Où va le Bilan de Compétences

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Où va le Bilan de Compétences
Où va le Bilan de Compétences ?
Franck Damée – novembre 2012
www.conjugueursdetalents.com
Le bilan de compétences a soufflé ses 20 bougies l’année dernière : l’occasion de
feuilleter l’album photo de ces deux décennies… Et surtout de nous interroger sur
l’avenir d’un dispositif que nous envient nos voisins européens.
LE BILAN DE COM PETENCES - LOI 1991
Le bilan de compétences permet à un salarié de faire le point sur ses compétences, aptitudes et motivations et de définir un
projet professionnel ou de formation. Réalisé par un prestataire extérieur à l’entreprise, selon des étapes bien précises, le
bilan de compétences peut être décidé par l’employeur ou mis en œuvre à l’initiative du salarié, dans le cadre d’un congé
spécifique.
Quel est l’objectif du bilan de compétences ?
Le bilan de compétences concerne toute personne désireuse :
• d’analyser ses aptitudes, ses compétences personnelles et professionnelles, ses motivations
• d’organiser ses priorités professionnelles
• d’utiliser ses atouts comme instrument de négociation pour un emploi, une formation ou en termes de choix de
carrière
Pour l’entreprise, c’est aussi l’occasion de :
• mieux organiser la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences
• favoriser la gestion des carrières et la mobilité professionnelle
Le bilan de compétences donne lieu à la rédaction d’un document de synthèse en vue de définir ou de confirmer un projet
professionnel, le cas échéant, un projet de formation. Cette prestation peut être suivie à l’initiative de l’entreprise (elle est
alors inscrite dans son plan de formation) ou du salarié (dans le cadre du congé de bilan de compétences).
La durée du bilan varie. Elle est au maximum de 24 heures lorsque le bilan se déroule dans le cadre du congé de bilan de
compétences. Elle se répartit généralement sur plusieurs semaines.
La personne qui a bénéficié du bilan est seule destinataire des conclusions détaillées du bilan de compétences qui ne
peuvent être communiquées à un tiers qu’avec son accord.
(extrait du site http://travail-emploi.gouv.fr)
Le concept de bilan de compétences a émergé, à la fin des années 80, dans un
contexte de restructuration de l’industrie et de mutation des métiers. Des secteurs
industriels historiques, gros pourvoyeurs d’emplois comme le textile ou la sidérurgie,
sont promis à une disparition plus ou moins brutale pendant que de nouvelles activités
génèrent des embauches massives. Il faut alors adapter la main d’œuvre pour que
l’ancien salarié du textile puisse se reconvertir dans l’informatique. Pas question pour
autant de renvoyer à l’école l’ensemble des travailleurs concernés pour « apprendre »
un nouveau métier de A à Z, car chacun, au fil de son itinéraire professionnel, a
capitalisé des « savoir-faire » qui peuvent être mobilisés dans une nouvelle profession.
C’est à l’origine un enjeu fondamental du bilan de compétences : identifier et quantifier
les savoir-faire/compétences acquises au fil du temps pour envisager leur transférabilité
sur de nouvelles activités professionnelles.
Ainsi le courant de réflexion qui a inspiré le bilan de compétences a révolutionné la
façon d’aborder la qualification professionnelle. Comme le souligne Claude Lévy-
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1
Leboyer, « Le principe du bilan de compétences ébranle plus d’idées reçues qu’il
n’apparaît au premier abord : il met en cause la capacité des diplômes à prédire le
succès professionnel ; il implique que l’image de soi spontanément élaborée n’est pas
toujours exacte ; il donne un rôle central à l’expérience comme moyen de
développement personnel ; il suppose qu’il existe des moyens efficaces pour décrire,
voire pour mesurer les compétences. »1 La qualification n’est donc pas figée, elle
évolue à mesure que le travailleur cumule les expériences et capitalise les
compétences… Et elle n’est pas nécessairement liée à un niveau d’études !
REPERES CHRONOLOGIQUES
1986 – Le 14 mars 1986, une circulaire du Ministère du Travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ordonne
l’expérimentation sur une dizaine de sites en France de "centres de bilan d'expériences personnelles et professionnelles"
1989 – Création des Centres Interinstitutionnels de Bilans de Compétences (CIBC)
1991 – La loi du 31 décembre 1991, précédée de l’accord interprofessionnel du 3 juillet, donne au bilan de compétences
une base légale et un contenu juridique. Le code du travail reconnaît à tout travailleur, qu’il soit salarié, non salarié,
demandeur d’emploi, agent public, le droit à suivre un bilan de compétences.
1993 – La circulaire le 19 mars 1993 diffusée par le Ministère du Travail apporte un cadrage technique du bilan de
compétences (finalité, contenu, modalités, conditions d’accès, déontologie, droit au congé individuel, agrément des
prestataires, etc.)
1995 – Création de la chambre syndicale des centres de bilans de compétences (CSCBC)
2001 – La convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 met en place le bilan de compétences approfondi (BCA)
pour aider les demandeurs d’emploi à retrouver plus rapidement un travail. 120 000 prestations sont budgétées en 2002.
2004 – La loi du 4 mai 2004 instaure le droit individuel à la formation (DIF) pour les salariés du secteur privé. Cette
nouvelle source de financement pour le bilan de compétences sera mobilisable à partir de mai 2005.
2007 – La loi du 2 février 2007 relative à la modernisation de la fonction publique étend le DIF à la fonction publique. Le
décret du 15 octobre 2007 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des fonctionnaires de l'Etat, permet
aux agents de la fonction publique et de la fonction hospitalière de bénéficier d’un bilan de compétences.
A ses débuts dans les années 90, le bilan de compétences est clairement boudé par
l’entreprise qui ne voit pas l’intérêt de financer un dispositif dont les conclusions ne sont
communiquées qu’aux seuls salariés (voir le premier encadré). Par ailleurs, les salariés
eux-mêmes hésitent à s’engager dans un bilan : certains craignent que leur démarche
ne soit interprétée comme une volonté de quitter leur entreprise, d’autres ont peur que
les tests psychotechniques ne les invalident, d’autres encore que le conseiller leur
« impose » une réorientation. Ainsi durant les premières années, le dispositif
concernera très majoritairement les demandeurs d’emploi (83% en 1993 – voir
encadré 3).
Il faudra attendre le début des années 2000 et la mise en place d’un bilan de
compétences dédié aux seuls demandeurs d’emploi, le BCA (Bilan de Compétences
Approfondi) pour voir les salariés commencer à prendre possession du dispositif
(49 000 salariés bénéficiaires en 2003 contre 23 000 en 1999). Par la suite, d’autres
mesures viendront encore modifier la donne…
1
Claude LEVY-LEBOYER, Le Bilan de Compétences, Editions de l’Organisation, 1993.
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2
A la fin des années 2000, la disparition programmée du BCA diminuera
considérablement l’accès au bilan de compétences pour les demandeurs d’emplois. Si
Pôle Emploi présente encore le bilan de compétences sur son site internet en 2012, il
préconise, faute de moyens, de « participer à d’autres types d’évaluations, plus
pratiques, pour vérifier que vos compétences correspondent à celles recherchées par
les employeurs ou que l’emploi vers lequel vous vous dirigez vous convient :
L’Evaluation des Compétences et des Capacités Professionnelles, l’Evaluation en
Milieu de Travail, l’Evaluation en Milieu de Travail Préalable au Recrutement. Orientées
vers des finalités plus concrètes et immédiates que les bilans de compétences
habituels, ces méthodes d’évaluation ciblent essentiellement des métiers spécifiques.»2
Inversement pour les salariés, diverses mesures contribueront à booster la demande de
bilans de compétences : la mise en place du droit individuel à la formation en 2004, puis
son étendue aux salariés de la fonction publique en 2007, et enfin la reconnaissance la
même année d’un droit au bilan de compétences pour les agents de la fonction
publique et de la fonction hospitalière. Et la marge de développement est encore
importante avec (malheureusement) une économie chancelante qui génère
massivement des reconversions non choisies et une réserve globale de DIF à peine
écornée3.
LE BILAN DE COMPETENCES EN CHIFFRES
EVOLUTION de 1993 à 2007 (sources compilées : DARES, CEREQ, FONGECIF)
Nombre de bilans réalisés
1993
126 000
1996
85 000
1999
81 000
17%
83%
25%
75%
29%
71%
1 383
17
2003
205 000
2007
194 000
dont 15 5000 BCA
- dont salariés
- dont DE
Nbre d’heures (milliers)
Durée moyenne (heure)
24%
76%
4 460
23
En 1999, l’activité bilans de compétences représentait un chiffre d’affaires de 47 millions d’Euros (dont 58% Etat et
collectivités, 24% Opacifs , 17% plan de formation, 1% individus) et le prix moyen de la prestation s’élevait à 575€.
896 centres de bilans se partageaient cette masse financière (source DARES)
De 1999 à 2007, la contribution des Opacifs au financement des bilans de compétences a été multipliée par 4. Elle
est passée de 11,3 millions à 46 millions d’Euros.
En 2000, 73% des salariés qui ont réalisé un bilan de compétences l’ont fait dans le cadre du plan de formation, contre
27% dans le cadre d’un CIF (Source : Déclarations fiscales 24-83, exploitation CEREQ)
Toutefois, la réalité du marché des bilans de compétences est complexe à appréhender
du fait :
- du nombre important d’acteurs qui interviennent, de la multiplicité de leurs statuts
(centre de bilans associatifs, privés, travailleurs indépendants…) ainsi que de
l’amalgame possible avec leurs activités hors bilans de compétences.
2
3
http://www.pole-emploi.fr - Pourquoi et comment faire un bilan de compétences ?
Le taux d’accès des salariés au DIF était seulement de 6,5% en 2010 (Bref Céreq n°299-2 de mai 2012)
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- de la multiplicité des sources de financement (Etat, collectivités territoriales, OPACIF,
OPCA, entreprises, individus…)
- de l’évolution dans le temps des contours de la prestation étudiée (notamment
l’introduction du BCA en 2001, puis sa disparition programmée)
A partir des données partielles connues à ce jour, on peut estimer que 220 000
prestations de bilans de compétences auraient été réalisées en 2011, pour un chiffre
d’affaires global de 350 millions d’Euros (4,5 millions d’heures facturées en moyenne à
78€). L’entreprise est dans cette évolution de plus en plus partie prenante, sur le plan
financier (DIF et plan de formation) mais aussi sur le plan de l’initiative. En effet, dans
un contexte économique incertain, l’entreprise intègre le bilan de compétences comme
un outil majeur de la gestion prévisionnelle des emplois et compétences, n’hésitant pas
à inciter ses salariés à anticiper ainsi d’éventuels changements.
Et demain ? Il est difficile d’imaginer que l’avenir du bilan de compétences se jouera
uniquement dans l’hexagone. Si la loi de 91 qui a permis l’émergence du dispositif est
bien française, le marché du travail s’est depuis considérablement internationalisé,
poussant nombre de travailleurs à aller chercher épisodiquement un emploi dans
d’autres pays. Notre bilan de compétences « bleu blanc rouge » a déjà inspiré des
initiatives européennes comme EUROPASS4 qui est une sorte de passeport européen
des compétences, ou bien encore la création de la FECBOP5 qui a pour vocation
de promouvoir en Europe les pratiques de bilan de compétences et d'orientation
professionnelle tout au long de la vie. Des pays voisins ont déjà repris l’idée à leur
compte. Ainsi l'Etat fédéral belge a instauré en 2001 un droit du travailleur à l'octroi de
congé formation pour réaliser un bilan de compétences. En Suisse, des bilans de
compétences sont proposés gratuitement aux étudiants à l’Université de Lausanne en
fin de cursus, et diverses organisations proposent aux salariés des prestations très
similaires à notre dispositif français. L’Europe se dotera-t-elle un jour d’une loi pour
généraliser l’accès au bilan dans tous les Etats membres ?
Ce qui est certain, c’est que le monde du travail a changé (mondialisation, instabilité
économique, mutations des métiers, fluctuations du marché de l’emploi) et que les
travailleurs ont intégré ce changement. Rousseau lui-même serait bien obligé de
constater que la chose la plus importante à toute la vie n’est plus le choix d’un métier,
car ce choix n’est plus pour « toute la vie ». Les reconversions choisies ou subies et les
opportunités d’évolution font partie intégrante du chemin, et à chacun de ces carrefours,
le travailleur aura plus que jamais besoin d’un espace de réflexion sur sa trajectoire
professionnelle.
merci de n’utiliser ce texte qu’avec l’autorisation de l’auteur – Franck Damée - [email protected]
Plus d’informations sur la conduite des bilans de compétences ici > http://www.idemedia.fr/FormCBC.htm
Europass est un dispositif de l'union européenne reconnu dans 31 pays. Il vise à mettre en valeur le parcours et les
compétences du travailleur et ainsi faciliter son recrutement dans un autre pays européen.
5 La Fédération Européenne des Centres de Bilans et d’Orientation Professionnelle siège à Vichy. Elle compte des adhérents en
Allemagne, Belgique, France, Grèce, Italie, Pologne, Portugal, République Tchèque.
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