Lamy social - Snadeos CFTC

Transcription

Lamy social - Snadeos CFTC
2 0 1 1
D
Lamy social
ACTUALITÉS
➜ CHRONIQUE
Les forfaits-jours validés sous conditions
Les forfaits-jours sont jugés conformes au droit européen et à la Constitution
à condition que les accords collectifs les instituant préservent les droits des salariés
à la santé et au repos. Si les dispositions conventionnelles ne sont pas appliquées,
la convention de forfait-jours devient privée d’effet.
3 Marie HAUTEFORT,
Membre du comité de rédaction
du Lamy social
N° 259
juillet
2011
ISSN 1256-9895
D
epuis que le Comité Européen de Droits Sociaux
(CEDS) avait, il y a quelques mois, désavoué le
législateur en déclarant le décompte du temps de travail en jours contraire à la Charte sociale européenne,
on attendait que la Cour de cassation tranche le débat.
Elle vient de le faire, le 29 juin dernier, en consacrant
la compatibilité des forfaits-jours avec le droit européen, à la condition que les accords collectifs qui les
mettent en place comportent un certain nombre de
garanties.
Quelles menaces pesaient sur le forfait-jours ?
Ce bulletin actualise
votre ouvrage entre
deux éditions
Pour vous abonner
à l’ouvrage
et à son actualisation,
contactez-nous au
Par plusieurs décisions, le Comité européen des droits
sociaux du Conseil de l’Europe avait considéré que
les forfaits en jours n’étaient pas conformes à la Charte
sociale européenne de 1961, révisée en 1996 (CEDS,
23 juin 2010).
Selon l’article 2, § 1, de la Charte, « en vue d’assurer
l’exercice effectif du droit à des conditions de travail
équitables, les parties contractantes s’engagent à fixer
une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire ».
Aussi le Comité européen des droits sociaux
considérait-il que, pour qu’une législation sur le temps
de travail soit conforme à la Charte, elle devait répondre à trois critères :
• empêcher une durée déraisonnable du travail. Or,
notre législation, qui n’impose qu’un repos quotidien de 11 heures et un repos hebdomadaire de
35 heures consécutives, permet virtuellement aux
salariés soumis à un forfait-jours de travailler
78 heures par semaine, ce qui n’est pas raisonnable ;
• être établie dans un cadre prévoyant des garanties suffisantes. Le fait que la loi n’impose ni aux
conventions collectives de branche ni aux accords
d’entreprise de prévoir une durée maximale quotidienne et hebdomadaire, et que le suivi de la q
SOMMAIRE
Chroniques ......................................................... 1
Les forfaits-jours validés sous conditions
ACTUALISATION DE L’OUVRAGE ............................ 7
3 Conditions de licéité des avantages catégoriels
conventionnels
3 Prévention de la pénibilité — Décrets d’application
3 Egalité femmes / hommes : résorption des écarts
3 Equivalences et travail effectif
3 Faute inexcusable — Réparation intégrale
3 Avis médical d’aptitude sous réserves
ACTUALISATION DU GUIDE ................................. 35
SOMMAIRE RÉCAPITULATIF ................................. 38
Ce numéro est accompagné d’un encart publicitaire.
D
durée quotidienne et de la charge de travail ne soit traité
qu’à l’occasion d’un entretien annuel avec les salariés
concernés et lors d’une consultation annuelle du comité
d’entreprise, est considéré comme n’offrant pas de garanties suffisantes ;
• prévoir des périodes de référence d’une durée raisonnable pour le calcul de la durée du travail. Ce critère n’était
pas commenté.
Au vu de cet avis, bon nombre d’observateurs s’attendaient
à ce que les forfaits-jours, bien que dûment prévus par le
Code du travail, soient déclarés illicites, ce qui aurait eu l’effet
d’un séisme dans les entreprises et aurait privé les employeurs
et les salariés autonomes d’un système de gestion du temps
de travail satisfaisant. Les accords annulés, il aurait fallu
réintroduire pour les salariés visés un contrôle des heures de
présence incompatible avec leur liberté d’organisation de
leur travail.
C’est un conflit introduit par un cadre autonome, relatif au
paiement d’heures supplémentaires, qui a permis à la Haute
Juridiction de lever le suspens.
Le litige soumis à la Cour de cassation
Embauché en 2001, un responsable commercial a signé un
contrat de travail prévoyant le décompte de son temps de
travail en jours, par référence à l’accord de la Métallurgie
sur l’organisation du travail, du 28 juillet 1998 modifié le
23 mai 2000. Il démissionne et saisit la juridiction
prud’homale de diverses demandes, notamment d’un rappel d’heures supplémentaires.
Pour revendiquer ces heures supplémentaires, le salarié
s’appuie sur le fait que l’employeur n’a pas contrôlé le nombre de jours travaillés, n’a pas non plus assuré le suivi de son
organisation et de sa charge de travail comme le prévoyait
l’accord, et que, par conséquent, il n’a pas perçu toutes les
sommes auxquelles il pouvait prétendre. Il relève d’ailleurs
que son bulletin de paye mentionne une durée du travail de
151,67 heures.
La cour d’appel rejette sa demande en retenant que ce responsable commercial avait été légitimement classé parmi
les cadres autonomes, que le contrat de travail se référait à
l’accord du 23 mai 2000 faisant bénéficier les cadres autonomes d’une convention de forfait en jours déterminé sur la
base de 217 jours de travail par an. Elle en conclut « que
cette disposition par laquelle le salarié a accepté le bénéfice
d’une convention de forfait sur la base de 217 jours par an
s’interprète comme excluant la rémunération de toute heure
2
supplémentaire dès lors qu’il était soumis à une convention
de forfait en jours de travail telle que déterminée par cet
accord et excluant les dispositions légales sur la durée du
travail exprimée en heures ».
Quant aux défaillances de l’employeur et à la rédaction
malencontreuse du bulletin de paye, elles « ne sont pas de
nature à remettre en cause la convention de forfait fixé en
jours ».
La décision
Au visa d’un nombre impressionnant de textes, préambule
de la Constitution du 27 octobre 1946, article 151 du Traité
sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à
la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire
des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, article L. 3121-45 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi no 2008-789 du 20 août 2008, directive
no 1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, directive
no 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du
4 novembre 2003 et Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne, la Cour de cassation, dans un arrêt du
29 juin 2011 (Cass. soc., 29 juin 2011, no 09-71.107
P+B+R+I) déroule un raisonnement en cinq attendus, dont
il résulte :
1. Que le décompte en jours de la durée du travail n’est
contraire ni à la Constitution ni au droit européen ;
2. Mais comme il s’agit malgré tout d’une dérogation aux
dispositions relatives à la durée du temps de travail, celleci ne peut être admise qu’à la condition que l’accord
collectif qui l’institue contienne des stipulations assurant
le « respect des durées maximales de travail ainsi que des
repos, journaliers et hebdomadaires » et, de manière plus
large, « le respect du droit à la santé et au repos », lequel
« est au nombre des exigences constitutionnelles » ;
3. Que l’accord de la Métallurgie satisfait à ces exigences
(ce qui va permettre, en l’analysant, de savoir que prévoir dans un accord de forfait-jours) ;
4. Que le respect scrupuleux de l’accord est indispensable,
faute de quoi la convention individuelle de forfait en jours
est « privée d’effet ».
C’est pour avoir négligé ce dernier point que la cour d’appel
est censurée.
La conformité avec le droit européen est atteinte via
le contenu de l’accord
Le défi lancé à la Cour de cassation n’était pas mince. Comment pouvait-on sauver les forfaits-jours sans méconnaître
la Charte sociale européenne et la Charte communautaire
des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, sans oublier
le droit constitutionnel des salariés à la santé et au repos ?
Lamy social q ACTUALITÉS q No 259 q Juillet 2011
La Haute Juridiction trouve la solution grâce à la disposition
légale qui veut que le décompte en jours ne puisse être mis
en place que par la conclusion d’un accord collectif. Doit
être inscrit dans l’accord collectif pour satisfaire à tous les
textes qui viennent d’être mentionnés, ce que la loi ne prévoit pas ou plutôt, ne prévoit plus, car la loi no 2008-789 du
20 août 2008 a malencontreusement supprimé toute obligation d’inscrire dans l’accord les processus de contrôle de
la bonne application de l’accord et les modalités de suivi de
l’organisation du travail (et surtout, du repos), de l’amplitude des journées et de la charge du travail.
Un audit des accords existants s’impose
A la lumière de cet arrêt et par référence à l’accord de la
Métallurgie, déclaré conforme aux normes européennes, les
entreprises sont donc invitées à vérifier leurs accords et, si
nécessaire, à les renégocier.
Très fouillé, cet accord impose aux négociateurs une feuille
de route bien précise.
Définition des fonctions impliquant l’autonomie
L’accord de la Métallurgie impose aux partenaires sociaux
de définir les caractéristiques de la fonction qui justifient
l’autonomie du salarié : il y a donc déjà à ce stade une prise
de conscience, consacrée par un écrit, d’une réelle indépendance dans l’organisation du temps de travail. Cette « autonomie dans l’organisation journalière de son emploi du
temps » doit d’ailleurs être reprise par « une disposition spécifique de son contrat de travail ».
Fixation de la durée maximale du temps de travail,
exprimée en jours
Le deuxième attendu de la Cour insiste sur la nécessité de
garantir les durées maximales de travail :
« Attendu, encore, que toute convention de forfait en jours
doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations
assurent la garantie du respect des durées maximales de
travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ».
En lisant cet attendu, certains commentateurs ont cru devoir
comprendre qu’il fallait rétablir dans les accords des maxima
exprimés en heures, ce qui est totalement incohérent puisque le but recherché est, justement, de déconnecter le calcul de la durée du travail de toute référence aux heures,
faute de pouvoir les contrôler.
L’examen de l’article 14 de l’accord de la Métallurgie clôt la
discussion puisqu’il est acquis qu’il est irréprochable. Or, il
ne fait à aucun moment référence à un nombre d’heures,
bien au contraire : « Le forfait en jours s’accompagne d’un
contrôle du nombre de jours travaillés ».
La durée maximale s’exprime donc à l’année et en nombre
de jours.
Garantir le droit au repos
Dans l’accord Métallurgie, est expressément réaffirmée la
nécessité de respecter le repos quotidien minimal de 11 heures et un repos hebdomadaire d’au moins 24 heures auquel
s’ajoute le repos quotidien, ce qui fait 35 heures.
Compte tenu du deuxième attendu qui vient d‘être cité, mais
aussi du premier : « Attendu, d’abord, que le droit à la santé
et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles », il est clair qu’il s’agit là d’une mention essentielle de
l’accord.
Attention : il n’est pas simplement question d’une information, à l’attention du salarié mais bel et bien d’une « garantie ». Il faut prendre des mesures pour assurer l’effectivité de
ce droit, comme le démontre d’ailleurs la conclusion de
l’arrêt.
La référence à la santé du salarié permet de déduire que les
employeurs ont, en la matière, une obligation de résultat.
Pour enfoncer le clou sur l’importance du temps de repos, la
Cour de cassation, dans un autre arrêt (Cass. soc., 29 juin
2011, no 10-14.743 P+B), affirme que « la notion de temps
de travail doit être appréhendée par opposition à la période
de repos, ces deux notions étant exclusives l’une de l’autre ».
En d’autres termes, les organisations de travail doivent prendre en compte les impératifs de repos.
On notera par ailleurs que l’accord Métallurgie insiste sur le
principe du repos dominical : « Le jour de repos hebdomadaire est en principe le dimanche, sauf dérogation dans les
conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur », ce qui n’a certainement pas nui à sa
bonne image.
Développement précis sur le contenu
de la convention individuelle de forfait
On l’oublie trop souvent, pour mettre valablement en place
des forfaits-jours, il faut cumuler un accord collectif et une
convention individuelle.
Pour l’accord Métallurgie, cette convention individuelle, c’est
le contrat de travail, mais il n’est pas interdit de prévoir un
document spécifique. Ce qui est certain, c’est que l’accord
doit préciser ce que les conventions individuelles doivent
comporter.
Suivi et contrôle
Il est remarquable de voir que l’accord Métallurgie est très
prolixe sur ce point : « Le supérieur hiérarchique du salarié
ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure q
3
D
Les employeurs rappelés à l’ordre
quant à l’application des accords
le suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et
de sa charge de travail.
En outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait
défini en jours bénéficie, chaque année, d’un entretien avec
son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l’organisation et la charge de travail de l’intéressé et
l’amplitude de ses journées d’activité. Cette amplitude et
cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer
une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés. A cet effet, l’employeur affichera dans l’entreprise le
début et la fin de la période quotidienne du temps de repos
minimal obligatoire… ».
Cet accord, rappelons-le, a été conclu à une époque où la loi
elle-même imposait de telles contraintes : « Il [l’accord] détermine les conditions de contrôle de son application et prévoit
des modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés concernés, de l’amplitude de leurs journées d’activité et
de la charge de travail qui en résulte. » (L. no 2000-37,
19 janv. 2000).
Fragilisant sans s’en douter les forfaits-jours, le législateur
de 2008 a rayé cette obligation. Elle est rétablie au travers
du contenu de l’accord collectif.
4
Deuxième message, non des moindres, délivré par la Cour
de cassation, les accords collectifs, une fois signés, ne doivent pas rester rangés dans les tiroirs, ils doivent être appliqués, faute de quoi ils sont « privés d’effet ».
Comme le souligne le communiqué accompagnant l’arrêt,
sur le site de la Cour de cassation, les Haut Magistrats modifient leur diagnostic par rapport à l’arrêt du 10 janvier 2010
(Cass. soc., 10 janv. 2010, no 08-43.201), où ils avaient jugé
que le défaut d’application de l’accord ne remettait pas en
cause la validité de la convention organisant ce régime mais
ouvrait seulement droit à dommages-intérêts pour le salarié.
Les entreprises sont donc appelées à la vigilance. Des entretiens sont prévus ? Ils doivent non seulement avoir lieu mais
être suivis de mesures correctives pour peu qu’un
dysfonctionnement soit constaté. Les repos quotidiens et
hebdomadaires doivent être effectifs, ce qui signifie que les
pratiques aboutissant à des journées trop longues ou au
travail du week-end doivent être bannies. Faute de quoi, il
faudra payer au salarié ses heures supplémentaires. ✜