Interview Christophe Honoré

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Interview Christophe Honoré
concertclassic.com
27 juin 2016
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Une interview de Christophe Honoré, metteur en scène –
Dans les yeux de Mozart
Après des Dialogues des Carmélites et un Pelléas et Mélisande remarqués à l’Opéra national
de Lyon, le cinéaste Christophe Honoré (photo, en répétition avec Sandrine Piau) signe sa
troisième mise en scène lyrique, et le premier Mozart de sa carrière : Così fan tutte. Une
production d’autant plus importante que, outre le nom du compositeur, elle s’inscrit dans la
programmation du Festival d’Aix-en-Provence et en inaugure l’édition 2016 (9
représentations au Théâtre de l’Archevêché, du 30 juin au 19 juillet). Le metteur en scène a
pris le temps de répondre à Concertclassic au lendemain de la générale piano.
Mozart ? Christophe Honoré reconnaît avec la plus complète honnêteté qu’il « n’appartient
pas à ses musiciens de chevet. Mais, poursuit-il, partir du moment où je me suis engagé dans
le travail de mise en scène à l’Opéra, impossible de refuser de faire Cosí fan tutte, ce serait un
peu comme refuser de monter Racine ou Shakespeare pour un metteur en scène de théâtre.
Ce qui est compliqué avec Mozart, c’est son côté hautement patrimonial. J’ai l’impression que
Poulenc ou Debussy peuvent être abordés avec plus de liberté, de franchise, même s’ils sont
très connus des mélomanes et très respectés. Mozart est une musique dont la célébrité finit par
créer une ignorance. Il faut, particulièrement avec Così fan tutte, pouvoir se débarrasser de
tous les a priori, toutes les idées préconçues sur le musicien pour découvrir un opéra qui, dans
sa beauté et sa difficulté, est assez unique. »
Comment vous êtes-vous approprié Così fan tutte ?
Christophe HONORE : J’ai d’abord beaucoup écouté l’œuvre, afin de m’imprégner de la
musique. Dans un deuxième temps, je me suis confronté au livret de Da Ponte ; un livret
difficile. D’un point dramaturgique, il est construit de manière assez implacable mais repose
sur énormément de conventions théâtrales et pose beaucoup de problèmes de mise en scène.
En tant que cinéaste, je suis attaché au réalisme de ce qui ce passe sur scène : la question du
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déguisement, du retour de ces deux hommes qui ne sont pas reconnus par leurs fiancées, qui
est tout le temps évacuée telle une convention scellée avec le public - vous vous les
reconnaissez, mais elles non – a été un enjeu important pour moi. Il me fallait trouver une
incarnation de ce déguisement qui ne soit pas paresseuse et n’aille pas dans la facilité de la
convention.
Pourquoi avoir pris le parti de situer Così dans l’Erythrée mussolinienne de la fin des
années 30 ?
C.H. : Così se passe normalement à Naples, mais en écoutant cette œuvre solaire je trouvais
étrange que Così soit souvent réduit à des lieux d’intérieur, alors que, me semble-t-il, la
musique présente un élément très lumineux, de la chaleur, une dimension plus vaste. Ainsi
m’est venue l’idée de quitter la Méditerranée pour envisager un Mozart africain.
Quant à la question du déguisement, il y a aujourd’hui, à la fois sur les scènes d’opéra et de
théâtre, beaucoup de polémiques – et à raison – autour du «blackface » ; du peu de visibilité
des minorités sur les plateaux et du fait que l’on se satisfait de grimer des chanteurs pour des
rôles tels qu’Otello, etc. Je me suis dit que ce « blackface », qui est une question tout à fait
contemporaine, qui a à voir avec la question du déguisement - en quoi se déguise-t-on, le
déguisement signifie-t-il toujours qu’on méprise celui dont on prend l’apparence ? – m’a
semblé offrir une porte d’entrée sur Così fan tutte. J’ai imaginé que Ferrando et Guglielmo
appartiennent à une troupe basée dans l’Erythrée mussolinienne et que leur déguisement passe
aussi par un grimage. Ce qui correspond à l’idéologie régnant dans ces colonies, avec tout le
racisme qui y était associé.
Dans la « Lettres aux chanteurs » que vous signez dans le programme du spectacle, vous
écrivez : « Don Alfonso est un metteur en scène brutal, il faut d’admettre » ...
C. H. : Il est présenté comme un philosophe et, très souvent dans les mises en scène de Così
fan tutte il y a une espèce d’ironie permanente liée à Don Alfonso qui excuse assez sa
violence. Je crois qu’il veut se jouer des deux garçons, mais je sens aussi chez lui une vraie
violence envers les femmes. Sa machination n’est pas uniquement une pédagogie. On se
rattache trop au sous-titre « L’École des amants » ; en termes de pédagogie on trouve plus
subtil que Don Alfonso ... On le voit bien dans sa manière de traiter Despina, de toujours
passer par l’argent pour assurer sa domination. Il est à mes yeux un personnage
particulièrement violent et le cadre que j’ai imaginé pour Cosí – cette société coloniale,
blanche, pleine de privilèges, toujours sûre de son bon droit – me permet de déployer ce
personnage sans l’excuser, un personnage que l’érotisme a abandonné - le désir des femmes
est révolu pour lui - ce qui engendre beaucoup d’amertume.
Cosí me semble plus une école de la destruction que de l’apprentissage.
Comment se déroule votre collaboration avec Louis Langrée, qui dirige le Freiburger
Barockorchester ? (1)
C.H. : L’un des intérêts pour moi du travail à l’opéra est d’avoir une responsabilité partagée, à
la différence du cinéma ou du théâtre où le metteur en scène est souvent le seul maître à bord.
Cela fait près de deux ans que je travaille sur cette production et j’ai toujours tenu Louis
informé de l’avancement des choses. Je lui ai aussi demandé des coupes dans les récitatifs - et
il a pas mal résisté, ce qui est tout à fait son rôle !
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Je travaille beaucoup avec de la figuration, il y a d’autres gens sur scène que ceux
normalement présents. Je sais que Louis a par exemple été très surpris de la manière dont j’ai
mis en scène le «Per pietà » de Fiordiligi. C’est un travail de négociation parfois, mais aussi –
et heureusement - de stimulation réciproque ; chacun peut apporter à l’autre une idée neuve
sur l’œuvre. On peut vite tomber dans un côté très bourgeois s’agissant d’ouvrages tels que
Cosí fan tutte. Il faut les jouer depuis aujourd’hui, avec les faiblesses d’aujourd’hui, mais
aussi avec l’énergie d’aujourd’hui pour parvenir à les partager avec un public contemporain.
Je me méfie beaucoup du côté « musée Grévin » qu’il peut y avoir s’agissant d’œuvres aussi
patrimoniales, où l’on chercherait à retrouver un espèce d’âge d’or – qui n’a peut-être jamais
existé ... –, où la partition devient un dogme. Je m’exprime là en tant que metteur en scène et
je pense que Louis Langrée n’aurait pas du tout le même discours – d’autant plus qu’il dirige
un orchestre d’instruments anciens. Il y a un plaisir pour lui à essayer d’être dans la tête de
Mozart ; moi j’essaie plutôt d’être dans les yeux de Mozart. »
Propos recueillis par Alain Cochard, le mercredi 15 juin 2016

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