Message de l`ancien chancelier Gerhard Schröder

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Message de l`ancien chancelier Gerhard Schröder
Message de l’ancien chancelier Gerhard Schröder à l’occasion du premier
dîner de gala du Projet Aladin, le 5 novembre à l’Assemblée nationale
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Merci beaucoup pour votre aimable invitation. C’est un grand honneur pour moi de participer à
cet événement important, car créer un avenir meilleur est notre mission commune. Cet avenir
meilleur sera seulement possible sans antisémitisme et sans racisme, sans intolérance et sans
violence.
C’est pourquoi je suis très honoré que le baron David de Rothschild m’ait invité à être Parrain du
Projet Aladin.
Le dialogue entre les cultures et les religions nous aide à avancer vers un objectif que nous
partageons tous, à savoir vivre dans un monde de paix et de liberté. Le but du Projet Aladin est
de parvenir à une compréhension objective et sensible de l’histoire. Cela est nécessaire parce que,
bien trop souvent, des idées aussi étranges qu’erronées existent encore. Le Projet Aladin travaille
pour des relations respectueuses, dignes et surtout pacifiques dans et entre nos sociétés.
Nous voulons que des gens d’origines diverses, de langues différentes et d’horizons religieux
différents puissent partager un avenir commun et vivre en paix. Et en tant qu’ancien chancelier
d’Allemagne, c’est avec beaucoup d’émotion que je souhaite exprimer toute ma solidarité avec les
familles des victimes du massacre à Toulouse.
La tolérance, la compréhension mutuelle et la réconciliation – telle est notre mission !
Et c’est une mission importante.
Mesdames et Messieurs,
Ici, au début du XXIe siècle, nous sommes témoins de changements de plus en plus dramatiques
dans notre monde. Nous sommes confrontés à un grand défi, peu importe où nous vivons,
travaillons et faisons de la politique : la montée de l’intolérance. Déjà avant le 11 septembre
2001, une appréciation erronée des contradictions politiques et culturelles surgissait – la théorie
d’un soi-disant « choc des civilisations ».
Je pense que considérer le monde musulman et le monde occidental comme deux pôles opposés
ignore le fait que les cultures et les sociétés ne sont pas des entités fixes et permanentes, mais
qu’elles sont dans un état de constant changement. Et ce que l’on appelle « l’Occident » n’a pas
seulement des racines juives et chrétiennes, mais aussi des racines musulmanes.
C’est un fait que des musulmans vivent en Europe, et c’est aussi un fait que pendant des siècles
les Européens ont été façonnés par l’échange académique et culturel avec le monde musulman.
Au Moyen Age, ce furent des savants arabes qui donnèrent au monde les clés de la médecine et
de l’astronomie, de la chimie et des mathématiques, ainsi que de la redécouverte de la philosophie
classique. Ce furent notamment des savants juifs qui diffusèrent leurs pensées.
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La culture islamique nous a donné des merveilles architecturales, de la littérature et de la musique
magnifiques. Ces influences nous ont enrichis culturellement, tout comme les influences
culturelles de l’Occident changent aujourd’hui le monde musulman. Le « printemps arabe » a ainsi
montré comment les outils de communication modernes ont pu apporter des influences
occidentales aux sociétés musulmanes.
Le monde musulman n’est en rien un bloc monolithique, comme on le prétend souvent dans le
débat actuel. Au contraire, l’islam a de nombreuses facettes, et les sociétés musulmanes varient
aussi considérablement.
Et nous ne devrions pas définir les êtres humains simplement et uniquement par leur religion :
chaque personne agit dans le cadre de ses conditions sociales, qui ne sont pas seulement définies
par la religion, mais aussi par des facteurs économiques, sociaux et politiques.
Cela s’applique aux musulmans comme aux chrétiens, juifs, hindous ou bouddhistes. C’est
pourquoi nous devons résolument nous opposer au concept du choc des civilisations. La
question de choc des civilisations ne fait qu’alimenter l’extrémisme.
Mesdames et Messieurs,
En Europe, nous avons urgemment besoin d’une nouvelle vision du monde musulman et des
musulmans qui vivent en Europe. Nous devons reconnaître que l’islam fait aujourd’hui partie
intégrante de nos sociétés. Des millions de personnes croyant dans une des formes de l’islam
vivent en Europe.
Jusqu’à il y a quelques années, cela était ignoré. Pendant longtemps, l’opinion dominante était que
l’Europe n’était pas un continent d’immigration. Et pourtant, il y a des décennies de cela, nous
avons amené des travailleurs migrants dans les pays européens. Aujourd’hui, eux et leurs enfants
sont des citoyens des Etats européens, avec tous les droits et obligations qui en découlent.
Les personnes d’autres pays et cultures qui vivent en Europe doivent clairement et sans
équivoque montrer leur engagement pour notre Etat de droit et nos règles de la démocratie.
Nous décrivons les valeurs de la démocratie et des Lumières comme des valeurs universelles, et
ces valeurs doivent être acceptées et appliquées par ceux qui viennent d’une autre culture.
C’est la base de notre vie commune en Europe, indépendamment des différences culturelles et
religieuses.
Mais l’intégration n’est pas synonyme d’assimilation : elle ne doit pas avoir la volonté de détruire
les différences culturelles et religieuses. Une telle approche de l’intégration est vouée à l’échec.
Malheureusement, ces dernières années, les préjugés sur les sociétés et la religion musulmanes
sont devenus de plus en plus prédominants en Europe. Bien que la perception occidentale puisse
avoir certains aspects véridiques, cela reste une généralisation injuste. Or, nous devons résister
aux distorsions et généralisations.
Nous devrions nous rappeler que la culture de notre société est basée sur le respect des autres
cultures, la tolérance envers ceux qui pensent et croient autrement, le respect de la diversité et des
différences. Nous ne devons pas laisser ce qui est étranger être perçu automatiquement comme
hostile. Reconnaître l’autre comme son égal, c’est une forme de progrès culturel, c’est ce qui
distingue l’Europe, et c’est ce que nous souhaitons soutenir partout dans le monde.
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Mesdames et Messieurs,
Le dialogue entre les religions est important pour parvenir à la paix, parce que dans toutes les
religions il y a des minorités intégristes. Mais si nous permettons à ces minorités de nous imposer
comment nous devons vivre ensemble, nous avons déjà perdu.
En Europe, nous nous définissons comme des sociétés éclairées. Mais ce terme ne doit pas être
utilisé à des fins de discrimination. C’est l’un des devoirs d’une société éclairée que de reconnaître
le succès des gens, tout à fait indépendamment de leur appartenance religieuse. Or, le mot
« musulman » est très souvent utilisé pour exclure des individus.
Ce n’est pas seulement notre image des musulmans dans nos pays européens qui doit changer,
mais aussi notre image des Etats musulmans, qui s’étendent de l’Afrique occidentale à l’Asie du
Sud en passant par l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Certains de ces pays sont progressifs,
d’autres archaïques, leurs gouvernements sont bons ou mauvais, leurs économies défaillantes ou
prospères. Et quand on les classe de cette façon, alors on réalise qu’ils ne sont pas si différents
d’autres pays avec d’autres traditions religieuses.
Pendant et après mon mandat, j’ai mis en place de nombreux liens avec le monde musulman lors
de nombreuses visites dans des pays musulmans, et beaucoup de personnalités m’ont
impressionné. Comme beaucoup d’autres, ils travaillent dur pour moderniser leurs sociétés, à la
fois politiquement et économiquement.
Mesdames et Messieurs,
Si nous tournons notre regard en particulier vers la Turquie, là aussi nous pouvons voir le succès
d’un processus de modernisation qui est très étroitement lié aux politiques du Premier ministre
Recep Tayyip Erdogan et le processus d’adhésion du pays à l’Union européenne.
Nous voyons une démocratisation et modernisation fondamentales du pays ; la Turquie peut
servir de modèle à d’autres pays musulmans. Une Turquie démocratique et respectueuse des
valeurs européennes est une preuve évidente qu’il n’y a aucune contradiction entre la foi
musulmane et une société moderne et éclairée.
La Turquie est un pont entre l’Europe et le Moyen-Orient – son importance ne doit pas être
sous-estimée, et c’est dans notre intérêt en tant qu’Européens. C’est pourquoi l’adhésion de la
Turquie à l’Union européenne est d’une grande importance pour la politique de sécurité de notre
continent tout entier.
Mesdames et Messieurs,
Si nous voulons assécher le terreau du fanatisme, nous devons créer plus de sécurité politique,
matérielle et culturelle dans le monde, et nous devons faire tout notre possible pour encourager et
soutenir la stabilité au Moyen-Orient.
Par conséquent, nous avons enfin besoin d’une solution durable au conflit israélo-palestinien.
Ce conflit est le plus grand défi international car il a un impact négatif sur d’autres pays, comme
l’Irak, l’Afghanistan, l’Iran et la Syrie. Son règlement pacifique est important pour nous
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Européens parce qu’il se déroule dans une région voisine et constitue donc une menace directe
pour notre sécurité.
La responsabilité historique de l’Allemagne lui confère des devoirs bien spécifiques, et c’est
pourquoi l’une des pierres angulaires de la politique étrangère de l’Allemagne est sa
reconnaissance du droit d’Israël d’exister en tant qu’Etat souverain aux frontières sûres et
fiables. Toute solution pacifique doit également comprendre l’existence d’un Etat palestinien
viable et indépendant.
C’est pourquoi nous devons tous travailler ensemble et utiliser l’outil de la coopération
internationale pour résoudre ces conflits anciens et rester unis pour parer aux nouvelles menaces.
Dans le monde d’aujourd’hui, il n’y a aucun pays qui puisse maîtriser tous ces nouveaux défis
seul. Les tâches auxquelles nous sommes confrontés nécessitent un système multilatéral solide et
efficace, sur la base de l’Etat de droit plutôt que de la loi du plus fort.
Il n’y a qu’un s eul véritable forum pour une telle politique de multilatéralisme : les Nations
Unies. Le droit international doit être un principe clé pour les relations entre les Etats.
Mesdames et Messieurs,
Un élément essentiel de la politique de paix coopérative est de promouvoir la compréhension
entre les différentes cultures. Il s’agit là d’une tâche pour l’ensemble de la société, et toutes les
forces de notre pays doivent lui faire face – la politique, l’économie, la culture et les médias.
Les médias ont avant tout la tâche de couvrir les nouvelles de manière juste et équilibrée, ce qui
signifie notamment qu’ils doivent s’abstenir de ces choses qui blessent l’honnête sentiment
religieux. Malheureusement, cette sensibilité a fait défaut dans les derniers mois aux États-Unis et
en Europe.
La liberté de la presse devrait toujours être exercée de manière à respecter pleinement les
croyances religieuses de toutes les religions. Nous ferions mieux de mettre l’accent sur les choses
que les différentes cultures ont en commun, nous concentrer sur les valeurs que nous partageons
tous et qui nous unissent : le désir de vivre en paix et dans une atmosphère de tolérance et de
justice. Nous devons continuer sur la voie de la tolérance et du respect mutuel pour nos
croyances culturelles et religieuses.
Il ne s’agit pas d’une lutte entre les cultures, mais d’une lutte pour la culture.
Je vous remercie de votre attention !
Gerhard Schröder,
ancien chancelier de la République fédérale d’Allemagne
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