Il est plutôt temps de te gréer et de sortir ta
minoune, oubedonc on va niaiser icitte à soir et ça me fait pas capoter. Si je t’agace, c’est
parce que je te trouve fin. T’es pas comme les autres quétaines qui gossent quand y ont rien à
faire que se pogner le beigne".
Bon, je ne sais pas si les Québécois jugeront cette tirade très cohérente mais là n’est pas
l’objet : ce qui est sur, c’est qu’elle se compose d’authentiques morceaux de français du
Québec, dont le sens réel ne saute pas spontanément à l’entendement. Comme la réalité est
souvent moins excitante une fois débarrassée des atours du mystère, je me garderai bien, pour
l’heure, de traduire ce qui précède. Je préfère laisser à chacun le soin de s’imaginer la
traduction idoine.
Grammaticalement, je ne me lasse pas de la forme interrogative du québécois parlé, qui glisse
un "tu" dans sa question, comme une manière d'accentuer le point d'interrogation final.
"On s'entend-tu bien ?" ; ou bien "t'as-tu vu cette chose ?" ; ou encore "ça vous inquiète-tu ce
que je viens de vous dire ?"
Plus étonnant, la liberté avec laquelle les Québécois s’affranchissent des genres pour certains
mots ou font sonner les dernières lettres comme s’il s’agissait d’un féminin.
"J’ai fait(e) un bout(e) de route avec la gang avant de reprendre ma job. J’vous dis tout(e),
y’a pas de secret : les ticket(e)s sont pas nécessaires pour rentrer".
Si les genres sont versatiles (aurions nous mis le doigt sur des mots hermaphrodites ?), les
articles semblent pour leur part être souvent volatiles, ce qui me vaut régulièrement de capter
des tournures du style de :
"Regarde donc tv pendant que je vais à toilettes. La bière est dans cuisine".
Pour faire plus québécois, on pourra préférer le terme "bécosses", plus cru, à celui de
toilettes…
Les nombres ne sont pas en reste lorsque des tournures de phrases mêlent allègrement le
singulier et le pluriel : ainsi n’est-il pas rare d’entendre des "vas-t’en chez vous", ou "j’m’en
vas chez nous !"
A ce dernier propos, la formule "je vas" est étrangement populaire, en dépit de son caractère
inexact... c'est là un mystère que je n'ai pas encore percé.
Encore plus fort, la façon avec laquelle les tournures de l’oral se taillent à l'occasion une place
dans l’écrit : "chu" pour signifier "je suis", "dins" pour dire "dans les", ce qui donne (à prononcer
rapidement pour un maximum d’efficacité) :
"chu né dins années 70" (exemple emprunté à la chanson " En berne " des Cowboys Fringants).
Mais d’une manière générale, l’écrit au Québec diffère assez sensiblement de l’oral. Tout
semble se passer comme si une insidieuse schizophrénie opposait le québécois écrit au
québécois parlé. L’essentiel des expressions et des termes que j’utilise ci-dessus, avec une
orthographe dont je revendique l’approximation, semble réservé à l’oral et ne s’emploie pas
ou peu à l’écrit. À chaque fois que je demande que l’on m’épelle tel nouveau terme ou telle
nouvelle expression, pour m'en faciliter l’assimilation, on m’oppose la même réponse : "ça
s’écrit pâs !".
On touche là à la différence majeure entre le français et le québécois : alors que le français se
décline, bon gré mal gré, de la même manière sous sa forme orale comme sous sa forme écrite,
cette dernière allant jusqu’à s’accommoder - à contrecoeur - du verlan ou des patois divers, le
québécois écrit tourne radicalement le dos, dans son respect intégriste de l’orthodoxie
linguistique, au québécois oral qui s’affranchit d’autant plus des règles qu’il mène sa petite
existence autonome dans la bouche des multiples ethnies du québec.
Loin de décerner les bons et les mauvais points en décrétant qui parle bien ou qui parle mal
(un exercice auquel s’est essayé, paraît-il, Thierry Ardisson, à la grande déconvenue des
Québécois), il semble surtout intéressant de relever ce que deux siècles de séparation ont donc
produit sur une souche commune. Les deux langues françaises se sont épanouies dans des
directions distinctes, tantôt convergentes, et tantôt divergentes, sans pouvoir soumettre leurs
évolutions respectives au test de la proximité géographique (à l’opposé des pays francophones
de l’Europe occidentale).
On mesure aujourd’hui les différences, et on s’amuse de cet écart des deux côtés de
l’atlantique.
Mais finalement, le plus intéressant et le plus formidable, c’est bien de faire le constat que
cette langue française, pratiquée par une petite poignée (70.000) de canadiens français
abandonnés à leur triste sort cerné d'anglais en 1763, a réussi à résister pendant deux siècles et
demi à la pression anglophone de tout le continent nord-américain, pour non seulement
garantir sa pérennité (le Québec compte aujourd’hui 7 millions d’habitants, et des
francophones sont installés dans toutes les provinces du Canada) mais également assurer son
avenir en devenant la seule langue officielle de la Belle Province en 1977.
Pas étonnant, dans un tel environnement, qu'il ait été soumis à des distorsions inédites et
impensables en Europe. Elles restent en fait bien limitées et constituent plutôt un moindre
mal, tant sa simple survie était loin d'être acquise lorsque les institutions du Bas-Canada
(l'actuel Québec) se sont prosternées devant la langue de Shakespeare dans la seconde moitié
du 18ème siècle.
Le véritable tour de force du français d’Amérique du Nord, il est donc bien là, dans le fait
d'exister, d'être légitime et de tenir la dragée haute aux 330 millions d'anglophones qui lui font
office de voisins !
Il est aussi dans sa reconnaissance comme l’une des deux langues officielles du NouveauBrunswick (je ne reparlerai pas du Nunavut, sinon je vais finir par être taxé de monomanie :-)),
grâce à l’influence d’une autre fervente communauté francophone malgré un contexte
hautement défavorable, les Acadiens… mais ça, c’est une autre histoire.
P.S. : les Québécois(es) de passage sur ce blog, s'ils ne se sont pas étranglés en lisant ces
quelques lignes, écrites en toute et franche sympathie, pourront peut-être m'expliquer
pourquoi au Québec on prononce "Boston" comme "Gaston" et Washington" comme Gastonne"...?
posted by Sébastien M. @ 2:28 PM 8 comments
8 Comments:
At 6:40 AM,
Anonyme said...
Pas encore etranglee non, et pleins d'autres hypothese reconnues dans mon sacs...Je
ne ferai pas debat ici (parce que je risquerais d'en ecrire plus long que ton propre
message), mais si vraiment l'origine du joual t'interesse, je peux te faire une belle
tartine par courriel (oui oui! c'est francais!). Fais moi signe, je t'en parlerai pendant
des pages et des pages!
Annie
At 3:34 PM,
Sébastien M. said...
Ce message a été supprimé par un administrateur du blog.
At 10:31 AM,
Sébastien M. said...
Comme convenu, Annie m'a adressé les précisions et commentaires suivants, qui
apportent un éclairage déterminant et passionnant sur mon petit essai, tout en
pointant gentiment mes propres approximations.
Je lui cède donc la parole :
"J'entre tout de suite dans le vif du sujet.
Premierement les anglicismes… Je suis assez d’accord avec toi la-dessus, je pense
que c’est a peu près equivalent des deux côtés. Cependant, c’est très différent selon
les regions. Québec et Montréal sont deux villes plus importantes au niveau tourisme
et économie, de ce fait, la langue anglaise a beaucoup plus d’influence. Pour les
regions éloignées par contre, l’anglais n’a que très peu d’influence (en tout cas, pas
plus qu’ailleurs dans le monde) sur la langue, si bien que plusieurs anglicismes
québécois que tu as nommés ne m’évoquent absolument rien… "win-win" et "print"
entre autres, jamais entendu ca…
Pour le char c’est drôle ce que tu dis parce que je n’ai jamais entendu cette
hypothèse (qui est peut-être vraie, remarque). J’ai toujours entendu dire que ca
venait du mot "char" (ahahah !) qui est très vieux en francais si je ne m’abuse et qui
designait une espèce de petit vehicule à 2 roues tiré par des chevaux. Plus tard, le
char est officiellement devenu «charrette», mais certains on continué à employer le
mot char. Comme dans «va donc atteler le char !». Le char designant le véhicule
principal utilisé, il aurait gardé son nom avec l’arrivée de la voiture… Je ne sais pas
quelle hypothèse est la bonne, mais personnellement, je trouve ça sensé.
Bécosse… en fait, avant d’être utilisé pour «toilette», ce mot désignait la petite
cabane a l’extérieur de la maison qui servait de toilette jadis. Ça vient de l’anglais
«back house» qui veut dire «derrière la maison»…un brin francisé se prononce
bécosse.
Pour la langue québécoise en général, voila un brin d’histoire. Losque nos bons
colons français (16-17ième siècle) sont arrivés au nord du nord de ce pays que l’on
aime tant (n’est-ce pas ?), le français n’etait pas encore une langue très repandue
en France. Il était parlé presque exclusivement dans la région où le roi régnait (île
de France si je me souviens bien). Le reste de la France était pleins de patois et
dialectes différents, si bien que 2 colons sur 5 seulement parlaient français. Comme
c’était la langue du roi, on a décrété qu’elle serait aussi la langue utilisée en ce
nouveau pays. Mais, pas longtemps après, quand la France a «oublié» ses
colonisateurs dans leur banc de neige, le français est graduellement devenu LA
langue parlée en France et le français «royal» devint peu a peu mal perçu et
démodé. Pendant ce temps, les québécois ont gardé, eux, cette forme première de
français, ou enfin, ce qui s’en rapproche le plus. Ça explique bien pourquoi les écrit
anciens du 16-17-18ième sont très faciles à lire pour les québécois… un peu moins
pour les français. Les expressions «moé» et «toé» étaient déjà utilisées en France à
l’époque… Ainsi, le roi Louis jeneseplukelchiffre (pardon) s’exprimait en cette
phrase connue «le roé, c’est moé !».
C’est aussi de ce vieux français que nous vient le nom de la ville de Montréal. À la
base, c’était le mont royal, mais le son «oi» était à l’époque prononcé «oué»
(generalité)… Mont rouéyal (phonétiquement) est devenu Mont réal.
Dans la même veine, plusieurs expressions québécoises qui sont souvent prises pour
des anglicismes sont en fait des «scandinavismes» amenés de France dans quelques
dialectes Normands.
Ta petite phrase québécoise improvisée pour l’occasion est presque
cohérente…(comme quoi c’est pas si compliqué, ça fini par entrer !...lol). Toutefois,
je respecterai ta volonté en préservant le mystère sur ton blog sur la signification
exacte…
Pour la forme interrogative «t’as-tu ?» , «t’as-tu vu ?» etc, je ne sais pas d’où ça
vient… y a des recherches à faire la-dessus.
Les mots hermaphrodites où l'on prononce la dernière lettre sont très courants c’est
vrai. Ça aussi ça vient de l’ancienne prononciation… la prononciation royale devraisje dire ! lol !
Par contre, les articles devant les mots ne disparaissent jamais complètement. Si tu
écoutes bien (bon ok, peut-etre faut–il avoir l’oreille experte…), tu vas te rendre
compte que la forme «regarde donc tv» pour reprendre ton exemple, est en fait
«regarde donc ‘a tv». Le «a» ressemble plus à une espèce d’hésitation entre les
syllabes, difficile à expliquer par écrit…Même chose pour «dans ‘a cuisine». La
syllabe «an» est légèrement allongée pour reprendre le «a» de l’article, et ce n’est
pas de la fabulation, il y a vraiment une différence. Bref, tend l’oreille, je suis sûre
que tu vas percevoir la différence. Quand mon chum essaie de le faire, il ne fait pas
cette hésitation pour l’article et ça parait… enfin, pour un québécois la difference
s’entend, c'est une histoire de rythme je pense.
Tu n’as pas percé le mystère du «je vas» ! Ben voila la clé du mystère ! Je vas, était
une forme correcte à l’époque de la colonisation (forme royale… ca me plait bien de
le répéter…lol). Mais comme je l’ai dit plus tot, cette forme de langage a vite été
modifiée en France. Pendant ce temps, le contact étant à peu près inexistant entre
la France et le Québec, le «je vas» est resté bien ancré chez nous. De tout temps, ce
sont les français qui décident de ce qui est correct ou non dans la langue, mais
plusieurs formes dites incorrectes utilisées au Québec sont en fait des formes qui ont
déjà été correctes en France.
C’est vrai ce que tu dis par rapport au fait que l’on ose pas écrire québécois. La
raison est pourtant très simple. Comme la langue officielle est le français, la langue
québécoise n’existe pas officiellement. Elle n’est considérée ni comme un créole, ni
comme un dialecte, ce qui est bien dommage selon moi. Mais c’est ce qui fait qu’à
l’école, les enfants doivent absolument écrire français… les mots utilisés doivent
être dans le dictionnaire et les dictionnaires ne contiennent pas, ou très peu
d’expressions québécoises. Normal qu’après 10-15 ans de scolarité (ou plus) on soit
conditionnés à écrire en français exactement comme les français, sans y insérer les
couleurs qui nous sont propres…Nous avons donc deux langues bien distinctes et
différentes, la langue parlée et la langue écrite. À ce qu’il me semble, pour les
français la différence est très légère voire nulle. Il y a pourtant quelques auteurs qui
écrivent des romans ou les dialogues sont en joual… ça donne une écriture pleine
d’apostrophes (comme je l’ai fait plus haut) pour marquer les lettres bouffées et les
hésitations. Personnellement j’adore lire ça, mais plusieurs te diront que ça trouble
la lecture plus que ça ne donne de la personnalité au texte…
Donc, comme tu dis, les français peuvent écrire leur langue avec toutes les
évolutions qu’elle comporte (anglicismes, arabismes, verlan, etc) parce que ces
évolutions sont ajoutées au dictionnaire chaque année… Pour les québécois ce n’est
pas permis, en tout cas pas dans le cadre scolaire parce que nous apprenons le
français, pas le joual.
Faut dire que le joual est souvent perçu comme un langage «bas de gamme» associé
à un manque de culture. Personnellement, j'aime dire que le joual est ma langue
maternelle et encore plus depuis que je vis en Europe avec un français. J'ai
beaucoup neutralisé ma façon de parler, mais dans une situation ou je suis
émotivement impliquée, le Québec sort de moi ! Il y a certaines nuances que je ne
peux exprimer qu'en québécois... c'est pour ca que je considère le français presque
comme une deuxième langue.
Qui parle bien ou mal est une fausse question à mon avis… Nous parlons
différemment, mais malheureusement, les québécois eux-mêmes ont tendance à
avoir honte devant les français. Donc les gens défendent le français au Québec, mais
pas la langue québécoise, à mon grand regret. La langue française n’est pas
menacée dans le monde par rapport au joual… enfin... c’est un autre débat. Et pour
avoir entendu plusieurs fois ce cher monsieur Ardisson essayer de faire honte à ses
invités québécois à la télé, je me permets de dire que le type lui-même relève du
domaine de la connerie… (ce n’est que mon avis, mais ça fait du bien d’en parler !)
Petite correction, bien que le Québec compte 7 millions d’habitants, il ne compte
pas 7 millions de francophones. Même si c’est la langue officielle, on peut
facilement vivre toute sa vie au Québec sans parler français. Y a qu’à aller
magasiner dans l’ouest de Montréal pour s’en rendre compte… «can i help you ?»…
«oui, parlez français svp»… «aouh… sorry… i dont speak french»… Phrases courantes…
Pour revenir au nombre, si je me souviens bien, il y a 7 millions de francophones au
Canada, non pas au Québec seulement, mais je ne suis pas sûre de ce que j’avance,
les chiffres changent tellement vite !
Là où je rigole bien par contre, c'est quand tu dis que le français a subi des
distorsions au Québec… Ben là ! Comme je le disais plus haut, il suffit de lire des
vieux textes français de quelques siècles pour constater que la langue a beaucoup
plus changé en France qu’au Québec. Je ne dis pas qu’elle est restée pareille depuis,
mais les changements sont moindre. J’ai été bien surprise à l’école en lisant les
contes de Maupassant… en lisant certains dialogues, on se rend compte que les
français parlaient jadis… le québécois ! Pareil pour certaines fables de Lafontaine où
l’auteur a quelque peu recherché dans le vieux Franc (pas la monnaie, la langue !
lol).
De là, je trouve ca étrange qu’on passe notre temps à se demander comment le
français est devenu ce qu’il est au Québec, alors qu’en fait, c’est en France que la
transformation est flagrante… Le joual est, de toutes les variantes de français
parlées dans le monde, la forme la plus ancienne qui existe… ou plutot qui se
rapproche le plus de la forme ancienne (les historiens s'entendent là-dessus). Une
pièce archéologique en quelque sorte.
Pour les acadiens c’est encore autre chose, mais ils ont eux aussi un langage qui leur
est propre et un accent délicieux à mon avis.
Pour Gaston et Gastonne je ne peux pas te répondre… mystère et boule de gomme…
Ben oui, j’te l’avais dit, c’est long ! J’en aurais écrit plus encore, ca me fascine
cette histoire de la langue… Mais il est tard !!!
A bientôt!
Annie
P.S. euh...une petite dernière...Joual est une déformation du mot cheval. Cette
déformation du mot existait bien avant le Québec. Aussi on disait de quelqu'un qu'il
parlait joual quand il s'exprimait de manière incompréhensible... Au Québec,
certaines personnes (surtout les personnes âgées) utilisent encore ce mot en parlant
de l'animal, aussi bien au singulier qu'au pluriel... un joual, des jouaux!"
At 10:13 AM,
Anonyme said...
Au hasard de mes balades sur le net je tombe sur ce discours franco/canadien et
tombe sous le charme de l'écriture, de la terminologie et du discours des deux
protagonistes (Sébastien/Annie).
Même si j'avoue que certains termes du discours en "joual" resteront pour ma part
nappé d'un certain brouillard "made in" Québec, je vous remercie tout deux d'avoir
réjoui pendant quelques minutes un après-midi marqué par le syndrome de la page
blanche. Toutefois, petite précision d'historienne... le français employé par Jean de
La Fontaine n'est pas du vieux franc mais du Moyen Français et si cela vous amuse
vraiment de trouver des mots commun au joual et au moyen français... allez donc
faire un tour sur ce site réalisé par le CNRS http://www.atilf.fr/blmf/.
Merci de ce divertissement
ciao ciao
Isa
At 12:35 PM,
coyote des neiges said...
Louis... Quatorze, Annie!
Merci pour cet article et pour son commentaire d'Annie, c'était très intéressant!
Je suis en mesure d'ajouter une information : le «tu» qu'on ajoute à toutes les
questions! J'ai trouvé la référence dans «le bon usage» de Grévisse...
(Je ne me gêne pas pour recopier l'extrait puisque de toute façon les commentaires
sont déjà longs...)
«Dans les tournures interrogatives ou exclamatives, la langue populaire se sert
surtout de la particule «ti». Cette particule, dont l'emploi remonte au XVe siècle,
trouve son origine dans la finale des formes telles que «dit-il», «aime-t-il» : la
prononciation vulgaire ayant cessé de faire entendre le «l» final,la syllabe «ti» a été
considérée comme caractéristique de l'interrogation. De la 3e personne du masculin,
elle s'est étendue à toutes les personnes, au masculin d'abord, puis au féminin»
Suivent ensuite, toujours dans le Grévisse, des exemples et citations de Brieux,
Daudet, Marois, Aragon et j'en passe...
At 12:43 PM,
coyote des neiges said...
Hypothèse pour BostON vs WashingtONNE : Peut-être que beaucoup de Francophones
y ont voyagé ou s'y sont établis, d'où la prononciation à la française, tandis que
Washington n'a jamais été une destination très prisée par les Québécois...
Ce n'est qu'une hypothèse... C'est pourtant très vrai que je sursaute quand j'entends
dire «BostONNE» mais que je trouve «WashingtONNE» très normal!
At 4:01 AM,
Anonyme said...
En Anjou, la province où l'on parle le français le plus pur, les patois paysans sont très
proches de votre Jaoual.
et bravo pour les infos, c'est très passionnant.
At 11:33 PM,
Anonyme said...
Cette discussion m'a beaucoup éclairée sur plusieurs points. Merci à Annie. Je crois,
mieux on comprend l'origine du Joual, moins on se moque. Je suis une africaine,
ayant fait des études en France (10 ans). Aujourd'hui je vis au Québec depuis 6 ans.
Je dois dire que, comme beaucoup de personnes qui arrivent pour la première fois
au Québec , j'ai trouvé que le joual était une honte. Je me demandais comment un
étudiant à l'université pouvait dire "je vas" alors qu'un enfant qui commence l'école
primaire en Afrique, sait que c'est une faute de francais élémentaire. Mais
aujourd'hui, je comprends mieux.
Je crois que les québécois devraient conserver le joual. C'est leur identité. Mais ils
devraient seulement le parler dans leurs familles et non à l'école ni dans les lieux
publics. C'est leur langue maternelle. C'est comme en afrique, ou les gens parlent
dialecte dans les maisons et francais dans les lieux publics.
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