L`INDIFFERENCE DES BONS Noémie SCHOENNAHL
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L`INDIFFERENCE DES BONS Noémie SCHOENNAHL
L’INDIFFERENCE DES BONS Noémie SCHOENNAHL - Lycée Sainte-Clotilde - Strasbourg (67) - 2009 Chaque homme a le droit de décider de son destin Diviser pour régner ne peut que nous déchirer Dans la poitrine de chaque homme il y a un cœur qui bat Frère tu as raison, tu as vraiment raison Nous restons pour lutter, nous allons lutter Nous lutterons, nous allons lutter Lutter pour nos droits “Set it up in-a Zimbabwe (Zimbabwe); Africans a-liberate Zimbabwe (Zimbabwe); Every man got a right to decide his own destiny.” Ces paroles pleines de force, d’espoir, de lendemains égalitaires aux refrains libérateurs ont été prononcées il y a 28 ans par celui que l’on n’oublie pas, Bob Marley, lors de la fête d’indépendance du Zimbabwe. Que reste-t-il, outre ce visage symbolique, de cette lutte annoncée ? Jusqu’où ces paroles connues internationalement auront atteint et marqué nos mentalités ? Le constat me semble décevant, inadmissible. Ce que je vois, c’est la famine, la peur, le manque, le besoin. Pourquoi ces cris de joie se sont-ils transformés en cris de peur, de haine, en silence forcé ? Pourquoi nous, Européens, pays riches et développés, avons-nous laissé une Afrique, autonome et développée, se résoudre à un tumulte économique désastreux, à des conditions de vie humaines repoussantes, dirigée par une dictature outrageuse ? La situation du Zimbabwe est complexe, elle est rongée par de nombreuses facettes qui la détériore. Je ne chercherai pas à trouver un responsable au bon dos pour expliquer ce tumulte, je tenterai de revenir sur les nœuds du passé, sans avoir la prétention de vouloir les défaire. Je veux juste parler de ce qui ronge ma, nos carcasses d’homme, et contre quoi il n’existe pas de remède préfabriqué. Je déplore la vengeance sur les abus coloniaux du passé qui transforma un futur prometteur en un présent invivable. Le Zimbabwe est en effet très fertile et possède de nombreuses ressources, lui ayant notamment permis de développer le tourisme mais des expropriations massives eurent lieu (depuis l’indépendance, 80 % des terres changèrent de main, bafouant ainsi l’article 17 garantissant le droit à la propriété) sur fond de haine raciale contre les ex-colonisateurs, sociale contre les inégalités et motivé par les promesses d’enrichissement du gouvernement. Ces « reformes agraires » ne furent pas accompagnées des aides nécessaires et promises par le Commonwealth qui auraient permis le recours à d’autres procédés ou, en tout cas, garanti une meilleure transition. En effet, on a souvent parlé, des fermiers blancs mais aussi des centaines d’ouvriers noirs qui ont perdu leur emploi, leur maison : ils ont été battus, leurs épouses et leurs filles ont été violées, et aucune réaction n’eut lieu contre ces violations de l’article 5 interdisant les traitements cruels ou de l’article 12 qui condamne l’immixtion dans la vie privée ou le domicile de l’individu. Ce sentiment de gâchis et ces remords flottent sur les routes avec les nombreux jeunes démunis, se retrouvant avec un lopin de terre mais rien pour le cultiver, instrumentalisé par le pouvoir et ont les entend dire « nous avons fait toutes ces vilaineries pour le camarade Mugabe (président du Zimbabwe) et regardez où on en est ». La révolution digère mal ses enfants qu’elle a mangés et les lames qui firent saigner le Zimbabwe furent à doubles tranchants. Cette réattribution relationnelle et hâtive des terres provoqua une baisse de la production agricole, motrice de l’économie Zimbabwéenne, qui dut fatalement s’endetter pour maintenir son seuil d’importation. En parallèle, eut lieu un fort exode rural des populations expulsées vers des bidonvilles devenus le reflet d’une réalité sociale aussi précaire que globale. Inlassablement accroché au pouvoir, le président Mugabe, héros de l’indépendance et qui relaya ainsi l’oppression coloniale, fit détruire ces bidonvilles considérés comme le siège de l’opposition. Opposition qui fut effectivement entraînée dans un chemin bien périlleux et déstabilisant ; truquages et rapports de force lors des présidentielles (que Mugabe remporta malgré des scrutins et des conditions de vote contestés nationalement comme internationalement), meurtres de centaines d’opposants, forte répression lors des rassemblements et des manifestations, atteintes profondes à la liberté de presse. Les droits de liberté d’expression et d’opinion, de réunion et d’association, garantis par les articles 19 et 20, ne furent pas ôtés qu’aux opposants politiques mais également aux défenseurs des droits de l’homme comme le montre l’arrestation de dix femmes lors d’un rassemblement pacifique de l’association « Femmes du Zimbabwe, Debout ». Elles furent emmenées en garde à vue avec leurs jeunes enfants, battues devant les yeux de ces derniers. Plusieurs d’entre elles durent se faire hospitaliser suite à cette bavure qui, là-bas, n’en est pas une. Ou encore récemment, mercredi dernier le 3 décembre, la présidente de l’association « zimbabwe peace project », fut arrêtée chez elle, sa disparition explicite le mépris et démontre l’enfreinte du gouvernement envers ces droits fondamentaux. Ainsi fut le prélude du triste scénario joué par la maladie négligée, je dis négligée car les rares lieux de soins existants sont extrêmement coûteux. Il prit des dimensions démesurées avec une baisse de l’espérance de vie de vingt ans en moins de dix ans, un adulte sur quatre contaminé par le sida et actuellement une épidémie de choléra de plus en plus meurtrière. Le gouvernement ne se préoccupe pas de la violence en tout genre, de l’inévitable déscolarisation due à la perte de logement et le prix exorbitant de l’éducation qui ne fait qu’accroître ce délit social (220 000 enfants recensés par l’UNICEF) et de l’inflation démesurée, faisant du Zimbabwe un pays où les hommes marchent pied nus là où, trente ans plus tôt, circulaient des transports en commun. Un pays où tous les matins les habitants font la queue devant des distributeurs en espérant que cet argent leur permettra encore d’acheter de quoi nourrir leur famille le soir, un pays où la nourriture est d’ailleurs bien rare. Ce que je vois dans ce gâchis géopolitique et social, c’est l’outrageuse enfreinte aux droits de l’homme et notamment à l’article 25 garantissant l’accès à un niveau de vie suffisant, l’accès aux soins et le droit à l’éducation. Nos pressions sont inutiles car M. Mugabe ignore l’opinion internationale et laisse son pays se faire dominer par le cercle vicieux reliant désastre politique, désastre économique et désastre social. Alors, face à cette urgence humanitaire, qu’en est-il du droit d’ingérence ? Quand avons-nous le devoir d’intervenir ? Notre attitude ne doit-elle être que l’indifférence ou la passivité face à ces populations dont la survie, entre résistance au froid des sans abris et satisfaction des besoins vitaux de tous, est un combat quotidien ? Nous devons nous lever face à tant d’abus, tant de promesses dans lesquelles nous voulons croire, que nous voulons voir en application et non uniquement sur la neutralité d’un papier vierge, docile, facile à noircir. En effet, le Zimbabwe fut un espoir pour toute une Afrique, toute une partie du monde sousdéveloppée, dépendante, exploitée. Nous, pays riches, intervenons que pour les abus de pouvoir de son dirigeant qui, avant de nuire à la sécurité et la prospérité de son pays, contredit nos propres valeurs démocratiques. La dictature de Mugabe est inadmissible et la répression faite à ses opposants l’est davantage, mais les désastres de ce pays dépassent amplement le plan politique. L’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme ne sont pas les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements. Je me demande alors qui s’est soucié des conditions de vie des zimbabwéens, de l’exode massif auquel ils ont recours pour fuir cette situation, de la prostitution pour du sel et du savon, des conséquences des émeutes lors des présidentielles, des seaux de provision vides depuis des mois dans les campagnes où les hommes se nourrissent désormais de fruits sauvages ou, surtout, du fait qu’un pays, grenier à blé de l’Afrique, devienne dépendant de l’aide alimentaire, avant de se lever contre cette inadmissible dictature. Il en est de même pour l’actuel choléra qui est terrible, dont on parle enfin, et heureusement, mais qui aurait pu être évité par une intervention humanitaire et sanitaire anticipée car jugée nécessaire étant donné l’état du pays. Mais quand jugeons-nous notre intervention nécessaire, et quelle priorité donnonsnous à celle-ci ? En effet, le Zimbabwe s’ajoute comme une pierre à l’édifice de l’intolérable et amène à un questionnement essentiel quant à la détermination du sens de nos actions politiques comme économiques. En 2009, qui ou quoi sera moteur des actions des individus, des gouvernements, est-ce encore l’homme qui dirige ou sa perspective de capital ? Vous nous demandez de défendre les droits de l’homme mais qu’est ce que l’homme ? L’Africain inconnu, qui maintenant, et maintenant, et maintenant, et durant tout mon temps de parole, et durant toute votre nuit, et votre journée de demain, vient de mourir de faim, de soif, de maladie due à un manque de ce qui est pour nous une normalité absolue, est-il le même homme, comme le promet l’article 1ou 2 de la Déclaration, que moi, que vous, avec notre sécurité sociale, notre garantie de vie, cet argent qui nous maintient comme un socle et qui fonde notre légitimité d’exister ? J’aimerais que vous remarquiez le Zimbabwe et les différents vices qui rongent sa prospérité, le gouffre autodestructeur dans lequel il s’est enfui, ainsi que le climat dans lequel doivent survivre des populations castrées de leurs droits les plus légitimes, ceux de l’homme. Je suis venue pour dénoncer notre indifférence face aux enfreintes qui sont faites dans le monde aux textes que nous prônons. Mais le Zimbabwe n’est qu’un instrument de l’orchestre qui témoigne de la misère mondiale. Tant d’autres situations sont dénonçables, au delà des frontières comme de nos rues et, c’est d’une voix unanime que nous reconnaissons et condamnons ce qui doit devenir notre combat. Mais alors, pourquoi nous parle-t-on plus d’obésité que de famine ? Pourquoi nous parle-t-on plus de cas particuliers de viol que de celui des populations entières soumises à la prostitution ? Car la nécessité de se prostituer pour survivre est le viol de la misère. La peur constante d’un lendemain de jeûne mérite de l’aide, l’éloignement des urnes par peur est l’oppression, mais pire que l’oppression des mauvais, il y a l’indifférence des bons. Ainsi, je me demande si nous n’avons pas tout faux, tel est le constat désolant auquel je suis arrivée. Avons-nous basé notre civilisation d’après un plan humainement défaillant : les consolidations économiques de nos intérêts écrasent le terrain de vie sur lequel il a été bâti, nous avons tracé la route du monde vers une destination bancale, incertaine, sur laquelle l’homme est de trop. Alors, l’harmonie ou l’humanité ne sont-ils que des mots, que des taches de couleurs trop rares sur la toile d’injustices et d’inégalités du tableau Monde ? Mais dans ce cas, qu’y a-t-il à réguler ? Simplement un marché avec ses normes et ses règles ou bien, plus amplement, ce qu’il reflète c'est-à-dire la volonté des hommes à dépasser son statut d’humain, fait de vulnérabilité physique et morale, vers une autre ère, celle de l’immortalité économique, du surhomme mécanique, du cerveau informatique. Mais Nicolas Sarkozy, mon président, a dit ; « La planète est devenu ce village où les distances ne sont plus un obstacle et où tous, nous dépendons de chacun. C’est la mondialisation » Alors, allons au bout de ces affirmations, créons une véritable entraide au sein de ce village et apprenons à nous connaître et à nous estimer entre habitants d’un même espace. Devenons dépendants, non pas d’intérêts économiques, mais de notre situation humaine, de ses droits et des liens qui peuvent en naître. Ainsi, revoyons les motivations purement matérielles de l’économie afin de ralentir son engrenage destructeur pour les hommes comme pour leur environnement. Ne seraitce pas possible d’établir internationalement une couverture économique qui, tout en assurant la création de richesses, d’emploi, le dynamisme nécessaire à une conjoncture économique propice au développement, serait exclusivement solidaire et sociale ? Ainsi, les intérêts humains remplaceraient les intérêts financiers, l’homme, le développement, l’environnement viendraient prendre les rôles du profit, de la grande productivité, de l’argent avec un grand A, afin d’ancrer la solidarité au centre de nos préoccupations de citoyens responsables. Le monde n’est pas qu’un grand marché et nous sommes nombreux à vouloir faire tourner la roue dans l’autre sens, à vouloir tendre les micros vers les cris de ceux que l’on n’entend pas, à vouloir doter la course effrénée au profit d’un arbitre humain afin d’enrichir philosophiquement le débat sur le monde à construire. De plus, déposons ici le lourd fardeau de l’histoire et avançons, ensemble, dans un but commun de paix, de développement humain. Les expropriations, dont furent victimes les blancs, ne furent que le revers des injustices imposées auparavant aux populations noires, le vice de la vengeance est présent partout car l’oppression et l’humiliation ont rongé toutes les cultures de toutes les époques. Assumons nos fautes, nos responsabilités, encaissons l’héritage honteux que nous laisse le passé et relevons la tête grâce à la perspective d’un avenir différent. Ne nous renfermons pas dans la défense d’un honneur national mais créons cette fierté au niveau mondial, après une page tournée, ouverte sur le sourire de nos enfants, peu importe où ils naissent. Martin Luther King disait que nul ne se plait dans la vallée du désespoir, il avait un rêve qui est devenu celui de milliards d’autres personnes, rêve qui se rapproche maintenant d’une réalité. Cette plaidoirie peut être perçue comme un délire, mais un délire, tout autant qu’un rêve, peut aboutir à une part de concret, de réel dans laquelle on peut croire, pour laquelle on peut se battre. Le délire nazi a tué 6 milliards de personne, le délire humain a tué je ne sais combien d’espèces animales, le délire philosophique a tué la peur de la mort. Mon délire, je l’espère, fera naître en Afrique, en Inde, des hommes égaux à ceux nés en Europe, aux Etats-Unis. Mon délire, j’aimerais y croire, ouvrira nos cerveaux cloisonnés vers une vérité autre qu’économique, et, ce jour là, de nos mentalités fleuriront des cris de paix, de justice, d’égalité et d’humanité.