Procès 2011

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Procès
2011
AVFT Libres et Egales
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Tél : 01 45 84 24 24 – Mail : [email protected]
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L
e droit français permet aux associations, sous certaines
conditions, de faire entendre leur voix en justice. Dès 1990, après que
l’association a eu les cinq années d’existence légale requises pour se
constituer partie civile, l’AVFT n’a plus cessé d’intervenir dans les
procédures aux côtés des victimes. En 1998, l’Assemblée Générale de
l’AVFT décida de ce que les actions en justice de l’association seraient
désormais représentées par ses chargées de mission, alors qu’elles
étaient jusqu’alors représentées par des avocat-es : nous n’étions ainsi
plus limitées dans le nombre de ces actions par des contraintes
budgétaires et pouvions dès lors nous adresser sans intermédiaire à la
justice.
Lors de ces interventions devant les tribunaux, sollicitées par les
victimes elles-mêmes, l’association, personne morale, représente le
« chœur » des femmes victimes de violences sexuelles au travail
réclamant justice. L’expérience accumulée depuis 27 ans lui permet
de décoder les réactions des victimes, d’analyser les stratégies mises
en place par les agresseurs pour garantir leur impunité, d’utiliser le droit
en toute lucidité sur ses possibilités et ses limites.
Dans les pages qui suivent, nous rendons compte des violences
dénoncées par les victimes, du travail de l’association, des procès et
des décisions de justice. Au-delà des aspects purement techniques, le
déroulement du procès – questions posées à la victime, au mis en
cause, attitudes des juges et des avocat-es, mots utilisés pour désigner
les violences, silences, accueil des observations présentées par l’AVFT en dit long sur la manière dont une société perçoit à une époque
donnée la parole des femmes, les relations entre les femmes et les
hommes sur les difficultés concrètes, pour les femmes victimes de
violences sexuelles, à faire valoir leurs droits. Ces expériences de justice
nous rappellent aussi le caractère très récent, à l’échelle de l’Histoire,
du droit des femmes à dénoncer les violences patriarcales. Elles nous
informent également sur les brèches qu’inlassablement nous ouvrons
et consolidons.
Ces récits doivent être lus en gardant à l’esprit que certaines décisions
de justice, qui sont insupportables et peuvent paraître insurmontables,
vont être réformées par un en appel. C’est régulièrement le cas des
(mauvaises) décisions rendues par les Conseil de prud’hommes.
Marilyn Baldeck
Déléguée générale
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Sommaire
Cour d’appel de Montpellier (chambre sociale), 7 février 2011 .......................... 4
Conseil de prud’hommes de Paris, 4 mars 2011...................................................... 9
Cour d’appel de Paris, 30 mars 2011 ...................................................................... 12
Tribunal correctionnel de Paris, 28 avril 2011 ......................................................... 16
Cour d’appel de Versailles (chambre sociale), 28 avril 2011 ............................. 19
Tribunal correctionnel de Pontoise, 24 mai 2011 ................................................... 23
Conseil de prud’hommes de Paris, 27 mai 2011 ................................................... 27
Conseil de prud’hommes de Paris, 10 juin 2011 .................................................... 30
Conseil de prud’hommes de Paris, départage, 2 septembre 2011 ................... 33
Conseil de prud’hommes de Nanterre, 13 septembre 2011 ............................... 35
Cour d’appel de Paris, 14 septembre 2011 ........................................................... 38
Conseil de prud’hommes de Paris, 20 septembre 2011 ...................................... 43
Cour d’appel de Caen, 26 septembre 2011 ......................................................... 46
Conseil de prud’hommes de Paris, 10 octobre 2011 ........................................... 50
Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, départage, 17 octobre
2011 .............................................................................................................................. 53
Tribunal correctionnel de Toulouse, 24 octobre 2011 .......................................... 55
Conseil de prud’hommes de Boulogne sur Mer, 8 novembre 2011 .................. 58
Tribunal correctionnel de Paris, 10 novembre 2011 .............................................. 61
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Cour d’appel de Montpellier (chambre sociale), 7 février 2011
Mme M est embauchée par la SARL C. (cabinet d’architectes) en qualité de
dessinatrice, le 8 janvier 2007. Dans cette même période, elle est à l’initiative d’une
procédure de divorce en raison des violences commises par son époux à son
encontre. Son employeur et ses collègues en sont informés.
Son premier mois de travail est consacré à sa formation sur un nouveau logiciel de
dessin, mise en œuvre par M. C, qui n’a pas un comportement exemplaire, loin s’en
faut : au prétexte que Mme M serait « tendue », il bloque son fauteuil contre le
bureau pour lui masser les épaules nonobstant sa gêne manifeste.
Il lui impose en outre le visionnage d‘images pornographiques sur son ordinateur, lui
touche les fesses quand il la croise dans les couloirs. Mme M lui indique qu’elle est
gênée par ces agissements et lui signifie sa désapprobation.
Parallèlement, M. V, métreur du cabinet, lui pose des questions à caractère intime
voire sexuel : « Est-ce que tu as couché avec lui ? » (en parlant de l’employeur, Guy
C). « Est-ce qu’il t’intéresse ? ».
Mme M répond sans ambiguïté : « Je suis ici pour travailler, j’ai un enfant à élever, il
ne se passera jamais rien avec le patron ».
Dès février 2007, M. C indique à Mme M qu’elle pourra désormais s’en référer à M. V.
Celui-ci se permet de la harceler au téléphone et de lui faire des propositions de
nature sexuelle. Mme M est dans une situation particulièrement difficile dans la
mesure
où
elle
dépend
de
lui
professionnellement
-
leurs
métiers
sont
complémentaires : elle dessinatrice et lui métreur - et que M. V ayant 15 ans
d’ancienneté, elle doit prendre conseil auprès de lui. Très régulièrement, il lui
« propose » une « partie à trois » avec une autre femme.
Quand il réalise que Mme M ne cédera pas, M. V met en place des représailles. Fin
février, il enserre fortement le bras de Mme M et lui dit : « tu n’as plus rien à faire dans
ce bureau, pour tes questions, tu te débrouilleras avec le patron ».
Dès lors, Mme M considère qu’un danger pèse sur sa sécurité physique et psychique.
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Evidemment, compte tenu du comportement de son employeur lui-même, elle est
réticente à le saisir de ces faits. Elle a en outre absolument besoin de ce poste et
craint donc de dénoncer ces agissements.
En mars, après une relative période d’accalmie, M. V recommence à harceler
Mme M : « j’aimerais te connaître entièrement, j’ai l’impression de te posséder par
moments, mais tu m’échappes comme une anguille ». Un matin, la voyant arriver
fatiguée, il dit qu’elle doit « avoir ses règles » et note pour plusieurs mois cette
période et précisant : « donc à cette période, on ne pourra pas faire notre partie à
trois ».
L’état psychologique de Mme M ne cesse de se dégrader.
M. V lui écrit un mot : « Tu avais la possibilité de faire de moi ce que tu voulais, cela
t’aurait fait un vécu de + ou une autre expérience ou une autre complication tant
pis mon ex-amour », qu’elle fait semblant de déchirer devant lui mais conserve. Ce
mot est d’ailleurs l’élément déclencheur qui pousse Mme M à agir, car elle pense
que sans cela, personne ne serait disposé à la croire. Elle saisit la médecine du travail
qui, afin de la protéger, rend un avis d’inaptitude temporaire le 22 mai 2007 et alerte
l’employeur.
Ainsi informé, l’employeur convoque la salariée à un entretien le 4 juin 2007 et lui
demande d’écrire ce qu’elle dénonce.
La médecine du travail déconseille à Mme M de se rendre à ce rendez-vous en
raison « de son état de santé », mais Mme M adresse tout de même à son employeur
le récit demandé.
Mme M saisit également l’inspection du travail par lettre du 24 mai 2007. Dans une
réponse du 1er juin 2007, la contrôleuse du travail informe Mme M que les faits
qu’elle a évoqués « sont susceptibles d’être qualifiés de harcèlement sexuel ».
Mme M, encouragée par la position de la médecine du travail et la réaction de
l’inspection du travail, dépose une plainte par lettre au procureur du 7 juin 2007.
Elle
apprend que M. V a quant à lui porté plainte pour dénonciation calomnieuse deux
jours auparavant.
Dans une lettre du 19 juin, son employeur lui écrit : « (...) Je vous demanderais donc
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de bien vouloir nous restituer les clefs de l’agence afin de les transmettre au
dessinateur intérimaire et par la même occasion vous profiterez de récupérer vos
effets personnels ».
Cette lettre est susceptible d’être analysée comme une rupture de fait du contrat
de travail, comme sanction de la dénonciation des faits de harcèlement sexuel.
Le 29 juin, la médecine du travail rend un second avis d’inaptitude temporaire.
Le 1er août 2007, dans une lettre, l’inspection du travail rappelle à l’employeur ses
obligations en matière de harcèlement sexuel.
Finalement, le 1er avril 2008, la médecine du travail déclare Mme M « inapte à tous
les postes de l’entreprise ».
Cette déclaration a pour conséquence le licenciement pour inaptitude de Mme M
le 29 avril 2008.
La plainte de Mme M est classée sans suite par le parquet de Rodez. La plainte de
M. V pour dénonciation calomnieuse est également classée.
L’avocat de Mme M, qui a aussi été l’avocat de son ex-employeur lors du divorce
de ce dernier mais n’a pas cru y voir d’incompatibilité au regard des règles de
déontologie qui régissent sa profession, lui déconseille de faire appel du classement
sans suite et affirme qu’il ne voit pas matière à saisir le Conseil de prud’hommes pour
faire reconnaître la responsabilité de l’employeur dans la rupture du contrat de
travail (rien n’empêche effectivement d’y voir un lien de cause à effet).
Mme M est donc sur le point d’abandonner toute procédure.
Laetitia Bernard et Marilyn Baldeck (AVFT) se déplacent à Montpellier le 21 juillet
2008 pour rencontrer Mme M. Elle vient accompagnée à ce rendez-vous par un
syndicaliste CGT et une amie. Au terme d’un rendez-vous de plusieurs heures visant à
comprendre tous les contours de son « dossier », nous lui expliquons les règles de droit
applicables et l’encourageons à attaquer son ex-employeur.
Elle rencontre également un avocat montpelliérain spécialisé en droit du travail vers
lequel sa psychologue l’a orientée, qui juge aussi opportun de saisir le Conseil de
prud’hommes.
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Mme M avait demandé à la juridiction prud’homale de Millau de constater qu’elle
avait été victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail, que son contrat de
travail a de fait été abusivement rompu au 19 juin 2007 (lettre de demande de
remise des clés et qu’elle vienne récupérer ses effets personnels) et qu’en tout état
de cause, son licenciement pour inaptitude est nul du fait qu’il est intervenu en
conséquence de sa dénonciation du harcèlement sexuel. L’AVFT, représentée par
Marilyn Baldeck, était intervenue volontairement.
L’audience avait été très éprouvante. Pour commencer, l’avocat de Mme M, avec
qui elle avait tissé des liens de confiance, n’était pas venu à l’audience et s’était fait
substituer par un confrère qui connaissait moins bien le dossier sans avoir jugé bon
d’en avertir sa cliente. Il n’avait pas non plus pris la peine d’informer Mme M de la
teneur des pièces communiquées par la partie adverse, une avalanche de
témoignages mensongers à son encontre. Il avait fallu que Marilyn Baldeck parte de
Montpellier, de nuit, pour rejoindre Millau à temps pour pouvoir préparer Mme M au
procès et travailler avec elle sur les pièces adverses, juste avant le procès.
Le conseil de prud’hommes, présidée par une femme, n’avait rien voulu
comprendre à ce dossier ; il était manifeste que l’intervention de l’AVFT était vécue
comme dérangeante mais que les conseillers, qui discutaient entre eux sans qu’il soit
possible de discerner la moindre opposition entre le collège « salarié » et le collègue
« employeur », ne parvenaient pas à contester la légalité de cette intervention.
Sans surprise, le Conseil de prud’hommes de Millau avait débouté Mme M et l’AVFT
de leurs demandes (sur la base d’un raisonnement juridique inepte).
La Cour d’appel de Montpellier, quant à elle, au terme d’une audience où les juges
n’ont rien laissé paraître et n’ont pas posé la moindre question, a condamné
l’employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais pour des motifs qui
n’ont rien à voir avec le harcèlement sexuel.
La Cour se borne à constater que le contrat est rompu sans motif dès lors que
l’employeur a demandé à la salariée de restituer les clés de l’entreprise puisqu’il
n’envisage ainsi pas son retour.
Mais pour la Cour, le fait que l’employeur ait décidé sans autre forme de procès de
se débarrasser d’une salariée et le fait que celle-ci ait dénoncé du harcèlement
sexuel et des agressions sexuelles est totalement… fortuit.
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Elle y fait pourtant allusion dans son arrêt :
« En considération de l’ancienneté acquise par Mme M, de sa qualification et de sa
rémunération, des circonstances (c’est nous qui soulignons) qui ont conduit à la
rupture du contrat de travail, la Cour, par infirmation du jugement entrepris,
condamnera la société C. à payer à Mme M à titre de dommages et intérêts pour
licenciement sans cause réelle et sérieuse la somme de 3500 euros ».
Quelles sont ces circonstances, sinon que la salariée a dénoncé les violences ?
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onseil de prud’hommes de Paris, 4 mars 2011
Mme Ch. est embauchée en juin 1994 en qualité de coiffeuse mixte par M. P, gérant
d’un salon de coiffure Jean Louis David, constate rapidement que M. P interroge le
personnel féminin sur leurs "pratiques sexuelles" : « Qu’est ce que vous faites au lit ?
Est ce que vous sucez, est ce que vous pratiquez la sodomie ? ».
De retour de congés maternité, Mme Ch. est harcelée et agressée sexuellement par
M. P de 1996 à 2006. Les faits ont consisté en des remarques sur sa vie privée : « Vous
ne profitez pas de la vie, vous avez connu votre mari très jeune, vous ne connaissez
qu’une seule bite, votre mari est petit, je suis sûre qu’il a une petite bite, comment
vous me trouvez physiquement, vous trouvez pas que j’ai de beaux yeux, ça vous
ferait du bien d’aller voir ailleurs, pratiquez-vous la sodomie ? ».
- Des violences verbales sexistes : les journées de travail de Mme Ch sont ponctuées
d’injures sexistes proférées par M. P : « Gros cul, salope », notamment, lorsqu’elle le
repousse ou se déporte pour éviter les attouchements sexuels. « De 9h à 18h je fais
ce que je veux de vous, vous m’appartenez pendant neuf heures ». « Passez un
coup de balai esclave, chienne ». « Salope, gros cul, grosses cuisses, vous allez casser
mon carrelage avec votre gros cul, petits seins, cuisses avec de la cellulite ».
- Des regards insistants et déshabilleurs, et invitations à visionner des sites
pornographiques. Quant aux agressions sexuelles, M. P lui touche souvent par
surprise les seins, les fesses, notamment lorsque Mme Ch. a ses deux mains occupées
à faire le shampoing à une cliente ; en effet M. P arrive par derrière et frotte son sexe
contre ses fesses. Il la convoque parfois dans son bureau où il tente de l’embrasser
de force sur la bouche après avoir fermé la porte, en murmurant : « Laissez-vous
faire ».
En conséquence de ces agissements, Mme Ch. souffre à partir de 2003 d’une
dépression nerveuse et fait une tentative de suicide en octobre 2005. Cela
n’empêche pas pour autant M. P de l’agresser sexuellement lorsqu’elle reprend le
travail à l’issue de son arrêt maladie. Il lui saisit violemment et par surprise les seins
avec une telle force qu’elle hurle « Lâche moi ». De novembre 2005 à mars 2006,
M. P exerce des brimades à son encontre ; il s’abstient notamment de lui adresser la
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parole et interdit aussi à l’équipe de le faire. Lorsque Mme Ch. tente en avril 2006
d’avoir une explication avec M. P, celui-ci saisit cette occasion pour réitérer ses
agissements :
« Bonjour salope, ça y est, vous êtes à nouveau forte, vous n’allez pas refaire une
dépression et dire à votre mari dès ce soir que je vous ai traitée de salope ». « Vous
vous cachez derrière un doigt, vous n’aimez plus votre mari comme au début, votre
dépression vient de là », puis il la saisit soudainement par le visage et tente de
l’embrasser de force sur la bouche en disant : « Franchissez le pas, embrassez moi »,
mais elle réussit à se dégager et à le repousser.
En septembre 2006, Mme Ch. craque et prend acte de la rupture de son contrat de
travail. Sa plainte déposée pour harcèlement sexuel le 24 septembre 2006 est
classée sans suite le 10 décembre 2009, soit plus de trois ans plus tard.
Le 24 mars 2010 elle saisit le conseil de prud’hommes afin d’obtenir la requalification
de la rupture de son contrat de travail en licenciement nul.
Me Cittadini, avocate de Mme Ch. est vivement prise à partie par le président du
Conseil visiblement très mal à l’aise lors de sa présentation des faits : « Arrêtez maître,
les propos sont indécents ». Un des conseillers vole à son secours : « Pour ce genre
d’affaire vous pouvez demander un huis clos ». Me Cittadini rétorque : « M. Le
président, je choisis pour ma cliente la défense que j’estime adaptée et les propos,
je vais les citer, parce que ma cliente les a entendus presque tous les jours et
pendant plusieurs années ».
Pendant la plaidoirie de Me Cittadini, le président avait la tête baissée et ne l’a
relevée que pour poser des questions stéréotypées sur la salariée, pour interroger son
comportement au lieu de celui de l’agresseur : "Pourquoi elle est restée 10 ans ?
Pourquoi attendre quatre ans pour saisir le Conseil ?".
Gisèle Amoussou qui représentait l’intervention volontaire de l’AVFT s’est attachée à
déconstruire les stéréotypes avancés par le Conseil et expliquer les différentes
contraintes qui pèsent sur les victimes et qui déterminent leurs réactions ou absence
de réaction.
L’avocate de l’employeur exclut l’existence du harcèlement sexuel, en raison du
classement sans suite de la plainte de Mme Ch. Puis elle conclut au rejet de la
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demande de requalification formulée par Mme Ch. considérant que sa démission
est non équivoque.
Le 4 avril 2012, le Conseil de prud’hommes déboute Mme Ch et l’AVFT de leurs
demandes. Il met en doute les faits dénoncés par la salariée et il les balaie d’un
revers de main. Il qualifie d’ « hallucinantes » les attestations produites en faveur de
Mme Ch. par quatre collègues témoins directs des agissements de M. P pour retenir
exclusivement les attestations produites par deux clients en faveur de M. P, et
s’affranchissant de toute analyse, considération et motivation juridique, il rend une
décision de débouté fondée sur des préjugés :
« Comment peut-on imaginer (sic) qu’un chef d’entreprise puisse dire aux clients du
salon que C. était amoureuse de lui, qu’elle ne baisait pas avec son mari parce qu’il
baisait mal, avait une petite quéquette comparé à lui ? ». « Il est douteux qu’une
victime de harcèlement s’inquiète à ce point de la santé de son harceleur, prenne
régulièrement le café avec lui comme l’atteste M.W. client du salon et l’invite à
dîner avec sa compagne ». « Enfin peut-on raisonnablement penser que Mme Ch
aurait accepté d’être harcelée pendant 12 ans, alors qu’elle exerce une activité
dont on sait bien qu’elle offre des débouchés pour les bons professionnels, ce
qu’était la salariée aux dires des clients du salon ». « Mme Ch apparaît comme une
personne tourmentée ayant souffert d’un manque d’intérêt de son employeur pour
sa personne. C’est probablement (sic) de ce constat que Mme Ch a échafaudé un
scénario tendant à stigmatiser son employeur en l’embarquant dans une procédure
pénale qui ne pouvait qu’aboutir à un classement sans suite, tant étaient
invraisemblables et contradictoires les dires de tous ceux qui ont participé à cette
affaire scabreuse ».
Mme Ch et l’AVFT ont relevé appel de ce "jugement".
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our d’appel de Paris, 30 mars 2011
Mme B., après avoir fait des études d’infirmière-vétérinaire par correspondance,
obtient son diplôme en 2006.
En septembre 2006, elle postule pour un emploi chez M.L., vétérinaire, et elle est
recrutée immédiatement. Dès les premières semaines, M.L. se montre « tactile » avec
elle, il lui prend les épaules régulièrement et la complimente sur son travail.
Puis, un jour, alors qu’elle est en train de laver une cage, il passe derrière elle et lui
touche les fesses. Devant l’étonnement de Mme B. il lui rétorque qu’il plaisante. Par
la suite, il continue à lui toucher les fesses puis les seins dès qu’il en a l’opportunité.
Une semaine avant la signature de son contrat de travail à durée indéterminée, à la
pause-déjeuner, il la plaque contre le mur et il l’embrasse de force. Elle se débat et
lui dit qu’il « n’est pas correct ». Comme elle reste distante tout le reste de la journée,
il la prévient en ces termes : « tu as un caractère en dent de scie, je ne sais pas si je
vais te garder ».
Elle se confie à l’autre salariée du cabinet qui l’informe être également l’objet
d’attouchements sur les fesses et la destinataire de nombreux textos de la part de
M.L. A bout, elle décide d’en parler au Dr T.N, associée de M.L. mais celle-ci ne la
croit pas (ou fait mine de) et lui conseille « d’aller chercher un travail ailleurs ».
M.L. continue d’agresser sexuellement Mme B. et devant son refus d’accepter ses
avances, il critique son travail à longueur de journée.
Vers le 20 novembre (2006), après que Mme B. a eu un souci professionnel avec un
client, M.L. lui dit : « je te crois, je peux le mettre dehors si tu me suces ». Et il lui fait des
propositions sexuelles toute la journée.
Le 21 novembre, elle dépose une plainte pour agressions sexuelles et démissionne le
lendemain.
Un juge d’instruction est désigné, qui le 11 juin 2008, renvoie M.L. devant le Tribunal
correctionnel de Créteil pour agression sexuelle.
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L’audience est fixée au 12 novembre 2009, le délibéré intervient le 8 février 2010 et
condamne M.L à 10 mois d’emprisonnement avec sursis et à verser 3000€ de
dommages et intérêts à Mme B au motif que : « les faits visés à la prévention sont
clairement établis et non contestés dans leur matérialité et M.L doit en être déclaré
coupable ».
Néanmoins celui-ci relève appel de la décision le 17 février.
Le 8 décembre 2010, la Cour d’appel de Paris est saisie de cette affaire. Selon
Mme B., « les juges se montrent plus cléments avec M.L ».
A la date du délibéré le 18 janvier 2011, Me L., l’avocate de la victime, reçoit un
appel de la présidente de la 9ème chambre correctionnelle qui l’informe que Mme
B. va être à nouveau convoquée, le 30 mars 2011, à la Cour d’appel de Paris pour
une nouvelle audience afin de pouvoir débattre sur l’infraction de harcèlement
sexuel1. Elle l’informe que la Cour d’appel ne souhaite pas condamner M.L pour
agression sexuelle (« c’est trop fort comme terme ») mais qu’il n’est pas possible de
condamner M.L pour harcèlement sexuel car les débats n’ont pas portés sur cette
infraction.
Les juges, pourtant débordés de manière chronique, souhaitent ainsi rouvrir des
débats pour pouvoir déqualifier des agressions sexuelles dont la matérialité est
établie, ce qui est symptomatique du traitement des violences sexuelles,
particulièrement quand elles sont commises dans les relations de travail.
C’est à ce stade de la procédure que Mme B., qui ne comprend plus rien, saisit
l’AVFT. Elle ne se sent pas soutenue par son avocate dont elle n’obtient aucune
information. Complètement désemparée par ce « rebondissement » procédural, elle
cherche, à nos côtés, à comprendre les tenants et les aboutissants de cette
nouvelle audience.
Gisèle Amoussou et Emmanuelle Cornuault la reçoivent en urgence le 24 mars 2011,
soit six jours avant l’audience.
L’AVFT ne peut pas se constituer partie civile à ce stade avancé de la procédure,
mais ce rendez-vous a pour double objectif de l’informer sur la volonté de la Cour
1
La réouverture des débats, même si elle est exceptionnelle, est en effet possible tant qu’une décision n’a pas
été rendue.
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d’appel de vouloir minimiser les violences en déqualifiant le délit d’agression sexuelle
en harcèlement sexuel, au mépris de la réalité et du droit, et de la préparer à
l’audience.
Nous lui conseillons donc d’insiter particulièrement sur les attouchements sexuels
dont elle a été victime (main sur les fesses et les seins, baisers forcés) et sur le mode
opératoire de l’agresseur (par surprise, menace et contrainte) afin de faire barrage
à la déqualification que souhaite manifestement la Cour.
Le jour de l’audience, Emmanuelle Cornuault (AVFT) est présente et soutient Mme B.
Mme B. est déstabilisée par cette nouvelle audience et elle ne parvient plus « à faire
confiance en la justice », elle a l’impression que sa parole ne « vaut rien » et « que
toutes ces années de procès n’ont servi à rien du tout ». Elle craint une relaxe de
l’agresseur.
La teneur des débats confirme la volonté de la Cour d’appel de ne pas condamner
M.L pour agression sexuelle afin notamment d’éviter son inscription au FIJAIS (Fichier
judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles).
Les "arguments", si on peut les nommer ainsi, avancés par les magistrats du siège et
par le procureur de la République à l’appui de cette déqualification sont
humainement révoltants et juridiquement aberrants :
- « Il faut prendre du recul » ;
- « Nous faisons du droit et le harcèlement sexuel correspond à ce qui s’est passé » ;
- « Il n’y a pas eu de menaces, contrairement à une affaire plus grave qui sera jugé
la semaine prochaine et dont l’agresseur a utilisé un couteau » ;
- « Un attouchement n’est pas une agression » ;
L’avocate générale conclut son réquisitoire d’une manière qui se veut solennelle
mais qui est en réalité grotesque : « C’est comme cela que nous concourrons à
l’œuvre de la justice ».
L’avocate de la victime s’insurge contre « la synthèse partiale » effectuée par le
président et qui « nie la parole de la victime ». Elle conclut en disant : « la
qualification d’agression sexuelle correspond à ce qui s’est passé ».
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Le Président reprend la parole manifestement énervé et assène à Me L. : « Je ne
vous demande pas de manger votre chapeau Maître ! » mais, relativement gêné il
donne, enfin, la parole à Mme B.
Celle-ci l’informe qu’elle ne comprend pas le « pourquoi de cette nouvelle
audience, vous savez il m’a touché les fesses, les seins la bouche... et toujours avec
surprise », « j’ai mis des mois à me reconstruire » et elle pleure.
Le président l’interrompt, semble-t-il mal à l’aise : « On ne nie pas ça... ».
Contre toute attente, le 18 mai 2011, M.L. est condamné pour agressions sexuelles
mais seulement à 6 mois d’emprisonnement avec sursis au lieu de la peine de 10
mois d’emprisonnement avec sursis prononcée en première instance.
Si ce "rétropédalage" de la Cour est surprenant, il n’en reste pas moins qu’il n’est
jamais trop tard pour vraiment faire du droit.
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ribunal correctionnel de Paris, 28 avril 2011
Mme M a été embauchée le 27 octobre 2008, aux termes d’un contrat de
professionnalisation en alternance, par la société HC, spécialisée en rénovation
d’ouverture de volets et fenêtres.
Elle est victime dès l’arrivée en janvier 2009 du nouveau directeur d’agence M. G B,
de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle de la part de celui-ci, soutenu
implicitement par le directeur régional M. L.
Les faits ont consisté en :
- des remarques sur le physique : « Tu es belle, tu as un beau corps et de belles fesses,
ta poitrine est gonflée ». « J. a de grosses fesses et une forte poitrine. Oh tes fesses !
oh ta poitrine ! » ;
- des contacts physiques imposés ;
- des chantages sexuels : « Embrasse-moi, sinon pas de rendez-vous », « Si tu sors
avec moi, je ferai de toi le meilleur contrat pro qui aura plus de salaires que son
professeur » ;
- des avances sexuelles réitérées : « Si je te proposais de sortir avec moi, est-ce que
tu le ferais ? », « Tu me plais beaucoup, je veux sortir avec toi, tu as un beau corps » ;
« Dès la première fois que je t’ai vue, tu m’as plue, je t’aime », « J’ai envie de te
bouffer les fesses, de te faire l’amour », « Je fais un pari avec toi, je vais te baiser
avant la fin du mois », « Je parie qu’avant la fin du mois, je la mettrai dans mon lit »,
« Tu sais pourquoi je t’ai emmenée avec moi ? C’est parce que je vais te faire
l’amour ».
M. B frotte souvent son sexe en érection contre les fesses de Mme M. en lui bloquant
le passage et en l’immobilisant de force contre le mur. Il lui touche souvent aussi les
fesses par surprise.
Suite à son refus de céder aux exigences sexuelles de son supérieur hiérarchique, elle
subit les représailles professionnelles de ce dernier, lequel l’isole du reste de l’équipe,
lui interdit de participer aux réunions d’agence, et modifie substantiellement ses
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Procès 2011
horaires de travail. Son médecin traitant lui prescrit un arrêt de travail pour
dépression nerveuse.
Le 30 avril 2009, Mme M. dépose une plainte contre M. B et M. L le directeur
régional ; elle est licenciée le 20 mai 2009 pour faute grave.
L’AVFT, représentée par Gisèle Amoussou, a écrit au procureur de la République
pour soutenir la plainte de Mme M. et elle s’est constituée partie civile à l’audience
correctionnelle du 28 avril 2011. Mme M. était présente et assistée de Me Cittadini.
Une deuxième victime, Mme H., nous a également saisies, mais n’a pas donné suite
aux relances de l’AVFT, ni à celles Me Cittadini et n’est pas venue à l’audience.
M. B n’était ni présent ni représenté, en revanche, le directeur régional cité pour
complicité de harcèlement sexuel était présent et assisté.
Après avoir fait un rapport du dossier, la présidente du tribunal a procédé à
l’interrogatoire de M. L qui se pose d’emblée en victime et affirme n’avoir jamais eu
connaissance des agissements de M. B envers les victimes : « Je suis une victime de
M. B, je n’ai jamais été informé. Dès que Mme M. a saisi la direction régionale, une
confrontation a été organisée. J’ai proposé une mutation à l’autre victime, et j’ai dit
qu’il y aurait des sanctions à l’encontre de M. B ».
La présidente abonde dans son sens : « Donc vous n’étiez au courant de rien, vous
avez fait tout ce qu’il fallait ».
Pourtant figure au dossier la main courante d’un salarié qui s’était spontanément
présenté à la police pour attester que lui-même et les autres salariés avaient été
contraints d’établir des attestations en faveur de M. B sous la pression de M. L qui
disait vouloir éviter des ennuis judiciaires à son collaborateur.
Me Cittadini interroge M. L pour savoir s’il connaissait M. B en dehors du travail. La
présidente intervient alors agacée : « Je ne comprends pas votre question ; si nous
étions devant une juridiction américaine votre question serait rejetée ». « Mme la
présidente nous ne sommes pas devant une juridiction américaine », lui rappelle Me
Cittadini qui indique que sa question est importante pour expliquer que
Mme M. avait saisi M. L directement lequel avait couvert M. B.
Mme M., appelée à son tour à la barre a relaté avec précision les détails des
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agressions, évoqué ses différentes démarches, notamment, auprès de M. L. Elle a
exposé son ressenti : « Il m’a tellement dit que j’étais nulle que j’ai perdu toute
confiance en moi, je n’osais plus passer les entretiens d’embauche », et des
conséquences sur sa santé.
Lorsque la présidente lui a ensuite demandé comment elle allait, Mme M. lui indiqué
que cela allait mieux. Lorsque la présidente reformule ainsi : « ça va bien alors ? »
Mme M. répond : « Non ça va mieux, parce que j’ai pris des médicaments ».
Mme M. ajoute qu’elle s’est mariée et attend un enfant. La présidente termine
l’interrogatoire par un sommet de sexisme : « Alors votre mari vous protège ».
Comme à son habitude, Me Cittadini a fait une plaidoirie exhaustive sur les faits et la
caractérisation des agressions sexuelles. Gisèle Amoussou, qui représente la
constitution de partie civile de l’AVFT, est dès sa prise de parole brutalement
interrompue par la présidente, manifestement énervée : « Je vous arrête tout de
suite, j’ai un rendez vous à 16h, allez directement à vos demandes ». Gisèle
Amoussou lui répond qu’elle n’a pas l’intention d’être longue mais qu’elle n’a pas
non plus l’intention de ne rien dire. Après avoir présenté, comme annoncé, les
brèves observations de l’AVFT, notamment sur la raison de sa présence aux côtés de
Mme M., la présidente est revenue sur son attitude : « Madame pardonnez moi, j’ai
été vraiment brutale avec vous, pardonnez moi ».
La procureure de la République a relevé les faisceaux d’indices établissant le délit et
a caractérisé en droit les délits de harcèlement sexuel, harcèlement moral et
agression sexuelle, avant de requérir 8 mois d’emprisonnement avec sursis et 3000
euros d’amende à l’encontre de M. B et 2000 euros d’amende à l’encontre de M. L.
La présidente bougonnait en écoutant les réquisitions de la procureure : « 8 mois
avec sursis n’importe quoi ».
L’avocat de M. L : « Je ne conteste pas la parole des victimes, M. B est un lâche, il
n’est pas viril aujourd’hui qu’il ne soit ni présent ni représenté ».
La présidente d’ajouter : « M. B il est haut en couleurs » (autre dénomination de
l’agresseur sexuel, donc).
L’avocat de M. L plaide la non-complicité de son client et, à titre subsidiaire, la
dispense d’inscription au casier judiciaire en cas de condamnation de son client.
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Procès 2011
L’affaire a été mise en délibéré au 13 mai 2011, date à laquelle le tribunal a relaxé
M. L et déclaré M. B coupable de harcèlement sexuel agression sexuelle et
harcèlement moral.
Il a été condamné par défaut (c’est-à-dire, alors qu’il n’était ni présent ni représenté
à l’audience) à 6 mois d’emprisonnement ferme et à indemniser Mme M. à hauteur
de 6000 euros à titre de dommage et intérêts en réparation de son préjudice moral
et 2000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
L’AVFT a obtenu 3050 euros au titre de son préjudice moral.
M. B étant introuvable, Mme M a saisi la CIVI (Commission d’Indemnisation des
Victimes d’Infraction) pour faire indemniser son préjudice.
C
our d’appel de Versailles (chambre sociale), 28 avril 2011
Par jugement rendu le 16 décembre 2009, Mme V avait obtenu la résiliation
judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeuse, après la
condamnation pénale du mari de cette dernière pour agressions sexuelles à son
encontre.
L’employeuse ayant fait appel de ce jugement, nous voici devant la Cour d’appel
de Versailles.
L’AVFT avait fait appel incident puisqu’elle avait été déclarée recevable mais
déboutée de ses demandes indemnitaires en première instance.
Nous sommes convoqués à 9h. Septième et dernière affaire inscrite sur le rôle.
Tout d’abord : Une proposition de médiation par la chambre sociale de la Cour
d’appel.
Depuis près de deux ans à Paris et depuis quelques mois à Versailles, sont présents
des médiateurs-trices, membres d’associations d’aide aux victimes. La présidente
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Procès 2011
propose/demande donc à certaines parties de discuter avec le-la médiateur-trice
pour envisager une procédure de médiation. Elle nous demande expressément ,"
comme vous n’êtes pas prêts de passer", de suivre le médiateur. Nous le suivons
donc dans un bureau attenant à la salle d’audience.
Pendant près d’une heure, le médiateur nous explique la procédure de médiation
telle qu’elle est organisée dans la cadre des chambres sociales de la Cour d’appel
et tente de nous convaincre de tous les avantages de cette dernière. Ce n’est
qu’en toute fin d’entretien qu’il nous indique que cette procédure est payante
(forfait de 600€) pour les parties et qu’il représente une association de médiation et
qu’il n’est donc pas un auxiliaire de justice.
Mais que nous a t-il dit pendant tout ce temps ?
-
Que dans tous les conflits, chacun avait vécu une histoire différente, racontée
différemment selon les parties ;
-
Que le rôle du médiateur est d’aider a trouver un accord entre les parties, qui
par définition sera donc accepté et respecté par les parties, sans frustration
pour personne ;
-
Mais encore que la justice c’est (sic) " une relation parent/enfants" alors que la
médiation, c’est une relation entre adultes !
-
Que la médiation est un état d’esprit et qu’elle permet aux parties de se
reparler et d’évacuer les choses, même si l’on n’aboutit pas à un accord ;
-
Que sans l’accepter forcément, cela permet de comprendre le point de vue
de l’autre...
-
Que la confidentialité de ces entretiens permet de se parler et de dire
librement les choses ;
-
Qu’une décision de justice ne pouvait être une thérapie, contrairement à la
médiation (en off, plus tard).
-
Que la médiation évite des procédures longues qui n’en finissent pas.
Concrètement, comment cela se passe-t-il ?
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Procès 2011
Explications du médiateur :
Si les parties veulent tenter la médiation, il faut passer par un ou plusieurs entretiens,
individuels et/ou collectifs, en totale confidentialité. Le médiateur est parfois
dépositaire d’informations qui n’ont pas été communiquées à l’autre partie et qui lui
permettent de mieux comprendre et de débloquer des situations. Il n’est "ni juge ni
partie, mais un tiers neutre". La médiation doit se dérouler dans un délai de trois mois,
éventuellement renouvelable une fois. Elle peut se poursuivre parallèlement à la
procédure judiciaire proprement dite : nous aurions donc pu plaider et tenter la
médiation dans l’attente du délibéré. En cas d’accord, la procédure s’arrête et le
délibéré n’est pas rendu... Cet accord peut être validé par le juge pour avoir force
exécutoire.
Aucune des parties n’étant dans cet... "état d’esprit", nous avons ensuite pu
regagner la salle d’audience.
Seules deux affaires n’étant pas en état d’être plaidées, nous sommes finalement
passés à 12h30 devant deux magistrates (la troisième étant absente) visiblement
pressées et fatiguées.
L’employeur étant l’appelant, son conseil a eu la parole en premier. L’avocate de
l’employeur a limité ses demandes à des modifications sur les sommes allouées à la
salariée et est longuement revenue sur la (l’ir-)recevabilité de l’association, avec
pour seul argument le caractère abusif d’une décision du bureau de conciliation,
autorisant la présence de l’AVFT pendant cette phase. Elle a alors brutalement été
coupée par la présidente, qui lui a demandé d’abréger car "nous étions au stade
de l’appel". Concernant nos demandes indemnitaires, l’avocate de l’employeur a
précisé que nous avions déjà les cotisations qui "rémunérait nos actions"( !)2
La présidente a ensuite donné la parole à l’avocat de Mme V, "très brièvement".
Celui-ci a simplement rappelé le contexte et regretté les "pinailleries" de l’employeur
qui n’avait jamais voulu prendre conscience de ce qu’il faisait subir à la salariée.
Gwendoline Fizaine, pour l’AVFT, n’a pas eu la parole pour plaider, simplement pour
aborder, à la demande de la présidente, le « préjudice collectif uniquement ». La
2
D’une part, les cotisations des adhérent-e-s représentent une partie infinitésimale des ressources de
l’association. D’autre part, nos actions en justice n’ont pas pour objectif de faire "rémunérer nos actions", mais
de faire indemniser notre préjudice.
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Procès 2011
présidente a interrompu Mme Fizaine lors de la présentation succincte de
l’association, alors même que le préjudice découle des missions et statuts de
l’association.
La décision de la Cour d’appel de Versailles vient confirmer la condamnation de
l’employeur et modifie les sommes attribuées à Mme V. Elle confirme la recevabilité
de l’intervention volontaire de l’AVFT et indemnise le préjudice moral de l’AVFT, "en
réparation de l’atteinte portée aux intérêts collectifs de l’association".
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Procès 2011
T
ribunal correctionnel de Pontoise, 24 mai 2011
Mme M. est femme de ménage dans un hôtel du Val d’Oise. Elle est agressée
sexuellement par surprise par un client, pilote de ligne ukrainien, visiblement sous
l’emprise de l’alcool, alors qu’elle nettoie une chambre, en mai 2010. Il la bloque
dans la salle de bain, lui touche les seins, le ventre, passe sa main sous sa robe et lui
touche les jambes, les fesses, le sexe.
Elle dépose plainte dès le lendemain. Le mis en cause, après dégrisement, placé en
garde à vue, prétend qu’il ne se souvient de rien et qu’il est "possible" qu’il ait fait
"ça". A l’issue de l’enquête, il est poursuivi par le parquet de Pontoise pour agressions
sexuelles.
Un premier renvoi d’audience est prononcé en août 2010, l’avocat du prévenu
venant d’être saisi du dossier.
En février, Mme M. saisit l’AVFT des faits d’agressions sexuelles. Lors du premier
rendez-vous, le 30 mars, alors que Gisèle Amoussou et Gwendoline Fizaine insistent
pour qu’elle précise les faits, elle révèle qu’il y a eu aussi une pénétration digitale. Il
s’agit donc légalement d’un viol.
Elle décide d’aborder le viol lors de l’audience, mais sans demander de
requalification3. La pénétration n’apparaît nulle part dans la procédure. Elle indique
en avoir parlé au premier policier, qui lui a dit « Vous savez c’est trop grave ça, il
risque cher ».
Finalement, dans le procès verbal, la réponse à la question du policier concernant la
pénétration est « non ». Procès verbal qu’elle n’a ni relu ni signé... Elle n’en a jamais
parlé à son avocate.
Lorsque Mme M parle de l’AVFT à son avocate, celle-ci s’emporte et ne veut pas
que l’association se constitue partie civile. "Je ne travaille pas avec une association.
C’est elle ou moi", lui dit-elle.
3
Si le tribunal correctionnel acceptait une telle demande, il devrait se déclarer incompétent et renvoyer le
dossier au parquet, qui pourrait refuser de renvoyer le mise en cause devant une Cour d’assises. Cette
démarche aurait été juridiquement envisageable, mais complexe et probablement vouée à l’échec, compte
tenu de sa tardiveté dans la procédure.
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Procès 2011
Gwendoline Fizaine, chargée du dossier, appelle alors l’avocate pour lui présenter la
nouvelle qualification et les raisons pour lesquelles Mme M n’a pas pu lui en parler
(rendez-vous rapide, aucune question précise sur les faits).
Elle lui indique également que l’AVFT, à la demande de Mme M, souhaite se
constituer partie civile en vue de l’audience du 25 mai.
L’avocate semble visiblement très vexée de ne pas avoir été informée par sa
cliente, et ne veut pas entendre les explications avancées par Gwendoline Fizaine.
Elle ne souhaite pas la constitution de partie civile de l’AVFT et s’oppose
formellement à tout travail collaboratif. Elle tient des propos désobligeants sur sa
cliente et remet en cause la véracité des faits de viol (« Moi je crois que Mme M, elle
raconte des histoires, elle a été très troublée... »). Elle indique également : « ça fait
longtemps maintenant, il faut passer à autre chose. Moi je ne vois pas pourquoi elle
a besoin de soutien ».
Informée de ces échanges, Mme M, pressée de voir cette procédure se terminer,
décide tout de même de garder son avocate en première instance pour ne pas
risquer un nouveau renvoi de l’audience, et partant, de se passer de la constitution
de partie civile de l’AVFT. Lors du rendez-vous suivant entre elle et son avocate,
celle-ci accepte d’aborder la question du viol, mais sans faire de demande à ce
titre ni demander de requalification.
Gwendoline Fizaine est présente le 25 mai pour préparer Mme M à l’audience et la
soutenir pendant celle-ci. Mme M est accompagnée de sa sœur.
Les trois magistrates sont des femmes, de même que la représentante du parquet.
Le prévenu est absent. Il est représenté par un avocat. La présidente s’emporte « Il
ne daigne même pas se présenter ! Il aurait fallu prévenir, ça aurait évité de faire
venir un interprète ! ». Nous craignions une éventuelle incidence de l’actualité
(arrestation de M. Strauss Kahn quelques jours plus tôt) sur cette audience. La
présidence demandera seulement aux parties de ne faire « aucune allusion à une
actualité récente ».
L’avocat du prévenu demande in limine litis la nullité de la procédure pour
irrégularité de la garde à vue, notamment du fait du taux d’alcoolémie de son
client, « pas en mesure de se défendre ». L’incident est joint au fond.
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Procès 2011
La présidente dans son rapport, reprend les propos du prévenu, sur les faits : « Peutêtre, je ne me souviens plus, j’étais ivre ». Il dit aussi : « Je suis prêt à rembourser, je
regrette vraiment ce qu’il s’est passé, je présente mes regrets et mes excuses car je
suis une personne normale ».
L’expert constate un « alcoolisme chronique banalisé par le sujet » (par ailleurs pilote
de ligne...).
La parole est ensuite donné à Mme M, qui revient peu sur les actes commis mais
plutôt sur son ressenti (« j’ai peur, je tremble ») au moment des faits. Elle ne parvient
pas à décrire précisément les faits. Elle dit : « Il m’a touchée partout, le sexe aussi ».
Personne ne lui pose de questions.
Son avocate plaide beaucoup mieux qu’elle ne parle de sa cliente en « off ». Elle
reparle du traumatisme de Mme M et des conséquences psychologiques graves.
Elle indique que Mme M avait finalement révélé à son psychologue comment cela
s’était réellement passé (avec pénétration) et produit une attestation en ce sens.
Elle explique les difficultés à parler de ces questions, du fait des interdits culturels et
de son milieu social. Elle martèle qu’il est trop facile de ne pas se souvenir et de
s’excuser, et qu’une condamnation avec l’attribution d’une somme importante à
Mme M « le fera peut-être réfléchir : même une femme de chambre, on ne l’agresse
pas ». Elle demande 10 000€ de dommages et intérêts.
La procureure s’interroge tout haut sur la manière dont le prévenu « peut
appréhender les images de DSK » dans les médias. Elle regrette fortement qu’il ne
soit pas là, alors même qu’il conteste ses déclarations en cours de garde à vue. Elle
le juge « peu respectueux de la victime et peu soucieux de l’impression qu’il peut
laisser au tribunal ».
Elle insiste sur les déclarations circonstanciées et réitérées de Mme M et la
concordance des témoignages. Elle requiert une peine de 12 à 18 mois
d’emprisonnement avec sursis et se permet « d’espérer une bonne indemnisation de
Mme M ».
L’avocat du prévenu rappelle que son client est absent pour des raisons
professionnelles. Il plaide : « C’est la parole de l’une contre l’amnésie de l’autre ». Il
invite le tribunal à « éplucher le dossier », à constater qu’il subsiste des doutes et de
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Procès 2011
vérifier si les faits peuvent être qualifiés d’agressions sexuelles.
Le délibéré est rendu après une longue suspension d’audience.
M. H est reconnu coupable des faits d’agression sexuelle et condamné à 18 mois de
prison avec sursis. Probablement compte tenu de son salaire (300$ par mois selon
son avocat sans pièce justificative), les dommages et intérêts attribués à Mme M
sont peu élevés : 3000€.
Mme M, choquée par le faible montant de cette somme au regard de l’ensemble
de ses préjudices, a fait appel de la décision.
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C
onseil de prud’hommes de Paris, 27 mai 2011
L’AVFT a été saisie le 4 mai 2010 par Mme F, qui dénonçait les agissements de
harcèlement sexuel et de viol dont elle a été victime entre décembre 2007 et
septembre 2009 de la part de M. V, directeur adjoint, son supérieur hiérarchique, au
sein d’une banque. Elle y était salariée depuis 1990.
Après avoir dénoncé les violences au directeur de la Banque en décembre 2009,
elle est mise en congés payés d’office, puis déclassée « temporairement ». Elle passe
d’un poste de chargée de clientèle à un poste de secrétaire standardiste.
Lorsqu’elle s’en plaint après quelques temps, la banque exerce des pressions à son
encontre et des mesures vexatoires. Mme F, par l’intermédiaire de son avocate,
introduit alors une requête en demande de résiliation judiciaire devant le Conseil de
prud’hommes.
Elle est finalement licenciée pour faute lourde sur des motifs fallacieux en juin 2010.
L’AVFT, à sa demande, intervient volontairement dans la procédure et envoie ses
pièces et conclusions à la partie adverse en janvier 2011.
Le 19 avril, le conseil de l’employeur envoie des conclusions d’incompétence in
limine litis4. Il use d’une nouvelle stratégie : il ne demande pas l’irrecevabilité, mais
considère que le Conseil de prud’hommes n’est pas compétent pour connaître de
la recevabilité de l’intervention volontaire de l’AVFT (argument parfaitement
dilatoire).
Des conclusions complémentaires sur ce point sont échangées avant l’audience,
mais l’employeur n’a toujours pas communiqué ses pièces et conclusions au fond la
veille de l’audience. Il indique qu’il n’entend pas plaider tant que le conseil n’a pas
statué sur cette demande.
Mme F, Me Mascart, son avocate et Mme Fizaine s’interrogent sur cette étonnante
stratégie, qui semble assez risquée pour l’employeur.
4
Les demandes in limine litis doivent être présentées lors de l’audience avant le débat au fond. C’est le cas
pour les demandes de sursis à statuer ou d’irrecevabilité de l’intervention volontaire de l’AVFT.
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Procès 2011
Lors de l’audience, nous sommes la 9ème affaire appelée (sur 12). Étonnamment,
toutes les affaires sont en l’état5 et les trois dernières affaires sont renvoyées à des
dates ultérieures (6 mois plus tard environ) lors de l’appel des causes.
Lors de cet appel des causes, l’avocate représentant la Banque ne manifeste
aucune objection à plaider. Elle indique seulement qu’elle est présente.
Notre affaire est appelée à 18h20.
L’avocate présente sa demande in limine litis et indique notamment que l’AVFT
parle de viol dans ses écritures, ce qui n’est pas le cas de Mme F. (ce qui est vrai, son
avocate s’en tenant au harcèlement sexuel). Elle soulève donc l’incompétence
matérielle du Conseil sur la question du viol.
Elle soulève également l’incompétence du conseil sur les conflits collectifs de salariés
(l’AVFT serait un groupement collectif de salariés).
Mme Fizaine, pour l’AVFT, répond à ces arguments et demande que le débat soit
joint au fond6. Elle explique que l’AVFT, experte des violences sexuelles, considère
qu’un viol a été perpétré et utilise donc ce terme devant le Conseil mais que les
demandes sont fondées sur les faits de harcèlement sexuel, qui existent par ailleurs et
sont explicitement interdits par le code du travail.
Le conseil décide « sur le siège » (sans se retirer pour délibérer) de joindre au fond. Le
président nous donne donc la parole pour plaider.
L’avocate de la banque intervient de façon véhémente et indique qu’elle ne
plaidera pas sur le fond, que le calendrier n’aurait pas été respecté (ce qui était
manifestement faux pour ce qui concerne les parties demanderesses).
Le président lui rétorque, très calmement, qu’elle aurait dû évoquer ce problème à
l’appel des causes. Elle devient agressive et menace de s’en aller. Toujours calme, il
lui dit : « Allez-y Maître, faites ce que vous avez à faire, prenez vos responsabilités. Si
vous souhaitez partir, partez. Vous essayez de provoquer un incident ».
5
Être « en l’état » signifie être prêt à plaider (pièces et conclusions échangées dans des délais suffisants
notamment). Les demandes de renvoi à une date ultérieure car les avocat-e-s ne sont pas prêt-e-s sont
extrêmement courants. Il est rarissime que toutes les affaires d’un rôle soient « en l’état ».
6
C’est à dire que le débat au fond soit tout de même plaidé, et que la décision sur la compétence soit rendue
en même temps, ce qui évite de perdre du temps avec des manœuvres dilatoires.
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Procès 2011
L’avocate prend alors ses affaires et sort de la salle d’un pas décidé, laissant tous les
témoins de cette scène totalement bouches bées. Elle ne reviendra que quelques
minutes après seulement pour signer le procès verbal d’audience.
C’est donc sans contradictrice, ni conclusions, ni pièces adverses que nous plaidons
cette affaire.
Sans surprise, le conseil nous a donné raison. Par jugement du 3 août, il décide :
1/ qu’il est compétent pour statuer sur l’intervention volontaire de l’AVFT, qui a « un
manifeste intérêt à agir » et dont l’intervention a « un lien évident avec les
demandes de Mme F » au titre du harcèlement sexuel. Cette intervention est donc
recevable.
2/ que « Mme F est précisément licenciée pour avoir dénoncé des agissements de
harcèlement sexuel, avec cette circonstance particulière qu’elle se désigne comme
victime ; que le conseil ne peut que prononcer la nullité du licenciement », sans
chercher à établir les faits.
3/ que le harcèlement sexuel est constitué, au vu des SMS adressés par M. V à
Mme F.
4/ Mme F l’ayant dénoncé à son employeur, « la Banque, se basant sur le seul fait
que Mme F a cédé une fois aux avances sexuelles de M.V a catégoriquement nié
toute possibilité de harcèlement sexuel de la part de M. V sur Mme F. Elle s’est
volontairement privée de toute enquête sérieuse et objective sur le comportement
singulier de M. V., que ce dernier qualifie lui même de harcèlement dans un
message écrit (...) La Banque, confrontée à une situation de harcèlement qui
nécessite pour le moins une enquête interne rigoureuse et équitable, a préféré
s’acharner sur la présumée victime de manière de plus en plus vexatoire, avec
l’espoir qu’elle finirait par céder, allant même jusqu’à faire pression sur sa mère
âgée ». Il accorde 15 000€ de dommages et intérêts à Mme F à ce titre.
5/ Il accorde (seulement) 150€ de préjudice moral à l’AVFT pour atteinte à son objet
social.
Bien entendu, l’employeur a fait appel de la décision.
Rendez-vous devant la Cour d’appel de Paris en décembre 2012.
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Procès 2011
C
onseil de prud’hommes de Paris, 10 juin 2011
Mme P. a été victime d’agressions sexuelles dans le cadre de ses fonctions de
coordinatrice « Groupes » dans un grand hôtel parisien de la part d’un directeur de
service avec qui elle travaillait en étroite collaboration.
Celui-ci lui avait à deux reprises imposé des baisers sur la bouche et des
attouchements sur les seins, les fesses et le sexe, en l’empêchant de sortir de son
bureau.
Il avait également tenté de lui imposer de nouveaux attouchements dans une des
chambres de l’hôtel, notamment en s’allongeant sur elle alors qu’elle était couchée
dans son lit.
Elle avait déposé plainte en juin 2009 et prévenu son employeur aussitôt.
Celui-ci diligentait une enquête limitée à trois questions fermées, auprès d’une
dizaine de personnes ne travaillant pas toutes avec le mis en cause, qui n’aboutissait
en toute logique à rien. Dans le même temps, suite à la saisine de Mme P, le CHSCT
menait lui aussi une enquête, qui révélait plusieurs témoignages attestant de
comportements à connotation sexuelle de M. M. à l’égard de ses subordonnées.
L’employeur ne sanctionnait pas le mis en cause, et prenait des soi-disant mesures
protectrices ( !), en leur demandant à tous deux de ne pas quitter leur bureau et de
se faire accompagner aux toilettes... Après avoir croisé l’agresseur plusieurs fois dans
les locaux, Mme P était finalement arrêtée par son médecin traitant.
Elle saisissait le CIDFF de Paris, l’AVFT, la médecine du travail, puis l’inspection du
travail. Elle écrivait à son employeur en lui demandant de prendre des mesures
pouvant lui assurer une reprise du travail en toute sécurité. L’AVFT lui écrivait
également en lui adressant « Violences sexistes et sexuelles au travail, guide à
l’attention des employeurs ». En vain.
Lors de l’audience du 25 août 2010 devant le Tribunal correctionnel de Paris, M. M
était condamné pour agressions sexuelles. Il faisait appel de cette décision
Un an après son arrêt maladie initial, Mme P prenait finalement acte de la rupture de
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Procès 2011
son contrat de travail aux torts de son employeur.
Elle introduisait une requête devant le Conseil de prud’hommes de Paris afin de voir
requalifier sa prise d’acte en licenciement nul.
L’AVFT,
partie
civile
dans
la
procédure
pénale,
intervenait
également
volontairement aux côtés de Mme P dans la procédure prud’homale.
Lors de l’audience prud’homale, lorsque les conseillers de la quatrième chambre
s’installent et que l’appel des causes commence, Mme P. réalise que l’un des
conseillers est également salarié de l’hôtel.
L’indépendance de ce conseiller pouvant être discutée, les conseilleurs procèdent
alors à un échange et nous passons en chambre 3, dans la salle d’à côté.
Le conseil est alors composé de quatre hommes.
Le président, manifestement employeur, ne laisse plaider ni l’avocate de Mme P, Me
Cittadini, ni Gwendoline Fizaine, pour l’AVFT.
Elles sont constamment interrompues, coupées, et doivent réduire leurs interventions
et passer sur certains éléments.
Lorsque vient le tour de l’avocat de l’entreprise, il plaide sans aucune interruption
pendant plus d’une demi-heure.
En fin d’audience, un conseiller du collège salarié, de la RATP nous dit-il, demande à
l’employeur pourquoi ne pas avoir décidé d’une mise à pied conservatoire à
l’encontre de M. M.
Le président l’interrompt en s’écriant : « Ha non, ça se serait une sanction, il ne
pouvait pas ! ».
L’employeur opine du chef. Mme Fizaine et Me Cittadini contestent : « non, la mise
à pied conservatoire n’est pas une sanction ».
Le président se tourne alors vers Mme Mme P et l’interroge, d’un ton docte : «
Pourquoi n’avez pas exercé votre droit de retrait ? Si l’employeur ne réagissait pas, il
fallait faire un droit de retrait ! L’association aurait pu vous le conseiller ! »
« Et pourquoi les syndicats n’ont-ils pas fait un droit d’alerte ? »
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Procès 2011
Mme P est dévastée, Mme Fizaine et Me Cittadini en colère.
Malgré les qualités indéniables du dossier de Mme P., compte tenu du parti pris non
dissimulé du président, le délibéré, fixé au 11 octobre, ne nous étonne pas (plus) :
départage, sans date7 qui plus est.
7
Certaines décisions de départage sont rendues in abstracto, sans date prévue pour l’audience de départage,
et ce en toute illégalité. La fixation ultérieure de la date d’audience retarde encore de plusieurs mois
l’audience.
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Procès 2011
C
onseil de prud’hommes de Paris, départage, 2 septembre
2011
Mme R a été victime de harcèlement sexuel dans une agence de publicité
parisienne, commis à son encontre par l’un des associés, également son supérieur
hiérarchique.
A l’issue d’une audience prud’homale ayant eu lieu le 15 septembre 2010, une
décision de départage avait été rendue.
Nous étions à nouveau devant le conseil de prud’hommes le 2 septembre 2011,
cette fois devant une juge départitrice.
Des quatre conseiller-e-s du bureau de jugement, seule une conseillère employeuse
est présente à l’audience de départage.
La magistrate est très neutre, elle nous laisse plaider sans difficulté particulière.
Le conseil de Mme R, Me Cittadini, rappelle les faits, la définition du harcèlement
sexuel et présente les nombreux éléments de preuve -le faisceau d’indices-.
Gwendoline Fizaine, pour l’AVFT, insiste sur la contrainte qui pesait sur Mme R et les
stratégies mises en place par le harceleur, ainsi que la banalisation des faits par
l’employeur.
L’avocat de l’employeur, toujours très cordial, ne semble visiblement pas convaincu
par son dossier, et se contente de défendre sans beaucoup de conviction son client.
De sa plaidoirie restent toutefois quelques formules remarquables concernant le
principe du faisceau d’indice, qui visiblement ne lui convient pas :
Le classement sans suite ferait partie du « faisceau d’indices sur la non
caractérisation du harcèlement sexuel » ; « C’est comme l’alcool, l’abus de
témoignages indirects ne peut que nuire à la santé »...
Après une heure et dix minutes d’audience, le délibéré est fixé au 4 octobre suivant.
La décision rendue vient donner raison à Mme R.
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Procès 2011
Le harcèlement sexuel est constitué et par conséquent la prise d’acte de Mme R est
requalifiée en licenciement nul, aux termes d’une argumentation déroulée de
manière remarquable.
Concernant les faits de harcèlement sexuel, le conseil retient que « Par ses
agissements, M. F. a pu choquer la pudeur de Mme R. La répétition de ses
agissements, remarques, observations à connotation sexuelle, envoi de messages
électroniques pornographiques, caractérise une atteinte portée à la dignité et à
l’image de Mme R ».
Il prend également en compte la contrainte qui pesait sur Mme R : « La situation de
subordination dans laquelle se trouvait Mme R rendait pour elle la contestation
encore plus difficile, M. F étant à la fois son supérieur hiérarchique direct avec lequel
elle travaillait exclusivement en binôme et un des directeurs de la société B ».
Le conseil s’appuie sur le faisceau d’indices :
« Les déclarations constantes et précises de Mme R, l’attestation d’une collègue de
travail ayant entendu les propos à connotation sexuelle, les courriers électroniques
envoyés à la salariée, et attestations des proches témoins de la dégradation de
l’état de santé de Mme R sont des éléments suffisamment précis pour laisser
présumer l’existence d’un harcèlement sexuel. Dans ces conditions, il appartient à
l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel
harcèlement. Or, la société Business se borne à contester cette qualification sans
apporter d’éléments probants pour contester les faits avancés ».
La société est condamnée à indemniser Mme R (notamment par 5000€ de préjudice
moral, outre l’indemnisation pour licenciement nul) et l’AVFT (700€ au titre du
préjudice moral lié au temps passé à accompagner Mme R au lieu de mener des
actions de prévention dans les entreprises).
L’employeur n’ayant pas fait appel, cette décision est devenue définitive.
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Procès 2011
C
onseil de prud’hommes de Nanterre, 13 septembre 2011
Mme O a été victime de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles par le gérant
de l’entreprise de formation pour le BTP (travaux en hauteur), dont elle était
l’assistante. Celui-ci faisait en outre régner dans l’entreprise une ambiance fortement
sexiste et misogyne.
Sa plainte est classée sans suite en octobre 2010 bien que de nombreux
témoignages viennent corroborer sa parole, notamment sur l’ambiance générale
de l’entreprise.
Sur les conseils de l’AVFT, Mme O a pris acte de la rupture de son contrat de travail
aux torts de l’employeur en janvier 2010. Assistée de Me Beckers, qu’elle rencontre
par l’intermédiaire de l’AVFT, elle introduit donc une requête devant le Tribunal
correctionnel de Nanterre pour voir requalifier cette prise d’acte en licenciement nul
du fait du harcèlement sexuel.
L’AVFT intervient volontairement à ses côtés dans la procédure.
Le premier contrat de Mme O étant un CDD, son avocate, en demandant la
requalification du CDD en CDI, nous fait gagner un temps précieux (entre un an et
demi et deux ans de procédure), puisqu’en tel cas la requérante est dispensée du
préalable de l’audience de conciliation.
La première audience est donc le bureau de jugement du 13 septembre.
Le président de l’audience (employeur), en appelant notre affaire, dit d’un air
amusé « ha la formation en hauteur, c’est mon domaine, ça ! ». Un soupçon
d’inquiétude nous saisit. Mme O blanchit instantanément, et nous indique que les
faits dénoncés vont donc forcément lui sembler normaux, tant ces agissements sont
habituels dans ce milieu.
Il commence par indiquer qu’il n’entend rien (il est visiblement assez âgé) et qu’il
faut venir plaider à la barre devant lui (sans espace pour poser les volumineux
dossiers des avocates).
Au rappel des demandes, il interroge Mme Fizaine, représentante de l’AVFT, afin de
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Procès 2011
savoir si elle présente des demandes reconventionnelles8 ... Tout en long de
l’audience, nous avons l’impression qu’il ne maîtrise pas les points de droit abordés.
Le conseiller salarié semble connaître l’AVFT. L’avocate de l’employeur ne s’oppose
pas à notre recevabilité et notre présence ne semble étonner personne.
Me Beckers plaide de manière approfondie et complète. Elle rappelle les faits, puis
présente ses demandes et leurs fondements juridiques de manière très claire : le
harcèlement sexuel, la définition, les faits, les preuves, la non-incidence du
classement sans suite. L’autre conseiller employeur regarde par la fenêtre, il soupire.
Le président, visiblement impatient et excédé lui dit : « Maître, vous n’allez pas tout
nous dire ! ». L’avocate lui répond : « J’aurais préféré que ma cliente soit victime de
harcèlement sur une moins longue période ! ». La conseillère salariée, jusque là
attentive et plutôt bienveillante, ajoute : « Il aurait mieux valu qu’elle ne soit pas
victime de harcèlement sexuel du tout ! ».
Gwendoline Fizaine, qui représente l’intervention volontaire de l’AVFT, présente ses
observations, elle est constamment interrompue par le président, très irrité (par la
présence de l’AVFT ? Par la nature du dossier ? Par les propos tenus par les
demanderesses ?).
« Essayez d’abréger, ça va, on a bien compris, c’est du
harcèlement. Le harcèlement sexuel on voit ce que c’est... à peu près. On n’a pas
besoin de se faire dicter par un organisme... on est compétent pour juger l’affaire ! »
La conseillère du collège salarié, à ses côtés, dément d’un signe de tête.
Sur les stratégies des agresseurs et les réactions des victimes décryptées par l’AVFT, il
dit : « C’est une philosophie, que vous racontez, nous on traite un dossier !9». Lorsque
Gwendoline Fizaine tente de répondre aux arguments avancés par la partie adverse
dans ses conclusions, il la coupe constamment : « Arrêtez de dire ce que va dire
votre adversaire, il n’a pas encore parlé ! ». Les deux conseiller-e-s salarié-e-s,
visiblement en soutien de l’AVFT, font des signes invitant à écourter la plaidoirie.
Gwendoline Fizaine présente tout de même les points les plus importants
8
Les demandes reconventionnelles sont toujours formulées par le défendeur et non le demandeur (qui
présente une requête avec des demandes). Il s’agit de demandes indemnitaires si le défendeur considère que
les demandes sont manifestement abusives.
9
L’AVFT n’a pas vocation à parler trop précisément du dossier, puisque c’est le rôle de l’avocate. Par ailleurs, nous
sommes plutôt confrontées à ce grief (trop parler du dossier) lors des audiences devant des conseils de
prud’hommes.
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Procès 2011
n’apparaissant pas dans les conclusions.
En fin de plaidoirie, le président, d’un ton vaguement ironique, demande en souriant
à l’avocate de l’employeur : « Est-ce qu’il faut que vous plaidiez, Maitre, puisqu’on
l’a déjà fait pour vous ? ; y’a pas quelqu’un d’une association qui va venir pour
vous ? ».
L’avocate de la partie adverse commence, d’un ton très solennel, par une citation :
« Le scepticisme est le premier pas vers la vérité. Diderot ». Elle-même utilise le
dossier de manière parfaitement mensongère. Elle présente même le signalement
au parquet du contrôleur du travail comme un élément à charge contre Mme O !
Celle-ci est présentée comme une «
mythomane, [une femme] susceptible,
capricieuse ».
Puis elle s’interroge sur le rôle de l’AVFT : « Je m’étonne que la prise d’acte
intervienne deux jours après le rendez-vous à l’AVFT... ». La conseillère l’interrompt
« Non, c’est justement leur rôle de conseiller ». Même le président lui dit
« L’association a rempli son rôle ».
Sur l’ambiance, elle dit : « C’est cru, grivois, mais pas lourd ni vulgaire ! ». Le conseiller
salarié, haussant les sourcils, en rit doucement. Puis jouant la colère, elle s’insurge :
« Je ne peux pas répéter les propos [dénoncés par Mme O], c’est trop horrible ! » Elle
présente des demandes reconventionnelles à l’encontre de l’AVFT et de Mme O de
8000€ chacune !
Le président, très impatient, ne pose aucune question à Mme O et à l’employeur,
pourtant tous deux présents dans la salle. Notre affaire, appelée à 14h15 se termine
peu avant 17h.
L’affaire est mise en délibéré au 30 novembre.
Conformément à nos attentes (compte tenu du déroulement de l’audience et du
comportement du président et des conseiller-e-s), le conseil rend un avis de partage
de voix.
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Procès 2011
C
our d’appel de Paris, 14 septembre 2011
Mme P. a été victime d’agressions sexuelles dans le cadre de ses fonctions de
coordinatrice « Groupes » dans un grand hôtel parisien de la part d’un directeur de
service avec qui elle travaillait en étroite collaboration. Celui-ci lui avait à deux
reprises imposé des baisers sur la bouche et des attouchements sur les seins, les
fesses et le sexe, en l’empêchant de sortir de son bureau.
Il avait également tenté de lui imposer de nouveaux attouchements dans une des
chambres de l’hôtel, notamment en s’allongeant sur elle alors qu’elle était couchée
dans son lit.
Elle avait déposé plainte en juin 2009 et à la suite d’une enquête rapidement et
sérieusement menée par le commissariat de police du premier arrondissement, le
parquet avait décidé de poursuivre M. M. pour agressions sexuelles.
Lors de l’audience du 25 aout 2010 devant le tribunal correctionnel de Paris, M. M
avait été condamné pour agressions sexuelles à 8 mois d’emprisonnement avec
sursis. Il était également condamné à indemniser le préjudice de Mme P. à hauteur
de 8000 euros et à 1500 euros au titre de l’article 475-1 CPP. Il est aussi condamné à
verser 1000 euros de dommages et intérêts à l’AVFT qui était partie civile dans la
procédure, ainsi que 500€ au titre de l’article 475-1 CPP. M. M. a relevé appel de
cette décision, les parties étaient convoquées le 14 septembre devant la Cour
d’appel.
Après de longues déambulations dans les couloirs et escaliers du palais de justice,
entre
les
cohortes
de
journalistes
venu-e-s
suivre
le
délibéré
du
procès
« Clearstream », nous avons fini par trouver la chambre 9 du pôle 2 de la Cour
d’appel, au détour de couloirs étroits et de minuscules escaliers en colimaçon, juste
à l’heure...
La magistrate rapporteuse a présenté un rapport très complet du dossier en
analysant toutes les auditions et les éléments de preuve. Elle s’est interrompue au
moment du récit des violences pour poser des questions à Mme P et à M. M. Une
très grande majorité des questions posées à Mme P. étaient relatives à l’agression
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Procès 2011
sexuelle qui a eu lieu dans la chambre d’hôtel et, selon le président, autour de la
« grosse question » de ce dossier : « Pourquoi vous l’avez laissé entrer ? ».
Mme P. a eu droit à un florilège d’interrogations sur tout ce qu’elle aurait pu
envisager de faire, un genre de « brainstorming » de la Cour complètement
déconnecté de la réalité :
« - Vous pouviez le recevoir sur le pas de la porte.
- On ne comprend pas très bien.
- Pourquoi vous ne lui avez pas donné une gifle ?
- Vous étiez tétanisée ?
- Pourquoi vous n’êtes pas partie de la chambre ?
- Pourquoi vous ne lui avez pas posé la question à travers la porte ? »
Mme P., éprouvée par ce renversement des questions, avec constance et courage,
s’est efforcée de faire comprendre à la cour qu’elle n’avait à ce moment là aucune
raison de ne pas ouvrir la porte car elle ne se sentait pas en danger.
M. M., quant à lui, n’a pas donné d’explication plus convaincante qu’en première
instance de sa prétendue version des faits : il ne se serait rien passé dans la
chambre, elle lui aurait simplement montré son piercing et ils auraient juste un peu
parlé. Elle aurait ensuite tout « avoué » ( ?) à son compagnon, qui l’aurait ensuite
poussée à déposer une plainte infondée par jalousie et parce qu’il est délégué du
personnel, reprenant ainsi une rengaine souvent entendue quand le mis en cause
est un syndicaliste : il s’agirait d’un complot syndical...
L’avocate de Mme P., Me Cittadini, a ensuite plaidé sur les éléments de preuve du
dossier et s’est insurgée des questions orientées posées à sa cliente, ce à quoi le
président a répondu : « Ne préjugez pas de ce que pense la Cour, Maître ».
Gwendoline Fizaine, pour l’AVFT, a ensuite présenté les stratégies de M. M. pour
brouiller les repères de ses collègues et regagner la confiance de Mme P., après
chaque
agression.
Elle
a
ensuite
analysé
les
stéréotypes
d’inversion
des
responsabilités vers les victimes et a pointé tout ce que Mme P. avait fait pour
repousser les gestes de M. M. et lui faire comprendre qu’elle n’était pas
consentante.
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Procès 2011
Le parquet, représentée par une procureure, a présenté un réquisitoire nuancé, qui
commençait fermement et finissait tout en indulgence, en fin de compte un peu
décevant pour les parties civiles.
Elle a présenté l’affaire comme « d’une banalité consternante » où c’est « toujours
pareil, un homme un peu chaud contre une femme qui fait confiance, un peu
fragile ». Elle a évoqué le contexte de travail, la dépendance économique, « le
contexte culturel ancien qui peut laisser penser que rien n’est très grave », a indiqué
que les relations hommes/femmes dans les relations de travail devaient évoluer. Elle
a fait le parallèle avec les « femmes battues : nous savons que la victime peut ne
pas avoir les bonnes réactions », a justement relevé que « le fait que Mme P s’expose
[reconnaisse avoir ouvert la porte en nuisette alors que rien ne le démontre] conforte
ses déclarations. Elle a toujours cherché à être au plus près de la vérité de ce qu’il
s’est passé, à ne pas tromper la Cour, quitte à s’exposer ».
Mais elle a aussi dit qu’il n’y avait là ni préméditation ni stratégie, que le prévenu «
n’avait rien compris à ce qui lui arrivait », que c’était des agressions sexuelles
« relativement modestes, la Cour est saisie de dossiers incroyablement contrastés en
terme de graduations. » Elle indique que M. M. n’aurait pas du se comporter comme
ça, mais que la peine ne devait pas être disproportionnée. Elle a requis une peine
de 4 à 5 mois d’emprisonnement avec sursis.
Me F., « ténor du barreau » de son état, toujours grandiloquent, a présenté une
plaidoirie plus mesurée dans sa longueur, a provisoirement troqué la rove de
l’avocat contre la blouse d’un psychiatre peu recommandable en se questionnant
sur la personnalité de Mme P, son passé, son « discours victimaire » (« sa souffrance
renvoie à une douleur antérieure » ; « par un processus psychologique classique, la
plaignante se convainc d’être victime » ) et a regretté que la Cour n’ait pas posé
d’autres questions. Il a également protesté contre la garde à vue et les règles de
l’enquête préliminaire, qui ne respecteraient pas les droits de la défense. Il a listé
toutes les questions qui n’avaient pas été posées dans le dossier, puis, s’est
opportunément rendu compte qu’il avait oublié ses lunettes et ne pouvait donc pas
lire l’extrait de l’audition de M. X, ce qui aurait pourtant été « très très » important...
Il a finalement demandé la relaxe de son client « au bénéfice du doute ».
En fin d’audience, la magistrate rapporteuse a accepté avec une satisfaction non
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Procès 2011
dissimulée l’ouvrage « Violences sexistes et sexuelles au travail, faire valoir vos droits »,
édité par l’AVFT.
La Cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation et a augmenté le montant
des sommes attribuées au titre de l’article 475-1 CPP (1000 euros supplémentaires
pour Mme P. et 500€ supplémentaires pour l’AVFT).
Cet arrêt illustre encore une fois qu’une condamnation est possible même en
l’absence de preuves directes et matérielles (témoin direct, enregistrement, écrits,
traces d’ADN...), en dépit des dénégations de l’auteur, par une mise en œuvre
rigoureuse
de
la
technique
du
faisceau
d’indices
concordants.
En effet, la Cour d’appel de Paris retient que : « Les déclarations du prévenu et de la
plaignante sont opposées. Comme pour la quasi-totalité de ce type d’infraction,
aucun témoin n’a assisté, même partiellement, aux faits exposés par celle-ci.
Pour se prononcer sur la culpabilité d’une personne mise en cause, la Cour ne peut
s’appuyer sur les seules déclarations d’un plaignant si elles ne sont pas corroborées
par des éléments de nature à emporter sa conviction. Or, en l’espèce, les propos de
Mme P sont constants, limités dans leur matérialité et plusieurs éléments du dossier
confortent leur crédibilité. »
Les éléments pris en compte par la Cour sont d’abord la précision, la cohérence et
la constance de la description des scènes par Mme P., mais aussi les confidences
empreintes d’émotion qu’elle a faites à ses collègues et à ses supérieurs
hiérarchiques concernant ces violences et son dossier médical, notamment le
certificat de son psychiatre faisant état de symptômes dépressifs importants.
La Cour a également attentivement examiné le contexte des agressions et la
personnalité de M. M. : « Par ailleurs, M. M., par des attitudes telles que décrites par
des professionnels, tant féminins que masculins de l’hôtel où il exerçait une fonction
de responsabilité, a instauré un climat teinté d’ambigüité, à connotation sexuelle ».
Au sujet des dernières violences, la Cour remarque que « M. M. n’avait aucune
raison objective de la rejoindre [la victime] en laissant un comptable inexpérimenté
seul à la réception alors qu’il était en fonction de responsabilité principale en ce jour
de grève. »
En définitive, les magistrats aboutissent à la conviction de la culpabilité de M. M., en
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Procès 2011
qualifiant très précisément les agressions sexuelles : « Au vu de ces éléments, la cour
est convaincue que M. M., bien qu’il s’en défende, s’est rendu coupable des faits
reprochés, les agressions sexuelles ayant consisté en des caresses sur le torse et les
fesses, des baisers près de la bouche et sur le cou en ce qui concerne les faits du
mois d’avril et du mois de mai et en ce qui concerne ceux du 7 juin par le fait qu’il se
soit allongé sur elle, tenté de l’embrasser et passé ses mains sous la couette dans
laquelle elle s’était enroulée pour se protéger, alors qu’il était vêtu de son seul
caleçon, ces atteintes sexuelles ayant été commises avec contrainte et surprise,
dans un contexte professionnel et contre la volonté de la victime, alors qu’elle avait
montré sans ambigüité qu’elle ne souhaitait pas avoir de relations à connotation
sexuelle avec lui ».
L’AVFT se réjouit de la reprise par la Cour de l’analyse des parties civiles concernant
les stratégies de remise en confiance utilisées par M. M. entre chaque agression mais
également du rejet des arguments de la défense visant à attribuer à Mme P. la
responsabilité de la dernière agression, notamment du fait de sa tenue lorsqu’elle a
ouvert la porte de sa chambre à M. M. : « Cette dernière a toujours indiqué que si
elle avait accepté de lui ouvrir la porte de sa chambre, alors qu’après avoir pris sa
douche, elle était vêtue d’une simple nuisette, c’est parce qu’il avait su regagner sa
confiance postérieurement aux premiers faits et qu’elle avait pensé, compte tenu
du contexte de grève, qu’il pouvait y avoir un problème relatif à son service ».
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Conseil de prud’hommes de Paris, 20 septembre 2011
Mme C. est serveuse dans un restaurant du 11e arrondissement de Paris. Elle est
d’abord recrutée en tant qu’extra puis elle obtient un contrat à durée indéterminée
en janvier 2009.
M. P., co-gérant du restaurant, lui impose un comportement sexuel qui prend les
formes suivantes :
- remarques déplacées sur le physique : « t’es bonne », « t’as un beau p’tit cul »,
« avec tes lunettes, tu fais petite salope » ;
- remarques connotées sexuellement : alors que Mme C se penche pour ramasser
quelque chose au sol, il lui répète régulièrement « ne te baisse pas tout de suite,
c’est pas encore l’heure de la pipe ».
- confidences intimes imposées de la part de M. P : Mme C nous confie en effet
qu’« il se vantait sans cesse d’avoir baisé telle ou telle personne dans la cave du
restaurant ».
- demandes d’actes sexuels tels que : « je peux te mettre la main au cul ? » ou « je
peux toucher ? »
- propositions explicites de rapports sexuels : « tu me suces, allez une petite pipe ! »,
« maman veut pas baiser, tu veux pas toi après le service ? », « tu veux pas
descendre avec moi dans la cave ? ».
Par ailleurs, elle assiste régulièrement aux attouchements sexuels, sur les fesses et le
sexe, perpétrés par M. P. à l’encontre de son collègue, M. C.
En 2010, même si Mme C. change d’emploi du temps, elle continue cependant à
subir le comportement sexuel imposé par son employeur, avec lequel elle est en
contact le week-end.
Fin août 2010, Mme C., ne pouvant plus le supporter, lui dit après une énième
remarque sexuelle à son encontre : « tes remarques ne me font pas marrer, tu vas
finir par comprendre que tu es mon patron et qu’il ne se passera rien entre nous ».
Elle en profite également pour demander la régularisation de ses heures de travail.
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M. P. ne rétorque pas mais, à partir de ce moment et à titre de représailles, il
s’emploie à dégrader les conditions de travail de Mme C. :
- profération de nombreuses insultes : « ta gueule », « la ferme »
- attitude et paroles agressives à l’encontre de Mme C.
- ton de voix très élevé lorsqu’il s’adresse à elle
- pressions de toutes sortes : « il se tenait derrière moi et surveillait tout ce que je
faisais, cela me rendait très nerveuse ».
- ordres et contre-ordres continuels
- posture physique et paroles menaçantes : « un jour je lui ai répliqué lorsqu’il m’avait
hurlé dessus en présence d’un commercial, il m’a demandé de le suivre, il a collé
son front contre le mien ne me disant : tu vas voir ».
Mme C. est mise en arrêt maladie par son médecin traitant, elle tente de revenir
mais elle est menacée physiquement par son employeur. Elle rencontre l’inspection
du travail, saisit l’AVFT puis le 6 décembre 2010 elle rompt son contrat de travail aux
torts de l’employeur. Elle dépose une plainte au commissariat du XI arrondissement
le 21 décembre 2010.
L’audience du 20 septembre a pour but de demander la requalification de la prise
d’acte en licenciement nul du fait du harcèlement sexuel.
Me Cittadini, avocate de la victime, insiste sur l’existence d’éléments établissant le
harcèlement sexuel (notamment sur la présence d’un texto envoyé par l’employeur
sur le téléphone portable professionnel, lequel est noté « tu suces à la sortie ») et sur
la responsabilité de l’employeur à cet égard.
Emmanuelle Cornuault, pour l’AVFT, met en avant le détournement des obligations
dévolues à l’employeur, à son profit. Elle insiste également sur la crédibilité de la
victime.
L’avocat du restaurant, qui n’avait pas contesté la recevabilité de l’AVFT, semble
manifestement le regretter car il commence son intervention par « je suis très mal à
l’aise avec l’intervention de l’association qui se positionne en qualité de quasiexperte ». « En plus, elle prend fait et cause pour la plaignante ».
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Faisant référence à « l’affaire DSK », il ponctue sa plaidoirie de « méfiez-vous des
apparences » ou « nous avons l’expérience récente d’erreurs en la matière ».
Il conteste la présence de harcèlement sexuel et justifie le texto en disant qu’il a été
envoyé par un ami, qui très opportunément n’a pas pu se présenter aujourd’hui
puisqu’il partait en Guyane ! Il n’a pas non plus rédigé d‘attestation en ce sens.
Il conclut ses observations par : « mon client ne sait pas de quoi on parle, les
accusations portées sont gravissimes mais il ne mérite pas Cayenne (décidemment,
la Guyane...) ! Mon client est père de famille, dois-je vous le dire ? ».
Et comme il répète plusieurs fois la question en regardant fixement le président, celuici répond : « non, cela dessert votre dossier Maître... ».
Le délibéré rendu le 12 octobre renvoie l’affaire en départage sine die (sans date).
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Procès 2011
C
our d’appel de Caen, 26 septembre 2011
Mme D. est secrétaire médicale pour un médecin traitant en Normandie et elle a
été victime de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles pendant 8 ans. En juillet
2009, M.S a été sanctionné par le Conseil de l’ordre des médecins de Caen à deux
ans d’interdiction d’exercice de la médecine. Le 21 septembre 2010, il est
condamné par le Tribunal correctionnel de Coutances à 6 mois d’emprisonnement
avec sursis ainsi qu’à verser à Mme D. 6000 € à titre de dommages et intérêts et 1500
€ pour l’AVFT.
Le rappel des faits et l’interrogatoire du prévenu par le président de la Cour sont extrêmement longs : environ deux heures. Il est évident que la Cour a décidé d’instruire
l’audience sérieusement et de ne rien laisser au hasard.
Comme cela s’est produit lors de la première instance, M.S ne cesse de se contredire et de répondre approximativement aux questions posées par le président. Celuici, visiblement agacé, le lui dit en ces termes : « je vous pose des questions claires et
vous répondez systématiquement à côté ».
M.S. persiste à affirmer que les enregistrements sont trafiqués, que Mme D. ne veut
que de l’argent, qu’elle ment car il est impossible que les clients du cabinet n’aient
pas entendu les « soi-disant cris » qu’elle aurait poussés s’il l’avait vraiment agressée.
Mais en même temps il ne sait quoi répondre lorsque que le Président lui lit cer-tains
passages des retranscriptions des enregistrements. : « elle dit : « lâchez-moi, je ne
rigole pas ». Elle n’a pas l’air d’accord tout de même... ».
M.S développe un nouvel argument selon lequel c’est Mme D. qui « a le pouvoir sur
moi car c’est elle qui fait mon agenda, elle dirige ma journée », « je suis dans un tunnel dans lequel j’émerge parfois ». A cet argument, le président lui réplique : « la
contrainte peut aussi être morale, M.S, la jurisprudence a évolué depuis le 19e
siècle ». M.S. ne répond pas et il ajoute : « je souffle, je respire avec elle, c’est un peu
lourd, médiocre » et il s’enferre un peu plus dans cette voie en disant : « je n’ai jamais eu l’impression que cette bouffée d’oxygène était du harcèlement sexuel ».
Dans un silence absolu dans la salle d’audience, Mme D., en revanche, raconte son
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Procès 2011
histoire, sûre d’elle, claire et ferme : « tout ce qu’il dit est faux ». En pleurs, elle n’omet
aucun détail sur les circonstances des agressions, les conséquences pour elle et sa
famille... Le président lui pose une seule question : « qu’attendez-vous du procès ? ».
Elle lui répond : « qu’il soit puni pour ce qu’il a fait. Il ne peut pas continuer sa vie
comme ça après avoir détruit la mienne ».
Me Cittadini, l’avocate de Mme D., s’emploie à démonter les arguments de M.S et
note en particulier que M.S « n’arrive pas à contester les faits, qu’il manque de clarté
dans ses explications : on se noie dans des choses incompréhensibles ! ». Elle insiste
sur la déposition impeccable de Mme D. : « on passe de l’ombre à la lumière » (i.e
entre l’interrogatoire de M.S. et celui de Mme D.).
Elle appuie sur le faisceau de preuves fourni et indubitablement concluant, à charge
contre M.S. (enregistrements, présence d’autres victimes, photos, dossier médical...).
E. Cornuault, pour l’AVFT, intervient sur la stratégie utilisée par M.S, sur la crédibilité de
la parole de Mme D. mis en regard des revirements incessants de M.S., sur les
répercussions importantes des violences sur la vie de Mme D. Elle termine sa
plaidoirie en disant : « si vous décidez de rentrer à nouveau en voie de
condamnation, c’est aussi envoyer un message fort à Mme D., c’est lui dire que
malgré le coût moral, financier et surtout humain engendré par le dévoilement des
violences qu’elle a vécues, elle a eu raison de le faire et c’est aussi reconnaître le
courage dont elle a fait preuve ».
L’avocat général loue les parties civiles et entame son réquisitoire en demandant
une « juste et équitable indemnisation des préjudices ». Il a une parfaite expertise du
dossier : il montre comment M.S a cherché constamment, en vain, à décrédibiliser la
parole de la victime. Il explique pourquoi les victimes portent plainte tardivement :
reprenant les arguments développés par l’AVFT il cite la honte, la peur, la contrainte
économique (« elle est le cordon ombilical financier de la famille »).
Il bat en brèche les « excuses de provocation » et l’argument selon lequel elle
rechercherait de l’argent (« acheter une crêperie ? Allons donc, avec des sommes
qui couvrent à peine les frais médicaux... »).
L’avocat général insiste : « il y a un socle de vérité et d’éléments concordants » et il
ajoute « la sanction demandée est à la proportion des dégâts commis ».
Il requiert
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un an d’emprisonnement dont 6 mois avec sursis et 3000 €.
L‘avocat de la défense, Me François, est pressé de prendre la parole et il l’exprime :
« j’avais hâte de vous parler ». Cependant, conscient que M.S. a considérablement
exaspéré la Cour, il commence sa plaidoirie par « j’ai déjà eu des clients qui se
défendaient mieux ».
Puis il attaque l’AVFT, abondamment loué par l’avocat général, en disant : « l’AVFT
n’est pas une civile dans cette affaire, nous avons eu deux réquisitoires et une
plaidoirie de partie civile ! ».
Conscient que l’AVFT a eu une influence non négligeable dans la procédure, il
s’emploie à dénigrer les arguments développés par E. Cornuault d’une manière
frisant le ridicule.
Il conteste le compte-rendu fait par l’AVFT de la première audience et présent sur le
site internet de l’association (« peut-être vais-je moi aussi être cité et devenir
célèbre ») alors qu’il n’était pas encore l’avocat de M.S, puis il attaque l’analyse du
mode opératoire de M.S., analysé par l’AVFT, dans un argumentaire très embrouillé
(« ce n’est pas un test de Rorshard ! »).
Puis, il s’engage dans une explication particulièrement stérile sur le plan des lieux des
agressions et tente de démontrer, avec des pseudo- analyses auditives à l’appui ,
que les violences n’ont pas pu se produire puisque les murs sont en placo et que
« tout peut s’entendre »... il affirme d’ailleurs, pensant certainement utiliser un
argument de poids : « quand j’étais étudiant, j’avais une chambre avec le même
type de mur et je pouvais entendre tout ce qui se passait deux chambres plus loin ».
Puis, il tente de démonter le faisceau d’indices en sortant les différents éléments de
leur contexte. Il finit ses observations en ces termes : « la faute du docteur S. est une
faute professionnelle, c’est une faute morale, certes, mais elle ne relève pas du
pénal ».
Le 16 décembre, la Cour d’appel condamne M. S. à un an d’emprisonnement avec
sursis et 3000 € d’amende. Mme D. reçoit 8000 additionnels de dommages et intérêts
et l’AVFT 500€ supplémentaires au titre de l’article 475-1.
M. S. n’a pas formé de pourvoi en Cassation, cette condamnation est donc
définitive.
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Par ailleurs, il s’est désisté de la procédure d’appel pour la sanction disciplinaire. Il est
donc interdit d’exercice de la médecine du 1er mai 2012 au 30 avril 2014.
Cette procédure est l’occasion de rappeler que, contrairement à une idée
largement répandue, les enregistrements effectués à l’insu de la personne
enregistrée sont des preuves parfaitement recevables pour la justice pénale.
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C
onseil de prud’hommes de Paris, 10 octobre 2011
Mme F a saisi l’AVFT en 2005. Pendant plusieurs années, il n’a pas été question pour
elle d’engager la moindre démarche judiciaire. Sa priorité était de conserver son
emploi. Mme F, cheffe de rang dans un restaurant de luxe, avait des revenus très
importants du fait des pourboires qu’elle touchait. Ces revenus lui permettaient de
rembourser un crédit immobilier pour l’achat d’une maison dans laquelle elle
pouvait loger une partie de sa famille en grande précarité.
Mme F refusant catégoriquement de dénoncer ces faits auprès de l’employeur,
l’AVFT lui a cependant fait effectuer un certain nombre de démarches afin de
garantir ses droits le cas échéant : saisine de l’inspection du travail, information du
médecin du travail -Marilyn Baldeck l’accompagne à de très nombreux rendezvous- suivi psychologique, tenue d’un journal, dont voici un extrait :
« (...) on avait comme consigne de la part des managers, sous la directive d’AD, de
tout le temps s’habiller d’une manière très sexy ; particulièrement les soirs et surtout
pendant les périodes de collections de haute couture. La manager DA nous
réunissait pour nous informer « qu’il fallait être « bonnes » (sic), que les clients aient
envie de nous, qu’on soit comme des puputes » et « qu’AD disait que la personne
qui ne serait pas habillée de telle façon, se mettant en pantalon ou dans un haut
non décolleté sera à l’étage ». Ce qui avait une répercussion directe sur nos
pourboires : la « belle clientèle, riche et généreuse (VIP) », était placée uniquement
dans les rangs d’en bas. Durant l’année 2008, ils ont réalisé une affiche, placardée à
l’office, mentionnant que les rangs seront distribués en fonction des critères
d’habillement, s’il est sexy ou pas. Parfois il arrivait à AD de crier sur les filles, pourtant
correctement habillées, leur ordonnant d’enlever « ces sacs de patates », et d’aller
chez Zara sur les Champs Elysées, se procurer des vêtements respectant ses critères
« sexy » ou « de se faire prêter des vêtements d’une autre serveuse ». Il lui est arrivé
de me demander, de me faire prêter un haut ou une robe d’une autre serveuse, ne
trouvant pas ma tenue décolletée, alors que je portais un vêtement convenable
pour ce type de lieu de travail. Obligées de se vêtir d’une manière « sexy », certains
clients masculins, au moment de choisir leurs desserts, me demandaient si j’étais
« incluse dans la carte » et lorsque je répondais négativement, ils rétorquaient « c’est
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dommage, je ne prendrai pas de dessert ce soir ». Compte tenu des consignes
vestimentaires et de la réaction de certains clients, j’avais l’impression qu’on faisait
partie des éléments de décors, et qu’on était là pour inciter leurs appétits ».
Ces « consignes » sont le terreau du harcèlement sexuel et des agressions sexuelles
dénoncés par Mme F, qui se doublent d’une entreprise de dénigrement et
d’humiliation confinant au sadisme (le gérant, pour un exemple parmi d’autres,
essuie la bave de son chien sur les joues de Mme F en guise de représailles).
Mme F « tient » tant bien que mal. En septembre 2008, elle annonce sa grossesse. La
réponse ne se fait pas attendre : le gérant la place sur les rangs les moins rentables,
à l’étage du restaurant, là où elle est la moins visible, au motif qu’enceinte elle serait
« inesthétique » et perdrait de sa « valeur commerciale ».
A la fin de son congé maternité, lequel lui a permis de prendre du recul et au terme
duquel elle se sent incapable de retourner travailler, le médecin du travail la déclare
inapte à tous postes dans l’entreprise. Elle est licenciée pour ce motif. En réponse à
la lettre de licenciement, elle dénonce les raisons qui l’ont rendue inapte et donc
l’illégalité de son licenciement.
L’employeur mène une pseudo-enquête auprès des serveuses qui, sans surprise
compte tenu du climat qui règne dans le restaurant, attestent toutes en faveur de
leur employeur.
L’inspecteur du travail atteste lui-même de ce climat et de la difficulté d’enquêter
dans l’entreprise, les salariées lui raccrochant au nez quand il les appelait ou lui
disaient qu’elles ne pouvaient rien lui dire sans l’autorisation du gérant !
Même si juridiquement le « dossier » se tient, lors de l’audience (Mme F est
représentée par Me Ovadia et l’AVFT par Marilyn Baldeck) la perplexité des
conseillers, qui posent des questions, est palpable : ils ne comprennent pas pourquoi
elle n’est pas partie plus tôt, nonobstant la forte contrainte économique qui pesait
sur elle.
Sans surprise, le Conseil rend une décision de partage de voix sine die (sans date
pour l’audience de départage).
A l’heure actuelle, Mme F a retrouvé un emploi mais beaucoup, beaucoup moins
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payé. Elle a dû vendre sa maison et vit dans un deux-pièces avec ses deux parents
et sa fille. Audience de départage en novembre 2012.
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C
onseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, départage,
17 octobre 2011
Mme P, secrétaire médicale, a été victime de harcèlement sexuel et d’agressions
sexuelles commises par le cardiologue pour lequel elle travaillait.
Elle avait saisi le conseil de prud’hommes pour voir requalifier sa démission simple et
non motivée en licenciement nul. Si ce contentieux existe, il est plutôt difficile d’avoir
gain de cause dans ces cas-là.
Les deux premières audiences (bureau de conciliation et bureau de jugement)
étaient déjà très tendues, notamment du fait de manœuvres d’intimidation de la
partie adverse les jours précédents l’audience (notamment plainte à l’ordre des
médecins contre la psychiatre de Mme P qui lui avait fourni une attestation).
La veille de l’audience, la partie adverse, comme à son habitude, tente toujours
d’impressionner Mme P et de la faire renoncer. Un courrier est adressé à son
avocate, lui indiquant qu’une plainte a été déposée contre Mme P pour vol de
fichier, falsification de documents et violation du secret médical. La tension est à son
comble.
L’audience du bureau de départage se déroule, contre toute attente, dans une
petite salle de conciliation, porte ouverte. Les nombreux soutiens de Mme P (ami-e-s,
famille) et les épouses des employeurs doivent rester debout au fond de la salle.
Les quatre conseiller-e-s du bureau de jugement sont présent-e-s, ce qui démontre
leur intérêt pour le dossier. Le juge départiteur, un homme, nous demande de ne pas
plaider sur le droit, mais d’insister sur les éléments de preuve. Il semble parfaitement
comprendre les enjeux du dossier.
Lors de la plaidoirie de l’avocate de Mme P (Me Cittadini), l’avocat se lève d’un
bond et fait un esclandre : « Vous n’avez pas le droit de parler de la plainte, c’était
un courrier confidentiel, c’est un scandale, vous devrez en répondre devant
l’ordre !! » pour une nouvelle fois tenter de déstabiliser Mme P.
De manière un peu inhabituelle, Gwendoline Fizaine, pour l’AVFT, plaide après
l’avocat des employeurs. Ce dernier réplique seulement en ce qui concerne
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Procès 2011
l’intervention volontaire de l’AVFT. Le magistrat indique lors de la plaidoirie de
l’avocat adverse sur ce point : « Je connais le débat sur cette question ».
En fin d’audience la parole est donnée aux parties. Le Dr N prend la parole, si
longuement et si mal à propos que son avocat l’invite finalement à ne plus rien dire.
Mme P laisse s’exprimer sa colère et sa déception devant les manœuvres utilisées
par ses ex employeurs. Elle est confondante de vérité.
Finalement, le 5 décembre, le juge départiteur rend une décision de condamnation
de l’employeur dans laquelle il fait droit à l’intégralité des demandes de Mme P. Le
harcèlement sexuel est reconnu, au terme d’une argumentation efficace centrée
uniquement sur les éléments de preuve et la démission est requalifiée en
licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La décision concernant l’AVFT est contre toute attente, très mauvaise puisque
l’association est déclarée irrecevable. Le préjudice de l’AVFT quant à l’atteinte à ses
statuts est reconnu, mais « il ne s’évince ni de la loi, ni du code du travail, de
disposition qui attribue à l’association le droit d’agir -fusse par la voie de
l’intervention volontaire- devant le conseil des prud’hommes, de sorte qu’il convient
de déclarer irrecevable l’intervention volontaire de l’AVFT ».
Cette décision, contraire à toutes nos jurisprudences et unique depuis que l’AVFT
intervient volontairement devant le Conseil de prud’hommes reste, sur ce point, à
nos yeux parfaitement incompréhensible puisque les articles du Code de procédure
civile permettent cette intervention.
Quelques jours après le délibéré, nous apprenons le décès de M. N, d’une crise
cardiaque. Le Dr V, à qui il est reproché de ne pas avoir protégé sa salariée et
d’avoir couvert les agissements de M. N, a décidé de ne pas faire appel. Les héritiers
de M. N ont fait appel de la décision.
L’AVFT fera appel incident pour voir reconnaître la recevabilité de son intervention
volontaire.
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T
ribunal correctionnel de Toulouse, 24 octobre 2011
Mme E. est agente de sûreté depuis mai 2000. Elle a été agressée physiquement le 3
décembre 2005 à sa prise de service par un collègue M. T dans les circonstances
suivantes :
D’un air grave, M. T dit : « Reste en bas, je veux te parler seule » ; « Je veux te voir à
part, hier tu m’as dit quelque chose de blessant ». Puis très rapidement, il hausse ainsi
le ton : « tu m’écoutes, tu ne me coupes pas la parole et tu ne m’interromps pas ».
Serrant les dents, il se rapproche encore plus près du visage de Mme E. et la
menace : « Si tu étais un homme, je te mettrais la tête au carré ».
Face au comportement menaçant de M. T, Mme E. déclare, « Je ne laisse personne
me menacer ; je ne vois pas de quoi tu veux parler ; si j’ai dit quelque chose de mal
je m’en excuse ». Sur ce, Mme E. s’éloigne, prend les escaliers pour regagner son
poste de travail, mais M. T la suit en monologuant puis la saisit fermement par le col
de la chemise coté gauche, pour la tirer vers le bas avec cette injonction répétée à
plusieurs reprises : « Maintenant, tu viens avec moi », l’obligeant, pour ne pas tomber,
à s’agripper de toute sa force à la rampe et à crier : « Ne me touche pas, lâche moi,
ne mets pas la main sur moi ». Mais M. T n’obtempère pas. Elle s’agrippe alors encore
plus pour ne pas perdre l’équilibre et son bras droit se tord encore plus.
M. T, suite à la résistance et l’alerte donné par les cris de Mme E, relâche celle-ci et
remonte les escaliers en courant. De vives douleurs dans le bras droit contraignent
Mme E. à se rendre chez les pompiers présents sur le site pour se faire soigner. Vu la
gravité des lésions et de l’état de choc qu’elle présente, les pompiers l’orientent vers
les urgences de l’hôpital de Rangueil où elle subit une intervention chirurgicale.
Le chirurgien de l’hôpital de Rangueil établit un certificat médical qui mentionne :
« Madame E a été hospitalisée au CHU de Rangueil du 3/12/2005 au 4/12/2005 pour
la prise en charge en urgence d’un traumatisme du poignet droit survenu lors d’une
agression physique sur son lieu de travail. Le bilan a révélé une luxation de
l’articulation radio-ulnaire à droite d’allure récente ».
Le certificat descriptif final du même médecin du 5/12/2005 mentionne : "une
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luxation radio-ulnaire distale du poignet droit, ecchymose du bras gauche. Elle a
bénéficié d’une intervention chirurgicale sous anesthésie générale... Il est à prévoir
une incapacité temporaire partielle de 45 jours. Il pourra persister une IPP dont le
taux sera à déterminer ».
Une ITT de 10 jours est prescrite par le médecin légiste expert près la Cour d’appel de
Toulouse, lequel a expertisé Mme E le 6 décembre 2005.
Mme E., dès sa sortie de l’hôpital le 4 décembre 2005, encore très choquée et
traumatisée, dépose une plainte pour violences volontaires à l’encontre de M. T.
Le 16 mai 2006, sa plainte est classée sans suite pour infraction insuffisamment
caractérisée. Mme E. conteste une première fois cette décision auprès du procureur
de la République qui maintient sa décision. Mme E. saisira sans résultat le parquet de
plusieurs autres demandes visant à ce que sa plainte soit reconsidérée.
Elle se résout finalement à se constituer partie civile entre les mains du doyen des
juges d’instruction le 10 juin 2008. A l’issue d’une information judiciaire ouverte par le
parquet, le procureur de la République prend en toute cohérence avec son
positionnement antérieur des réquisitions aux fins d’un non-lieu, mais le magistrat
instructeur rend une ordonnance de renvoi sans consistance de M. T devant le
Tribunal correctionnel de Toulouse.
Convoqué pour 14h, le dossier de Mme E. n’a été évoqué qu’à 18h30. En effet, une
affaire de vol en réunion mettant en cause une dizaine d’auteurs a occupé le
tribunal pendant toute l’après midi, suivi de trois autres dossiers d’escroquerie et
d’abus de confiance. Malgré l’heure tardive, le président du tribunal a retenu
l’affaire estimant qu’"il faut en finir avec ce dossier dans lequel y a eu énormément
de correspondances".
Mme E. n’était pas présente à l’audience mais représentée par son avocat. M. T
était présent et assisté.
Après lecture de l’ordonnance de renvoi d’une parfaite indigence, le président
visiblement mécontent lance : « Et voilà débrouillez-vous avec ça », et d’ajouter :
« Dans ces conditions, le tribunal jugera sur la base de l’enquête initiale diligentée
dans le dossier ». Il s’agit de l’enquête qui a abouti au classement sans suite. Lors de
l’instruction à l’audience, le président s’est surtout attaché à mettre en exergue les
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contradictions existant dans les déclarations de Mme E.
Interrogé sur les faits, M. T conteste la version des faits donnée par Mme E. tout en
reconnaissant l’existence d’une petite altercation liée au fait qu’il aurait voulu
interdire à Mme E. de... le harceler sexuellement. Il réfute formellement être à
l’origine des lésions importantes pourtant constatées par les médecins. Selon lui, les
lésions pour lesquelles Mme E. a été soignée ne peuvent être que des lésions
préexistantes avant l’altercation. Un témoin affirme avoir vu un hématome de
couleur violacée sur le bras de Mme E. Selon la présidente, un hématome récent n’a
pas cette couleur.
L’AVFT s’est constituée partie civile dans la procédure, M. T ayant faussement
accusé Mme E de l’avoir sexuellement harcelé. Gisèle Amoussou représentant l’AVFT
a expliqué que le tribunal est saisi de faits et ne doit juger que des faits peu importe
que Mme E ait agacé le Parquet en l’inondant de lettres. Elle a critiqué la stratégie
de défense de M. T qui a consisté à accuser faussement Mme E. de harcèlement
sexuel. Elle a démontré le lien de causalité entre l’agression non contestée par M. T
et les lésions présentées par Mme E. et constatées par les médecins.
La procureure n’a pas partagé l’analyse de l’AVFT considérant que les
contradictions relevées dans les déclarations de Mme E., et l’importance des lésions
l’interrogeaient sérieusement sur le lien de causalité entre les lésions qu’elle a
présentées et l’agression physique reprochée à M. T. Selon elle, persistait un doute
qui doit profiter au mis en cause. Elle a donc sollicité la relaxe de M. T. L’avocat de
M. T a abondé dans le sens de la procureure et a également plaidé la relaxe. Après
une suspension d’audience, le tribunal a rendu sa décision sur le siège ; il a
prononcé la relaxe de M. T et a débouté Mme E et l’AVFT de leurs demandes. Les
parties civiles ont interjeté appel de ce jugement.
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Conseil de prud’hommes de Boulogne sur Mer, 8 novembre 2011
Mme D a été victime de harcèlement sexuel de la part du directeur France d’une
entreprise matériaux écologiques pour le bâtiment. Suite à une violente altercation
et son départ en arrêt maladie, elle est ensuite licenciée pour faute lourde sur des
motifs fallacieux. Les lettres de dénonciation du harcèlement sexuel et de
licenciement se croisent. L’employeur ne revient pas sur le licenciement et ne
reprend pas contact avec Mme D.
Se pose donc la question de la nullité du licenciement alors que l’employeur officiel
ignorait tout du harcèlement sexuel.
Par l’intermédiaire de son avocate, Mme D demande au Conseil de prud’hommes
de Boulogne sur Mer de dire son licenciement nul du fait du harcèlement sexuel.
Quelques semaines avant l’audience, M. X, le harceleur décède d’une crise
cardiaque (décidément...), ce qui perturbe très fortement Mme D et laisse augurer
une audience potentiellement compliquée.
L’AVFT avait adressé ses pièces et conclusions en temps utile à la partie adverse et
au Conseil. Les conclusions de la société ne faisaient pas état de l’intervention
volontaire de l’AVFT.
Nous attendons longuement les conseillers. L’avocate adverse vient saluer Me
Cittadini et ignore superbement Mme Fizaine, de l’AVFT, qui doit donc aller se
présenter.
Le conseil est composé de quatre hommes, dont trois ont les cheveux blancs.
Compte tenu de notre déplacement depuis Paris (un jour de grève de la SNCF),
notre affaire est retenue en premier. Ni à l’appel des causes, ni en début
d’audience, l’avocate adverse ne se manifeste pour s’opposer ou questionner la
recevabilité de l’intervention volontaire de l’AVFT.
Agnès Cittadini, pour Mme D, plaide de manière complète et détaillée, en
évoquant le harcèlement sexuel (le président fait la moue d’un air étonné) et le
caractère injustifié du licenciement.
Gwendoline Fizaine, pour l’AVFT, revient sur la recevabilité de son intervention, la
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personnalité et la crédibilité de Mme D, les stratégies des harceleurs et les réactions
des victimes, la constitution des agissements de harcèlement sexuel et bien entendu
sur le préjudice de l’AVFT.
L’avocate, à son tour, s’insurge alors, d’un air agressif, contre le rôle de l’AVFT : « Je
n’ai pas compris si l’AVFT était témoin ou partie à l’instance ». Elle rappelle les articles
concernant les actions des syndicats : « On a jamais vu un tiers s’emparer d’un
litige !! L’association aurait alors plus de pouvoir qu’un syndicat ! ».
A ce moment, le président intervient : « Effectivement, je ne sais pas dans quelle
mesure l’intervention de l’association sera recevable. C’est la première fois pour tout
le monde. On n’a jamais vu ça ! Vous êtes témoin ? Mais vous avez monté le dossier
de Mme D ? ».
Gwendoline Fizaine souligne alors que la contestation de la recevabilité, ne peut, à
défaut d’irrecevabilité, qu’être soulevée in limine litis et rappelle que le respect du
contradictoire aurait commandé de la prévenir de son opposition à l’intervention de
l’AVFT AVANT sa plaidoirie.
L’avocate ne se lasse pas et enchaîne : « Vous venez me demander le paiement de
votre travail ? J’ai du respect pour votre combat, mais je suis en colère contre la
méthode. Il n’y a rien à voir entre l’AVFT et l’entreprise ! ».
Elle finit par plaider au fond, pendant près d’une heure. Elle conclue sa plaidoirie par
le décès de M. X, en indiquant que la date de son décès n’était pas anodine
(lendemain de l’audience du bureau de jugement qui avait été renvoyé à sa
demande)...
Le président donne ensuite la parole à Mme D, qui s’exprime avec beaucoup de
clarté et d’émotion. Elle répond à certains points techniques concernant les fautes
que l’employeur lui impute et explique surtout de manière convaincante ce qui se
passe « lorsque le harcèlement sexuel vous tombe dessus », les difficultés à
comprendre, à réagir, les stratégies d’adaptation (d’évitement, dirait l’AVFT) des
victimes.
La seule question qui lui est posée par un des conseillers concerne la voiture : « C’est
une voiture de fonction ou une voiture de service, ce n’est pas la même chose, je
connais très bien la question... ». Cela en serait risible si ce n’était pas dramatique.
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Le président conclut l’audience en disant : « J’ai des avis tranchés ».
L’audience, commencée à 14h50, se termine à 17h15.
Compte tenu du
déroulement de l’audience, nous attendons avec une certaine anxiété le délibéré,
extrêmement éloigné (16 mars 2012).
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T
ribunal correctionnel de Paris, 10 novembre 2011
Les circonstances dans lesquelles nous avons rencontré la victime, Mme B., sont
singulières. En 2007, une juge d’instruction du TGI de Paris nous demande de venir
« récupérer » une victime à la sortie d’une audition à laquelle elle va procéder ; elle
a repéré chez elle une grande vulnérabilité et craint, en dépit du fait qu’elle est
représentée par une avocate compétente, qu’elle ne « s’écroule à la sortie du
Palais de justice ». Marilyn Baldeck fait donc la connaissance de Mme B. par
l’intermédiaire de la magistrate, au TGI de Paris.
Faute de mieux, le premier rendez-vous se fait dans un café à proximité du Palais.
Mme B. est terrorisée : à 35 ans, c’est la première fois qu’elle se retrouve installée à
une terrasse de café, situation impossible culturellement, et interdite par son ex-mari.
Elle a l’impression que "les hommes ne voient qu’elle » et qu’elle s’expose « comme
une prostituée ». Mme B., qui travaille pour une société sous-traitante de sécurité, a
porté plainte pour harcèlement sexuel, agression sexuelle et pour un viol « digital »
contre son chef d’équipe, encouragée par un salarié de l’entreprise chez qui elle
effectue sa prestation, qui a été directement témoin du harcèlement sexuel.
Mme B. a été l’objet de violences très graves et très nombreuses au cours de sa vie,
qui l’empêchent de les repérer : coups de sa mère et de ses frères pendant toute
son enfance, violences physiques et sexuelles commises par son ex-mari, qui a été
condamné pour violences volontaires après l’avoir quasiment laissée pour morte
dans leur cuisine, sauvée parce que les voisins avaient appelé la police...
C’est dans ce contexte de violences commises par son mari que son chef d’équipe
avait commencé à l’agresser, et c’est prétextant une relation amoureuse entre ce
chef d’équipe et son épouse que les violences du mari avaient redoublées.
En cours d’instruction, le divorce de Mme B et de son ex-mari est prononcé. Elle
rencontre alors un homme qui d’emblée adopte un comportement qui indique qu’il
pourrait commettre des violences à son encontre (manœuvres d’isolement, souffle
le chaud et le froid, contrôle de ses fréquentations, de ses finances etc). Alertée,
Marilyn Baldeck tente vainement de la mettre en garde à l’occasion de plusieurs
rendez-vous. Mme B dit « voir et comprendre » de quoi elle parle et même être
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d’accord, mais finit toujours par considérer que cet homme se conduit de la sorte
parce qu’il l’aime. Elle finit par se marier avec lui. Il lui demande de quitter son
emploi, de rendre son logement et de le rejoindre en Vendée où dit-il, il a trouvé du
travail. Sur ces points, nous parvenons à la dissuader mais Mme B prend néanmoins
régulièrement des congés sans solde pour le rejoindre. Lors de ces séjours, elle est
séquestrée dans une maison isolée et les violences, verbales puis physiques, vont
crescendo. Il tente une fois de l’étrangler au motif qu’elle aurait « allumé le
plombier » venu effectuer une réparation. Elle dépense toute son épargne pour
meubler cette maison...
Après avoir ruiné Mme B, son « mari » demande le divorce.
En cours d’instruction, une collègue de Mme B prend contact avec l’AVFT pour
également témoigner de harcèlement sexuel commis par M. T. Malheureusement,
son discours est tellement décousu (lié à la dépression ? aux médicaments qu’elle
prend ? à la peur ?) que nous ne pouvons l’utiliser.
Au terme de l’instruction, au cours de laquelle l’AVFT s’était constituée partie civile,
le juge d’instruction rend une ordonnance de requalification et de renvoi devant le
Tribunal correctionnel.
Le harcèlement sexuel dénoncé par Mme B a principalement pris la forme suivante :
M. T l’appelait sur son poste téléphonique et se lançait dans de grands monologues
à caractère sexuel voire pornographique. Mme B, pour éviter des représailles, ne
disait rien et le laissait parler sans protester. Sa sœur finit par lui conseiller de mettre le
haut-parleur et d’enregistrer, ce qu’elle fait. Le décryptage de ces enregistrements
par la police est joint au dossier pénal.
L’audience a lieu au moment où démarre la seconde procédure de divorce pour
violences de Mme B.
En tout début d’audience, l’avocate de M. T. demande à la greffière si l’affaire peut
passer en premier, car son client est venu accompagné de son frère, commandant
de police à Paris, qui n’a pas de temps à perdre. La greffière lui répond qu’aucun
passe-droit n’est possible et que son client attendra comme tout le monde. Son
mécontentement est manifeste, elle insiste en vain. La stratégie d’intimidation
continue : pendant toute la durée des violences, M. T. n’a cessé de dire à Mme B
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que son frère était commandant de police (jusqu’alors, nous ignorions si c’était vrai)
et qu’il était donc inutile qu’elle porte plainte, que personne ne la croirait.
Le tribunal est composé d’un président et de deux assesseuses. Le procureur est une
procureure. Une des deux assesseuses fait un rapport d’une telle façon qu’il est
accablant pour M. T, l’audience commence donc bien. Mais, tandis que le
président n’intervient quasiment pas, la seconde assesseuse mitraille Mme B de
questions qui la mettent en accusation :
« Mais pourquoi vous n’avez pas sauté de la voiture quand il vous a mis la main sur la
cuisse ? »
« Mais pourquoi vous ne lui avez pas mis un coup de pied dans les parties ? »
« Mais pourquoi ne l’avez-vous pas giflé ? »
« Mais enfin, il va falloir apprendre à vous défendre ! » (sur un ton qui n’avait rien de
bienveillant).
La magistrate a l’air authentiquement excédée par la passivité de Mme B mais la
forme interrogative dissimule mal le jugement qu’elle porte à son encontre.
Mme B ne peut que répondre : « Je ne sais pas/ je n’ai pas pu », puis hausse le ton
en disant : « Et si ça recommençait maintenant, je ne pourrai pas faire mieux ».
M. T. et son avocate contestent la validité des enregistrements effectués par Mme B,
qu’elle aurait montés pour couper les passages où elle acquiescerait aux
propositions de M. T.
Mais à l’inverse, quand M. T. est interrogé par le tribunal sur la manière dont se
comportait Mme B avec lui, il confirme qu’elle était passive et qu’elle ne donnait
aucun signe positif de consentement. Il pense néanmoins que sa passivité signifiait
qu’elle était d’accord et affirme qu’il était amoureux d’elle.
Me Jonquet plaide sur les « faits » et leurs preuves, Marilyn Baldeck, qui représente la
constitution de partie civile de l’AVFT insiste quant à elle sur les personnalités, les
expériences de vie opposées de Mme B et de M. T qui empêchaient la première de
protester ouvertement aux agissements du second et conteste donc l’interprétation
faite (à dessein) par M. T. sur la passivité de Mme B.
Nous ressortons mitigées du tribunal.
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M. T. est pourtant condamné le 24 novembre à quinze mois d’emprisonnement avec
sursis. Sans le motiver aucunement, le Tribunal ne retient que la qualification
d’agressions sexuelles (dont un viol correctionnalisé) et écarte la qualification de
harcèlement sexuel.
M. T est condamné à indemniser le préjudice moral de Mme B à hauteur de 1500
euros (au risque de nous répéter : pour un viol correctionnalisé) et celui de l’AVFT à
hauteur de...1 euro.
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