Marcel Spindler1
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Marcel Spindler1
Témoignages Les incorporés de force face à leur destin Résistant dans les Vosges Marcel Spindler 1 Marcel Spindler est appelé au RAD (Reichsarbeitsdienst), le 1er juin 1942, à Gotha (Thuringe). Le service s’accomplit sur des chantiers du Génie civil, tout en effectuant une véritable préparation militaire. «L 1 Résumé d’un texte établi par Jean-Paul Didierjean. a classe 1922 a été enrôlée dans l’Armée allemande le 17 octobre 1942. Il fallait que je trouve un moyen de retarder cette incorporation le plus longtemps possibe. La première occasion se présenta après trois mois passés au RAD : je fus nommé ouvrier (Arbeitsmann) 1ère classe, ce qui me donna une chance de rester encore trois mois au RAD. Nous avons été amenés à troquer la pelle contre un fusil et à participer à des tirs rééls. Etant en contact avec des amis de ma classe qui ont été affectés dans l’industrie d’armement, ce qui les a exonérés du service militaire pendant un mois avant d’être libérés du RAD, j’ai fait une demande d’embauche aux „Badische Motorenwerke “ dans l’espoir de ne pas être incorporé dans la Wehr- macht étant donné qu’on y assemblait des moteurs d’avions. L’usine était sous contrôle de l’Armée et, effectivement, j’ai pu y faire un stage comme ajusteur mécanicien. Malheureusement, je fus quand même appelé pour le service militaire dans l’aviation, le 25 mai 1943; j’avais quand même profité de six mois de sursis. A ce moment là, il y avait déjà des amis de la classe 22 qui étaient portés disparus sur le front russe et mêmes prisonniers au sinistre camp de Tambow. La base aérienne d’Istres J’ai subi l’instruction au 11e régiment d’aviation à Kaufbeuren dont l’Oberst était Heinz Ruhmann, le célèbre acteur du cinéma allemand. Après trois mois d’instructon, notre régiment fut muté en Belgique pour la surveillance à la Mer du Nord. J’étais souvent de garde près d’un château où se trouvait le quartier général de l’Aviation. 685 Témoignages Les incorporés de force face à leur destin Par la suite, nous fûmes envoyés en France où notre convoi fut bombardé dans la région d’Auxerre où nous restâmes bloqués pendant huit jours. Le voyage se poursuivit jusqu’à la base aérienne d’Istres, dans les Bouches-duRhônes. Sur cette base, l’aviation faisait journellement des sorties vers l’Afrique du Nord. Un soir où j’étais de garde, des trains de marchandises rentraient sur la base et on déchargeait du matériel. Le lendemain matin, à l’aube, l’aviation alliée a bombardé, par vagues successives, les pistes d’envol, les hangars, les casernements et les tranchées autour de la base. Aucun avion allemand ne put prendre l’air. Le dépôt d’essence et de munitions sauta en l’air. Dans la garigue autour de la base qui avait pris feu, des bombes de Stukas qui y étaient entreposées, explosèrent à intervalle d’une dizaine de minutes. Il fallait se boucher les oreilles avec du coton pour se protéger les tympans. Pendant les bombardements, nous nous sommes abrités dans les tranchées où nous avons enregistré de nombreux tués par les Schrapnels (bombes à fragmentation). Le 686 matériel qui a été déchargé pendant la nuit était des planeurs destinés à amener des troupes aéroportées vers l’Algérie. Tous les planeurs ressemblaient à des passoires et étaient tous devenus inutilisables. J’étais alors de corvée à l’infirmerie à nettoyer le sang; on aurait put comparer le local à une boucherie. Toute la journée, médecins et infirmiers étaient occupés à soigner les blessés. Un seul avion anglais avait été abattu par la DCA; les aviateurs purent sauter en parachute. Après ces événements, nous n’avions plus le droit de coucher dans les casernes; nous fûmes obligés de creuser des tranchées à 1km de la base. Une évasion réussie Un jour, alors que j’étais exempt de service, je me suis présenté à la gendarmerie de la ville d’Istres en leur demadant de m’aider à m’évader. Etant en uniforme allemand, les gendarmes se méfièrent et ce fut un refus catégorique. Comme l’OKW (le Haut-Commandement de l’Armée allemande) avait décrété que les Alsaciens-Lorrains ne devaient pas Témoignages Les incorporés de force face à leur destin être engagés sur le territoire français, on m’expédia par train militaire vers le front soviétique. A minuit, le train s’arrêta en gare de Lyon où les soldats furent ravitaillés par la Croix-Rouge. J’ai profité de cette occasion pour consulter les horaires des trains en direction d’Auxerre où j’avais fait la connaissance de la garde-barrière lors du bombardement du train venant de Belgique. Je me suis caché dans un train vide et, au matin, je partis vers Auxerre où la garde-barrière me donna des habits civils et brûla mes effets militaires. Le 14 septembre 1943, étant devenu un paria sans identité, j’ai pris le train pour Paris où j’ai eu la chance de ne pas avoir été contrôlé par la police militaire allemande. J’ai vécu dans la clandestinité pendant 15 jours, toujours sans papiers. Vers l’Est de la France Il s’est occupé de me trouver des faux papiers auprès d’un chef de la Résistance de la région. Ce dernier est venu m’interroger. Il informa mon ami de sa conclusion selon laquelle j’étais un espion allemand et qu’il fallait qu’il se débarrasse de moi. Heureusement, je bénéficiais de la confiance de mon ami qui m’hébergea pendant plusieurs semaines. Malheureusement, je fus dénoncé à la Gestapo par un membre du PPF (Parti Populaire Français). Je fus averti par une employée de mon imminente arrestation. J’étais à peine parti qu’une voiture de la Gestapo arriva chez mon protecteur. Pendant son interrogatoire, il nia le tout. Ils fouillèrent la maison sans rien trouver. En partant, ils lui ordonnèrent de rester à leur disposition. Profitant de la nuit, il partit au maquis avec sa famille et ne rentra à La Bresse qu’à la Libération ; leur maison avait été incendiée par les Nazis. J’ai pris le train à la gare de l’Est pour Belfort La cathédrale Saint-Etienne d’Auxerre. et, avec une chance inouïe, je suis arrivé à bon (Coll. particulière) port. Après avoir passé quelques jours chez un cousin, j’ai pris un bus, par Vesoul et Lure, Résistant dans les Vosges jusqu’à Cornimont, dans les Vosges. A pied, Quant à moi, je me suis réfugié chez un j’ai rejoint La Bresse où un ami m’a hébergé. Alsacien resté dans les Vosges après 1918. Il 687 Témoignages Les incorporés de force face à leur destin m’a présenté au chef de la Résistance de Bussang. Ce dernier m’a amené dans une cabane forestière dans les roches de Morteville, à 2 km du Ballon d’Alsace. C’est dans ce lieu que fut créé le premier maquis vosgien avec 15 réfractaires, maquis homologué de la Région C sous les ordres du colonel Gilbert Granval. Notre mission était de surveiller les allers et venues des patrouilles allemandes et, le jour du Débarquement, de liquider le poste frontalier du Ballon d’Alsace et de couper les lignes téléphoniques. une baraque forestière au Ménil pour l’installer dans une sapinière à Fresse-sur-Moselle. Le Maquis fut nommé «Camp Louis» en mémoire d’un grand résistant arrêté par la Gestapo. Comme les Allemands avaient un besoin urgent de main d’œuvre, le STO (Service du travail obligatoire) fut instauré en France; nombreux furent les réfractaires qui rejoignirent le Maquis. L’organisation de l’état-major se composait d’un chef départemental, René Matz, de Strasbourg, d’un chef de centre par canton, le chef du Maquis, un chef de centaine, de trentaine et de sixaine. La structure adoptée permettait aux Maquisards d’avoir une instruction militaire qui était indispensable. Longtemps, l’action du Maquis fut limitée par la faiblesse de son armement. L’hiver 1943-1944 s’annonçait avec de fortes chutes de neige. Craignant d’être repéré par les traces dans la neige, le Haut Commandement de la Résistance décida de nous évacuer et nous passâmes l’hiver chez des fermiers qui avaient bien voulu nous héberger. Je passais ainsi l’hiver à la ferme du chef de centre du Ménil nommé Cadum, ferme située au fond Manifestation au Thillot d’une vallée à 1000 mètres d’altitude. C’était un lieu de rencontre des chefs de la Résistance. Le 14 juillet 1944, alors que nos rangs atteignirent les 150 hommes, le chef de centre (un israélite de Guebwiller), recherché par la Ges«Camp Louis» tapo, organisa avec une trentaine de gars un e Au printemps 1944, nous créâmes le 2 Ma- défilé, l’arme à l’épaule, dans les rues de Le quis au Peut-Haut où nous avons démonté Thillot pour aller déposer une gerbe au mo- 688 Témoignages Les incorporés de force face à leur destin nument aux morts. En chœur, nous chantâmes La Marseillaise, ce qui fit sensation auprès de la population. Les Allemands, ayant été renseignés, commencèrent à faire des recherches. Par mesure de sécurité, le camp fut évacué et dirigé sur Bussang, au camp «Koenig» situé à 1km de la frontière de l’Alsace. Au mois d’août, nous avons été ravitaillés en armes et en munitions par un parachutage. Au début du mois de septembre, le chef du Maquis nous fit faire des exercices à l’orée de la forêt, sur terrain découvert. Le lendemain, un Allemand, en uniforme et armé, se présenta au camp; il prétendait vouloir déserter. Il a disparu au cours de la nuit, laissant son fusil que j’avais récupéré. Le feu aux poudres Le lendemain, le chef de camp et moi, avec ma sixaine, nous observâmes une patrouille allemande se diriger vers le Maquis. Le chef perdit le contrôle de ses nerfs et tira sur l’ennemi, avec une mitraillette Sten, à une distance de 500 mètres, ce qui mit le feu aux poudres. Le soir, nous avons été avertis par la Brochure La bataille d’Alsace - novembre-décembre 1944, 1945. secrétaire de mairie, une Alsacienne, qu’une (Coll. L’Ami hebdo) 689 Témoignages Les incorporés de force face à leur destin attaque allemande était imminente. Le chef du Maquis se rendit à Bussang pour observer les préparatifs de l’ennemi, mais il n’a plus jamais rejoint le Maquis... Le lieutenant Ferry, ancien des Spahis, prit le commandement des opérations. Nous étions assez bien armés, un second parachutage ayant eu lieu quelques jours auparavant. Le lendemain, les Allemands attaquèrent en force. Nous étions 250 combattants, dont 100 qui étaient venus la nuit en renfort du Maquis du Peut-Haut reconstitué, pour résister aux Allemands sur un front de 4km. Lorsque j’ai voulu tirer avec le fusil que j’avais récupéré, les coups ne partirent pas! Je démontais alors la culasse et j’ai pu constater que le percuteur avait été meulé. Le soidisant déserteur était bien un espion. Retraite A l’avant-plan, l’arme classique des résistants: la Sten. A gauche, la mitrailleuse allemande MP40. Musée de l’ouvrage de la Ligne Maginot de Hochwald-Drachenbronn. (Photo N. Mengus) 690 saire, il nous dirigea sur l’Alsace pour contourner les assaillants et rejoindre le terrain de parachutage de la Quins-Muss. Nous avions à déplorer un tué et un blessé. Nous avions aussi fait deux prisonniers que nous avons été obligés de libérer, car les Allemands avaient menacé d’incendier la ville de Bussang. Après avoir ménagé un nouveau cantonnement au Col du Ménil, nous avons reçu un message indiquant qu’un parachutage aurait lieu, dans la soirée. Nous avons juste eu le temps d’emmener une partie des armes et des munitions que les Allemands étaient déjà sur place. Nos chefs établirent des contacts radios avec les troupes alliées qui nous donnèrent l’ordre de traverser les lignes après un tir de barrage par l’artillerie au Col du Morbieux. Malheureusement, les tirs étaient mal réglés et nous n’avons pas pu passer. Nous avions également à déplorer un tué et deux blessés gravement atteints par des éclats d’obus. A la tombée de la nuit, les Allemands, ne voulant pas poursuivre le combat en forêt, prirent position en pensant nous encercler et Le «Bourreau des Vosges» nous prendre à revers par Saint-Maurice. Le N’ayant plus de ravitaillement, notre chef lieutenant Ferry donna l’ordre de décrocher, décida que chacun de son côté chercherait le faute de munitions, et, pour tromper l’adver- moyen de rejoindre les Alliés. Avec mon Témoignages Les incorporés de force face à leur destin chef, je trouvais refuge dans une ferme au Ménil. Mais, nous avions certainement été repérés par un guetteur, car le lendemain, à 6 heures du matin, une patrouille allemande avait encerclé la ferme et nous fit prisonnier. Heureusement, nous avions caché nos armes la veille. Nous fûmes livrés à la Gestapo à Bussang, puis à Mulhouse: interrogatoire sur interrogatoire et des schlagues avec un nerf de bœuf. La nuit, nous étions enchaînés avec des menottes. Le chef de la Gestapo avait une cicatrice en travers du visage, ce qui lui avait valu le surnom de « Balafré». Mais il était également connu sous le nom de « Bourreau des Vosges »; deux jours avant notre arrestation, il avait fait fusiller 14 de nos camarades au Steingraben, près du Col de Bussang (il fut condamné à mort après la guerre). Il nous informa que nous serions fusillés. En fuite Les Alliés étaient aux portes de Mulhouse et les Allemands devenaient de plus en plus nerveux. Dans la nuit du 23 octobre 1944, la prison de Mulhouse fut vidée et les prison- Carte postale «Vive l’Alsace française». (Coll. particulière) 691 Témoignages Les incorporés de force face à leur destin niers dirigés vers la gare pour être emmenés durée de la guerre et avons été rayé des en Allemagne. La gare n’était pas illuminée à contrôles de l’Armée active le 30 janvier cause des attaques aériennes, mais j’avais 1946». cependant remarqué, sur la voie en face de notre convoi, un train en partance pour Colmar. Au moment du départ du train, le chef et moi avons sauté sur la plate-forme arrière. Arrivés à Colmar, nous sommes sortis par l’arrière de la gare pour éviter les contrôles. J’ai pu revoir mes parents qui étaient sans nouvelles depuis ma désertion le 14 septembre 1943. Puis, nous nous sommes dirigés vers la gare de Logelbach, où il n’y avait pas de contrôle, et nous avons pris la direction de Lapoutroie. De là, à pied et de nuit, nous essayâmes de traverser la ligne des Vosges audessus d’Orbey, mais les chiens des gardesfrontière nous obligèrent à rebrousser chemin. Nous avons alors voulu nous réfugier dans une ferme, mais, en nous approchant, nous avons entendu chanter en allemand. Après avoir réussi à passer le Col des Bagenelles, nous avons pu rejoindre Fraize où nous fûmes libérés par l’Armée américaine. Nous avons pris un engagement pour la 692