Intervention d`Olivier Cotte, Conseiller
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Intervention d`Olivier Cotte, Conseiller
LES QUESTIONS PRIORITAIRES DE CONSTITUTIONNALITE VUES DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LYON * INTERVENTION POUR L’AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTREE * Olivier Cotte, conseiller au tribunal administratif de Lyon Mesdames, Messieurs, L'audience de rentrée aujourd'hui est l'occasion de faire un point sur l'utilisation et la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité au tribunal administratif de Lyon, dixhuit mois après son entrée en vigueur, le 1er mars 2010. Rapidement désigné par son acronyme, ce nouveau mécanisme de garantie des droits est très original pour le juge administratif. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle, le juge administratif pratiquait le contrôle de constitutionnalité des actes administratifs et le contrôle de conventionnalité des lois, mais le mécanisme créé par le constituant ne ressemble à aucun de ses deux types de contrôle, de par ses modalités procédurales : il a par conséquent suscité au début une forte appréhension, notamment quant au nombre et à l’instruction de ces questions prioritaires de constitutionnalité. Appréhension renforcée au tribunal de Lyon par le fait que la première QPC enregistrée, trois jours après l’entrée en vigueur du mécanisme, était en fait… six QPC dans une série de dossiers concernant les prélèvements sur le produit brut des jeux de casinos, dans lesquelles étaient contestées huit dispositions législatives différentes, au regard de cinq normes constitutionnelles. On ne peut rêver plus belle entrée en matière ! Mise à part cette anecdote, l’usage modéré qui a été fait de ce mécanisme par les requérants et leurs conseils a permis une mise en place sereine de ce dispositif. La communication d’un vade-mecum par le Conseil d’Etat, puis les décisions rendues par la juridiction de renvoi et le Conseil constitutionnel ont conduit à préciser les règles relatives à l’instruction de ces dossiers et à baliser les critères régissant leur transmission. Au 31 août 2011, la juridiction a enregistrée 32 QPC et répondu à 21 d'entre elles. Cinq ont été transmises au Conseil d’Etat, ce qui donne une proportion d’un peu plus de 16 %, sensiblement équivalente à la moyenne nationale (18 %). La répartition des QPC par matière est assez fidèle à ce qu'elle est au niveau national. Le contentieux fiscal arrive largement en tête avec 13 QPC sur 32, suivi par les collectivités territoriales (6 requêtes). On peut relever un lien entre les matières donnant lieu à QPC et la protection offerte par le droit conventionnel. Ainsi, des matières hors du champ du contrôle de conventionnalité, comme les collectivités territoriales, ou partiellement exclues, comme le contentieux fiscal, sont des domaines privilégiés pour les QPC ; à l’inverse, malgré son importance quantitative, le contentieux des étrangers, dans lequel le droit supranational est très présent, n’a donné lieu qu’à une seule QPC. Une exception toutefois à ce tableau, qui 1 constitue une particularité du Tribunal : aucune QPC n’a été soulevée en matière de fonction publique, pourtant bien peu présente sur la scène conventionnelle, alors qu’elle figure en bonne place au niveau national. Parmi les normes invoquées par les requérants, le principe protéiforme d’égalité, avec ses composantes, égalité devant la loi et devant les charges publiques, est soulevé dans la moitié des QPC. Il constitue la norme de choix en contentieux fiscal, mais sert aussi de référence en matière de pension, d’aide sociale, d’urbanisme ou de contentieux des étrangers. L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et la garantie des droits qu’il contient, ont été également invoqués à plusieurs reprises, notamment lorsqu’était contestée une loi de validation, mais sans succès pour le moment. Le droit de propriété semble quant à lui cantonné au contentieux de l’urbanisme. Une dernière catégorie de principes constitutionnels peut être relevée ; elle est utilisée par un groupe bien particulier de requérants : les collectivités territoriales. Ces dernières ont été promptes à s’emparer de ce mécanisme de contrôle de la loi par voie d’exception, que ce soit au niveau local ou national, afin de contester les conséquences financières engendrées par les transferts de compétences réalisés à leur profit. Elles fondent leur argumentation sur le principe de libre administration et sur les principes d’autonomie financière et de péréquation financière, contenus respectivement dans les articles 72 et 72-2 de la Constitution. Les six QPC présentées devant ce tribunal concernaient, pour l’une d’elles, le préjudice financier résultant du transfert de l’instruction des demandes des titres d’identité aux communes, et, pour les autres, le préjudice financier consécutif au transfert de certaines aides sociales aux départements (plus précisément, le RSA, la prestation de compensation du handicap et l’aide personnalisée à l’autonomie). Cette dernière remarque conduit à constater, plus largement, qu’une grande partie des affaires concernées par des QPC portent sur des litiges d’ordre financier : préjudices financiers subis par les départements et communes, on vient de le voir, mais aussi sanction financière du code de la sécurité sociale, droit à pension, matière fiscale... Droits et libertés fondamentaux, et questions pécuniaires ne sont pas si étrangers que l’on aurait pu a priori le penser ! Lors de l’instauration de ce nouveau mécanisme de contrôle de constitutionnalité des lois, les commentateurs n’avaient pas manqué de souligner son caractère complémentaire du contrôle a priori, pour en conclure que les QPC porteraient sans doute davantage sur des lois anciennes, n’ayant pas fait l’objet d’un examen de la part du Conseil constitutionnel avant leur promulgation. Après quelques mois de pratique, la réalité est sensiblement différente : si certaines QPC ont porté sur des lois anciennes (relatives à la taxe professionnelle, au code du service national ou aux prélèvements sur le produit brut des jeux), la plupart ont concerné des lois postérieures au début de ce siècle : loi Solidarité et renouvellement urbains de 2000, régime dérogatoire instauré par une ordonnance de 2000 pour les titres de séjour délivrés à Mayotte, dispositions législatives de 2004-2005 organisant des transferts de compétence au profit des départements, bouclier fiscal (2007), loi de validation de 2008 contenant une indemnisation forfaitaire pour le transfert aux communes de l’instruction des demandes de passeport et de cartes d’identité, modification de la taxe sur les surfaces commerciales issue d’une loi de 2008. Le contrôle a priori et la QPC ne portent donc pas sur des lois relevant de deux périodes distinctes, mais s’imbriquent beaucoup plus étroitement que d’aucuns auraient pu le penser. Dans le cadre limité de cette intervention, nous insisterons sur quelques aspects de procédure, qui soulignent la nouveauté qu’a constituée la réforme de la QPC pour le juge de premier degré. Nous présenterons ensuite quelques-unes des QPC qui ont donné lieu à transmission, avant d’évoquer l’impact de cette réforme sur le travail du magistrat. 2 I- De quelques aspects procéduraux : l’originalité de la QPC pour le juge Comme l’indique l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel 1 , la QPC revêt un caractère hybride : elle est un moyen, présenté au soutien de conclusions et contenu dans un mémoire distinct. 1. L’obligation de présenter un mémoire distinct facilite grandement le travail du juge (ainsi que celui du greffe) et lui permet de respecter l’obligation qui lui est faite, par l’ordonnance du 7 novembre 1958 précitée, de statuer « sans délai par une décision motivée sur la transmission de la QPC » (article 23-2 de l’ordonnance). Elle permet une identification instantanée, et évite les interrogations que le juge peut avoir sur certaines requêtes, pour savoir si tel ou tel moyen est réellement soulevé ou pas. Une fois repéré, ce mémoire est communiqué au président de chambre et au magistrat rapporteur, afin d'en assurer, s’il y a lieu, l'instruction. A ce stade apparaît l’originalité de la QPC qui ne ressemble à aucune procédure familière du juge administratif, et se distingue notamment de la question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. L’originalité tient en particulier à ce caractère hybride qui fait d’elle un moyen au statut particulier. La QPC, ainsi que les mémoires en réponse à celle-ci, vont constituer un « dossier dans le dossier ». En effet, la procédure relative à la QPC est soumise à des délais d’instruction différents de ceux applicables au reste de la requête. La QPC constitue un moyen sur lequel il sera répondu avant les autres, ce qui lui donne son caractère prioritaire. Alors que la question préjudicielle n’est posée que lorsque sa solution est nécessaire à la résolution du litige (et donc après un examen approfondi du dossier), la QPC, si elle remplit les conditions de sa transmission, doit être posée par le juge, avant qu’il ne se prononce sur les conclusions de la requête. Ces caractéristiques sont source de complexité, à la fois pour le greffe et les magistrats, puisqu’il se peut que, dans une affaire, le tribunal reçoive, dans le même temps, des mémoires qui ont trait à la QPC et d’autres qui portent sur le reste du litige. Il convient donc, pour le personnel du tribunal, d’être vigilant afin d’enregistrer les mémoires dans le bon « dossier » et de trancher, comme le texte l’impose, la QPC sans tarder. La vigilance est également de mise pour les requérants et leur conseil puisque le défaut de présentation d’un mémoire distinct entraîne l’irrecevabilité de la QPC. Cette irrecevabilité a pu être opposée à plusieurs reprises par des formations collégiales du tribunal, en particulier dans les affaires en cours d’instruction au moment de l’entrée en vigueur de ce nouveau mécanisme de garantie des droits, le juge étant dispensé de l’obligation d’inviter le requérant à régulariser. Cette condition formelle peut peut-être aussi expliquer le fait que le tribunal n’a pas été saisi de QPC dans ses procédures d’urgence – reconduites à la frontière ou référés. Il paraît, en outre, difficile de développer, dans des délais d’instruction extrêmement courts qui sont ceux des procédures d’urgence, une argumentation sur la constitutionnalité de la loi. L’exigence de mémoire distinct, si elle conditionne la recevabilité de la QPC, peut selon nous être négligée, pour des motifs tirés de la bonne administration de la justice (objectif de valeur constitutionnelle, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision 2009-595 DC du 3 décembre 2009 statuant sur la loi organique), dans le cas très particulier des séries contentieuses. Ainsi, dans une série de six dossiers, relative à la contestation de la majoration 1 « Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. (…) ». 3 de 30 % de la taxe sur les surfaces commerciales à laquelle sont soumis certains établissements, l’avocat des six requérants a soulevé une question prioritaire dans le 1e dossier et s’est référé, dans les dossiers suivants, à l’ordonnance de transmission rendue entretemps, demandant au Tribunal de considérer que le moyen était soulevé et de tirer, le cas échéant, les conséquences, des décisions qu’engendrera la transmission. Si le terme n’était pas employé, le conseil demandait ainsi que le tribunal sursoit à statuer le temps que la QPC donne lieu à une réponse définitive. Ainsi apparaît une nouvelle catégorie de QPC : les « questions prioritaires de constitutionnalité non formalisées ». Cette stratégie d’avocat nous semble de bonne gestion pour l’ensemble des acteurs de la procédure, tant les parties que les greffes et magistrats, puisqu’elle évite la multiplication des QPC ayant le même objet, tout en permettant d’atteindre le même résultat, puisqu’en principe, l’abrogation de la loi éventuellement prononcée par le Conseil constitutionnel produira ses effets dans toutes les instances en cours, le juge a quo étant tenu, même d’office, de laisser inappliquée une disposition législative déclarée non-conforme à la Constitution. 2. Alors même qu'elle doit être présentée dans un mémoire distinct, la QPC vient au soutien des conclusions de la requête et constitue un moyen de droit, puisqu’elle a pour objectif d'éviter, au moyen de l'abrogation, l'application au litige de dispositions législatives. Relevant du fond du dossier, la QPC suppose par conséquent que le juge n’ait pas fait usage, comme le prévoit l’article R. 771-8 du code de justice administrative, des pouvoirs que lui confère l’article R. 222-1 du même code, pour rejeter la requête. Certaines ordonnances rendues par le tribunal illustrent ainsi le fait que la QPC ne permet pas, par exemple, de déroger aux règles de compétence juridictionnelle. Deux affaires fiscales ont, en outre, permis à la formation de jugement de déroger au principe selon lequel le moyen tiré de la non-constitutionnalité de la loi est tranché avant le reste du litige, et d’appliquer, dans un souci de bonne administration de la justice, la procédure prévue à l’article R. 611-8 du code de justice administrative, relatif à la dispense d’instruction, lorsque l’issue de l’affaire est d’ores et déjà certaine au vu de la seule requête. Cette procédure a pu être utilisée dans des affaires où le requérant, dans un cas, soulevait, pour unique moyen, une QPC portant sur l’assiette de la taxe professionnelle des titulaires de bénéfices non commerciaux, que le Conseil d’Etat avait déjà refusé de renvoyer, et, dans l’autre, ne présentait que des moyens voués à l’échec. Si ces affaires ont été jugées rapidement, elles démontrent que ce n’est pas le dépôt d’une QPC qui accélère le jugement de l’affaire, mais bien la procédure de dispense d’instruction. Relative au jugement au fond de la requête, la dispense d’instruction permet en même temps d’atteindre l’objectif de statuer sur la QPC sans délai. Avant d’évoquer quelques unes des QPC transmises par le tribunal, précisons que, lorsque l’on examine le contenu des requêtes, à l’appui desquelles une QPC a été soulevée, on est conduit à constater que le moyen d’inconstitutionnalité est souvent associé à un moyen tiré de l’inconventionnalité de la même disposition législative, en général au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit pour le requérant d’utiliser, dès le début, une arme à double détente, afin d’accroître ses chances de succès. II- De quelques-unes des QPC transmises par le TA de Lyon 1. Sur l’ensemble des QPC dont il a été saisi, le tribunal de céans a transmis à la juridiction dont il relève, cinq d’entre elles, dans autant de domaines : pension, aide sociale, fiscal, urbanisme, étrangers. 4 Le juge de 1e instance ne procède à la transmission que lorsque, conformément à l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, trois conditions sont remplies : la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, elle ne doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions et la question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux. Le fait que les deux premières conditions soient relativement simples à vérifier et que la troisième condition ne fasse appel qu’à un examen limité (qui n’est pas sans rappeler l’examen pratiqué en matière de référé suspension, sur le moyen propre à créer un doute sérieux) explique qu’aucune QPC soulevée n’a conduit à solliciter une formation de jugement statuant en audience publique, avec conclusions du rapporteur public. Si le juge de 1e instance transmet au Conseil d’Etat la question lorsqu’elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux, le Conseil d’Etat ne renvoie au Conseil constitutionnel que lorsque la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. Cet examen plus « serré » de la question par le Conseil d’Etat a conduit à ce que des QPC transmises par le Tribunal ne franchissent pas les mailles du second filtre. Il en a été ainsi, en matière fiscale, de la question de la conformité de la majoration de 30 % de la taxe sur les surfaces commerciales, aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Jugeant que la différence de traitement entre établissements commerciaux était en rapport direct avec l’objet de la loi et n’avait pas créé une rupture caractérisée de l’égalité entre les contribuables, le Conseil d’Etat a considéré qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer la question 2 . Il en a été de même de la conformité au principe d’égalité et à la liberté d’aller et de venir, des articles L. 111-2 et -3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et de l’ordonnance du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte, en ce qu’elles ne permettent pas à un étranger titulaire d’un titre de séjour délivré à Mayotte de se rendre sur le territoire métropolitain et l’oblige, pour ce faire, à solliciter la délivrance d’un titre d’entrée ou de séjour en application du code précité. Si le premier juge a estimé la question non dépourvue de caractère sérieux, le Conseil d’Etat a estimé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer car il n’existait pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir et que la différence de traitement ainsi instituée reposait sur l’objectif légitime de prendre en compte l’insularité de cette collectivité, l’importance des flux migratoires auxquelles elle est soumise et aux contraintes d’ordre public qui en découlent 3 . Cette affaire démontre l’utilité d’avoir un critère sur le sérieux de la question posée, plus souple en première instance et la nécessité que le premier juge, au moindre doute sur la constitutionnalité de la disposition déférée, transmette la question, afin de donner l’occasion au Conseil d’Etat de se prononcer et, lorsqu’il rejette la question, que la solution qu’il dégage puisse ensuite être transposée par toutes les juridictions du fond saisies d’une question similaire, ce qui était le cas en l’espèce, le tribunal administratif de Limoges ayant sursis à statuer. 2. Deux autres affaires transmises ont amené le Conseil d’Etat à procéder à un renvoi au Conseil constitutionnel. La première concerne la conformité, au principe d’égalité, de l’article L. 262-4 du code de l’action sociale et des familles, en ce qu’il réserve le bénéfice du RSA aux français ou aux titulaires, depuis au moins cinq ans, d’un titre de séjour les autorisant à travailler. La question était soulevée par un requérant, d’origine serbe, qui comptait onze ans de présence sur le 2 3 CE, 20 avril 2011, Sté Auchan France, 346206. Conseil d’Etat, 4 avril 2011, Mme M. 345661, à paraître au Recueil. 5 territoire. Le Conseil constitutionnel s’est toutefois prononcé dans le sens de la conformité de cette disposition à la Constitution 4 . La seconde affaire, pour laquelle le Conseil ne s’est pas prononcé à ce jour, a été posée devant le juge unique statuant en matière de pension. M. C., fonctionnaire, conteste, la conformité au regard du principe d’égalité devant la loi, de l’article L. 63 du code du service national, dans sa rédaction en vigueur avant 1983, en ce qu’il réservait aux hommes ayant accompli leur service national actif selon l’une des formes du titre III dudit code, le bénéfice de la prise en compte du temps de service accompli pour l’avancement et les droits à la retraite des agents de la fonction publique. L’intéressé, ayant effectué son service comme objecteur de conscience, forme de service alors régie par le titre II dudit code, n’a pu obtenir la prise en compte de ses deux années accomplis à ce titre pour le calcul de ses droits à la retraite. Dans l’attente de la décision de la Haute assemblée 5 , cette affaire permet de rappeler que la modification, postérieure au litige, de la disposition législative litigieuse ne fait pas disparaître l’atteinte éventuelle aux droits et libertés, et ne fait ainsi pas obstacle à la saisine du Conseil, comme il a eu l’occasion de le préciser dans sa décision du 23 juillet 2010 6 . III- De l’impact de la QPC sur le travail du juge La conséquence la plus notable de cette procédure sur le travail du juge est la nécessité dans laquelle il se trouve de participer à l’échange d’informations avec les autres juridictions et de se tenir informé de la jurisprudence constitutionnelle et des décisions rendues en matière de QPC, quelle que soit la juridiction dont elles émanent. En un mot, le juge de première instance doit avoir, plus encore que par le passé, le « réflexe constitutionnel » 7 . Pour l’y aider, tant le Conseil d’Etat que le Conseil constitutionnel diffuse sur leur site internet ou intranet un tableau de bord des saisines et des décisions rendues, avec l'indication de la norme contestée et de la norme constitutionnelle invoquée. Le Conseil constitutionnel a également réalisé des CD-Rom compilant les décisions rendues. La mutualisation de l’information – au sein de ce qui pourrait être qualifié de « système d’information QPC » – était rendue indispensable par la faculté laissée au juge de prononcer un sursis à statuer lorsqu’il est saisi d’une QPC sur une disposition législative faisant déjà l’objet d’une question pendante devant les hautes juridictions. Elle est également nécessaire afin que la formation de jugement puisse transposer la solution dégagée par le Conseil d’Etat ou le Conseil constitutionnel, et rejeter la QPC dont elle est saisie. Mais cette obligation va bien plus loin et devient permanente. En effet, les décisions rendues en matière de QPC ne constituant pas un domaine distinct du contentieux administratif, elles peuvent avoir un impact dans des affaires où le requérant n’a pas pensé à soulever de QPC. Même si la constitutionnalité de la loi n’est pas en débat entre les parties, il appartient au juge d'écarter d'office des dispositions déclarées contraires à la Constitution. Dans le même ordre d’idées, alors que le requérant n’aura pas soulevé de QPC, le juge peut être conduit à retarder de quelques mois le jugement d’une affaire, le temps de connaître la position des hautes juridictions sur la conformité à la Constitution de la disposition législative qu’il va être conduit à appliquer. Tel a été le cas pour une affaire fiscale où devait être appliquée le 7 de 4 Décision n° 2011-137 QPC du 17 juin 2011, M. Zeljko S. Affaire n° 2011-181 QPC. 6 Décision n°2010-16 QPC du 23 juillet 2010, M. Philippe E. 7 Titre d'un colloque organisé par l'université Toulouse I Capitole, « Question sur la question : le réflexe constitutionnel, 1e journée d'études toulousaines sur la QPC », et repris, à propos de la formation des juristes, par le professeur Verpeaux : « les QPC ou questions pour commencer », AJDA, 27 juin 2011, p. 1235, article introduisant un dossier thématique consacré à ce thème. 5 6 l’article 158 du code général des impôts, qui prévoit, dans certains cas, une majoration des revenus et charges retenus pour le calcul de l’impôt sur le revenu lorsque le contribuable n’est pas affilié à un organisme de gestion agréé. La formation de jugement saisie a pu inscrire l’affaire au rôle d’une audience, une fois que cette disposition, contestée dans une QPC, a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Certes, cette vigilance est familière au juge de première instance qui tient déjà compte, pour la juridiction dont il dépend, des renvois en section ou en assemblée pour différer le jugement d’une affaire. Mais, la tâche en ce domaine se complexifie : il n’y a qu’à jeter un rapide coup d’œil, sur le site intranet du Conseil d’Etat, sur la liste des dispositions faisant l’objet d’une QPC, pour en prendre la mesure. *** Les nouveautés procédurales engendrées par la QPC n’ont pas posé de difficulté particulière. « Sans délai » : c’est l’obligation qui est faite au juge pour répondre à une QPC. Le rapport du groupe de travail sur l’application de la QPC devant les juridictions administratives et le vademecum qui l’a suivi, évoquaient un délai de deux à trois mois pour se prononcer. Le défi est ici largement relevé par le Tribunal : les transmissions ont été effectuées en moyenne dans un délai d’un mois ; dans les autres cas, quelques jours suffisent généralement pour prononcer le sursis à statuer ou prendre une ordonnance de refus de transmission. Le juge de première instance est, sur ce point, bien armé puisqu’il est habitué aux procédures d’urgence. Il ne faut toutefois pas se cacher que cette exigence constitue une charge supplémentaire. « Sans délai » : c'est aussi la caractéristique avec laquelle le juge de première instance s'est approprié le mécanisme de la QPC. Il exerce son rôle de filtre avec mesure, n’hésitant pas à renvoyer une question qui soulève un doute sérieux ; il utilise le sursis à statuer pour éviter l’encombrement des juridictions supérieures et en même temps pour informer les parties que leur QPC a été prise en compte ; il intègre cette nouvelle procédure dans les procédures contentieuses qui lui sont familières (comme, par exemple, la dispense d’instruction). En revanche, cette réforme exige du premier juge d’informer et de se tenir informé sur la jurisprudence constitutionnelle et les décisions rendues dans le cadre de la procédure de QPC. Cette insertion dans un réseau juridictionnel, ainsi que le renforcement de notre rôle dans la protection des droits et libertés fondamentaux, qui conduisent tous deux à un enrichissement de notre fonction, ne peuvent être, pour cette raison, que stimulants. 7