les enjeux culturels et interculturels du nouvel espace mediatique d
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les enjeux culturels et interculturels du nouvel espace mediatique d
Thierry LANCIEN Institut des Sciences de l’Information et de la Communication. ISIC Université Michel de Montaigne. Bordeaux 3 Equipe de recherche IMAGINES. Images, histoire et société LES ENJEUX CULTURELS ET INTERCULTURELS DU NOUVEL ESPACE MEDIATIQUE D’INTERNET Le développement des médias d’information sur Internet amène à se demander si ce nouvel environnement est susceptible de favoriser, notamment auprès de publics étudiants, une compétence médiatique interculturelle et ce en comparaison avec ce qui a pu se passer avec la télévision. L’INTERNATIONALISATION MEDIATIQUE Le cas de la télévision Depuis les années quatre vingt et l’apparition des satellites de transmission directe, la télévision n’a cessé de s’internationaliser selon différents schémas qu’il est important de rappeler ici pour les comparer à ceux d’Internet. Nous avons proposé ailleurs1 de distinguer quatre grandes configurations géographiques en ce qui concerne l’internationalisation de la télévision. Tout d’abord certaines chaînes, comme CNN, ont une ambition planétaire et la chaîne lancée en 1980 par Ted Turner couvre aujourd’hui 142 pays et touche 133 millions de foyers. L’on rencontre ensuite une série de chaînes qui ont des vocations internationales qui peuvent présenter de sensibles variations (linguistiques, de programmes, de modes de diffusion). TV5 revendique la première place dans cet ensemble avec une réception dans 70 millions de foyers, grâce à huit satellites de transmission. Lancien Th., L’information transnationale :problèmes de conception et de réception in (dir) Mouchon J., Massit-Folléa F., Information et démocratie, ENS Editions, 1997. 1 De son côté BBC Worlwide Television aurait une audience de 43 millions de foyers répartis dans les principaux continents, tandis que la chaîne allemande Deutsche Welle TV n’est reprise à l’heure actuelle que par un plus petit nombre de satellites. A côté de ces chaînes à vocation internationale, d’autres chaînes ciblent des zones géographiques bien précises. Un bon exemple en est la chaîne espagnole Hispavision qui diffuse en clair, à raison de six heures par jour, un programme spécifiquement destiné au continent américain et dont l’audience serait de 83 millions de foyers. L’on pourrait aussi classer dans cette catégorie, même si les “bassins” et les audiences visés sont beaucoup moins importants, les chaînes qui s’adressent à des diasporas en Europe (chaînes turques sur les deux satellites Eutelsat, polonaises sur Eutelsat 2F1, marocaine ou algérienne sur Eutelsat 2F3) ou dans le monde (chaîne irlandaise s’adressant aux Irlandais de GrandeBretagne, des Etats-Unis et d’Australie). Enfin la quatrième configuration correspondrait aux chaînes qui prétendent avoir en commun et, en fonction de leur identité, une vocation géographique particulière. C’est le cas bien sûr de l’Europe et il peut alors s’agir, soit de regroupements autour d’intérêts communs, soit de mise en place de chaînes paneuropéennes. Dans le premier cas, les chaînes satellitaires des services publics européens (TV5, Deutsche Welle, BBC World Rai Sat, RTVE1, RTPI, Arte) se sont par exemple regroupées depuis 1991 dans une instance de concertation baptisée “groupe de Bruges” pour tenter de résoudre un certain nombre de problèmes communs, tandis que dans le deuxième cas, Euronews représente la tentative de proposer une télévision européenne transnationale alimentée par les différents programmes d’information des dix sept pays membres, tandis qu’Arte, pour le moment bi-culturelle, cherche à construire une télévision culturelle européenne. Les configurations linguistiques A côté des quatre grandes configurations géographiques évoquées précédemment, il nous semble qu’on peut repérer six configurations linguistiques transnationales: les chaînes en langue étrangère (CNN), les chaînes véhiculant ce qu’on appelle dans le cadre de la francophonie une “langue de partage” (TV5, Drei Sat, BBC), les chaînes traduites dans une langue cible (Discovery Channel, NBC traduites par exemple dans les langues européennes de réception), les chaînes doublées (Eurosport), les chaînes bilingues (Arte) et enfin les chaînes en langue maternelle (chaînes de diaspora, chaînes nationales transnationalisées). Les configurations thématiques S’il existe des chaînes généralistes transnationales à vocation internationale (TV5. BBC), à vocation plus continentale (TV3 chaîne privée généraliste scandinave diffusée sur l’Europe du Nord par Astra) ou simplement à vocation tranfrontalière (France 2, TF1 sur Telecom 2B), la tendance à proposer des chaînes thématiques internationales semble se confirmer. Les meilleurs exemples pour l’Europe en sont sans doute Discovery Channel (chaîne documentaire américaine ), MTV Europe (chaîne musicale britannique sur Astra) ou encore Eurosport (Astra 1B). En ce qui concerne l’information, on peut tout d’abord remarquer qu’elle est fortement présente sur les chaînes à vocation internationale (30% sur TV5, 70% sur BBC, 34% sur Deutsche Welle TV) et qu’elle tend à devenir pour ces mêmes chaînes un enjeu plus spécifique. Ainsi BBC propose en Europe une chaîne d’information (BBC World sur Eutelsat). Dans le domaine des chaînes thématiques, l’on assiste aussi à une percée de l’information. Euronews, lancée en 1993 et diffusée par Eutelsat, revendique une audience de vingt millions de foyers sur l’Europe et devrait faire partie trés bientôt du bouquet numérique TPS. D’autres chaînes d’information qui ont d’abord une visée nationale peuvent être reçues de manière tranfrontralière grâce aux satellites qui les transportent (Ntv en Allemagne, LCI en France et Sky News en Grande-Bretagne). Le cas d’Internet Si l’on compare l’internationalisation télévisuelle à celle que peut opérer Internet, certaines constatations s’imposent. Du côté des configurations géographiques, les catégories proposées à propos de la télévision restent valables du côté des acteurs et des sites puisque toutes les chaînes évoquées précédemment sont présentes sur Internet. Là où les choses changent, c’est évidemment en termes de réception puisqu’Internet internationalise et transnationalise par nature tous les sites. Les limites des réceptions satellitaires, sautant du même coup, tout internaute devient potentiellement récepteur de tout média quel qu’ait été au départ le public cible de celui-ci. En ce qui concerne les configurations linguistiques, elles sont elles aussi fortement transformées puisque de nombreux sites de médias vont proposer des versions multilingues. De nombreux sites médiatiques se retrouvent pourtant transnationalisés dans leur langue d’origine, ce qui représente bien sûr un grand intérêt pour les personnes qui apprennent la langue en question. De plus en plus donc, la question de l’accès à l’information, de sa reconnaissance et de son interprétation à l’échelle internationale ne dépend pas uniquement de facteurs linguistiques mais tout autant de facteurs culturels et interculturels. UNE COMPETENCE MEDIATIQUE INTERCULTURELLE EN ACTION Pour tenter de comprendre si l’internationalisation médiatique d’Internet peut favoriser la mise en place d’une compétence médiatique interculturelle, il convient d’abord de préciser ce que l’on peut entendre par compétence médiatique. Nous avons dèjà abordé cette question2 en avançant qu’il s’agit d’abord d’avoir conscience que toute information relève d’une construction sociale3 et renvoie donc à un point de vue sur le monde porté par les différentes instances d’émission de l’information. Lancien Th., Le journal télévisé. Construction de l’information et compétences d’interprétation, Didier, 1995 3 Veron E., Construire l’événement, Editions de Minuit, 1980. 2 Cela est vrai même si les chaînes internationales tendent précisément à occulter cela, par exemple à travers l’information en continu, le direct, pour tenter de produire de la coprésence, de la transparence qui feraient oublier les processus de construction. Dominique Wolton4 a d’ailleurs bien montré que le fait de laisser croire, comme le fait par exemple CNN, que tout événement peut devenir de l’information est un déni de ce qui fonde le journalisme occidental car « c’est une partie de l’essence du métier de journaliste qui est remise en cause puisque au lieu de choisir, trier, hiérarchiser, éliminer parmi les événements ceux qui deviendront des nouvelles et des informations », le journalisme du « monde en dirct » se transforme « en simple chef d’aiguillage ». Dès lors, toute compétence médiatique se construit autour de la reconnaissance de ce qui organise l’information en tant que processus discursif et social. Rappelons qu’il s’agit essentiellement des pôles d’intérêt propres à une société, des critères de choix retenus par les journalistes, des spécificités des médias considérés et des représentations que les journalistes se font des publics cibles. A partir de là, la compétence médiatique5 va supposer que le récepteur soit capable de se livrer à des opérations de reconnaissance de l’information (par identification, dénotation référentielle) puis d’interprétation, capacité à contextualiser, à mettre en rapport, à faire des déductions à partir de différents indices culturels. DES SPECIFICITES TELEVISUELLES A CELLES D’INTERNET Par rapport à ce que pourrait être une compétence médiatique dans un contexte d’internationalisation, le rôle de la télévision comparé à celui d’Internet doit être abordé sous différents angles : celui de la différence entre flux et stock, celui des dispositifs Wolton D., War game, Flammarion, 1991. voir notamment : Lancien Th., Le journal télévisé. Construction de l’information et compétences d’interprétation, Didier, 1995. 4 5 (énonciation et médiation), celui des discours visuels et donc à chaque fois celui des compétences ainsi mises en jeu. L’effacement de l’énonciation Du côté des dispositifs, il est intéressant de constater que certaines chaînes de télévision pratiquent un certain effacement de l’énonciation à travers des journaux télévisés tout en images, des brèves ou des flashes eux aussi en images. L’effet recherché est celui de la transparence. Il s’agit en fait de faire croire au téléspectateur que l’information lui est facilement accessible et que l’image à elle seule peut lui donner accès au référent de l’information. On retrouve sur Internet de mêmes tendances6 avec des informations qui sont en fait des dépêches d’agence, qui se présentent sans commentaires, sont peu rédigées et souvent aussi peu rubriquées. L’effet visé est aussi celui de la transparence, cher à Internet. Le réseau, nous suggère-t-on, nous donnerait un nouvel accès à l’information, plus spontané et plus neutre, comme le suggèrent aussi les acteurs des radios ou des chaînes d’information en continu. En fait, en termes de compétence médiatique, l’effacement de l’énonciation risque plutôt de poser des problèmes au récepteur puisqu’il supprime des éléments de médiation et de contextualisation nécessaires à la compréhension des informations. L’énonciation marquée : la mono énonciation Les journaux télévisés nationaux qui sont transnationalisés grâce au satellite, présentent ce que l’on pourrait appeler une mono énonciation marquée. Le recours au présentateur comme garant de la médiation est ici la figure inverse du journal tout en images. Ce n’est plus la transparence qui est mise en avant mais la prise en charge de l’information par le médiateur. Lancien Th., L’information journalistique au risque du numérique in Thonon M., (dir), Médiations et médiateurs, MEI, n° 19, 2004. 6 On retrouve ce type d’énonciation sur les sites médiatiques nationaux d’ Internet dans tous les journaux télévisés de ce type mais aussi dans les sites de presse nationaux lorsque les articles sont signés et assumés en tant que tels. Dans le cas de la télévision, la compétence médiatique est ici fortement mobilisée du côté de l’interculturel puisque le récepteur doit être en mesure d’interpréter des informations certes soumises à une médiation mais pas à une confrontation d’interprétation. Les choses sont en fait assez différentes sur Internet puisque par le jeu des liens, l’internaute a la possibilité de mettre en regard une information et les différents regards journalistiques qui peuvent être portés sur elle. C’est d’ailleurs pourquoi un certain nombre de cherheurs proposent de parler d’automédiation7 à propos d’Internet. L’énonciation plurielle et la plurimédiation Certaines chaînes internationales conscientes des problèmes que pose l’énonciation dans un contexte de réception hétérogène optent pour une énonciation plurielle ou encore pour une polyphonie énonciative. La chaîne francophone TV5, dans son souci de prendre en compte la diversité de ses publics, pratique une sorte de va et vient énonciatif qui va de flashs à énonciation faible à des jouranux ou des émissions qui privilégient au contraire l’analyse menée sur le plateau par des journalistes et des invités8. Par rapport à cela, Internet semble bien être le lieu d’une évidente polyphonie énonciative puisque l’internaute peut y confronter différents types d’articles, différentes émissions. Par le jeu des liens, il peut mettre en regard différents discours tenus sur l’information. Weissberg J.L., Présences à distance, L’Harmattan, 1999 Lancien Th., L’action audiovisuelle extérieure de la France en matière de télévision in Wolton D., (dir), Francophonie et mondialisation, revue Hermès n° 40, nov 2004 Hermès, 2005 7 8 A la lumière de ce qui vient d’être montré, on peut donc considérer que du côté des dispositifs d’énonciation et de médiation, la situation est beaucoup plus souple sur Internet qu’à la télévision. Le jeu des liens et de l’hypertexte permet en effet à l’internaute de contextualiser, de mettre en rapport, de comparer des informations. Faut-il encore que l’étudiant ait un projet de consultation, qu’il soit actif et capable de passer d’une médiation proposée par la chaîne à une automédiation. Les discours visuels Il faut ensuite se demander quels rôles peuvent jouer les images de télévision puis d’Internet dans la mise en place d’une compétence médiatique. Si, comme nous l’avons vu, certaines chaînes, à travers les journaux télévisés tout en images, font le pari que l’image seule faciliterait l’accès à l’information d’un public international, il faut bien constater qu’il s’agit là d’un point de vue naîf. De nombreux chercheurs, à commencer par ceux du Glasgow University Media Group 9 ont montré que les images de télévision bien loin de présenter une transparence référentielle étaient souvent allusives, métonymiques et fonctionnaient surtout comme de simples indices pour un public national qui peut mobiliser un large savoir partagé avec les instances d’émission. La réception de telles images par un public plus large devient dès lors problématique. On peut certes tempérer ce constat, en notant que beaucoup d’images transmises aux différentes télévisions par des banques d’images internationales ou régionales (comme les EVN pour l’Europe), se retrouvent sur des chaînes nationales et internationales et facilitent donc une sorte de compétence transculturelle. Glasgow University Media Group, Bad news, Routledge and Kegan Paul, 1976. 9 Il conviendrait alors de distinguer à la suite de Louis Porcher les notions de patrimonial et de transculturel10. La dimension patrimoniale dans l’information télévisée serait représentée par une construction de l’information (choix d’événements) et les mises en discours de celle-ci fortement marquées par une culture propre à un pays voire à une aire culturelle géographique donnée. Inversement la dimension transculturelle serait propre à ce qui en matière d’information transcende les frontières11. Du côté d’Internet, il convient bien sûr de distinguer les images des journaux télévisés ou des reportages que l’on peut regarder en direct ou en différé sur les sites et qui ont alors les mêmes cractéristiques que celles évoquées précédemment, des images propres aus sites de journaux, de radios en ligne. Ces images sont de plus en plus nombreuses et sont fortement marquées par la logique du stock. On peut en effet les consulter selon différentes combinaisons (de l’image affichée au texte, du texte à l’image), on peut les mettre en rapport avec différents types de textes (simples dépêches ou articles plus nourris, voire archives)12 et donc échapper ainsi totalement à la logique du flux qui est celle de la télévision. En termes de compétence médiatique interculturelle, on voit bien l’intérêt de telles caractéristiques. L’internaute n’est plus soumis comme à la télévision à un discours de flux sur lequel il n’a pas de prise physique et qu’il doit reconnaître et interpréter dans le moment de la réception. Il peut au contraire ici intervenir sur les messages, en contrôler le temps de réception et donc de lecture. En organisant ces messages comme il le souhaite, il peut du même coup les décoder et les interpréter selon de nouvelles modalités qu’il reste d’ailleurs largement à étudier. Porcher L., Télévision, culture, éducation, Colin, 1994. Lancien Th., Réception télévisée et compréhension interculturelle in Durousseau I., (dir), Réception de la télévision, Copenhague, 1998 12 Lancien Th., De la vidéo à Internet, Hachette, 2004. 10 11