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Cavej > L3 > Droit des sociétés 1
Centre Audiovisuel d’Etudes Juridiques des Universités de Paris
Droit des sociétés 1
Bulletin de liaison n° 2
Madame Laurène GRATTON
Plan du bulletin de liaison
Doc. 1 : Conseils méthodologiques pour le commentaire d’arrêt
Doc. 2 : Correction du commentaire de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la
Cour de cassation le 24 septembre 2003
Doc. 3 : Corrigés des fiches d’arrêts
Doc. 4 : Conseils de lecture sur le thème de la séance de regroupement
Document 1 :
Méthodologie du commentaire d’arrêt
Pour réussir à commenter un arrêt, il est d’abord essentiel de savoir bien lire un arrêt de la
Cour de cassation. Il faut donc s’entraîner à faire les fiches des différents arrêts de la séance.
Première lecture : sert à distinguer les faits, les moyens du pourvoi ou les motifs de l’arrêt
de la CA et la solution de la Cour de cassation. Eventuellement, vous pouvez utiliser des
couleurs différentes pour souligner ces différents éléments dans le texte de l’arrêt.
Ensuite : faire la fiche d’arrêt ne se résume pas à un travail de lecture et de surlignage, il faut
impérativement rédiger la fiche. Celle-ci correspond à l’intro du commentaire donc vous
devez vous entraîner à la rédiger en reformulant les éléments de l’arrêt (surtout pas de
recopiage de l’arrêt).
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Les différentes étapes de l’intro :
Phrase d’accroche : Amorcer le commentaire de façon élégante et dynamique par une ou
deux phrases qui précisent le thème de l’arrêt. Ex : dans cet arrêt en date du …la chambre
commerciale de la Cour de cassation est appelée à se prononcer sur l’importante question
de…ou sur la délicate question de…
Attention, pas le problème de droit mais simplement le thème de l’arrêt. Il faut rester assez
général. Ex : question de la libération d’un apport par la technique de la compensation des
créances ou des modalités de reprises des engagements pris au cours de la période de
formation de la société…
Faits : ne reprendre que les faits qui permettent de comprendre la solution, parfois certaines
précisions sont inutiles (ex : dans la plupart des cas, les dates ou les montants d’une somme
d’argent ne sont pas importantes). Surtout, il est nécessaire de qualifier juridiquement les faits
et les parties. Evitez les M. X et Mme Y. En droit des sociétés, il s’agit d’associés, dont
certains peuvent être dirigeants, ou de tiers à la société. Si la question porte sur un prêt, il y a
un emprunteur et un prêteur. En droit du travail, il y des employeurs et des salariés etc…
Procédure : quelle est la première demande, celle qui a initié la procédure ? par qui est-elle
formulée ? Eventuellement, devant quelle juridiction ?
Ex : un associé assigne un de ses co-associés devant le TC en paiement de la part non libérée
de son apport.
Le prêteur assigne devant la formation de référé du TGI l’emprunteur en remboursement du
prêt.
Ensuite, tout dépend s’il s’agit d’un arrêt de rejet ou de cassation.
Pour un arrêt de rejet, ce sont les moyens du pourvoi qui sont développés. Parfois, ils ont
assez nombreux ou se décomposent en plusieurs branches. Il faut essayer de synthétiser au
maximum ces arguments, reprendre, en les reformulant, les éléments les plus importants du
ou des moyens.
Ex : l’associé reproche en substance aux juges du fond d’avoir considéré que…sans
rechercher si…ou le demandeur au pourvoi estime en effet que…
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Lorsqu’il s’agit d’un arrêt de cassation, la structure de l’arrêt est toujours la même :
-la Cour de cassation vise la règle de droit sur laquelle la cassation est fondée
Ex : vu l’article 1832 du Code civ. (peut être aussi un art. d’une loi non codifiée ou un
principe à valeur constitutionnelle)
-ensuite dans l’attendu en chapeau de l’arrêt elle énonce la règle de droit que cette disposition
comporte « Attendu selon ce texte… ». Parfois, elle ne se contente pas de reproduire la règle
de droit elle en donne une interprétation et fournit elle-même une règle de droit (c’est cela
qu’il faut bien sur commenter !) « Attendu qu’il résulte de ce texte que… »
-suivent ensuite les motifs de la décision de la CA qui sont rappelés par la Cour de cassation
car elle les désapprouve, « pour rejeter la demande, l’arrêt retient… »
Dans l’intro d’un commentaire d’un arrêt de cassation vous devez donc reprendre les
motifs de l’arrêt de la CA.
Problème de droit : c’est la véritable difficulté de l’intro. Le pb de droit montre si vous avez
au moins compris le sens de l’arrêt. Il faut s’entraîner à en rédiger le plus possible.
Il s’agit de la question de droit qui est posée à la Cour de cassation. Il doit être formulé de
façon ni trop générale ni trop précise.
Ex : la créance de libération de l’apport de l’associé et celle de remboursement d’une avance
en compte courant de la société peuvent-elles se compenser ?
Solution de la Cour de cassation : si elle est courte et limpide (souvent le cas pour les arrêts de
cassation) vous pouvez la recopiez telle quelle entre guillemets. « A cette question, la Cour de
cassation a répondu que… ». Sinon, il faut la reformuler.
Finir avec l’annonce du plan (titres des deux parties du commentaire)
Les développements du commentaire :
Il faut faire un effort d’analyse de l’arrêt. Classiquement, il s’agit d’expliciter le sens de
la solution et d’évaluer sa portée.
Il faut faire un travail d’analyse au brouillon avant de construire le plan. Pour cela, posez-vous
quelques questions :
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-quel est le sens de la solution ? quelle est la teneur exacte de la réponse apportée par la Cour
de cassation au problème de droit posé ?
-quelle est la place de cette solution au sein de la jurisprudence sur ce thème (qu’il faut
donc connaître).
 Est-ce un revirement ? Attention c’est assez rare. Si oui, pourquoi la Cour de cassation
a-t-elle changé de position sur la question (doctrine critique, alignement sur la position
d’une autre chambre etc..)
 Le plus souvent, il s’agit d’une précision de la jurisprudence. Quels sont alors les
nouveaux éléments apportés par l’arrêt ? Elle peut donner par exemple une définition
d’une notion ou préciser certains critères de qualification de cette notion.
 D’une manière générale, s’agit-il d’une jurisprudence stable sur la question ou plutôt
fluctuante. L’arrêt s’inscrit-il dans une jurisprudence constante qu’il ne fait que
préciser ou au contraire infléchit-il cette ligne (en donnant une exception à un principe
bien établi). Si la jurisprudence est fluctuante, dans quel sens va cet arrêt par rapport
aux diverses orientations en présence.
-comment se caractérise l’interprétation de la Cour de cass de la règle appliquée ? Deux
solutions : il s’agit soit d’une interprétation stricte, soit d’une interprétation large. Vous
pouvez alors analyser l’arrêt en cherchant les implications possibles, les conséquences de
cette interprétation. Vous pouvez critiquer l’arrêt si l’interprétation vous semble sévère ou
alors approuvez la solution si elle vous semble raisonnable : il n’est pas interdit de donner son
avis, au contraire.
-quelle est l’intensité du contrôle exercé par la Cour de cass. sur la décision des juges du
fond ? principalement 3 types de formules
1-Absence de tout contrôle : appréciation des faits ou pouvoir discrétionnaire du juge.
 Rappel : la Cour de cassation ne juge pas le fond de l’affaire, elle ne juge pas les faits
mais dit le droit. Cela signifie qu’elle ne prononce pas sur les circonstances concrètes,
sur le fond de l’affaire, mais sur la règle de droit que les juges du fond ont appliquée.
Elle ne contrôle pas les faits mais la décision des juges du fond. Elle interprète les
textes applicables et vérifient que les juges du fond les ont correctement appliqués.
But : harmonisation, unification de la jurisprudence.
Conséquence : appréciation souveraine des faits par les juges du fond. Aucun contrôle sur les
faits, leur matérialité. « C’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation des
faits que la CA a décidé que …)
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 Parfois le juge n’a pas à motiver sa décision et la Cass rappelle ce pouvoir
discrétionnaire. Ex : refus d’accorder des délais de paiements (1244-1 du Code civ.).
2-Contrôle léger : se manifeste par des expressions du type : la CA « a pu en déduire » « a pu
décider que »…cela signifie que les conséquences que la CA a tiré de ses constatations sont
valables mais qu’un autre raisonnement aurait aussi été possible.
3-Contrôle lourd : formule du type la CA « a exactement décide que.. » a « décidé à bon droit
que … ». Le raisonnement de la CA ne pouvait pas être différent sans encourir la cassation.
Parfois associé à un véritable contrôle de qualification des faits : la Cass donne une définition
de telle ou telle notion.
-quelle est la portée de la solution ? S’agit-il d’un véritable arrêt de principe ou simplement
d’un arrêt d’espèce dont la solution est propre au cas soumis à la Cour de cassation. Attention
à ne pas voir des arrêts de principe un peu partout. Un arrêt de principe intervient le plus
souvent dans l’hypothèse d’un revirement de jurisprudence, ou pour trancher une controverse
doctrinale ou entre chambres de la Cour de cassation (dans ce dernier cas il sera parfois rendu
en Assemblée plénière pour unifier la position des différentes chambres sur la question). En
revanche, il existe plus souvent des « attendus de principe » c'est-à-dire que l’arrêt n’est pas
forcément novateur, la solution est déjà connue mais la formulation de la solution est faite
dans des termes généraux qui ont une tournure révélant un « principe de solution ».
Attention, deux écueils fréquents:
-c’est l’arrêt de la Cour de cassation que vous devez commenter, non pas celui de la CA
ou le moyen du pourvoi. Vous pouvez évoquer les motifs des juges du fond ou le moyen dans
les développements mais seulement pour les mettre en rapport avec la solution de la Cour de
cassation, pour faire mettre en lumière son intérêt.
-dans chacune des sous-parties, vous devez mentionner et analyser l’arrêt commenté.
Vous devez « coller à l’arrêt », ce qui signifie que si vous développez un peu de cours sur le
thème vous devez tout de suite rapporter ces observations à l’arrêt commenté. Relisez-vous, si
dans une ou plusieurs des 4 sous-parties, vous n’avez pas au moins une fois parlé de l’arrêt
vous glissez dangereusement vers le hors-sujet…
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Sur la construction du plan :
-toujours deux parties, deux sous-parties. Attention, chacune de ces sous-parties doit
comporter une analyse de l’arrêt (l’idée que l’essentiel doit figurer dans le IB et le II A est à
mon sens dangereuse).
-Chacune des 4 sous-parties doit comporter un élément d’analyse différent. Les 4 sous parties
correspondent à 4 idées différentes. Faites attention à ne pas « tourner en rond », c'est-à-dire à
dire sensiblement la même chose en changeant un peu les termes, dans chacune des sousparties. Pour cela, il faut insister sur un point : privilégiez la qualité à la quantité ! Il vaut
mieux un commentaire court mais bien structuré qu’un commentaire de 10 pages bourré de
hors-sujets ou de répétitions.
-Soignez les intitulés : évitez les titres dissertatifs, statiques qui sont trop larges et très vagues.
Posez-vous la question suivante : est ce que ce titre pourrait correspondre à n’importe quel
arrêt portant sur ce thème. Si oui, il est trop large. On doit deviner l’intérêt, l’apport de l’arrêt
rien qu’en lisant les titres.
Ex : les règles applicables à la dissolution de la société. Préférez, une interprétation stricte des
règles…
 Pour aller plus loin : consultez le bulletin du 15 mai 2009 de la Cour de cassation
(disponible sur le site de la Cour de cassation) qui comprend une rubrique intitulée
« Comprendre un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière civile » par J.-F.
WEBER, Président de chambre.
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Document 2 :
Correction du commentaire de l’arrêt du 24 septembre 2003
Le gérant d’une société signe une reconnaissance de dette envers une personne pour une
somme représentant le solde restant dû d’un prêt.
Il est par la suite assigné par le prêteur devant la formation de référé du TGI en
remboursement de ladite somme. Pour contester la compétence de cette juridiction, le gérant
allègue de la qualité d’associé de fait du prêteur de fonds. La cour d’appel infirme le jugement
du TGI ayant condamné le gérant au remboursement du prêt et renvoie l’affaire devant le
tribunal de commerce. Le prêteur forme alors un pourvoi en cassation. Il considère en effet
que les parties à un contrat ne peuvent invoquer la théorie de la société de fait pour s’évader
d’une relation contractuelle clairement définie entre elles. Le demandeur au pourvoi reproche
également aux juges du fond d’avoir retenue la qualification d’associé de fait en se fondant
sur la seule apparence de sa qualité d’associé sans vérifier l’existence d’une véritable
intention de s’associer ni constater que les éléments du contrat de société étaient
effectivement réunis.
 Dans quelle mesure la qualité d’associé de fait peut-elle être reconnue à un prêteur de
fonds ? OU Quels sont les éléments permettant de reconnaître la qualité d’associé de
fait à un prêteur de fonds ?
Dans un arrêt en date du 24 septembre 2003, la chambre commerciale de la Cour de cassation
rejette le pourvoi en énonçant une série de faits objectifs relevés par la cour d’appel et
attestant d’une véritable intervention dans la gestion courante de la société de la part du
prêteur. La Cour régulatrice approuve ainsi les juges du fond d’avoir considéré qu’en raison
de ce « comportement univoque », le demandeur au « ne pouvait être considéré comme un
simple prêteur de fonds».
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Cette solution atteste d’un recul de la prise en compte de la volonté dans la qualification
d’associé de fait (I). En effet, c’est davantage l’analyse du comportement de l’agent qui
s’avère déterminante dans le raisonnement de la Cour de cassation (II).
I-Le recul de la prise en compte de la volonté dans la qualification d’associé de fait
A) Une indifférence classique face à la volonté exprimée
La théorie de la société créée de fait vise à rétablir la qualification de contrat de
société entre des personnes qui n’ont pas eu conscience de créer une société ou
ont volontairement choisi de donner une autre qualification à leur relation. En
l’espèce, le demandeur au pourvoi avance que les parties avaient choisi
d’inscrire leur relation dans le cadre d’un contrat de prêt et que cela aurait dû
suffire à écarter la qualification de société.
Cependant, cette qualification ne lie pas le juge. Art 12 NCPC : le juge « doit
donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans
s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». La volonté
exprimée par la dénomination de contrat de prêt et de reconnaissance de dette
ne lie pas le juge
Intérêt de la qualification pour l’emprunteur. Si le prêteur est qualifié de coassocié, il devra contribuer aux pertes sans pouvoir réclamer le remboursement
de son prêt qui est en réalité un apport en numéraire. A l’inverse, si la
qualification d’associé n’est pas retenue, il est alors un créancier de la société.
Toutefois si la volonté exprimée dans le contrat est indifférente, l’affectio
societatis suppose en principe une collaboration volontaire.
B) Une conception de l’affectio societatis minorant le caractère volontaire de la
collaboration
Pour conclure à l’existence d’une société créée de fait, le juge doit constater
que les éléments du contrat de société sont réunis : apports, participation aux
pertes et aux bénéfices et surtout l’existence d’une affectio societatis (ci-après
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AS). Ce dernier élément est en principe déterminant dans cette opération de
qualification. Le juge doit relever des éléments permettant de caractériser une
volonté des associés de collaborer, d’exploiter une entreprise commune sur un
pied d’égalité.
cf. Arrêt de la chambre commerciale du 3 juin 1986 : donne une définition de
l’AS et montre son caractère déterminant dans la qualification de société. Le
juge ne peut se contenter de constater une vague volonté de « s’intéresser à la
gestion du fonds ». Il doit rechercher si l’agent a eu la volonté de collaborer à
l’exploitation de l’entreprise dans un intérêt commun sur un pied d’égalité pour
participer aux résultats de cette exploitation.
Même rigueur s’agissant de la qualification de société créée de fait entre
époux. Les juges du fond sont censurés car ils se sont prononcés « sans relever
aucun élément de nature à démontrer une intention de s'associer distincte de la
mise en commun d'intérêts inhérente à la vie maritale » (1ère Civ. 12 mai
2004).
La collaboration doit donc être volontaire de la part et non subie en raison des
relations nouées.
En l’espèce, la qualification prend davantage appui sur des faits objectifs que
sur la caractérisation d’une volonté. S’il faut bien entendu s’appuyer sur des
faits, des actes, un comportement c’est toujours pour in fine mettre en lumière
une volonté, une intention de s’associer. Or, ici, le raisonnement paraît
tronqué. Seuls les faits objectifs sont repris par la Cour de cassation qui ne fait
aucune référence à une volonté de s’associer distincte de la simple
collaboration entre prêteur et emprunteur. Ces éléments objectifs ne sont
habituellement pas en eux-mêmes suffisants, ils auraient dû servir à révéler
l’élément psychologique qu’est l’AS.
II-L’importance de l’analyse du comportement de l’associé de fait
A)Des éléments de comportement manifestant une participation à la gestion de la société
La Cour de cassation rappelle les différents éléments de fait pris en compte par les
juges du fond. D’une part, elle relève l’existence d’apport de fonds et d’avance de
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frais, de règlement des factures, que le demandeur disposait d’une carte bancaire de la
société à son nom. Elle souligne d’autre part le rôle central du prêteur dans la gestion
de la société : il disposait d’une véritable fonction au sein de celle-ci (carte de visite le
qualifiant de « sales manager »).
La difficulté dans ce type de situation est de distinguer la qualité de bailleur de fonds
naturellement intéressé à la bonne santé financière de la société et celle d’un véritable
co-associé de fait.
Com 15 juin 1993 : pour qu’une banque puisse être considérée comme associée de fait
il faut que les juges du fond constatent :
 L’acceptation des aléas communs résultant de l’activité économique
 Une participation à la gestion de son client.
C’est sur ce second point que la Cour de cassation insiste dans l’arrêt commenté. Les
différents éléments relevés montrent que le prêteur a fait beaucoup plus que de s’assurer de la
solvabilité de la société. Il est réellement intervenu dans la gestion courante de la société en
exécutant différents actes pour son compte. Les faits les plus révélateurs sont sans doute
l’achat des marchandises, le règlement des factures et la carte de visite le dénommant « sales
manager ». Le prêteur exerçait effectivement des prérogatives relevant de la gestion
quotidienne de la société. L’intervention dans la gestion de la société apparaît donc comme un
critère prépondérant dans la recherche d’une AS de la part du prêteur.
La méthode employée, celle du faisceau d’indices, n’est pas en soi contestable.
L’analyse s’écarte néanmoins de la jurisprudence rendue classiquement en la matière
car l’ensemble des indices relevés auraient dû être mis en rapport avec les éléments du
contrat de société. Il est assez étonnant que la Cour d’appel n’ait pas été censurée pour
n’avoir pas montré en quoi ces indices, au demeurant pertinents, révèlent l’existence
d’apport, la participation aux profits et pertes et l’intention de s’associer. Il y a là un
laxisme assez inquiétant du point du vue du contrôle exercé par la Cour de cassation
sur les décisions des juges du fond.
B)Des éléments de comportement faiblement contrôlés par la Cour de cassation
L’existence d’un contrôle léger de la part de la Cour régulatrice est marquée par
l’emploi de l’expression « a pu retenir ». Ce type de contrôle est fréquemment associé
à la méthode du faisceau d’indices laissant au juge la liberté de déterminer quels sont
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les faits, les indices qui leur semblent pertinents sans que l’absence d’un d’entre eux
puisse fonder la cassation.
Mais la Cour de cassation ne renvoie pas pour autant au pouvoir souverain des juges
du fond, elle se laisse donc une marge de manœuvre, une certaine latitude pour
contrôler les décisions des CA.
Cependant, la faible intensité de ce contrôle est assez dangereuse car elle conduit ici à
valider un raisonnement qui se fond davantage sur l’apparence de la société que sur la
réunion effective des éléments de la société (c’est une des critiques du pourvoi). Or,
l’apparence d’une société est suffisante lorsque celle-ci est invoquée par des tiers. Il
est naturel que ces derniers n’ait pas à prouver l’existence d’une intention des associés
mais doivent seulement montrer en quoi ils avaient pu avoir une croyance légitime en
l’existence d’une société. Or, l’arrêt semble ouvrir la possibilité de raisonner de la
même manière lorsque la société est invoquée non pas par un tiers mais par l’un des
associés.
Cette largesse de la part de la Cour de cassation montre bien que l’AS est une notion
plastique et fonctionnelle. Si elle peut être définie d’une manière générale comme la
volonté de collaborer à une entreprise commune sur un pied d’égalité, cette définition
large rend la notion malléable et assure son adaptabilité aux différentes situations. En
l’espèce, l’intention de collaboration égalitaire entre un bailleur de fonds et un
emprunteur est révélée par une immixtion du prêteur dans la gestion quotidienne de la
société. L’analyse de l’AS obéit à une certaine casuistique car son contenu diffère
sensiblement d’une hypothèse à l’autre. Dans le cas des sociétés de fait entre
concubins c’est davantage la volonté de collaboration que l’immixtion dans la gestion
qui est envisagée.
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Document 3 : Corrigés de fiches d’arrêts
Arrêt du 20 mai 1997 (Chambre commerciale) :
Ici un peu particulier car pas vraiment de faits importants.
Procédure : Au cours de la procédure de liquidation judiciaire d’une société, le
liquidateur assigne l’un des associés en paiement de la part non libéré de son apport.
L’associé avance que sa dette aurait été éteinte par compensation avec la créance dont il
dispose à l’égard de la société au titre du solde créditeur de son compte d’associé. La cour
d’appel accueille cette prétention estimant que les créances litigieuses sont connexes car
nées du même contrat et peuvent donc se compenser.
Pb de droit : L’obligation de libération de l’apport en capital et un versement en
compte courant peuvent-ils donner naissance à des créances connexes ?
Solution : Dans un arrêt rendu par la chambre commerciale le 20 mai 1997, la Cour de
cassation censure la décision des fonds en adoptant une conception stricte de la connexité. La
Cour régulatrice considère en effet que les créances ne pouvaient se compenser car le solde
créditeur du compte d’associé est né d’une convention de prêt entre l’associé et la société
alors que la dette de libération des apports résulte du contrat de société.
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En revanche, la compensation a été admise dans l’arrêt du 28 novembre
2001 (3ème chambre civile).
Faits : Une SCI est créée avec pour l’objet l’acquisition d’un terrain et la construction
d’un abri de chasse. Les statuts prévoient que les apports seront réalisés en numéraire et que
l’un des associés effectuerait un apport plus important que les autres.
Procédure : Ce dernier, après avoir libéré son apport et effectué un versement au
compte courant de la société, assigne ses co-associés en libération de leurs apports. Il voit sa
demande rejetée par la cour d’appel et forme alors un pourvoi en cassation.
Il avance que les travaux effectués par ses co-associés devraient être considérés
comme des apports en industrie et non comme une créance en compte courant. Il conteste
également que ces créances puissent se compenser avec la dette de libération des apports en
numéraire de ses co-associés dès lors que les caractères certain, liquide et exigible de ces
créances faisaient défaut.
Pb de droit : Le coût des travaux effectués par les associés pour le compte d’une SCI
peut-il constituer une créance de versement en compte courant pouvant faire l’objet d’une
compensation avec la dette de libération des apports souscrit par ces associés ?
Solution : La Cour de cassation rejette le pourvoi en reprenant l’essentiel du
raisonnement des juges du fond qu’elle approuve. Elle souligne que les statuts ne prévoyaient
pas d’apport en industrie et rappelle que ces derniers ne concourent pas à la formation du
capital social. Ainsi, le coût des travaux effectués par les associés devait être porté au compte
courant de la société et cette créance pouvait se compenser avec la dette de libération des
apports en numéraire dès lors que :
-les sommes étaient équivalentes
-et, c’est la le point le plus important, que cette compensation correspond à la situation
admise par les associés selon laquelle certains apporteraient un concours financier et d’autres
avaient du temps et les compétences pour faire les travaux nécessaires à la réalisation de
l’objet social.
En d’autres termes, la compensation peut s’opérer car l’inscription du coût des travaux
effectués au compte courant de la société procède du pacte social conclu entre les co-associés
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(certains apportent de l’argent d’autres leur temps et leur savoir-faire) tout comme la dette de
libération des apports qui résulte évidemment du contrat de société. Sans que cela soit
véritablement précisé par la Cour de cassation l’on peut comprendre que la créance figurant
sur le compte courant et la dette de libération des apports ne procèdent pas de deux contrats
différents mais résultent au contraire toutes deux du contrat de société.
Arrêt du 30 mars 2004 (1ère chambre civile)
Cet arrêt revient sur l’important question du lien entre l’apport en industrie et la
qualité d’associé (seul le 1er moyen nous intéresse de ce point de vue).
Faits : Une SCP titulaire d’un office d’huissiers de justice est créée entre deux
associés. L’un d’entre eux se voit attribuer la totalité du capital social et chacun des deux
associés reçoivent 50 parts en industrie. L’associé détenteur de l’intégralité du capital
s’engage à céder un tiers de ses parts à son co-associé dans le délai d’un an.
Procédure : La cession des parts n’ayant pas eu lieu l’associé cédant demande la
dissolution de la société sur le fondement de l’art. 1844-5 du Code civil.
(Rappel : cet article prévoit la possibilité de demander la dissolution de la société en
cas de réunions de toutes les parts sociales en une seule main)
Les juges du fond font droit à cette demande en estimant que la dissolution de la
société peut être prononcée alors même qu’il subsiste un associé uniquement titulaire de parts
en industrie dès lors qu’il existe un seul associé détenteur unique du capital social depuis la
constitution de la société.
Pb de droit

La dissolution peut-elle prononcée en application de l’article 1844-5 du
Code civil lorsque la société comporte deux associés dont l’un est uniquement titulaire
de parts en industrie ?
OU Le titulaire de parts en industrie peut-il être considéré comme co-associé et
faire ainsi échec à une demande de dissolution sur le fondement de l’article 1844-5 du
Code civil ?
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Solution : La Cour de cassation censure la décision des juges et rappelle au visa
notamment de l’art. 1844-5 du Code civil que selon cette disposition la dissolution d’une
société ne peut être demandée que s’il reste un associé unique. Ainsi, la Cour d’appel ne
pouvait faire droit à cette demande dès lors qu’elle constatait l’existence d’un co-associé
« fut-il uniquement titulaire de parts en industrie ». En d’autres termes, les associés ayant
uniquement réalisé un apport en industrie sont des associés à part entière et doivent être
pris en compte dans le calcul des effectifs des associés.
Document 4 : Conseils de lecture pour aller plus loin
 Sur la question classique et théorique des conceptions contractuelles et
institutionnelles :
-J. MESTRE, « La société est un bien encore un contrat », Mélanges J. Mouly, Litec
1998, tome 2, p. 131.
-plus récemment, Th. FAVARIO, Regards civilistes sur le contrat de société, Revues
des sociétés, 2008, p.53.
 Sur la société créée de fait
-pour une critique de la notion, F.X. LUCAS, « La société dite « créée de fait »,
Mélanges Guyon, 2003, Dalloz, p. 737.
-B. MAUBRU, Les sociétés créées de fait entre époux, Mélanges Jean Derrupé, Litec
1991, p. 275.
 Sur l’affectio societatis,
-Nadège REBOUL, « Remarques sur une notion conceptuelle ou fonctionnelle :
l’affectio societatis », Revue des sociétés 2000, p. 425
-P. SERLOOTEN, « L’affectio societatis, une notion à revisiter » Mélanges Guyon, p.
1007.
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Droit des sociétés 1 - Licence 3 en Droit - S5 - UE1 - BL n°2
Année universitaire 2010/2011