Revue Kyrielle - juin 2011 - PDF - IRFSS Basse
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JUIN 2011 # 3 Actualité des PREFAS / Recherches en cours / Etudes de terrain / Echos des revues / Animation Régionale CORINNE CHAPUT, responsable du PREFAS Basse-Normandie Les pôles ressource « Recherche-travail social-intervention socialeformations » deviennent les PREFAS Par Corinne CHAPUT, Responsable du PREFAS Basse-Normandie Le 21 janvier 2010 se réunissaient pour la première fois les responsables régionaux des pôles consacrés à la recherche en travail social. Une fois ce réseau ainsi constitué, est apparue notamment la nécessaire visibilité nationale de ces instances récentes et encore peu connues de tous alors et la question d’une dénomination du dispositif qui permette de résumer le titre très long et très difficile à retenir de l’appel à projet. Le 27 septembre dernier, l’acronyme PREFAS a donc Pôle ressources été retenu. La référence à la régional de Recherche préface d’un ouvrage, la symbolique de la page blanche et d’Etude pour la à écrire, du prélude à des Formation et l’Action travaux futurs et prometteurs, Sociales apparaissait intéressante eu égard aux missions des pôles. La déclinaison du sigle PREFAS : Pôle ressources régional de Recherche et d’Etude pour la Formation et l’Action Sociales, si elle est plus simple que celle proposée dans l’appel à projet, a néanmoins comme mérite de conserver le caractère régional et la fonction de ressource des Pôles recherche. Il suffira en effet, dans un logo qui reste à construire, de mettre le R en relief pour symboliser ces deux dimensions. De la même manière, dans les régions où les établissements ont vocation à proposer des formations sanitaires ou médico-sociales, le S pourra être doublé ou triplé à volonté. En outre, ces regroupements des PREFAS, qui se sont poursuivis en 2011, ont été l’occasion de faire l’état des lieux et de mesurer l’évolution des activités réalisées en 2009 et 2010. Parmi ces activités, si le repérage et la valorisation des travaux demeurent les missions centrales des PREFAS, la production directe de recherche et d’études ou la contribution à des travaux partenariaux s’avèrent désormais une nécessité pour asseoir la légitimité des centres de formation au travail social à articuler des activités de recherche, de formation et d’animation du milieu professionnel. C’est pourquoi vous trouverez, dans ce numéro 3 de Kyrielle, les résultats de plusieurs travaux dans lesquels l’Institut Régional du Travail Social (IRTS) et l’Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale (IRFSS) de Basse-Normandie se sont engagés. Au sommaire de juin 2011 Recherches en cours Pour une nouvelle gouvernance de l’entraide alimentaire sur l’agglomération caennaise ............................. 2 Constitution d’un Réseau Recherche dans le cadre d’un projet d’ingénierie sociale sur « territoires et cohésion sociale » ................................................................. 4 Projet de recherche comparée France-Québec sur l’implantation, le déploiement et les effets des pratiques d’évaluation dans le champ de la protection de l’Enfance ..................................................... 5 Face à la fin de vie « Demandes d’euthanasie » auprès des professionnels de la santé ............................................... 6 Etudes de terrain Accompagner la réponse à une commande : Un chemin et des rencontres ................................................. 7 Les « invisibles » de l’agglomération caennaise...................... 8 Expertise sociale commanditée par la circonscription du Bocage ............................................................................ 8 Echos des revues Actualité du Sociographe ...................................................... 9 Animation régionale L’intervention d’un chercheur sur les fonctions sociales du sport .................................................................. 10 Philosophie et travail social : Peut-on penser et agir aujourd’hui ? .............................................................. 10 Genre et travail social – L’analyse du genre pour décoder une réalité sociale............................................. 13 Mardi de l’IRTS – Traces tsiganes........................................... 15 Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale de Basse-Normandie Juin 2011 /N°3 Recherches en cours / 2 Pour une nouvelle gouvernance de l’entraide alimentaire sur l’agglomération caennaise Par Marie-Thérèse SAVIGNY, formatrice à l’IRTS de Basse-Normandie Depuis Janvier 2009, l’IRTS coordonne une recherche-action : « Pour une nouvelle gouvernance de l’entraide alimentaire sur l’agglomération caennaise ». Une dizaine de collectifs d’habitants (dont les étudiants de l’IRTS) ont, dans ce cadre, mis en place différentes initiatives du registre de l’économie solidaire dans une dynamique qui par ailleurs mobilise plusieurs institutions, les collectivités territoriales et différents services déconcentrés de l’Etat. Ces avancées significatives permettent aujourd’hui d’envisager de nouveaux développements : développement de circuits courts à partir des petits producteurs locaux pratiquant une agriculture raisonnée ou biologique, mise en place d’une monnaie solidaire locale pour soutenir une consommation locale et de qualité pour les personnes en situation de précarité, aide et accompagnement à l’autoproduction, lutte contre le gaspillage par la mise en place d’activités de conditionnement des produits frais pendant la période estivale. Mais quels sont les pré-supposés théoriques de ce travail ? Face aux enjeux de natures économique, politique, sociale ou encore environnementale que pose la question alimentaire, nous avons choisi d’aborder les choses par la question du sens, c'est-à-dire de la nature socio-anthropologique des défis à relever en général et de façon plus spécifique du point de vue du positionnement du travail social. Jeu de déconstruction-reconstruction qui permet d’identifier 4 niveaux d’analyse constituant dans leur combinatoire, un guide et le cadre de référence dans lesquels se situe l’action en cours. Premier niveau Nous nous référons pour commencer à la logique du don. Dans la logique du don, le monde est limité : « Au bout du compte, l’action humaine et son symbolisme se déploient à l’intersection de deux grandes oppositions : celle de la mort (le maître absolu, la contrainte absolue) et de la vie, celle de la guerre (de la rivalité) et de la paix (l’alliance) » (Alain Caillé). De ceci découle l’opposition entre obligation et liberté, entre action pour soi et action pour les autres. Dans ce monde limité par la reconnaissance de ces couples de contraires indissociables, prennent corps la liberté et l’alliance, soi et l’autre. Cette pensée est aux antipodes de l’effort conjugué du marché et de l’État pour travailler sur l’inclusion-exclusion des individus dans la société. Ainsi, le concept de discrimination positive repose-t-il avant tout sur une définition en négatif des inadaptés, ou handicapés sociaux, ou encore personnes défavorisées. Faisant fi des circonstances (exténuantes) liées à l’environnement, ces dernières sont décrites comme une espèce inférieure portant (originellement) la faute. Ils constituent l’envers du décor, l’ombre de cette époque lumineuse, le résidu d’incapacités et de finitude dans un univers maîtrisé et infini. Deuxième niveau Il convient aujourd’hui de sortir d’une vision gestionnaire et par ailleurs centrée sur l’individu de l’action sociale pour intégrer une vision du développement durable à l’interface entre les champs de l’économique, du social et de préoccupations environnementales. Fondé dans une période relativement intégratrice, le travail social est fortement marqué depuis les années 80 par une valorisation de l’individu autonome, indépendant, capable de réaliser son propre projet dans un univers socio-économique devenu plus que contraint. Cette vision traduit bien « la fiction moderne de l’individu dans la société » (Marcel Gauchet). Dans le champ de l’action sociale, le bras armé de cette vision est aujourd’hui le projet individuel avec des effets proches du zéro en matière d’insertion (on dit à présent inclusion) sociale et professionnelle mais avec une efficience certaine en termes d’intériorisation de la responsabilité individuelle par les personnes pro-jetées. Ceci nous ramène aux thèses développées par Jacques Généreux dans La Dissociété . L’important pour Généreux n’est pas d’opposer à l’individu rationnel (égoïste) une vision qui voudrait éradiquer toute forme d’intérêt individuel au profit du seul intérêt collectif. On est là dans le registre de la morale. Pire, on peut faire l’hypothèse que cette façon de considérer les choses résulte finalement des mêmes fondements théoriques qui justifient la vision néolibérale de l’homme. Dans cette conception, l’être humain est : un individu qui existe avant toute relation à autrui, il est donc autodéterminé, seul maître et responsable de ses actes l’individu est strictement égoïste, il y a une rivalité irréductible entre les humains pour la possession des biens la société est une association volontaire et utilitaire des individus pour maximiser la production. La loi vise à restreindre les individus pour restreindre le conflit permanent. Le progrès, c’est l’abondance matérielle. La concurrence est le principe d’organisation qui assure le mieux cette abondance. Opposer à cette vision son exact contraire, c’est comme en porter l’ombre sans en discuter les fondements. Et c’est, à l’épreuve des faits, si l’on se réfère aux expériences de l’Union Soviétique ou de la Chine, favoriser des sociétés de clones. Etrangement tout comme dans les sociétés néo-libérales ! Ce qui disparaît dans les deux cas, c’est l’idée même de l’autre, des autres. Dans les deux cas, le culte (ou devrait-on dire le mythe) de l’individu ou par ailleurs de l’hyper-société produit des sociétés de mêmes, où du coup la question de la solidarité et du don ne se pose pas. Pour cela il y faudrait des autres mais aussi penser ensemble le JE et le NOUS. Pour raisonner ces questions, Jacques Généreux pose qu’ « être soi et pour soi » et « être avec et pour les autres » ne sont pas deux postures antagoniques mais « deux aspirations ontogénétiques de l’homme ». Une vie pleinement humaine consiste dans la réalisation d’un équilibre personnel entre les deux faces inextricables de notre désir d’être (ce que Spinoza appelle la Nécessité) : l’aspiration à « être soi » et l’aspiration à « être avec ». A l’inverse, une société de régression humaine entrave la quête de l’équilibre personnel par un processus politique délibéré visant à hypertrophier l’une des aspirations ontogénétiques et à réprimer l’autre, ou, pire, à réprimer les deux. L’idéologie et les politiques néolibérales tendent à dissocier les deux aspirations ontogénétiques et à enfler à ce point la première (être soi pour soi) qu’elle étouffe la seconde (être avec et pour les autres). C’est le processus de « dissociation personnelle ». A la fois cause et conséquence, instrument et finalité de la dissociation personnelle, la « dissociété » est le processus d’organisation de l’espace, des institutions et des relations qui décompose une société humaine. D’une part, en déliant, isolant et opposant les communautés ou catégories sociales relativement homogènes. D’autre part en exacerbant la rivalité entre les individus composant ces communautés ou catégories sociales. Juin 2011 /N°3 Recherches en cours / 3 Pour lire autrement le « faire société » J. Généreux propose une méthode d’analyse : le socialisme méthodologique. Le socialisme méthodologique rejette dans le même mouvement l’individualisme méthodologique et le holisme. Le socialisme méthodologique se réfère à une lecture « interactionniste ». Aucun individu n’existe avant la société dans laquelle il est né et a grandi. La société ne peut donc être conçue comme le résultat d’une association à posteriori d’individus qui existaient avant elle. Le socialisme méthodologique postule que les deux aspirations de l’homme (être soi, être avec) sont indissociables. En ce sens, il se dégage de postures morales ou éthiques qui voient comme contraires et opposées des positions que l’on qualifie d’égoïsme et d’altruisme. Il considère qu’il n’y a pas de cause unique à un acte. Le même acte peut être simultanément égoïste (pour soi) et altruiste (pour les autres). Troisième niveau En cohérence avec ce qui vient d’être dit (penser le social en terme de développement durable tel que défini précédemment et penser ensemble « l’être soi » et « l’être avec »), c’est nécessairement questionner et aller dans les registres du territoire, du développement de ce territoire et de la recherche de modes économiques alternatifs respectueux de l’environnement et des personnes qui y habitent. Penser territoire c’est déjà prendre en compte les découpages politicoadministratifs : il s’agit des territoires conçus. Nous y reviendrons. Mais c’est aussi introduire les notions de territoires perçus et vécus. Il s’agit des champs qu’explorent les sociologues de l’environnement et des modes de vie (Michèle Dobré). C’est enfin s’interroger sur la notion de développement. « Dès son apparition, le concept de développement a joui d’un soutien indubitable et quasi unanime (…) il se trouvait à la convergence de trois conceptions du changement venant de sources très différentes : celle des nouvelles puissances néocoloniales, celle des classes dirigeantes des pays concernés et celle des populations de ces mêmes pays. (…). En réalité, le résultat le plus tangible des programmes de développement a consisté, au Nord comme au Sud, à priver les pauvres de moyens de lutter par eux-mêmes contre les misères nouvelles et à installer les nouveaux gagnants de l’opération aux postes de contrôles décisifs » (Irnajid Rahnema). Ce concept, en tout cas, met en place une nouvelle grammaire. Cette « novlangue » prétendument scientifique et humanitaire, aveugle aux véritables dimensions de la pauvreté, est d’autant moins capable d’aider les pauvres à lutter contre les besoins socialement fabriqués que leur fait convoiter le marché mondial, que lui-même est devenu une cause importante de paupérisation. Faute de mieux, on parlera donc de projet de territoire et d’économie solidaire. L’économie de marché, donc, crée du vent (des bulles), et plus d’exclusion et de déchets que de richesses durables. Pourquoi continuer à raisonner (résonner ?) à l’aune de ce seul mode économique ? Il y en a d’autres : l’auto-production, la réciprocité, la redistribution (qu’il faut continuer à revendiquer) ou encore l’économie solidaire… Le terme économie signifie -rappelons-le ici - mode de production et de répartition des biens et des services. Si une personne produit des légumes dans le cadre d’un chantier d’insertion, cette personne est un jardinier, pas un CUI (Contrat Unique d’Insertion). Quand ces légumes approvisionnent une épicerie sociale et que le prix d’achat est réduit (du fait d’aides liées à la redistribution) ceux qui s’occupent de l’épicerie (qu’ils soient salariés ou bénévoles) sont des épiciers. Et si ces épiciers ont recours au commerce équitable, ils font du commerce international. Dire qu’il y a bien production et répartition de biens et de services, c’est reconnaître l’émergence d’un mode économique social et solidaire, « déjà là », à re-CO-naître et à amplifier par l’hybridation des ressources monétaires (marché), de l’ordre de la redistribution (Etat, Collectivités territoriales, Union Européenne), et non monétaires (engagement des acteurs, don et contre-don). Ce système, qui satisfait à des besoins matériels est de l’ordre du lien, s’appuie sur une vision politique (un projet de société) qui bouscule les places et les rôles. A une logique hiérarchique et segmentée qui identifie dans l’ordre : décideursfinanceurs, prestataires et usagers, on oppose une logique horizontale et une nouvelle grammaire. Les élus/responsables d’organismes sociaux, les techniciens et les citoyens décident ensemble des grandes orientations. Les contribuables financent. Après quoi, chacun, au titre de ce qui le légitime, contribue à la mise en œuvre. Dans les expériences de cette nature - et elles sont nombreuses - cela passe par un repositionnement du travail social et ce, visà-vis des usagers considérés désormais comme des citoyens, comme vis-à-vis des élus et/ou des responsables des organismes sociaux. Ceci nous amène au quatrième niveau d’exploration. Quatrième niveau Vis-à-vis des personnes, on passe de la seule relation d’aide individuelle (ce qui n’exclut pas d’aider individuellement) à un travail qui tend à faciliter la prise de parole collective. Faute de mieux, mais cela ne rend pas bien compte de ce qui est en jeu ici, on parlera de Développement Social Local ou plus largement de démarches participatives, les anglo-saxons parlant d’empowerment. Actuellement, comme la société contemporaine valorise le JE au détriment du NOUS, la responsabilité individuelle et l’auto-référenciation, le travail social (au sens le plus large du terme) prône l’individu autonome, indépendant, capable de définir son propre projet dans cet environnement économique plus que contraint. En découlent des pratiques qui ne conçoivent l’individu que dans l’espace confiné de ses problèmes, ce qui ne peut rendre que plus difficile la restauration de l’histoire individuelle faute de prendre en compte le besoin d’appartenance à un collectif, le besoin de reconnaissance sociale ou le besoin d’apparaître comme le dit Hannah Arendt. Du coup, on se retrouve dans cette situation impossible structurée autour du face à face de personnes engluées dans la condition humiliante d’assistés et d’intervenants sociaux « agis » plus qu’en capacité « d’agir ». De cela nous pouvons sortir en mettant en débat pourquoi et comment il est aujourd’hui nécessaire et possible de retrouver le pouvoir collectif d’agir sur les territoires. Les démarches participatives s’appuient dans ce cadre sur un certain nombre de présupposés, à savoir : Que par le collectif, le sentiment « d’inutilité » au monde (et à soi-même) peut se transformer en une colère positive et créatrice. Qu’il y faut des conditions : une étincelle, une rencontre pleinement acceptée dans cette forme très particulière de proximité que suppose et permet l’avancée d’un projet co-construit. On avance sur un fil et on s’en sort en marchant. Que pour donner forme à ce qui n’était au départ qu’un espoir ou un rêve, une médiation est nécessaire pour structurer à tous les moments une démarche très participative permettant l’implication de tous les acteurs publics et privés concernés sur un territoire. L’idée, c’est que le social (le « vivre ensemble »), c’est avant tout une affaire de citoyens et surtout pas de spécialistes ou pire - d’experts. Mais c’est aussi de prendre en compte le fait que nous sommes aujourd’hui dans une société d’individus où la perte du sentiment de classe et des appareils qui lui donnaient forme et dignité appellent à la reconstruction d’ espaces où se retrouve le pouvoir d’ agir collectivement. Juin 2011 /N°3 Mais c’est aussi et enfin, reconnaître les formes infra-politiques de la résistance ordinaire des groupes subalternes. James C. Scott propose en effet le concept « d’infrapolitique » pour qualifier « le texte caché » que recèlent les multiples actes de résistance souterraine des populations dominées. Des initiatives se prennent dans l’anonymat du quotidien mais pourraient bien, favorisées par une société en réseau, préfigurer un nouveau modèle de société, déjà là en même tant qu’à advenir. Dans ce cadre, le travail social ne pourraitil pas avancer en se situant comme facilitateur de ces pratiques émergentes ? C’est cette voie qu’explore aujourd’hui la recherche-action. Recherches en cours / 4 Ouvrages : Etudes, rapports : Alain caillé (sous la direction de) : La quête de reconnaissance : Nouveau phénomène social total , éditions la Découverte/MAUSS, Paris, 2007, 302 p, col Texte à l’appui. Michèle Dobré : L’écologie au quotidien : Eléments pour une théorie sociologique de la résistance ordinaire , L’harmattan, 2003, 352 p, col Sociologies et environnement. Loïc Wacquant, Les prisons de la misère, Paris, Editions Raisons d’agir, 1999, 192 p. JP Legoff : la démocratie post-totalitaire , La Découverte, Paris, 2002, 203 p. Jacques Généreux : La dissociété, éditions du seuil, 2006, 445 p, col philosophie générale. François Garibay, Michel Séguier : Pratiques émancipatrices, actualité de Paolo Freire, Paris, Editions Syllepse, 2009, 277 p. Najid Rahnema : Quand la misère chasse la pauvreté, Bayard/Actes Sud, 2003 - La puissance des pauvres, Arles, Editions Actes Sud, 2008 , 289 p, col mémoires. Centre d’Etudes et de Recherche sur la Philanthropie : « Les glaneurs alimentaires ». Rapport d’étude qualitative. Remis à la DIIESES pour le Haut Commissariat aux Solidarités actives le 9 Janvier 2009 Etude Abena 2004-2005: « Comportements alimentaires et situations de pauvreté. Aspects socio-anthropologiques de l’alimentation des personnes recourant à l’aide alimentaire en France » Conseil de l’Europe : « Elaboration concertée des indicateurs de la cohésion sociale . Guide méthodologique » Juin 2005 CELAVAR, INRA, Réseau rural, DATAR : « Circuits courts et cohésion sociale : Capitalisation et analyse d’expériences conduites sur les territoires ruraux et périurbains » Constitution d’un Réseau Recherche dans le cadre d’un projet d’ingénierie sociale sur « territoires et cohésion sociale » Par Corinne Chaput, responsable du PREFAS La circulaire du 18 septembre 2008 émanant du Premier Ministre a défini la cohésion sociale dans le sens commun comme « le savoir vivre ensemble », c’est-à-dire la qualité des interactions entre les habitants. Dans une visée plus politique et plus volontariste, le Conseil de l’Europe a envisagé cette notion comme « la capacité de la société à assurer le bien-être de tous ses membres, incluant l’accès équitable aux ressources disponibles des populations vulnérables, le respect de la dignité dans la diversité, l’autonomie personnelle et collective et la participation responsable ». La troisième acception possible, et qui est celle que retient la Direction Régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale (DRJSCS) est que la cohésion sociale est avant tout structurée avec et autour du lien social, concept qu’il est important de mobiliser. Défini comme la production de relations entre les êtres humains, il contribue à générer un sentiment d’appartenance et à accéder au bien-être avec d’autres facteurs. Il permet en outre de balayer à la fois le réseau primaire des personnes, garant des besoins d’autonomie et de solidarité, et le réseau secondaire, qui favorise la correction des inégalités sociales et la participation citoyenne. C’est donc dans cette direction que la DRJSCS de BasseNormandie a souhaité lancer une démarche d’ingénierie sociale en trois temps : une première année de travail consacrée à la définition du lien social (et des concepts qui lui sont associés) et au choix d’une méthodologie de recherche visant à repérer les indicateurs de lien social à l’échelle d’un territoire de vie Pour ce faire, la DRJSCS a contacté le PREFAS de Basse-Normandie et plusieurs laboratoires universitaires : Espaces et Sociétés, Centre d’Etude et de recherche sur les risques et les vulnérabilités, Normandie Innovation Marché Entreprise Consommation, Centre de recherche en Economie et Management, et a ainsi constitué un groupe de chercheurs issus de champs disciplinaires variés qui vont travailler sous forme de séminaire au sein de la Maison de la Recherche en Sciences Humaines durant un an. Chaque chercheur aura à charge de devoir présenter au Réseau Recherche ainsi constitué un ou plusieurs exposés à caractère scientifique cernant les contours d’un concept. Et c’est l’emboîtement progressif de ces concepts dans un « schéma paradigmatique » qui devrait permettre de parvenir à l’élaboration de ce qui pourrait être un « modèle » de caractérisation des liens sociaux sur un territoire. Un groupe de chercheurs constitué par la DRJSCS de Basse-Normandie Ce réseau recherche a débuté ses travaux le 23 mars à la Maison de la Recherche en Sciences Humaines qui symbolise la multidisciplinarité et la transversalité. Parallèlement, un Comité de Pilotage (COPIL) a été installé le 14 avril. Composé de trois collèges, un collège de chercheurs, émanation du réseau recherche (dans lequel le PREFAS figure), un collège institutionnel et un collège Cohésion sociale, ce COPIL sera garant de l’ensemble de la démarche. une deuxième année centrée sur l’élaboration d’un guide méthodologique une troisième et dernière année permettant l’expérimentation de l’outil à un ou plusieurs territoires Juin 2011 /N°3 Recherches en cours / 5 Projet de recherche comparée France-Québec sur l’implantation, le déploiement et les effets des pratiques d’évaluation dans le champ de la protection de l’enfance Par Fabienne FRECHON, responsable du Pôle Formation Permanente, Accompagnement des professionnels et des organisations Le PREFAS de Basse-Normandie s’associe à celui de l’IRTS de Bretagne, de l’Ile de la Réunion et de Lorraine, le LAUREPS et Institut de criminologie et de sciences humaines (Université de Rennes 2), la chaire de Travail Social du CNAM et ceci en collaboration avec le Centre Jeunesse Institut Universitaire de Québec, le Centre Jeunesse de Montérégie et l’Université Laval à Québec, pour conduire un projet de recherche action portant sur une « Analyse comparée en France et au Québec du déploiement de l’évaluation dans le secteur de la protection de l’enfance. » Cette activité de recherche s’inscrit dans un projet général soutenue par le 1 FFQCD , portant sur « la mobilité francoquébécoise dans le secteur de l’intervention sociale » (l’emploi, la formation, les rencontres entre usagers et la recherche). La protection de l’enfance et de la jeunesse représente un domaine privilégié de cette dynamique partenariale, en vue du développement de stratégies novatrices en évaluation de programmes et en évaluation de projet. Un premier travail avec les partenaires québécois et français nous a permis de relever la place prépondérante de cette thématique évaluative tant sur le plan des accompagnements et des services rendus aux usagers que sur le plan du développement des organisations ainsi que sur le plan du développement des professionnalités. Cette recherche se veut au service du pilotage des organismes, de l’animation des équipes professionnelles et de la formation des acteurs et de l’intervention. Les équipes sont aujourd’hui constituées de part et d’autre de l’Atlantique suite à plusieurs missions en France et au Québec en 2010 puis en 2011. Elles se sont accordées pour engager un travail : De repérage et d’analyse des cadres nationaux et provinciaux à l’origine des incitations et obligations évaluatives dans le secteur de la protection de l’enfance et de l’enfance délinquante D’analyse des processus d’appropriation et d’implantation dans les différentes organisations accompagnant ces usagers De confrontation des pratiques évaluatives et de capitalisation des avancées méthodologiques A partir de cette production de connaissances, cette recherche pourra s’inscrire dans un processus visant à : Mieux documenter les situations, les parcours et l’efficacité des projets dans les organismes accompagnant des mineurs Alimenter les stratégies pédagogiques des instituts de formation afin de densifier la formation à l’évaluation des futurs intervenants et des professionnels en place (sur le plan réflexif et méthodologique) Soutenir des modes d’encadrement et de management des équipes afin d’accompagner les acteurs de terrain dans une participation active et raisonnée aux démarches évaluatives. Les IRTS concernés par ce projet de recherche se sont répartis les terrains professionnels d’investigation et mobiliseront : des services et établissements de l’Aide Sociale à l’Enfance ; structures des fonctions publiques territoriale et hospitalière (Centres départementaux de l’enfance 54, 57, 55) en Lorraine des services et établissements associatifs : Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence 56, APASE 35, Fondation Macé-Trévidy 29 en Bretagne des services et établissements de la 2 3 4 PJJ : DTPJJ , STEMO de Caen , 5 l’UEER de l’Association Les SourcesMontjoie de Flers, en BasseNormandie. Un groupe d’étudiants ème assistants de service social de 2 année y seront associés. 6 5 MECS enquêtées par des étudiants 7 en formation DEIS sur l’Ile de la Réunion. Voilà un projet à suivre ! 2 Protection Judiciaire de la Jeunesse Direction Territoriale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse 4 Service Territorial Educatif de Milieu Ouvert 5 Unité Educative à Encadrement Renforcé 6 Maison d’Enfants à Caractère Social 7 Diplôme d’Etat en Ingénierie Sociale 3 1 Fonds Franco-Québécois de Coopération Décentralisée Juin 2011 /N°3 Recherches en cours / 6 Face à la fin de vie « Demandes d’euthanasie » auprès des professionnels de la santé Par Nadia VEYRIÉ, formatrice à l’IRTS, docteur en sociologie, membre du CERREV et chargée d’enseignement aux Universités de Caen et de Montpellier I. La fin de vie est, aujourd’hui, en France, souvent liée à la question de l’euthanasie au fil de situations tragiques de personnes en souffrance. Mais hors des couvertures médiatiques, que savons-nous sur la réalité de ces fins de vie et du quotidien des personnes malades, de leur famille, ainsi que des professionnels de la santé ? Qu’est-ce que la fin de vie et qu’est-ce que l’euthanasie ? Une articulation du médical et du social Afin d’apporter un éclairage à ces interrogations, Émilie Mouchet (médecin en soins palliatifs, Centre hospitalier de Lisieux), Virginie Testu (médecin en soins palliatifs, Centre hospitalier de Bayeux) et Nadia Veyrié (sociologue) ont engagé une recherche, depuis deux ans, qui articule les dimensions médicales et sociales, ainsi que les apports disciplinaires de la médecine et des sciences humaines. Cette recherche est ancrée dans un terrain, celui du quotidien de professionnels tels que les médecins, infirmières, aides-soignantes, psychologues et travailleurs sociaux exerçant dans des institutions médicales (hôpitaux, cliniques et autres) ou au domicile des personnes (activités en libéral, hospitalisation à domicile). Localisés dans la région BasseNormandie, ces professionnels ont accepté de témoigner, par entretiens semi-directifs, des mots et silences, des dits et non-dits face à une demande de mort réalisée par des personnes atteintes de maladies graves ou de grand handicap, ainsi que par leur famille. Ce travail s’inscrit, dans sa démarche, sur une articulation entre la connaissance régionale d’un territoire, des savoirs et des pratiques professionnels et des préoccupations 8 sociétales, nationales et internationales autour d’un objet de recherche où la transversalité s’impose. Demandes, souffrances des malades et responsabilité Différents axes apparaissent dans cette recherche, notamment celui des frontières floues pour les professionnels entre une réelle demande d’euthanasie – c’est-à-dire directe, 8 Voir notamment les réflexions engagées par l’Observatoire national de la fin de vie. articulée et peut-être avec une connaissance de la loi française – et la plainte, qui est adressée en fonction des évolutions de la maladie. Nombre de demandes sont formulées autour de la « piqûre », du « médicament » qui pourraient abréger la souffrance. L’attention est bien d’arriver à décrypter s’il s’agit d’une réelle demande ou d’une plainte. Dans les deux situations, la sollicitation des personnes malades résulte souvent de la peur de la déchéance du corps, de voir les personnes proches souffrir de cet accompagnement et, pour les aidants, de vivre quotidiennement la souffrance de l’Autre. Les professionnels soulignent que chaque malade, chaque situation et chaque demande révèlent une singularité et donc une prise en charge singulière. Par cette confrontation à la souffrance d’une personne, c’est, en effet, l’articulation au général qui se pose, à savoir comment pensons-nous fondamentalement la mort et le mourir aujourd’hui ? Emmanuel Lévinas, dans Altérité et transcendance, souligne l’importance de la confrontation à la mort d’autrui quel qu’il soit, notamment par le visage : « Dans cette relation avec le visage, dans une relation directe avec la mort de l’autre, vous découvrez probablement que la mort de l’autre a priorité sur la vôtre, et sur votre vie [...]. Mais surtout, il ne s’agit plus seulement d’aller vers l’autre quand il meurt, mais de répondre par sa présence à la mortalité des vivants. C’est toute 9 la conduite éthique » . Nous sommes assignés à cette responsabilité envers autrui, mais de quelle manière ? En effet, étant donné que plus de 70 % de la population française meurt 10 dans des institutions médicales , comment les professionnels de la santé se trouvent-ils confrontés, au premier plan, à cette « responsabilité » qu’ils n’ont pas toujours choisie ? Identités, pratiques professionnelles et interdisciplinarité Les pratiques, selon les identités professionnelles qui les portent, apportent un éclairage intéressant. En effet, le médical et 9 Emmanuel Lévinas, Altérité et transcendance, Saint Clément, Fata Morgana, 1995, p. 168. 10 Françoise Lalande et Olivier Veber, La Mort à l’hôpital, Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), novembre 2009, tome I. le social se juxtaposent-ils ou s’articulent-ils en vue d’une prise en charge plus globale des personnes malades ? Ainsi, les médecins, par exemple ne sont pas formés et habilités à « donner la mort », mais à guérir la vie comme en témoignent certaines phases de construction de la médecine occidentale, analysées notamment 11 par François Laplantine . Roland Gori et Marie-José Del Volgo, dans La Santé expropriée, précisent que « guérir, ce n’est pas alors seulement oublier une maladie que la médecine a traitée avec succès, guérir c’est aussi oublier le savoir qu’elle procure sur la 12 cause et l’heure de sa mort » . Or, avec la maladie grave et la souffrance qu’elle provoque, la mort s’inscrit dans le domaine de la santé. Mais comment agir et penser lorsque la guérison est impossible ? Concernant les travailleurs sociaux, la place et le rôle, par exemple, de l’assistante sociale, amenée à travailler dans une structure en soins palliatifs, peuvent questionner une nécessaire interdisciplinarité entre les différentes professions. La construction d’un positionnement face à l’extrême et l’intégration dans une équipe de soignants nécessitent des compétences particulières. Quelle est, par exemple, la nature de la relation d’aide face à l’approche de la mort d’un usager ? On note ici l’importance des formations de ces différents professionnels, notamment dans le travail lié au corps et dans l’écoute où la confiance face à la maladie grave ne se construit pas de la même manière. Cette écoute doit s’adapter aux frontières de la vie et de la mort du patient ou de l’usager. Norbert Elias souligne que « le fait que l’agonie et la mort soient reléguées le plus loin possible, hors de la vie sociale […], est étroitement liée, de nos jours, à la gêne singulière que les vivants éprouvent en présence d’un mourant […]. Des sentiments de gêne pénible empêchent les paroles. Cela peut être fort douloureux pour les mourants euxmêmes. Bien qu’ils soient encore en vie, ils sont 13 déjà délaissés » . C’est bien là la difficulté, comment amener et maintenir un « projet de 11 François Laplantine, Anthropologie de la maladie. Étude ethnologique des systèmes de représentations étiologiques et thérapeutiques dans la société occidentale contemporaine, Paris, Payot, 1993. 12 Roland Gori et Marie-José Del Volgo, La Santé expropriée. Essai sur la médicalisation de l’existence, Paris, Flammarion, 2009, p. 135. 13 Norbert Elias, La Solitude des mourants, Paris, Juin 2011 /N°3 vie » en évitant un écueil : le fait que l’usager ne soit pas dans notre société considéré ante mortem comme un mort ? veille permanente d’une humanité présente dans les institutions médicales et médicosociales ? « C’est comme si nous réservions superbement la mort aux gens qui passent dans la rue. C’est cela la tricherie essentielle, appliquer la mort aux autres par un report perpétuel et un 14 ajournement » , écrit Vladimir Jankélévitch. e En ce début du XXI siècle, même si le discours sur la mort est moins tabou, ne sommes-nous pas aussi les garants d’une Cette recherche – à l’initiative du Docteur Pierre Delassus, médecin en soins palliatifs (14) – est soutenue par le Centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Caen et l’Unité mobile Douleur et soins palliatifs (UMDSP), le Centre de recherche et d’étude sur les risques et les vulnérabilités (CERREV, EA 3918) de l’Université de Caen, la Étude de terrain / 7 Fondation de France, la Ligue contre le Cancer du Calvados, la Fondation de la Miséricorde (Caen) associée à l’Unité régionale de soins palliatifs Maurice Abiven (14), le Conseil régional de Basse-Nomandie et l’Institut régional du travail social de Basse-Normandie. Un article, détaillant les premiers résultats de cette recherche vient de paraître, dans le horssérie n° 4 (« Morts sociales »), juin 2011, du Sociographe. Etudes de terrain accompagnées par l’IRTS et l’IRFSS de BasseNormandie dans le cadre du Diplôme d’État d’Ingénierie Sociale Accompagner la réponse à une commande : Un chemin et des rencontres… Par Marie-Thérèse SAVIGNY, formatrice à l’IRTS de Basse-Normandie Lors d’une réunion à la DDICS (Direction Départementale de la Cohésion Sociale) en décembre 2009, les professionnels présents (directeurs de structures principalement et représentants de l’Etat) constatent qu’en dépit de la mobilisation de l’ensemble des acteurs, le nombre moyen mensuel des nuitées d’hôtel s’est stabilisé largement au dessus de l’objectif fixé. Ils décident de passer commande à l’IUP (Institut Universitaire Professionnel) de l’Université de Caen pour qu’un groupe d’étudiants engage une étude quantitative et qualitative à partir de la base de données du 115. Au titre du partenariat qui lie l’Université et l’IRTS, je suis chargée d’accompagner le groupe. Un contact avec l’Université me permet de comprendre le cadre général et la place de l’étude dans le cursus de formation. Mais qu’en est-il de la commande exacte ? Un rendez-vous est pris avec la coordonnatrice du 115. Avec les étudiantes enfin… Groupe restreint au demeurant : 3 , puis finalement 2 personnes résidant dans la Manche. Une première rencontre permet de s’approprier la commande et son contexte localement mais aussi au regard des évolutions législatives et réglementaires. On est en pleine mise en place de la RGPP (Réforme Générale des Politiques Publiques), en pleine « refondation sociale » suite aux 20 propositions de Benoist Apparu concernant l’accueil et l’hébergement, à la veille de la mise en place des SIAO (Services Intégrés d’Accueil et d’Orientation). Au niveau du Calvados, le cabinet Rhizome s’est vu confier depuis décembre 2009 l’animation de l’évaluation du dispositif AHI (Accueil Hébergement Insertion). Le contexte, on le voit, est chargé d’enjeux . La « matière » sur laquelle travaillent les étudiantes est la base ACCES du 115 (remplacée en 2010 par le progiciel national 115 PRO G DIS). A chaque appel, les écoutants doivent remplir une fiche sur les raisons de la demande. En 2009, on compte 78 212 nuitées d’hôtel !!! Les étudiantes se donnent une stratégie et s’attaquent au fichier. Il faudra 2 mois (et beaucoup d’appels à l’aide) pour trouver les solutions techniques à l’utilisation des données et quelques jours pour constater que beaucoup de fiches sont peu ou insuffisamment renseignées. Un certain nombre d’hypothèses semble pourtant se dégager, hypothèses dont nous pensons qu’elles doivent être vérifiées auprès des personnes concernées - c’est à dire les bénéficiaires. Que faire puisqu’il n’est pas possible par définition de rencontrer un public fluctuant, a fortiori un an après ? On fera le choix de s’appuyer sur une Commission composée d’usagers et de professionnels de la FNARS (Fédération Nationale des Associations d’accueil et de Réinsertion Sociale). Cette commission est fondée sur le parti pris de la participation et l’idée qu’au-delà du statut, on a tous une expertise sur les situations vécues et des idées sur la façon de les faire évoluer. Les étudiantes ont ainsi participé à deux réunions de la commission et ont pu mener des entretiens, parfois en allant retrouver les personnes dans les structures et en partageant des moments de vie avec elles. Elles sont allées par ailleurs à la rencontre des usagers du 115, à la Boussole, notamment… Plus que des réponses (elles sont plurielles et relatives), elles y ont rencontré des personnes et des histoires de vie. Produire du savoir, c’est aussi se confronter au réel… Un réel complexe et en l’occurrence ici profondément humain. Leur écrit, je pense, en rendra compte. Christian Bourgois, 1998, pp. 37-38. 14 Vladimir Jankélévitch, Penser la mort ?, Paris, Liana Levi, 1994, p. 29. Juin 2011 /N°3 Étude de terrain / 8 Les « invisibles » de l’agglomération caennaise Par Hélène CHARRON, intervenante à l’IRFSS de Basse-Normandie L’étude a tenté de répondre à une commande locale de la FNARS sur les invisibles qui font uniquement une démarche de domiciliation et ne s’impliquent pas dans les différentes propositions de la FNARS : pourquoi ? De quoi ont-ils besoin, qu’attendent-ils… ? menés avec les personnes concernées hypothèses ci-dessous : L’enquête ne s’est pas réduite à rencontrer seulement les personnes en demande de domiciliation mais aussi les responsables des différentes structures amenées à rencontrer des personnes en rejet et/ou en manque de toute réponse sociale relative à l’hébergement sur le territoire de l’agglomération caennaise Les personnes sont en rejet de tout dispositif à cause, en partie, d’un passé institutionnel important (placement à l’Aide Sociale à l’Enfance, passé carcéral….) et ne souhaitent plus être enfermées dans un carcan institutionnel Les personnes ne souhaitent pas entrer dans un principe de contractualisation : cela renvoie à l’idée aujourd’hui d’une absence de liberté individuelle et à la notion de harcèlement social. Les personnes sont en rejet de la solidarité nationale au profit de la « solidarité de la rue » : le lien social est ici informel et correspond aux attentes des personnes (c’est le fameux système D) Les échanges avec les étudiants nous ont amenés à nous arrêter sur deux sortes de personnes pouvant être concernées par cette étude avec la notion d’invisibilité choisie ou subie : Soit les personnes sont en rejet de tout dispositif Soit les personnes ne rentrent pas dans les critères d’admission (par exemple les personnes en situation irrégulière, les personnes accompagnées d’un animal …) en somme, toute personne en demande non satisfaite La méthode utilisée pour conduire cette étude à savoir, les rencontres avec les structures, les questionnaires et les entretiens a permis de vérifier les Concernant l’invisibilité choisie : Concernant l’invisibilité subie : Les structures sont saturées, il manque des places tant dans l’hébergement, que dans le logement. Ainsi, les personnes ne trouvent pas de réponses adaptées à leur situation Expertise sociale commanditée par la circonscription du Bocage Par Nadia VEYRIÉ, formatrice à l’IRTS Dans le cadre de la formation au Diplôme d’État d’Assistant de ème année de l’IRTS, se voient Service Social, les étudiants en 2 proposer un exercice d’expertise sociale visant à l’exploration d’un territoire, en fonction d’une thématique et d’une population. Ce travail collectif, engagé sur cinq mois et accompagné par des formateurs, doit leur permettre d’acquérir des capacités et des compétences en vue de la réalisation d’une expertise sociale, de favoriser les relations avec les partenaires liés à un territoire et également de s’initier à une démarche de recherche. La combinaison de ces trois composantes fondamentales a été pensée et mises en application par Pascal Troussier, responsable de la filière. Cet exercice peut répondre à des commandes d’institutions et de partenaires. En vue du renforcement des liens avec les sites qualifiants, toute proposition de collaboration sera la bienvenue et étudiée d’une année sur l’autre. C’est ainsi que Madame Sophie Albérola, responsable de la Circonscription d’action sociale du Bocage (Condé-sur-Noireau, Le Bény-Bocage, Saint-Sever, Vassy et Vire) a proposé cette année 2010-2011 un travail d’expertise sociale permettant d’envisager des « actions de prévention, d’insertion, et de traitement des difficultés sociales » sur le territoire de Condé-sur-Noireau. Ce sont certains éléments qui sont à l’origine de cette demande, notamment le « nombre de demandes d’aides financières et éducatives », les « changements fréquents de locataires du parc public » et la « difficulté de mobiliser les usagers sur des actions d’insertion (sociale ou professionnelle) ». Huit étudiants ont pu alors travailler cette commande afin de proposer une étude et un débat sur les bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active et les difficultés d’insertion sociale à Condé-sur-Noireau. Ils témoignent de cette « aventure » dans l’encadré ci-dessous. BARBE Valentin - BOULLAY Sarah - BROISSAND Lydie GODEMENT Johan - GONANO Hélène - GUEGUEN Sophie HENOT Christel - RENAULT Julien ème Étudiants Assistant de Service Social 2 année à l’IRTS de Basse-Normandie « En tant qu'étudiants en travail social inscrits dans une formation qualifiée d’alternance intégrative, nous devons être attentifs à relier la théorie d’une part, dont nous pensons (souvent à tort) qu’elle n’est dispensée qu’à l'IRTS, et la pratique d’autre part, que nous pensons aussi ne pouvoir rencontrer qu’en stage. D’ailleurs, il n'est pas toujours aisé de créer des liens entre ces deux entités, pourtant complémentaires, et certains travaux, très théoriques, attendent parfois plusieurs mois avant de trouver tout leur sens sur le terrain. Or, conduire une démarche d’expertise sous la mission du Conseil Général du Calvados, via la responsable de circonscription du Bocage, a facilité ce va-et-vient. Pour tous les membres du groupe, ce travail a d'abord été un choix. Celui de se confronter à une problématique territoriale réelle et de pouvoir réfléchir – en collaboration avec le mandataire – aux enjeux existants. Il a surtout été vu comme une possibilité de se saisir pleinement de la notion d'alternance intégrative, à ce moment charnière de notre formation qu’est la deuxième année, en mettant en œuvre une démarche d'expertise qui réponde à la fois aux attentes de l'IRTS, qui a pour vocation à nous former à l’Intervention Sociale d’Expertise, et aux nécessités et/ou volontés d’une institution sociale partenaire de parfaire ses pratiques auprès des usagers. En ce sens, la concrétisation d'un tel travail contribue à faire de notre formation une formation qualifiante. » Juin 2011 /N°3 Écho des revues / 9 Actualité du Sociographe … N°35 / Vieillir vieux, vieillir mieux ? En ce premier semestre 2011, sont sortis trois numéros : en janvier, « Racismes ordinaires ? » en mai, « Vieillir vieux, vieillir mieux? » et en juin, un numéro Hors-Série, intitulé « Morts sociales » La rencontre avec les auteurs de ce Hors-Série aura lieu le vendredi 30 septembre 2011, de 9 heures à 12 heures 30 à l’IRTS de Basse-Normandie. L’entrée est libre et gratuite. Paraîtront durant l’année scolaire 2011-2012 : en septembre 2011 : « Malaise dans la relation : les sentiments dans le travail social» en janvier 2012, « Mots dits : le travail social sur paroles » en mai 2012 : « Du sport dans le travail social » En plein chantier politique sur la dépendance, la vieillesse est encore perçue sous le prisme des déficits : incapacité, coût, perte d’autonomie… Pourtant sur le terrain, entre prescriptions politiques ambitieuses et prise en compte de la parole et des attentes d’adultes citoyens très âgés et de leurs aidants, se crée une autre dynamique de l’aide, du service, du souci de l’autre, de l’attention réciproque. Les travailleurs sociaux, dans leur métier comme dans leur formation, doivent intégrer ces nouvelles perspectives, où imaginaire et créativité tentent de réinventer des pratiques de gérontologie. En France et au Québec, zoom sur des discours humanistes et des pratiques volontaristes. Mais peut-on, pourra-t-on, malgré tout, vieillir vraiment vieux, mieux ? (les deux derniers titres sont provisoires) Un appel à auteurs est en cours et n’attend que vos propositions d’articles. Il s’agit de : « Pratiques et usages de drogues » qui arrivera à échéance le 5 décembre 2011. Vous pouvez télécharger l’appel à auteurs sur www.lesociographe.org CONTACT Corinne CHAPUT, Correspondante [email protected] du Sociographe – N°34/ Racismes ordinaires ? Il n'y a pas un racisme, mais des racismes. Ancien et toujours actuel, ils ne cessent de s'actualiser. Parce que certains tabous ont sauté, le racisme s’autorise même à revêtir les figures du bien-pensant et de la nécessité. La gestion des places et des espaces – du scolaire aux espaces dits publics – obéissent à des règles racialisantes ; ce processus de catégorisation tendant à légitimer une dynamique dangereuse. Les tensions communautaires, les modalités de gestion politique du racisme « classique » ne doivent pas masquer que la diffusion de la pensée racialisante est plus profonde, plus rampante, plus ambivalente. Ici, quelques tentatives pour démonter ces processus de « racialisations », pour déshabiller un racisme parfois « normalisé » tant ses formes sont ordinaires, tant le racisme peut paraître finalement banal. Hors série / Morts sociales Dans une société d’abondance, des personnes vivantes, en situation de pauvreté, d’isolement ou atteintes de maladies graves, sont symboliquement considérées comme mortes. La place accordée, aujourd’hui, à la mort interroge alors notre quotidien privé et professionnels, ainsi que nos représentations collectives. Pour dénoncer ces morts sociales, différentes thématiques sont déclinées : la fin de vie et les demandes d’euthanasie, la mort des sans abri, les institutions médico-sociales, les identités professionnelles, les traces, le marché de la mort, les rituels funéraires, la mort et l’immigration, la mort de l’animal. Accédez au sommaire …. Dernière minute… ! La première de couverture du n°36 : « Malaise dans la relation » Juin 2011 /N°3 Animation régionale / 10 Journée d’étude à l’IRFSS de Basse-Normandie 10 octobre 2011 - L’intervention d’un chercheur, Christophe PÉCOUT, sur les fonctions sociales du sport Christophe Pécout, Docteur en Histoire du sport, sera reçu le 10 octobre 2011, à l’IRFSS de Basse-Normandie, pour y présenter l’état des lieux de ses recherches sur les bénéfices que procure l’activité sportive sur les plans éducatif, sanitaire et social mais aussi sur les risques de déviance qu’elle génère. Il proposera une contribution au numéro 38 du Sociographe à paraître en mai 2012 (voir Actualité du Sociograpphe) et nous reviendrons sur ses travaux de manière plus complète à cette occasion. Dans cette attente, vous trouverez ci-dessous le résumé de l’exposé qu’il tiendra à l’automne prochain à Alençon. Le sport apparaît dans l’opinion publique comme une activité bénéfique. En ce sens, il occupe différentes fonctions dans la société. Une fonction éducative à travers l’éducation physique et sportive à l’école, une fonction sanitaire dans la lutte contre les maladies (sédentarité, obésité, Alzheimer), une fonction de bien-être social par son caractère dé-stressant, une fonction sociale par son pouvoir intégrateur, une fonction symbolique par son phénomène de starisation et d’identification. Cette communication aura donc pour objet, dans un premier temps, de présenter les fonctions sociales du sport. Néanmoins, la réalité sportive est complexe, c’est pourquoi l’exposé, dans le dessein d’être complet, abordera, dans un second temps, les déviances sociales liées au sport. Car si le sport est le plus souvent paré de vertus, il peut être aussi porteur de violence, de discrimination, de tricherie. Les thèmes abordés lors de l’intervention seront : Les grands paradigmes sociologiques et leur application au champ du sport : le structuralisme génétique (Bourdieu), l’individualisme (Boudon), la sociologie des organisations (Crozier) La sociologie des pratiques sportives : évolution des pratiquants et des pratiques, évolution des manières de pratiquer, distribution sociale des pratiques. La fonction éducative : Education Physique et Sportive à l’école, citoyenneté et sport La fonction sanitaire : lutter contre les maladies sociales (obésité) L’amélioration du bien-être social : stress, image du corps, esthétisme corporel Le sport, l’insertion et l’intégration sociale : apprentissage de valeurs, de normes Les fonctions symboliques : modèles d’héroïsme, d’identification La sociologie critique du sport : violence, déviance, discrimination, idéologie Journées d’étude à l’IRTS de Basse-Normandie Par Muriel LEBARBIER, responsable de l’animation régionale à l’IRTS de Basse-Normandie 11 octobre 2010 - Philosophie et travail social : Peut-on penser et agir aujourd’hui ? Cette journée d’étude est le fruit de belles rencontres : rencontre avec un philosophe très engagé dans son temps et dans les dynamiques d’action sociale : Miguel Benasayag, rencontre avec d’autres philosophes 15 normands extrêmement impliqués sur les dynamiques locales et intervenant, entre autres, à l’IRTS dans la formation des travailleurs sociaux, rencontre avec des étudiants particulièrement mobilisés et acteurs dans l’animation des ateliers de la journée, rencontre avec de nombreux professionnels à l’écoute et en quête de sens. La genèse de cette histoire remonte à une volonté de formateurs de l’IRTS et de la Direction de faire valoir la philosophie 15 Société Normande de Philosophie : www.snphi.org comme un des apports incontournables au sein des formations initiales et continues. Volonté renforcée par l’introduction de la philosophie comme contenu de formation lors des récentes réformes de différents Diplômes d’Etat). Volonté aussi d’offrir aux professionnels de terrain, inscrits dans des dispositifs de plus en plus nombreux et contraignants, dans des rythmes d’accompagnement et de travail effrénés, un espace de réflexion partagé. Dans cet esprit de croisement des savoirs (ou des non-savoirs comme dirait Miguel Benasayag), l’idée a alors été de mettre en place : le matin, des ateliers à partir de dix thématiques « agitant » le monde du social, avec une animation par un professionnel, un philosophe et 2 étudiants rédacteurs de la synthèse puis de (re)lancer le débat avec Miguel Benasayag l’après-midi. Altérité et subjectivité Puis-je prétendre à la connaissance de l’autre ? C’est avec humour qu’Hélène GaussotFautras, philosophe, et Pascal Brière, assistant de service social ont interpellé le public : « En tant que travailleur social, je suis un professionnel de la relation. Pour accompagner, éduquer et aider l’autre, il faut le connaître ; je fais un diagnostic de ses ressources et difficultés, au sein de son contexte de vie. De là, des pistes d’intervention sont proposées et explorées. Si elles amènent le changement souhaité, je les poursuis. Si ça coince, j’invente de nouvelles hypothèses, comme autant de lectures possibles d’une réalité qui m’échappe : celle de l’autre. Je dois identifier ses croyances, manières d’agir, de voir et de penser… mais il est réel, il me résiste. Zut, il a encore fait n’importe quoi, pas du tout ce qui était prévu ! Immergé dans la relation, j’ai à faire preuve d’empathie, car comment connaître quelqu’un sans être proche de ce qu’il ressent ? Mais ce que je lui attribue, c’est ce Juin 2011 /N°3 que j’ai moi-même éprouvé à son écoute … Alors celui que j’apprends à connaître, ne serait-ce pas plutôt moi ? Pourquoi cette situation me touche-t-elle particulièrement, alors qu’une autre, pourtant aussi dure, me laisse de marbre ? Peut-être ne connais-je de l’autre que ce à quoi je suis sensible, ce que je veux bien aller chercher, regarder ? Ou alors, n’ai-je accès qu’à ce qu’il veut bien me montrer, me dévoiler de lui ? Difficile de faire la part des choses entre ce qui lui est propre, et ce qui relève de ma perception personnelle…» Morale et loi Faut-il toujours obéir à la loi ? Aurélien Ollagnier, philosophe, et Elodie Dodard, éducatrice spécialisée, se sont interrogés avec les participants : « Peut-on ne pas obéir aux règles et aux prescriptions lorsqu’elles sont appréhendées comme une gêne à l’exercice d’une profession ? … La question est encore plus préoccupante quand il ne s’agit pas d’un désaccord entre théorie et pratique, mais entre des registres d’impératifs différents, comme entre la morale et la politique. Lequel prime alors ? » Ils remarquent par ailleurs que : « la loi fait aujourd’hui aussi bien l’objet d’une confiance que d’une défiance. Faut-il toujours obéir à la loi, à toutes les lois ? Le peut-on seulement ? Questions d’une brûlante actualité. » Engagement et militantisme Travailleur social, un métier engagement et militantisme ? entre Cet atelier a été animé par Olivier Chiche, philosophe, et Marie-Odile Goret, éducatrice spécialisée. Les débats, lancés après une présentation limpide, ont été denses. « S’agit-il ici d’engagement ou de militantisme ? La frontière qui les sépare demeure souvent indécise. Le militantisme, sans nul doute, est une modalité de l’engagement qui, historiquement n’est pas étrangère au développement de l’action et des politiques sociales. Cependant, le militantisme porte la question sociale au-delà des limites des cadres institutionnels d'intervention. L’engagement d’un travailleur social relève-til uniquement de son action professionnelle ? Son militantisme, au contraire, ne peut-il se réaliser que dans une forme d’action politique ? N’est-il que l’expression de sa conscience morale ? » Résistance et créativité. Conjuguer le collectif, un pari clinique Par Alexandra Vétillard, psychologue clinicienne, et Ingrid Gallienne, chef de service éducatif. « Les mises en œuvre de la pensée postmoderne envahissent nos espaces de vie, de travail, engendrant souvent fatalisme et désillusion pour nombre de professionnels du travail social et du soin. Que cela soit d'un point de vue sociétal ou institutionnel, les images et les représentations de la réalité comptent désormais davantage que la réalité elle-même (construite et empreinte d'historicité). Le langage, les concepts perdent alors leur sens au profit des amalgames, de la confusion, où priment l'image, l'instant et l'oubli de l'histoire. Comme si la pensée pouvait exister hors de toutes réalités culturelles et socioéconomiques, faisant table rase des traditions humanistes, démocratiques, républicaines, ou encore de la pensée marxiste et de toute la pensée du social. Au cœur d’une civilisation désidéologisée et morcelée, organisée par juxtaposition, le collectif est trop souvent nié voire considéré comme dangereux. » Ethique et responsabilité Comment bien agir ? C’est avec cette question d’entrée que Benjamin Ouedraogo, philosophe, et Amélie Coué, assistante de service social, ont introduit le débat. « S’il existe bel et bien une question dont la réponse ne va de soi, c’est bien celle-ci : comment savoir que mon action est le reflet du bien ou du juste, autrement dit comment juger de la bienfaisance de mon action ? Sur le plan de la morale kantienne, la question admet certes une réponse, selon l’impératif catégorique de la morale : « agis de telle sorte que tu puisses ériger la maxime de ton action en loi universelle ». Cependant, nous savons tous que cette morale est inopérante dans les faits… » Normal, pathologique et handicap Peut-on être autrement capable ? Jusqu’où penser la différence ? « Fous à lier, aliénés, possédés, illuminés, débiles, pervers, handicapés, limités… La liste est longue des vocables qu’on utilise pour désigner une partie de la population. Elle est sans doute révélatrice de notre positionnement par rapport à cette dernière. Nommer les choses et les êtres différemment au fil du temps, c’est sans doute les penser différemment. Et donc penser son rapport aux autres de manière différente. Quelle est la limite entre le fou (terme choisi volontairement, car vague) et moi ? Quelle est la nature de cette frontière, si frontière il y a ? Comment penser cette démarcation qui existe dans les mots, qui s’incarne dans la géographie et la toponymie de nos villes et institutions, qui façonne nos pratiques et l’image (souvent bien rassurante) de nousmêmes ? ». Ces contenus ont été abordés avec tact et conviction par Laurence Spies-Robbes, éducatrice spécialisée, et David Dubourg, philosophe. Animation régionale / 11 Subjectivité et objectivité Faut-il avoir peur d’être subjectif dans notre travail ? Ingrid Hayton, éducatrice spécialisée, et Bernard Montaclair, Docteur en Psychologie et Philosophe, ont « invité chacun à se poser la question, comme Jean Oury se/nous la pose traditionnellement partout où il passe : « Qu’est-ce que je fouslà ? ». Cette question est éminemment philosophique et banalement quotidienne. Le petit enfant la pose, quand il ose la poser. (La naissance… la mort…l’Autre…Qui suisje ?) Ses parents, ses éducateurs se la posent, sans le dire. Le psychanalyste Jacques Lévine, après Henri Wallon, affirme que l’humain est génétiquement philosophe, de par son état, dès sa naissance. Un être immature, jamais fini. Son drame et sa grandeur. Les origines, la finalité, le sens de la vie, sont sources d’angoisse, mais d’étonnements, de recherche. Les réponses sont des hypothèses, parcellaires, incomplètes, contradictoires. » Ethique et management Gérer des hommes et des professionnels, est-ce gérer des moyens ? Valérie Leys, directrice des formations à l’IRTS, et Fabrice Liégard, sociologue, sont utilement revenus sur la notion de management avant de développer une réflexion plus philosophique. « Le terme anglo-saxon de « management » s’est largement répandu dans le domaine de l’intervention sociale. Cette diffusion s’accompagne parfois d’une utilisation abusive : on ne « manage » pas sa vie, son couple, induisant de la confusion autour de ce terme ainsi qu’une certaine suspicion. Cette suspicion est renforcée par les affaires récentes qui mettent en cause la gestion des hommes dans les grandes organisations (cf. « Affaire France Télécom »). Dans ce contexte, l’articulation des deux notions, éthique et management, peut paraître abusive ou, au moins, susciter des réserves et des questionnements. On peut rencontrer, chez certains professionnels de notre secteur d’activité, l’idée selon laquelle quand on devient « manager » on quitte la sphère du travail social, donc de l’éthique. » Mort et souffrance Quelle place accordons-nous aujourd’hui à la mort ? Nadia Veyrié (docteur en sociologie) et Anne Chevalier (assistante de service social), formatrices à l’IRTS, ont animé cet atelier en proposant aux participants d’interroger à nouveau deux thèmes fondamentaux de la philosophie : la mort et la souffrance. Juin 2011 /N°3 « Dans une société où la performance, la vitesse et la consommation prédominent, quelle place accordons-nous à la mort ? Ainsi, pourquoi la mort et le mourir sont-ils camouflés et déniés ? Notre rapport à la mort, en tant qu’altérité radicalement effrayante, se doit effectivement d’être décrypté. Car le délitement de la dimension sociale face au mourir, à la mort et à la vieillesse met aussi en péril notre devenir humain. En interrogeant la mort, c’est alors la vie qui est source de réflexion. Comment les institutions prennent-elles en charge la douleur et la souffrance des personnes atteintes de maladies graves ? Le débat engagé avec les participants a permis de poser des mots sur le quotidien de travailleurs sociaux et de soignants face à la souffrance et à la mort ». Affectivité et rationalité Quelle peut être la place de l’empathie dans le travail social ? « Dans le travail social, l’affectivité a mauvaise réputation » ont d’emblée annoncé Frédéric Bisson, philosophe, et Florence Ribot, assistante de service social. « On se méfie des affects et des sentiments qui risquent de faire perdre au Animation régionale / 12 travailleur la neutralité censée marquer son professionnalisme, et ainsi de confondre la relation d’accompagnement social avec une relation d’attachement personnel. On se méfie de l’empathie qui menace la souveraine lucidité du sujet et qui, comme par contagion, le rend à son tour vulnérable et fausse ses décisions. L’homme qui souffre, lui-même, semble aujourd’hui ne plus vouloir de notre pitié, comme si elle lui faisait offense. « Tu me fais pitié » est devenu une insulte. Dans cette logique, la Raison nous protège contre les illusions et les impudeurs du Cœur, en nous faisant gagner en distance, en abstraction, en éclairant la pratique par la généralisation théorique ». Conférence-débat de Miguel Benasayag « Philosophe et psychanalyste, Miguel Benasayag est aussi un ancien combattant de la guérilla guévariste en Argentine, où il a passé plusieurs années en prison. Depuis son arrivée en France, à sa libération, il réfléchit inlassablement aux moyens de rester fidèle à l’exigence de liberté et de solidarité des luttes révolutionnaires passées, tout en tirant les enseignements de leurs échecs et de leurs errements »16. Les frontières de l’apartheid d’aujourd’hui Ce postulat renforcerait l’idée que notre époque est bien celle de la montée des frontières d’apartheid : le monde des « par-terre » et le monde des « debout » … C’est l’échec de l’homme normal. La crise actuelle ne serait que le reflet de la crise du projet de l’homme normal, celui qui est régi par la raison. La société actuelle est marquée par une puissance d’agir sans modèle référence à l’homme normal. Tout ce qui était auparavant caché (le pulsionnel, l’obscurantisme …) réapparaît et l’être humain est questionné : qui est-il ? Pour Miguel Benasayag, le travail social et les travailleurs sociaux sont confrontés en permanence à des doutes, à des questions, à des problèmes. Leur mission attendue serait de donner des réponses, souvent dans l’urgence. Dès lors, nous questionne-t-il, quelles pensées complexes peuvent-ils développer face à cette urgence ? Dans les temps anciens, l’homme est un homme à l’humanité inaccomplie. Doivent alors intervenir pour le faire naître à lui même : le colonisateur, le civilisateur, l’éducateur … « C’est vrai, l’autre n’est pas vraiment comme moi mais il peut y arriver si je l’y aide ». Il y a 30 ans, l’éducation avait pour objectif l’intégration (se hisser au mieux). Aujourd’hui, l’éducation est une promesse non tenue pour un futur menaçant. Le vécu immédiat des gens, c’est quoi ? L’insécurité et la peur. Et par rapport à cette insécurité, que fait-on ? Les réponses logiques et réactionnaires sont la sécurité qui tend à mettre des limites, des barrières, des barbelés. Sortir du culte de la réponse On écrase le symptôme. Les travailleurs sociaux seraient ainsi « coincés » par une sorte de « dur moi moral » les incitant à agir. Pourtant, s’il s’agit souvent de situations d’urgence, cela ne signifie pas qu’ils doivent eux-mêmes être dans l’urgence et que leurs réponses ne peuvent être qu’urgence. Mais il se dit et se « colporte » qu’un « bon » travailleur social est celui qui est dans l’action, qui est débordé et dans une « hyperactivité professionnelle ». Ainsi, le temps de la pensée ne leur serait pas accessible et dès lors, des frontières apparaissent. Il y aurait d’une part ceux qui « ont » les concepts : les sociologues, les philosophes, les psychologues … et qui, eux , peuvent penser et d’autre part, les autres : ceux qui ont la pratique. Comment ? Par exemple en installant des caméras de contrôle … ou en prescrivant de la Ritaline. On va rester tranquille, on n’a plus le droit de bouger ni même de s’agiter. Ainsi, on isole, on individualise, on diagnostique, on étiquette, on détermine et on discipline les désirs de l’étiqueté. L’étiquetage est réducteur … on se refuse « à se coltiner » l’incertitude. L’homme est reconnu sans qualité propre, il doit se mouler, se conformer à la société … au nom d’un principe de réalité. Mais quelle réalité ? A quoi donc peut bien servir l’autre ? Alors, que faire ? « Comment agir aujourd’hui dans une société où tout est possible ? » Dans l’Antiquité, la philosophie, ce n’était pas connaître, c’était vivre, vivre philosophiquement … Cette dichotomie, ancrée dans les esprits et les pratiques, pose une double ignorance entre deux mondes : celui des Travailleurs Sociaux affectés par les situations qu’ils accompagnent dans une expérience concrète et peu réflexive et les universitaires qui considéreraient ces expériences pratiques comme un savoir « sale », non conceptualisable … 16 Apprendre à apprendre, en oubliant ce que j’ai appris. Refuser l’idée d’une utilité immédiate et profitable pour moi et pour les autres RESISTER Résister à l’écrasement des symptômes. Résister à l’écrasement des conflits. Légitimer des temps de NON SENS face au sens unique néo-libéral. Se garder des moments de complexité. Accepter l’incertitude. Produire des questions, des doutes et surtout pas … de réponse. www.peripheries.net Juin 2011 /N°3 Animation régionale / 13 Accepter la différence : nous ne sommes pas pareils mais embarqués sur un même bateau ! Accompagner les gens pour qu’ils essaient de construire des savoirs sur leur vie Se méfier de la norme si elle s’apparente au dévoilement du bien. Prendre des risques et accompagner l’autre à en prendre si cette prise de risque vient aussi de ce qui est désirant chez l’autre. Accompagner les professionnels pour qu’ils construisent des savoirs sur leurs pratiques Pratiquer la négativité : « non, ça ne va pas ». La liberté, c’est déployer sa propre puissance dans chaque situation. Si on pense librement, on trouvera des choses valables. Croire dans les « micros-pouvoirs » collectifs. Faire surgir des pratiques concrètes solidaires ( faire ensemble à un moment donné) et en réseau pour favoriser le développement. « La liberté c’est : où que tu sois, tu peux agir ! » Partager avec l’autre (quel qu’il soit) le non savoir pour arriver au non savoir partagé. 11 avril 2011 D’après la conférence de M. Benasayag et avec les notes précieuses de Pascal BRIERE … 15 mars 2011 - Genre et travail social - L’analyse du genre pour décoder une réalité sociale La thématique du genre reste peu exposée et médiatisée en France. Alors que cette thématique est très explorée et traitée chez nos voisins du nord (Scandinavie, Danemark , Suède, Belgique …), la France reste un pays latin, peu enclin finalement à se préoccuper des effets de la 17 féminité et de la féminisation des pratiques et des métiers du social. Pourtant il nous semble que les « choses » bougent : quelques institutions se lancent dans l’organisation de journées d’études. Y aurait-il une prise de conscience que cette thématique sensible a des enjeux et des répercussions majeurs dans notre organisation sociétale et professionnelle ? Ainsi, la MiRe (Mission Recherche) de la DREES (Direction de la Recherche, de l’Evaluation, des Etudes et des Statistiques du Ministère de la Santé et des Sports) en collaboration avec l’ETSUP (Ecole Supérieure de Travail Social) a organisé en novembre dernier, une journée d’étude intitulée : « Parcours de vie & intervention 18 sociale : l’impensé du genre ». En région, les choses avancent aussi, modestement. L’IRTS a, lui, pensé le genre dans le cadre du programme ERASMUS. Ainsi, le comité de pilotage a invité deux conférenciers : Marie-Thérèse Coenen, historienne, intervenante à l’Université et à 17 « Féminisation = métiers historiquement et culturellement considérées comme féminins ; Fémininité = processus social et économique où des métiers, antérieurement masculins, sont devenus féminins car délaissés par les hommes ». F. Blondel, « Les métiers de l’aide sociale : travail de femmes ou exploitation des femmes ? » témoignage entretien avec Frédéric Blondel, sociologue, université de haute Alsace – http://avecegalité.com 18 Article du Journal de l’Action Sociale – mars 2011 la Haute Ecole en Travail Social de Louvain en Belgique et Marc Bessin , sociologue, chargé de recherche au CNRS, Directeur de l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS), et planifié huit ateliers réflexifs animés par des chercheurs et des professionnels du champ. Retour sur une journée dense. Présentation des deux intervenants Marie-Thérèse Coenen, titulaire d'une licence en histoire, est directrice du Centre d'Animation et de Recherche en Histoire Ouvrière et Populaire (C.A.R.H.O.P). Elle a récemment coordonné un ouvrage collectif compilant un certain nombre d’interventions présentées en juillet 2007, lors du deuxième congrès international des formateurs en travail social et des professionnels francophones, à Namur, 19 Belgique lançant le débat . Elle enseigne à la Haute Ecole Louvain en Hainaut (HELHa) au sein de l’institut Cardijn à Louvain-laNeuve. Elle est, par ailleurs, conseillère de formation et présidente de l’Université des femmes et du groupe Josaphat de Bruxelles. Marc Bessin a mené des recherches sur les soins en prison, la justice des mineurs, ou la "parentalité tardive". Il poursuit actuellement des recherches sur les enjeux de sexuation dans le travail social. Il y développe une sociologie de la présence sociale qui analyse les capacités de temporalisation des activités auprès d’autrui. Les approches du care et du genre permettent d’apporter de nouvelles perspectives pour la sociologie de la protection sociale et de l’intervention pour autrui. Plus largement, il s’agit de s’interroger sur ce qu’il advient de l’État social quand les politiques de la présence et de l’individu tendent à remplacer les 19 www.congres2007.org politiques de protection. Il dirige L’IRIS 20 . Conçue en deux temps (conférences le matin 21 et huit ateliers réflexifs l’après midi) cette journée d’étude mérite que l’on s’y attarde quelque peu. Que retenir de ces interventions ? Etymologie et histoire abordées par les conférenciers D’origine Anglo - Saxonne « gender », le concept a été traduit en français par « le genre ». « Le genre a d’abord la valeur latine de « catégorie, type, espèce » . C’est l’idée 20 Iris - EHESS, 190 avenue de France 75244 Paris cedex 13 - Tél. : 01 49 54 25 59 21 « Le travail social n'échappe pas à la dualité du genre humain que ce soit du coté des professionnels ou des personnes concernées par l'intervention. Il est constitué de métiers fortement sexués avec une main-d’œuvre largement féminine qui opère sur des sujets sexués. Le travail social n'est pas au dessus de tout, neutre et abstrait. Il est encastré dans une histoire qui traverse aussi bien les institutions que la société dans lequel il s'exerce. Il est le reflet de son temps et en particulier des politiques qui le façonnent, à leur image et à leur ressemblance. » de MT Coenen / « la division sexuée du travail social à l’epreuve de l’esprit gestionnaire. Pourquoi la division sexuée du travail social demeurent un non dit de ce secteur professionnel ? Il s'agit pourtant d'un milieu très féminisé et dont les activités s'appuient bien souvent sur des stéréotypes sexués pour appréhender leurs usagers. On tentera de répondre à cette question en analysant les processus de rationalisation du travail social, aujourd'hui à l'œuvre avec l'esprit gestionnaire qui domine les transformations du secteur. On observera les ambivalences des professionnel/les face à cette évolution qui est traversée par des enjeux de sexuation. » M. BESSIN. Juin 2011 /N°3 générale de regroupement de catégorie qui domine. Genre s’emploie en philosophie au sens « d’idée générale d’un groupe d’êtres ou d’objets ayant des caractères 22 communs ». Ce mot « fourre-tout » ne traduit cependant pas son amplitude réelle. Cette traduction politiquement correcte évite tout simplement d’utiliser le mot sexe, trop connoté « marxiste » et polémique. « Pourtant, cet outil, véritable grille de lecture du social, permet de sortir les 23 femmes du silence de l’Histoire » . Il nous oblige à prendre acte du fait que les différences biologiques sont, certes naturelles, mais transmises et renforcées par le culturel, l’éducation et que les rôles sociaux hommes / femmes, « naturellement » attribués aux uns et aux autres, sont enfermants. Un petit retour en arrière nous permet de constater que l’origine du travail social s’inscrit dans le développementd’œuvres charitables où des femmes, philanthropes et issues de la bourgeoisie, sont très présentes, trouvant ainsi un champ d’occupation « honorable », socialement attendu. Ainsi, les métiers de l’intervention pour autrui sont historiquement et socialement assignés du côté des femmes à qui l’on prête des qualités intrinsèques de sollicitude, d’attention à l’autre, de disponibilité, de présence sociale, d’assistance à autrui, d’écoute et de bienveillance. La dimension religieuse et morale a été fondamentale dans ces choix de société. Les femmes exerçaient leur fonction maternelle dans un souci de contrôle. Au nom des valeurs familiales et maternelles, il fallait éduquer et socialiser les femmes des ouvriers et leur descendance, dans une acception hygiéniste et médicale. Ces enjeux assignés se retrouvent dans les dimensions pratiques (le soin…) et morales (valeurs de l’aide…) et aussi dans les formations. Et les formations ? La formation est, à ses débuts, une professionnalisation de la charité élargie mais c’est aussi un moyen stratégique que s’arrogent les femmes face à leur rejet des sphères politiques. Intervenir auprès des populations les plus pauvres, les plus marginalisées et stigmatisées devient un enjeu et un défi politique. Pourtant les formations sont, dés l’origine, en tout cas en Belgique, mixtes, ne serait-ce que parce que les mouvements ouvriers syndicaux ont un besoin criant de cadres. Les jeunes hommes quittent ainsi rapidement la formation, sans passer les certifications : des postes syndicaux leur sont dores et déjà réservés. Aujourd’hui, les femmes sont surreprésentées dans les filières de formation. A l’IRTS de Basse-Normandie, les dernières statistiques des étudiant(e)s en cours de formation sont sans appel : certaines formations restent ultra féminisées comme celles des Techniciennes de l’Intervention Sociale Familiale (100% jusqu’en 2007) les CESF (93.14%)) ou encore traditionnellement les Assistants de Service Social (90 %). Les Educateurs Spécialisés, dont on pouvait penser encore à une certaine masculinisation, n’échappent pas au 24 mouvement : 77% sont des étudiantes. A contrario, les Educateurs Techniques Spécialisés très féminisés en 2006 (61%) inversent la tendance deux ans avec un pic en 2009 à 81% d’hommes inscrits. Ce fut l’objet de l’atelier «La construction d’une identité professionnelle comme étudiant masculin dans des formations et des professions féminines» animé par Arnaud Hubert, étudiant Assistant de ème Service Social de 2 année et Gracia Batista, formatrice à l’IRTS. Les stéréotypes sexistes de genre fonctionnent à fond et pourtant les pratiques sexistes ne sont jamais analysées comme telles. Les rôles sexués sont appréhendés à partir d’un paradigme dichotomique s’appuyant sur des schèmes de pensée polarisés : D’un côté, une polarité masculine avec des notions accolées comme : la raison, le privé, le politique, le professionnel, la théorie, l’impartialité, la distance, le savoir, l’autorité, la vitesse... De l’autre, une polarité féminine basée sur : l’affectif, le public, la morale, le profane, le pratique, l’arbitraire, la proximité, le savoir – être, l’émotion, la famille, l’anticipation, l’engagement dans la durée, la capacité à temporiser … Derrière cette dichotomie intégrée, se profile aussi la question de l’assignation des rôles sexués liés à une hiérarchie de l’ordre de la domination masculine. Aux hommes concepteurs et dirigeants de prendre les directions et le pouvoir dans les 25 institutions . Propos qui furent repris dans l’atelier « Discriminations en tous genres » présenté Nadia Veyrié, docteur en sociologie et Corinne Chaput, responsable du PREFAS, à partir de textes édités par la revue le Sociographe. Dans cet atelier le féminin, le masculin et la sexualité ont été interrogés à partir de textes parus dans les n° 31 et 34. Comment, par exemple, les discriminations envers les femmes et les plus démunis ou entre les générations sont-elles 24 22 Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey 23 Marie Thérèse Coenen un document statistique complet et commenté est en cours d’élaboration par l’IRTS et la Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire (CRESS) 25 Marc Bessin Animation régionale / 14 présentes dans les imaginaires contemporains ? Ensuite, un échange a été engagé sur les liens possibles entre ces imaginaires et la réalité : la prostitution, la fonction d’assistant sexuel et autres sujets à débat. Aujourd’hui, les métiers de la relation d’aide sont féminisés à 97 % 26 On constate que, plus les établissements sont proches d’un modèle éducatif, scolaire et professionnel, plus le taux d’hommes est accentué, tandis que dans les structures médicales ou liées au handicap, les personnes âgées ou la petite enfance, les personnels sont essentiellement et majoritairement féminins : « les soins et la 27 souillure éloignent les hommes ». Par exemple, construite au départ dans un registre d’autorité plutôt masculin, la profession d’Educateurs (éducatrices) Spécialisé(e)s se féminise davantage. Et si les institutions sont attentives à la mixité dans les équipes, cependant, elles ne sont pas neutres dans la gestion de leurs effectifs. Souvent, selon des raisons inavouables, certaines embauches vont privilégier les hommes : ce qui reste contraire à la loi. Ou vont refuser l’embauche de femmes : « risques de grossesse », gestion des absences pour enfants malades… Ou, encore, vont privilégier la mixité pour aider les « aidés » à sortir par le haut et avoir des modèles identificatoires pluriels. Un homme éducateur dans un foyer d’accueil de femmes victimes de violences conjugales peut apporter une image positive des hommes. Ce sera d’ailleurs le propos tenu l’après-midi dans l’atelier « la féminisation du métier du social et ses effets sur une pratique » par Paul Hairon, Educateur Spécialisé au CHRS Louise Michel dans la Manche, en compagnie de Dominique Devieilhe, formateur à l’IRTS et dans une autre acception par Ronan David, doctorant en sociologie et attaché de recherche et d’enseignement à l’université de Caen dans l’atelier « Adolescence, genre et sexualité a l'époque de l'hypersexualisation». Prochainement, ce sera également l’objet d’une publication de recherche conjointe 28 CRESS et IRTS . Certains intervenants sociaux jouent avec conscience de la différence biologique 26 F Blondel, sociologue in site internet cité « Dés l’origine de l’humanité : identification des soins à la femme », Marc Catanas, Cadre de santé formateur - Infirmier DE - Responsable du comité de rédaction de cadredesante.com 27 Juin 2011 /N°3 On peut assister à une connivence toute masculine ou féminine où les intervenants sociaux vont chercher à s’appuyer sur une figure maternelle ou paternelle…. Dans leurs pratiques, les intervenants sociaux ont intégré le risque plus important que courraient les filles et ainsi seraient dans un système de surprotection de ces jeunes filles. Les exigences éducatives et d’accompagnement sont beaucoup plus fortes à l’égard des filles ! Par exemple, pour un même type de délit, on va séparer la jeune fille de son milieu pour mieux la protéger (placement en foyer, en famille d’accueil …) et on ne prévoira pas du tout ce type de mesure éducative pour un garçon… Autre exemple, dans une même institution accueillant des personnes en difficultés, il y aura un foyer femmes et un foyer hommes : chacun d’entre eux aura un règlement spécifique afin de favoriser l’insertion sociale et professionnelle : pour les femmes est mis l’accent sur les occupations à avoir au sein du foyer d’accueil : partage des tâches ménagères, des repas, accompagnement éducatif pour aller chercher les enfants à l’école … pour les hommes, l’insertion passera par le respect du règlement, des horaires … Le contrôle sera informel pour les femmes et formel pour les hommes… Ces thématiques auront été traversées lors de l’atelier « La prévention et lutte contre les discriminations liées au sexe : un levier pour l’insertion sociale et professionnelle » présenté par Thérèse Bazhere et Magali Doron du Planning Familial 14 et animé par Danielle Villette, formatrice à l’IRTS. En conclusion Bien qu’au niveau des politiques, le Fonds Social Européen, par exemple, incite à la mixité et oblige à une certaine ouverture, les stéréotypes de genre marquent encore fortement l’intervention sociale. Les institutions restent marquées par l’histoire sexuée des professions. Le secteur produit toujours des modèles maternalistes ou patriarcaux et entraîne ainsi un mécanisme d’exclusion et d’inégalité entre les femmes et les hommes. Les métiers du social ont un genre qui est féminin, les carrières se déclinent au masculin. Dans les formations, à l’heure actuelle, la question du genre n’est pas du tout abordée alors que la question même des discriminations et des diversités ont leurs lettres de noblesse. Pourtant, faire l’analyse du genre n’est pas faire du féminisme mais oblige à regarder différemment et à promouvoir l’équité entre les femmes et les hommes et finalement à porter à terme un certain changement social. Finalement, c’est ce qu’auront abordé à Animation régionale / 15 Charlotte Letellier, Docteur en Sociologie l’université de Caen, et Nathalie Gaumer, formatrice à l’IRTS dans un atelier très original : « Genre et démocratisation au Venezuela : une approche méthodologique et analytique, de l’observation de la vie publique aux récits sexuels de la vie privée ». Ces enjeux liés au genre sont prédominants dans nos institutions… Cette journée d’étude n’aura été qu’un prémice d’un sillon qu’il faudra continuer à creuser. Pour aller plus loin encore : Genre et travail social, travailler le social et chronique féministe, collectif sous la direction de MT Coenen, N° 41/2008, université des femmes Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’évènement , dir. Bessin M.Biadart C et Grosseti M. , La découverte, Coll. recherches, Paris 2010 Les métiers de l’aide sociale : travail de femmes ou exploitation des femmes ?, témoignage entretien avec Frédéric Blondel, sociologue, université de haute Alsace – http://avecegalité.com « Cachez-moi ce genre que je ne saurais voir .. » Brigitte Bouquet, professeure, titulaire de la chaire travail social-CNAM, http://www.cainr.info/artcile_p.php,Id 12 avril 2011 – Mardi de l’IRTS spécial « Traces tsiganes » Ces séquences pédagogiques ont été pensées par un groupe de pilotage, constitué de formateurs et d’étudiants en formation, sous forme d’« ateliers rencontres » avec des professionnels, des experts, des élus, des bénévoles mais aussi des usagers. Ce sont des temps d’échanges, certes destinés aux étudiants issus de toutes les formations dispensées à l’IRTS, mais aussi à un large public intéressé par les thématiques proposées. Les Mardis de l’IRTS de Basse-Normandie Ces ateliers thématisés se déroulent chaque deuxième mardi du mois, de novembre à avril avec la volonté de valoriser des pratiques innovantes, de favoriser la rencontre des personnes, des projets, des actions, des spectacles... au niveau régional, et de provoquer une réflexion professionnelle différente sur les « autres façons de travailler » le Social. Il s'agit donc de promouvoir des initiatives et qu'à leur tour, sur les terrains, en stage mais aussi dans leur future pratique professionnelle, les étudiants s'autorisent à se lancer dans des dynamiques de travail social originales et participatives. Le comité de pilotage a choisi, après consultation des étudiants, de thématiser chaque Mardi sur une programmation annualisée et en lien avec des événements locaux et/ou nationaux. Ainsi en 20102011, ont été abordés : la grande pauvreté et les exclusions (dans le cadre de la journée nationale du refus de la misère), le handicap (journée international du handicap), les violences faites aux femmes (journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes et droits des femmes), la francophonie, la langue et le patrimoine, le logement social, les discriminations. Par ailleurs, grâce à un partenariat local solide avec l’Association pour une Citoyenneté Active entre les Sédentaires Et les Voyageurs (ACASEV), depuis plusieurs années, l’IRTS consacre chaque dernier Mardi de l’IRTS à la communauté tsigane. Pourquoi ce lien étroit ? La Basse-Normandie accueille une nombreuse communauté de gens du voyage, sédentarisée, ou en voie de sédentarisation, mais aussi de passage. La situation est décrite comme catastrophique car pour l’ACASEV, entre autres, « on assiste à une volonté politique et institutionnelle de remettre les gens du voyage dans les dispositifs Juin 2011 /N°3 de droit commun sans tenir compte des droits spécifiques de cette population ». Si les relations se passent bien (quand il y a entrée en relation), les travailleurs sociaux se mettent eux-mêmes des barrières, notamment à cause d’une méconnaissance certaine de la population de ses droits, de ses singularités et éprouvent des difficultés à mobiliser des outils et des solutions adéquats en matière de scolarisation, de logement, d’insertion par l’économique, d’assurance. De fait, très peu de travailleurs sociaux osent aller vers cette population. Animation régionale / 16 voyage inscrits au CNED (Centre National d’Enseignement à Distance) à raison de quelques heures par semaine avec un accompagnateur scolaire dédié. Intervenante : Sylvie Trochu, Principale du collège et un enseignant. L’expérience d’un Camion Ecole itinérant dans le département de la Manche, une initiative de l’Association pour la Scolarisation des Enfants Tsiganes vivant en roulottes . Intervenants Olivier Desheulles, enseignant et un administrateur de l’ASET (Aide à la Scolarisation des Enfants Tsiganes). Et l’accompagnement pour une réussite scolaire en lien avec les écoles et les familles au travers de l’exemple du Relais scolaire à Caen. Intervenante : Pascale Houdan. Les intérêts mutuels d’une coopération vont donc de source : Valorisation ; connaissance et reconnaissance mutuelle ; structuration et mise en synergie des réseaux locaux existants. Traces tsiganes Cette année, nous avions axé les ateliers sur la question de la scolarisation des enfants des voyageurs. En effet cette question est cruciale pour les gens du voyage d’une part et pour les intervenants éducatifs et sociaux d’autre part. Nous remarquons qu’il est extrêmement difficile de quantifier le nombre exact d’enfants scolarisés. Il est tout aussi difficile pour l’Éducation Nationale de préciser le taux de scolarisation des enfants du voyage. «S’il lui est possible de rendre compte du nombre d’élèves que l’on trouve dans les classes (sauf lorsque les parents sont sédentaires), il lui est en revanche impossible de dénombrer les élèves non scolarisés. Dans cette étude, il est relevé que les plus jeunes enfants du voyage sont de plus en plus scolarisés en maternelle, mais cette préscolarisation reste encore largement insuffisante pour favoriser une scolarisation performante. De plus, des études plus précises sur les taux de scolarisation comparés au positionnement des aires de stationnement démontrent des inégalités importantes en fonction des lieux. « Les voyageurs restent très attachés à quelques lieux, peu nombreux, qu’ils considèrent comme "leur école". Tous les enseignants notent un grand retard scolaire des enfants du voyage qui arrivent sur des scolarisations occasionnelles ». (Étude de 2002, le Comité Régional de Coordination de l'Observation Sociale : CRCOS - site internet : basse-normandie.sante.gouv.fr) ». Lors de ce Mardi de l’IRTS, Sébastien Bertoli, vice-président de l’ACASEV et Joseph Le Prielec, chargé de formation à la Fédération Nationale des Associations Solidaires d'Action avec les Tsiganes et les Gens du voyage (FNASAT) ont animé un premier temps de conférence intitulé : « Gens du voyage : une identité à multiples facettes », suivi d’un propos introductif : « La question des apprentissages dans le monde du Voyage, un rapport aux savoirs comme reflet du rapport des Voyageurs au monde sédentaire. Une problématique culturelle, sociale, politique et pédagogique. » 4 ateliers ont ensuite permis de présenter aux participants diverses expérimentations : Un « apéro » dînatoire et un concert de jazz manouche ont clos cette journée au cours de laquelle nous avons également proposé la visite guidée de l’exposition « Une mémoire française. Les Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale, 1939-1946 ». Une table de presse, organisée par le Centre de Ressources Documentaires de l’IRTS, a permis d’offrir une large palette d’apports informatifs et théoriques … A retenir La programmation des Mardis de l’IRTS est en cours d’élaboration est sera disponible sur le site internet dès la rentrée de septembre, mais notez dores et déjà les dates : 8 novembre 2011 13 décembre 2011 10 janvier 2012 7 février 2012 13 mars 2012 3 avril 2012 : Traces Tsiganes : l’insertion professionnelle des voyageurs L’entrée est libre et gratuite, sous condition d’inscription préalable. Contact : Muriel Lebarbier, Responsable de l’animation régionale Tél. 02 31 54 42 22 - [email protected] Une pédagogie adaptée en milieu ordinaire, l’exemple de l’École maternelle et primaire des Cormorans. Cette école située à proximité du terrain d’accueil des gens du voyage de Caen (Boulevard Poincaré) accueille depuis des générations des enfants de cette aire. Intervenante : Sophie Rachel, Directrice de l’école. Un accompagnement à l’intégration scolaire, l’exemple du "Dispositif enfants du voyage" du Collège Guillaume de Normandie. Le dispositif accueille des adolescents du Juin 2011 /N°3 Juin 2011 #3 Direction de la publication : Maquette: Jean-Michel GODET, Directeur Général de l’IRTS de BasseNormandie et Christine COURTY, Directrice de l’IRFSS de Basse-Normandie www.aprim-caen.fr Comité de rédaction : Annick BELZEAUX, Corinne CHAPUT, Fabienne FRECHON, Gaëlle MÉDOT, Marie HAUGMARD, Marie-Thérèse SAVIGNY, Nadia VEYRIÉ Secrétariat du PREFAS : Corinne GENDROT, assistante - Laurence CONRY, Secrétaire à l’IRTS de Basse-Normandie Responsable de la Communication : Irène BOUDARD – IRTS de Basse-Normandie Mise en page : Irène BOUDARD – IRTS de Basse-Normandie Publication annuelle : IRTS – BP 10116 – 14204 Hérouville Saint-Clair Cedex Tél. 02 31 54 42 00 - Fax 02 31 54 42 10 Internet : www.irts-bn.asso.fr Contact KYRIELLE Corinne CHAPUT, responsable du PREFAS Basse-Normandie IRTS de Basse-Normandie- 11 rue Guyon de Guercheville BP 10116 – 14204 Hérouville Saint-Clair Cedex Tél. 02 31 53 19 96 - Fax 02 31 54 42 10 - [email protected] - www.irts-bn.asso.fr Juin 2011 /N°3