Intervention d`Olivier Cotte, Conseiller

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Intervention d`Olivier Cotte, Conseiller
LES QUESTIONS PRIORITAIRES DE CONSTITUTIONNALITE
VUES DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LYON
*
INTERVENTION POUR L’AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTREE
*
Olivier Cotte, conseiller au tribunal administratif de Lyon
Mesdames, Messieurs,
L'audience de rentrée aujourd'hui est l'occasion de faire un point sur l'utilisation et la mise en
œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité au tribunal administratif de Lyon, dixhuit mois après son entrée en vigueur, le 1er mars 2010. Rapidement désigné par son
acronyme, ce nouveau mécanisme de garantie des droits est très original pour le juge
administratif.
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle, le juge administratif pratiquait le
contrôle de constitutionnalité des actes administratifs et le contrôle de conventionnalité des
lois, mais le mécanisme créé par le constituant ne ressemble à aucun de ses deux types de
contrôle, de par ses modalités procédurales : il a par conséquent suscité au début une forte
appréhension, notamment quant au nombre et à l’instruction de ces questions prioritaires de
constitutionnalité. Appréhension renforcée au tribunal de Lyon par le fait que la première
QPC enregistrée, trois jours après l’entrée en vigueur du mécanisme, était en fait… six QPC
dans une série de dossiers concernant les prélèvements sur le produit brut des jeux de casinos,
dans lesquelles étaient contestées huit dispositions législatives différentes, au regard de cinq
normes constitutionnelles. On ne peut rêver plus belle entrée en matière !
Mise à part cette anecdote, l’usage modéré qui a été fait de ce mécanisme par les requérants et
leurs conseils a permis une mise en place sereine de ce dispositif. La communication d’un
vade-mecum par le Conseil d’Etat, puis les décisions rendues par la juridiction de renvoi et le
Conseil constitutionnel ont conduit à préciser les règles relatives à l’instruction de ces dossiers
et à baliser les critères régissant leur transmission.
Au 31 août 2011, la juridiction a enregistrée 32 QPC et répondu à 21 d'entre elles. Cinq ont
été transmises au Conseil d’Etat, ce qui donne une proportion d’un peu plus de 16 %,
sensiblement équivalente à la moyenne nationale (18 %).
La répartition des QPC par matière est assez fidèle à ce qu'elle est au niveau national. Le
contentieux fiscal arrive largement en tête avec 13 QPC sur 32, suivi par les collectivités
territoriales (6 requêtes). On peut relever un lien entre les matières donnant lieu à QPC et la
protection offerte par le droit conventionnel. Ainsi, des matières hors du champ du contrôle de
conventionnalité, comme les collectivités territoriales, ou partiellement exclues, comme le
contentieux fiscal, sont des domaines privilégiés pour les QPC ; à l’inverse, malgré son
importance quantitative, le contentieux des étrangers, dans lequel le droit supranational est
très présent, n’a donné lieu qu’à une seule QPC. Une exception toutefois à ce tableau, qui
1
constitue une particularité du Tribunal : aucune QPC n’a été soulevée en matière de fonction
publique, pourtant bien peu présente sur la scène conventionnelle, alors qu’elle figure en
bonne place au niveau national.
Parmi les normes invoquées par les requérants, le principe protéiforme d’égalité, avec ses
composantes, égalité devant la loi et devant les charges publiques, est soulevé dans la moitié
des QPC. Il constitue la norme de choix en contentieux fiscal, mais sert aussi de référence en
matière de pension, d’aide sociale, d’urbanisme ou de contentieux des étrangers. L’article 16
de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et la garantie des droits qu’il contient,
ont été également invoqués à plusieurs reprises, notamment lorsqu’était contestée une loi de
validation, mais sans succès pour le moment. Le droit de propriété semble quant à lui
cantonné au contentieux de l’urbanisme. Une dernière catégorie de principes constitutionnels
peut être relevée ; elle est utilisée par un groupe bien particulier de requérants : les
collectivités territoriales. Ces dernières ont été promptes à s’emparer de ce mécanisme de
contrôle de la loi par voie d’exception, que ce soit au niveau local ou national, afin de
contester les conséquences financières engendrées par les transferts de compétences réalisés à
leur profit. Elles fondent leur argumentation sur le principe de libre administration et sur les
principes d’autonomie financière et de péréquation financière, contenus respectivement dans
les articles 72 et 72-2 de la Constitution. Les six QPC présentées devant ce tribunal
concernaient, pour l’une d’elles, le préjudice financier résultant du transfert de l’instruction
des demandes des titres d’identité aux communes, et, pour les autres, le préjudice financier
consécutif au transfert de certaines aides sociales aux départements (plus précisément, le
RSA, la prestation de compensation du handicap et l’aide personnalisée à l’autonomie).
Cette dernière remarque conduit à constater, plus largement, qu’une grande partie des affaires
concernées par des QPC portent sur des litiges d’ordre financier : préjudices financiers subis
par les départements et communes, on vient de le voir, mais aussi sanction financière du code
de la sécurité sociale, droit à pension, matière fiscale... Droits et libertés fondamentaux, et
questions pécuniaires ne sont pas si étrangers que l’on aurait pu a priori le penser !
Lors de l’instauration de ce nouveau mécanisme de contrôle de constitutionnalité des lois, les
commentateurs n’avaient pas manqué de souligner son caractère complémentaire du contrôle
a priori, pour en conclure que les QPC porteraient sans doute davantage sur des lois
anciennes, n’ayant pas fait l’objet d’un examen de la part du Conseil constitutionnel avant
leur promulgation. Après quelques mois de pratique, la réalité est sensiblement différente : si
certaines QPC ont porté sur des lois anciennes (relatives à la taxe professionnelle, au code du
service national ou aux prélèvements sur le produit brut des jeux), la plupart ont concerné des
lois postérieures au début de ce siècle : loi Solidarité et renouvellement urbains de 2000,
régime dérogatoire instauré par une ordonnance de 2000 pour les titres de séjour délivrés à
Mayotte, dispositions législatives de 2004-2005 organisant des transferts de compétence au
profit des départements, bouclier fiscal (2007), loi de validation de 2008 contenant une
indemnisation forfaitaire pour le transfert aux communes de l’instruction des demandes de
passeport et de cartes d’identité, modification de la taxe sur les surfaces commerciales issue
d’une loi de 2008. Le contrôle a priori et la QPC ne portent donc pas sur des lois relevant de
deux périodes distinctes, mais s’imbriquent beaucoup plus étroitement que d’aucuns auraient
pu le penser.
Dans le cadre limité de cette intervention, nous insisterons sur quelques aspects de procédure,
qui soulignent la nouveauté qu’a constituée la réforme de la QPC pour le juge de premier
degré. Nous présenterons ensuite quelques-unes des QPC qui ont donné lieu à transmission,
avant d’évoquer l’impact de cette réforme sur le travail du magistrat.
2
I- De quelques aspects procéduraux : l’originalité de la QPC pour le juge
Comme l’indique l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel 1 , la QPC revêt un caractère hybride : elle est un moyen, présenté au
soutien de conclusions et contenu dans un mémoire distinct.
1.
L’obligation de présenter un mémoire distinct facilite grandement le travail du juge (ainsi que
celui du greffe) et lui permet de respecter l’obligation qui lui est faite, par l’ordonnance du
7 novembre 1958 précitée, de statuer « sans délai par une décision motivée sur la transmission
de la QPC » (article 23-2 de l’ordonnance). Elle permet une identification instantanée, et évite
les interrogations que le juge peut avoir sur certaines requêtes, pour savoir si tel ou tel moyen
est réellement soulevé ou pas. Une fois repéré, ce mémoire est communiqué au président de
chambre et au magistrat rapporteur, afin d'en assurer, s’il y a lieu, l'instruction.
A ce stade apparaît l’originalité de la QPC qui ne ressemble à aucune procédure familière du
juge administratif, et se distingue notamment de la question préjudicielle à la Cour de justice
de l’Union européenne. L’originalité tient en particulier à ce caractère hybride qui fait d’elle
un moyen au statut particulier. La QPC, ainsi que les mémoires en réponse à celle-ci, vont
constituer un « dossier dans le dossier ». En effet, la procédure relative à la QPC est soumise à
des délais d’instruction différents de ceux applicables au reste de la requête. La QPC constitue
un moyen sur lequel il sera répondu avant les autres, ce qui lui donne son caractère prioritaire.
Alors que la question préjudicielle n’est posée que lorsque sa solution est nécessaire à la
résolution du litige (et donc après un examen approfondi du dossier), la QPC, si elle remplit
les conditions de sa transmission, doit être posée par le juge, avant qu’il ne se prononce sur les
conclusions de la requête. Ces caractéristiques sont source de complexité, à la fois pour le
greffe et les magistrats, puisqu’il se peut que, dans une affaire, le tribunal reçoive, dans le
même temps, des mémoires qui ont trait à la QPC et d’autres qui portent sur le reste du litige.
Il convient donc, pour le personnel du tribunal, d’être vigilant afin d’enregistrer les mémoires
dans le bon « dossier » et de trancher, comme le texte l’impose, la QPC sans tarder.
La vigilance est également de mise pour les requérants et leur conseil puisque le défaut de
présentation d’un mémoire distinct entraîne l’irrecevabilité de la QPC. Cette irrecevabilité a
pu être opposée à plusieurs reprises par des formations collégiales du tribunal, en particulier
dans les affaires en cours d’instruction au moment de l’entrée en vigueur de ce nouveau
mécanisme de garantie des droits, le juge étant dispensé de l’obligation d’inviter le requérant
à régulariser.
Cette condition formelle peut peut-être aussi expliquer le fait que le tribunal n’a pas été saisi
de QPC dans ses procédures d’urgence – reconduites à la frontière ou référés. Il paraît, en
outre, difficile de développer, dans des délais d’instruction extrêmement courts qui sont ceux
des procédures d’urgence, une argumentation sur la constitutionnalité de la loi.
L’exigence de mémoire distinct, si elle conditionne la recevabilité de la QPC, peut selon nous
être négligée, pour des motifs tirés de la bonne administration de la justice (objectif de valeur
constitutionnelle, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision 2009-595 DC
du 3 décembre 2009 statuant sur la loi organique), dans le cas très particulier des séries
contentieuses. Ainsi, dans une série de six dossiers, relative à la contestation de la majoration
1
« Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une
disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité,
présenté dans un écrit distinct et motivé. (…) ».
3
de 30 % de la taxe sur les surfaces commerciales à laquelle sont soumis certains
établissements, l’avocat des six requérants a soulevé une question prioritaire dans le 1e dossier
et s’est référé, dans les dossiers suivants, à l’ordonnance de transmission rendue entretemps,
demandant au Tribunal de considérer que le moyen était soulevé et de tirer, le cas échéant, les
conséquences, des décisions qu’engendrera la transmission. Si le terme n’était pas employé, le
conseil demandait ainsi que le tribunal sursoit à statuer le temps que la QPC donne lieu à une
réponse définitive. Ainsi apparaît une nouvelle catégorie de QPC : les « questions prioritaires
de constitutionnalité non formalisées ». Cette stratégie d’avocat nous semble de bonne gestion
pour l’ensemble des acteurs de la procédure, tant les parties que les greffes et magistrats,
puisqu’elle évite la multiplication des QPC ayant le même objet, tout en permettant
d’atteindre le même résultat, puisqu’en principe, l’abrogation de la loi éventuellement
prononcée par le Conseil constitutionnel produira ses effets dans toutes les instances en cours,
le juge a quo étant tenu, même d’office, de laisser inappliquée une disposition législative
déclarée non-conforme à la Constitution.
2.
Alors même qu'elle doit être présentée dans un mémoire distinct, la QPC vient au soutien des
conclusions de la requête et constitue un moyen de droit, puisqu’elle a pour objectif d'éviter,
au moyen de l'abrogation, l'application au litige de dispositions législatives. Relevant du fond
du dossier, la QPC suppose par conséquent que le juge n’ait pas fait usage, comme le prévoit
l’article R. 771-8 du code de justice administrative, des pouvoirs que lui confère l’article
R. 222-1 du même code, pour rejeter la requête. Certaines ordonnances rendues par le tribunal
illustrent ainsi le fait que la QPC ne permet pas, par exemple, de déroger aux règles de
compétence juridictionnelle.
Deux affaires fiscales ont, en outre, permis à la formation de jugement de déroger au principe
selon lequel le moyen tiré de la non-constitutionnalité de la loi est tranché avant le reste du
litige, et d’appliquer, dans un souci de bonne administration de la justice, la procédure prévue
à l’article R. 611-8 du code de justice administrative, relatif à la dispense d’instruction,
lorsque l’issue de l’affaire est d’ores et déjà certaine au vu de la seule requête. Cette
procédure a pu être utilisée dans des affaires où le requérant, dans un cas, soulevait, pour
unique moyen, une QPC portant sur l’assiette de la taxe professionnelle des titulaires de
bénéfices non commerciaux, que le Conseil d’Etat avait déjà refusé de renvoyer, et, dans
l’autre, ne présentait que des moyens voués à l’échec. Si ces affaires ont été jugées
rapidement, elles démontrent que ce n’est pas le dépôt d’une QPC qui accélère le jugement de
l’affaire, mais bien la procédure de dispense d’instruction. Relative au jugement au fond de la
requête, la dispense d’instruction permet en même temps d’atteindre l’objectif de statuer sur
la QPC sans délai.
Avant d’évoquer quelques unes des QPC transmises par le tribunal, précisons que, lorsque
l’on examine le contenu des requêtes, à l’appui desquelles une QPC a été soulevée, on est
conduit à constater que le moyen d’inconstitutionnalité est souvent associé à un moyen tiré de
l’inconventionnalité de la même disposition législative, en général au regard de la Convention
européenne des droits de l’homme. Il s’agit pour le requérant d’utiliser, dès le début, une arme
à double détente, afin d’accroître ses chances de succès.
II- De quelques-unes des QPC transmises par le TA de Lyon
1.
Sur l’ensemble des QPC dont il a été saisi, le tribunal de céans a transmis à la juridiction dont
il relève, cinq d’entre elles, dans autant de domaines : pension, aide sociale, fiscal, urbanisme,
étrangers.
4
Le juge de 1e instance ne procède à la transmission que lorsque, conformément à l'article 23-2
de l'ordonnance du 7 novembre 1958, trois conditions sont remplies : la disposition contestée
doit être applicable au litige ou à la procédure, elle ne doit pas avoir été déclarée conforme à
la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif d'une de ses
décisions et la question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux. Le fait que les deux
premières conditions soient relativement simples à vérifier et que la troisième condition ne
fasse appel qu’à un examen limité (qui n’est pas sans rappeler l’examen pratiqué en matière
de référé suspension, sur le moyen propre à créer un doute sérieux) explique qu’aucune QPC
soulevée n’a conduit à solliciter une formation de jugement statuant en audience publique,
avec conclusions du rapporteur public.
Si le juge de 1e instance transmet au Conseil d’Etat la question lorsqu’elle n’est pas
dépourvue de caractère sérieux, le Conseil d’Etat ne renvoie au Conseil constitutionnel que
lorsque la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. Cet examen plus « serré » de
la question par le Conseil d’Etat a conduit à ce que des QPC transmises par le Tribunal ne
franchissent pas les mailles du second filtre. Il en a été ainsi, en matière fiscale, de la question
de la conformité de la majoration de 30 % de la taxe sur les surfaces commerciales, aux
principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Jugeant que la différence de
traitement entre établissements commerciaux était en rapport direct avec l’objet de la loi et
n’avait pas créé une rupture caractérisée de l’égalité entre les contribuables, le Conseil d’Etat
a considéré qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer la question 2 . Il en a été de même de la
conformité au principe d’égalité et à la liberté d’aller et de venir, des articles L. 111-2 et -3 du
code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et de l’ordonnance du 26 avril
2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte, en ce qu’elles ne
permettent pas à un étranger titulaire d’un titre de séjour délivré à Mayotte de se rendre sur le
territoire métropolitain et l’oblige, pour ce faire, à solliciter la délivrance d’un titre d’entrée
ou de séjour en application du code précité. Si le premier juge a estimé la question non
dépourvue de caractère sérieux, le Conseil d’Etat a estimé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer
car il n’existait pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir et que la différence
de traitement ainsi instituée reposait sur l’objectif légitime de prendre en compte l’insularité
de cette collectivité, l’importance des flux migratoires auxquelles elle est soumise et aux
contraintes d’ordre public qui en découlent 3 . Cette affaire démontre l’utilité d’avoir un critère
sur le sérieux de la question posée, plus souple en première instance et la nécessité que le
premier juge, au moindre doute sur la constitutionnalité de la disposition déférée, transmette
la question, afin de donner l’occasion au Conseil d’Etat de se prononcer et, lorsqu’il rejette la
question, que la solution qu’il dégage puisse ensuite être transposée par toutes les juridictions
du fond saisies d’une question similaire, ce qui était le cas en l’espèce, le tribunal
administratif de Limoges ayant sursis à statuer.
2.
Deux autres affaires transmises ont amené le Conseil d’Etat à procéder à un renvoi au Conseil
constitutionnel.
La première concerne la conformité, au principe d’égalité, de l’article L. 262-4 du code de
l’action sociale et des familles, en ce qu’il réserve le bénéfice du RSA aux français ou aux
titulaires, depuis au moins cinq ans, d’un titre de séjour les autorisant à travailler. La question
était soulevée par un requérant, d’origine serbe, qui comptait onze ans de présence sur le
2
3
CE, 20 avril 2011, Sté Auchan France, 346206.
Conseil d’Etat, 4 avril 2011, Mme M. 345661, à paraître au Recueil.
5
territoire. Le Conseil constitutionnel s’est toutefois prononcé dans le sens de la conformité de
cette disposition à la Constitution 4 .
La seconde affaire, pour laquelle le Conseil ne s’est pas prononcé à ce jour, a été posée
devant le juge unique statuant en matière de pension. M. C., fonctionnaire, conteste, la
conformité au regard du principe d’égalité devant la loi, de l’article L. 63 du code du service
national, dans sa rédaction en vigueur avant 1983, en ce qu’il réservait aux hommes ayant
accompli leur service national actif selon l’une des formes du titre III dudit code, le bénéfice
de la prise en compte du temps de service accompli pour l’avancement et les droits à la
retraite des agents de la fonction publique. L’intéressé, ayant effectué son service comme
objecteur de conscience, forme de service alors régie par le titre II dudit code, n’a pu obtenir
la prise en compte de ses deux années accomplis à ce titre pour le calcul de ses droits à la
retraite. Dans l’attente de la décision de la Haute assemblée 5 , cette affaire permet de rappeler
que la modification, postérieure au litige, de la disposition législative litigieuse ne fait pas
disparaître l’atteinte éventuelle aux droits et libertés, et ne fait ainsi pas obstacle à la saisine
du Conseil, comme il a eu l’occasion de le préciser dans sa décision du 23 juillet 2010 6 .
III- De l’impact de la QPC sur le travail du juge
La conséquence la plus notable de cette procédure sur le travail du juge est la nécessité dans
laquelle il se trouve de participer à l’échange d’informations avec les autres juridictions et de
se tenir informé de la jurisprudence constitutionnelle et des décisions rendues en matière de
QPC, quelle que soit la juridiction dont elles émanent. En un mot, le juge de première instance
doit avoir, plus encore que par le passé, le « réflexe constitutionnel » 7 . Pour l’y aider, tant le
Conseil d’Etat que le Conseil constitutionnel diffuse sur leur site internet ou intranet un
tableau de bord des saisines et des décisions rendues, avec l'indication de la norme contestée
et de la norme constitutionnelle invoquée. Le Conseil constitutionnel a également réalisé des
CD-Rom compilant les décisions rendues.
La mutualisation de l’information – au sein de ce qui pourrait être qualifié de « système
d’information QPC » – était rendue indispensable par la faculté laissée au juge de prononcer
un sursis à statuer lorsqu’il est saisi d’une QPC sur une disposition législative faisant déjà
l’objet d’une question pendante devant les hautes juridictions. Elle est également nécessaire
afin que la formation de jugement puisse transposer la solution dégagée par le Conseil d’Etat
ou le Conseil constitutionnel, et rejeter la QPC dont elle est saisie.
Mais cette obligation va bien plus loin et devient permanente. En effet, les décisions rendues
en matière de QPC ne constituant pas un domaine distinct du contentieux administratif, elles
peuvent avoir un impact dans des affaires où le requérant n’a pas pensé à soulever de QPC.
Même si la constitutionnalité de la loi n’est pas en débat entre les parties, il appartient au juge
d'écarter d'office des dispositions déclarées contraires à la Constitution. Dans le même ordre
d’idées, alors que le requérant n’aura pas soulevé de QPC, le juge peut être conduit à retarder
de quelques mois le jugement d’une affaire, le temps de connaître la position des hautes
juridictions sur la conformité à la Constitution de la disposition législative qu’il va être
conduit à appliquer. Tel a été le cas pour une affaire fiscale où devait être appliquée le 7 de
4
Décision n° 2011-137 QPC du 17 juin 2011, M. Zeljko S.
Affaire n° 2011-181 QPC.
6
Décision n°2010-16 QPC du 23 juillet 2010, M. Philippe E.
7
Titre d'un colloque organisé par l'université Toulouse I Capitole, « Question sur la question : le réflexe
constitutionnel, 1e journée d'études toulousaines sur la QPC », et repris, à propos de la formation des juristes, par
le professeur Verpeaux : « les QPC ou questions pour commencer », AJDA, 27 juin 2011, p. 1235, article
introduisant un dossier thématique consacré à ce thème.
5
6
l’article 158 du code général des impôts, qui prévoit, dans certains cas, une majoration des
revenus et charges retenus pour le calcul de l’impôt sur le revenu lorsque le contribuable n’est
pas affilié à un organisme de gestion agréé. La formation de jugement saisie a pu inscrire
l’affaire au rôle d’une audience, une fois que cette disposition, contestée dans une QPC, a été
jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Certes, cette vigilance est
familière au juge de première instance qui tient déjà compte, pour la juridiction dont il
dépend, des renvois en section ou en assemblée pour différer le jugement d’une affaire. Mais,
la tâche en ce domaine se complexifie : il n’y a qu’à jeter un rapide coup d’œil, sur le site
intranet du Conseil d’Etat, sur la liste des dispositions faisant l’objet d’une QPC, pour en
prendre la mesure.
***
Les nouveautés procédurales engendrées par la QPC n’ont pas posé de difficulté particulière.
« Sans délai » : c’est l’obligation qui est faite au juge pour répondre à une QPC. Le rapport du
groupe de travail sur l’application de la QPC devant les juridictions administratives et le vademecum qui l’a suivi, évoquaient un délai de deux à trois mois pour se prononcer. Le défi est
ici largement relevé par le Tribunal : les transmissions ont été effectuées en moyenne dans un
délai d’un mois ; dans les autres cas, quelques jours suffisent généralement pour prononcer le
sursis à statuer ou prendre une ordonnance de refus de transmission. Le juge de première
instance est, sur ce point, bien armé puisqu’il est habitué aux procédures d’urgence. Il ne faut
toutefois pas se cacher que cette exigence constitue une charge supplémentaire.
« Sans délai » : c'est aussi la caractéristique avec laquelle le juge de première instance s'est
approprié le mécanisme de la QPC. Il exerce son rôle de filtre avec mesure, n’hésitant pas à
renvoyer une question qui soulève un doute sérieux ; il utilise le sursis à statuer pour éviter
l’encombrement des juridictions supérieures et en même temps pour informer les parties que
leur QPC a été prise en compte ; il intègre cette nouvelle procédure dans les procédures
contentieuses qui lui sont familières (comme, par exemple, la dispense d’instruction).
En revanche, cette réforme exige du premier juge d’informer et de se tenir informé sur la
jurisprudence constitutionnelle et les décisions rendues dans le cadre de la procédure de QPC.
Cette insertion dans un réseau juridictionnel, ainsi que le renforcement de notre rôle dans la
protection des droits et libertés fondamentaux, qui conduisent tous deux à un enrichissement
de notre fonction, ne peuvent être, pour cette raison, que stimulants.
7

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