Le contrat de vente immobilière

Transcription

Le contrat de vente immobilière
EXTRAIT DE LA JURISPRUDENCE
Nicolas Reichen
Le contrat de vente immobilière
La vente immobilière est nulle si l’acte authentique mentionne un prix inexact
L’article 216 du Code des obligations
traite de la vente immobilière. Il prescrit
que (alinéa 1) «les ventes d’immeubles
ne sont valables que si elles ont été faites
par acte authentique»[1].
Les notes marginales du CC/CO annoté
énoncent comme critère objectivement
et subjectivement essentiel du contrat de
vente, qui doit donc nécessairement figurer dans l’acte authentique, le prix
convenu («le prix véritable, soit réellement voulu, qui peut ne pas correspondre à la valeur objective, vénale,
imaginée par les parties ou désirée par le
fisc»)[2].
1. Les règles du Code des
obligations sont précises…
Celui qui acquiert un immeuble par un
acte de vente simulé et partant nul (prix
de vente indiqué inférieur au prix
payé), mais conserve l’immeuble et le
revend ensuite à un tiers, ce qui entraîne le paiement d’un impôt sur la différence entre le prix de la seconde
vente et le prix indiqué dans l’acte simulé, n’est pas victime d’un acte illicite
de son vendeur, contre lequel il ne peut
invoquer ni une culpa in contrahendo,
ni un enrichissement illégitime, mais
seulement, le cas échéant, une obligation contractuelle [3].
convenu valablement d’un certain prix,
qu’un acompte avait été payé et que
l’acte authentique indiquait seulement
le montant restant dû[5].
La jurisprudence précitée indique encore que le contrat de vente immobilière est simulé et, partant, nul. Quant
au contrat réellement conclu par les
parties pour le prix de …, il est également nul, faute d’avoir été revêtu de la
forme authentique. Ainsi, le Tribunal
fédéral conclut que tout acte concernant le prix ou la partie de prix non officiel est nul, si celui-ci n’a pas revêtu la
forme authentique. Dès le moment où
un notaire est intervenu, il est du devoir
de celui-ci de transmettre l’acte à l’autorité ad hoc, ce qui, en pratique, rend
nulles les chances de voir les parties qui
conviennent d’un «dessous de table» de
requérir le ministère du notaire pour
l’établissement du document concernant cette partie du prix de vente. Dès
lors, il paraît clair que tout prix non officiel est par définition convenu par
oral ou par écrit, mais pas par acte notarié. Il est donc nul par essence.
La jurisprudence citée ci-avant pose
encore le problème de savoir si le «pro-
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La Haute Cour a admis que la vente
était nulle en raison de l’inexactitude
d’un prix indiqué dans l’acte authentique, puisque, «selon la jurisprudence,
le contrat de vente immobilière conclu
en la forme authentique doit mentionner en particulier le prix exact que
l’acheteur s’engage à payer; si l’indication figurant dans l’acte ne correspond
pas à la réalité, le contrat est nul»[6].
Le Tribunal fédéral se penche encore
dans ce dernier arrêt sur la question de
l’abus de droit, lorsque l’une des parties, par hypothèse venderesse, dans un
acte de vente nul, invoque cette nullité
d’une manière qui pourrait être contraire aux règles de la bonne foi.
Il apparaît que, selon une jurisprudence
constante et selon une interprétation
unanime de la loi, le prix de vente dans
un acte authentique d’aliénation immobilière qui ne correspondrait pas à
celui réellement acquitté par les parties, que celui-ci soit plus élevé ou plus
faible que le prix indiqué, rend l’acte
nul dès l’origine.
La forme authentique doit revêtir
toutes les stipulations essentielles du
contrat, notamment l’indication du prix
que l’acheteur s’oblige à payer. Il s’ensuit qu’un acte de vente immobilière
dans lequel est inscrit un prix inférieur
à celui qui a été réellement convenu
ne satisfait pas aux exigences de l’article 216 CO et est, partant, dépourvu
de validité[4].
La jurisprudence précitée prescrit encore que le Tribunal fédéral a jugé cependant qu’il n’y avait pas simulation
lorsque les cocontractants avaient
priétaire-possesseur», sachant que
l’acte de vente est nul, s’est enrichi de
manière illégitime, puisqu’il n’est pas
propriétaire de l’immeuble, en ce qui
concerne la valeur locative, c’est-à-dire
des loyers encaissés. Le Tribunal fédéral souligne à ce propos qu’il faut qu’il
soit établi que le «propriétaire» ait été
renseigné sur le vice de son titre d’acquisition ou que les circonstances particulières aient rendu son ignorance inadmissible, par rapport, encore une
fois, à la nullité de l’acte d’acquisition
de l’immeuble.
2. Au point de vue pénal
Nicolas Reichen, juriste, Fiduciaire
Michel Favre SA, Lausanne et
Echallens/VD
L’article 253 du Code pénal prescrit
que «celui qui, en induisant en erreur
un fonctionnaire ou un officier public,
l’aura amené à constater faussement
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DROIT
Nicolas Reichen, Le contrat de vente immobilière
dans un titre authentique un fait ayant
une portée juridique, notamment à certifier faussement l’authenticité d’une
signature ou l’exactitude d’une copie,
celui qui aura fait usage d’un titre ainsi
obtenu pour tromper autrui sur le fait
plication et l’article 305ter du Code
pénal ne trouvent application qu’en
présence d’un intermédiaire financier,
ce qui présuppose d’agir au titre de professionnel, il n’en va pas de même de
l’article 305bis du Code pénal traitant du
«Il n’y a pas, à notre connaissance, de jurisprudence
par rapport à un cas de blanchiment obtenu
par le fruit d’une constatation fausse du prix
de vente mentionné dans un acte authentique dans
le cadre d’une vente immobilière.»
qui y est constaté, sera puni de la réclusion pour 5 ans au plus ou de l’emprisonnement».
L’article 253 CP, dont la note marginale est l’obtention frauduleuse d’une
constatation fausse, sanctionne ce comportement au titre de crime.
Il est à relever que, selon la jurisprudence[7], il a été reconnu que l’article
253 du Code pénal est applicable
lorsque le prix de l’acte n’est pas le prix
réellement convenu entre les parties.
3. Crime… et blanchiment
d’argent
Il est encore à relever que, si la Loi sur
le blanchiment, ses ordonnances d’ap-
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blanchiment d’argent d’une façon générale.
Cette dernière disposition légale prescrit, à ses chiffres 1 et 2, que «celui qui
aura commis un acte propre à entraver
l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu’elles provenaient d’un crime,
sera puni de l’emprisonnement ou de
l’amende. Dans les cas graves, la peine
sera la réclusion pour 5 ans ou plus ou
l’emprisonnement. La peine privative
de liberté sera cumulée avec une
amende d’un million de francs au plus».
Dès lors, selon l’affectation des sommes qui ont pu être retirées du crime
sanctionné par l’article 253 du Code
pénal, un cas de blanchiment pourrait
être reconnu. Il apparaît, selon les critères posés par la doctrine et la jurisprudence, que l’«acte propre à entraver
l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales, (dont le délinquant) savait
ou devait présumer qu’elles provenaient d’un crime» peut être constitué
par le simple fait de placer le montant
sur un compte offshore par exemple. Il
n’est donc nul besoin d’utiliser un véhicule d’investissement complexe développé par des professionnels pour se retrouver dans un cas de blanchiment en
vertu de l’article 305bis du Code pénal.
Il n’y a pas, à notre connaissance, de jurisprudence par rapport à un cas de
blanchiment obtenu par le fruit d’une
constatation fausse du prix de vente
mentionné dans un acte authentique
dans le cadre d’une vente immobilière.
En conclusion, il faut particulièrement
veiller, dans une transaction immobilière, à éviter tout «dessous de table»
qui, en finalité, risque fort de ne profiter à personne.
Notes
1
2
3
4
Selon ATF 84 II 369 = JdT 1959 I 169.
Cf. ATF 94 II 270 = JdT 1969 I 654.
ATF 98 II 23 = JdT 1972 I 541.
ATF 51 II 573, ATF 53 II 164, ATF 68 II 233,
ATF 75 II 148, ATF 78 II 224.
5 ATF 49 II 469, ATF 50 II 146 et ATF 52 II 61.
6 ATF 90 II 154 = JdT 1964 I 565.
7 ATF 84 IV 163 = JdT 1959 IV 57, ATF 92 II
323.
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