CEMAM REUNION DU 28.4.1979 I. Politique et Religion au Liban

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CEMAM REUNION DU 28.4.1979 I. Politique et Religion au Liban
CENTER FOR THE STUDY OF THE MODERN ARAB WORLD
CENTRE POUR L’ETUDE DU MONDE ARABE MODERNE
CEMAM
REUNION DU 28.4.1979
I. Politique et Religion au Liban (Th. Sicking)
Le sujet doit être traité par T. Sicking, lors de la 15ème conférence
internationale de sociologie religieuse, à Venise, fin ao–t.
1) Exposé
Au point de départ, plutôt que d'insister selon la coutume sur ce qui sépare les
différentes communautés religieuses et sur les frontières confessionnelles, il vaut
mieux présenter les traits communs. Les analyses économiques de la société libanaise
parlent de différents secteurs (bancaire, commercial, industriel...) mais ne font pas
intervenir les divisions communautaires. Les moeurs politiques sont communes aux
différents partis même s'ils se distinguent par une dominance confessionnelle: peu de
programme, rassemblement autour d'un leader (chef féodal, chef de quartier de ville,
gros commerçant...). Les communautés religieuses, avec des structures différentes au
point de départ, ont évolué vers la similarité: mufti sunnite et imam chiite finissent par
jouer le rôle du patriarche maronite, administrant religieusement leur communauté et
arbitrant les conflits entre leaders politiques. De même, à partir de législations
différentes, les structures familiales de base sont analogues. Chaque communauté s'est
donné ses propres instruments d'éducation, de la même façon. Enfin, toutes ces
communautés ont une structure parallèle de représentation par le sommet: les conseils
de communautés sont élus par l'élite de la communauté, les leaders politiques en font
partie. La base y est très peu représentée. Le "Mouvement national" avec sa multitude
de partis extra-parlementaire tente de représenter cette base populaire.
Ces similarités expliquent la complexité du jeu politique libanais où toutes les
oppositions et toutes les alliances sont possibles. Les unes et les autres sont présentées
dans le tableau suivant:
surtout musulman
chrétien
-----------------------------------------------------------Mouvement National
13 partis et organisations,
alliés à l'OLP, extraparlementaires à l'exception
du PSP et du Mouvement des
déshérités.
plutôt
pauvres
Front Libanais
Kataeb et PNL,
représentés au
parlement.
----------------------------plutôt Leaders traditionnels
aisés
Leaders
musulmans
traditionnels
chrétiens, non
affiliés aux partis
politiques
Chefs religieux
musulmans
Chefs religieux
chrétiens
-----------------------------------------------------------signifie opposition
signifie alliance
-----------------------------------------------------------Dans ce schéma, la ligne horizontale qui sépare les "plutôt pauvres des plutôt
aisés" n'a pas été prolongée du côté chrétien, et le Front Libanais a été mis à moindre
distance des leaders traditionnels car le Front Libanais, que certains d'entre eux
dirigent, a une large base populaire et pauvre; entre leaders traditionnels musulmans
et Mouvement National au contraire, l'opposition est nettement sociale. Les chefs
religieux ont été situés légèrement à l'écart puisque, actuellement, ils ne s'occupent
qu'indirectement de politique.
L'opposition entre le Mouvement National (pour un Liban arabe et un
programme de réformes politiques et sociales) et le Front Libanais (pour un Liban
"libanais" et libéral) domine aujourd'hui la scène politique libanaise. Il en résulte
plusieurs alliances. Le Mouvement National - anti-féodal - s'allie avec les fidèles du
Président Frangié, chef féodal du Nord, dans leur opposition commune au Front. Les
leaders traditionnels musulmans se trouvent liés au Front Libanais dans leur
opposition commune au Mouvement National. Mais ils sont aussi des adversaires de
ce Front en tant que musulmans. Les leaders traditionnels peuvent facilement oublier
leurs conflits et leur appartenance confessionnelle pour s'unir contre les menaces des
partis politiques ou du Mouvement National. Ce dernier se trouve dans le même camp
que le Front Libanais lorsqu'il réclame un Etat laic, inacceptable pour les leaders
traditionnels musulmans. Ces derniers se trouvent de plus opposés à leurs collègues
chrétiens puisqu'ils estiment la part de pouvoir de ceux-là trop grande par rapport à
leur importance numérique. Ainsi tout le monde a des raisons pour se lier avec tout le
monde, mais également pour s'opposer à lui. L'identité confessionnelle joue sans
doute un rôle important, mais elle n'est qu'un facteur parmi d'autres.
Le diagramme ne tient pas compte de l'opposition ville-campagne dont
l'importance politique est grande. Certaines communautés sont surtout urbaines
(grecs-catholiques, arméniens, sunnites) d'autres plus campagnardes (druzes, chiites,
maronites aussi). A la campagne on vit chez soi entre soi et on est plus exclusif qu'à la
ville où on a des contacts avec les autres. De nouveau cette différenciation ne tient pas
compte de l'opposition chrétien/musulman.
Dans cet ensemble socio-communautaire, quel rôle joue la religion? Un
second schéma peut représenter les rapports entre minorités religieuses.
Communauté A
Communauté B
-----------------------------------------------------------I Séparées pour des
raisons absolues
-----------------------------------------------------------II Séparées pour des
raisons relatives
-----------------------------------------------------------III Similaires
-----------------------------------------------------------La zone I indique le secteur où les différences sont irréductibles. Il s'agit du
domaine des vérités de la foi où le concordisme est impossible sans infidélité par
rapport à la religion. La zone III représente ce dont nous avons parlé jusqu'ici, les
situations communes où, malgré l'appartenance à des communautés différentes, tous
les citoyens se ressemblent et où les stratifications ne recoupent pas les
différenciations religieuses; dans la mesure où cette zone s'étend, les chances d'un État
Libanais unifié augmentent. Mais l'assimilation menace alors la foi religieuse, qui
s'entoure de défenses représentées dans la zone II. Elle comprend les différenciations
culturelles, qui ne sont pas directement liées à la croyance propre de chaque groupe
mais les caractérisent. Ainsi, le Libanais qui parle français à la maison et pour qui
l'arabe est seconde langue est très probablement chrétien quoique le fait de parler
français ne le rende pas plus chrétien et que des musulmans soient aussi de culture
française. Mais la francophonie est devenue au cours de l'histoire un attribut plutôt
chrétien. Le lien entre islam et culture arabe est encore plus fort, bien que des
chrétiens aient joué un rôle éminent dans le réveil de la culture arabe. Ces différences
culturelles expliquent pourquoi on se fréquente dans une communauté sans fréquenter
les autres et elles se prolongent dans le domaine politique où elles déterminent
sympathies et antipathies, alliances et conflits. D'où deux conséquences. Le conflit se
manifeste au niveau culturel et la vie de foi risque d'être marginalisée par rapport à
l'ensemble socio-culturel. Parce que l'opposition n'est pas au niveau de la foi, dans le
jeu politique toutes les alliances sont possibles.
Reste à étudier comment fonctionne cet ensemble de similarités et
d'oppositions en se servant des prises de position diverses (religieuses, politiques,
etc...) sur deux points sensibles: l'identité du Liban (libanais ou arabe) et la question
laïcisation/sécularisation/anti-confessionnalisme.
--------------2) Discussion
La schématisation nécessaire à l'exposition brève d'une situation complexe
risque de conduire à un certain formalisme abstrait où des données importantes sont
négligés, des éléments trop arbitrairement séparés ou, au contraire, rapprochés.
Données importantes à rappeler, d'abord, dans le jeu politique libanais, le rôle capital
de la présence palestinienne puis de la Syrie; les manœuvres de l'étranger exploitent
les divisions confessionnelles sont d'ailleurs une constante de l'histoire libanaise
depuis Mohamed Ali et Ibrahim Pacha au moins. Distinction trop poussée, celle de foi
et culture, le culturel jouant un rôle bien plus fondamental ici que celui de zone de
défense de la foi; en fait, foi et culture ont des rapports profonds et la foi hors d'une
culture est une abstraction; pour le chrétien libanais, le lien avec la culture occidentale
exprime la certitude que, coupé d'elle, il est coupé de ses sources anthropologiques,
religieuses et théologiques et prêt à l'aliénation dans un monde qui n'est pas le sien.
Pour comprendre le rapport foi-religion à culture, il faut avoir recours aux concepts
d'identité ethnique et ethno-religieuse, l'ethnie étant d'abord caractérisée par une
origine t une histoire communes (même mythiques) qui sont symbolisées par
différents traits, dont les plus essentiels sont la race, la religion ou la langue. Les
oppositions culturelles signifient donc quelque chose au niveau de la foi.
Parallélismes excessifs et formels, ressemblances qui ne doivent pas cacher les
asymétries, ou comparaisons qui devraient être surtout différentielles, dans ce
domaine on souligne surtout la situation très différente des leaders traditionnels
musulmans et chrétiens, le Mouvement National ayant coupé les leaders musulmans
de la masse musulmane mais non les leaders chrétiens de la masse chrétienne. La
masse chrétienne continue à être représentée par ses leaders traditionnels, dont la
popularité a augmenté avec la guerre, les chrétiens contestataires du système se
retrouvant de l'autre côté. Par contre, il est excessif de dire que la masse musulmane
non représentée par le régime traditionnel est passée au Mouvement National: les
anciens des Maqassed, dont la place naturelle serait auprès des leaders traditionnels se
retrouvent à la tête du Mouvement National. Asymétrie encore dans la répartition
scolaire: les musulmans vont dans des écoles chrétiennes ou "commerciales" (privées,
a-religieuses, mais proches du type chrétien), les chrétiens ne vont pas aux Maqassed
sunnites ou au 'Amaliyeh chiites. Dernière asymétrie enfin dans l'évolution qui met à
l'écart les leaders religieux au cours de la guerre: le Patriarche maronite s'écarte le
premier, alors que le Mufti agit encore à Aramoun, puis l'un et l'autre sont remplacés
par Charbel Qassis et l'imam Moussa Sadr; et enfin, dans la seconde partie de la
guerre, plus aucun leader religieux n'a de prise et il y a alors politisation complète du
religieux.
Sur les rapports foi-culture-langue, les avis sont partagés. Contre l'appui que
serait la culture occidentale à la foi du chrétien libanais, on souligne que c'est un vœu
plus qu'une réalisation, la masse chrétienne parlant arabe et la guerre ayant accéléré
l'arabisation linguistique. Politiquement, les maronites sont détachés de la France et
s'appuient plutôt sur Israël. A quoi l'on objecte que l'arabisation du chrétien a lieu au
niveau dialectal, mais non à celui du littéraire, le chrétien recourant au français et non
à l'arabe quand le niveau littéraire s'impose. De toute façon, même si un musulman est
de "culture étrangère" et s'exprime plus facilement en français ou en anglais,
l'Occident est perçu différemment par lui et par le chrétien. L'intellectuel chrétien
pense à travers les schèmes de la culture occidentale laïcisée et il est, sur ce point, très
en avance sur son clergé. L'intellectuel musulman adopterait une langue étrangère
mais non sa culture et ses concepts (nation, État, laïcité, personne, liberté...), qui
resteraient liés à sa religion. La foi intervient davantage chez le musulman que chez le
chrétien dans le dénivellement culturel. Et ceci rend les rapports d'autant plus
difficiles que c'est vécu inconsciemment. Enfin, d'autres pensent qu'on se livre ici à
une catégorisation excessive et qu'il faudrait apporter tellement de nuances à ces
différenciations qu'elles risqueraient de perdre beaucoup de leur signification.
La mise à l'écart des leaders religieux, coupés de la masse très rapidement
durant la guerre et court-circuités par les leaders et partis, politiques, pose aussi toute
une série de questions. D'abord celle-ci: avant la guerre étaient-ils réellement si
influents, ou bien des mutations d'ordre socio-économiques n'avaient-elles pas déjà
séparé d'eux la "masse"? Et ensuite: si, tout en restant juridiquement reliés à la
hiérarchie, prêtres, religieuses, hommes de religion passent sous la coupe des leaders
politiques, quel genre de religion propagent-ils? Il faut distinguer ici les rôles et les
personnalités qui les tiennent.
Le Patriarcat maronite d'abord, aux moments de crise, joue un rôle national et
non simplement communautaire, c'est-à-dire qu'il prend ses distances vis-à-vis des
leaders politiques de la communauté. Ainsi avait déjà agi Méouchi en 1958,
provoquant contre lui une ruée des chamounistes qui l'accusaient d'être nassérien. Le
patriarche tient également compte des chrétiens du monde arabe et joue un rôle dans
le contexte arabe et international (cf. le patriarche Arida, "patriarche des Arabes", il
garde donc le souci de dépasser la particularité libanaise. Par ailleurs, il n'est pas alors
isolé de toute sa communauté; on souligne ici les affinités avec le patriarcat d'un
leader maronite comme R. Eddé, plus libre vis-à-vis de sa communauté et moins
plongé dans l'actualité immédiate; on signale aussi que beaucoup de chrétiens (20 ou
30%) restent dans la ligne du patriarche et ne s'engagent pas dans le Front Libanais:
c'est une politique qui peut avoir son poids, une sorte de troisième force.
Quand le patriarche prend ses distances vis-à-vis de sa communauté, il laisse
la place aux moines et aux curés proches du peuple. C'est un balancement régulier.
Les moines ne sont engagés effectivement sur le terrain, ont travaillé avec les
miliciens alors que la hiérarchie est restée loin. Il ne faut pas croire qu'ils ne
représentent alors que les couches populaires, des fils de la grande bourgeoisie (élèves
de Jamhour ou des Frères) se sont identifiés aux moines durant la guerre. Ce que
prêchent moines et curés, c'est l'identité ethno-culturelle (cf. le dernier sermon du curé
de Rmeiche transmis par radio-Israel), ce qui pose une question sérieuse au niveau
religion-foi.
En ce qui concerne le rôle des évêques il ne faut pas trop juger l'ensemble du
pays à travers Beyrouth. Ainsi, l'évêque maronite de Saida dans une image exemplaire
d'arbitre et de modérateur, d'orienteur de pensée, aussi influent chez les musulmans
que chez les chrétiens. Il est vrai qu'il est l'évêque d'une communauté localement
minoritaire, mais bien à l'aide dans le milieu musulman et cherchant des rapports
pacifiques plutôt que de confrontation.
En ce qui concerne les leaders religieux musulmans, mufti et imam Sadr
notamment, plus le rôle des pays arabes dans la crise devient important plus leur
influence populaire baisse: à l'entrée de la Syrie au Liban, mufti et imam s'éclipsent.
II. Nouvelles Brèves (A. Dupré La Tour)
Contracte à Rome, Paris et Bruxelles au service de la Faculté de Sciences
Religieuses.
A l'Institut Pontifical Oriental de Rome, il y a un intérêt croissant pour l'Orient
arabe chrétien qui complète heureusement les études dominantes jusque là sur l'Orient
slave. Ceci est d– en partie à la présence active de S. Khalil et à ses efforts pour
constituer un centre de publication des auteurs arabes chrétiens. Une collaboration est
envisagée. Des cours pourraient se faire à Beyrouth, où des étudiants de l'Institut
pourraient venir y poursuivre des recherches, surtout en trois domaines: histoire
ecclésiastique d'Orient, littérature arabe et syriaque chrétiennes, problèmes propres
aux Églises Orientales.
A l'Institut Pontifical des Études Arabes de Rome, on est spécialement
intéressé par ce que fait la Faculté au niveau du dialogue islamo-chrétien, d'autant
plus que l'IPEA a des cours d'islamologie, dont certains donnés par des professeurs
d'Afrique du Nord.
A la Congrégation pour Éducation Chrétienne, on approuve la nouvelle
structuration de la Faculté (formation permanente des prêtres, dialogue islamochrétien, préparation de Thèses) et on maintient la charte universitaire pontificale. On
paranoïa désireux que l'ensemble des institutions théologiques libanaises
d'enseignement soit mis sous l'autorité directe des évêques.
A Paris et à Bruxelles, il s'agissait principalement de trouver des
collaborateurs pour la formation permanente. Viendront l'an prochain Catalan (études
sur Freud), J. Trublet (théologie biblique), Gervais (herméneutique) et J. Bouvy,
directeur de Lumen Vitae (étude structurale de St. Luo).
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