Fiche du film

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Fiche du film
Fiche n° 1169
Pas son genre
4 - 10 juin 2014
Pas son genre
Lucas Belvaux
avec Emilie Duquenne, Loïc Corbery, Sandra Nkake
1h51 - France - sortie 30.04.2014
Lucas Belvaux, acteur et réalisateur
À 16 ans, il abandonne ses études et quitte la Belgique pour Paris, afin de devenir comédien.
En 1981, il fait ses débuts au cinéma, en jeune homme insoumis, dans Allons z'enfants, le plaidoyer anti-militariste d'Yves Boisset.
Au début des années 90, il passe derrière la caméra. Auteur d'une première œuvre intimiste passée un peu inaperçue Parfois trop
d'amour, il obtient les faveurs de la critique et du public avec Pour rire ! (1996). Fort de ce succès, il se lance dans un triptyque
composé d'une comédie Un couple épatant, d'un thriller Cavale et d'un mélodrame Après la vie, les personnages principaux de
chaque film devenant les personnages secondaires des deux autres. Le Prix Louis-Delluc viendra couronner en 2005 ce projet aussi
ludique qu'ambitieux.
Il continue de faire l'acteur, chez Hervé Le Roux (On appelle ça... le printemps), Akerman (Demain on déménage), Christian
Carion (Joyeux Noël), Régis Wargnier (Pars vite et reviens tard) ou Robert Guédiguian (L'Armée du crime).
Il joue aussi l'un des rôles principaux de son sixième long métrage comme réalisateur, La Raison du plus faible (2006), polar humaniste tourné dans sa Belgique natale.
Artiste engagé, il signe en 2009, pour le grand écran, Rapt, une œuvre âpre et intense emmenée par un Yvan Attal méconnaissable
en homme d'affaires séquestré, d'après un fait divers retentissant : l'enlèvement du Baron Empain. Il retrouve ce même comédien en
2012 pour sa nouvelle réalisation, 38 témoins, avec également Sophie Quinton et Nicole Garcia au casting, pour une histoire de
meurtre venant perturber la vie d'un couple.
Pas son genre
La relation amoureuse entre un homme et une femme d’univers culturels
différents. Une étude de mœurs à la fois patiente et sous tension.
En pleine polémique sur les questions de genre, le titre du nouveau film de Lucas Belvaux résonne étrangement. Son sens premier est sans doute le plus évident : “pas son genre”, soit pas
d’atomes crochus. Mais comme le film fait le récit d’une liaison
entre deux personnes issues de lieux, de classes sociales et de
rapports au monde différents, le titre retombe aussi sur les
pattes des débats actuels : la culture est chose différente de la
nature et elle compte autant, si ce n’est plus.
Soit donc Jennifer et Clément. Elle habite Arras où elle élève
seule son fiston et exerce la profession de coiffeuse. Elle est
péroxydée, lit des magazines people et des romans populaires,
admire Jennifer Aniston (même prénom en plus) et chante le
week-end avec deux copines, un genre de Supremes de souspréfecture. Lui est un prof de philo parisien, provisoirement détaché à Arras, ce qu’il vit comme une punition. Il connaît par
cœur son Kant et son Proust, n’a pas d’enfant, entretient des
liaisons intenses mais brèves par peur de s’engager, écorchant
au passage ses amantes. Venu se faire couper les cheveux, il
rencontre Jennifer et ces ciseaux…
Le questionnement de Belvaux et le suspense romantique du
film consistent à savoir si ces deux-là peuvent former un couple,
éventuellement durable, si l’amour est plus fort que les barrières
culturelles et sociales. La force du sexe et/ou des sentiments
peut-elle transfigurer des clichés sociologiques ambulants et les
arracher à leur déterminisme ? Belvaux va filmer dans le moindre
détail l’aventure de cette fusion des contraires, comment chacun
va tenter d’aller vers le territoire de l’autre et vice versa, selon le
ressort classique de la screwball comedy hollywoodienne.
Mais, à la vitesse des Hawks ou Capra de jadis, Belvaux oppose
la patience, la minutie, dans la description de chaque étape de la
liaison. Quels films va-t-on voir ? Qui invite qui à dîner ? À quel
moment le premier baiser ? Puis la première nuit ensemble ? Et
chez lequel on couche ? Et qui ferme les yeux pendant l’amour ?
Belvaux remet en scène ce processus mille fois filmé qu’est la
cristallisation de la rencontre amoureuse et quand c’est fait avec
tact et précision, comme c’est le cas ici, on remarche à fond.
Mais si le couple se forme, un doute, une tension, un suspense
demeurent. Les intentions de la pétulante Jennifer sont vite affichées : elle a besoin d’aimer, elle a envie d’aimer, elle aime Clément. Lui est beaucoup plus retors. Considère-t-il Jennifer
comme un coup ? Un passe-temps pour tuer l’ennui de la province ? Une idiote à éduquer ? Une proie à manipuler ? Un cobaye pour son prochain bouquin de philo ? Ou l’aime-t-il aussi un
peu, beaucoup, tout en ayant peur de s’engager ? Outre ces
questions irrésolues qui maintiennent le film sous tension, les
deux font l’effort d’aller vers l’autre et c’est assez beau : elle se
met à lire Kant, il va voir une comédie avec Jennifer Aniston,
l’accompagne un soir au dancing où elle chante avec ses amies.
Jennifer est moins cultivée que Clément mais pas moins intelligente.
Pas son genre n’est pas seulement la rencontre entre deux personnes et deux classes sociales non-prédisposées à se croiser,
c’est aussi le mélange quasi expérimental entre deux genres très
français : le Demy-film et le Rohmer-film. Personnage velléitaire,
Clément ressemble à ces mâles rohmériens intellectuels, indécis,
qui ratiocinent, mettent les affects à distance, analysent ou calculent leurs sentiments, rationalisent leurs pulsions. De son côté,
Jennifer exsude une féminité extravertie, un tempérament cash,
une croyance en l’amour, le goût des couleurs pétantes et des
chansons, toutes choses qui en font une lointaine petite cousine
des demoiselles de Rochefort ou de la Deneuve coiffeuse de
L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur
la Lune (Jacques Demy, 1972)
Les acteurs sont essentiels dans la réussite d’un tel film. Si Loïc
Corbery véhicule les atermoiements de Clément, ses courtscircuits entre raison et sentiments, Emilie Dequenne est carrément exceptionnelle d’abattage, de générosité et de charme.
Après Rosetta et A perdre la raison, elle trouve son troisième
grand rôle – à croire qu’elle est décidément mieux servie par ses
compatriotes belges. Et en plus, elle chante bien. Tout à fait
notre genre.
par Serge Kaganski
Les InRocKs
Critique presse
LE JOURNAL DU DIMANCHE - Lucas Belvaux signe ici une superbe histoire d'amour, une comédie qui a du cœur et des larmes, qui parle
du racisme des sentiments et des préjugés. Emilie Dequenne mène la danse, exceptionnelle, bluffante, l'émotion à fleur de peau, elle nous
embarque. Et on reste sous le charme.
ÉCRAN LARGE - Tout le mérite revient à Emilie Dequenne, dont le parcours culmine en un climax phénoménal, qui prend à la gorge en
étant pourtant d'une simplicité redoutable.
LA CROIX - Lucas Belvaux filme avec délicatesse et au plus près les hésitations, les attentes, les impatiences des deux amants, l'émotion
des premières fois (...) pointant, par touches ce qui les sépare et ne sera jamais comblé. Cinéaste étonnant (...) il montre que la culture ne
sauve de rien, pas même de soi.
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