Joseph Lintz1 - Les malgré-nous
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Joseph Lintz1 - Les malgré-nous
Témoignages Les incorporés de force face à leur destin Un visage désormais célèbre Joseph Lintz 1 Photo extraite du Recueil photographique des disparus du Bas-Rhin victimes de la circonscription allemande de 1942 à 1945 publié par l’ADEIF en 1948. 1 Témoignage de René Schott. 492 «J e me permets d’apporter un témoignage personnel concernant le « Malgré-nous» dont nous voyons la photo sur la couverture de l’ouvrage d’Eugène Riedweg. Il s’agit de Joseph Lintz, de Zeinheim (Bas-Rhin). Si je vous en parle, c’est que j’ai bien connu cet homme et voici dans quelles circonstances. Pendant cinq ans, j’étais en poste dans le village de Zeinheim en tant qu’instituteur et secrétaire de mairie. Lors de ma première permanence à la mairie, il est venu me voir pour une affaire administrative. Puis la conversation suivante s’est engagée : «Puisque vous êtes de Schirrhein, vous devez connaître le jardin du presbytère. - Bien sûr, lui ai-je répondu. - C’est là que j’étais cantonné pendant la guerre, en janvier-février 1945. - Et moi, j’habitais à cette époque juste en face, de l’autre côté de la rue en pente, dans la maison de mes parents. On se terrait dans la cave ! ». Il faut dire que pendant près de huit semaines, du 21 janvier au 17 mars 1945, Schirrhein se trouvait à quelques quatre ou cinq kilomètres du front. Mais le village n’a pas été évacué. Il servait de base de départ aux troupes allemandes montant en première ligne et était régulièrement la cible de l’artillerie, américaine d’abord, française ensuite. J’avais neuf ans lors de ces événements et je me souviens très bien de la présence de chars SS dans le jardin du presbytère. J’ai demandé à Monsieur Lintz: «Alors, vous étiez avec les SS qui ont essuyé ce terrible tir d’artillerie? - Exactement! Nous avions des blessés et des morts dans nos rangs», m’a-t-il répondu. C’était un bombardement ciblé qui avait fait des victimes parmi les Panzergrenadiere (dans les caves, nous entendions les cris des blessés), alors que les maisons toutes proches n’ont pas été détruites. Témoignages Les incorporés de force face à leur destin Alors, il m’a raconté que son unité a été transférée, peu après, au front de l’Est et que lui-même est tombé aux mains des Russes pendant la bataille de Berlin. Sa captivité a duré plus de cinq ans. En effet, il n’est rentré que le 14 septembre 1951 : sur la photo, on le voit à son arrivée à Strasbourg avec sa mère et son frère (de dos). «Vous n’aviez vraiment pas de chance, lui aije dit. Mais vous n’auriez pas pu vous esquiver quand vous étiez à Schirrhein ? Il y avait bien des déserteurs allemands qui se planquaient dans des étables ou des granges lors de la Libération. - Ce n’était pas si facile. On n’était jamais isolé. S’il y avait eu un repli dans le désordre, on aurait pu profiter de la confusion. Mais les Allemands s’accrochaient au front de la Moder. Cela pouvait durer encore longtemps». En effet, le front ne fut rompu qu’à partir du 15 mars. «Et nous rendre aux Américains, a-t-il continué, cela nous semblait trop risqué. On nous 493 Témoignages Les incorporés de force face à leur destin avait inculqué que les soldats noirs ne faisaient pas de prisonniers, surtout pas parmi les Waffen SS. Un groupe d’Allemands a été encerclé dans les bois, du côté d’Oberhoffen. Ils se sont rendus : les Américains leur ont pris leurs armes, les papiers et les montres et les ont laissés sur place. Un miracle qu’ils ne soient pas tombés sous les balles de leurs camarades et qu’ils aient échappé au conseil de guerre ! - Il faut que vous me racontiez tout cela un jour en détail», ai-je conclu. On s’est souvent revu par la suite, mais il ne m’a jamais parlé de sa captivité. Il en était revenu très éprouvé, usé, malade pour le reste de sa vie. Il est mort le 25 juin 1972. Si je relate tout cela, c’est pour qu’il ne soit pas totalement oublié, pour mettre un peu d’Histoire sur ce visage tellement montré et pourtant anonyme ». 494