Le silence des coupables
Transcription
Le silence des coupables
Paulo Coelho Le silence des coupables Cette vidéo fut enregistrée le matin du 26 Avril et montre une vie normale dans une ville normale. Un homme assis buvant son café. Une mère se baladant avec son bébé dans les rues de la ville. Des personnes occupées partent travailler, une ou deux personnes attendent à l’arrêt du bus. Un monsieur lit son journal dans le parc, assis sur un banc. Mais cette vidéo a des problèmes : plusieurs rayures horizontales viennent troubler l’image, comme si on devait ajuster le bouton de « tracking » pour que les cinq personnes qui sont avec moi puissent mieux voir l’image. Je pense à leur demander de s’occuper de ça mais je pense aussi qu’ils se sont rendus compte et que le problème sera vite résolu. La vidéo sur le petit village reculé continue de passer sur l’écran sans que rien d’intéressant ne se produise à part la vie normale de ces habitants. Il est possible que certaines personnes sachent ce qui s’est passé à quelques kilomètres de là. Il est aussi possible que quelques uns sachent de la mort de 30 personnes – ce qui est tout de même un nombre considérable mais pas assez conséquent pour changer la routine des habitants. Les scènes nous révèlent maintenant des bus scolaires se garant. Ils resteront là plusieurs jours, sans que rien ne se passe. Les images sont très brouillées maintenant et je me tourne vers Katya lui demandant qu’est ce qui se passe. Elle ne me répond pas – elle a perdu la parole. Je me tourne vers Oleg qui me dit une seule chose : - Ce n’est pas un problème de « tracking ». C’est la radiation. Le soir du 26 Avril, à 1:23 du matin, le pire désastre crée par l’homme s’est produit à Chernobyl, en Ukraine, où maintenant je regarde cette vidéo. Avec l’explosion du réacteur nucléaire, les personnes de la région furent contaminées par une radiation 90 fois plus puissante que celle de la Bombe Atomique lancée sur Hiroshima. Il fallait évacuer immédiatement la région, mais personne, absolument personne n’a rien dit – car après tout le gouvernement ne se trompe jamais. Une semaine plus tard, une petite de note de cinq lignes fut publiée à la page 32 du journal local, parlant de la mort des travailleurs et rien d’autre. Entre-temps partout dans l’ex-Union Soviétique, le jour des Travailleurs fut célébré, et à Kiev, capitale de l’Ukraine, les personnes défilaient sans savoir que la mort invisible était dans l’air. Je reviens à mon passé: je suis assis dans un bar près du Jardin Botanique à Rio de Janeiro quand je vois les Paulo Coelho nouvelles à la télé – car à ce moment des détecteurs en Suède, à des milliers de kilomètres de là, on déjà détecté la poussière radioactive qui s’achemine vers ce pays. Seulement trente morts ce jour-là. Pourtant, suivant un rapport des Nations Unies présenté en 1995, un total de 9 Million de personnes dans le monde entier furent contaminées directement par ce désastre, dont 3 à 4 Million d’enfants. Les trente morts se sont converties, suivant le spécialiste John Gofmans, en 475.000 cas fatals de cancer et un numéro similaire de cas NON FATAL de cancers. Le silence des coupables, entre-temps, s’est prolongé au-delà de ce qu’on s’attendait car personne ne voit la poussière radioactive. Mais finalement, alors que le monde entier était au courant, alors que la poussière s’était déjà propagée partout en Europe, 400.000 personnes furent évacuées. Un total de 2.000 villes et villages furent simplement rayés de la carte. Suivant le Ministère de la Santé Biélorusse, l’indice de cancer des thyroïdes dans ce pays augmentera considérablement entre 2005 et 2010 en conséquence de la radioactivité qui subsiste. Le professeur Dr. Vladimir Chernousenko commente: - Au-delà de ces neuf Million de personnes directement contaminées par la radioactivité, 65 Million de personnes, dans plusieurs pays du monde, furent affectées indirectement à travers la consommation d’aliments contaminés. Que ce soit en Ukraine, en Russie, dans les Etats-Unis ou en Allemagne, il est absolument impossible d’avoir un contrôle complet sur une réaction nucléaire. Cela s’est produit en Amérique (il se réfère à l’incident de Three Mile Island, où un autre réacteur a partiellement explosé) et soudain, sans que personne ne l’attende, cela pourra se produire à nouveau. La vidéo, filmée par le KGB – la police sécrète en Union Soviétique – se termine par quelques agents s’habillant en costumes spéciaux. Katya, Oleg, Yuri et Lena pleurent. On se lève et dû au silence des coupables, les innocents restent aussi en silence – car il n’y a rien, absolument rien, qui puisse être dit.