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Dimanche 10 juin 2007 / Page
7
[ Sélection
[ DVD
Ô Jerusalem
Cap au Sud
1947, New York. Deux compères : Bobby Goldmann (JJ
Field) et Saïd Chahïn (Saïd
Taghmaoui) goûtent à l’insouciance d’une après-Seconde
Guerre mondiale euphorique.
L’un est juif américain, l’autre
musulman de Palestine. Qu’importe : ils partagent un même
dieu et des valeurs analogues.
Mais l’Histoire, elle, suit une
triste marche. Alors que les deux
amis, inévitablement entraînés
dans son tourbillon, se retrouvent
sur cette terre de Palestine au
bord de l’implosion, ils découvrent une « cité de la paix » mère
de deux peuples, enivrante de
beauté et de paradoxes. La partition de la Palestine votée par le
conseil de l’ONU à l’automne 47
et la création de l’Etat d’Israël
Injustement méconnue, la cinématographie sud-américaine
possède pourtant ses grands classiques, à l’instar de Dona Flor et
ses deux maris de Bruno Barreto (Doriane Films). Un quart de
siècle après sa sortie triomphale sur les écrans brésiliens, cette comédie de mœurs adaptée du roman de Jorge Amado détient toujours le record des entrées dans ce pays. On y retrouve Sonia
Braga – pas encore happée par la machine hollywoodienne – au
cœur d’un joyeux chassé-croisé conjugal après la disparition prématurée de son cavaleur de mari. Et la musique de Chico
Buarque pour rythmer ce film si sensuel.
Orlando Lübbert, lui, a fui le coup d’état de 1973 et s’est exilé
durant plus de vingt ans à Berlin, avant de revenir tourner à Santiago Un taxi pour trois (Doriane Films), un des plus gros succès de
l’histoire du cinéma chilien. Dans un registre assez proche de la
comédie à l’italienne, il nous embarque dans le taxi d’Ulises Morales, lui-même braqué par Chavelo et Coto et contraint de donner un coup de main à ces deux malfrats à la petite semaine. Seulement lorsqu’on peine à honorer les traites de sa Lada, on se
pique tôt ou tard au jeu. Avant que la morale ne triomphe, évidemment.
M. B.
[ Musique
Les visages
de Toussaint
sonnent toutefois le début de la
déchirure… Le nouveau pan
d’une guerre fratricide sans
issue.
Ô Jerusalem (TF1 Vidéo),
version cinéma, était très attendu. Avec des images d’une
troublante beauté, il transpose à
l’écran le best seller éponyme de
1972 co-écrit par Dominique Lapierre et Larry Collins, et vendu
à plus de 50 millions d’exemplaires dans le monde. Sur un
scénario de Didier le Pêcheur
Elie Chouraqui traite un des
thèmes les plus sensibles de
notre Histoire moderne, avec une
volonté d’impartialité. Mais l’œil
cinématographique peut-il l’être
totalement ?
M. Ko.
[ Cinéma
Une équipée poussive
Quatre bikers quinquagénaires emmenés par John Travolta et Tim Allen
enfourchent leur Harley-Davidson pour traverser
une Amérique forcément profonde dans Bande de sauvages
de Walt Becker, comédie de "vieux motards" pour baby boomers.
Ibrahim Ferrer post mortem
Ils comptaient parmi les vétérans de la musique cubaine, et étaient perçus comme des
mémoires vivantes de l’une de ses périodes les
plus fastes (1940-60), avant de sombrer dans
l’oubli. Repêchés en 1995 par le guitariste et
producteur américain Ry Cooder et le cinéaste
Wim Wenders désireux de consacrer un documentaire aux papys de la musique cubaine, le
guitariste et chanteur Compay Secundo, et les
pianistes Ruben Gonzalez et Ibrahim Ferrer
(78 ans) notamment, ont vécu en quelques années un véritable conte de fée au sein du
Buena Vista Social Club organisé pour les besoins du film. L’écho qu’il a rencontré dans le
monde a permis aux membres du combo d’ac-
céder au rang de stars et d’en « profiter »
quelques années durant avant, on le sait, de
passer l’arme à gauche les uns après les
autres : Compay et Ruben en 2003, enfin Ibrahim en 2005. En août 2005 très exactement,
juste après le festival de Marciac en France.
Ferrer s’apprêtait à mettre la dernière main à
l’album Mi sueno (mon rêve) lorsqu’il s’est
éteint. Roberto Fonceseca le jeune pianiste et
directeur musical, qui avait planché sur les arrangements s’est chargé de finir le boulot avec
justesse et sans emphase : un disque magnifique et envoutant dédié au "bolero" et à la
chanson sentimentale.
A.G.
Angélique Kidjo & Cie
Angélique Kidjo livre un nouvel album
surprenant, Djin Djin (Odéon/EMI). La
chanteuse béninoise, qui a débuté sa carrière au milieu des années 80, a rapidement
choisi la voie d’une musique africaine très
influencée par les musiques occidentales, la
soul, la pop music, le funk. Après une parenthèse acoustique en 2004, son dernier
album, sur lequel figure une pléïade d’invités prestigieux (Alicia Keys, Joss Stone,
Peter Gabriel, Amadou et Mariam…),
marque un retour à cette pop africaine mâtinée de soul et de funk, qui sont la marque
de fabrique d’une chanteuse s’exprimant la
plupart du temps en fon, sa langue natale.
New Yorkaise d’adoption après avoir été
parisienne, cette chanteuse de tempérament
affectionne la scène, grâce à ses qualités de
danseuse, un physique et une coupe de cheveux fuselés à la Grace Jones.
Rappelez-vous Easy rider. Peter Fonda et
Dennis Hopper lancés à fond la caisse sur
des Harley-Davidson Panhead dans l’Amérique des sixties. Un trip sous hallucinogènes de 3 000 km à moto pour rallier La
Nouvelle Orleans et son carnaval. Monument Valley et Taos Pueblo en toile de fond
de ce road movie pétaradant tourné pour une
poignée de dollars, mais qui allait devenir
une œuvre culte grâce au vent de liberté
qu’il faisait souffler. L’issue fut un peu
moins glorieuse, avec un douloureux différend sur la paternité du film, mais le coup de
pied dans la fourmilière puritaine était
donné.
Quarante ans plus tard, les rebelles des
temps modernes sont golden boy (John Travolta), dentiste (Tim Allen), plombier (Martin Lawrence) et informaticien (William
Macy). Une vie minutieusement réglée la
semaine et une sage virée à moto le dimanche pour ces quatre potes quinquagénaires, caricatures ambulantes de l’American way of life dans Bande de sauvages de
Walt Becker, qui sort mercredi dans les
salles. Seulement Woody, Doug, Bobby et
Dudley – les prénoms respectifs de nos larrons – décident précipitamment de délaisser
leur confort pour mettre un peu de piment
dans leur quotidien immuable.
« Ces hommes aiment leur boulot, leur
épouse, leurs enfants, mais ils ont aussi
besoin de faire une pause, de retrouver
un peu de liberté, de frissons. Ils veulent
juste se sentir vivants, alors ils prennent
la route sans savoir où elle les mènera,
tant au niveau géographique qu’émotionnel », explique le scénariste Brad Copeland,
qui estime avoir imaginé des protagonistes
« assez emblématiques d’une génération
et dans lesquels beaucoup de gens se reconnaîtront » : « Ce sont des individus
normaux qui, le dimanche, enfilent leurs
cuirs et exhibent leur Harley. Et un beau
jour, ils décident d’aller beaucoup plus
loin, de se lancer dans un vrai voyage. »
Alors place au doux parfum de l’aventure
pour ces bikers sur le retour à qui aucune
Photo Lorey Sebastian
Photo AFP
par Michel BITZER
Lamartine disait de
lui : « Cet homme fut
une nation. » De fait,
Toussaint Louverture
est universellement regardé comme la figure
emblématique de la
révolte des esclaves
qui aboutira à la naissance de la République d’Haïti. Le dram a t u r g e
guadeloupéen Alain
Foix lui consacre aujourd’hui une pertinente et passionnante
biographie, (Toussaint
Louverture, Gallimard
Folio) mettant notamment en exergue
l’étrange relation qui
liait à distance Toussaint à Napoléon.
Celui que l’on surnommait
"Fratas
bâton"
lorsqu’il
n’était que cocher sur
l’habitation Breda, à
Saint-Domingue, apparaît ici dans sa réalité complexe de fin
stratège, d’homme visionnaire. « Toussaint
Louverture n’est sans
doute pas seulement le
libérateur d’Haïti »,
écrit Alain Foix. Il est
aussi le libérateur
d’une haute idée de
l’homme. » Dans le
même élan, le même
auteur s’adresse aux
plus jeunes de ses lecteurs. Histoires de l’esclavage racontées à
Marianne (Gallimard
jeunesse Giboulées)
met en scène la rencontre entre une jeune
fille et les grandes figures de l’esclavage.
Toussaint Louverture,
Victor Schoelcher,
l’abbé Grégoire ou la
Vénus Hottentote lui
raconteront tour à
tour leur parcours. On
retrouve le conte sur
un CD enrichi de
chants créoles accompagnant le livre.
Michel GENSON
Malgré la puissance de leurs bécanes, John Travolta et ses amis bikers peinent
à enclencher la vitesse supérieure sur les routes de l’Ouest américain.
blague de potache ne fait peur. Et le script
minimaliste au possible les aligne au fur et à
mesure de leur progression vers l’Ouest !
Jusqu’à Madrid – Nouveau-Mexique, pas
Espagne –, où nos comiques associés se
heurtent à un vrai gang de motards, les Del
Fuegos… qui auraient dû s’appeler Hells
Angels si ces derniers n’avaient attaqué le
studio en justice pour l’utilisation abusive
de leur logo. Des durs, des tatoués, dirigés
par Ray Liotta dans le rôle du semeur d’embrouilles, alors que Marisa Tomei interprète
la patronne du restaurant qui leur sert de
quartier général.
On vous laisse imaginer la suite de cette
comédie poussive qui a rencontré un succès
imprévu l’hiver dernier de l’autre côté de
l’Atlantique, au point que les initiateurs du
film évoquent déjà une possible suite pour
laquelle Travolta se verrait bien sillonner les
routes européennes en biker avisé qu’il était
déjà avant le tournage. Rien à voir avec
William Macy, qui aura vécu quelques moments difficiles au guidon de sa Harley-Davidson Sportster de 1 200 cc. « Un engin
vraiment énorme. Et quand un truc pareil se met à pencher et en arrive à toucher le sol, personne ne peut plus le relever ! »
Les connaisseurs apprécieront. Les cinéphiles, eux, auront une pensée émue pour
Easy rider à qui Bande de sauvages fait un
clin d’œil avec une apparition impromptue
de Peter Fonda. En 1969, il filait plein gaz
en compagnie de Dennis Hopper sur la musique de Jimi Hendrix, Steppenwolf, The
Byrds et The Holy Modal Rounders. Aujourd’hui, le film de Walt Becker mise sur
Bon Jovi, Mink DeVille, Electric Light Orchestra, AC/DC, Grand Funk Railroad, Allman Brothers ou le Creedence Clearwater
Revival. Et là, il tient à peu près la route.
[ Bandes dessinées
Tout un monde
au bout du fil
Panique au bout du fil, de Daniel Goossens, chez
Fluide Glacial. Pour cet album-ci, son génial auteur a
reçu le Prix de la bande dessinée d’Humour au Festival Juste pour Rire de Nantes, en avril. C’est un
moindre mal. Car c’est bien un festival, cet album,
mais de non sens, de burlesque, d’un monde surréaliste où rien n’est logique. Georges et Louis, romanciers sans écrits, y sont parfaits : ils observent la société sans la comprendre, s’ingénient à inventer les
histoires les plus plates possibles, les récits les plus
dénués d’intérêt – en y croyant du fond du cœur. Où
l’on apprend notamment le secret de la forme de Gaston Lagaffe ou bien encore pourquoi les marins chantent si faux. C’est tout le talent de Goossens : chacune
de ses cases prend systématiquement le contre-pied de
la précédente, emprunte des voies inattendues. Avec
lui, il est impossible de prévoir les chutes de chaque
planche, ce dont devraient s’essayer bien des auteurs
dits d’humour.
*
Virginie, une histoire qui sent la colle Cléopâtre, est
signée Kek. Paru chez Delcourt, dans la collection
shampooing, cet album exploite la veine des récits autobiographiques. Voici donc l’histoire de Kek, petit
garçon de 9 ans, et de Virginie, pareil, tous les deux en
CM1 et tous les deux amoureux. Vingt ans plus tard,
grâce à internet (ah ! internet), ils se retrouvent. Kek y
croit, Virginie est juste contente. Les détails abondent,
Kek en est touchant de naïveté, de gentillesse. Evidemment, l’affaire foire, les grands sentiments ne sont
plus ce qu’ils étaient. La vie est passée, tout ça…
Quand même, on a envie d’y croire avec lui, à cette
espèce de contes de fées moderne. Et puis, Kek est
ravi. Sa peine de cœur, il la sublime dans cet album. Et
c’est aussi une belle histoire.
*
Les Parques sont signées Hugues Micol, chez
Vents d’Ouest. C’est un joyeux pastiche des films
La machine à contempler
le temps
d’espionnage des années 50-60. Avec tous les ingrédients possibles : des nazis amateurs de peinture en
exil en Amérique latine, des Américains plein aux as,
riches en gadgets, des musicos sans le sou, des agents
secrets qui dégringolent de partout et bien sûr, évidemment, forcément, un espion français. Lequel est
réduit à loger dans un hôtel miteux et sans eau, à rebondir d’une scène à l’autre sans changer de falzar et
surtout d’une case à l’autre sans donner l’impression
de s’être foulé plus de trois neurones. Le texte et le
dessin sont signés Hugues Micol. Ça n’est pas d’une
très grande originalité, mais ça se laisse lire avec plaisir. Et puis ça permet de découvrir le talent scénaristique de Micol, déjà apprécié par ses dessins.
*
Ingmar, d’Hervé Bourhis et Rudy Spiessert, chez
Dupuis. Une des séries les plus étonnantes du moment. Voici donc Ingmar, le Viking peureux et intellectuel. On l’a vu dans le tome 1 embarqué dans des
tas d’aventures à cause du livre étrange du Dieu chétif
(jésus). Le tome 2 le confronte à un démon des bois
amateurs de jeunes filles. Ingmar est un gaffeur né,
doublé d’un idiot au bon cœur. Un grand ado pas fini
mais attachant et promis par ses auteurs à une destinée
pleine d’aléas. Même pas sûr qu’il rentre chez lui
plein d’usage et de raison. Mais crotté, certainement.
Olivier JARRIGE
A
panthéon des Lettres Hispaniques
contemporaines, José Carlos Somoza se
fait tranquillement une place, alignant
dans notre bibliothèque des chefs-d’œuvre pourtant peu reconnus. La théorie des cordes qui
vient de paraître chez Actes Sud confirme le talent du psychiatre cubain érudit et nous appelle
à un nouveau ravissement inoubliable.
Eliza Roledo, jeune physicienne tout juste diplômée, est choisie pour participer à un cycle
de recherche secret avec le ponte de la physique
des particules, le professeur Blanes, sur une petite île de l’océan Indien. Il s’agit de la première
tentative d’application expérimentale de la fameuse théorie des cordes, domaine d’avantgarde qui tente explorer les limites de l’infiniment petit, au cœur des particules élémentaires.
Et quelle expérience ! Le dispositif, composé
d’un réseau de satellites et d’un synchrotron
(accélérateur de particules) gérés par de puissants ordinateurs, permet de filmer la planète…
dans le passé ! Contempler l’Angleterre couverte de glace au quaternaire ou zoomer sur Jérusalem en l’an 33 à la recherche d’une image
du Christ, le miracle semble inouï.
Mais l’euphorie tourne court : les savants
qui visionnent ces fabuleuses prises de vue
sont pris de graves malaises et l’île est soudain le théâtre de meurtres atroces. HP. LoveU
craft disait qu’à trop regarder dans l’abîme
c’est l’abîme qui finit par regarder en nous. Et
si à trop fouiller dans le passé, ce dernier finissait par nous posséder ? Fiction scientifique savante et roman fantastique en forme
d’avertissement prophétique, La théorie des
cordes entrebâille à la fois les portes d’une
science réputée difficile d’accès et celles d’un
champ de pensée fondamental (la philosophie
des sciences), sur un mode de vulgarisation
tout public. Par un effet de feedback, l’incarnation de la théorie dans la dynamique du
récit la rend familière, et la toile de fond
scienti-fictive de l’intrigue donne à cette dernière une ampleur cosmique et un souffle romanesque impressionnant.
La bouche ouverte, les yeux écarquillés, et
la respiration suspendue sont des symptômes
ordinaires du lecteur de Somoza, maître distillateur de stupeur. Ceux qui découvrent l’auteur avec ce sixième texte traduit trouveront
en poche Babel les incontournables La caverne des idées, Clara et la pénombre, et La
dame numéro treize, qui enrichissent respectivement les univers de la philosophie grecque
antique, de l’art contemporain et de l’ésotérisme mythologique.
Jean-Baptiste DEFAUT.