La prescription des antalgiques aux sportifs

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La prescription des antalgiques aux sportifs
La prescription des antalgiques aux sportifs
Dr Gérard GUILLAUME
Médecin de l’équipe professionnelle cycliste FDJ
En tant que médecin de terrain, mes réflexions portent sur la gestion de la douleur dans le
sport.
Comment gérer la douleur ?
Il existe une relation indiscutable entre l’activité physique et la douleur. Aujourd’hui,
beaucoup d’études prescrivent d’ailleurs l’activité physique comme antalgique, en insistant sur
le fait que l’absence d’activité physique favorise le développement de la douleur.
Dans le sport, pour gérer l’utilisation des antidouleurs, il convient de s’appuyer sur la liste
des interdictions. En compétition, le cadre règlementaire est ainsi relativement facile à
respecter. Pour autant, les prescriptions licites ne sont pas anodines et soulève des
interrogations. Le fait de masquer la douleur revient à se priver d’une alarme. En permettant au
sportif de repousser ses limites, le risque est alors d’aggraver une lésion existante ou de
provoquer de nouvelles blessures.
Les antalgiques demeurent les médicaments les plus prescrits en France. Des risques ont été
associés récemment au paracétamol. Cependant, l’étude en question demeure contestable et
traite de prises à long terme et dans de grandes quantités, ce qui n’est généralement pas le cas
chez les sportifs. Le Di-Antalvic a été retiré du marché, ce qui a conduit à réutiliser le Tramadol,
qui pose selon moi beaucoup plus de problèmes. L’Idarac devait être retiré du marché mais est
toujours présent. La codéine et la Lindilane, quant à elles, emportent un risque de
transformation en morphine, avec des conséquences potentiellement préjudiciables en cas de
contrôle.
Métabolisme de la codéine en morphine se fait par l’enzyme du cytochrome P450
La Lamaline demeure également interdite d’utilisation.
De fait, l’utilisation exponentielle du Tramadol est préoccupante. Le Tramadol peut être
utilisé pour soulager des douleurs post-traumatiques, mais il peut aussi être pris pour éviter la
douleur due à la pratique du sport. Or le Tramadol agit sur la vigilance, ce qui peut induire un
risque dans des sports tels que le cyclisme.
Chute dans le peloton : le Tramadol pointé du doigt
Nous avons saisi l’AMA en 2012 pour que cette problématique soit prise en considération
dans les sports à risque tels que les sports motorisés, le cyclisme, etc. Les médecins du
Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC) se sont par ailleurs engagés à ne plus en
prescrire en course. Cependant, les médecins de course continuent d’en prescrire aux blessés.
De surcroît, les plus grosses équipes professionnelles n’ont pas encore rejoint le MPCC.
Les adjuvants, eux, ne posent pas trop de problèmes – le Myolastan ayant été retiré.
L’Hexaquine, contenant de la quinine et beaucoup utilisé pour lutter contre les crampes, avait
presque disparu du commerce en 2014 et devait être retiré en raison de ses effets secondaires,
au niveau sanguin notamment. Cependant, ce médicament est réapparu en fin d’année 2014.
La prescription du Rivotril est quant à elle réservée, en France, aux neurologues. Il suffit
néanmoins de passer la frontière pour s’en procurer.
Les anti-inflammatoires posent davantage de problèmes que les antalgiques, qui sont
consommés de façon plus irrégulière. Les anti-inflammatoires utilisés pour dépasser certaines
limites, dans le cadre d’un marathon par exemple, génèrent des risques importants,
d’insuffisance rénale notamment (en cas de déshydratation associée). L’Agence française de
sécurité du médicament vient ainsi d’émettre un avis sur l’utilisation du Diclofénac.
L’Aspirine est également très consommée dans le sport, souvent de manière inconsidérée
et en association avec des anti-inflammatoires, avec des conséquences potentiellement
dommageables. A cet endroit, les médecins doivent être vigilants, face aux risques induits par
l’automédication notamment.
Les infiltrations de corticoïdes demeurent autorisées, pratiquement sans aucune limite, en
dépit de leurs effets systémiques, avec des risques d’insuffisance surrénalienne et une action
sur la performance.
Les médecins du MPCC se sont engagés à arrêter les coureurs durant un minimum de 8
jours suite à une infiltration, avec un contrôle de la cortisolémie pour autoriser la reprise de la
compétition. A cet endroit, se pose aussi le problème de l’utilisation des corticoïdes sous AUT
en compétition, comme tel a été le cas pour Christopher Froome durant le tour de Suisse en
2014, avec l’aval de l’AMA.
Le MPCC est très engagé dans la lutte contre le dopage
Pour limiter au maximum l’utilisation des drogues, des moyens alternatifs peuvent être
mobilisés, parmi lesquels : le repos (ce qui n’est pas toujours facile à organiser en compétition),
l’ostéopathie, l’acuponcture, l’homéopathie, la mésothérapie, les ultrasons, les ondes
électromagnétiques pulsées, le laser infrarouge (utilisable selon les règles de l’acuponcture), le
froid local (dont les glaçons demeurent l’application la plus efficace), la cryothérapie gazeuse
hyperbare et la cryothérapie en corps entier (qui favorise la récupération des hématomes
notamment). Du reste, la plupart de ces techniques nécessitent une véritable formation.
Questions-réponses avec l’amphithéâtre
Pr André-Xavier BIGARD
La France a relayé auprès de l’AMA la demande du MPCC concernant l’intégration du
Tramadol dans la liste des substances interdites. Cela n’a pas été fait en 2015. Néanmoins, un
symposium devrait être organisé prochainement sur les effets adverses pour la santé de cette
substance, qui devrait déboucher sur des propositions.
Le problème est qu’il s’agit du seul antalgique de niveau 2 encore autorisé. Un autre
antalgique de niveau 2 ayant moins d’effets secondaires aurait peut-être dû être laissé à
disposition.
Par ailleurs, il s’agit d’une des substances les plus addictogènes, que la prescription
médicale ne suffit plus à encadrer compte tenu de sa disponibilité sur internet et du
développement de son auto-prescription.
Dr Gérard GUILLAUME
Je suis heureux qu’une réflexion sur le Tramadol ait été engagée au niveau de l’AMA. Le
problème est que l’utilisation du Tramadol est susceptible de provoquer des troubles de la
vigilance, ce qui constitue un facteur de risques dans le cadre des compétitions de cyclisme, de
ski, de sports motorisés, etc. Nous ne demandons pas que le Tramadol soit interdit globalement,
mais qu’il soit interdit en compétition dans les sports à risques.